M. le président. La parole est à M. Pierre Laurent.

M. Pierre Laurent. Je vous ai écouté attentivement, monsieur le secrétaire d’État, mais vous ne m’avez en effet absolument pas convaincu et je n’ai rien entendu qui puisse me rassurer ou convaincre des acteurs attachés à la transition écologique. Ce projet est un non-sens de ce point de vue. Il causera des nuisances extraordinaires, il sera déséquilibré et l’investissement réalisé est démesuré et contraire à l’intérêt général.

J’y insiste, ce projet reste une insulte – je pèse mes mots – à la dignité des habitants de Seine-Saint-Denis, de Seine-et-Marne et du nord de Paris, qui verront cette ligne passer sous leurs yeux sans pouvoir y accéder. C’est même le cas des salariés très nombreux – plusieurs dizaines de milliers – de la plateforme aéroportuaire. Il est temps d’arrêter ce type d’aménagement qui ne bénéficie qu’à un très petit nombre d’usagers au détriment de l’immense majorité de ceux qui ont besoin d’une amélioration des transports.

Il faut un autre projet : donner les moyens d’une forte accélération des investissements pour les lignes de RER et, plus particulièrement, pour la ligne B, qui dessert notamment l’aéroport de Roissy-Charles-de-Gaulle. Ces investissements pourraient être financés via la création d’une recette dédiée, comme une augmentation de la taxe locale sur les bureaux, que nous proposons.

Par ailleurs, l’une des solutions efficaces et à court terme qui permettrait de désengorger le réseau et, notamment, la ligne B serait d’augmenter la fréquence de la ligne K, ce qui requiert des moyens. Dans le même esprit, il faudrait installer un véritable atelier de maintenance du matériel roulant à Mitry-Mory.

À plus long terme, il faudrait doubler le tunnel entre les stations Châtelet et Gare du Nord, ce qui permettrait d’absorber deux fois plus de trafic pour les RER B et D, et réaliser le bouclage du RER B entre Mitry-Claye et l’aéroport. Voilà un investissement beaucoup plus efficace ! Investir dans du matériel roulant neuf, comme cela a été fait sur d’autres lignes, ne serait sans doute pas de trop.

Je vous encourage donc une nouvelle fois à suivre ces pistes plutôt que de vous entêter dans un projet contraire à l’intérêt général du point de vue tant financier qu’écologique. Vous nous avez dit que les deniers publics ne seraient pas utilisés, mais, quand la ligne sera déficitaire – tout le monde sait qu’elle le sera –, à qui demandera-t-on alors d’éponger le déficit ? Aux deniers publics et aux usagers !

M. le président. Nous en avons terminé avec les réponses à des questions orales.

Mes chers collègues, l’ordre du jour de ce matin étant épuisé, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à quatorze heures trente.

La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à douze heures trente, est reprise à quatorze heures trente-cinq, sous la présidence de M. Gérard Larcher.)

PRÉSIDENCE DE M. Gérard Larcher

M. le président. La séance est reprise.

4

Revue stratégique de défense et de sécurité nationale

Débat organisé à la demande de la commission des affaires étrangères

M. le président. L’ordre du jour appelle le débat, organisé à la demande de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, sur la revue stratégique de défense et de sécurité nationale.

Pour ce débat, la conférence des présidents a retenu une nouvelle organisation, plus interactive.

L’auteur du débat, en l’occurrence la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, disposera d’un temps de parole de dix minutes, y compris la réplique, puis le Gouvernement répondra pour une durée qui ne devra pas excéder dix minutes. Nous entamerons ensuite une séquence de questions-réponses. Chaque orateur disposera de deux minutes maximum, y compris la réplique, avec possibilité d’une réponse du Gouvernement pour une durée équivalente.

Dans le débat, la parole est à M. le président de la commission. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et du groupe Union Centriste, ainsi que sur des travées du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen et du groupe socialiste et républicain.)

M. Christian Cambon, président de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées. Monsieur le président, madame la ministre des armées, mes chers collègues, c’est avec gravité que nous abordons le débat de cet après-midi, dans un monde de plus en plus dangereux, où le terrorisme frappe à nos portes et où la guerre est à nouveau possible, du Moyen-Orient à l’Asie nucléarisée, mais aussi aux frontières de l’Europe, avec l’annexion de la Crimée.

Pourquoi une revue stratégique ? C’est notre commission, par la voix de mon prédécesseur, Jean-Pierre Raffarin, qui avait suggéré dès le mois de juin dernier au Président de la République et à vous-même, madame la ministre, la formule souple d’une revue stratégique plutôt qu’un Livre blanc, pour aller, sans perdre de temps, vers une nouvelle loi de programmation militaire. Au fond, la menace était connue : du terrorisme djihadiste asymétrique jusqu’aux stratégies de puissance dans le haut du spectre – les grandes puissances –, dans un environnement de plus en plus incertain et instable, nous assistions à une accélération de tendances déjà en germe dans le Livre blanc de 2013.

La revue remarquablement menée par le député européen Arnaud Danjean confirme pleinement notre analyse. Je voudrais lui rendre hommage personnellement, car il a accepté de consacrer ses compétences, son temps, voire ses vacances d’été, au service de ce devoir important. Il a su réunir autour de lui une équipe compétente et il nous livre aujourd’hui un diagnostic imparable.

Mettons de côté les deux composantes de la dissuasion, que le Président de la République lui-même, dans sa lettre de mission, indiquait vouloir maintenir et qui sont donc hors du champ du débat. La commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées souscrit à cette approche, comme nous l’avons dit dans notre rapport d’information de juin dernier sur la modernisation des forces nucléaires.

Ce qui est frappant, c’est évidemment le décalage, le hiatus, pour ne pas dire la contradiction manifeste entre l’aggravation de la menace décrite par la revue stratégique et l’état de nos armées, aujourd’hui saturées d’engagements – je rappelle que plus de 30 000 hommes sont actuellement en opérations intérieures et extérieures – et fragilisées par une décennie d’éreintement et de sous-investissement. Nous en sommes tous responsables !

La description de la menace est saisissante à la lecture de la revue.

Le durcissement des engagements est vécu chaque jour par nos soldats confrontés, au Mali, en moyenne, à un engin explosif improvisé par jour ou, en République centrafricaine, à des scènes dépassant l’horreur.

Une attaque nucléaire n’est plus, aujourd’hui, impensable. Les crises sont dispersées, depuis les immensités sahéliennes jusqu’à la mer de Chine méridionale et même à l’espace extra-atmosphérique.

L’incertitude, la confusion, les menaces hybrides, les postures d’ambiguïté stratégique sèment le doute partout, répandant ce « brouillard de la guerre », parfois jusqu’au cœur de nos alliances. La menace se numérise : cyberattaques sur nos économies et sur nos systèmes politiques, guerre informationnelle et bataille de la communication.

Nos engagements, enfin, sont écartelés entre un temps politique précipité par la pression médiatique et un temps des opérations, lequel se compte en années, voire en dizaine d’années.

Si la revue n’adopte pas d’approche géographique, une priorité euro-méditerranéo-sahélienne se dessine toutefois, avec une attention particulière portée à notre voisinage immédiat, en particulier à la rive sud de la Méditerranée. Nous y souscrivons pleinement : le danger n’est pas loin. Que se passerait-il si un pays à nos rives était déstabilisé ? Cette revue stratégique doit nous inciter à y réfléchir plus activement.

Forts de ce constat, c’est maintenant vers l’étape d’après que nous devons nous tourner : la préparation de la loi de programmation militaire. Or l’état des armées offre, en comparaison, un singulier contraste. Le maintien d’un modèle d’armée complet et équilibré, prôné par la revue, implique, il faut le mesurer pleinement, un considérable effort sur les moyens, car le modèle est bon, mais il est exsangue !

Trente capacités sont nécessaires pour assumer les cinq fonctions stratégiques. Le maintien de certaines d’entre elles est un défi, la revue le dit sans détour : entrer sur le champ de bataille en premier et durer, en particulier. Entrer en premier sur un théâtre d’opérations, c’est pouvoir agir seul, contre tout type d’ennemi, c’est avoir la capacité d’agréger des alliés, c’est conserver son autonomie stratégique. Cela implique non seulement de combler nos lacunes capacitaires bien connues – moyens de surveillance, ravitailleurs, hélicoptères, moyens de transport stratégique… –, mais aussi de mener une action réparatrice de régénération du potentiel et d’intégration de l’innovation pour conserver notre ascendant sur l’ennemi.

Durer, c’est avoir suffisamment de masse, de chair, pour pouvoir tenir. Or les faits sont têtus.

Nos forces armées ont perdu, entre 2008 et 2015, 50 000 effectifs ; la force opérationnelle de l’armée de terre entrerait tout entière dans le Stade de France, elle compte moins d’effectifs que la RATP !

Les véhicules de l’avant blindé ont quarante ans ; il faudra attendre 2028 pour doter tous les fantassins de leur nouveau fusil d’assaut ; quant au pistolet automatique de l’armée de terre, il a soixante ans.

Parmi les pilotes d’hélicoptères de l’ALAT, 20 % d’entre eux ne sont pas aptes aux « missions de guerre », faute d’heures de vol.

Le format de la marine nationale a fondu ; le programme de frégates multi-missions n’atteindra même pas la moitié de sa cible initiale. Pendant ce temps, la Chine produit chaque année l’équivalent du quart de la marine française. Les pétroliers ravitailleurs, d’âge canonique, ne sont pas aux normes environnementales, les patrouilleurs outre-mer, désarmés, ne sont pas remplacés et les hélicoptères Alouette volaient déjà à l’époque de Fantômas !

Les vingt avions de combat de l’armée de l’air engagés en opérations consomment à eux seuls le potentiel de cinquante appareils en pièces détachées. Les ravitailleurs de l’armée de l’air, qui servent à la dissuasion nucléaire, ont cinquante-cinq ans. Mes chers collègues, c’est comme si nous voyagions toujours en Caravelle quand nous prenons l’avion !

Tout cela démontre l’ampleur du besoin de régénération, de réparation et de modernisation.

Je n’évoque pas le secteur sinistré qu’est le soutien, l’éternel sacrifié, ou l’état déplorable du parc immobilier de la défense. Après avoir bradé l’hôtel de l’Artillerie à Sciences Po ou l’îlot Saint-Germain à la Ville de Paris, mieux vaudrait conserver le Val-de-Grâce pour loger les soldats de Sentinelle.

M. Gilbert Bouchet. C’est vrai !

M. Dominique de Legge. Nous l’avons demandé !

M. Christian Cambon, président de la commission des affaires étrangères. Il manque 400 logements pour les militaires en région parisienne. La proportion de logements sociaux destinés aux militaires doit d’ailleurs être augmentée dans l’îlot Saint-Germain : cinquante sur un total de deux cent cinquante, ce n’est évidemment pas assez ! Nous en espérons plus dans votre plan Famille.

Pourtant, nos armées gagnent, elles sont respectées. C’est grâce aux hommes et aux femmes qui y servent ! Je salue ici solennellement, en notre nom à tous, leur valeur et leur force morale. C’est leur courage, c’est leur compétence qui font la différence dans l’affrontement des volontés que constitue la guerre. Je salue également l’effort et les sacrifices consentis par leurs familles.

Dans ce contexte, la remontée en puissance des moyens est indispensable. C’est tout l’enjeu de la prochaine loi de programmation militaire.

Le Sénat avait chiffré en juin dernier à 2 milliards d’euros et 4 500 recrutements l’effort supplémentaire nécessaire chaque année à partir de 2018. Nous n’y sommes pas, même si – j’en donne volontiers acte au Gouvernement – l’inflexion positive, pluriannuelle, clairement affichée, nous permet enfin de sortir d’une décennie de déconstruction. Mais quel paradoxe ! On nous fait miroiter une magnifique remontée en puissance, il ne s’agira en fait que d’une « simple » consolidation. Pourquoi ?

Tout d’abord, parce qu’il faut payer les ardoises du passé. Les impasses se chiffrent en milliards d’euros pour les recrutements Sentinelle non financés, sans parler des conséquences de la régulation budgétaire de 850 millions d’euros en 2017, qui sera évidemment tout sauf indolore. Et ce n’est pas fini ! Quand les 700 millions d’euros restant seront-ils dégelés ? Qui va payer les 360 millions d’euros d’opérations restant à couvrir pour clore le budget de 2017 ?

Ensuite, parce que, sous couvert de vertu budgétaire, la loi de programmation des finances publiques organise un véritable transfert de charge vers la défense pour « neutraliser », voire « siphonner » la hausse des crédits annoncée courageusement par le Président de la République. Attention danger ! La « sincérisation des OPEX » – belle expression… – ou la résorption forcée de la « bosse budgétaire » sont en fait des outils pour vider de sa substance l’effort de défense annoncé par le Président de la République.

Or la défense, c’est aussi 200 000 emplois, de haute technologie et non délocalisables ; c’est le premier budget d’investissement de l’État ; ce sont des investissements de rupture et d’innovation, qui tirent toute l’économie ; c’est également 14 milliards d’euros d’exportations par an.

Nous ne sommes pas seulement confrontés à un enjeu de souveraineté, il s’agit aussi d’une question économique de premier plan, sans parler des dimensions sociale et territoriale, évidentes pour les élus que nous sommes. Les armées intègrent, forment et remettent sur le marché du travail des jeunes qui trouvent un emploi.

Madame la ministre, vous le voyez, il nous reste du travail. Après cette revue stratégique, les choses sérieuses commencent. Vous pouvez compter sur le Sénat, sur notre vigilance et notre combativité pour ne pas laisser les armées aux seules mains des comptables. Il faut reconstituer une force armée solide et apte à répondre fermement aux désordres du monde. La revue stratégique en démontre la nécessité, mais notre plus forte exigence reste la sécurité de la France ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et du groupe Union Centriste, ainsi que sur des travées du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen, du groupe La République En Marche et du groupe socialiste et républicain.)

M. le président. La parole est à Mme la ministre.

Mme Florence Parly, ministre des armées. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, dès son élection, le Président de la République a souhaité que soit menée une revue stratégique. Cette étude avait un objectif : produire une analyse fine et complète de la situation stratégique internationale et en tirer les conséquences pour notre défense. J’ai confié ce travail à un comité d’experts venus de toutes les disciplines et présidé par M. Danjean, qui a abouti à cette revue stratégique à la fois lucide et ambitieuse pour nos armées, fixant un cap clair et une vision pour la prochaine loi de programmation militaire.

Dans quelques instants, je répondrai aux questions que ce document pose sur notre environnement stratégique et l’avenir de notre défense. Je suis particulièrement heureuse de pouvoir le faire par ces échanges que vous avez voulus plus libres et plus francs et qui permettront d’aborder vos interrogations – celles de la représentation nationale – sans tabou ni fausse pudeur, ce qui est précisément l’objectif de la revue stratégique.

Ce travail était un exercice ambitieux. Il visait, bien sûr, à actualiser l’analyse menée dans le Livre blanc de 2013. Depuis quatre ans, le monde a sans doute changé plus vite et plus fortement que nous nous y attendions. Plus largement, cette revue a permis d’identifier les intérêts de la France dans un contexte particulièrement imprévisible et mouvant. Elle prépare l’avenir de notre défense, définit notre vision en France et en Europe et, enfin, établit les aptitudes requises pour atteindre notre ambition.

La revue stratégique fait d’abord un constat : aujourd’hui, la France est plus sollicitée et plus engagée qu’elle ne l’a été depuis longtemps. La menace du terrorisme djihadiste reste centrale pour notre sécurité. Nos ennemis ont changé d’organisation, de visages, de noms, mais ils sont encore plus violents et peut-être encore plus déterminés. Ne nous y trompons pas, la prise de Raqqa et la défaite, sans doute très proche, de Daech ne signifient pas la fin du terrorisme, de son idéologie et de sa barbarie.

À cette menace s’ajoute une instabilité croissante aux portes de l’Europe. J’ai à l’esprit les vulnérabilités persistantes dans le Sahel, la déstabilisation durable du Proche et du Moyen-Orient ou la crise migratoire, mais aussi des phénomènes plus larges qui nous touchent et qui appellent le monde entier à s’adapter : les risques pandémiques, les dérèglements climatiques, les trafics ou la criminalité organisée.

Face à ces menaces, la France répond fermement et chaque fois que c’est nécessaire. Elle est impliquée dans un grand nombre d’opérations, supérieur à nos prévisions. Nos armées sont très sollicitées, à l’extérieur comme sur le territoire national, avec pour conséquence une forte mise sous tension de nos capacités et de nos ressources.

La revue stratégique, ensuite, prend acte de ce que nous soupçonnions déjà : l’équilibre du monde tel que nous le connaissions à la sortie de la guerre froide est révolu. L’environnement stratégique est aujourd’hui articulé autour de multiples pôles dont les équilibres, les forces et les intentions sont changeants et parfois imprévisibles. Chaque État cherche à affirmer sa puissance, notamment militaire, et entre dans une logique de compétition pour l’accès aux ressources, pour le contrôle des espaces stratégiques et pour l’armement.

C’est l’objet d’un troisième constat dressé par la revue : nos forces sont plus contestées et nos ennemis plus équipés et mieux armés. La diffusion des technologies et la dissémination d’équipements conventionnels modernes ont permis à certains acteurs de détenir et de maîtriser des capacités qui, il y a peu, étaient seulement accessibles à certains États.

Les terrains de conflits évoluent eux aussi. À la terre, à la mer et aux airs, qui nous étaient familiers, s’ajoutent désormais l’espace et le cyberespace. Ceux-ci sont devenus des domaines d’affrontement à part entière, impliquant des acteurs parfois inconnus ou intraçables, dont les actes peuvent avoir des conséquences dramatiques sur notre sécurité et sur le quotidien de nos concitoyens.

Enfin – c’est le quatrième constat issu de la revue stratégique –, les nouvelles technologies ont radicalement changé nos forces et nos vulnérabilités. Elles représentent une opportunité formidable. L’intelligence artificielle, la robotique ou les biotechnologies déboucheront sans doute sur des applications militaires décisives. Cependant, la révolution technologique est aussi un enjeu, car nous devons la saisir pleinement, sous peine d’être dépassés. Enfin, elle peut également devenir une source de vulnérabilité. C’est pourquoi l’espace numérique, dans son ensemble, doit se trouver au centre de nos priorités.

Dans cet environnement stratégique à la fois instable et imprévisible, la France est et restera une puissance majeure. Elle continuera à intervenir partout où ses intérêts sont menacés. Sa voix sera entendue, écoutée et respectée.

Notre autonomie stratégique n’est pas négociable. Nous la consoliderons, notamment en renouvelant les deux composantes de la dissuasion nucléaire. Nous poursuivrons nos efforts en faveur du renseignement et nous renforcerons de front les cinq fonctions stratégiques : dissuasion, prévention, protection, intervention et connaissance et anticipation, en prêtant une attention particulière à la prévention des risques et des conflits.

L’assurance de notre autonomie stratégique passe également par un modèle d’armée complet et équilibré. C’est le gage de notre souveraineté comme de notre liberté. Nous devons être en mesure de détenir toutes les aptitudes et toutes les capacités pour répondre à toutes les menaces.

Nous protégerons et nous garantirons notre autonomie totale dans les domaines de la dissuasion, de la protection du territoire et de ses approches, du renseignement, du commandement des opérations, des opérations spéciales ou de l’espace numérique. Dans les autres champs, nous mènerons les partenariats et les coopérations nécessaires pour assurer la pleine capacité d’action de nos forces.

Nous assumerons pleinement notre dimension européenne. Nous avons tout intérêt à ce qu’une défense européenne puisse se construire autour d’intérêts partagés. La France, comme l’a indiqué le Président de la République à la Sorbonne le 26 septembre dernier, sera à l’initiative de cette dynamique. Nous avancerons avec ceux qui le peuvent et ceux qui le souhaitent. Nous assumerons également pleinement nos responsabilités au sein de l’OTAN et nous renforcerons nos partenariats bilatéraux partout dans le monde.

Quand je parle d’Europe, je pense aussi à notre industrie. Nous devons accompagner et encourager le développement d’une industrie européenne de défense solide et réputée. Plus largement, l’industrie et la recherche doivent être au fondement de notre stratégie. C’est un socle économique puissant, une garantie du succès de nos exportations comme de notre innovation.

L’innovation, justement, nous devons la prendre à bras-le-corps, en faire notre force et notre moteur. Je parle d’innovation technologique, de recherche, mais également de cet esprit d’innovation qui doit guider toutes les femmes et tous les hommes de la défense. L’audace doit les accompagner dans leurs décisions, dans la recherche de processus plus efficaces, dans la modernisation de notre action. Cet esprit d’innovation est une condition pour l’attractivité de la défense, pour l’efficacité de nos missions et donc pour la sécurité et la liberté des Français.

Cette revue stratégique nous offre un apport immense : identifier nos aptitudes prioritaires et agir, agir vite et fermement. Ce sera précisément l’objet de la prochaine loi de programmation militaire à qui la revue donne un corps et une vision. (Applaudissements sur les travées du groupe La République En Marche, ainsi que sur des travées du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen, du groupe Union Centriste et du groupe Les Républicains.)

M. le président. La parole est à M. le président de la commission, pour la réplique.

M. Christian Cambon, président de la commission des affaires étrangères. Je tiens à remercier Mme la ministre des engagements très forts qu’elle a pris. Comme je l’ai dit, nous l’accompagnerons. Je veux simplement la mettre en garde contre les dangers qui, au-delà de Bercy, nous guettent. L’actualité récente nous fournit quelques sujets d’inquiétude : il faut absolument que le Gouvernement obtienne que les militaires soient exclus de la directive sur le temps de travail, faute de quoi des milliers d’emplois disparaîtront de nouveau – c’est une véritable préoccupation.

Par ailleurs, le service national universel est une belle idée, mais les armées ne peuvent pas la porter seules : il n’y a pas de nécessité au titre des seules armées, c’est peut-être une nécessité sociale. Aussi, nous contribuerons, si vous nous y associez, comme vous en avez pris l’engagement, à travailler sur ce sujet.

Soyons vigilants à reconstituer une belle armée, dont notre sécurité a absolument besoin ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et du groupe Union Centriste. – M. Bernard Cazeau applaudit également.)

Mme Catherine Troendlé. Très bien !

Débat interactif

M. le président. Nous allons maintenant procéder au débat sous forme de questions-réponses dont les modalités ont été fixées par la conférence des présidents.

Les auteurs de questions disposent chacun de deux minutes, y compris la réplique. Le Gouvernement a la possibilité d’y répondre pour une durée équivalente.

Dans le débat interactif, la parole est à Mme Hélène Conway-Mouret.

Mme Hélène Conway-Mouret. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, ainsi que le Président de la République l’avait annoncé le 13 juillet dernier à l’hôtel de Brienne, la revue stratégique examine notre environnement et les menaces auxquelles nous sommes confrontés. Elle s’inscrit d’ailleurs très naturellement dans le sillage du Livre blanc sur la défense et la sécurité nationale de 2013. On y retrouve la même volonté de jeter un regard lucide et sans concession, pour reprendre vos mots, madame la ministre, sur un contexte « en dégradation rapide et durable », tout en affirmant notre ambition de maintenir notre autonomie stratégique. Elle dresse le constat d’un durcissement des environnements opérationnels, avec le retour des États-puissance – la Russie – ou la fragilisation croissante de certains acteurs étatiques, ou de l’omniprésence des menaces terroristes ou cyber toujours plus diffuses.

S’y ajoutent « des fragilités multiples » : démographie, climat, risques sanitaires, criminalité organisée.

On ne peut donc que saluer la volonté de relever le défi pour le quinquennat en cours de conserver un modèle de défense complet et équilibré pour agir et répondre à l’ensemble des menaces. Néanmoins, l’intention affichée par la revue stratégique se heurte à la dure réalité des premières annonces. En effet, comme l’a rappelé le président Cambon, outre la coupe budgétaire de juillet dernier qui a affecté les armées à hauteur de 850 millions d’euros, l’intégration au budget de la défense des mesures de « resoclage » budgétaires des OPEX, qui dépassent les 200 millions d’euros par an, le financement des mesures non prises en compte dans la loi de programmation militaire actuelle, décidées en 2016, à savoir 996 millions d’euros, auxquels s’ajoutent les coûts à venir engendrés par le renouvellement des deux composantes de la dissuasion nucléaire, ne doivent pas compromettre la poursuite d’autres programmes pour nos armées sur le terrain.

Certes, l’orientation de notre budget de la défense est à la hausse, avec une augmentation de 1,8 milliard d’euros pour 2018 et 1,7 milliard d’euros en 2019 et 2020. Mais cette hausse utile se révèle en réalité bien limitée.

Je vous remercie, madame la ministre, de nous apporter des garanties sur la question centrale des moyens, point d’inquiétude majeure pour nos armées, mais également, et plus généralement, pour nos concitoyens, car il y va aussi des questions de sécurité intérieure.

M. le président. La parole est à Mme la ministre.

Mme Florence Parly, ministre des armées. Je vous remercie tout d’abord, madame la sénatrice, d’avoir reconnu la qualité du travail réalisé par le comité des experts. Je les remercie moi-même d’avoir insisté sur la double nécessité de réaffirmer une ambition et une autonomie stratégique propres à la France, sans pour autant écarter, bien au contraire, la construction de partenariats.

Vous appelez mon attention sur le fait que, au-delà des grands engagements, il faut évidemment tenir un certain nombre de promesses. C’est exactement dans cet esprit que s’est inscrit le Gouvernement. Les premières décisions du Président de la République témoignent d’une remontée en puissance d’un budget qui, comme cela a été rappelé, a été malmené au regard de l’écart croissant entre les engagements qui sont allés bien au-delà de ce que la présente loi de programmation militaire prévoyait et les moyens qui, pour ce qui concerne, en tout cas, la première période de la loi de programmation, étaient en forte déflation, même si un coup d’arrêt a été réalisé en fin de période.

Durant le quinquennat, la remontée en puissance sera très significative : 1,8 milliard d’euros en 2018 et, les années suivantes, 1,7 milliard chaque année. Ce sont 30 milliards de plus par rapport au quinquennat précédent qui seront alloués au budget du ministère des armées.

Néanmoins, vous avez raison d’appeler mon attention, la vigilance s’impose quant aux décisions qui peuvent se prendre ici ou là.

Permettez-moi de profiter des dix-huit secondes qui me restent pour vous dire que les 850 millions d’euros d’annulations de crédits étaient en quelque sorte le prix collectif à payer pour régler un certain nombre d’impasses budgétaires, notamment celle qui portait, par exemple, sur le financement des OPEX, mais pas seulement. C’est un coup d’entrée, si je puis dire, dans le quinquennat. J’exercerai la plus grande vigilance pour faire en sorte que ces annulations de crédits n’aient pas d’impact, comme je m’y suis engagée, sur les forces, en particulier nos forces en opération.

Par ailleurs, le président de votre commission nous a invités à faire preuve d’une grande vigilance à l’égard du ministère des finances et, croyez-moi, je m’y attelle.