M. Albéric de Montgolfier, rapporteur pour avis. C’est ici que l’on discute la loi !

M. Philippe Bas, rapporteur. Madame la garde des sceaux, revenez nous voir quand vous serez prête sur ce sujet sensible ! Il ne faut pas que les partis politiques soient dans la main de l’État, avec une banque d’État qui décide de les financer ou non,…

M. Albéric de Montgolfier, rapporteur pour avis. Comme en Union soviétique !

M. Philippe Bas, rapporteur. … car l’article 4 de la Constitution garantit leur indépendance.

Une loi peut-elle moraliser ? Bien sûr que non ! La morale précède la loi.

M. Charles Revet. Elle a toujours existé !

M. Philippe Bas, rapporteur. Quant à la loi, elle ne crée pas la morale. Elle peut simplement créer des règles pour ceux qui ne la respectent pas spontanément et pour faire évoluer les pratiques.

Une loi est-elle de nature à rétablir la confiance ? Ce ne sera guère que la trente et unième loi depuis 1985, année de la première loi tendant à limiter le cumul des mandats, qui interviendra aux fins de régulation de la vie publique. N’en attendons pas plus qu’elle ne pourra nous donner !

La confiance reviendra quand le chômage reculera, comme en Allemagne et au Royaume-Uni, quand le pouvoir d’achat progressera, quand la sécurité des personnes et des biens sera assurée, quand le terrorisme sera éradiqué et, pour ce qui vous concerne, madame la garde des sceaux, quand le service public de la justice, qui est aujourd'hui en grande souffrance, épuisé et, à certains égards, exsangue, aura repris confiance en lui et trouvera les moyens de son redressement.

Dans ces conditions, il nous a paru plus exact de qualifier ces textes de projet de loi organique et de projet de loi « relatifs à la régulation de la vie publique ». J’espère que cette sobriété ne vous choquera pas. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, du groupe Union Centriste et du RDSE, ainsi que sur plusieurs travées du groupe socialiste et républicain. – Mme Corinne Bouchoux applaudit également.)

M. le président. La parole est à M. le rapporteur pour avis.

M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général de la commission des finances, rapporteur pour avis. Monsieur le président, madame la garde des sceaux, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, la commission des finances s’est saisie pour avis des dispositions des deux projets de loi que nous examinons aujourd’hui concernant, d’une part, la suppression de la dotation d’action parlementaire, et, d’autre part, l’habilitation qui serait donnée au Gouvernement pour créer un dispositif souvent présenté comme la « banque de la démocratie ».

Le Gouvernement avance tout d’abord des motifs juridiques pour justifier la suppression de la « dotation d’action parlementaire » – c’est le terme que nous préférons au Sénat –, en évoquant tantôt un « contournement », tantôt une pratique « contraire » à l’article 40 de la Constitution, alors que le Conseil constitutionnel, que vous connaissez bien, madame la garde des sceaux, n’a jamais censuré cette pratique, qu’il a même validée. C’est du moins la lecture que nous faisons de sa décision du 9 octobre 2013.

Le Gouvernement met aussi en avant un risque de clientélisme. Cependant, si ces risques ont sans doute été réels par le passé, la transparence est, depuis 2013, totale. Sur l’initiative du Sénat, les deux assemblées publient désormais elles-mêmes, sous forme de données ouvertes, la liste des subventions. Cette publicité est supérieure à celle de nombre de subventions versées par les services de l’État…

Le Gouvernement annonce aussi l’économie de 6 emplois d’administration centrale, ce qui n’est pas extraordinaire, d’autant que ces effectifs seront maintenus pour gérer la réserve dite « ministérielle ». Comme vous le savez, la dématérialisation des procédures avait été engagée et l'on pouvait en attendre une réduction sensible des coûts administratifs.

Enfin, le Gouvernement évoque le respect de certains critères « normés », alors que l’administration nous a confirmé que les critères de recevabilité des demandes de subvention ne se distinguaient pas de ceux qui sont applicables aux subventions de l’État pour des projets d’investissement.

Sur le plan budgétaire, je rappelle que la dotation d’action parlementaire correspond à seulement 0,03 % des crédits du budget de l’État, soit 147 millions d’euros, dont un peu plus de 56 millions d’euros pour le Sénat, consacrés à plus de 80 % à l’investissement des collectivités territoriales. Elle apporte donc à l’investissement local un soutien qui n’est pas seulement symbolique dans le contexte actuel de baisse des dotations et subventions de l’État aux collectivités territoriales. Elle irrigue également le tissu associatif et contribue à la cohésion sociale. Je cite, dans mon rapport, les associations ainsi soutenues.

Elle apporte un soutien récurrent à certains programmes budgétaires : instituts français et alliances françaises, lycées français, irrigation culturelle des territoires, travaux sur les bâtiments religieux des petites communes, opérations en faveur des commerces de proximité, développement du tourisme, actions éducatives dans l’enseignement scolaire, etc.

La dotation d’action parlementaire n’a donc pas pour vocation de financer les sénateurs : elle permet à ces élus, forts de leur connaissance du terrain, d’apporter un soutien décisif à des projets d’intérêt général, au service de nos concitoyens. À cet égard, je le dis clairement, les élus me semblent avoir autant de légitimité démocratique que les préfets. La suppression de la dotation ne sera donc pas sans conséquence s’il s’agit, comme le souhaite le Gouvernement, d’économiser les crédits en cause.

Par ailleurs, nous constatons malheureusement que le fonds d’action pour les territoires ruraux annoncé par l’ancien garde des sceaux a disparu du texte. Il est désormais simplement question d’une « éventuelle réallocation des crédits vers des dispositifs existants ». Nous proposons donc, en lien avec la commission des lois, d’inscrire dans la loi organique relative aux lois de finances une dotation de soutien à l’investissement des communes et de leurs groupements.

Nous proposons également d’améliorer la transparence de la réserve ministérielle en imposant sa publication par la loi, en format ouvert, en open data, sachant qu’elle aurait vocation à disparaître si la dotation pour les communes n’était pas adoptée.

Au-delà de l’investissement local, j’attends du Gouvernement, madame la garde des sceaux, qu’il nous précise ses intentions pour les programmes qui bénéficiaient de manière récurrente de la réserve parlementaire, comme les alliances françaises. Je sais d'ailleurs qu’un certain nombre de nos collègues, notamment ceux qui représentent les Français établis hors de France, ont déposé des amendements à ce sujet.

Concernant la « banque de la démocratie », comme vous le savez, le dispositif qui devait initialement figurer dans le projet de loi a été retiré à la suite de l’avis du Conseil d’État, qui l’a estimé trop lacunaire. Il a donc été remplacé par une demande d’habilitation du Gouvernement à légiférer par ordonnance.

L’accès au crédit bancaire constitue évidemment un enjeu fondamental pour la démocratie, afin de garantir, comme le rappelait M. le rapporteur à l’instant, que l’article 4 de la Constitution est bien respecté concernant « les expressions pluralistes des opinions et la participation équitable des partis et groupements politiques à la vie démocratique de la Nation », et pour éviter le risque d’un financement opportun des campagnes et des partis.

Cependant, la demande d’habilitation qui nous est soumise, volontairement très large, ne repose sur aucune étude préalable des besoins et des mesures nécessaires pour y répondre. Elle présente donc, à notre sens, un caractère prématuré. C’est d’ailleurs ce que vous avez reconnu, madame la garde des sceaux, en annonçant une mission conjointe de l’inspection générale des finances et de l’inspection générale de l’administration sur ce sujet.

Nous vous proposons de suivre un ordre logique, conduisant à analyser avant de légiférer, donc de supprimer cet article. C’est ce qu’a fait la commission des finances, à l’unanimité. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et du groupe Union Centriste, ainsi que sur plusieurs travées du groupe socialiste et républicain. – Mme Corinne Bouchoux applaudit également.)

M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Sueur.

M. Jean-Pierre Sueur. Monsieur le président, madame la garde des sceaux, mes chers collègues, Jack Lang avait dit, à propos d’un événement considérable de la vie politique française, que l’on était passé de l’ombre à la lumière…

M. Jean-Claude Lenoir. Il avait la langue bien pendue… (Sourires.)

M. Jean-Pierre Sueur. L’expression était quelque peu emphatique. De manière tout aussi emphatique, les présents textes ont parfois été présentés ici ou là comme marquant une rupture, avec un « avant » et un « après ».

Je préfère considérer, à l’instar de Philippe Bas et comme vous l’avez vous-même noté, madame la garde des sceaux, qu’il s’agit des trente-deuxième et trente-troisième lois sur les sujets de financement, de transparence et de moralisation de la vie politique, depuis la loi du 11 mars 1988 relative à la transparence financière de la vie politique et les lois présentées par les précurseurs en la matière que furent Michel Rocard et Alain Juppé, jusqu’à la dernière loi du 11 octobre 2013, dont j’ai eu l’honneur d’être le rapporteur pour le Sénat et qui a créé la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique, traité des conflits d’intérêts et permis de beaucoup avancer. Continuons à aller de l’avant sur ces sujets !

Je veux brièvement aborder cinq points.

Premièrement, je veux évoquer la question de la définition des partis politiques. J’ai appris avec surprise, madame la garde des sceaux, qu’il y avait aujourd'hui, en France, 451 partis politiques, et non, contrairement à ce que nos concitoyens peuvent peut-être penser, une quinzaine ou une vingtaine.

Ce chiffre s’explique par des règles assez complexes qui, dans les départements métropolitains, et surtout en outre-mer, permettent de constituer très facilement des partis politiques. Ainsi, un parti de la Moselle, que je ne citerai pas, a pu s’implanter en Guadeloupe grâce à quelques voyages, permettant à certains de ses candidats d’y glaner quelques voix… Il faut réformer cela ! Comme le disait justement Alain Richard, il ne s’agit pas tant du financement public que de la possibilité de dons, lesquels entraînent naturellement des réductions fiscales non négligeables, de 66 %.

On ne saurait laisser perdurer ce système. Les membres du groupe socialiste et républicain ont déposé un amendement en ce sens. Certains de nos collègues ont fait de même, et je sais que M. le président de la commission y travaille actuellement. J’appelle de mes vœux, madame la garde des sceaux, une ouverture de votre part sur cette question.

Deuxièmement, je veux aborder la question des emplois dits « familiaux ».

Comme certains l’ont considéré très justement, il faut cesser de faire la loi à partir de l’actualité. Je me souviens de ce Président de la République – chacun le reconnaîtra –, qui, après un crime crapuleux commis par une personne récemment sortie de prison, a annoncé une nouvelle loi depuis le perron de l’Élysée. Est-ce une bonne manière de légiférer ? En l’occurrence, il est évident que, sans les épisodes des derniers mois, personne ne parlerait aujourd'hui des emplois familiaux…

C’est pourquoi notre groupe, tout en souscrivant à la disposition du projet de loi, a proposé que celui-ci traite plus globalement de la question des collaborateurs parlementaires. En effet, ceux-ci pourraient ne pas apprécier, à juste titre, qu’il ne soit question d’eux dans la loi qu’au travers de la problématique des emplois familiaux. Nous formulerons donc des propositions, au travers de plusieurs amendements.

En particulier, compte tenu de la situation actuelle d’un certain nombre de collaborateurs parlementaires, notamment à l’Assemblée nationale, nous proposerons qu’une cessation d’activité pour cause de non-réélection ou de démission du parlementaire puisse être qualifiée de licenciement économique, sous réserve toutefois que le parlementaire ne soit pas assujetti aux articles L. 1233-4 et L. 1233-4-1 du code du travail, ce qui ce serait matériellement impossible.

M. Didier Guillaume. Très bien !

M. Jean-Pierre Sueur. Troisièmement, pour ce qui concerne la dotation d’action parlementaire, couramment appelée « réserve parlementaire », j’aurais compris que ces textes nous fussent proposés voilà dix ou quinze ans, madame la garde des sceaux.

Quand je suis arrivé dans cette noble assemblée, j’ai compris que la réserve parlementaire était un sujet complexe et qu’elle était parfois source de disparités – vous connaissez, mes chers collègues, mon sens de l’euphémisme… (Sourires.) Toutefois, il se trouve que, grâce à un travail qui a été mené au sein de notre assemblée, le fonctionnement de la réserve est aujourd'hui transparent. On connaît absolument le montant des « propositions », car il s’agit bien de propositions,…

M. François Pillet. Exactement !

M. Jean-Pierre Sueur. … que nous pouvons formuler pour l’utilisation de la ligne budgétaire correspondante du ministère de l’intérieur. Nous ne disposons pas d’une somme en tant que telle.

Toutes les sommes affectées, que ce soit aux petites communes rurales ou aux quartiers en difficulté – je me tourne vers ma collègue Évelyne Yonnet – sont publiques. Tout le monde peut les connaître. Elles sont totalement transparentes !

M. Charles Revet. C’est transparent !

M. Jean-Pierre Sueur. Vous le voyez, madame la garde des sceaux, le système qui existe aujourd'hui est clair, ce qui n’était pas le cas jadis et naguère. Les membres de notre groupe ont donc considéré que ce dispositif était quelque peu hors sujet. Nous ne voyons pas en quoi affecter ces subventions à de petites communes qui se battent souvent pour joindre les deux bouts afin de réaliser des investissements entraverait la confiance et ne serait pas moral !

Telle est notre position. La commission a adopté un amendement de M. le rapporteur qui vise à proposer une définition extrêmement stricte du nouveau dispositif que vous proposez. Cette piste nous paraît intéressante, pour le cas où vous ne retiendriez pas notre proposition.

Quatrièmement, pour ce qui concerne les indemnités parlementaires, notre commission a pris une décision qui n’est pas sans intérêt ni sans effet. Et je pense que nous avons eu raison. Comme tout le monde le sait, les parlementaires perçoivent, au-delà de leur seule indemnité parlementaire, des indemnités supplémentaires lorsqu’ils exercent certaines fonctions – présidence d’une commission, d’un groupe politique, vice-présidence ou présidence du Sénat… Nous proposons que ces indemnités-là, qui sont liées à l’indemnité parlementaire, soient fiscalisées, en toute transparence.

Pour ce qui est de « l’indemnité représentative de frais de mandats », il est juste que l’on puisse justifier des sommes engagées correspondant à des dépenses professionnelles, sous l’autorité des bureaux de chaque assemblée, selon des règles que nous pourrions fixer conformément à la loi.

Cinquièmement, reste la question du bulletin n° 2 du casier judiciaire. En toute modestie, nous ne partageons pas votre interprétation de la position du Conseil constitutionnel. Je vous expliquerai la position qui est la nôtre et qui est aussi celle de l’Assemblée nationale, laquelle a publié un rapport qui me paraît digne d’être pris en considération.

Pour conclure, je souscris à ce qui a été dit précédemment : les 550 000 élus que compte ce pays sont, dans leur immense majorité, profondément dévoués à l’action publique et ne touchent pas d’indemnité.

Enfin, j’observe, madame la garde des sceaux, que la procédure accélérée a été engagée sur ces textes. Je ne voudrais pas que celle-ci devînt la procédure commune ! Toutefois, c’est un autre sujet, et je pense que, en tant que garde des sceaux, vous y serez très vigilante. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain, du RDSE, du groupe Union Centriste et du groupe Les Républicains.)

M. le président. La parole est à Mme Corinne Bouchoux.

Mme Corinne Bouchoux. Monsieur le président, madame la garde des sceaux, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, j’évoquerai trois points.

Tout d'abord, ces projets de loi font l’objet d’une consultation citoyenne, lancée par nos collègues Joël Labbé et Henri Cabanel. Cette consultation, ouverte jusqu’au 23 juillet prochain, permettra à nos concitoyens d’enrichir nos réflexions et de s’associer à notre travail législatif, comme pour la loi pour une République numérique. Cette ouverture de nos hémicycles va dans le bon sens et prouve notre volonté de coconstruire le débat en toute transparence. Au regard des nombreuses propositions formulées, des votes et des contributions déposés sur la plateforme, je suis sûre que cette consultation constituera une vraie réussite.

Ensuite, ne jamais légiférer dans la précipitation, cela signifie ne pas mettre de côté certains points essentiels. Aussi, nous regrettons que les projets de loi traitent si peu des élus locaux. Si ceux-ci sont visés par le biais de nouveaux devoirs, nous aurions souhaité leur accorder de nouveaux droits. La question récurrente de la formation des élus locaux me semble, en effet, prégnante. Un élu mieux formé est un élu qui prévient mieux les conflits d’intérêts.

Enfin, le renouvellement en profondeur des représentants nationaux, récemment évoqué par le Président de la République, reviendra à réduire d’un tiers le nombre de sénateurs, ce qui nous obligera à prendre nos responsabilités en tant qu’employeurs.

Nos collaborateurs – nous en conviendrons tous – sont un maillon essentiel de notre travail, au sein de cet hémicycle comme en circonscription. Il n’existe pourtant aucune définition ni aucun cadre juridique précis de leur fonction.

En tant que salariés de droit privé, nos collaborateurs devraient pouvoir bénéficier, en fin de mandat du parlementaire, de mesures sécurisantes, telles que la négociation collective ou le licenciement pour motif économique, comme l’évoquait à l’instant Jean-Pierre Sueur.

Alors même que le Gouvernement prône la négociation collective, garante d’un droit du travail à la fois plus respectueux des salariés et plus adapté aux enjeux actuels, les collaborateurs parlementaires peuvent-ils en être exclus ?

Ainsi, pour sécuriser les conditions de travail de ces derniers et permettre une fin de contrat digne, nous avons déposé des amendements visant à clarifier et à encadrer cette profession, ce qui n’empêche aucunement de garantir aux parlementaires une totale liberté de choix quant à leurs collaborateurs, dans les limites définies par le présent texte.

Je tiens à remercier tout particulièrement le président de la commission des lois, Philippe Bas, qui a reçu toutes les parties prenantes de ce dossier complexe.

Je remercie également la vice-présidente du Sénat, Françoise Cartron, qui préside l’Association de gestion des assistants de sénateurs, l’AGAS. Prise en quelque sorte entre le marteau et l’enclume, elle est gardienne des exigences sénatoriales, tout en étant soucieuse de ménager la dignité et la reconnaissance des collaborateurs, dont elle sait le grand travail.

Je remercie enfin le président du Sénat pour sa grande vigilance sur ce dossier, ainsi que l’ensemble de nos collègues, sur toutes les travées et de toutes les familles politiques, qui ont eu à cœur de réfléchir de manière transpartisane sur la question de la fin de mandat des sénateurs. (Bravo ! et applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain et du groupe CRC.)

(M. Jean-Pierre Caffet remplace M. Gérard Larcher au fauteuil de la présidence.)

PRÉSIDENCE DE M. Jean-Pierre Caffet

vice-président

M. le président. La parole est à M. Alain Richard.

M. Alain Richard. Monsieur le président, madame la garde des sceaux, mes chers collègues, ces projets de loi correspondent à un engagement pris par le Président de la République. Il est naturel que nous les examinions à l’aune de l’ouverture d’une nouvelle période de la vie publique.

Comme plusieurs orateurs l’ont déjà souligné, ces textes peuvent être vus à travers le prisme gênant d’une forme de suspicion à l’encontre de la collectivité des élus. Il me semble préférable de nous montrer lucides quant aux interrogations et aux critiques qui se développent dans notre société. Nos concitoyens ont une exigence supérieure touchant notre comportement et nos propres règles de conduite.

Il est de notre intérêt et de celui de la République de prendre de face cette préoccupation, et parfois cette tentation critique, et d’avoir la force de caractère de prendre, comme le Gouvernement nous y incite, un certain nombre de dispositions.

Je voudrais aussi dire, en écho aux propos que le Président de la République a tenus lundi dernier, que ces deux projets de loi témoignent, de la part de l’exécutif, d’un respect non seulement du Parlement, mais aussi du bicamérisme. Ce qui nous a été dit sur la qualité de la loi et sur la lutte contre la tentation de légiférer de façon exagérément abondante doit apporter un éclairage particulier aux débats que nous conduisons.

Quels sont les traits principaux de ces projets de loi et qu’en pensons-nous ?

Des règles éthiques plus précises sont posées à l’entrée du mandat politique. Il s’agit, d’une part, d’inéligibilités supplémentaires à la suite de condamnations pénales pour des faits contraires à la probité dans la gestion de ressources publiques, et, d’autre part, d’une attestation fiscale pour tout nouveau parlementaire. Ce sont là des exigences d’évidence, dont nous n’avons pas à nous plaindre. C’est un facteur supplémentaire de reconnaissance de l’honorabilité de la fonction.

Sont également proposées des mesures visant à mieux traiter les conflits d’intérêts, sujet dont l’importance a crû au cours des dernières années et que nous abordons avec le souci de nous rapprocher de ce qui se passe dans beaucoup d’autres démocraties parlementaires.

Nous avons déjà fait des progrès, de notre propre initiative,…

M. Charles Revet. Il est bon de le rappeler !

M. Alain Richard. … afin de répondre aux critiques de nos concitoyens.

Vu de notre assemblée, il ne s’agit que d’une officialisation et d’une formalisation d’attitudes que nous pratiquons déjà visant à réguler ou à prévenir les conflits d’intérêts. Nous pouvons encore nous perfectionner, et ce n’est pas mon collègue et ami, le président du comité de déontologie parlementaire qui me contredira.

En revanche, la limitation des activités de conseil nous place devant un paradoxe constitutionnel dont nous parlons rarement. Les articles 23 et 25 de la Constitution, que nous devrions relire chaque jour (Sourires.), disposent respectivement que les fonctions de membres du Gouvernement sont incompatibles avec l’exercice de toute activité professionnelle – je puis vous assurer que le secrétariat général du Gouvernement veille au respect de cette règle – et qu’une loi organique fixe le régime des incompatibilités touchant les parlementaires.

Le Conseil constitutionnel en déduit logiquement que la possibilité d’exercer une activité professionnelle est une règle de droit commun pour les parlementaires, seules les exceptions figurant dans la liste limitative des incompatibilités.

Cette vision des choses me semble datée. Il s’agit en quelque sorte d’une rémanence du libéralisme aristocratique, première génération de la conception parlementaire à l’époque des Lumières. Michel Debré, qui a beaucoup compté dans l’écriture de la Constitution, avait un grand respect pour le parlementarisme britannique, dont il reste ici quelque chose…

Nous sommes donc obligés de naviguer entre le principe selon lequel les parlementaires sont libres d’avoir une activité professionnelle et une exigence de la société qui demande à ces mêmes parlementaires de se consacrer à l’exercice de leur mandat, sans conflits d’intérêts.

Ces projets de loi posent de nouvelles limites, assez strictes, à l’exercice de ces fonctions de conseil. Il s’agit d’un progrès. Il nous semble qu’il reste encore de la marge, notamment lorsque les volumes et les recettes de cette activité deviennent surprenants au regard du principe de disponibilité du parlementaire pour son mandat. Cette question nous donnera l’occasion d’ouvrir un petit débat.

S’agissant de la réserve parlementaire, nous comprenons qu’il faille faire disparaître la liaison directe individuelle entre la préconisation d’un parlementaire et l’attribution d’une aide financière à une association ou à une collectivité.

Toutefois, madame la garde des sceaux, nous nous demandons si l’idée, au départ « vertueuse », comme l’on dit trop souvent, de supprimer ce lien direct ne s’est pas transformée en « fric-frac budgétaire ». (Sourires.)

Alors que le Président de la République demande aux collectivités de continuer à faire des efforts en dépenses de fonctionnement tout en restant les plus dynamiques possible en matière d’investissement, sauf rectification de trajectoire, nous voyons ici disparaître environ 140 millions d’euros centrés sur l’investissement, notamment celui des collectivités les moins bien dotées en ressources propres. Cette situation me semble quelque peu paradoxale. (Marques d’approbation sur les travées du groupe Les Républicains.)

Ajoutons que ces fonds permettent également de soutenir un certain nombre d’associations non lucratives nationales. Ce n’est d’ailleurs pas sans un petit sourire que j’écoutais ce matin le président d’une des principales associations environnementales, souvent promptes à critiquer le comportement des élus, mettre en garde les membres du Conseil national de la transition écologique contre le risque de disparition des fonds de la réserve. Prenons le temps d’en parler tranquillement…

S’agissant des emplois familiaux, nous soutenons la solution raisonnable retenue par le Gouvernement, quand bien même nous tirons un peu dans les coins – c’est en effet le détournement de l’emploi d’assistant parlementaire à des fins d’arrangement financier familial et non la proximité dans le travail qui faisait problème.

Je terminerai en évoquant la question des partis politiques. Les mesures rationnelles présentées dans ces projets de loi proviennent d’observations et de préconisations de la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques, laquelle œuvre depuis des années à un meilleur contrôle des finances des partis politiques ; elles permettent aussi de vérifier leur possibilité d’accéder au crédit.

Toutefois, Jean-Pierre Sueur l’a souligné, les difficultés portent sur le détournement du statut de parti politique, ou plutôt la réalité de l’étiquette de parti politique, afin de bénéficier des moyens du financement public.

Madame la garde des sceaux, mes chers collègues, pourquoi ne pas profiter de la réforme constitutionnelle qui sera bientôt inscrite à l’ordre du jour du Parlement pour compléter l’article 4 de la Constitution et habiliter le législateur à fixer certains principes d’organisation des partis politiques ? Déjà la réforme de 2008 avait permis de préciser que les partis politiques, s’ils se forment et se gèrent librement, doivent respecter certains principes démocratiques. Cela nous permettrait de disposer, comme dans toutes les démocraties parlementaires que je connais, de règles à peu près lisibles pour distinguer ce qu’est un parti politique de ce qu’il n’est pas.

Le groupe La République en marche est convaincu de l’importance d’approuver cette réforme, au bénéfice de quelques précisions et clarifications sur lesquelles le président et rapporteur de notre commission s’est montré tout à fait « constructif » – j’espère seulement ne pas lui créer de difficultés en employant cet adjectif… (Sourires.)

Je salue le nouveau climat politique dans lequel le Sénat joue pleinement son rôle d’amélioration de la loi dans le respect du mandat confié au Président de la République. Je souhaite y voir l’augure d’une nouvelle période de bon travail entre l’exécutif et cette assemblée. (Applaudissements sur les travées du groupe La République en marche, ainsi que sur certaines travées du groupe socialiste et républicain et du groupe Les Républicains.)