Mme la présidente. La parole est à M. Alain Bertrand, pour le groupe du RDSE.

M. Alain Bertrand. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, bien des choses ont déjà été dites : ce texte, qui a été déposé par nos collègues socialistes de l’Assemblée nationale, reprend des dispositions de la loi relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique, dite Sapin II, censurées par le Conseil constitutionnel et qui visaient à lutter contre la captation et la financiarisation des terres agricoles.

Nous le savons, les agriculteurs doivent faire face à l’arrivée de capitaux étrangers. Le prix moyen de nos terres est en effet plus faible qu’ailleurs, qu’en Italie ou en Allemagne.

Le phénomène n’est pas nouveau : depuis 2008, plus d’une centaine de propriétés viticoles du Bordelais ont été rachetées par des investisseurs chinois – qu’ils soient chinois, belges, espagnols, italiens ou autres ne change d’ailleurs rien. Depuis quelques années, ces acquisitions de terres ne concernent plus seulement la viticulture, cher monsieur Cabanel, mais s’étendent aussi aux grandes cultures – le lait ou encore l’élevage. C’est par exemple le cas en Lozère, depuis longtemps, car les terres de l’Aubrac rapportent plus que des placements financiers ordinaires.

Je ne reviens pas sur le cas, que vous avez tous cité, des 1 600 ou 1 700 hectares de terres agricoles de l’Indre achetés récemment.

Au-delà des questions que peut soulever la vente de ces terrains à des sociétés étrangères, cette situation a de nombreuses conséquences pour nos agriculteurs et, mécaniquement, une déformation du marché agricole, des prix et de notre capacité de production. Cela tend aussi à transformer nos petits exploitants agricoles indépendants en salariés de grandes firmes.

Dans le cadre de la rédaction de leur ouvrage Les exploitations agricoles à l’épreuve de la firme. L’exemple de la Camargue, paru en 2012, le sociologue bien nommé François Purseigle (Sourires.) et l’économiste Geneviève Nguyen ont rencontré plusieurs de ces salariés. Ces auteurs n’hésitent pas à parler, pour les caractériser, de « métayage », voire de « servage » ; on revient plusieurs siècles en arrière !

En outre, comme le souligne Robert Levesque, membre de la Fédération nationale des SAFER, l’autre aspect préoccupant de cette affaire est que « n’importe quels capitaux étrangers peuvent prendre le contrôle d’exploitations sans avoir de lien avec le territoire, son avenir », nos productions, ni nos terroirs. Le ministre l’a dit, il est donc urgent de réagir, mais sous réserve que ce soit au bénéfice des agriculteurs et des territoires agricoles…

Pour répondre aux diverses problématiques, la présente proposition de loi prévoit de limiter l’acquisition de foncier agricole aux sociétés dont l’objet principal est la propriété et l’exploitation agricoles – c’est la moindre des choses –, ainsi que d’autres mesures.

Il s’agit de mesures simples et justes qui permettront de limiter les investissements purement spéculatifs, sans lien véritable avec la conception à la française de l’agriculture.

Il est en outre indispensable de renforcer les SAFER. Leur pouvoir de contrôle est trop souvent contourné par des montages juridiques, et elles sont trop souvent critiquées alors même qu’elles font un travail décisif, et pas seulement en matière agricole ! En étendant le droit de préemption des SAFER, la proposition de loi va dans le bon sens.

Un bémol toutefois : le manque de moyens financiers.

Les SAFER aident aussi les collectivités locales à créer ou à étendre des zones d’activité et à réaliser de grands ouvrages. Leur rôle en matière d’emploi et de développement économique est certain. Elles devraient donc disposer de moyens budgétaires suffisants ; ce n’est pas toujours le cas aujourd’hui, comme M. Cabanel le faisait remarquer en commission des affaires économiques.

J’en viens à la seconde partie de la proposition de loi, qui est relative au développement du biocontrôle. Il s’agit d’une question d’équilibre ; il faut, d’une part, encourager les solutions alternatives aux produits phytosanitaires, mais, d’autre part, ne pas les interdire abruptement du jour au lendemain, au risque de mettre nos agriculteurs en difficulté.

Je souscris donc entièrement à l’article additionnel qui autorise l’utilisation des produits phytopharmaceutiques conventionnels lorsqu’il n’y a pas, j’y insiste, d’alternative, ce qui ne va pas à l’encontre des affirmations du ministre, qui a raison de dire qu’il faut arriver à des résultats.

Les articles 8 et 9 du texte allègent les exigences pesant sur les professionnels qui utilisent des techniques alternatives aux produits phytopharmaceutiques, en particulier le biocontrôle. Il s’agit d’une mesure intelligente. On n’en introduit pas tous les jours dans la loi française, mais, là, c’est le cas.

Enfin, l’article le plus saillant est l’article 10, qui ratifie l’ordonnance gouvernementale relative au dispositif expérimental des certificats d’économie de produits phytopharmaceutiques, dont le ministre a souligné l’utilité.

Ainsi, pas de révolution dans ce texte, mais des évolutions simples, justes et efficaces. Cela montre bien que, pour l’ensemble du Sénat et, je le crois, pour le Gouvernement, l’agriculture est essentielle. Nous voulons protéger notre production, nos exportations, nos agriculteurs, nos paysans – j’ai trop peu entendu ce terme – et nos terroirs. Nous savons que nos agriculteurs, pour peu qu’on leur en donne les outils, sont capables de s’adapter et de relever tous les défis, y compris celui, qui est d’actualité – ils le savent –, de l’agriculture propre.

Le groupe du RDSE votera donc très majoritairement pour ce texte. (Applaudissements sur les travées du RDSE, du groupe écologiste et du groupe socialiste et républicain.)

Mme la présidente. La parole est à M. Pierre Cuypers, pour le groupe Les Républicains.

M. Pierre Cuypers. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, le Sénat examine une proposition de loi portant sur des questions qui ne sont pas nouvelles : la préservation du foncier agricole et le développement de techniques alternatives à l’utilisation des produits phytopharmaceutiques.

Sur le premier point, vous le savez, le contrôle des cessions foncières rurales est une spécificité française qui, depuis les années soixante, permet d’améliorer la situation foncière des exploitations agricoles, de faciliter l’installation de nouveaux agriculteurs, de contribuer à la protection des paysages et d’accompagner les politiques publiques locales.

Aussi, l’acquisition de 1 600 hectares de terres agricoles dans le Berry par des investisseurs chinois, sans que la SAFER puisse avoir un droit de regard sur le dossier, a suscité un grand émoi. Cet événement a révélé que notre arsenal juridique n’était pas suffisant pour réguler les opérations foncières et empêcher des acquisitions non souhaitées de terres par des investisseurs étrangers au monde agricole.

Le groupe Les Républicains du Sénat a jugé nécessaire d’apporter sans tarder quelques mesures correctives afin de donner aux SAFER les moyens de mieux assurer leurs missions et de mieux maîtriser l’usage des terres agricoles. C’est le sens de la proposition de loi de Daniel Gremillet.

Les SAFER font, il est vrai, l’objet de critiques récurrentes. Le rapport de la Cour des comptes de 2014 ne les a pas épargnées ; il dénonçait notamment les activités « peu transparentes » et « éloignées de leurs missions originelles », et préconisait un recentrage de ses missions ainsi que son plus grand encadrement par l’État.

C’est pourquoi, comme nous l’avons souligné lors des travaux de la commission des affaires économiques, il faudra avoir une réflexion sur le rôle des SAFER et, plus globalement, sur le foncier agricole, ses aspects fiscaux et sur l’équilibre entre droit d’exploiter et droit de propriété.

En attendant ce travail de fond, qui sera conduit dans les prochains mois, la présente proposition de loi étend l’intervention des SAFER à l’acquisition de parts sociales lors des cessions partielles, afin qu’elles puissent mieux assurer leurs missions.

Par ailleurs, dans un objectif de transparence du marché du foncier agricole, la proposition de loi limite l’acquisition de terres aux seules sociétés dont l’objet principal est la propriété agricole, c’est-à-dire les groupements fonciers agricoles, les groupements fonciers ruraux ou les sociétés civiles immobilières.

Cette obligation ne s’impose pas aux groupements agricoles d’exploitation en commun, les GAEC, dont tous les associés doivent être exploitants, ni aux entreprises agricoles à responsabilité limitée, les EARL, dont les associés sont des personnes physiques et dont les associés exploitants doivent détenir au moins 50 % du capital social. Ces formes de sociétés ne peuvent pas constituer des outils d’appropriation des terres, leur objet étant déjà la propriété agricole.

Il a été décidé en commission des affaires économiques, sur l’initiative du rapporteur, M. Daniel Gremillet, dont je salue l’important travail,…

M. Bruno Sido. Absolument !

M. Pierre Cuypers. … que les formes sociétaires seraient, dans leur ensemble, dispensées de créer une société de portage foncier pour l’achat de terres dès lors qu’elles en sont déjà locataires. Ainsi, les sociétés civiles d’exploitation agricole titulaires d’un bail rural pourront exercer leur droit de préemption prioritaire en tant que locataire à l’occasion de la vente du foncier support de leur activité. Je crois que nous sommes parvenus à un point d’équilibre.

Le second volet du texte concerne le biocontrôle et l’expérimentation du mécanisme de certificat d’économie de produits phytopharmaceutiques. Je m’étendrai moins sur ce volet, car le travail du rapporteur va dans le sens d’une écologie incitative et positive, un principe auquel je souscris totalement, et non dans le sens d’une écologie punitive. Il a ainsi maintenu les CEPP et a supprimé le régime de sanction lié à ces certificats.

Je me félicite que cela reste une expérimentation, car les CEPP sont très critiquables sur le fond : ils font porter une responsabilité du fait d’autrui aux distributeurs, alors que la décision d’achat ne relève pas d’eux,…

M. Stéphane Le Foll, ministre. Elle relève des agriculteurs, alors ?

M. Pierre Cuypers. Absolument !

M. Stéphane Le Foll, ministre. Ah bon…

M. Pierre Cuypers. Les CEPP créent en outre une distorsion de concurrence entre distributeurs français et étrangers. Je n’évoque même pas la complexité du mécanisme qu’il s’agit de mettre en œuvre…

Les mesures sur le biocontrôle soulèvent un certain nombre de questions, mais, sur le volet foncier, les sénateurs de la majorité se sont mobilisés pour trouver les solutions juridiques à un problème qui est loin d’être anecdotique. Les évolutions qu’a connues le texte vont dans le sens d’une meilleure maîtrise du foncier rural agricole. C’est pourquoi le groupe Les Républicains votera dans sa majorité en faveur du texte. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et sur le banc de la commission.)

M. Bruno Sido. Très bien ! Excellent !

Mme la présidente. La parole est à M. Franck Montaugé, pour le groupe socialiste et républicain.

M. Franck Montaugé. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, souveraineté nationale à l’égard de la propriété agricole, indépendance alimentaire de la France, c’est à ces enjeux que nous rappelle brutalement l’affaire des 1 600 hectares du Berry.

Dans le temps qui m’est imparti, j’aborderai deux points : d’une part, les questions que soulèvent les établissements publics de financement et de restructuration, les EPFR, en milieu rural et leur contribution possible au financement de l’action des SAFER ; d’autre part, la question de la responsabilité en matière de réduction de l’utilisation des produits phytopharmaceutiques.

L’extension du périmètre des EPFR existants antérieurement à la création des nouvelles régions, comme c’est le cas en ce moment en Occitanie, se traduira par des prélèvements fiscaux supplémentaires effectués directement auprès des contribuables des territoires ruraux et hyper-ruraux. Sur ces territoires à faible pression foncière, les sommes, de près de 15 euros par habitant, prélevées tous les ans serviront surtout à porter des opérations foncières en milieu urbain. C’est une bonne chose. En revanche, ce qui pose problème est la solidarité de fait entre des territoires en difficulté, voire en grande difficulté, en milieu rural à l’égard de zones urbaines, sans retour vers les zones rurales sur lesquelles les projets justifiant de tels portages sont, hélas, rares.

Une fois de plus, ces mécanismes de prélèvement se traduisent par un appauvrissement de territoires ruraux et hyper-ruraux déjà en butte à de grandes difficultés. Parmi ces difficultés figurent l’installation des jeunes agriculteurs et la capacité à maintenir durablement l’activité agricole, ainsi que la rémunération des agriculteurs qui prennent leur retraite.

Par ailleurs, faute de moyens financiers suffisants, cela a été dit, les SAFER ne peuvent pas toujours faire face correctement à leur mission première.

Dans le département dont je suis élu, le Gers, pour la viticulture, l’utilisation de sociétés de portage foncier au capital desquelles figurent des adhérents coopérateurs et même des salariés non coopérateurs permet d’apporter une réponse à l’installation de jeunes viticulteurs sur des parcelles qu’ils n’auraient pu ni acheter ni même louer.

Si cette pratique, développée par l’union de coopératives de Plaimont, apporte une réponse à l’enjeu de portage du foncier tout en la liant à son exploitation, je considérerai comme utile et constitutif d’un juste retour des choses que les SAFER bénéficient, dans le cadre d’une régulation à définir, d’une partie des fonds prélevés par les EPFR sur les territoires ruraux et hyper-ruraux.

Une grande loi sur la gestion du foncier permettrait d’aborder ce sujet et de servir l’indispensable développement des territoires ruraux sans affaiblir les EPFR dont les ressources disponibles parfois considérables posent question. Un bon sujet de travail législatif en perspective pour la prochaine législature…

Le second point, que je veux aborder rapidement, est celui de la mise en œuvre expérimentale des certificats d’économie de produits phytopharmaceutiques prévus à l’article 10 de cette proposition de loi.

L’enjeu sanitaire et la pression sociale pour une alimentation saine et de qualité justifient pleinement ces dispositions, et je salue le travail du ministre, qui a engagé notre agriculture, au travers de la loi d’avenir, dans la triple performance économique, sociale et environnementale.

J’entends plaider au cours de cette discussion générale, comme je l’ai fait en commission, contre l’idée selon laquelle cette mesure et les pénalités qu’elle prévoit induiraient un handicap de productivité. Pourquoi considérer d’emblée que la situation restera en l’état et que des pénalités devront être payées ? Pourquoi ne pas miser sur notre capacité collective à trouver et à mettre en œuvre des solutions correctives efficaces ? (M. Jean-Louis Carrère applaudit.) Soixante-dix fiches- action ont d’ores et déjà été déposées, et vingt d’entre elles ont été approuvées par le comité d’évaluation, les cinquante autres étant en cours d’évaluation.

Pour ma part, je ne crois pas que l’agriculteur doive supporter seul la responsabilité de l’emploi des produits phytopharmaceutiques. Comme pour la valeur ajoutée agricole ou agroalimentaire, dont on sait qu’elle est souvent trop faible pour le producteur et qu’elle devrait en conséquence être redistribuée plus équitablement sur toute la chaîne de valeur, la responsabilité de réduction de l’usage de ces produits doit être répartie de l’amont à l’aval, des fournisseurs d’intrants aux metteurs sur le marché.

La solution que nous proposons au travers d’un amendement à l’article 10 a été conçue dans cet esprit. Elle conduira aussi à ce que la recherche de solutions de réduction de l’utilisation de produits phytopharmaceutiques soit collectivement partagée. Le dispositif sera progressivement mis en œuvre au cours des cinq prochaines années.

Voilà, en quelques mots, les deux propositions, marquées du sceau de la solidarité et du bon sens, que je souhaitais, monsieur le ministre, chers collègues, partager avec vous. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain et du groupe écologiste.)

Mme la présidente. La parole est à M. Bruno Sido, pour le groupe Les Républicains.

M. Bruno Sido. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, je n’aborderai pas la question du biocontrôle, en particulier celle des CEPP et des produits phytopharmaceutiques ; il y aurait en effet trop à dire et ce sujet mériterait à lui seul un débat approfondi avec la profession et avec les scientifiques, ainsi qu’un texte dédié.

Je ne traiterai donc que de la question de l’accaparement, dont Le Petit Robert donne pour définition « le fait de prendre pour soi seul ».

La dimension péjorative de ce mot pose question : serait-il négatif de posséder exclusivement un bien ? Comment équilibrer le droit de propriété et son nécessaire respect, d’une part, avec, d’autre part, les missions d’intérêt général que porte aussi notre agriculture, au premier rang desquelles l’alimentation de la population française et européenne ?

Je suis agriculteur depuis 1977 ; j’ai consacré ma vie professionnelle au monde agricole. Fort de quarante ans d’expérience, les dynamiques que j’observe au sein de la profession et du monde rural sont des tendances lourdes, qui doivent nous conduire à poser les vraies questions et surtout à nous adapter au monde, qui ne nous attend pas…

Cette proposition de loi contribue à répondre aux défis du monde contemporain. Je ne reviendrai pas sur le fond, notre excellent rapporteur a été exhaustif et clair. Je salue son important travail de concertation avec l’ensemble des représentants du monde agricole.

M. Jean-Louis Carrère. C’est le moment des violons…

M. Bruno Sido. Plus largement, monsieur le ministre, face au désarroi des agriculteurs, nous avons besoin d’une parole politique forte et d’un cap.

Quel est le constat ? Notre agriculture, notamment céréalière, n’est pas seulement française ; elle est mondiale. Les prix sont fixés par les marchés mondiaux en fonction des récoltes qui ont lieu en Australie, aux États-Unis, en Ukraine, en Argentine ou encore au Brésil. Nous devons en prendre acte. Ne serait-il pas irresponsable d’entretenir l’illusion d’une forme de nostalgie ? Était-ce vraiment « mieux avant », avec des exploitations de toute petite taille ?

Partant de ce constat, que devons-nous, comme législateur, garantir au monde agricole ? Des conditions de concurrence équitables. Monsieur le ministre, quand le coût de revient de la tonne de blé s’établit à 90 euros en Ukraine et au double en France, alors qu’on la vend 150 euros, est-ce tenable ?

Alors, que faire ? Refuser la mondialisation ? Quitter l’Europe et la PAC ? Dresser – c’est à la mode – un mur ? Je vous laisse imaginer les conséquences à l’export pour la filière agroalimentaire…

D’eux-mêmes, les agriculteurs augmentent, année après année, la taille de leurs exploitations, quand et comme ils le peuvent. Ne devrions-nous pas les accompagner par une série d’incitations qui les aideraient à développer leurs entreprises, à les rendre plus prospères, plus compétitives, à servir notre pays par le biais de l’export ?

De nombreux agriculteurs travaillent incroyablement dur et gagnent pourtant si peu, parce que le système ne veille pas à la compétitivité des exploitations agricoles. Celles-ci ne sont pas des lieux de visite pour citadins en vacances ; ce sont d’abord des entreprises où l’on investit, où l’on innove, où l’on crée de la valeur pour les siens et pour son pays.

Je n’ai rien contre les SAFER, bien au contraire ; leur rôle est indispensable, et cette proposition de loi les conforte.

C’est ici, au Parlement, que nous avons la mission de repenser les conditions de développement économique des exploitations agricoles. Plusieurs questions me viennent à l’esprit.

Augmenter la taille de son exploitation, est-ce accaparer des terres agricoles ou créer les conditions de sa pérennité ? Quid des investisseurs étrangers dans notre agriculture? Quelles conditions devons-nous fixer à l’acquisition des terres agricoles ? À mon sens, à l’égard des étrangers, personnes physiques ou morales, la règle clé doit être la réciprocité effective. Autrement dit, oui aux relations commerciales et aux transactions équilibrées, non au libre-échange à sens unique.

Oui, nous avons besoin d’investisseurs, français comme étrangers. Oui, nous avons besoin de rester une économie ouverte, ce qui signifie arrêter de se tirer volontairement une balle dans le pied avant de courir le cent mètres ! Stop à la suradministration ; stop aux contraintes environnementales excessives !

Oui, pour évoquer cette fameuse vente de 1 600 hectares à l’origine de ce texte, la loi française s’applique à tous, aux Français comme aux Hollandais ou aux Chinois. Ces terres agricoles, comme les 28 millions hectares restants sont soumises aux mêmes normes, françaises, évidemment.

S’il faut sans doute encadrer le phénomène de concentration de la propriété des terres, faisons attention à maintenir le cap sur l’essentiel : le soutien à la compétitivité de notre agriculture. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et de l'UDI-UC.)

Mme la présidente. La parole est à M. Dominique de Legge, pour le groupe Les Républicains.

M. Dominique de Legge. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, un investisseur chinois a acheté 1 700 hectares de terres agricoles. La SAFER n’a pas pu les préempter, et voici que nous sommes invités à légiférer pour « lutter contre l’accaparement des terres agricoles », afin de proposer une nouvelle extension du droit de préemption des SAFER, après les lois de 1980, de 1990 et de 2014…

Soyons clairs, que la puissance publique dispose d’un outil d’intervention foncier est indispensable. Nul ne le remet en cause.

Toutefois, le temps me semble venu de se poser deux questions.

La première porte sur la gestion des SAFER elle-même.

La Cour des comptes ne cesse de dénoncer les dérives, allant jusqu’à évoquer des « opérations peu transparentes », ciblant notamment ce qu’il est convenu d’appeler « les opérations de substitution », qui prennent une place de plus en plus importante dans l’activité des SAFER. Ces opérations ne participent en rien aux missions initiales des SAFER, à savoir l’installation des jeunes, le remembrement du parcellaire ou l’agrandissement des exploitations familiales. Elles permettent simplement aux acquéreurs de ne pas s’acquitter des droits fiscaux dont les opérations réalisées par les SAFER sont exemptées et à ces dernières de toucher une commission en échange.

Selon la Cour des comptes, le coût fiscal de ces opérations, qui représentent 68 % de l’activité des SAFER en 2012, s’élève à plus de 45 millions d’euros. Les perdants en sont les départements, les communes – je tiens à le dire ici – et l’État. La Cour constate, par ailleurs, que cet avantage fiscal concerne de plus en plus d’opérations relatives à des biens ruraux bâtis et que la Fédération nationale des SAFER gère un site internet, www.proprietes-rurales.com, similaire à ceux des notaires et des agences immobilières…

La Cour des comptes dénonce également qu’en 2012, sur 29 668 hectares rétrocédés, seulement 10 %, soit 2 761 hectares, l’ont été au profit de l’installation de jeunes agriculteurs.

J’aurais apprécié que, alors que l’on donne de nouveaux moyens d’intervention aux SAFER, l’on puisse, pour reprendre l’expression de la Cour, « procéder à un indispensable recentrage ».

La seconde question a trait à l’évolution du contexte dans lequel évoluent les SAFER.

Lorsque celles-ci ont été créées, en 1960, il y avait 2 millions d’exploitations agricoles, dont 75 % comptaient moins de 20 hectares. Aujourd’hui, le nombre d’exploitations est inférieur à 500 000, avec une superficie bien supérieure.

En 1960, les régions étaient des établissements publics. Depuis les lois de décentralisation, elles sont devenues collectivités de plein exercice. Elles se sont dotées d’établissements publics fonciers régionaux, qui interviennent comme un outil d’aménagement territorial. Elles ont également vu leurs compétences renforcées dans le domaine économique. Parce que l’agriculture, malgré ses spécificités, est un acteur économique, non pas à part, mais à part entière, les régions, dans le cadre de leur politique économique, développent des dispositifs d’accompagnement ou de modernisation des exploitations. Il serait fâcheux que, sous prétexte d’une spécificité agricole, l’ensemble des acteurs s’exonèrent d’une réflexion sur les nécessaires adaptations de dispositifs et de pratiques qui datent de plus de cinquante ans !

Mes chers collègues, ces quelques réflexions n’ont pas pour objet de jeter le bébé avec l’eau du bain. Nous avons besoin d’un outil d’intervention. Cependant, les moyens et les objectifs des SAFER doivent être revisités, en tenant compte des défis du moment et de la nouvelle donne économique et administrative de nos territoires.

Certes, la maîtrise du foncier est un enjeu agricole, mais il devient de plus en plus un enjeu d’aménagement du territoire et un enjeu écologique. Le temps n’est-il pas venu d’appréhender le sujet de façon plus globale, sinon en réunissant en une même structure les établissements publics fonciers régionaux et les SAFER, en redéfinissant les missions, les objectifs et les moyens de chacun, afin d’aller vers plus de transparence et d’efficacité ?

L’un des enjeux majeurs pour l’agriculture réside dans sa capacité à attirer des capitaux. Je ne suis pas certain que la combinaison du droit de préemption, de la politique des structures et des mécanismes de fixation des loyers soit un élément d’attractivité pour les investisseurs. Ne pas être assuré de disposer librement du fruit de son investissement, ne pouvoir louer son bien ni à qui on le souhaite ni à un prix couvrant l’amortissement sont autant de freins pour un investisseur potentiel !

Mes chers collègues, j’appelle de mes vœux une réflexion sans tabous sur ces sujets et déplore que nous soyons invités, à la faveur d’un fait qui reste somme toute marginal, à légiférer par le petit bout de la lorgnette, sans vision d’ensemble. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et de l'UDI-UC.)

M. Bruno Sido. Bravo !

Mme la présidente. La discussion générale est close.

Nous passons à la discussion du texte de la commission.

proposition de loi relative à la lutte contre l'accaparement des terres agricoles et au développement du biocontrôle

TITRE Ier

PRÉSERVATION DES TERRES AGRICOLES

Discussion générale (suite)
Dossier législatif : proposition de loi relative à la lutte contre l'accaparement des terres agricoles et au développement du biocontrôle
Article 2 (Texte non modifié par la commission)

Article 1er

I. – La section 3 du chapitre III du titre IV du livre Ier du code rural et de la pêche maritime est complétée par un article L. 143-15-1 ainsi rédigé :

« Art. L. 143-15-1. – I. – Lorsqu’ils sont acquis par une personne morale de droit privé ou font l’objet d’un apport à une telle personne, les biens ou droits mentionnés à l’article L. 143-1 sur lesquels les sociétés d’aménagement foncier et d’établissement rural peuvent exercer leur droit de préemption sont rétrocédés par voie d’apport au sein d’une société dont l’objet principal est la propriété agricole. Cette obligation s’applique uniquement lorsque, à la suite de l’acquisition ou de l’apport, la surface totale détenue en propriété par cette personne morale de droit privé et par les sociétés au sein desquelles les biens ou droits sont apportés excède le seuil fixé par le schéma directeur régional des exploitations agricoles mentionné à l’article L. 312-1.

« En cas de cession de la majorité des parts ou actions de la personne morale de droit privé mentionnée au premier alinéa du présent I, les parts ou actions des sociétés au sein desquelles les biens ou droits ont été apportés sont réputées cédées dans les mêmes proportions.

« Le même premier alinéa ne s’applique pas aux acquisitions effectuées par un groupement foncier agricole, un groupement foncier rural, une société d’aménagement foncier et d’établissement rural, un groupement agricole d’exploitation en commun, une exploitation agricole à responsabilité limitée ou une association dont l’objet principal est la propriété agricole. Il ne s’applique pas non plus aux acquisitions, par des sociétés, de terres agricoles sur lesquelles ces sociétés sont titulaires d’un bail ou de terres agricoles mises à leur disposition dans les conditions prévues par l’article L. 411-2 ou L. 411-37. Il en est de même des apports effectués à ces sociétés, groupements et associations.

« II. – Lorsqu’une des opérations mentionnées au I est réalisée en violation du même I, la société d’aménagement foncier et d’établissement rural peut, dans un délai de six mois à compter de la publication de l’acte de cession ou, à défaut, dans un délai de six mois à compter du jour où la date de la cession lui est connue, demander au tribunal de grande instance soit d’annuler la cession, soit de la déclarer acquéreur en lieu et place de la société. »

II. – (Non modifié) Le I du présent article entre en vigueur six mois après la promulgation de la présente loi.