Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Marc Gabouty.

M. Jean-Marc Gabouty. Madame la présidente, monsieur le ministre, monsieur le président de la commission des finances, messieurs les rapporteurs généraux, mes chers collègues, dans ce projet de loi de programmation des finances publiques pour la période 2018-2022, le Gouvernement nous propose une trajectoire que je qualifierai de crédible.

Elle repose en effet sur des bases réalistes et intègre des hypothèses raisonnables sur les facteurs variables. C’est une option médiane qui devrait avoir l’avantage de limiter les risques de dérapage, mais qui, face à des événements conjoncturels imprévus, laisserait peut-être une marge de manœuvre trop réduite pour des initiatives de relance.

Cette trajectoire pourra toujours être critiquée par les uns et par les autres. En effet, il est toujours facile de qualifier des projections d’insincères lorsqu’elles sont jugées trop optimistes et de déplorer leur manque d’ambition lorsqu’elles se veulent réalistes.

Pour établir ce scénario, le Gouvernement a dû tenir compte de deux facteurs perturbants.

Le premier, à court terme, concerne l’annulation de la taxe de 3 % sur les dividendes, qui ne sera que partiellement compensée par une contribution exceptionnelle à l’impôt sur les sociétés pour les entreprises réalisant un chiffre d’affaires supérieur à un milliard d’euros. En 2018, c’est près de 5 milliards d’euros qui vont rester à la charge de l’État, ce qui entraînera une majoration du déficit à hauteur de 2,8 % du PIB, au lieu des 2,6 % prévus.

Le second porte sur la transformation du crédit d'impôt pour la compétitivité et l'emploi, ou CICE, en baisse de cotisations sociales. Cette transformation aura des incidences fortes sur 2019, année où les entreprises percevront le CICE acquis au titre de 2018 et bénéficieront de la diminution des cotisations, dont l’entrée en vigueur est prévue au 1er janvier 2019.

En revanche, un impact favorable devrait être constaté sur 2020, du fait d’une augmentation des bases de l’impôt sur les sociétés. Pour atténuer ces variations, un mécanisme de lissage aurait pu être envisagé par l’intermédiaire d’un acompte majoré d’impôt sur les sociétés mobilisable à la fin de 2019 ; ce serait une simple opération de trésorerie, neutre en exploitation pour les entreprises.

Le mérite de cette programmation est avant tout de baser l’effort de redressement des comptes publics sur les dépenses, et non sur une majoration de la pression fiscale. Ainsi, à la fin du quinquennat, on pourrait enregistrer une diminution sensible de la part des prélèvements obligatoires, qui s’établirait à 43,6 % de la richesse nationale. Ce niveau reste toutefois plus élevé que dans les pays voisins et supérieur au ratio des années précédant la crise financière de 2008.

Le réalisme se retrouve également dans le taux de croissance retenu de 1,7 % jusqu’en 2021, chiffre conforme aux prévisions des économistes et des institutions internationales.

Cette trajectoire se révèle moins satisfaisante lorsque l’on examine la répartition de l’effort de redressement entre les collectivités locales, les administrations de sécurité sociale et l’État.

En effet, le rapporteur général l’a rappelé, sur la période 2013-2016, ce sont les collectivités locales qui ont supporté les deux tiers de la réduction du déficit public. Un nouvel effort de 13 milliards d'euros sur leurs dépenses de fonctionnement est à la limite du supportable, si l’on ne veut pas gravement amoindrir leur capacité d’investissement. Cet étouffement aurait aussi un effet négatif sur la croissance.

Dans le mécanisme envisagé, il convient, comme l’a fait la commission des finances du Sénat, de retenir un tendanciel d’évolution des dépenses de fonctionnement de 1,9 % par an et non de 1,2 %, comme le prévoit ce projet de loi, correction effectuée conformément à la méthode utilisée pour évaluer le tendanciel des dépenses de l’État.

M. Albéric de Montgolfier, rapporteur. C’est vrai : c’est le même thermomètre !

M. Jean-Marc Gabouty. La mise en œuvre de l’effort demandé aux collectivités territoriales doit s’inscrire dans un cadre partenarial et contractuel écartant toute disposition de mise sous tutelle déguisée.

En termes d’équilibre budgétaire et d’endettement, l’État n’est pas vraiment en situation de donner des leçons de vertu aux collectivités locales.

M. Philippe Dallier. C’est sûr !

M. Jean-Marc Gabouty. Ceux qui ont exercé les fonctions de maire – vous en faites partie, monsieur le ministre – doivent pouvoir le concevoir.

Cette orientation partenariale pourrait s’accompagner de mesures productrices de réelles économies de gestion par la simplification, l’allégement des normes et des contraintes administratives, le recadrage et l’assouplissement de l’exercice de certaines compétences : tout un programme à l’exact opposé de l’évolution subie depuis plus de dix ans. Pour les administrations de sécurité sociale, le retour rapide à un solde positif est assez plausible et en phase avec les perspectives de reprise économique.

Enfin, la contribution de l’État à la maîtrise de la dépense publique paraît insuffisante. Si cet avis est sûrement très largement répandu dans cette assemblée, j’aimerais, mes chers collègues, vous en faire partager les conséquences. Nous ne pouvons pas tenir ce discours et, dans le même temps, vouloir sans cesse raboter les recettes et protester contre les économies proposées.

M. Gérald Darmanin, ministre. C’est bien vrai !

M. Jean-Marc Gabouty. Nous devons au contraire encourager le Gouvernement à accentuer ses efforts pour réduire ses dépenses.

À cette analyse, j’ajouterai quelques remarques et interrogations supplémentaires.

Le redressement semble trop fortement concentré sur la fin du quinquennat. Une hausse éventuelle même modérée des taux d’intérêt n’a pas été totalement anticipée. L’évolution comparative de l’endettement avec nos principaux partenaires européens demeure très défavorable sur la période 2018-2022. Enfin, mais je ne vous en fais pas grief, monsieur le ministre, les aléas géopolitiques, voire climatiques, sur lesquels nous n’avons que peu de prise, représentent un risque impossible à évaluer.

Tous ces éléments fragilisent le scénario que vous nous proposez, monsieur le ministre, ce qui n’entame à l’instant présent ni sa sincérité ni sa pertinence. Les remarques et les réserves émises constituent non une opposition, mais plutôt un encouragement à dépasser les objectifs que vous êtes fixés dans ce projet de loi de programmation auquel nous pourrions apporter un soutien à la fois bienveillant et vigilant. (MM. Jean-Claude Requier et Joël Labbé applaudissent.)

Mme la présidente. La parole est à M. Didier Rambaud.

M. Didier Rambaud. Madame la présidente, monsieur le ministre, monsieur le rapporteur général de la commission des finances, mes chers collègues, ce texte nous engage aux yeux des Français. Il nous engage aussi aux yeux de nos partenaires européens, puisqu’il est la traduction des engagements que notre pays a pris depuis le traité de Maastricht. Ces engagements sont la clef de voute de la solidarité européenne. Leur respect est primordial pour que nous retrouvions la confiance de nos partenaires et pour que notre pays décide de l’avenir de l’Europe.

Mes chers collègues, je suis fier de m’exprimer pour la première fois à cette tribune et, au nom de mon groupe, de défendre un texte de responsabilité Rappelons le creusement du déficit au début des années 2000 : moins 4,1 points de PIB en 2003. Rappelons aussi les fréquentes sous-budgétisations : environ 4 milliards d'euros dans le budget 2017, d’après l’audit de la Cour des comptes.

Le présent projet de loi de programmation repose sur un effort structurel de 1,4 point de PIB, entièrement lié à une baisse des dépenses et non à la hausse des prélèvements obligatoires, comme l’ont fait les majorités précédentes.

En responsabilité, le Gouvernement a budgétisé sur la durée du quinquennat la réduction des dépenses publiques de 3 points, la réduction du déficit public de 2 points, la réduction de la dette publique de 5 points et, malgré tout, la baisse des prélèvements obligatoires de 1 point.

Cet allégement fiscal pour tous les Français se traduira par une baisse de 5 milliards d’euros d’impôts en 2018, de 9 milliards d'euros en 2019 et de 7 milliards d'euros en 2020. C’est un geste sans précédent pour le pouvoir d’achat de nos compatriotes et pour les entreprises.

Les collectivités territoriales sont appelées à jouer un rôle dans cette vision responsable des finances publiques. À leur égard, le Gouvernement opère un choix audacieux, celui de maintenir les concours financiers stables.

En contrepartie, 319 des collectivités de notre pays, représentant les deux tiers de la dépense publique locale, s’engageront avec l’État dans une démarche partenariale. Bien évidemment, seules les dépenses de fonctionnement, dont les montants, au fil des années, ont été décorrélés des transferts liés à la décentralisation, sont concernées.

Ce texte est aussi, et nous l’assumons, un texte de sincérité. Les évaluations budgétaires présentées par le Gouvernement reposent sur des indicateurs économiques crédibles : une croissance effective du PIB de 1,7 % de 2019 à 2021, puis de 1,8 % en 2022, en phase avec les prévisions de la Commission européenne et du FMI.

Les réformes structurelles mises en œuvre lors de ce quinquennat stimuleront la croissance potentielle : la décision d’encourager la formation et l’apprentissage, celle de réformer l’indemnisation du chômage, la baisse du coin sociofiscal, la modernisation du code du travail et le soutien à l’investissement productif et à l’innovation.

Quant à l’écart de production, il est estimé à moins 1,5 % en 2016, contre – je souhaite le rappeler – moins 3,1 % dans le programme de stabilité du mois d’avril dernier. Un écart de production plus sincère et plus faible augmente la réalité du déficit structurel et rend plus exigeant l’effort à mener par le Gouvernement d’Édouard Philippe. Pardon pour ces chiffres, mais je crois qu’il est de notre responsabilité de fonder nos débats sur la vérité.

Mes chers collègues, ce projet de loi de programmation, sur lequel chacune et chacun d’entre nous doit se prononcer, est la traduction des engagements du candidat Emmanuel Macron. Il est aussi la traduction d’une vision de la France.

Le choix des Français a aussi été le choix d’une société qui s’indigne des inégalités et du nombre de jeunes sans qualification et de chômeurs que l’on abandonne. Dans la trajectoire que propose le Gouvernement, ce sont 14 milliards d’euros versés dans un plan inédit d’investissement dans les compétences et pour la formation de tous, notamment des jeunes qui n’ont pas les qualifications de base et qui sont plus d’un million aujourd’hui.

Mes chers collègues, les engagements de ce projet de loi de programmation des finances publiques doivent nous satisfaire collectivement.

Tout d’abord, les réformes structurelles proposées par le Gouvernement stimulent l’investissement productif au détriment de la rente. C’est l’objectif de la transformation de notre système fiscal : rendre la fiscalité plus incitative à la prise de risque. En conséquence, les mesures du Gouvernement permettront le retour sous les 3 % de déficit public et la sortie de la France de la procédure pour déficit public excessif.

Échaudé par les expériences passées des cagnottes et pour ancrer ce sérieux dans le long terme, le Gouvernement met en place dans ce projet de loi de programmation un nouveau principe de responsabilité budgétaire : tout surplus éventuel de recettes est affecté en baisse de déficit et en réduction de l’endettement.

Ensuite, ce budget pluriannuel opère des choix stratégiques pour financer les priorités du Gouvernement : l’éducation, la défense, avec un effort porté à 2 % du PIB d’ici à 2025, la sécurité, la justice.

Par ailleurs, et c’est la troisième priorité, les cinq ans à venir seront consacrés à la modernisation de nos politiques publiques : ce sera le rôle du plan Action publique 2022. La philosophie de cette transformation repose sur du bon sens : impliquer les usagers et les agents des services publics pour une meilleure qualité de service pour les usagers, un meilleur environnement de travail pour les agents et une meilleure utilisation des impôts des contribuables.

Enfin, cette trajectoire des finances publiques intègre le financement de mesures de solidarité et de justice sociale, comme les revalorisations de l’allocation de solidarité aux personnes âgées, de l’allocation aux adultes handicapés et de la prime d’activité. Les crédits de la mission « Solidarité, insertion et égalité des chances » augmenteront de 3,5 milliards d’euros d’ici à 2020.

Mes chers collègues, les Françaises et les Français nous regardent et attendent que nous dépassions les clivages politiques, que nous construisions des solutions d’avenir pour notre pays. C’est ce que propose cet engagement pluriannuel. Montrons au pays l’intelligence du Sénat quand il réunit ses énergies au profit de l’intérêt général.

M. Albéric de Montgolfier, rapporteur. C’est ce que l’on va faire !

Mme la présidente. La parole est à M. Thierry Carcenac.

M. Thierry Carcenac. Madame la présidente, monsieur le ministre, monsieur le rapporteur général de la commission des finances, mes chers collègues, l’examen du projet de loi de programmation des finances publiques pour les années 2018-2022 fixe la trajectoire et les orientations du Gouvernement pour le quinquennat. Le projet de loi de finances et le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2018 en sont la première traduction.

Ce document propose de respecter les engagements européens de la France et de poursuivre les moyens mis en œuvre pour sortir notre pays de la procédure européenne pour déficit public excessif. Comme Européens, nous ne pouvons qu’y être favorables.

Cependant, les moyens retenus pour y parvenir, destinés à rompre avec « l’ancien monde », ne peuvent nous convenir. En effet, monsieur le ministre, nous ne pouvons nous satisfaire des fondements sur lesquels vous vous appuyez : à l'Assemblée nationale, vous avez affirmé que « l’impôt [était] la conséquence de la dépense publique » et poursuivi ainsi : « Pourquoi réduire les dépenses publiques ? Parce que l’argent public n’existe pas… » Nous verrons que, de l’argent, il y en a !

De même, monsieur le ministre, votre approche des relations de l’État avec les collectivités locales propose, et c’est une bonne chose, la concertation avec les élus, la Conférence nationale des territoires paraissant en être la traduction. Or les propos tenus par les ministres au congrès des régions, puis à celui de l’Assemblée des départements de France, ne correspondent pas aux objectifs affichés, puisque les présidents de région se retirent de la conférence et ceux des départements posent comme préalable le règlement des allocations individuelles de solidarité.

Dès lors, l’examen que nous effectuons de cette trajectoire pour les finances publiques se fonde sur des valeurs issues de l’ancien monde. Je retiendrai les dispositions contenues dans l'article XIII de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 : « Pour l’entretien de la force publique, et pour les dépenses d’administration, une contribution commune est indispensable : elle doit être également répartie entre tous les citoyens, en raison de leurs facultés. »

Condorcet a, le premier, avancé la progressivité des contributions, et non les flat tax, et ce fut de haute lutte que l’impôt sur le revenu défendu par les socialistes est créé en 1914. Puis, après la Seconde Guerre mondiale, le pacte du Conseil national de la Résistance porte la création de la sécurité sociale et des redistributions sociales dans un objectif de réduction des inégalités de revenus entre les citoyens. Les incitations économiques et écologiques viendront ensuite.

Ce simple rappel vise à affirmer que la fiscalité n’est pas qu’une affaire de baisse des impôts pour diminuer les charges. Elle sous-tend une vision plus large sur la nature et les missions d’un État, l’économie d’un pays et la justice sociale, qui doit réduire les inégalités et non seulement rendre à chacun en fonction de sa contribution.

Les années quatre-vingt ont mis à mal le concept même d’impôt et favorisé le rejet des prélèvements, M. Reagan et Mme Thatcher évoquant des impôts confiscatoires et injustes, qui entravent l’activité économique.

M. Philippe Dallier. Cela peut être le cas !

M. Thierry Carcenac. Monsieur le ministre, vos projets ne sont pas aussi caricaturaux, mais comment analyser les baisses de recettes que vous proposez : 3,2 milliards d’euros par la suppression de l’ISF, qui va bénéficier à 180 000 foyers fiscaux pour une réduction moyenne de 150 000 euros, disposition que la droite juge insuffisante ; la mise en œuvre d’une flat tax, qui verra des contribuables payer moins d’impôts que des salariés pour un revenu équivalent ? Comment accepter des choix qui aggravent par la CSG majorée la situation de certains retraités ? Notre collègue Yves Daudigny y reviendra lors de son analyse du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2018.

Vous proposez de baisser la taxe d’habitation en trois ans pour compenser ces hausses. Certes, la taxe d’habitation est injuste, mais son assiette l’est plus encore, et alors qu’une expérimentation était en cours sur cinq départements, vous n’évoquez plus la revalorisation des bases, qui datent de 1970 et servent pourtant à asseoir la taxe foncière sur la propriété bâtie. Nous sommes loin du compte, si l’on ajoute les baisses des dépenses touchant les plus modestes de nos concitoyens, comme l’APL, et ses conséquences sur les bailleurs sociaux et la construction…

Votre majorité à l'Assemblée nationale a dû ajouter à la hâte une taxation de signes extérieurs de richesse et improviser un dispositif pour les personnes âgées en maisons de retraite qui ne bénéficient pas de la baisse de la taxe d’habitation.

Enfin, vous justifiez ces décisions pour les « premiers de cordée », qui, bénéficiant de plus de moyens, vont investir. La notion de « ruissellement » est apparue… Or les « Paradise papers » démontrent que certains essayent d’échapper à l’impôt, même lorsqu’il est faible, car ils trouvent qu’ils en payent toujours trop et souhaitent toujours en payer moins en optimisant, minorant, dissimulant. La lutte contre la fraude fiscale devient une nécessité.

Nous précisons que nous ne sommes pas contre les riches, mais que ceux-ci doivent participer en proportion de leurs revenus. Comment expliquer, sinon, que leur fortune s’accroisse plus vite que le PIB du pays et que les inégalités se creusent – 9 millions de personnes vivent en dessous du seuil de pauvreté en France, alors que 500 familles détiennent près de 576 milliards d’euros de patrimoine ?

Les mesures de revalorisation prises pour les personnes âgées et les handicapés sont bonnes et bienvenues.

J’en viens aux collectivités locales. L’article 10 prévoit une concertation pour 319 collectivités représentant 70 % des dotations et fixe un objectif d’évolution de la dépense locale insoutenable pour certaines d’entre elles.

Cet article manque de précisions, fixe des objectifs indifférenciés, alors que le Comité des finances locales le faisait pour les différents niveaux de collectivités – pôle communal, départemental et régional. Finalement, le rapporteur général de la commission des finances de l'Assemblée nationale y est revenu et, monsieur le ministre, vous renvoyez à un rapport de notre collègue Alain Richard et de Dominique Bur, ancien directeur général des collectivités locales, les modalités de mise en œuvre de cette contractualisation.

Il s’agit là d’une précipitation inacceptable. Un texte ne peut figer pour cinq ans des objectifs aussi contraignants sans que soit fixé le périmètre concerné des dépenses de fonctionnement, notamment pour les départements en raison des allocations individuelles de solidarité, les AIS, de l’impact des décisions prises par l’État sur la fonction publique territoriale, particulièrement les parcours professionnels, carrières et rémunérations, les PPCR.

Je rappelle que le dernier rapport sur les finances publiques locales présenté par le Premier président de la Cour des comptes porte sur l’année 2016, sur laquelle les mesures salariales de 2017 n’avaient pas eu d’effet.

Dès lors, la contractualisation, apparente bonne mesure, devient un piège, notamment lorsque l’on ajoute les bonus et les malus. Et que dire des autres collectivités locales ? Sont-elles ou non concernées ? Cette impréparation à la veille du vote des budgets n’est pas concevable. La contractualisation est d’ailleurs plus contraignante pour les collectivités, tenues à la règle d’or du « n’emprunter que pour l’investissement », que pour l’État !

Nous sommes loin de la décentralisation engagée par Gaston Defferre en 1982. Il s’agit d’une recentralisation déguisée à la main du préfet, sans possibilité d’appel.

En conclusion, le groupe socialiste et républicain, pour les raisons que je viens d’évoquer et pour d’autres que mes collègues développeront lors de l’examen des articles, ne peut accepter, en tout état de cause, de voter l'article 1er, qui engage pour toute la législature – à tout le moins, donner acte de la communication du rapport paraîtrait acceptable –, ni l'article 10 concernant les relations de l’État avec les collectivités locales.

En conséquence, il votera contre ce texte, à cause des orientations et des choix dont il est la traduction et que la majorité sénatoriale a aggravés. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain.)

Mme la présidente. La parole est à M. Jean-François Rapin.

M. Jean-François Rapin. Madame la présidente, monsieur le ministre, monsieur le président de la commission des finances, monsieur le rapporteur général, mes chers collègues, la loi de programmation des finances publiques est sans doute l’un des textes les plus importants d’un quinquennat.

M. Gérald Darmanin, ministre. C’est vrai !

M. Jean-François Rapin. C’est le texte qui trace le chemin qui conditionnera pour les cinq prochaines années le niveau de vie des Français, le dynamisme des entreprises, les réformes les plus importantes pour notre pays, dites « réformes structurelles », et une part de l’héritage que nous laisserons à nos enfants. Il trace en effet l’évolution des prélèvements obligatoires, de l’effort structurel, des déficits, donc de la dette.

Pour autant, une fois promulguée, cette loi n’est pas contraignante. Nous avons eu de récents et tristes exemples, montrant qu’elle pouvait n’être qu’une simple loi d’affichage, dont le Gouvernement s’affranchissait sans vergogne, sans ambages, malgré la surveillance et la vigilance de la Commission européenne.

La loi de programmation du début du précédent quinquennat nous proposait déjà pour 2017 l’objectif présenté ici pour 2022, à savoir le retour à l’équilibre des comptes publics. Nous savons ce qu’il est advenu : non seulement le précédent gouvernement n’y est pas parvenu, mais la France n’est même pas passée sous la barre des 3 %, alors que cet objectif était fixé à 2013.

M. Gérald Darmanin, ministre. Eh oui !

M. Jean-François Rapin. Rappelons que, en 2012, la France faisait partie des vingt-quatre États membres en procédure de déficit excessif, c’est-à-dire ne parvenant pas à descendre de manière durable sous les 3 %. Aujourd’hui, en 2017, la France est le seul pays encore en déficit excessif avec l’Espagne ! Même le Portugal et la Grèce sont parvenus à en sortir, grâce à des efforts d’économies très importants et de nombreuses réformes structurelles.

Notre pays est confronté à une dette publique qui n’a cessé de continuer de progresser, malgré des taux d’intérêt historiquement bas, pour frôler aujourd’hui les 100 % de la richesse nationale.

En tant que médecin, j’ai un réflexe professionnel : j’ausculte mon pays.

M. Gérald Darmanin, ministre. En tant que malade, je vous écoute ! (Sourires.)

M. Jean-François Rapin. Or le diagnostic est grave : mon patient me répète « 33 », mais c’est 33 000 euros de dette publique, monsieur le ministre ! Nous sommes dans une situation où, si les Français voulaient en finir avec cette maladie très française de la dette, ils devraient donner 33 000 euros chacun.

Pour bien connaître votre esprit vif et votre sang bouillonnant, je subodore, monsieur le ministre, une possible exaspération de votre part : « Mais pourquoi me parler du passé ? », vous demandez-vous. Parce que, voyez-vous, si je regarde le thermomètre que nous avons aujourd’hui entre les mains, la courbe de la dette rappelle celle de 2012, et cela nous inquiète. Elle ne se réduirait qu’à partir de 2020 et, si tout se passe comme vous l’avez prévu, nous aboutirions à un taux d’endettement de 91,4 % du PIB en 2022.

Dois-je vous rappeler que, aujourd’hui, en 2017, le taux est déjà bien en deçà en Allemagne, avec 66,9 %, dans l’Union européenne, avec 84,1 %, et dans la zone euro, avec 89,5 % ? En 2022, ces chiffres seront encore bien inférieurs : l’Allemagne sera par exemple sous les 60 % d’endettement, alors que la France sera encore à la traîne, avec l’un des plus forts taux d’endettement européens.

Pour réduire la dette, il n’y a pourtant pas de potion magique : il faut diminuer le déficit public. C’est à partir de moins de 2 % de déficit que la dette commence à refluer. Selon nous, il faut donc aller plus vite et plus fort, ainsi qu’en attestent les comptes rendus de nos travaux en commission. La solution ? Réduire davantage la dépense et doper davantage la croissance.

Pour doper la croissance, il faut redonner du pouvoir d’achat aux Français, afin de soutenir la consommation et créer un choc de compétitivité. Cela passe par une baisse massive de la fiscalité. Or le taux de prélèvements obligatoires diminuerait en cinq ans d’un point seulement, pour parvenir à 43,6 % du PIB en 2022. Nous reviendrions donc seulement au niveau de 2012, quand la France était à 43,8 %. Nous resterions à l’un des niveaux les plus élevés de fiscalité en Europe.

Le projet de budget de 2018 est présenté comme celui du pouvoir d’achat, alors qu’il contient de très nombreuses mesures de hausse de fiscalité : hausse de la CSG, de la taxe sur le diesel, de la taxe carbone, du tabac avec le paquet à 10 euros, des tarifs des mutuelles à la suite de la hausse du forfait hospitalier, baisse des APL, etc.

Quant au choc de compétitivité, non seulement il n’aura pas lieu, mais aucune nouvelle mesure de compétitivité n’est prévue en 2018.

Les mesures du programme d’Emmanuel Macron en faveur des entreprises ont été repoussées à 2019, tandis que les mesures de hausse de fiscalité, quant à elles, ont été bien maintenues pour 2018. Cela nous rappelle 2012. De la même manière, les mesures d’économies sont repoussées à plus tard et sont très peu documentées, comme l’a pointé du doigt le Haut Conseil des finances publiques. Comme en 2012 !

Le candidat Macron avait promis la suppression de 120 000 postes de fonctionnaires en cinq ans. Le président Macron n’en supprime que 1 600 en 2018 !

La commission des finances a souhaité soutenir le Président de la République, en l’aidant à tenir son engagement présidentiel, et a ainsi proposé une réduction significative du nombre de postes dans la fonction publique d’État. J’espère que vous lui en saurez gré, monsieur le ministre !

De la même façon, l’effort structurel est repoussé en fin de quinquennat et reste très en deçà de nos engagements européens, comme l’ont souligné le Haut Conseil des finances publiques et, avant-hier encore, le commissaire européen Pierre Moscovici lors de son audition devant la commission des finances. L’ajustement structurel ne serait que de 0,3 point de PIB par an en moyenne durant le quinquennat et resterait même limité à 0,1 point en 2018, bien inférieur au 0,6 point exigé par l’Union européenne.

Au-delà de ces chiffres qui peuvent paraître abscons pour des profanes, qu’est-ce que cela signifie ?

L’insuffisance de réduction du déficit structurel souligne en réalité le manque d’engagement de réformes structurelles. Aucune réforme réelle de structure, seule à même de dégager des économies très significatives, n’a été mise en chantier : ni réforme structurelle de l’État, ni réforme des retraites, ni réforme du logement, ni réforme du système de santé, etc. (M. le ministre s’exclame.) Le Haut Conseil des finances publiques juge de ce fait que « le redressement des finances publiques programmé est lent ».

Notre groupe a donc soutenu l’initiative du rapporteur général de la commission des finances, Albéric de Montgolfier, que je tiens à cet instant à féliciter pour son excellent travail et son pragmatisme sur ce texte, de modifier la trajectoire du solde structurel, afin d’aligner l’effort structurel de la France sur les exigences de la Commission européenne.

Pour toutes ces raisons, le groupe Les Républicains votera le projet de loi de programmation des finances publiques pour les années 2018 à 2022, tel qu’il a été modifié par la commission des finances. En revanche, si les amendements déposés par le groupe LREM, revenant quasiment systématiquement sur toutes les avancées votées en commission, étaient adoptés, nous voterions naturellement contre le texte ainsi amendé. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)