M. le président. La parole est à M. Julien Bargeton.

M. Julien Bargeton. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le président de la commission des finances, monsieur le rapporteur général, mes chers collègues, le premier collectif budgétaire pour 2017, dont nous entamons l’examen, m’inspire évidemment des sentiments partagés. Il ne contribue pas à redorer l’image de l’action publique, au moment où nous visons à réconcilier la société française avec la confiance.

Le contentieux en cause, au-delà de son impact budgétaire, qui est évidemment essentiel, est une invitation collective, pour le Gouvernement et pour les parlementaires, à repenser un certain nombre de nos méthodes de travail. Nous payons aujourd’hui, à hauteur de 10 milliards d’euros, ce que le sociologue Christian Morel classe parmi les décisions absurdes, c’est-à-dire les erreurs persistantes.

Les alertes de 2015 n’ont pas été suivies d’effet. De ce fait, précipitation dans l’élaboration d’une solution et retard dans la réaction conduisent aujourd’hui l’État, après la double décision de la Cour de justice de l’Union européenne et du Conseil constitutionnel, à devoir rembourser l’intégralité de cette taxe sur les dividendes.

Le deuxième sentiment qui m’habite ce soir est la satisfaction. Je ne me réjouis pas, comme tout un chacun dans cet hémicycle, de cette situation, mais je me félicite de l’action responsable du Gouvernement pour gérer au mieux cette crise. L’urgence, c’est tout d’abord de sécuriser la trajectoire pluriannuelle de nos comptes publics, en particulier pour permettre à notre pays de sortir, enfin, de la procédure pour déficit excessif.

Dans un souci de sincérité budgétaire et à l’aune des informations alors disponibles, le Gouvernement avait provisionné 5,7 milliards d’euros pour le contentieux lié à la première décision, l’issue de la décision sur saisine par question prioritaire de constitutionnalité, ou QPC, rendue le 6 octobre dernier par le Conseil constitutionnel n’étant pas prévisible.

En présentant sans tarder ce collectif budgétaire, le Gouvernement montre qu’il a pris la mesure de l’enjeu : il ne s’agit pas que d’une question de fiscalité des entreprises ; il y va de l’intérêt général de la Nation.

La solution proposée, à savoir une contribution exceptionnelle à l’impôt sur les sociétés avec deux seuils, est à la fois juridiquement solide – d’autres majorités ont eu recours à ce mécanisme –, budgétairement viable, puisqu’une très grande partie des sommes peut être recouverte tout de suite, et économiquement juste, les entreprises bénéficiaires étant seules concernées par cette contribution. D’ailleurs, tout le monde reconnaît à demi-mot qu’il n’y a pas d’autre solution viable. Il faut éviter les bricolages risqués qui multiplient les exceptions.

Le Gouvernement a d’ailleurs choisi de concentrer la contribution et d’éviter de la diluer, ce qui aurait eu un impact négatif sur les petites et moyennes entreprises. Il n’y a, de plus, aucune volonté de brusquer les entreprises concernées, puisqu’un mécanisme de lissage a été mis en place par amendement du rapporteur général Joël Giraud à l’Assemblée nationale.

Satisfaction également de soutenir un gouvernement qui ne cède pas à la facilité de la procrastination. Vous avez parlé de Perrette, monsieur le ministre, mais on pourrait aussi évoquer le héron de la fable qui attend encore et toujours, pour se retrouver in fine dans une situation difficile.

M. François Bonhomme. François Hollande !

M. Julien Bargeton. Ce besoin d’agir en faveur de nos entreprises n’est en aucun cas remis en cause, comme le montrent les nombreuses dispositions favorables et très attendues : je pense à la réduction de l’impôt sur les sociétés de 33 % à 25 %, pour le mettre dans la moyenne de l’Union européenne ; je pense aussi à la fiscalité du capital au service du financement de l’économie ; je pense enfin à la transformation, dès 2019, du CICE en allégement pérenne de charges.

Force est de constater que le Gouvernement envoie des signaux forts et durables aux entreprises pour qu’elles investissent, se développent et, surtout, créent de l’emploi.

Mon troisième sentiment, c’est la volonté de faire évoluer nos méthodes de travail, ici, au Sénat. Cette maison a su, tout au long de sa riche histoire, et contrairement aux idées reçues, se réinventer, innover. Nous le voyons avec ce collectif, nous – derrière ce nous, je fais référence au Gouvernement et au Parlement – ne pouvons légiférer sans évaluation préalable, sans filet. Il est politiquement et techniquement nécessaire de fiabiliser les initiatives parlementaires, comme les initiatives gouvernementales, qui sont introduites par voie d’amendement en matière fiscale. C’est d’autant plus vrai avec le développement de la QPC. C’est parce que la loi fiscale est d’ores et déjà plus contestée qu’elle doit, demain, devenir incontestable.

À cela doivent s’ajouter des initiatives parlementaires, pourquoi pas sous forme de mission, visant à suivre les contentieux fiscaux de l’État, au niveau à la fois européen et national.

Enfin, et il ne s’agit pas d’un vœu pieux, je souhaite que la transmission des informations des services du ministère de l’économie et des finances au Parlement, notamment à la commission des finances, soit fluidifiée. C’est pourquoi je pense que l’examen d’un projet de loi de finances rectificative n’est pas le moment opportun pour revoir les hypothèses de croissance considérées comme fiables.

Monsieur le ministre, mes chers collègues, en livrant ces impressions mitigées, mais sincères, j’espère avoir montré quel était l’état d’esprit du groupe La République en marche, que je résumerai en trois adjectifs : pragmatique dans l’analyse ; déterminé pour rétablir nos comptes publics et notre compétitivité ; imaginatif dans les propositions, afin d’éviter à l’avenir d’avoir à inscrire encore à notre ordre du jour l’examen de ce type de texte.

M. le président. La parole est à M. Pascal Savoldelli.

M. Pascal Savoldelli. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le rapporteur général, mes chers collègues, ainsi donc, parce que les services juridiques de quelques grandes entreprises, après avoir tenté, par la voie de quelques parlementaires, de faire censurer constitutionnellement une mesure de caractère fiscal, ont choisi de s’en remettre à l’avis du juge européen, nous voici aujourd’hui face à un collectif budgétaire devant être examiné en urgence.

M. François Bonhomme. Cela s’appelle le droit !

M. Pascal Savoldelli. Une procédure d’urgence, toutes sirènes hurlantes, pourrait-on dire, pour faire en sorte que, le 20 décembre prochain, quelques milliards d’euros viennent compenser pour partie la perte prévisible pour l’État d’une dizaine de milliards d’euros dans un contentieux. (M. le rapporteur général s’esclaffe.) Si cela vous fait sourire qu’on enlève quelques dizaines de milliards d’euros à l’État, je suis un peu étonné.

M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général de la commission des finances. Ce sont les intérêts moratoires qui ne me font pas sourire !

M. Pascal Savoldelli. En vérité, il est évident que c’est quelque peu contraint et forcé que le Gouvernement s’est trouvé dans l’obligation de nous proposer ce collectif.

Au moment même où l’on supprime l’impôt sur la fortune, ou ISF, pour pas moins de 3,2 milliards d’euros et où l’on réinvente le prélèvement libératoire sur les revenus financiers pour 1,3 milliard d’euros, et sans doute bien plus dans les années à venir, cela fait un peu désordre !

Je comprends que M. le ministre ait voulu éviter toute critique émise à l’encontre des gouvernements précédents sur ce sujet. En effet, on ne peut pas oublier que la contribution sociale sur les bénéfices a été codifiée à l’article 235 ter ZCA du code général des impôts, à l’issue de l’adoption du collectif budgétaire d’août 2012.

Vous avez raison, monsieur le ministre, il faut sans doute faire la lumière sur le travail de conception-réalisation de cette disposition à l’été 2012. Cela nous évitera une seconde déconvenue.

Toujours est-il que nous sommes aujourd’hui dans une situation où nous devons rembourser 9 milliards d’euros en principal et 1 milliard d’euros de plus d’intérêts de retard aux contribuables injustement sollicités.

La solution trouvée par le Gouvernement est peut-être l’une des moins mauvaises, mais elle offre une palette de situations pour le moins variée. Ainsi, nous avons probablement des entreprises qui vont récupérer le montant des impôts indûment perçus sans contribuer, si leur chiffre d’affaires ne dépasse pas la limite du milliard d’euros, et d’autres qui vont payer la contribution, alors que, parfois, elles ne distribuent pas ou n’ont pas distribué de bénéfices.

Au demeurant, je dois l’avouer, le dispositif a un gros défaut, monsieur le ministre : il favorise les entreprises à distributions importantes au détriment de celles qui auront fait le choix prioritaire du réinvestissement.

Nous aurons même probablement des entreprises pour lesquelles le télérèglement du 20 décembre prochain sera le plus important de l’année, vu qu’il ne peut être corrigé par les niches, variations saisonnières et crédits d’impôt potentiellement applicables à l’impôt sur les sociétés.

Pas de créance CICE à mobiliser, pas de « retour en arrière » ou de « report en avant », pas d’imputation d’excédents d’acomptes provisionnels. L’article 1er, c’est l’impôt brut de décoffrage !

Cela va-t-il poser un problème insurmontable à la situation de nos entreprises, mettant en cause leur compétitivité ou je ne sais quelle position dans la mondialisation des affaires et des échanges ?

Je rappelle, par exemple, que le projet Salmon mis en œuvre par la direction d’Engie pour faire échapper environ 1 milliard d’euros à l’impôt semble nous montrer que l’optimisation fiscale est un jeu fort pratiqué au niveau auquel frappe l’article 1er. Je veux vous citer, monsieur le ministre, et je peux vous assurer que ma citation est tout à fait fidèle à vos propos : « Sur les 320 entreprises redevables, 80 % clôturent leur exercice le 31 décembre, et cela représente 94 % du produit de l’impôt sur les sociétés. Le problème ne serait donc que marginal.

« Le nombre d’entreprises dont le chiffre d’affaires est supérieur à 3 milliards d’euros est de 143, dont 109 sont bénéficiaires au titre des exercices clos en 2016. Ces 109 sociétés ont déclaré au total un chiffre d’affaires de 1 620 milliards d’euros, soit un chiffre d’affaires moyen de 14,9 milliards d’euros au titre des exercices clos en 2016. Le montant moyen de bénéfices est estimé, sur la base de ces chiffres, à 412 millions d’euros.

« Quelques remarques sur ces chiffres. […] il y a effectivement une très forte concentration de l’IS sur les entreprises au chiffre d’affaires le plus élevé, puisque le ticket moyen est estimé à 412 millions d’euros ; cela explique que le produit de la taxe soit concentré sur les entreprises qui ont un chiffre d’affaires supérieur à 3 milliards d’euros. » Je voudrais partager avec vous un petit calcul : j’ai pris une entreprise moyenne, mais assez costaude, qui a fait près de 15 milliards d’euros de chiffre d’affaires – ce n’est pas mal, monsieur le ministre ! – et qui présente un bénéfice fiscal moyen de 412 millions d’euros.

M. Bruno Le Maire, ministre. Je n’en connais pas beaucoup !

M. Pascal Savoldelli. Cela nous donne un impôt moyen sur les sociétés d’environ 140 millions d’euros, au taux facial de 33,33 % et au taux réel d’environ 1 % du chiffre d’affaires.

Cela situe donc, en moyenne, la surtaxe à 30 % – deux fois 15 %, multipliés par 1 %, soit 0,3 % du chiffre d’affaires.

Dans cet exemple, cela représentera environ 40 à 45 millions d’euros de surtaxe pour une entreprise moyenne.

Je vous invite, mes chers collègues, à méditer ces quelques données chiffrées au moment même où les contribuables assujettis à la taxe d’habitation vont, pour certains, laisser l’équivalent d’au moins un mois de salaire dans le paiement de celle-ci, sans parler des retraités !

Si l’on veut appeler au patriotisme des entreprises ainsi mises à contribution, pour ma part et pour le groupe CRCE, nous ne pouvons accepter la structure globale de ce collectif, qui valide, entre autres, un décret d’annulation de crédits responsable de quelques dégâts du côté des emplois aidés, qu’ils soient un peu ou tout à fait aidés ! Nous ne voterons donc pas ce collectif.

M. le président. Mes chers collègues, il est un peu plus de vingt heures.

Il y a deux options : soit nous tentons une séance prolongée, qui pourrait durer jusqu’aux alentours de vingt et une heures quinze, vingt et une heures trente, à la condition expresse que chacun soit le plus concis possible dans son expression ; soit je suspends la séance.

Je consulte le Sénat du regard, comme le disait Jean-Claude Gaudin… (Sourires.)

Il me semble distinguer plutôt une approbation pour une séance prolongée.

Il en est ainsi décidé.

La parole est donc à M. Bernard Delcros.

M. Bernard Delcros. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le rapporteur général, monsieur le président de la commission des finances, chers collègues, le projet de loi de finances rectificative pour 2017 que nous examinons aujourd’hui présente un caractère tout à fait exceptionnel.

Il propose d’apporter une réponse aux conséquences financières de la décision du Conseil constitutionnel intervenue le 6 octobre dernier, une décision qui censure intégralement la contribution additionnelle à l’impôt sur les sociétés introduite par la loi de finances rectificative de 2012.

Cette contribution additionnelle de 3 % sur les montants distribués a généré, depuis 2013, une recette annuelle d’environ 2 milliards d’euros.

Je sais que cette décision de censurer le dispositif a suscité de vives critiques à l’encontre des auteurs de cette taxe.

Pour ma part, je considère que ce qui compte, c’est avant tout de trouver une solution pour résoudre le problème posé. Ce n’est d’ailleurs pas la première fois que l’État français se trouve en difficulté dans ce type de contentieux.

Nous sommes donc aujourd’hui face à un problème budgétaire important et nous devons y apporter une réponse pragmatique et efficace.

Quel est le problème ? Il a été largement rappelé. Je passerai par conséquent rapidement sur ce sujet.

Dans un premier temps, en mai 2017, la Cour de justice de l’Union européenne a fait savoir que cette contribution additionnelle à l’impôt sur les sociétés de 3 % au titre des montants distribués était contraire à la directive « mère-fille » de 2011.

Conséquence directe de cette décision : 5,7 milliards d’euros à trouver pour rembourser les entreprises visées par l’arrêt de la Cour.

Afin d’y parvenir, vous avez inscrit, monsieur le ministre, dans la loi de programmation des finances publiques, un remboursement échelonné sur quatre exercices budgétaires : d’abord, 300 millions d’euros en 2018, puis 1,8 milliard d’euros par an jusqu’en 2021. Ces dépenses étaient évidemment sans incidence sur l’exercice 2017.

Par ailleurs, à l’article 13 du projet de loi de finances pour 2018, le Gouvernement a inscrit la suppression de cette contribution additionnelle à l’impôt sur les sociétés à compter du 1er janvier 2018. Or le 6 octobre dernier, donc après le dépôt du projet de loi de finances à l’Assemblée nationale, le Conseil constitutionnel a rendu une décision qui censure l’intégralité de la contribution additionnelle votée en 2012.

La censure intégrale du dispositif impose le remboursement de cette taxe sur les dividendes pour toutes les sociétés ayant effectué une demande de restitution dans les délais de réclamation.

Et cette fois-ci, il s’agit de trouver non plus 5,7 milliards d’euros, mais 10 milliards d’euros, dont près de 1 milliard pour les intérêts, dont je pense d’ailleurs qu’ils méritent discussion ! Bien sûr, l’annonce du Conseil constitutionnel a changé considérablement la donne et vous avez dû, monsieur le ministre, trouver dans l’urgence une solution nouvelle pour faire face à cette situation nouvelle.

Vous nous proposez une réponse à travers le présent projet de loi de finances rectificative, qui vise à instaurer, pour une année – vous l’avez rappelé, une seule année, l’année 2017 –, une contribution exceptionnelle à l’impôt sur les sociétés pour les entreprises dont le chiffre d’affaires est supérieur à 1 milliard d’euros, à laquelle s’ajouterait une contribution additionnelle pour celles dont le chiffre d’affaires est supérieur ou égal à 3 milliards d’euros.

Pour les premières, le taux de l’impôt sur les sociétés passerait de 33,3 % à 38,3 % sous l’effet de la contribution exceptionnelle. Pour les secondes, le taux s’établirait à 43,33 %, sous l’effet de la contribution dite « additionnelle ».

Le rendement attendu de ces contributions s’élève à 5,4 milliards d’euros, ce qui permettrait de couvrir environ la moitié des 10 milliards d'euros induits par la censure du Conseil constitutionnel.

Ce mode opératoire n’est pas nouveau. En effet, en 2011, pour faire face à la crise, le Gouvernement avait instauré une contribution exceptionnelle sur l’impôt sur les sociétés.

L’autre moitié serait assurée par l’État, à hauteur de 400 millions d’euros en 2017 et de 4,4 milliards d'euros en 2018.

Alors, bien sûr – vous le disiez, il y a quelques instants –, d’autres solutions auraient pu être envisagées. Vous les avez rappelées : échelonner le remboursement, créer un prélèvement plus important, qui aurait permis de couvrir l’ensemble du remboursement, 10 milliards d'euros, ou encore laisser filer les déficits. On mesure bien les limites de chacune de ces solutions.

La réponse que vous donnez nous semble pragmatique et raisonnable. En effet, d’une part, elle apporte, dans l’urgence, une solution réaliste à une situation tout à fait exceptionnelle. D’autre part, elle évite une dégradation importante du déficit public.

Ainsi, pour 2017, la solution proposée permet de ne pas accroître notre déficit, qui s’établira toujours à 2,9 % du PIB.

En revanche, pour 2018, cette situation nouvelle conduira à une légère dégradation du déficit. Alors qu’il devait s’établir à 2,6 % du PIB, il sera finalement, sous l’effet de ce remboursement, à 2,8 % du PIB.

Au-delà de l’année 2018, les prévisions budgétaires ne devraient pas être impactées par cette décision.

C’est, me semble-t-il, un point particulièrement important. En effet, laisser courir le déficit public aurait forcément malmené nos engagements européens et aurait pu remettre en cause la sortie de la France de la procédure pour déficit excessif dont elle fait l’objet depuis 2009. Prendre un tel risque n’aurait évidemment pas été raisonnable.

Bien sûr, M. le rapporteur général l’a rappelé, nous aurions préféré ne pas avoir à voter cette contribution…

M. Bruno Le Maire, ministre. Moi aussi ! (Sourires.)

M. Bernard Delcros. … qui touchera un peu plus de 300 entreprises.

Ce n’est pas une décision facile, mais c’est une décision, je le crois, responsable. À situation exceptionnelle, réponse exceptionnelle !

Mes chers collègues, vous l’aurez compris, je soutiens le projet de loi de finances rectificative pour 2017 tel qu’il nous est présenté. Le groupe Union centriste adoptera ce texte dans un vote unanime. (MM. Michel Canevet et Julien Bargeton applaudissent.)

M. Bruno Le Maire, ministre. Très juste !

M. le président. La parole est à M. Claude Raynal.

M. Claude Raynal. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le rapporteur général, monsieur le président de la commission des finances, mes chers collègues, le texte que nous examinons ce soir en urgence a des origines anciennes puisqu’il trouve sa source dans le contentieux relatif aux retenues sur les organismes de placement collectif en valeurs mobilières, les OPCVM.

Cette retenue était appliquée depuis 1979. Pourtant, en mai 2012 – après plusieurs alertes jurisprudentielles qui pouvaient laisser présager cette décision –, la Cour de justice de l’Union européenne retoquait déjà cette taxe en considérant qu’en s’appliquant aux non-résidents, elle était contraire au principe de liberté de circulation des capitaux.

À l’époque, le coût de ce contentieux était estimé à 5 milliards d’euros par la Cour des comptes. Son coût final sera plutôt réévalué à 6,5 milliards d’euros.

Une solution de compensation a donc été préparée par les services du ministère de l’économie et des finances à l’automne 2012. L’idée était de mettre en place une contribution de 3 % sur les dividendes, qui présentait également l’avantage d’inciter les entreprises à réinvestir leurs bénéfices plutôt que de les distribuer à leurs actionnaires.

Le texte, discuté rapidement, a été adopté sans que la question de la compatibilité européenne du dispositif ne soit évoquée.

Comme le rappelle le rapporteur général de l’Assemblée nationale, « si la contrariété avec la directive mère-fille apparaît aujourd’hui manifeste, […] cette contrariété n’était pas évidente à l’époque et les évocations d’un doute quant à la compatibilité européenne du dispositif adopté relevaient plus d’une interprétation prospective du droit alors en vigueur que d’une certitude assise sur des précédents juridiques ». Bref, toutes les analyses étaient rassurantes.

À l’époque, le Conseil constitutionnel n’a pas été saisi de la constitutionnalité de la contribution de 3 %.

Pourtant, par la suite, cette taxe a subi le revers juridique que l’on sait et le Conseil a censuré l’intégralité du dispositif, avec un effet immédiat.

À l’issue de cet ultime épisode, le Gouvernement – en urgence, comme il y a cinq ans – est aujourd’hui amené à rechercher une autre forme de recettes, laquelle, nous l’espérons, passera sans encombre sous la possible censure du Conseil constitutionnel, à court, comme à long terme.

Il serait en effet dommageable, monsieur le ministre, au bout du compte, de considérer comme un scandale d’État une action que vous auriez vous-même engagée. D’ailleurs, dans le même ordre d’idée, la réforme de la taxe d’habitation que vous proposez a de bonnes chances, nous le savons tous, d’être invalidée si le Conseil constitutionnel en est saisi. Pour parer cette éventualité, le Premier ministre évoque lui-même, dès aujourd’hui, une réforme globale de la fiscalité locale.

Là encore, si le Conseil venait à se prononcer en votre défaveur, aimeriez-vous, monsieur le ministre, que votre action soit demain qualifiée d’amateurisme juridique ?

En tout état de cause, puisque vous avez saisi l’Inspection générale des finances, c’est avec intérêt que nous lirons les conclusions du rapport à venir et les responsabilités qu’il relèvera.

Sur le fond, vous nous proposez de remplacer une taxe sur les dividendes par une surtaxe sur l’impôt sur les sociétés. Sous la réserve préalable de sa constitutionnalité, nous ne nous opposerons pas à cette proposition, même s’il est clair que les entreprises concernées ne seront pas exactement les mêmes que celles qui étaient initialement contributrices à la taxe sur les dividendes.

En effet, la situation a ceci de paradoxal que les entreprises qui ont le moins redistribué de dividendes et qui ont donc été les moins touchées par la taxe précédente seront les plus grandes perdantes de la contribution proposée.

Nous regrettons également de ne pas avoir une vue plus complète sur les entreprises gagnantes et perdantes de cette contribution à l’impôt sur les sociétés. Vous vous êtes engagé à donner quelques éléments.

Un point a fait tout particulièrement débat, celui des groupes mutualistes. Ceux-ci n’étaient pas soumis à cette taxe puisqu’ils ne distribuaient pas de dividendes, mais ils deviennent contributeurs à la nouvelle taxe pour un montant très important : 1,2 milliard d’euros devront ainsi être acquittés par trois groupes bancaires mutualistes.

Vous avez fait part devant les députés, monsieur le ministre, de votre volonté de trouver une solution à ce dossier. Nous avons déposé un amendement pour vous interroger en ce sens.

M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général de la commission des finances. Il n’est pas très constitutionnel !

M. Claude Raynal. En même temps, tout à l’heure, vous nous avez laissé peu d’espoir.

Notons cependant que d’autres solutions pouvaient être envisagées, par exemple, le report d’un ou deux ans de la réforme de l’impôt sur la fortune et de la mise en place du prélèvement forfaitaire unique, le PFU.

M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général de la commission des finances. Surtout pas ! Pour une fois qu’il y a une bonne réforme !

M. Claude Raynal. Je crois que ce gain aurait été suffisant. D’ailleurs, pour ma part, je ne verrai même pas d’inconvénient à ce que vous mettiez un terme définitif à cette réforme.

Plus généralement, le présent texte nous conduit à nous interroger sur les enjeux liés aux différents contentieux communautaires qui sont toujours en cours. Dans le cadre de son rapport spécial sur le projet de loi de finances pour 2017, la rapporteure spéciale de la mission « Remboursements et dégrèvements » du Sénat s’inquiétait de la capacité des services de Bercy à instruire ces dossiers complexes en augmentation constante. Avez-vous des propositions particulières à nous faire sur ce point, monsieur le ministre ?

Enfin, notre position ne vaut pas approbation de l’article 5, qui ratifie le décret d’avance du 20 juillet 2017.

Pour conclure, sous les réserves évoquées et en ayant à l’esprit l’intérêt général de notre pays, je vous confirme que mon groupe s’abstiendra sur cette proposition. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain.)

M. le président. La parole est à M. Emmanuel Capus.

M. Emmanuel Capus. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous examinons aujourd’hui un collectif budgétaire tout à fait « singulier », selon le terme employé par le Haut Conseil des finances publiques. Malheureusement, cette singularité n’a rien d’une bonne surprise. C’est même tout le contraire : 318 entreprises françaises vont être taxées pour réparer les erreurs d’un précédent gouvernement.

Les conséquences de la politique fiscale punitive et instable du précédent quinquennat se font donc encore sentir maintenant. Ce cadeau empoisonné menaçait de dégrader le solde budgétaire de l’année et de sérieusement compromettre notre sortie de la procédure pour déficit excessif.

Le groupe Les Indépendants – République et Territoires partage la volonté du Gouvernement et du Président de la République de mettre fin le plus tôt possible à cette procédure. Nous souhaitons que soit restauré sans délai le crédit de la France en Europe.

Nous admettons que, dans cette situation exceptionnelle, des mesures exceptionnelles sont nécessaires pour respecter nos engagements.

Pour toutes ces raisons, nous ne nous opposerons pas à ce texte, présenté en l’état.

Néanmoins, je voudrais souligner plusieurs points.

Je passerai sur la forme du dépôt et de l’examen de ce projet de loi, que nos collègues à l’Assemblée nationale et ici même ont dénoncée avec raison. Je passerai sur la conformité de cette mesure avec notre droit budgétaire et avec les principes constitutionnels d’égalité et de non-rétroactivité.

Je veux simplement souligner que, comme souvent, les lois de la raison d’État nous laissent un désagréable arrière-goût d’injustice. En effet, non content de faire payer aux entreprises les erreurs de l’État, ce projet de loi pénalise les entreprises qui investissent et créent des emplois.

Effectivement, une entreprise qui n’a pas distribué de dividendes depuis 2013 pour investir sera pénalisée : elle devra s’acquitter de la contribution exceptionnelle, mais ne sera pas ou peu remboursée. À l’inverse, une entreprise dont le résultat est minoré par une distribution généreuse de dividendes pourra échapper à la nouvelle contribution et se voir rembourser en intégralité. Ainsi, sur 318 entreprises, 95 seront gagnantes et 223 seront perdantes, dont une dizaine « très perdantes », selon vos propres mots, monsieur le ministre. J’attire en particulier votre attention, comme les orateurs précédents, sur la situation des mutuelles.

Certaines seront lourdement affectées par ces contributions sans avoir acquitté un euro de la taxe à 3 %. Nous regrettons ainsi que la créativité proverbiale de Bercy en matière fiscale n’ait pas été mise au service d’une mesure plus fine, qui répartisse plus justement l’effort entre les entreprises.

Vous héritez, il est vrai, monsieur le ministre, d’une situation budgétaire ubuesque. Nous le comprenons. Dans une optique de responsabilité, nous ne nous opposerons pas à une mesure nécessaire à la restauration de notre crédibilité en Europe.

Nous demandons toutefois que les causes institutionnelles qui ont mené à ce fiasco fiscal soient clairement établies. Le processus d’élaboration de la loi fiscale doit être amélioré tout au long de la chaîne législative, de Bercy au Parlement.

Cette malheureuse affaire peut ainsi être l’occasion d’une réflexion nationale sur le « mieux légiférer » en matière fiscale.