M. le président. La parole est à M. le garde des sceaux.

M. Jean-Jacques Urvoas, garde des sceaux, ministre de la justice. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, chacun comprendra que je commence mon propos en saluant le travail des magistrats, qui, au sein du tribunal de grande instance de Paris, remplissent une mission exigeante face à la « déferlante terroriste », pour reprendre les mots du président du tribunal de grande instance de Paris, Jean-Michel Hayat, évoquant l’alourdissement du rôle du tribunal de grande instance de Paris, et singulièrement de la cour d’assises spéciale.

En 2016, quelque 114 informations judiciaires ont été ouvertes en matière terroriste, contre 67 en 2015. Elles concernent évidemment les candidats au djihad qui tentent de partir, ceux qui se rendent en zone de guerre ou en sont revenus, mais également les infractions d’apologie du terrorisme et le délit de consultation habituelle de sites djihadistes.

Parallèlement, nous avons enregistré une accélération du nombre d’incarcérations. J’en informe le Sénat, car ce sujet ne perdra pas de son actualité au cours des semaines à venir.

Ainsi, depuis le 1er septembre dernier, quelque 94 détenus ont été incarcérés sous le chef d’association de malfaiteurs en relation avec une entreprise terroriste : 75 % d’entre eux sont écroués dans des établissements de la région parisienne ; d’autres le sont dans l’établissement de Lille-Annoeullin ; les derniers sont écroués dans les établissements relevant de la direction interrégionale des services pénitentiaires de Bordeaux. Pour le reste, 50 établissements sont actuellement concernés par l’accueil de ce type de détenus.

Face à cette massification des procédures, et évidemment afin de mieux prendre en compte la dangerosité de ces profils, le parquet de Paris a décidé, en avril 2016, de modifier sa politique pénale, comme vient de le dire M. le rapporteur. Il a ainsi choisi de s’orienter de manière systématique vers une qualification d’association de malfaiteurs à but terroriste criminelle dès lors que la personne est partie combattre ou rejoindre des théâtres de guerre.

De fait, cette politique aura pour conséquence à moyenne échéance d’engorger la cour d’assises spéciale de Paris. Ainsi, selon la Chancellerie, quelque 22 dossiers de terrorisme devraient être jugés par cette juridiction en 2017. Le contentieux sera encore plus important en 2018. En effet, nous évaluons à 55 le nombre des dossiers qui pourraient relever de la cour d’appel de Paris.

Il n’est donc pas réfutable que la charge de la cour d’assises spéciale est sans précédent. Cette charge a d’ailleurs déjà des conséquences au quotidien pour tous les services de la juridiction, dont les magistrats sont tous appelés à siéger, qu’il s’agisse des juges aux affaires familiales ou des formations spécialisées.

Seuls les juges pour enfants, qui sont eux-mêmes confrontés à la déferlante des affaires terroristes mettant en cause des mineurs, et les juges d’instance, qui sont en très grande souffrance au regard des vacances de postes au sein du TGI de Paris, sont pour l’heure préservés.

Je suis donc conscient de l’importance du sujet qui nous réunit cet après-midi. Je l’ai même anticipé. C’est la raison pour laquelle j’ai choisi de renforcer les moyens du TGI de Paris pour y faire face.

De plus, toujours pour lutter contre l’engorgement, le président Hayat avait indiqué en novembre dernier que certaines affaires terroristes, qualifiées de « simples », pourraient être jugées en comparution immédiate.

C’est ainsi que, depuis le début de ce mois, les magistrats spécialisés de la 16e chambre peuvent juger en procédure accélérée en fixant une date de jugement à cinq mois au maximum. Sont notamment concernés le délit réprimant la consultation habituelle de sites terroristes, passible de deux ans de prison ferme et de 30 000 euros d’amende, et l’apologie du terrorisme, passible de cinq ans d’emprisonnement ou de sept ans si les faits ont été commis sur internet.

C’est également dans cette perspective d’adaptation de notre organisation judiciaire que vous proposez, mesdames, messieurs les sénateurs, de réduire le nombre de magistrats composant la cour d’assises spéciale.

Cette composition, vous l’avez rappelé, monsieur le président de la commission des lois, monsieur le rapporteur, a été fixée par la loi du 9 septembre 1986 relative à la lutte contre le terrorisme et figure à l’article 698-6 du code de procédure pénale. Cette cour est composée de six magistrats assesseurs en premier ressort et de huit magistrats en appel. Vous proposez de ramener ces nombres respectivement à quatre et six, afin de permettre d’audiencer un plus grand nombre d’affaires terroristes et d’améliorer le fonctionnement du tribunal de grande instance de Paris ou de ne pas perturber excessivement son fonctionnement.

La proposition de Jean-Michel Hayat n’est pas nouvelle. Il m’en a fait part à de multiples reprises, lorsque nous avons légiféré sur ce sujet. J’ai choisi de ne pas y donner suite, et ce pour deux raisons.

Tout d’abord, sur la base des données fournies par la cour d’appel et le tribunal de grande instance de Paris en septembre 20015, nous évaluons à seulement 2,25 le « gain » en termes d’équivalents temps plein travaillé, ou ETPT, de magistrats du siège. La dimension symbolique d’une telle mesure serait donc notable, mais son impact sur le tribunal serait en réalité très faible.

La seconde raison, qui est plus forte, mais j’imagine que notre débat l’éclairera, c’est que cette mesure aboutirait à réduire la collégialité, alors qu’il s’agit d’affaires extrêmement graves et sensibles.

Pour autant, sous réserve que d’autres arguments viennent infirmer ce sentiment, je ne suis pas hostile à la démarche de la commission des lois du Sénat, qui a voté à l’unanimité ce texte. Je crois néanmoins qu’il ne faut guère aller au-delà de ces 2,25 ETPT. C'est la raison pour laquelle j’en appelle au Sénat pour qu’il appuie d’autres mesures, que j’ai déjà prises dans le cadre de la loi de finances pour 2017 et qui permettront de renforcer la juridiction, notamment le siège et le parquet.

Ces choix budgétaires nous ont ainsi permis de renforcer la section antiterroriste du parquet de Paris, qui est dorénavant composée de treize magistrats.

Nous avons également augmenté de deux juges le pôle d’instruction antiterroriste du TGI, qui est passé de huit à dix magistrats. Un onzième juge d’instruction prendra prochainement ses fonctions, sous réserve de l’avis conforme du Conseil supérieur de la magistrature, que j’ai saisi le mois dernier.

Nous avons aussi décidé – les crédits correspondants sont prévus dans le budget de l’année prochaine – de recruter des assistants spécialisés pour soutenir l’action du ministère public : quinze sont déjà recrutés et assurent des missions de veille extrêmement précieuses pour les magistrats au sein des juridictions, et vingt-cinq sont en cours de recrutement.

Parallèlement, nous avons alloué des moyens matériels supplémentaires au parquet antiterroriste, notamment, puisque sa dotation s’est accrue de 58 000 euros, dont 8 000 euros serviront à financer l’achat de gilets pare-balles. Les drames que nous avons connus cette année nous ont en effet contraints de procéder à ce type d’investissement.

Ce faisant, grâce à ces mesures, nous confortons notre organisation, convaincus – je partage ce point de vue avec le rapporteur, Michel Mercier – de la pertinence de notre organisation de droit commun, qui doit être conservée au regard même de la difficulté à laquelle sont confrontés les tribunaux.

J’avoue d'ailleurs, à ce stade, ne pas comprendre pourquoi réapparaît régulièrement une proposition, dont je ne perçois pas la pertinence et qui constituerait un bouleversement de notre organisation, visant à créer un parquet national antiterroriste dédié.

J’ai déjà eu l’occasion de dire tout le mal que je pensais de cette proposition, dont la concrétisation, en réalité, figerait nos capacités d’action. Nous savons tous que, aujourd'hui, compte tenu de notre organisation et du primat de la cour d’appel de Paris et du tribunal de grande instance de Paris, la totalité des magistrats peut être mobilisée en fonction des besoins.

La constitution d’un parquet antiterroriste ne correspond à aucun besoin identifié. Nous avons malheureusement éprouvé l’efficacité du système encore très récemment à Nice, et nous n’avons, à ce stade, repéré aucune faille, aucune défaillance de notre appareil judiciaire justifiant que l’on se lance dans le bouleversement d’une organisation qui a très largement fait ses preuves depuis 1986.

Personne n’a à gagner de ces débats de faux-semblants, où de fausses solutions occultent de vrais problèmes et qui, en fait, n’occupent que quelques esprits en quête d’une rationalité à côté de laquelle ils passent aveuglément. Il faut se concentrer sur l’essentiel.

Les plans de lutte contre le terrorisme qui ont été conçus et mis en œuvre ont permis d’augmenter les services judiciaires de 1 175 emplois, avec des magistrats – je l’ai évoqué –, mais aussi des greffiers et des fonctionnaires. Ils ont permis également d’augmenter de 100 emplois l’administration pénitentiaire dédiée à la lutte antiterroriste et d’augmenter de 75 emplois la protection judiciaire de la jeunesse, afin de renforcer, là aussi, la détection.

Le récent plan de lutte contre la radicalisation violente et de sécurisation des établissements pénitentiaires, que j’ai annoncé le 25 octobre 2016 et dont la mise en œuvre est déjà en cours, vise aussi à anticiper l’augmentation des affaires que j’évoquais.

Je terminerai en évoquant la loi de modernisation de la justice du XXIe siècle, très récemment promulguée. Ce texte, dont l’objet est de simplifier des procédures et de recentrer les magistrats sur leur cœur de métier, permettra, parce qu’il s’agit là d’une juridiction spécialisée, de dégager plus de temps pour la lutte antiterroriste.

Mesdames, messieurs les sénateurs, voilà le travail que nous avons effectué. Je réaffirme l’intérêt que j’accorde à l’apport du Sénat et, même si cette proposition de loi n’a qu’un effet modeste, je pense que toute idée intéressante est bonne à prendre. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain. – M. Yves Détraigne applaudit également.)

M. le président. La parole est à Mme Esther Benbassa.

Mme Esther Benbassa. Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, monsieur le président de la commission des lois, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, nous entamons l’année avec l’examen d’une proposition de loi portée par nos collègues MM. Bas, Zocchetto, Buffet, Détraigne et Pillet, relative à la composition de la cour d’assises instituée par l’article 698-6 du code de procédure pénale.

Cette cour d’assises, dite « spéciale », qui émane de la loi du 9 septembre 1986, est composée uniquement de magistrats professionnels : un président et six assesseurs lorsqu’elle statue en premier ressort, et huit assesseurs lorsqu’elle statue en appel. La raison de l’absence de jurés est claire : il s’agit d’éviter « toute prise aux pressions d’une organisation sur les personnes chargées du jugement du terroriste ». (M. le rapporteur acquiesce.)

M. Philippe Bas. Exactement !

Mme Esther Benbassa. Rappelons ici que, si la cour d’assises spéciale est compétente en matière de crimes terroristes, elle l’est également en matière de crimes militaires commis en temps de paix, d’atteintes aux intérêts fondamentaux de la Nation, de trafic de stupéfiants et de crimes relatifs à la prolifération d’armes de destruction massive et de leurs vecteurs.

L’objet de la présente proposition de loi est alors relativement simple : il s’agit de réduire de deux membres le nombre d’assesseurs professionnels siégeant au sein de cette cour d’assises, qui passerait ainsi de six à quatre en premier ressort et de huit à six en appel.

Selon les auteurs de la proposition de loi, cette modification permettrait, dans le contexte d’une augmentation sensible et durable du nombre d’affaires criminelles terroristes, d’audiencer un plus grand nombre d’affaires terroristes et de soulager le tribunal de grande instance de Paris, qui serait substantiellement moins mobilisé pour composer les cours d’assises.

La question à laquelle nous sommes amenés à répondre aujourd’hui est donc la suivante : pensons-nous que la réduction du nombre de magistrats siégeant à la cour d’assises spéciale soit à même de désengorger la cour d’assises de Paris, tout en garantissant une justice de qualité ? Une majorité des membres du groupe écologiste ne peut, je le crains, répondre par l’affirmative.

Avec 195 enquêtes préliminaires et 160 informations judiciaires relatives à des filières irako-syriennes en cours, il est certain que la cour d’assises spéciale doit fournir un travail titanesque. De surcroît, ce ne sont pas moins de sept dossiers qui devraient être audiencés en ce début d’année, dont deux d’entre eux sont particulièrement importants : le procès du frère de Mohamed Merah, qui devrait durer un mois, et celui de la cellule de Cannes-Torcy, avec une vingtaine de mis en cause, prévu pour trois mois.

Doit-on pour autant réduire le nombre de magistrats dans cette instance de jugement ? Je ne le crois pas. La collégialité est la garantie d’une justice mieux rendue ; elle doit être préservée et ne peut, mes chers collègues, être rognée pour faire face à la pénurie de magistrats.

Cette pénurie, le manque de moyens de l’ensemble des tribunaux de notre pays, nous ne le découvrons pas avec l’augmentation du nombre d’affaires de terrorisme. Voilà des années que l’ensemble des professionnels du droit la dénonce. Vous déclariez vous-même, il y a quelques mois, monsieur le garde des sceaux, que « la justice est à bout de souffle » et que nous sommes face à « une vraie situation de sinistre ».

On le sait, la justice, malgré les efforts consentis depuis 2012, manque de tout : de magistrats, de greffiers, de fonctionnaires, mais aussi du matériel de base nécessaire au fonctionnement d’une juridiction, comme du papier ou de l’encre pour imprimer les jugements.

La réponse qui nous est proposée aujourd’hui, par une majorité sénatoriale qui n’a pas souhaité examiner le projet de loi de finances pour 2017, donc le budget de la justice, me paraît pour le moins légère. Mais peut-être est-ce annonciateur des temps qui viennent…

En 2015, pour la première fois depuis longtemps, il y a eu plus de magistrats nommés que de départs à la retraite. Cela ne se reproduira probablement pas si le candidat soutenu par certains sur ces travées et qui promet de réduire l’emploi public de 500 000 postes est élu. (Mme Cécile Cukierman et M. Jean-Pierre Sueur applaudissent.)

M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Sueur.

M. Jean-Pierre Sueur. Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, c’est l’honneur des démocraties que de tenir absolument à ce que les crimes terroristes, par définition odieux, soient jugés dans le cadre d’une justice présentant – monsieur le rapporteur, vous avez, à juste titre, insisté sur ce point – les caractéristiques d’une justice de droit commun et non d’une justice d’exception.

Chacun a énoncé l’objet du texte : simplifier les choses, passer de six assesseurs à quatre en premier ressort et de huit assesseurs à six en appel. La composition actuelle, qu’il est proposé de réformer, est issue, vous l’avez dit, de la loi du 9 septembre 1986, et l’extension de la compétence de la cour d’assises spéciale aux crimes terroristes a alors eu pour objectif de prévenir tout dysfonctionnement judiciaire qui pourrait résulter de manœuvres d’intimidation sur les jurés populaires, comme il y en a eu.

Ces dispositions ne sont pas isolées, puisque, en application de l’article 706-26 du code de procédure pénale, en matière de stupéfiants, les accusés majeurs sont jugés par la cour d’assises dont la composition et le fonctionnement sont les mêmes. Il en va de même pour le jugement des crimes relatifs à la prolifération d’armes de destruction massive et de leurs vecteurs.

Je veux souligner que cette loi a été déférée au Conseil constitutionnel, qui a déclaré : « Considérant qu’il est loisible au législateur compétent pour fixer les règles de la procédure pénale en vertu de l’article 34 de la Constitution de prévoir des règles de procédure différentes selon les faits, les situations et les personnes auxquelles elles s’appliquent pourvu que ces différences ne procèdent pas de discrimination injustifiée et que soit assuré au justiciable des garanties égales, notamment quant au respect du principe des droits de la défense ;

« Considérant que la différence de traitement établie par l'article 706-25 nouveau du code de procédure pénale […] tend, selon l'intention du législateur, à déjouer l'effet des pressions ou des menaces pouvant altérer la sérénité de la juridiction de jugement ; que cette différence de traitement ne procède donc pas d'une discrimination injustifiée ; que, en outre, par sa composition, la cour d'assises instituée par l'article 698-6 du code de procédure pénale présente les garanties requises d'indépendance et d'impartialité ; que devant cette juridiction les droits de la défense sont sauvegardés ; que, dans ces conditions, le moyen tiré de la méconnaissance du principe d'égalité devant la justice doit être écarté ».

Mes chers collègues, j’ai tenu à vous citer cet extrait assez long de la décision du Conseil constitutionnel, qui montre que le Conseil a clairement établi les choses par rapport à la légalité et à la constitutionnalité de la procédure. Je rappelle aussi que la chambre criminelle de la Cour de cassation, qui a eu à se prononcer sur la validité de cette composition, l’a aussi pleinement considérée comme justifiée et conforme au droit.

Vous l’avez souligné, monsieur le président de la commission des lois, monsieur le rapporteur, monsieur le garde des sceaux, le contentieux terroriste connaît actuellement une forte augmentation. Les chiffres ont déjà été rappelés : au 1er décembre 2016, la section antiterroriste du parquet de Paris dénombrait 288 informations judiciaires et 287 enquêtes préliminaires, dont 160 informations judiciaires et 195 enquêtes préliminaires pour le seul contentieux syro-irakien. Le nombre d’ouvertures d’informations judiciaires en matière terroriste, comme je l’ai lu dans votre rapport, monsieur Michel Mercier, a augmenté de 93 %.

Dans ces conditions, nous verrons bien l’effet de cette mesure, dont nous dites, monsieur le garde des sceaux, qu’il sera limité. Cela étant, il est clair, comme vous l’avez sans doute remarqué, que l’intention du législateur et de notre commission des lois, unanimes en l’espèce, n’est en aucun cas d’aller vers une juridiction d’exception. C’est justement parce que nous ne voulons pas que certains, à l’avenir, aient l’idée de créer une juridiction d’exception que nous pensons sage de prévoir une composition réaliste, eu égard à la grande ampleur du contentieux qui devra être traité en 2017 et durant les années suivantes, hélas.

Je terminerai mon propos en disant qu’il s’agit pour nous d’aller vers la meilleure administration de la justice possible, ou de progresser tout au moins en ce sens. Vous le savez, monsieur le garde des sceaux, une bonne administration de la justice est aussi un objectif à valeur constitutionnelle. (M. le garde des sceaux acquiesce.) C’est pourquoi le groupe socialiste et républicain votera la présente proposition de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain. – Mme Esther Benbassa applaudit également.)

M. le président. La parole est à M. André Reichardt.

M. André Reichardt. Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, comme en 2015, l’année 2016 qui s’est écoulée a encore été marquée par le terrorisme, ainsi que, bien entendu, par la nécessaire lutte pour y faire face.

Notre collègue Michel Mercier le relève dans son rapport, le nombre d’ouvertures d’informations judiciaires en matière terroriste a augmenté de plus de 93 % par rapport à l’année précédente et le nombre d’enquêtes préliminaires de plus de 70 %. Au vu de la menace persistante, l’année 2017 ne s’annonce guère sous de meilleurs auspices.

Dans un tel contexte, il devient urgent de réformer l’appareil judiciaire, afin de donner à la cour d’assises spéciale de Paris les moyens de faire face à l’augmentation croissante et très importante, on l’a dit, du nombre de procédures pour crimes terroristes.

Alors qu’elle traitait jusqu’ici trois à quatre affaires par an, sa charge devrait doubler cette année. Plusieurs dizaines d’affaires sont ainsi à attendre pour les années à venir, dont deux principales, cette année, d’une durée moyenne évaluée à douze semaines. Ce sont – Mme Benbassa les a citées avant moi –, celle du frère de Mohamed Merah, qui avait tué sept personnes dont trois enfants en 2012, et celle de la cellule djihadiste dite de « Cannes-Torcy », accusée d’un attentat contre une épicerie casher la même année.

Viendront encore s’y ajouter de lourds dossiers, ceux du triste soir du 13 novembre 2015, pour lesquels quatre à cinq mois de procédure seront sans doute nécessaires. Le procureur de la République de Paris a, en outre, annoncé pour avril prochain la criminalisation de près de 90 dossiers, actuellement en cours d’information judiciaire.

Au vu de l’augmentation très importante du nombre de procédures et de l’obligation de respecter un délai d’un an d’audiencement, tel que le prévoit le code de procédure civile, la situation de la Cour est aujourd’hui mise à l’épreuve et devient singulièrement problématique.

La modification de la composition de la juridiction parisienne va donc dans le bon sens, celui d’une justice plus raisonnée, notamment au nom du principe de célérité de la justice, que ce soit dans le cadre des procédures pour crimes terroristes que pour ce qui concerne les procédures de droit commun.

Dès lors, si ce n’est permettre d’assurer un temps de procédure raisonnable, ramener le nombre d’assesseurs de six à quatre en première instance, et de huit à six en appel, ne peut qu’augmenter le niveau de performance de nos juridictions.

Au sens du Pacte international relatif aux droits civils et politiques et de la Convention européenne des droits de l’homme, le principe de célérité de la justice est un droit fondamental pour les justiciables, non seulement pour la victime, mais également pour la personne poursuivie, notamment lorsque celle-ci est placée en détention provisoire, comme c’est naturellement très souvent le cas.

Un délai non raisonnable engage ainsi la responsabilité de l’État pour faute lourde, au sens de l’article L. 141-1 du code de l’organisation judiciaire, l’obligeant à réparer le dommage causé par le fonctionnement défectueux du service public de la justice.

À ce titre, la personne qui aurait fait l’objet d’une détention provisoire au cours d’une procédure terminée à son égard par une décision de non-lieu, de relaxe ou d’acquittement devenue définitive a droit à la réparation intégrale du préjudice moral et matériel que lui a causé cette détention.

C’est ainsi que la presse s’est récemment fait l’écho de l’indemnisation dont avait pu bénéficier M. Farouk Ben Abbes, soupçonné d’avoir projeté un attentat contre le Bataclan dès 2010. Celui-ci avait obtenu un non-lieu faute de charges suffisantes, nonobstant des faits avérés par les services égyptiens. À telle enseigne que Philippe Bilger, magistrat honoraire bien connu, a souligné dans une chronique du Figaro : « On offre aveuglément les privilèges de l’État de droit à ceux qui veulent le détruire ».

J’aimerais à cet égard mettre l’accent sur la question des délais de procédure anormalement longs, qui ont valu à la France de se faire plusieurs fois condamner par la Cour européenne des droits de l’homme de Strasbourg.

À l’occasion de l’affaire Sagarzazu contre France, en janvier 2012, la Cour a clairement rappelé qu’il « incombait aux États d’agencer leur système judiciaire de manière à permettre à leurs tribunaux de répondre aux exigences de la Convention », au terme desquelles « toute personne détenue a droit d’être jugée dans un délai raisonnable ou libérée pendant la procédure ».

En l’espèce, les requérants, membres de l’ETA à l’époque, avaient été mis en examen pour participation aux activités de préparation d’actes de terrorisme et placés en détention provisoire. Près de deux ans s’étaient écoulés entre l’ordonnance de mise en accusation et l’arrêt de la cour d’assises de Paris spécialement composée.

La Cour européenne des droits de l’homme, pour condamner la France pour durée excessive de la détention provisoire, avait retenu que les juridictions internes ont fait droit aux demandes de prolongation de la détention provisoire formulées par le procureur général « essentiellement en raison de la charge du rôle de la cour d’assises spécialement composée », et cela indépendamment de tout motif lié à « la préparation d’un procès de grande ampleur ou en raison du besoin des autorités de prendre des mesures de sécurité efficaces ».

La Cour avait en outre observé que le Gouvernement s’en était exclusivement tenu à l’argument de l’encombrement de la cour d’assises de Paris afin de justifier le délai litigieux. Bien qu’elle ait reconnu le problème lié à l’encombrement judiciaire, la Cour de Strasbourg n’a eu de cesse de condamner la France pour ces raisons.

La Cour de cassation s’est elle-même alignée sur la jurisprudence européenne, considérant, à l’occasion d’un arrêt rendu en chambre criminelle en 2009, que « les difficultés récurrentes de fonctionnement de la juridiction appelée à statuer au fond ne pouvaient justifier une prolongation de la détention provisoire au risque de méconnaître les dispositions tant de la Constitution que de la Convention européenne des droits de l’homme ».

Je souhaiterais donc insister sur le fait que la juridiction parisienne connaît actuellement d’importants déficits en termes d’effectifs, avoisinant, nous dit-on, les 15 %. Dès lors, la mobilisation de 24 magistrats – M. le rapporteur l’a citée avant moi –, sur un vivier d’à peine plus de 200 magistrats, rend malaisée l’organisation des services. En effet, lorsque des services ne fonctionnent qu’avec un ou deux magistrats, il est difficile de désigner une personne pour aller aux assises sans compromettre la capacité de jugement de la juridiction dans laquelle on a puisé.

Aussi, il est de pratique courante de ne puiser qu’au sein de trois services : le correctionnel, l’instruction et les affaires familiales. Il est donc urgent de donner à la cour d’assises spéciale les moyens nécessaires, afin de lui permettre de pérenniser son fonctionnement et de minimiser le risque d’engorger toutes les procédures par effet de cascade.

D’après les calculs opérés, cette proposition de loi visant à réduire le nombre de magistrats affectés aux assises devrait, nous dit-on, augmenter le nombre d’audiencements et permettre à la cour de juger treize affaires supplémentaires de terrorisme, de cinq jours chacune, et six affaires supplémentaires de dix jours en appel. Même si, comme nous le disait à l’instant M. le garde des sceaux, cette augmentation peut paraître modeste, elle reste, bien entendu, bonne à prendre, compte tenu des effets en cascade.

Qui plus est, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, sur un plan moral enfin, ce sont autant de procédures qui permettront d’accélérer le processus d’indemnisation symbolique des victimes, nonobstant la réparation pécuniaire assurée en amont par le fonds d’indemnisation.

Pour ces différentes raisons, vous l’avez compris, au nom du groupe Les Républicains, j’appuie fortement la proposition de loi présentée par le M. le président Philippe Bas et par certains de nos collègues. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et de l'UDI-UC. – M. Jean-Pierre Sueur applaudit également.)