M. le président. La parole est à M. le président de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées.

M. Christian Cambon, président de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, « on ne fait pas de politique autrement que sur des réalités. Bien entendu, on peut sauter sur sa chaise comme un cabri, en disant : “L’Europe ! L’Europe ! L’Europe !” mais ça n’aboutit à rien […] ; il faut prendre les choses comme elles sont. » (Sourires sur diverses travées.) Cette célèbre saillie du général de Gaulle nous rappelle à la réalité.

La vision de l’Union européenne que nous a livrée le Président de la République dessine à l’évidence un bel idéal, un idéal élevé, qui ne peut que résonner dans le cœur des Européens convaincus que nous sommes bien évidemment tous, mais qui nous semble parfois éloigné, très éloigné, de la réalité que nous vivons. La sécurité et la défense en fournissent un bel exemple.

Dieu sait si nous profitons pourtant d’un exceptionnel alignement des planètes : l’opinion, dans la crainte d’une montée du terrorisme à nos frontières, est en attente d’initiatives fortes – cela n’a pas toujours été le cas –, la Commission européenne a pris des positions inédites dans le domaine de la défense et la nouvelle administration américaine s’est déclarée en faveur d’un pilier européen robuste de l’Alliance atlantique qui se prendrait en main ; tout cela irait donc plutôt dans le bon sens. Prenons garde néanmoins de ne pas susciter d’attentes trop élevées, qui seraient forcément déçues.

Alors même que le danger est à nos portes – nous le savons bien –, la défense de l’Europe, c’est-à-dire la défense du continent européen assumée collectivement par les Européens, n’est pas pour demain, ni même, disons-le tout net, pour après-demain.

Cela ne doit bien sûr pas empêcher la France d’être un moteur, car, je le répète, il y a aujourd’hui une conjonction astrale jamais observée jusqu’à présent ; il convient d’en profiter. La France est évidemment le pays membre de l’Union européenne le mieux à même de porter la vision politique d’une Europe de la défense, nous qui avons la première armée en Europe, qui avons cette culture de l’indépendance stratégique et qui avons toujours pensé la politique européenne de défense comme un complément de l’OTAN.

Des avancées importantes sont là aujourd’hui, avec la coopération structurée permanente et le Fonds européen de défense.

La coopération structurée permanente, issue du traité de Lisbonne, a fait des progrès auxquels la France et l’Allemagne sont loin d’être étrangères. Le conseil franco-allemand de défense et de sécurité du 13 juillet dernier laisse espérer des résultats opérationnels avant la fin de cette année, dans une démarche inclusive que le Sénat a toujours soutenue.

De même, le Fonds européen de défense se met en place, avec notamment le volet « recherche », depuis avril 2017, et le lancement de l’action préparatoire, et avec le volet « capacités », amorcé par l’annonce de la création en juin dernier d’un programme européen de développement de l’industrie de défense.

Il s’agit d’un programme pilote pour la période 2019-2020 qui vise à soutenir les programmes capacitaires collaboratifs à hauteur de 500 millions d’euros par an pour les deux premières années, avec la possibilité de monter à un milliard d’euros pour les années suivantes. Nombre d’obstacles demeurent pour sa concrétisation au cours de la période 2017-2021 ; il faudra bien sûr passer les élections européennes de juin 2019, il sera nécessaire que se mette en place une nouvelle commission européenne reprenant à son compte cette belle ambition dans le cadre d’un budget qui sera, on peut l’imaginer, en contraction, et il faudra aussi trouver une majorité qualifiée au Parlement européen sur des sujets qui ne vont pas de soi pour de nombreux députés européens.

L’Europe de la défense doit également reposer sur un pilier capacitaire, c’est-à-dire sur des projets concrets d’équipement, menés en coopération industrielle et financière avec nos partenaires membres de l’Union. Ces projets ont bien sûr vocation à recevoir le soutien du nouveau Fonds européen de défense, en cours de mise en place.

L’enjeu est non seulement de rendre crédible l’avenir de notre défense commune, mais aussi d’entretenir et de développer notre base industrielle et technologique en la matière, gage à la fois d’autonomie stratégique et de développement économique.

Il serait bien que les Européens prennent par exemple l’habitude de concevoir, de développer et d’acheter des équipements militaires issus de l’industrie européenne.

M. Jean Bizet, président de la commission des affaires européennes. Ce serait mieux, en effet !

M. Christian Cambon, président de la commission des affaires étrangères. L’exemple récent d’un marché d’hélicoptères en Pologne montre qu’il y a encore quelques marges de progression en la matière…

M. André Reichardt. Très bien !

M. Christian Cambon, président de la commission des affaires étrangères. De ce point de vue, je donne acte au Gouvernement des récentes initiatives importantes prises par la coopération franco-allemande, en particulier pour le programme Eurodrone, pour le prochain standard de l’hélicoptère Tigre, pour les nouvelles générations de système de combat terrestre et de patrouille maritime, ou encore pour l’espace et pour la cyberdéfense. Il faut également saluer ici la consolidation du secteur de l’armement terrestre avec le groupe KNDS.

Les initiatives décidées le mois dernier avec l’Italie, notamment dans les domaines des missiles ou du spatial, constituent un autre bon signal. On demeure toutefois en attente des résultats que pourra produire l’accord de principe, trouvé à l’occasion du déblocage du dossier STX, sur la perspective d’un partenariat structurant dans le secteur naval entre Naval Group et Fincantieri ; nombre de défis industriels et stratégiques restent à l’évidence à relever, madame la ministre.

Tout cela n’est pas rien, mais nous sommes encore bien loin de pouvoir doter l’Union européenne, d’après les mots du Président de la République, « d’une force commune d’intervention, d’un budget de défense commun et d’une doctrine commune pour agir » !

En effet, en vérité, chacun le sait bien, la politique d’emploi des forces de la France, notamment sa capacité de projection en opérations au-delà de ses frontières, est une singularité au sein de l’Union. Pourtant, au Sahel, c’est bien la sécurité des Européens dans leur intégralité, au flanc sud de l’Union, que nous, Français, assurons !

Le seul État membre qui partageait notre culture stratégique, le Royaume-Uni, est en passe de nous quitter. Je veux dire ici notre souhait que le partenariat fort qui nous lie dans la défense, avec les accords de Lancaster House, soit poursuivi et approfondi. La France a une responsabilité particulière pour arrimer les Britanniques à la sécurité du continent européen. Les propositions du gouvernement de Mme Theresa May sur le partenariat « sans condition » avec l’Union européenne en matière de sécurité et de défense sont très encourageantes, mais quel paradoxe, mes chers collègues : les Britanniques vont garder l’Europe politique, qu’ils ont tant décriée quand ils étaient au sein de l’Union, alors qu’ils vont quitter le marché unique…

Madame la ministre, pour conclure sur une note positive, je voudrais me féliciter que la refondation du projet européen soit au cœur des priorités du Président de la République et du Gouvernement.

M. Jean Bizet, président de la commission des affaires européennes. Très juste !

M. Christian Cambon, président de la commission des affaires étrangères. Le groupe de suivi du Sénat sur le Brexit, que Jean Bizet vient d’évoquer, a diagnostiqué le fort risque déconstructeur pour l’Union européenne de la sortie du Royaume-Uni. La diffraction de l’Europe est un non-sens géostratégique total à l’heure des pays-continents et aura des conséquences lourdes si on ne relance pas le projet européen.

La commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées vous rejoint sur ce point : la priorité, c’est évidemment l’avenir de l’Union à vingt-sept. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, du groupe Union Centriste et du groupe République et Territoires / Les Indépendants, ainsi que sur des travées du groupe La République en marche et du groupe socialiste et républicain.)

M. Jean Bizet, président de la commission des affaires européennes. Très bien !

M. le président. La parole est à M. le président de la commission des finances.

M. Vincent Éblé, président de la commission des finances. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, en septembre dernier, le Président de la République et le président de la Commission européenne ont chacun lancé un appel en faveur d’une Union européenne plus forte. Or une Union plus forte, ainsi que l’a exprimé M. le ministre de l’Europe et des affaires étrangères, passe par une Europe qui soit une véritable puissance économique et financière ; une Union plus forte suppose une Union économique, monétaire et financière plus forte.

Le Brexit nous pousse à faire de l’Europe continentale un centre financier majeur pouvant s’appuyer sur une union des marchés de capitaux. La France doit tirer son épingle du jeu dans la réorganisation en cours, et il est positif que le Gouvernement ne remette pas en cause les mesures prises par le gouvernement précédent pour améliorer la compétitivité de la place de Paris, et qu’il reprenne même dans le projet de loi de finances des mesures proposées par la commission des finances du Sénat et par son rapporteur général, notre collègue M. de Montgolfier.

L’avenir de l’Union suppose également de consolider la zone euro. De nombreuses mesures ont été adoptées ces dix dernières années pour répondre aux situations d’urgence rencontrées lors de la crise.

Aujourd’hui, le débat sur l’avenir de la zone euro est intense, mais surtout institutionnel. Les propositions ne manquent pas : ministre des finances de la zone euro, budget propre, Fonds monétaire européen, Trésor de la zone euro, Parlement de la zone euro… Il s’agit là de sujets importants et qui soulèvent des questions juridiques, comme l’ont illustré les auditions que nous avons organisées sur ce thème en juillet dernier.

Toutefois, ce débat institutionnel ne doit pas nous éloigner de la question essentielle : la zone euro serait-elle aujourd’hui en mesure de faire face à une nouvelle crise d’une ampleur comparable ou supérieure à celle de 2008 ? Et, parmi les réformes proposées, lesquelles sont les mieux à même de protéger les citoyens européens ?

L’architecture et le fonctionnement de la zone euro demeurent vulnérables. Si les mesures de la Banque centrale européenne sont efficaces, les gouvernements ne pourront pas se reposer indéfiniment sur son action.

La décision du peuple britannique de sortir de l’Union européenne et les négociations sur le Brexit ne doivent pas nous conduire à remettre à plus tard la réforme de la zone euro. Au contraire, il s’agit d’une raison supplémentaire pour avancer rapidement.

À cet égard, quatre ensembles de mesures revêtent une importance particulière pour l’avenir de l’Union économique et monétaire.

Premièrement, avec l’Union bancaire et la prise en charge des risques rencontrés par les systèmes bancaires nationaux, nous vivons un test grandeur nature de la capacité des États à gérer ensemble les risques en partageant leur souveraineté. Le test n’est pas encore concluant puisque les discussions sur le mécanisme européen de garantie des dépôts bancaires et le Fonds de résolution unique sont bloquées, et vous nous direz si vous pensez que la nouvelle feuille de route présentée par la Commission européenne sera de nature à faire avancer les choses.

Deuxièmement, le mécanisme européen de stabilité doit être renforcé pour répondre aux crises pouvant affecter la stabilité de la zone euro. Toutefois, il ne pourra pas devenir un véritable fonds monétaire européen, prêteur en dernier ressort des États membres, sans une réflexion préalable sur son contrôle démocratique par les parlements nationaux.

Troisièmement, il manque aujourd’hui un mécanisme de stabilisation budgétaire en cas de choc macroéconomique affectant la zone euro, notamment dans des circonstances où la politique monétaire atteindrait ses limites. Que ce mécanisme prenne la forme d’un budget d’investissement de la zone euro ou d’une ligne budgétaire dédiée à la zone euro au sein du budget de l’Union, sa mise en œuvre aura des conséquences sur nos systèmes fiscaux, en partageant des ressources ou en en levant de nouvelles. Là encore, nous touchons à l’essence de la souveraineté des États.

À ce sujet, la proposition du président de la Commission européenne d’introduire le vote à la majorité qualifiée en matière de fiscalité soulève une question cruciale : alors que la concurrence fiscale s’attise, quels États seraient prêts à renoncer à leur droit de veto sur la fiscalité ? La réussite de plusieurs chantiers ambitieux initiés par la Commission européenne dépend de la réponse à cette question.

Enfin, la définition d’une politique économique européenne et un pilotage cohérent au niveau de la zone euro supposent une plus grande convergence des économies des États membres.

Les règles de surveillance budgétaire sont particulièrement complexes et sujettes à interprétation. Le débat actuel sur la flexibilité du pacte de stabilité et de croissance en est un exemple éloquent. A minima, une clarification des règles de surveillance budgétaire et de leurs objectifs serait donc la bienvenue.

S’agissant des réformes structurelles, les recommandations adressées chaque année aux États membres par leurs pairs réunis au sein du Conseil ne deviennent pas des éléments des débats publics nationaux.

La procédure est « hors sol » : elle manque probablement d’ancrages démocratiques, là encore, dans les institutions nationales.

Madame la ministre, mes chers collègues, en définitive, la mise en œuvre des mesures nécessaires pour rendre la zone euro plus solide suppose une volonté politique forte et une confiance mutuelle entre États membres. Pour reprendre les mots de Jean Monnet, « il n’y a pas d’idées prématurées, il y a des moments opportuns qu’il faut savoir attendre. » Près de dix ans après le déclenchement de la crise économique et financière et alors que le Conseil européen est appelé à statuer sur l’avenir de l’Union d’ici à mars 2019, le moment est certainement venu d’agir. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain et du groupe La République en marche, ainsi que sur des travées du groupe Les Républicains.)

M. le président. La parole est à Mme la ministre.

Mme Nathalie Loiseau, ministre auprès du ministre de l'Europe et des affaires étrangères, chargée des affaires européennes. Monsieur le président, monsieur le président de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, monsieur le président de la commission des finances, monsieur le président de la commission des affaires européennes, mesdames, messieurs les sénateurs, je tiens à vous remercier de ce débat, qui a permis une expression à la fois complète et marquée presque toujours de cette sagesse qui caractérise vos travaux.

J’appuie la suggestion du sénateur Gattolin de faire de ce débat un rendez-vous annuel, et je sais pouvoir parler aussi au nom de Jean-Yves Le Drian.

Je vais revenir sur certains des sujets que vous avez soulevés, mais je crains de ne pouvoir tout traiter dans le temps qui m’est imparti. Je resterai évidemment à la disposition des membres du Sénat, comme je le suis depuis ma nomination, et tout particulièrement – quoique sans exclusive – de ceux de la commission des affaires européennes, dont je veux saluer ici l’implication et le travail.

Mesdames, messieurs les sénateurs, certains d’entre vous ont exprimé, sur l’Union européenne comme elle fonctionne ou comme les autorités françaises souhaiteraient qu’elle soit refondée, des encouragements, parfois des critiques. Soyez-en remerciés dans les deux cas, car certaines critiques sont, à l’évidence, légitimes. Oui, l’Union européenne aujourd’hui est parfois trop bureaucratique et trop peu démocratique, M. Guillaume a raison. Ces critiques doivent être entendues et prises en compte dans les efforts que nous déployons pour une refondation ambitieuse de l’Europe.

En revanche, je veux réaffirmer avec force que le Gouvernement a fait le choix de porter, comme l’a fait le Président de la République, une ambition forte pour l’Europe, car c’est en refondant l’Europe que nous retrouverons, en la partageant, notre pleine souveraineté. C’est à l’échelle de l’Europe que nous serons les mieux armés pour relever les défis des migrations, des mutations technologiques, du dérèglement climatique, du terrorisme, que nous pourrons pleinement protéger nos industries et nos emplois de ceux qui faussent les règles du jeu du commerce international, qu’il s’agisse des biens ou des investissements.

C’est par une convergence renforcée par le haut de nos économies, notamment, mais pas seulement, au sein de la zone euro, dont vous avez justement appelé de vos vœux la nécessaire réforme, monsieur le président Éblé, que nous tirerons pleinement profit du marché unique. Soyez assurés que nous défendrons l’agenda de protection que nous avons exposé à nos partenaires.

Le Gouvernement est pleinement mobilisé pour modifier la directive sur les travailleurs détachés et la partie du règlement sur la sécurité sociale qui en traite. Les négociations sont en cours pour empêcher les fraudes et le dumping social. Nous sommes aujourd'hui en situation d’empêcher l’adoption de textes insuffisamment ambitieux. Nous travaillons maintenant à rassembler une majorité qualifiée, monsieur Bonnecarrère, puisque l’unanimité, qui est sans doute hors d’atteinte, n’est pas nécessaire. Les ministres du travail essaieront de parvenir à un accord au Conseil du 23 octobre. Soyez en tous cas assurés de la détermination du Gouvernement : j’ai évoqué ces sujets en Pologne la semaine dernière ; je le ferai de nouveau dès demain en Hongrie.

M. Jean-Yves Le Drian vous a présenté les lignes de force du discours du Président de la République à la Sorbonne le 26 septembre dernier. Une dynamique s’est mise en place, un « élan », comme l’a qualifiée M. Requier. L’appel lancé par le Président de la République a eu un écho très important dans les opinions publiques, comme auprès des membres du Conseil européen qu’il a rencontrés le 28 septembre. Nous devons le faire vivre et en conserver l’ambition : rien ne serait pire que de nous contenter d’un catalogue de mesures qui tendrait à se réduire progressivement. C’est pour cela qu’il était essentiel qu’à Tallinn les chefs d’État et de gouvernement s’accordent sur la nécessité de refonder l’Europe, ce qu’ils ont fait.

C’est pour cela que nous devions démontrer que ce n’était pas une préoccupation française, mais une cause européenne : le fait que le président du Conseil européen, M. Tusk, ait été mandaté pour présenter, dans les prochains jours, une feuille de route européenne qui a vocation à partager notre vision est fondamental et répond à ceux qui essayaient d’opposer notre approche et l’approche communautaire. Donald Tusk était d'ailleurs à Paris ce midi pour en débattre avec le Président de la République.

Vous avez évoqué, monsieur Gattolin, une « méthode Macron », fondée à la fois sur la volonté et parfois sur l’audace. C’est indiscutable, mais cette méthode fait aussi toute sa place au dialogue avec tous nos partenaires, et bien entendu d’abord avec l’Allemagne. Oui, nos objectifs sont ambitieux, y compris dans le domaine de la défense, monsieur le président Cambon, et oui, sans doute, ils ne pourront pas tous être atteints tout de suite à vingt-sept. Ceux qui veulent aller plus loin, plus vite, doivent pouvoir le faire sans en être empêchés. Mais les travaux que nous préparons sont ouverts à tous, avec pour seul critère un niveau d’ambition partagée. Tous les États qui adhèrent à cette volonté pourront participer au « groupe de la refondation européenne», avec, bien entendu, les institutions européennes.

D’ici à l’été 2018, ce groupe travaillera pour préciser et proposer les mesures qui traduiront concrètement cette ambition. Il devra notamment déterminer, pour chaque politique et sans tabou, compte tenu des percées qu’un nombre significatif d’États envisagent, s’il est possible d’avancer à vingt-sept, si un changement de traité est nécessaire, M. Requier a raison de le souligner, si, à traité constant, une coopération renforcée peut être utilisée, ou la coopération structurée permanente dans le domaine de la défense, ou s’il faut envisager des coopérations intergouvernementales dans un premier temps.

Tous ces instruments existent et ont été utilisés, vous avez eu raison de le rappeler, monsieur le président Bizet, comme pour Schengen ou encore pour le traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance. Nous voulons le faire dans un esprit résolument européen, en donnant envie à tous nos partenaires d’avancer. Résumer notre démarche à une progression vers une Europe fédérale, monsieur Reichardt, ne me paraît pas faire totalement justice à la qualité et à l’originalité du projet que nous portons.

En parallèle, nous devons aussi préserver le fondement de ce que nous partagerons toujours à vingt-huit, demain à vingt-sept, je pense bien entendu au marché unique, mais aussi à l’État de droit, monsieur Ouzoulias. Dans une Europe refondée, nous devrons nous assurer de disposer d’instruments plus efficaces pour garantir son respect au sein de l’Union européenne elle-même, en veillant à ce que la cohésion de notre union soit autant une cohésion démocratique, qu’économique ou budgétaire.

Je souhaite revenir sur les conventions démocratiques dont de nombreux orateurs ont, à juste titre, souligné l’importance, je pense à M. Gattolin, Mme Mélot, M. Bonnecarrère – pardon à ceux que j’oublie –, car ces conventions joueront un rôle essentiel pour que la refondation de l’Europe que nous appelons de nos vœux puisse voir le jour.

Soyons clairs, nous ne pourrions atteindre nos objectifs, et plusieurs d’entre vous ont relevé qu’ils étaient ambitieux, s’ils ne suscitaient que l’indifférence des Européens et d’abord, en ce qui nous concerne, des Français. Il serait absurde de vouloir refonder l’Europe sans eux ou en se contentant de leur demander d’exprimer un avis par une procédure simpliste de « oui ou non », à l’issue d’un long processus de négociation. Au contraire, nous voulons donner la parole aux Français et, partout, aux Européens ; les écouter et leur offrir l’occasion de dire là où l’Europe répond à leurs attentes, là où elle les déçoit, là où elle manque d’ambition et ce qu’ils voudraient qu’elle puisse faire pour eux, parfois là où elle devrait intervenir moins.

M. Jean-Yves Le Drian vous a présenté les grandes lignes du dispositif : des débats publics, physiquement comme en ligne, dans les institutions, mais aussi dans les universités, les lieux de culture, les entreprises, les associations et avec tous ceux, des amoureux transis de l’Europe aux opposants les plus déterminés, qui voudront s’exprimer, car l’Europe nous concerne tous. J’insiste sur la nécessité de donner la parole à tous nos concitoyens et pas uniquement aux habitants de Paris et des grandes villes. Nous voulons entendre les Français au plus près des territoires, en mobilisant les acteurs de terrain : élus, en particulier de cette assemblée, élus locaux, chefs d’entreprise, responsables syndicaux, membres du secteur associatif. Nous voulons faire tout cela au cours du premier semestre 2018, avec les pays qui le souhaiteront, en trouvant le bon équilibre entre le partage de principes et de moyens d’action communs et une dose nécessaire de flexibilité pour chaque État membre.

Vous avez évoqué, messieurs les présidents Cambon et Bizet, l’importance du Brexit, et je salue le rôle joué par le groupe de suivi mis en place par vos deux commissions.

S’agissant particulièrement des questions de défense, M. Jean-Yves Le Drian a souligné notre détermination à poursuivre nos relations étroites avec le Royaume-Uni, notamment dans le cadre auquel nous sommes très attachés des traités de Lancaster House. Mais il a rappelé aussi la nécessité de respecter strictement les principes que nous nous sommes donnés à vingt-sept, particulièrement l’unité du canal de négociation – j’en profite pour saluer, comme l’a fait le président Bizet, le travail difficile que réalise Michel Barnier – et la nécessité que des « progrès satisfaisants » soient enregistrés sur les trois sujets prioritaires définis par le Conseil européen – droits des citoyens, frontières, règlement financier –, avant d’élargir le champ des discussions et d’évoquer nos relations futures ou, ce qui est lié, une éventuelle période transitoire.

Le discours de Mme May à Florence a présenté des avancées sur ce dernier aspect, mais elles ne se sont pas encore traduites par des progrès dans la négociation des trois priorités, notamment sur le règlement financier. J’ajoute que cela ne veut pas dire qu’à titre national nous restions inertes, bien au contraire, car de nombreux secteurs sont sensibles. Vous avez évoqué la défense, il y en a beaucoup d’autres : la pêche, par exemple. Nous nous préparons donc et nous serons prêts le jour où la négociation du futur accord s’engagera.

Je voudrais maintenant répondre brièvement à quelques-unes des interventions qui ont concerné des sujets plus sectoriels.

Mme Mélot et le président Bizet ont cité Erasmus. Oui, Erasmus est l’un des succès européens les plus marquants parce qu’il a changé la vie quotidienne des jeunes Européens, pour l’instant essentiellement des étudiants. Nous voulons en effet aller plus loin : Erasmus doit être généralisé pour les étudiants, mais aussi pour les apprentis, qui sont encore trop peu nombreux à en bénéficier. Plus largement, nous voulons qu’en 2024 la moitié d’une classe d’âge d’Européens ait passé au moins six mois dans un autre pays que le sien avant ses vingt-cinq ans. Cela passe aussi par un « processus de la Sorbonne » pour que les jeunes puissent passer d’un système d’enseignement secondaire à un autre. Sur l’Erasmus des représentations nationales, M. Gattolin me permettra de ne pas me prononcer et de respecter ainsi scrupuleusement la séparation des pouvoirs.

Mesdames, messieurs les sénateurs, je tiens à vous remercier du grand honneur que vous m’avez fait en me donnant cette opportunité de m’adresser à vous cet après-midi, ici, devant le drapeau tricolore et devant le drapeau européen.

M. Jean Bizet, président de la commission des affaires européennes. Très bien !

Mme Nathalie Loiseau, ministre. Le Gouvernement sait pouvoir compter sur le Sénat et sur les sénateurs pour donner corps, au quotidien et au plus près des territoires, à ce débat indispensable sur l’Europe.

Je veux enfin vous dire toute la fierté que je ressens, en tant que ministre et en tant qu’Européenne convaincue, à constater que la France porte de nouveau le débat sur l’Europe et qu’elle est de nouveau au cœur du débat européen. Notre place n’est nulle part ailleurs ! (Applaudissements sur des travées du groupe La République en marche, du groupe socialiste et républicain, du RDSE, du groupe République et Territoires / Les Indépendants, du groupe Union Centriste et du groupe Les Républicains.)