Mme la présidente. La parole est à M. Jean Desessard.

M. Jean Desessard. Madame la présidente, madame la ministre, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, l’encre de la loi El Khomri à peine sèche, le premier gouvernement Macron s’en inspire, s’engouffre dans la brèche et continue le démantèlement du code du travail, bousculant les « formidables garde-fous » dont l’ancienne ministre du travail nous avait tant vanté la solidité.

La CMP a abouti. Quoi de plus naturel, en somme, qu’un accord entre une droite sénatoriale toujours aux avant-postes pour « libéraliser, toujours plus » et une ministre du travail dont la conception de la « flexisécurité » se traduit par une corvéabilité accrue des salariés et une sécurité accrue pour les bénéfices, les stock-options des dirigeants et actionnaires !

Mme Nicole Bricq. Tu peux mieux faire !

M. Jean Desessard. Du dialogue social, notre ministre ne retient qu’une discussion au niveau de l’entreprise, là où le salarié est le plus faible face à l’employeur tout-puissant. En matière de cogestion, elle refuse que les salariés soient plus nombreux dans les conseils d’administration.

Craignez-vous, madame la ministre, que si les travailleurs font la preuve de leurs capacités de décision au plus haut niveau, il ne soit plus possible de justifier les salaires de dirigeants cent fois plus élevés que le salaire moyen ?

Vous l’aurez compris, mes chers collègues, les écologistes ne voteront pas ce projet de loi, cher au MEDEF, pris par le Gouvernement par ordonnances, au mépris de toute véritable négociation.

Madame Bricq, remarquable idéologue du parti « en marche »,…

M. Jean Desessard. … vous parliez, jeudi dernier, de l’importance de la formation professionnelle.

Mme Nicole Bricq. Et je vais le refaire !

M. Jean Desessard. Mais qu’a-t-on fait sous le gouvernement précédent, dont vous étiez déjà une émérite défenseure ?

Mme Nicole Bricq. Pas assez !

M. Jean Desessard. J’ai proposé au Sénat, qui l’a votée à la quasi-unanimité en avril 2015, une résolution sur la mise en place d’un GPS pour l’emploi recensant les offres d’emploi non pourvues, analysant les causes pour proposer des solutions, en particulier en matière de formation. Qu’a fait ce gouvernement de cette proposition, madame Bricq ? Rien, rien de rien ! Quel gâchis !

Mes chers collègues, c’est ma dernière intervention dans cet hémicycle où, je le reconnais, j’ai tant aimé débattre pendant les deux mandats que j’ai exercés. Je ne puis toutefois m’empêcher de ressentir un grand dépit quant à l’efficacité parlementaire.

Le cadre de travail de notre institution est de haute qualité, à tous les niveaux, dans tous les services, de l’agent à l’administrateur principal. J’ai pu l’apprécier. Les sénatrices et sénateurs, mes collègues, sont dans l’ensemble assidus,…

M. Jean Desessard. … compétents,…

M. Jean Desessard. … intelligents, je peux en témoigner. Mais quelle énergie dépensée pour un si maigre résultat législatif !

L’entonnoir de l’exécutif est extrêmement étroit ; presque toutes les propositions sont écartées.

Mme la présidente. Veuillez conclure, mon cher collègue.

M. Jean Desessard. Je conclus, madame la présidente.

Mes chers collègues, je vous souhaite, je nous souhaite une réforme en profondeur du fonctionnement de nos institutions. Sans cela, le discrédit du politique s’amplifiera, la déqualification du parlementaire perdurera.

Bonne chance à la nouvelle assemblée ! (Applaudissements sur la plupart des travées.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Nicole Bricq.

Mme Nicole Bricq. Madame la présidente, madame la ministre, permettez-moi tout d’abord de m’adresser à mes collègues. S’il est un moment privilégié dans la vie d’un parlementaire, c’est bien quand il participe à une commission mixte paritaire – et d’autant plus, monsieur le président-rapporteur, quand elle est conclusive. En effet, on dispose, pour une fois, d’une entière liberté, on est mis en face de sa responsabilité. Nous savons qu’il n’y a pas de mandat impératif pour un parlementaire. Il faut choisir la voie la meilleure pour arriver à un compromis positif.

Quand on veut, on peut, et nous l’avons montré tout récemment à propos de ces ordonnances. Nous sommes alors en effet loin des pressions que peuvent nous faire subir un groupe – l’appartenance partisane – ou – c’est souvent le cas pour ceux qui appartiennent à la majorité – l’exécutif. Le parlementaire qui siège en commission mixte paritaire a sa liberté et sa responsabilité.

Quels sont les résultats de ce travail conclusif de la CMP ? Aux yeux du groupe La République en marche, les points forts sont au nombre de six. Je ne m’y attarderai pas, car nous avons pu débattre longuement. Je remercie au passage toutes les autorités du Sénat d’avoir mené ce débat avec sérieux.

Le premier point fort, c’est qu’il existe maintenant une articulation claire, franche et sécurisée entre accords de branche et accords d’entreprise, entre accords d’entreprise et contrats de travail. On y voit maintenant très clair, et je veux le souligner, car une telle netteté manquait jusqu’alors.

Le deuxième point fort, c’est d’avoir dégagé un principe : la négociation collective est désormais privilégiée par rapport à la décision unilatérale de l’employeur dans laquelle certains pouvaient, à juste titre, redouter une forme d’arbitraire patronal, qui malheureusement existe encore parfois.

Le troisième point fort, et qui me paraît essentiel, c’est de permettre un meilleur accès au droit du travail pour les TPE et les PME, salariés comme employeurs, qui ont quelquefois bien du mal à s’y retrouver dans le maquis législatif et réglementaire.

Le quatrième point fort, qui est à mes yeux le plus important, c’est le renforcement du dialogue dans l’entreprise par la mise à niveau de la connaissance et de l’appréciation pour les salariés de la stratégie économique et sociale de leurs entreprises. Le texte retient le principe de la fusion des instances, avec une place à part réservée à ce que l’on appelle le CHSCT au sein de la future instance unique de représentation du personnel.

Je veux ensuite mentionner, au titre du cinquième point fort, la réaffirmation de deux principes, celui des accords majoritaires, dont le calendrier de la généralisation est accéléré, et celui, ô combien important, de la présence syndicale. À ce sujet, les deux rapporteurs ont fait mouvement vers des compromis, et ils y sont arrivés.

Le sixième et dernier point fort, plus délicat, je le reconnais, était la définition du périmètre des licenciements économiques. Il me paraît essentiel de le souligner, les rapporteurs ont accepté de quitter les postures habituelles et de sortir de leurs couloirs respectifs. Ce n’était pas facile, j’en conviens, pour le rapporteur pour le Sénat, qui a su, avec son homologue à l’Assemblée nationale, Laurent Pietraszewski, trouver une formule laissant une marge d’appréciation. Ce point était important.

Pour le groupe La République en marche, notre objectif est atteint. L’exécutif, que nous soutenons fermement, garde sa latitude de réactivité aux propositions des partenaires sociaux et sa capacité d’agir, ainsi que de poursuivre, madame la ministre, la transformation de notre modèle social. Pour y parvenir, il faut donner toute sa place, et pour moi, elle est prépondérante, à la formation professionnelle – cet élément est important, cher collègue Desessard. Elle est, en effet, la véritable sécurité pour le salarié, pour celui qui doit affronter les mutations du monde économique et y trouver sa place. En effet, nous le savons, les travailleurs ne devront compter ni sur le statut ni sur le contrat de travail pour les protéger. Ce qui les protégera, c’est leur formation, leurs compétences, leur mobilité dans une économie largement mondialisée où les mutations sont à l’œuvre.

Ma conviction profonde, c’est que, dans cette économie mondialisée, la France doit retrouver sa place, et les Français leur chemin, pour autant qu’ils retrouvent confiance en leur pays et en eux, car ils ont toute capacité pour être au premier rang. (Applaudissements sur plusieurs travées du groupe La République en marche. – Mmes Françoise Laborde et Josiane Costes applaudissent également.)

Mme la présidente. La parole est à M. Dominique Watrin.

M. Dominique Watrin. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, l’accord trouvé en commission mixte paritaire ne nous a pas surpris.

La convergence d’idées sur ce texte entre la majorité sénatoriale et la République en marche avait été annoncée par le président Milon, dès l’examen en commission.

Il avait déclaré ne pouvoir « qu’approuver la philosophie de ce texte » et « soutenir résolument la volonté du Gouvernement de libérer les entreprises des contraintes juridiques qui entravent leur développement ». Eh bien, c’est de cela qu’il faut continuer à débattre ! Car nous sommes ici au cœur de ce qui oppose la droite et la gauche, même si nous regrettons qu’une partie de cette dernière l’ait oublié en légitimant la loi El Khomri.

Celle-ci posait pourtant les bases de la destruction du code du travail à laquelle on assiste aujourd’hui.

Nous sommes fiers, au groupe CRC, de n’avoir pas faibli. Et nous serons toujours là, comme nous l’avons encore fait la semaine passée par la voix de notre présidente, pour rappeler les vérités qui fâchent !

Mes chers collègues, vous qui vous apprêtez à voter les conclusions de la CMP, pouvez-vous au moins nous expliquer en quoi les mesures annoncées dans ce projet de loi d’habilitation seront facteurs d’embauches et « de compétitivité de notre économie », comme l’affirmait aussi Alain Milon ?

Je ne pose même plus cette question au Gouvernement puisque, en quarante heures de séance publique, la ministre n’a jamais voulu y répondre malgré l’insistance de ceux qui siègent sur les travées de la gauche.

Ce qui est certain, c’est que si les Français s’opposent majoritairement à la philosophie de ce texte, ce n’est pas sans raison ! Ils ont en tête quelques épisodes peu flatteurs pour les partisans du libéralisme économique à tous crins.

Qui ne se souvient pas, en particulier, de Pierre Gattaz, le patron du MEDEF, qui annonçait la création de 1 million d’emplois en contrepartie d’exonérations massives de cotisations sociales ? Les exonérations, elles ont été obtenues avec le CICE, mais où sont les emplois créés ?

Croyez-vous vraiment que les mesures actées par la CMP iront dans le sens d’une modernisation de la démocratie sociale ?

Si vous le pensez, alors, comparez-les aux conquêtes du Front populaire, à celles arrachées par nos prédécesseurs qui ont libéré la France et inscrit dans le préambule de la Constitution de 1946 que « Tout travailleur participe, par l’intermédiaire de ses délégués, à la détermination collective des conditions de travail, ainsi qu’à la gestion des entreprises. »

Vous contournez, quant à vous, les organisations syndicales. Comparez avec le contenu des lois Auroux, qui ont élargi aux conditions de travail les pouvoirs des délégués du personnel, quand vous mettez à genoux le CHSCT !

En réalité, vous inscrivez vos pas dans une offensive libérale, dont le seul but est de sacrifier les droits sociaux et démocratiques des travailleurs et d’empêcher toute action protectrice de l’emploi et des rémunérations, des conditions de travail et de santé dans chaque entreprise.

Un progrès économique, la nouvelle formulation issue de la commission mixte paritaire, qui va permettre à des entreprises – cela a été rappelé –, alors qu’elles sont dans une situation économique florissante au niveau du groupe, de s’appuyer sur le périmètre national pour licencier massivement au seul profit des actionnaires ?

Un progrès social, la réduction du délai de recours devant les prud’hommes en cas de rupture du contrat de travail ?

Un progrès, la définition de plafonds obligatoires d’indemnisation des salariés victimes d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse, alors qu’aujourd’hui une réparation intégrale du préjudice subi peut être obtenue ?

Un progrès social et économique, la généralisation potentielle du CDI de chantier à de nouveaux secteurs d’activité, qui conduira à précariser ceux-là mêmes qui auront un CDI ?

Un progrès, la nouvelle articulation des normes du droit du travail, qui aboutira à confier aux branches ce qui relevait jusqu’à présent de la loi – les contrats courts, par exemple – et affirmera la primauté de l’accord d’entreprise sur les normes conventionnelles et sur le contrat de travail ?

On en connaît à l’avance les conséquences : le licenciement non économique pour un salarié qui refuserait une dégradation de ses droits, et un risque non négligeable de dumping social orchestré par les grands groupes !

Rappelons-le, mes chers collègues, le code du travail est un outil de protection du salarié face à son employeur, pas un instrument d’amplification du chômage ou d’accélération de la rentabilité financière des entreprises.

Et ce n’est certainement pas en retirant des droits aux salariés que vous résoudrez les difficultés, quant à elles très réelles, vécues par les entreprises, en particulier, les plus petites : l’incertitude économique, les délais de paiement, l’accès au crédit bancaire ou les difficultés à recruter du personnel qualifié et compétent.

Oui, je le redis, il y a indigence à penser qu’une amélioration de la productivité pourrait résulter de la réduction des droits des salariés ! Quelle vision à courte vue ! Nous proposons exactement l’inverse, car l’entreprise est aussi un bien commun dont le développement durable nécessite l’adhésion et l’engagement de tous et, en premier lieu, de ceux qui produisent les richesses.

Nous avons, au contraire, la conviction que votre projet s’adresse bien davantage aux patrons du CAC 40, qui réalisent des milliards d’euros de profit, qu’aux salariés dont le Smic ne sera pas revalorisé cette année. Le journal lHumanité de ce jour explique comment les rémunérations complémentaires des dirigeants des grands groupes sont fondées sur le strict intérêt des actionnaires. C’est ainsi que huit des dix membres du comité de direction de Danone ont pu bénéficier de 4,8 millions d’euros de plus-values.

Comme c’est indécent pour les salariés et leurs familles auxquels vous demandez en permanence des sacrifices ! Pour eux, pas de stock-options mais une force et une intelligence au travail qui doit au contraire être respectée et valorisée ! C’est ainsi que l’on améliorera l’efficacité économique et non en faisant l’inverse !

Notre combat n’est donc pas terminé. Il se poursuivra ici, dans l’hémicycle, lors de l’examen du projet de loi de ratification des ordonnances. Nous serons aussi présents le 12 septembre dans la rue, au côté des salariés et des syndicats qui s’opposent à ce projet de casse du code du travail, que nous rejetterons dans quelques instants par un vote unanimement contre du groupe communiste républicain et citoyen. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC. – Mme Marie-Noëlle Lienemann et M. Henri Cabanel applaudissent également.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Françoise Laborde.

Mme Françoise Laborde. Madame la présidente, madame la ministre, monsieur le président-rapporteur, mes chers collègues, nous sommes réunis aujourd’hui pour entériner les conclusions de la commission mixte paritaire qui s’est tenue lundi après-midi.

Si nous pouvons nous féliciter des débats constructifs et de l’adoption d’un texte commun, nous sommes plus circonspects quant à la méthode employée. Mon collègue Guillaume Arnell l’avait déjà souligné en première lecture, « les ordonnances constituent une forme de législation déléguée qui affaiblit le rôle du Parlement, au même titre qu’une interprétation trop restrictive du droit d’amendement ou le recours systématique à la procédure accélérée ». D’autant qu’il s’agissait, à l’origine, d’une procédure exceptionnelle, destinée à faire face à une situation urgente et pour un délai limité seulement.

C’est la raison pour laquelle les sénateurs du groupe du RDSE sont réticents, je le répète, au fait de donner un blanc-seing au pouvoir exécutif, quel qu’il soit, surtout lorsqu’il s’agit d’une réforme d’une telle ampleur et que la concertation avec les partenaires sociaux se poursuit.

Sur le fond, la majorité des membres du RDSE partagent les grandes orientations de votre réforme, qui vise à offrir plus de souplesse aux entreprises tout en protégeant les salariés. Nous devons en effet faire preuve de pragmatisme et adapter notre droit du travail à la réalité économique actuelle si nous voulons nous attaquer au chômage de masse que la France connaît depuis plus de trois décennies.

En effet, pour nos concitoyens qui y sont confrontés, le chômage est une véritable souffrance : au-delà de la perte d’un salaire, le chômage constitue aussi la perte d’un lien social et une atteinte à l’estime de soi. Selon une étude de 2015 de l’Institut national de la santé et de la recherche médicale – INSERM –, en France, aujourd'hui, 10 000 à 14 000 décès par an sont imputables à l’absence d’emploi et on constate une véritable augmentation du nombre des décès par suicide. Alors, oui, inverser durablement la courbe du chômage est une impérieuse nécessité !

Lors de sa réunion, la commission mixte paritaire a confirmé plusieurs avancées proposées à l’Assemblée nationale et au Sénat. Je pense notamment au télétravail, à la suppression de la condition d’ancienneté minimale d’un an nécessaire à l’ouverture du droit à l’indemnité de licenciement, à la formation des représentants du personnel, à la prise en compte de la situation des personnes handicapées et de l’égalité entre les femmes et les hommes, ou encore à l’exclusion de la barémisation des indemnités prud’homales pour les licenciements entachés par une faute de l’employeur d’une exceptionnelle gravité.

S’agissant des points de divergence entre nos deux assemblées, les débats en commission mixte paritaire ont permis à nos collègues de dégager un consensus ; je m’en félicite.

C’est le cas notamment de l’aménagement du calendrier de mise en place des accords majoritaires de la loi du 8 août 2016 auxquels nous sommes particulièrement attachés. C’est en effet la garantie de la légitimité des accords d’entreprise et des organisations syndicales.

C’est le cas également de la réintroduction de la référence aux accords de maintien de l’emploi dans la liste des accords dont il est envisagé d’harmoniser le régime. Comme l’a rappelé le rapporteur du texte à l’Assemblée nationale, non seulement la suppression de la référence à ces accords ne suffisait pas à supprimer leur existence juridique, mais elle était, en plus, contre-productive puisqu’elle conduit à renoncer à l’harmonisation du régime juridique applicable aux accords de maintien de l’emploi avec les autres accords spécifiques mentionnés à cet alinéa.

Je pense aussi à la mise en place obligatoire d’une commission exclusivement consacrée aux questions d’hygiène, de sécurité et de conditions de travail au sein de la future instance unique de représentation du personnel.

Si la CMP a conservé le caractère spécifique du motif de licenciement d’un salarié qui refuse l’application d’un accord collectif – tel que l’avait proposé notre commission des affaires sociales –, nous nous réjouissons qu’elle ait trouvé un compromis en proposant aux salariés un accompagnement spécifique sous la forme de droits complémentaires à la formation.

S’agissant, en revanche, de l’encadrement des indemnités prud’homales, le groupe du RDSE est assez partagé, certains d’entre nous estimant que le barème indicatif mis en place par la loi El Khomri était suffisant. En revanche, nous nous félicitons de votre promesse de revaloriser le montant des indemnités de licenciement, qui, rappelons-le, sont parmi les plus faibles d’Europe.

Madame la ministre, vous l’aurez compris, la majorité des sénateurs du RDSE soutiendra ce projet de loi d’habilitation, qui constitue la première étape de votre réforme. Pour autant, nous serons particulièrement attentifs aux mesures qui seront soumises à ratification dans quelques mois. (Mme Josiane Costes applaudit.)

Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Marc Gabouty.

M. Jean-Marc Gabouty. Madame la présidente, madame la ministre, monsieur le président-rapporteur de la commission des affaires sociales, mes chers collègues, ce projet de loi d’habilitation permettant au Gouvernement de prendre par ordonnances des mesures pour le renforcement du dialogue social s’inscrit dans un objectif plus large de rénovation de notre modèle social.

La modification du code du travail, l’allégement des contraintes supportées par les entreprises, la réorganisation des outils du dialogue social ne créent certes pas directement d’emplois – pas plus, d’ailleurs, que le CICE –, mais ils ont pour vocation de stimuler le désir d’entreprendre, d’investir et, au final, de favoriser le développement des entreprises et de l’activité économique dans notre pays.

La création d’emplois est la conséquence de ce processus, qui s’inscrit dans un temps long, contrairement aux temps politique et médiatique qui ne sont souvent appréhendés que dans le court terme.

La rapidité des évolutions technologiques, la révolution numérique, la multiplication des échanges financiers, économiques et humains représentent des bases factuelles d’un monde qui change et auquel nous devons permettre à notre économie et à nos entreprises de s’adapter. Tourner le dos à cette réalité et à ces évolutions dans un réflexe protecteur et protectionniste nous conduirait inévitablement sur la voie du déclin, avec toutes les conséquences néfastes que cela suppose sur le plan économique et social.

Ce projet d’ordonnances est le prolongement de la loi du 8 août 2016, dite loi El Khomri, avec un champ d’intervention toutefois plus restreint. D’autres textes viendront compléter cette évolution, notamment en termes d’apprentissage, de formation professionnelle, d’assurance chômage et de retraite.

Cependant, à défaut d’une réécriture complète du code du travail, telle qu’elle avait été envisagée dans la loi El Khomri, il me paraîtrait indispensable de procéder à un toilettage simplificateur de ce code en supprimant nombre de dispositions inopérantes, complexes, qui ne relèvent pas toujours de la loi et comportent des précisions excessives qui pourraient venir limiter de manière trop contraignante le champ des négociations de branche ou d’entreprise.

En ce qui concerne les domaines qui doivent être traités dans ces ordonnances, nous nous félicitons de la volonté du Gouvernement de prévoir des mécanismes opérationnels, c’est-à-dire qui pourront facilement trouver une traduction concrète dans la négociation sociale et le fonctionnement des entreprises.

Il faut en effet éviter des dispositifs parfois fondés sur des intentions louables mais difficilement applicables, donc, peu utilisés. Je pense, en particulier, aux accords de maintien de l’emploi, les AME, que le Sénat souhaitait supprimer même si, au final, nous acceptons la formule d’harmonisation, que vous entendez mettre en œuvre, avec les accords de préservation et de développement de l’emploi, les APDE.

Même si nous maintenons quelques réserves ponctuelles sur ce projet de loi, la version aujourd’hui soumise à notre approbation nous paraît satisfaisante dans les principales orientations qu’elle préconise.

Nous sommes, en premier lieu, favorables aux modes de conclusions des accords d’entreprise, qui permettront d’en augmenter sensiblement le nombre, en particulier dans les PME et TPE, grâce à l’ouverture de ces accords, en l’absence de délégués syndicaux, aux délégués du personnel et en autorisant, en dernier ressort, une consultation directe des salariés.

Nous approuvons, en deuxième lieu, le périmètre à prendre en considération pour évaluer les difficultés d’une entreprise, même si ce dispositif mérite quelques précautions complémentaires et peut-être quelques exceptions.

Nous sommes, en troisième lieu, pour les contrats à durée déterminée de chantiers ou d’opération.

Nous nous félicitons, en quatrième lieu, de la fusion des instances de représentation des salariés, qui va atténuer l’effet dissuasif de seuil pour les entreprises qui atteignent l’effectif de 50 salariés.

Nous sommes favorables, en cinquième lieu, à la fixation d’un barème obligatoire pour les dommages et intérêts alloués en cas de licenciement sans cause réelle et sérieuse, à l’exclusion d’un certain nombre de situations en raison de la responsabilité et du comportement de l’employeur.

Nous approuvons, en sixième et dernier lieu, le traitement différencié de certaines mesures pour les PME et TPE.

Dans cette loi d’habilitation, le Gouvernement et vous-même, madame la ministre, avez fait preuve à la fois de pédagogie et de compréhension. L’Assemblée nationale et le Sénat, dans le respect du travail respectif de nos deux assemblées, ont su faire des concessions mutuelles et trouver un compromis équilibré pour présenter aujourd’hui un texte commun validé par la commission mixte paritaire.

Nous nous félicitons du fait que de nombreuses propositions émanant du Sénat, de la commission des affaires sociales, en particulier, aient été retenues ou prises en compte dans la version finale. Nous le devons aussi à l’esprit très constructif dans lequel ont travaillé nos rapporteurs, que je tiens à féliciter.

Le groupe Union Centriste et, j’en suis persuadé, une majorité de nos collègues se réjouissent de cette conclusion. Elle témoigne en effet d’une démarche positive du Parlement à l’égard de la procédure des ordonnances, qui aurait pu a priori donner le sentiment de nous mettre quelque peu à l’écart.

Nous souhaitons, bien entendu, que, conformément à l’article 8 de ce projet de loi d’habilitation, un débat puisse de nouveau s’engager avant la fin de l’année, le plus tôt possible après la promulgation des ordonnances, dans le cadre des lois de ratification.

Madame la ministre, vous considérez ce texte comme « un pari sur la confiance dans le dialogue social ».

Pour notre part, nous faisons aujourd’hui un pari sur la volonté du Gouvernement de simplifier et de rationaliser notre droit social.

En votant le texte de la commission mixte paritaire, nous vous accordons notre confiance et nous formons le vœu, dans l’intérêt même de notre pays, qu’il s’agisse là de deux paris gagnants. (Applaudissements sur les travées du groupe Union Centriste et sur quelques travées du groupe Les Républicains. – Mme Françoise Laborde applaudit également.)

Mme la présidente. La parole est à M. René-Paul Savary.

M. René-Paul Savary. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, en premier lieu, qu’il me soit permis de remercier le docteur Milon, président-rapporteur, pour ses commentaires toujours très pédagogiques. C’est l’homme de l’art au chevet d’un malade en crise, le chômage ! (M. le rapporteur sourit.)

Je vous remercie également, madame la ministre, pour vos commentaires toujours très détaillés et courtois.

Néanmoins, les ordonnances restent toujours une interrogation pour les parlementaires puisque les champs de propositions leur sont limités. Ils peuvent certes réduire le champ des ordonnances, mais pas l’élargir. Cette frustration a cependant été atténuée par les débats très ouverts que nous avons pu lancer sur nombre de sujets. Il faut dire que le groupe communiste républicain et citoyen nous a bien aidés ! (Mme Éliane Assassi rit et M. Dominique Watrin applaudit.)

Madame la ministre, c’est à l’efficacité de cette loi que l’on jugera de sa pertinence.

Le débat sur la ratification des ordonnances et sur l’évaluation de ce processus législatif sera déterminant. Car la question est bien là : cette loi sera-t-elle efficace sur le plan de la compétitivité de nos entreprises, et surtout sur celui de la relance, tant attendue, de l’emploi ?

En tout état de cause, on ne peut pas rester les bras croisés, compte tenu du taux de chômage qui caractérise notre pays par rapport aux autres États européens. Cette loi a au moins le mérite d’essayer de faire bouger les lignes !

Je voudrais rappeler trois faits essentiels à mes yeux.

Le premier est la création de l’instance unique de représentation. Sur ce point crucial, nous vous remercions, madame la ministre, d’avoir tenu !

Croyez-moi, ce propos remonte du terrain, de la part de tous ceux qui s’intéressent au monde de l’entreprise. Ce n’est ni une remise en cause des acquis sociaux ni une atteinte à l’action des délégués du personnel ou des délégués syndicaux. C’est tout simplement une simplification pleine de bon sens, d’autant plus que la commission mixte paritaire a ouvert la possibilité à ces instances de créer des commissions spécifiques.

Ce sera l’occasion de travailler au sein des entreprises sur les sujets essentiels, tels que les conditions de travail. C’est parce qu’elle prend en compte les préoccupations de ses collaborateurs qu’une entreprise peut être performante. C’est un facteur de gain de compétitivité essentiel ; et il n’y en a pas beaucoup pour nos entreprises, dont les charges sociales sont trop élevées dans ce pays.

Le deuxième point important est le recours à la consultation.

Cette possibilité offerte pour valider un accord, c’est le référendum d’entreprise, sur l’initiative des salariés, d’un syndicat représentatif ou de l’employeur. C’est une véritable avancée qui responsabilise les entreprises dans leurs choix d’adaptation fonctionnelle aux carnets de commandes.

Ces trois dispositions cumulées – l’instance unique, l’adaptation au marché et le barème pour les dommages-intérêts accordés par les prud’hommes – doivent permettre aux chefs de petites entreprises de ne plus refuser ces marchés ou de ne plus refuser d’embaucher. La balle sera dans leur camp.

Ces contraintes pourront être bien allégées, madame la ministre, si vos ordonnances sont lisibles et correctement interprétées par les responsables.

Un dernier point me paraît essentiel : l’approche numérique à partir du télétravail, comme l’a souligné le docteur Milon, ou de la télémédecine du travail – un enjeu tout à fait intéressant ! – qui doivent permettre de proposer aux entreprises les services du XXIe siècle.

Mais attention, madame la ministre, aux fractures territoriales ! (Mme la ministre opine.) Tous les territoires ne disposent pas du même débit nécessaire à la bonne marche de nos entreprises.

Les propositions gouvernementales d’« un bon débit pour tous » dès 2020 (Mme Nicole Bricq s’exclame.) ne répondent pas suffisamment à ces objectifs sur le plan de l’égalité des territoires. Il s’agit certes d’une étape intermédiaire,…