M. le président. La parole est à M. Michel Canevet.

M. Michel Canevet. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, je veux tout d’abord remercier notre collègue Vincent Delahaye d’avoir déposé ce texte et de nous proposer ce soir ce débat. Je le sais très attaché à ce que la ville de Massy, qu’il dirige depuis un certain temps et qui devrait à ses yeux faire figure d’exemple pour l’ensemble du territoire national, soit particulièrement sainement gérée.

Il s’agit d’un sujet important, à un moment où la classe politique est souvent l’objet de défiances. Ce texte vise ainsi en partie, me semble-t-il, à restaurer la confiance entre les élus et les citoyens, ces derniers étant trop souvent consternés par certaines attitudes déconsidérant l’ensemble des pratiques des élus. Pour en être moi-même un et pour les avoir régulièrement fréquentés, j’ai pu constater que la quasi-totalité des élus menait une gestion rigoureuse de leur collectivité. Toutefois, il importe que les situations engendrant une certaine défiance puissent être répertoriées, identifiées et sanctionnées.

Pour les élus centristes, favorables à la probité dans la conduite de l’action publique, ce débat sur la sincérité et la fiabilité des comptes des collectivités locales est important.

On le sait bien, la situation est issue de la décentralisation décidée en 1982, laquelle a confié aux élus de nouvelles responsabilités, ce dont nous ne pouvons que nous réjouir. Notre collègue Alain Richard évoquait d’ailleurs sa mission de rapporteur de ce texte, qui a ensuite été renforcé par d’autres.

On le constate, l’échelle des différentes collectivités a tendance à s’accroître. Après la loi relative aux métropoles, qui a permis de regrouper plusieurs compétences dans de très grands ensembles, après la loi relative à la délimitation des régions, qui a abouti à la réduction de leur nombre et à l’augmentation du périmètre de certaines d’entre elles, et après la loi NOTRe, qui a incité à la création d’EPCI « de taille XXL », pour reprendre l’expression de Pierre-Yves Collombat, on est parfois amené à s’interroger sur la représentativité des élus au sein de ces ensembles, où le poids des communes est réduit de façon significative, ce qui induit des difficultés à assumer les légitimes fonctions de contrôle.

Les schémas départementaux de coopération intercommunale ont également entraîné la suppression d’un certain nombre de syndicats intercommunaux et la création de nouveaux syndicats de taille départementale. Chaque fois, la démocratie s’en trouve remise en cause, la représentativité de l’échelon de base étant forcément diminuée pour éviter d’avoir des exécutifs de grande ampleur. Parallèlement, on arrive à un problème de représentativité des élus.

Notre collègue Vincent Delahaye a pu observer, au cours de sa longue expérience d’élu, divers problèmes. Il a notamment relaté les difficultés qu’ont pu connaître des départements franciliens, où la gestion menée a fait l’objet de mises en cause. On peut citer d’autres exemples. Ainsi, lors du regroupement des régions et de l’examen des comptes de chacune de celles qui préexistaient, on s’est aperçu que les comptes ne correspondaient pas vraiment à ce à quoi on s’attendait. Et ce n’est pas faire un procès politique que de parler ainsi, les sensibilités politiques des territoires regroupés ayant pu être identiques. Il s’agit simplement de reconnaître un problème de sincérité des comptes, qui a engendré une défiance chez nos concitoyens. C’est sur ce point que nous devons donc agir. J’ai le sentiment que le texte débattu ce soir devrait permettre de retrouver la confiance perdue.

Nous avons agi en ce sens pour ce qui concerne l’État. Voilà cinq ans, on a créé le Haut Conseil des finances publiques, sans doute parce qu’on ne disposait pas d’instances permettant d’apprécier la réalité budgétaire des comptes de l’État, qui étaient pourtant sous la surveillance de la Cour des comptes. Pourquoi ne ferait-on pas de même pour les collectivités territoriales ?

Pour autant, je ne crois pas qu’il faille accabler de contrôles supplémentaires les collectivités, qui ont déjà un grand nombre de charges à assumer. Mais nous devons être absolument sûrs que les comptes des collectivités de très grande taille sont sincères. Or, en raison des problèmes de représentativité au sein des grands ensembles que j’ai évoqués, on peut se poser la question de savoir si des élus en nombre réduit peuvent assurer ces missions de contrôle. C’est aussi pourquoi ils doivent pouvoir se reposer sur des organismes ayant les compétences pour assurer un examen au fond de l’ensemble des comptes et pour certifier leur sincérité. C’est ainsi que nous résoudrons le problème de confiance qui mine la relation entre les élus et la population.

Vous le voyez bien, il s’agit, par ce texte, de protéger les élus, notamment ceux des grandes communes, contre les risques de mauvaise gestion. La question des emprunts toxiques a été évoquée. S’il y avait eu une mise en garde plus précoce en la matière, de nombreuses collectivités ne se seraient pas trouvées dans la difficulté. En l’occurrence, il est clair qu’un échelon a fait défaut.

Les propositions formulées par M. Delahaye pourraient donc être de nature à apporter des réponses. Pour autant, je l’ai bien compris en écoutant les propos tenus à cette tribune, le texte préparé est un texte d’appel qui pourra être enrichi, la plupart de nos collègues partageant la volonté de s’assurer de la sincérité des comptes de nos collectivités. Dans la mesure où il est absolument nécessaire d’agir en ce sens, les textes doivent évoluer.

Le groupe de l’UDI-UC, qui est attaché à la sincérité des comptes, acceptera tout à fait qu’un examen plus approfondi des propositions de notre collègue puisse être mené par la commission des lois, afin d’enrichir le texte afin que nos concitoyens fassent davantage confiance à l’ensemble des élus et que la mise en cause de ceux-ci ne soit pas ce qui motive leurs suffrages. (Applaudissements sur les travées de l'UDI-UC et du groupe Les Républicains. – M. Pierre-Yves Collombat applaudit également.)

M. le président. La parole est à M. Jean Desessard.

M. Jean Desessard. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, la France est à la traîne en matière de transparence des élus et de responsabilité en matière d’argent public ; elle est à la traîne des attentes légitimes de nos concitoyens et des préoccupations de la société civile ; elle est à la traîne de nombre de nos voisins européens, et la presse étrangère nous renvoie régulièrement l’image d’un pays à l’éthique aléatoire.

M. Philippe Bas, président de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. L’éthique de la presse étrangère peut également prêter à confusion !

M. Jean Desessard. Ce n’est pas sombrer dans le populisme que de reconnaître ce retard et de tenter de le combler. Cette proposition de loi s’inscrit dans ce mouvement justifié, en proposant de renforcer, d’une part, le contrôle de gestion des collectivités territoriales et, d’autre part, la responsabilité financière des élus locaux.

Renforcer la périodicité du contrôle des plus grosses collectivités serait assurément bénéfique. Il faudrait simplement s’assurer que les chambres régionales et territoriales des comptes, les CRTC, aient les moyens de ce surcroît d’activité.

Dans cet élan, nous pourrions d’ailleurs proposer que le Sénat, chambre des collectivités, soumette lui aussi sa gestion, à l’instar de l’Élysée, à un contrôle annuel de la Cour des comptes. J’avais été surpris d’apprendre, par M. Migaud, lors d’une émission télévisée diffusée ces derniers jours, que le Sénat n’était pas contrôlé par la Cour des comptes. Or le bureau avait voté la certification.

M. Jean-François Husson. Ce n’est pas pareil !

M. Jean Desessard. Il semble donc qu’il y ait une différence entre certification et contrôle de gestion !

Nous devons assurer la transparence de notre institution, tout en respectant son indépendance.

J’en reviens aux comptes des collectivités. Le texte vise également à créer un nouveau contrôle, fréquent et portant exclusivement sur l’annualité budgétaire. Même si trois cas de reports de charges contestables ont en effet été politisés récemment,…

M. Jean-François Husson. Que veut dire « politisés » ?

M. Jean Desessard. … l’annualité n’est qu’un des points du contrôle de gestion, et une telle focalisation se ferait nécessairement au détriment de contrôles plus exhaustifs. Vous avez expliqué le contraire, mon cher collègue, mais il faudrait dire comment on aurait le temps d’y procéder ! Ainsi, sur ce plan, il nous semble préférable de laisser aux CRTC la liberté de déterminer le périmètre de leurs contrôles.

M. Jean Desessard. Si nous devions attirer l’attention des CRTC sur un point, ce serait plutôt le contrôle des partenariats public-privé, qui comportent plus d’enjeux que les reports de charges. Les PPP ne sont toujours pas véritablement évalués par une instance indépendante, près de trois ans après que nos collègues Jean-Pierre Sueur et Hugues Portelli les ont qualifiés, dans un excellent rapport, d’« outils à haut risque » et de « bombes à retardement budgétaires ». La catastrophe des emprunts toxiques, qui a prospéré par manque de contrôle, devrait pourtant nous instruire.

En ce qui concerne la responsabilité financière des élus locaux, on ne peut que partager la volonté de mettre fin à la différence de traitement entre les ordonnateurs, difficile à justifier.

M. Jean Desessard. En effet, les ordonnateurs qui appartiennent à la sphère politique – élus locaux et ministres – bénéficient d’une immunité partielle ou totale, alors que presque tous les autres ordonnateurs, notamment les fonctionnaires et membres de cabinet, sont justiciables de la Cour de discipline budgétaire et financière.

Pour autant, la solution proposée, à savoir une extension de la compétence de la CDBF aux élus, nous semble incomplète.

M. Jean Desessard. Je vous remercie, mon cher collègue, de ponctuer ainsi mon propos !

M. Jean-François Husson. C’est pour la respiration ! (Sourires.)

M. Jean Desessard. Tout d’abord, la Cour n’aurait pas aujourd’hui les moyens d’assumer une telle extension. Sans doute faudrait-il d’ailleurs l’intégrer dans la structure juridictionnelle de la Cour des comptes et des CRTC, de manière à lui faire bénéficier des mêmes moyens et de la même déclinaison locale.

Ensuite, par souci de cohérence et de justice, il paraît nécessaire de traiter en même temps le cas de tous les ordonnateurs, et en particulier des premiers d’entre eux, à savoir les membres du Gouvernement.

Comment imaginer en effet que, pour une même infraction, le maire d’une petite commune soit passible d’inéligibilité, mais qu’un ministre ne puisse pas être poursuivi ? Telle serait pourtant la conséquence de cette proposition de loi.

Par ailleurs, même si cette question ne relève plus du législateur national, on pourrait également s’interroger sur la situation de Mario Draghi, qui est devenu président de la BCE sans qu’aucune juridiction européenne ne soit saisie de son rôle, manifestement éminent, dans le maquillage des comptes de la Grèce par Goldman Sachs.

M. Jean-François Husson. Est-ce une collectivité française ? (Sourires sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Jean Desessard. J’ai dit que cela ne relevait pas du législateur national. Toutefois, on peut penser que les affaires européennes nous intéressent. On peut également penser que ce qui se passe en Europe n’est pas indépendant de ce qui se passe en France. Mais je laisse chacun à sa particularité locale et à sa volonté de ne pas dépasser le cadre national…

Enfin, sans doute faudrait-il remettre à plat l’ensemble des infractions et des peines imputables aux comptables comme aux ordonnateurs. Il serait utile de pouvoir mieux distinguer l’erreur bénigne de la faute sérieuse, et de leur associer des sanctions véritablement en adéquation.

On pourrait aussi s’interroger sur la pertinence des sanctions pécuniaires, dont le montant dépend des sommes en jeu dans l’infraction.

En conclusion, le groupe écologiste tient à saluer cette proposition de loi, qui pointe des lacunes avérées et relance l’intérêt pour la réforme des juridictions financières. Toutefois, chacun semble en convenir, la réflexion mérite d’être poursuivie, et surtout élargie. C’est pourquoi le groupe écologiste soutiendra le consensus qui semble se dessiner, en accord avec l’auteur du texte, en faveur de l’adoption d’une motion de renvoi en commission. (Applaudissements.)

M. le président. La parole est à M. François Bonhomme.

M. François Bonhomme. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, cette proposition de loi est le produit d’aléas consécutifs aux alternances politiques locales qui ne manquent pas de survenir à la faveur des élections. C’est le résultat de situations constatées par nombre d’équipes majoritaires et d’exécutifs locaux, qui, passé la satisfaction et parfois l’euphorie de se voir confier l’initiative de préparer, d’examiner et de voter leur budget local, relèvent un certain nombre de manquements comptables ou budgétaires.

Les exemples abondent à la suite de chaque élection. Chacun a en tête l’exemple récent de collectivités territoriales en région parisienne. Mais le cas qui pour moi reste le plus symptomatique est celui de la région Poitou-Charentes, révélé en 2015 à la suite des élections régionales. On avait alors vu naître non pas une nouvelle majorité, mais un nouvel exécutif sur fond de redécoupage régional. En l’espèce, c’est le préfet qui avait saisi la chambre régionale des comptes, laquelle avait constaté qu’une partie des 40 millions d’euros de trésorerie provenait d’emprunts supérieurs aux besoins, que la capacité d’autofinancement de la région était négative, qu’une partie de sa dette était à risque et, surtout, que 10 % des dépenses de fonctionnement avaient été reportées d’une année à l’autre par le jeu de retards de paiement.

Les conséquences furent une dégradation financière à retardement se traduisant par une baisse de l’épargne brute, une augmentation de l’endettement, source de coupes budgétaires ou de hausses d’impôts, voire des deux.

Ce type de dérives pose un vrai problème : certains exécutifs s’exonèrent de principes comptables fondamentaux, pratiques qui nuisent à la fiabilité et à la sincérité des comptes publics.

Quand je pense que, en 2004, Ségolène Royal, fraîchement élue présidente de la région Poitou-Charentes, voulait créer d’elle-même un « observatoire des engagements » ! Celui-ci n’a bien sûr jamais vu le jour. La même ne manquait jamais une occasion de proclamer, avec autant de gravité que de solennité, qu’« un euro dépensé est un euro utile » ! On sait maintenant qu’il fallait entendre : un euro engagé est un euro dissimulé !

Pourtant, le code des juridictions financières prévoit les conditions des contrôles des collectivités territoriales, qui peuvent être engagés sur demande motivée du préfet ou de l’autorité locale, mais le plus souvent sur l’initiative de la chambre régionale des comptes elle-même.

L’examen porte sur la régularité des actes de gestion, l’économie des moyens mis en œuvre dans l’utilisation des fonds publics et l’évaluation des résultats atteints par rapport aux objectifs fixés par l’assemblée délibérante. De ce point de vue, les chambres régionales des comptes remplissent leur mission, mais, parfois, le mal est fait.

De nouvelles dispositions, votées notamment dans le cadre de la loi NOTRe, sont venues, malgré les défauts de cette loi, renforcer les informations financières, avec une étude d’impact financière pour les opérations exceptionnelles d’investissement, l’envoi dématérialisé des documents adressés au comptable public pour les collectivités territoriales de plus de 10 000 habitants et la publicité des rapports des chambres régionales des comptes.

Pour autant, ces dispositions ne sont pas susceptibles d’éviter les tours de passe-passe comptables que je viens d’évoquer. Elles participent à l’objectif de transparence, mais renferment leurs propres limites.

Cette proposition de loi a le mérite de pointer des situations récurrentes, dans le but, sinon de les éviter, du moins de les réduire. Elle prévoit notamment de renforcer la fréquence des contrôles, qui seront ainsi plus dissuasifs, ce qui renforcera l’efficacité de cette mission. Elle vise donc à instaurer des contrôles préventifs plus systématiques : examen annuel du respect de l’annualité budgétaire pour les collectivités territoriales et leurs établissements publics dont les recettes sont supérieures à 200 millions d’euros par an, qui s’ajoutera à la vérification de leurs comptes tous les six ans.

Pour les collectivités territoriales dont les recettes sont supérieures à 100 millions d’euros par an, mais inférieures à 200 millions d’euros par an, un contrôle annuel limité serait effectué tous les deux ans.

La transmission obligatoire des irrégularités constatées par la CRC à la Cour de discipline budgétaire et financière constitue, me semble-t-il, le point le plus important.

La proposition de loi prévoit également le renforcement du régime de sanctions applicables aux responsables administratifs et exécutifs, c’est-à-dire aux élus, avec des peines d’inéligibilité ou des peines pécuniaires.

Enfin, l’article 1er prévoit la suppression du dispositif de l’ordre écrit de leur supérieur hiérarchique pour les fonctionnaires ou agents des collectivités locales et des entreprises publiques locales ; ils ne pourraient ainsi plus se décharger de leurs responsabilités devant la Cour de discipline budgétaire et financière.

Ces mesures sont fortes, et même très fortes !

La commission des lois a relevé l’importance de la question du défaut ou de l’insuffisance de rattachement comptable des charges et des produits ; elle a également souligné le problème de l’insuffisance de l’amortissement des immobilisations et des provisions pour risques.

Tous ces sujets renvoient à autant de principes essentiels, garants de fiabilité et de sincérité des comptes.

Doivent néanmoins être posées un certain nombre de questions complémentaires, notamment celle des moyens adéquats pour la mise en œuvre de ces mesures. Une telle mise en œuvre supposerait en effet des moyens humains et budgétaires considérables ; à défaut, on se heurterait à un très probable alourdissement des procédures et à des charges supplémentaires pour les CRC.

De même, il existe un risque de disproportion entre les peines prévues par les auteurs de la proposition de loi, à savoir l’engagement de la responsabilité personnelle et financière des élus ainsi que l’inéligibilité, au regard de la complexité des règles budgétaires et financières. Il arrive aussi parfois, il faut le dire, que l’erreur constatée ne soit pas commise sciemment dans le but de dissimuler la réalité des comptes de la collectivité locale.

C’est pourquoi la motion de renvoi en commission semble opportune.

Cette proposition de loi doit être réexaminée au regard du sacro-saint principe de décentralisation et du principe du contrôle a posteriori des actes des collectivités locales.

Il existe certes encore des dérapages, de moins en moins nombreux cependant – il faut noter une réelle amélioration ces dernières années. Je ne suis pas de ceux qui crient haro sur la Cour des comptes ou les chambres régionales des comptes, bien au contraire ! Il s’agit, me semble-t-il, des institutions les plus remarquables de la République et les CRC, depuis leur création, ont fait la preuve de leur immense utilité, de leur grande qualité et de leur rôle préventif.

Parfois, leurs observations embarrassent, et c’est naturel. J’ai ainsi en mémoire qu’après la démonstration par la Cour des comptes de la gabegie de l’écotaxe, Malek Boutih, député éclairé en principe, mais pas en l’espèce, a déclaré qu’il fallait, ni plus ni moins, la supprimer, parce qu’elle avait, de façon à ses yeux intolérable, mis le doigt sur ce sujet. Autrement dit, cassons le thermomètre !

Quoi qu’il en soit, tout cela appelle un examen approfondi de l’articulation entre le contrôle de l’annualité budgétaire, sacro-saint principe qui est ici proposé, et l’expérimentation de la certification des comptes des collectivités territoriales.

C’est pourquoi la commission appelle, à juste titre, à choisir entre ces deux procédures pour éviter un « empilement » malvenu des dispositifs de fiabilisation des comptes locaux.

Il convient donc bien, me semble-t-il, d’attendre le bilan d’étape de l’expérimentation de certification des comptes, dont la publication est prévue l’année prochaine, afin, a minima, de pouvoir évaluer au mieux l’intérêt de chacune de ces procédures. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. le président. La parole est à Mme Nicole Duranton.

Mme Nicole Duranton. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, je remercie nos collègues Vincent Delahaye et Catherine Di Folco pour le travail effectué sur cette proposition de loi visant à assurer la sincérité et la fiabilité des comptes des collectivités territoriales.

L’article 47-2 de la Constitution dispose que « les comptes des administrations publiques sont réguliers et sincères. Ils donnent une image fidèle du résultat de leur gestion, de leur patrimoine et de leur situation financière. ». En réalité, il est très difficile de répondre à cette exigence légitime. Les élus et les agents territoriaux, mais aussi les comptables publics, s’impliquent constamment et avec détermination en cette matière, mais la fiabilité des comptes locaux reste perfectible.

Il est vrai que des exemples concrets viennent alimenter la thèse d’un besoin de perfectionner la fiabilité des comptes des collectivités. Je pense notamment aux trois cas de « doutes sérieux » émis sur la sincérité des comptes présentés par la Seine-Saint-Denis, par l’Essonne et par l’ancienne région Poitou-Charentes, exemples donnés dans l’exposé des motifs de cette proposition de loi. Des retards de paiement auraient été pratiqués de manière systématique et auraient permis de reporter d’une année sur l’autre jusqu’à 10 % des dépenses de fonctionnement. Comment, au regard de ces trois exemples, peut-on ne pas douter de la sincérité des comptes ? Il nous faut, nous, élus, être plus que jamais responsables !

Ce texte prévoit un volet préventif, à savoir le renforcement des contrôles non juridictionnels des chambres régionales et territoriales des comptes, et un volet répressif, à savoir l’élargissement des compétences de la Cour de discipline budgétaire et financière.

Le texte prévoit également une saisine automatique du ministère public près la Cour de discipline budgétaire et financière lorsque les chambres régionales et territoriales des comptes constatent, à l’occasion d’un contrôle de gestion ou d’un contrôle de l’annualité budgétaire, une infraction sanctionnée par cette juridiction.

Les chambres régionales et territoriales auraient l’obligation de contrôler, au moins tous les six ans, la gestion des collectivités territoriales et de leurs établissements publics dont les recettes annuelles dépassent régulièrement 200 millions d’euros, soit près de 200 collectivités territoriales et établissements publics.

Les chambres régionales et territoriales des comptes seraient également chargées d’examiner le respect du rattachement des charges à l’exercice budgétaire en cours, conformément au principe de l’annualité budgétaire, et cela tous les ans pour les collectivités territoriales dont les recettes dépassent régulièrement 200 millions d’euros.

Cette augmentation des contrôles me laisse assez dubitative, s’agissant notamment des moyens alloués à ces contrôles supplémentaires. De très longs délais sont d’ailleurs aujourd’hui constatés entre le bouclage des comptes et l’évaluation de la chambre.

C’est pourquoi je partage pleinement l’un des arguments ayant présidé au dépôt d’une motion de renvoi à la commission : il s’agit d’évaluer en profondeur les moyens nécessaires à la mise en œuvre des dispositions de cette proposition de loi, d’autant que le législateur a déjà confié de nouvelles missions aux juridictions financières sans prévoir de moyens supplémentaires. Il conviendrait de mieux traiter l’impact concret d’une adoption de la proposition de loi sur la charge de travail du personnel de l’ensemble des chambres régionales et territoriales des comptes et de la Cour de discipline budgétaire et financière.

Je comprends ce qui a motivé la rédaction de ce texte ; il soulève néanmoins des difficultés. À mon sens, il est impossible d’aborder la transparence budgétaire et comptable des collectivités territoriales en trois articles.

Un autre point de ce texte peut susciter des interrogations : le rôle et les compétences de la Cour de discipline budgétaire et financière. On peut en outre s’interroger sur la mise en œuvre de la responsabilité des élus locaux devant cette cour. Par exemple, une simple erreur dans l’application des règles budgétaires et comptables, lesquelles sont par ailleurs de plus en plus complexes, ne me semble pas justifier l’engagement de leur responsabilité personnelle. La peine de cinq ans d’inéligibilité me paraît elle aussi disproportionnée.

Je rejoins entièrement les remarques formulées par Mme Di Folco dans l’exposé des motifs de la motion : les élus locaux doivent-ils être poursuivis devant la Cour de discipline budgétaire et financière pour des erreurs formelles dans l’application du droit budgétaire et comptable ? Ne conviendrait-il pas de redéfinir les infractions concernées ?

D’ailleurs, cette proposition de loi revient sur un principe de base de la décentralisation : en l’état actuel du droit, le contrôle s’exerce a posteriori.

En revanche, réformer le fonctionnement et le champ de compétences de la Cour de discipline budgétaire et financière peut apparaître nécessaire. La rapporteur nous l’a confirmé, à la suite des auditions qu’elle a pu mener : cette juridiction manque de visibilité et d’efficacité. Je rappelle qu’en 2009 un projet de loi inspiré par Philippe Séguin, alors Premier président de la Cour des comptes, prévoyait la suppression de la CDBF et le transfert de ses compétences à la Cour.

Un point mériterait par ailleurs d’être approfondi, notamment dans le cadre de cette proposition de loi : le contrôle des comptes des collectivités, c’est-à-dire la vérification du respect de la légalité et le jugement sur la gestion.

L’examen de la gestion est un contrôle mal calibré par rapport à son objectif. Il est censé constituer un instrument d’aide à la gestion pour les collectivités. Or les élus ont de plus en plus de mal à percevoir sa valeur ajoutée par rapport à l’expertise dont ils disposent au sein de leur administration. L’exercice est pourtant très lourd, pour les élus comme pour les chambres.

Aussi la procédure telle qu’elle est conçue aujourd’hui est-elle inadaptée. Elle peut durer jusqu’à trois, voire quatre années, avec plusieurs conséquences regrettables : la mobilisation des personnels de la collectivité et de la chambre pendant une telle durée, le risque accru d’un changement d’interlocuteurs en cours de procédure, un fort décalage temporel entre la période examinée et la remise des observations.

En tout état de cause, ce sujet devra être lui aussi approfondi afin d’alléger la procédure ou du moins de la clarifier. On constate en effet dans de nombreuses communes que ces contrôles se font de manière assez aléatoire, et surtout mobilisent une énergie considérable des agents des collectivités.

À mon sens, il est nécessaire de redéfinir les priorités de contrôle des chambres régionales et territoriales des comptes, afin qu’elles soient plus homogènes, et de s’assurer que les collectivités dont les comptes sont situés en dessous du seuil actuel des « comptes significatifs » ne soient pas exclues d’un tel contrôle de manière systématique.

Enfin, et pour conclure, il est évidemment préférable d’attendre le rapport relatif à l’expérimentation de certification des comptes des collectivités territoriales prévu par la loi NOTRe, qui doit être rendu public en 2018.

L’esprit de cette proposition de loi est tout à fait honorable, mais il est nécessaire à la fois d’être patient, notamment au regard de la loi NOTRe, et d’approfondir un sujet qui a suscité de nombreuses interrogations, tant en commission qu’aujourd’hui, dans l’hémicycle. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)