M. Alain Milon, rapporteur. L’Allemagne, c’est l’Allemagne, la France, c’est la France !

Mme Nicole Bricq. Cela relève de ce que certains appellent la codétermination, et c’est ce que préconisait le rapport Gallois en juillet 2012 pour rétablir la compétitivité de la « maison France ».

M. Didier Guillaume. Absolument !

Mme Nicole Bricq. Cette idée peut être travaillée. Si le conseil d’entreprise naît sous ces auspices, je crois que nous aurons vraiment fait la révolution ! (Applaudissements sur les travées du groupe La République en marche. – M. Didier Guillaume applaudit également.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Laurence Cohen.

Mme Laurence Cohen. Devant les parlementaires réunis en Congrès à Versailles, le 3 juillet dernier, le Président de la République, Emmanuel Macron, a voulu justifier son recours aux ordonnances visant à prendre des mesures destinées à renforcer le monopole patronal dans les termes suivants :

« La modernisation de notre économie est nécessaire. Celle du marché du travail est un préalable : c’est une nécessité pour l’emploi. Nous ne pouvons rester parmi les rares pays affichant un tel niveau de chômage. Nous devons tirer les conséquences de la mondialisation, mesurer avec lucidité les mutations technologiques. Il faut s’en saisir, ne pas les subir. Il y a, dans notre beau pays, une aspiration à la liberté dans l’économie, dans les parcours de vie, et une attente de protection nouvelle face à ces changements. »

Qui peut contester ici un tel objectif ? La question est la suivante : comment comptez-vous, madame la ministre, réussir ce beau projet ?

Malheureusement, votre réponse va à l’encontre de l’objectif affiché, puisque vous voulez réduire les droits des salariés, faciliter le recours aux contrats précaires et aux licenciements et supprimer, autant que faire se peut, les obligations des grandes entreprises.

Vous dites vouloir faire de la politique autrement – M. Macron a même été élu sur cette promesse –, mais, dans les faits, vous poursuivez la politique libérale qui a été menée dans notre pays, depuis trente ans, par vos prédécesseurs et dont nous ne connaissons malheureusement que trop bien les conséquences.

« Il faut que tout change pour que rien ne change », disait Tancrède dans Le Guépard. Ce précepte ne correspond-il pas fort bien à la politique que vous voulez mettre en place ? Derrière votre injonction d’adapter notre société à un monde en pleine évolution, il y a, en réalité, une volonté de justifier votre projet idéologique de casser notre pacte social. Au nom de la modernité, tous les acquis sociaux devraient disparaître.

Ainsi, être moderne, c’est autoriser les employeurs à licencier contre un chèque équivalent à vingt mois de salaire en cas d’abus. Être moderne, c’est mettre en œuvre un CDI précaire, limiter le pouvoir des juges pour augmenter celui des employeurs. Être moderne, c’est supprimer les représentants syndicaux, qui contestent les plans de licenciement.

Pour la majorité présidentielle, les archaïques sont donc celles et ceux qui se préoccupent de la prise en compte réelle et effective de la santé des salariés, notamment en défendant la prévention au travers du maintien des CHSCT, dont le rôle de contrôle spécialisé des conditions de travail, de sécurité et de santé au sein de l’entreprise est primordial.

Les archaïques sont celles et ceux qui pensent que la représentation des salariés dans l’entreprise est nécessaire pour défendre leurs droits et que les syndicats sont un rempart démocratique pour négocier à égalité avec les employeurs.

Alors, je suis fière, mes chers collègues, comme chacun des membres de mon groupe, d’être archaïque !

Mme Éliane Assassi. Tout à fait !

Mme Laurence Cohen. Derrière le mot d’ordre « modernité », quel est le modèle que vous souhaitez mettre en place ?

Est-ce celui de la « flexisécurité » à la danoise, qui allierait une plus grande facilité de licenciement et une bonne indemnisation des demandeurs d’emploi ? Depuis les années quatre-vingt-dix, il a pourtant été démontré que la flexibilité des droits prend largement le pas sur la sécurité des salariés. Nous avons vu, lors de la crise de 2008, que ce modèle a moins bien résisté que le nôtre ; on a observé au Danemark une forte hausse du taux de pauvreté, notamment chez les jeunes.

En réalité, en France, la flexisécurité existe depuis longtemps. Comme le dénonce l’économiste Anne Eydoux, « dans les années 1980, lors de la réforme du temps partiel, le Gouvernement avait assuré que cette mesure allait enrichir la croissance, en amenant les femmes à l’emploi. Sauf que le taux d’emploi des femmes a à peine augmenté ; par contre le nombre de femmes en temps partiel a, lui, doublé en quinze ans. »

C’est bien la preuve que la flexibilité, loin de réduire les inégalités, les aggrave : 70 % des salariés se déclarant en situation de sous-emploi sont des femmes !

Madame la ministre, mes chers collègues, je suis au regret de vous dire qu’asservir les salariés en augmentant à votre guise leur temps de travail, en dégradant leurs conditions de travail ou encore en diminuant librement leur salaire, n’a rien d’un modèle et n’est en rien moderne.

Vous mettez en avant, comme contrepartie de la flexibilité, une sécurité renforcée pour les travailleuses et les travailleurs. La sécurité des salariés, à vos yeux, consiste donc à remplacer le compte de prévention de la pénibilité par un compte de réparation. La sécurité, c’est enfin, selon vous, la barémisation des dommages et intérêts, qui permettra aux employeurs de connaître à l’avance le prix d’un licenciement abusif, et donc de l’organiser.

Affaiblir le droit du travail pour promouvoir la négociation s’inspire aussi du modèle nordique, alors même que la construction du dialogue social est très différente dans notre pays. Contrairement au système de cogestion danois, la France a en effet inscrit les obligations de négocier dans le droit.

Le Gouvernement veut privilégier les accords d’entreprise au détriment des accords de branche. Mais aujourd’hui, dans les TPE, où il n’y a pas de représentants du personnel, ce sont les accords de branche qui servent de protection. Pourquoi l’ignorer ?

De bien mauvaise foi sont ceux qui nient aujourd’hui le lien de subordination existant entre un employeur et ses salariés. Vous pouvez le supprimer dans tous les textes que vous voudrez, il n’en cessera pas moins d’exister. Nous l’avons vu en commission : non seulement la majorité sénatoriale vous apporte son soutien le plus total, mais elle veut aller plus loin encore, en autorisant notamment les entreprises de moins de 50 salariés à s’affranchir tout bonnement de l’obligation de négocier avec les représentants du personnel. Gardons à l’esprit, mes chers collègues, que 95 % des entreprises ont moins de 50 salariés. Cela voudrait donc dire que, à l’avenir, 95 % des salariés ne bénéficieront plus d’aucune protection collective.

Non seulement cette liquidation en règle du code du travail ne réglera pas le problème du chômage, mais elle aggravera les conditions de travail dans les entreprises. Elle occasionnera burn-out, baisses de productivité, au rebours de ce que l’on est en droit d’exiger au XXIe siècle.

Libérer le travail, c’est au contraire, pour nous, lui redonner du sens, c’est soutenir la créativité des salariés, c’est mettre l’humain au cœur de l’entreprise en donnant des pouvoirs nouveaux aux salariés sur tout ce qui a trait à leurs conditions de travail mais aussi, plus largement, à la gestion même de l’entreprise. Libérer le travail, c’est assurer la sécurisation des parcours professionnels à travers l’emploi et la formation, comme nous le préconisons au moyen d’une proposition de loi.

Mes chers collègues, ne vous y trompez pas : le Gouvernement est parfaitement conscient d’opérer un hold-up législatif, sinon il n’agirait pas à ce point dans l’urgence. S’il y a urgence, c’est que le Gouvernement est conscient qu’un tel texte ne serait pas passé si facilement dans le cadre d’un processus législatif normal. Personne n’est dupe. Je me permettrai de pointer qu’il est tout de même assez cocasse de prétendre renforcer le dialogue social en passant par des ordonnances qui musèlent le Parlement.

Mme Éliane Assassi. Très bien !

Mme Laurence Cohen. Le Gouvernement cherche délibérément à profiter des congés d’été des Françaises et des Français – congés payés acquis de haute lutte lors du Front populaire, faut-il le rappeler – pour empêcher toute mobilisation syndicale, toute manifestation d’envergure. La période estivale est évidemment propice à de telles manœuvres.

Il faut d’ailleurs croire qu’avec ce nouveau gouvernement, avec l’Assemblée nationale fraîchement élue et majoritairement aux couleurs du Président de la République, dont tout le monde feint d’avoir oublié qu’il a été un ministre zélé de François Hollande, la flexibilité ne doit s’appliquer qu’aux seuls salariés, en aucun cas au texte gouvernemental ! Ainsi, sur la centaine d’amendements déposés par notre groupe à l’Assemblée nationale, un seul a été adopté.

Vous nous reprochez souvent d’avoir une position idéologique. Outre que je ne trouve pas honteux d’avoir la prétention de changer le monde en s’appuyant sur l’émancipation humaine, permettez-moi de souligner que le dogmatisme dont vous faites preuve, et qui se veut moderne, ne cesse d’être contredit par les études internationales. Ces dernières, comme l’a rappelé mon collègue Dominique Watrin, ne constatent aucune corrélation entre la protection des salariés et le niveau du chômage.

Votre projet de société ultralibérale constitue, en réalité, un retour en arrière, une remise en cause de certains acquis des luttes sociales qui ne remédiera ni à l’explosion du chômage, ni aux injustes différences de traitement entre PME-TPE et grands groupes cotés en bourse, ni à la baisse du pouvoir d’achat de nos concitoyennes et concitoyens.

En quoi est-ce ringard, en 2017, à l’heure du bond prodigieux des nouvelles technologies, de la révolution numérique, de défendre une semaine de travail non pas de 40 heures, ni même de 35 heures, mais de 32 heures, sans perte de salaire ? En quoi est-ce ringard de défendre le droit au repos et aux loisirs ? En quoi est-ce ringard de s’opposer aux licenciements motivés uniquement par l’augmentation des profits de quelques actionnaires déjà fort nantis ? Je ne peux m’empêcher de penser ici aux « Fralib » : durant 1 336 jours, ils ont résisté, à juste titre, à la multinationale Unilever et réussi à sauver leur outil de travail, pour produire un thé de qualité.

Alors que des millions de chômeurs attendent de pouvoir travailler, la modernité réside-t-elle dans l’augmentation du temps de travail ? En réalité, cet argument de la modernité n’en est pas un : les projets que vous défendez sont profondément rétrogrades !

Les ordonnances envisagées s’inscrivent dans le prolongement de la loi El Khomri, massivement combattue dans la rue et passée en force à coups de 49-3, une loi inspirée par le MEDEF, dans le droit fil des politiques conduites par la droite.

Jusqu’où ces attaques sans précédent contre des droits sociaux durement acquis au terme de plus d’un siècle de luttes sociales iront-elles ? Peut-être allez-vous nous proposer demain, à l’occasion de la réforme de l’apprentissage, de revenir sur le travail à 16 ans ?

Parce que nous sommes contre l’instauration de la primauté de l’accord d’entreprise sur l’accord de branche, telle que vous l’envisagez à l’article 1er, parce que nous sommes contre la fusion des instances représentatives du personnel prévue à l’article 2, parce que nous sommes contre la facilitation des licenciements et la mise en place d’un barème pour les indemnités prud’homales, parce que nous sommes contre les CDI de projet définis à l’article 3, parce que votre détermination à mettre à mal le compte pénibilité et votre volonté de prévoir plus de dérogations en matière de travail dominical nous inquiètent beaucoup, nous voterons contre ce projet de loi.

Après cette longue liste, j’opposerai un dernier argument à ce projet de loi. Vous profitez de ce véhicule législatif pour introduire, à l’article 9, le report d’un an de la mise en place du prélèvement à la source de l’impôt sur le revenu ; avec ou sans report, nous sommes défavorables à cette mesure, notamment parce qu’elle vise avant tout à remplacer les cotisations sociales, tout particulièrement la part patronale, par un surcroît d’imposition pour les particuliers via une fusion de l’impôt sur le revenu et de la CSG. On détourne l’attention de nos concitoyennes et de nos concitoyens, mais c’est là en réalité un coup terrible porté à la protection sociale !

Vous avez pu le constater, madame la ministre, nos arguments sont nombreux et étayés. Nous allons donc voter contre ce projet de loi d’habilitation, tout en formulant des propositions alternatives, comme le faisons pour chaque texte qui nous est soumis. Nous avons l’ambition de promouvoir un code du travail du XXIe siècle, respectueux des êtres humains et à la hauteur des défis économiques, sociaux et écologiques de notre temps.

Nous avons une autre conception de la révolution que La République en marche ! (Applaudissements sur les travées du groupe CRC. – Mme Évelyne Yonnet applaudit également.)

Mme Éliane Assassi. Très bien !

Mme la présidente. La parole est à Mme Catherine Deroche.

Mme Catherine Deroche. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, comme l’a souligné M. le rapporteur, le présent projet de loi retient un grand nombre de propositions qui ont déjà été défendues par le Sénat.

Depuis longtemps, en effet, nous dénonçons le décalage existant entre la réalité des relations de travail et le cadre légal dans lequel vivent les entreprises et les salariés français.

Nous avons plaidé pour la primauté de l’accord d’entreprise, que nous retrouvons dans le présent texte, en partant du principe que la prise de décision doit se faire au plus près des acteurs, là où la relation de travail s’établit et où les objectifs de l’entreprise sont réalisés.

Nous avons demandé la réduction de la durée des procédures judiciaires, qui est tout de même, en moyenne, de vingt et un mois en France !

Nous avons recommandé la fusion des instances représentatives du personnel, pour simplifier les prises de décision, et expliqué l’utilité des contrats de mission.

Nous avons à plusieurs reprises déploré l’incroyable complexité des formalités imposées aux employeurs par la création du compte de prévention de la pénibilité.

Par une ironie des destins politiques, le présent projet de loi prévoit des dispositions inscrites dans un premier temps dans le projet de loi « travail », puis abandonnées sous la pression des syndicats et des « frondeurs ».

Ce fut le cas, notamment, de la création d’un barème obligatoire harmonisant les dommages et intérêts versés au salarié en cas de licenciement abusif. La France est l’un des rares pays à ne pas prévoir de plafond pour ces indemnités, et leur montant peut varier du simple au triple ! Cela crée une grande insécurité juridique pour les employeurs, notamment les TPE-PME, qui voudraient embaucher. La loi « travail », qui devait résoudre ce problème, n’a finalement rien réglé, car on a renoncé à donner un caractère impératif au barème.

De la même manière, lors de l’examen du même texte, le gouvernement précédent abandonna, après de longues discussions, la défense d’un périmètre national permettant d’apprécier les difficultés d’une filiale d’un groupe licenciant en France. De nouveau, la sécurisation des règles du licenciement était oubliée, et l’on maintenait des règles plus restrictives que celles qui existent dans la majorité des autres pays européens. Dès lors, comment s’étonner que les investisseurs fuient notre pays et son cortège de rigidités ?

Le présent projet de loi tendrait à revenir sur ces tentatives avortées du précédent gouvernement. J’emploie le conditionnel car, malheureusement, si nous connaissons la plupart des intentions du Gouvernement, grâce aux déclarations qui ont accompagné sa communication, tout est loin d’être clair, du fait de la procédure employée.

Bien que le format des ordonnances permette d’agir rapidement – ce qui est important en matière d’emploi –, la manière dont cette procédure a été mise en œuvre soulève des inquiétudes.

Tout d’abord, le flou entoure la plupart des articles. Vous nous répondrez, madame la ministre, que les précisions figureront dans les ordonnances. Mais un projet de loi d’habilitation, s’il fixe des objectifs, doit également indiquer le positionnement qui leur est attaché. Or, ici, même sur des sujets très importants, nous ne pouvons avoir aucune certitude, en raison du parallélisme entre l’examen du texte par le Parlement et la tenue de négociations avec les partenaires sociaux. Le travail parlementaire s’en trouve faussé.

Par exemple, à l’article 1er, un sujet important est évoqué, celui de la qualification du licenciement d’un salarié ayant refusé une modification de son contrat de travail par un accord de flexisécurité. Le texte du projet de loi vise simplement « l’harmonisation du régime juridique de la rupture du contrat de travail ». Or, de la nature d’un tel licenciement dépendra concrètement l’instauration ou non d’un plan de sauvegarde de l’emploi par l’entreprise, procédure lourde et contraignante. Vos déclarations sur le sujet, madame la ministre, traduisent votre volonté d’éviter une telle procédure, mais que sortira-t-il du texte issu de la concertation ? Nous savons qu’il s’agit d’un point de friction majeur avec les syndicats.

L’alinéa prévoyant de « faciliter le recours à la consultation des salariés pour valider un accord » constitue un autre exemple. Avouez, madame la ministre, que la formule est sibylline ! Chacun se doute, en raison de l’engagement de campagne du candidat Emmanuel Macron, qu’il s’agit de permettre à un employeur de prendre l’initiative d’un référendum lorsqu’il n’a pas été possible d’obtenir un accord majoritaire. Toutefois, la neutralité du texte permet n’importe quelle interprétation. Si le projet de loi n’apporte pas plus de précisions, si l’étude d’impact ne remplit pas son rôle, le texte devient une coquille vide, et l’accord des parlementaires reposera sur du sable. Rien n’est tranché, tout est remis aux « aléas » de la concertation.

Vous me direz que nous aurons l’occasion de voter une seconde fois, sur le projet de loi de ratification des ordonnances, mais tout sera déjà joué en réalité, puisque les ordonnances entreront en vigueur dès leur publication au Journal officiel, notre vote leur permettant simplement d’acquérir force de loi.

Je me réjouis donc que notre président-rapporteur, Alain Milon, ait scrupuleusement comblé les espaces vides, en inscrivant clairement dans le texte plusieurs avancées qui n’y figuraient que sous la forme de principes généraux et en l’enrichissant de plusieurs propositions.

Notre groupe, partageant le même esprit constructif, a déposé des amendements de simplification, afin de régler certaines difficultés rencontrées au quotidien par les entreprises.

Ce projet de loi fait figure de test, car si les concessions devaient s’y développer, il pourrait finir par ne plus ressembler du tout à ce qui était annoncé. Nous ne pouvons que vous alerter, madame la ministre, sur la désillusion que constituerait, pour les entrepreneurs, une loi qui ne déverrouillerait rien et qui complexifierait au lieu de simplifier. Je forme donc le vœu que les précisions apportées par le Sénat soient validées par le Gouvernement.

Il s’agira ensuite d’aller plus loin. Le facteur déterminant d’une décision d’embauche reste l’activité, le carnet de commandes. Les emplois sont créés s’il existe une dynamique économique dans le pays et si les entreprises peuvent s’y développer.

La Banque de France vient de relever sa prévision de croissance pour la France à 1,6 % en 2017, en raison d’une amélioration de l’environnement européen. C’est une reprise, mais elle reste modérée. Je rappelle que la France se situe en dessous des 2 % de croissance de la zone euro. Pour aller au-delà, il faudra davantage qu’un assouplissement de la réglementation sociale ; il faudra d’importantes réformes structurelles. Il s’agit là d’un autre débat, que nous devrons avoir le plus rapidement possible, dans le respect du pouvoir d’initiative et de contrôle des parlementaires.

Notre vote sur ce texte représentera une première étape et vous aurez compris qu’il marquera, plus encore qu’une approbation, une véritable attente. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Corinne Féret.

Mme Corinne Féret. Madame la présidente, madame la ministre, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, les Français, aujourd'hui trop nombreux à être écartés du marché du travail, demandent que nous œuvrions à l’émergence de solutions pour enrayer ce terrible fléau qu’est le chômage.

Si je partage le diagnostic établi par le Gouvernement d’un monde du travail entré dans une phase de profonds changements du fait de la mondialisation de l’économie, de la transition écologique ou de la révolution numérique, je suis en désaccord avec la méthode adoptée. Je note aussi des oublis, rien n’étant prévu, par exemple, en matière de médecine du travail.

J’avais espéré, madame la ministre, que votre ambition était d’ajuster notre modèle social et d’affronter les mutations qui sont déjà à l’œuvre. Or, dans ce texte, je ne vois pas la « flexisécurité à la française » tant promise !

Ce constat est encore aggravé par le démantèlement du code du travail opéré par la droite sénatoriale majoritaire, qui profite de ce projet de loi pour rogner sur les droits des salariés et rendre notre marché du travail toujours plus précaire, comme elle l’avait d’ailleurs fait au moment de l’examen de la dernière loi « travail ».

Cela est allé jusqu’à faire disparaître, en commission des affaires sociales, la seule disposition, issue d’un amendement adopté à l’Assemblée nationale, qui précisait le champ du présent projet de loi d’habilitation et des futures ordonnances en y intégrant l’objectif d’égalité professionnelle entre les hommes et les femmes dans l’entreprise. Ce n’est pas acceptable !

Je souhaiterais revenir, tout d’abord, sur la méthode.

Très récemment, à Versailles, le Président de la République insistait sur sa volonté de revaloriser le rôle du Parlement pour légiférer mieux, dans la concertation. Je partage totalement ce point de vue.

Si je ne suis évidemment pas opposée au principe du recours aux ordonnances, tel que prévu par l’article 38 de notre Constitution, je regrette que le Gouvernement agisse aujourd’hui dans la précipitation.

La concertation sociale n’est pas encore terminée que nous sommes amenés à habiliter le Gouvernement à légiférer par ordonnances. En somme, vous nous demandez de vous autoriser à œuvrer à notre place et en notre nom pour refondre entièrement le code du travail et notre modèle social !

Au moment où nous examinons ce projet de loi d’habilitation, il nous est encore impossible d’apprécier avec justesse l’équilibre de la réforme, entre la sécurité que vous promettez et la flexibilité que vous nous proposez.

Si le recours aux ordonnances a pu se justifier par le passé, lorsqu’il s’est agi de mettre en œuvre un véritable progrès social avec la cinquième semaine de congés payés ou la retraite à 60 ans, rien ne justifie aujourd’hui un tel empressement pour rendre les règles de licenciement plus souples, développer les CDI dits « de chantier », plafonner les indemnités de licenciement prud’homales, fusionner les instances représentatives du personnel ou faire évoluer le compte pénibilité.

Ce sont là les grands axes de cette réforme, qui aurait mérité un dialogue social et citoyen approfondi, ainsi qu’un débat parlementaire respectueux du pluralisme.

Ne pouvait-on pas faire une évaluation des réformes passées, notamment la loi de Mme El Khomri ou la loi du 17 août 2015 relative au dialogue social et à l’emploi, avant de s’orienter vers une refonte de notre droit du travail ? Un examen du détail des dispositions qui nous sont soumises montre que ni l’urgence, ni la portée, ni la technicité des sujets ne justifiaient, en fin de compte, ce recours aux ordonnances.

Au-delà de la méthode, je m’inquiète aussi du contenu de l’article 5, visant à reformer le compte personnel de prévention de la pénibilité, le C3P. Avec ce texte, le C3P est transformé en simple compte personnel de prévention. Pourtant, madame la ministre, beaucoup de Français ont aujourd'hui un travail pénible et sont en souffrance. Leur nombre est même en forte progression : le volume des maladies professionnelles a augmenté, en moyenne, de 4 % par an entre 2005 et 2012. Selon une étude de décembre 2016 de la Direction de l’animation de la recherche, des études et des statistiques, la DARES, la quasi-totalité des salariés relevant du régime général victimes de maladies professionnelles sont des ouvriers ou des employés. L’espérance de vie d’un ouvrier est toujours inférieure de plus de six ans à celle d’un cadre en France. En tant que représentants de la Nation, nous devrions nous accorder sur la nécessité de reconnaître la pénibilité au travail et ses conséquences.

Entré en vigueur par étapes depuis 2015, le compte personnel de prévention de la pénibilité permet aux salariés exposés à des travaux pénibles de cumuler des points afin de pouvoir partir plus tôt à la retraite, se former ou travailler à temps partiel sans perte de salaire. Si certains critères ne posent pas de problème, comme celui du travail répétitif ou de nuit, le Gouvernement souhaite écarter du dispositif quatre critères d’une importance majeure : la manutention manuelle des charges, les postures pénibles, les vibrations mécaniques et les risques chimiques. Pour ces quatre critères, on ne sera plus dans une logique de prévention : il s’agira uniquement de permettre à ceux qui sont atteints d’une invalidité de plus de 10 % de partir à la retraite plus tôt.

Le Gouvernement en revient ainsi à la loi Fillon du 9 novembre 2010 portant réforme des retraites, qui permettait de constater l’invalidité. On renonce à la logique de prévention, pour privilégier une logique de réparation. Pourtant, dans son discours de politique générale, le Premier ministre avait déclaré que la prévention serait le pivot de la stratégie nationale de santé devant être examinée à l’automne. Dans les faits, les entreprises ne seront plus véritablement incitées à réduire les situations de travail pénible.

À cet instant, mes pensées vont aux salariés de l’entreprise Tréfimétaux de Dives-sur-Mer, dans mon département du Calvados, ainsi qu’à ceux de la « vallée de la mort », près de Condé-sur-Noireau, malades de l’amiante, qui a déjà causé bien trop de décès.

Cet exemple de l’amiante illustre parfaitement l’impossibilité de réparer des maladies professionnelles qui se déclarent après le départ à la retraite. On nous dit que le dispositif serait trop complexe, qu’il engendrerait trop de bureaucratie pour les PME. Je veux bien l’entendre, mais je note tout de même que certaines branches professionnelles, les plus volontaires, sont parvenues à établir un référentiel applicable à toutes les entreprises de leur secteur. À mon sens, quand un dispositif est complexe, il vaut mieux chercher à l’améliorer plutôt que de revenir sur ses principes fondateurs.

En conclusion, madame la ministre, je suis très attachée à la progression des protections et des droits des salariés, notamment de ceux qui travaillent le plus durement. Notre code du travail n’a pas été conçu, comme vous l’avez affirmé, « pour embêter 95 % des entreprises ». Fruit d’une histoire jalonnée d’avancées sociales, notre législation compte nombre d’acquis et de protections qu’il serait dangereux de supprimer. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain. – Mme Brigitte Gonthier-Maurin applaudit également.)