M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'État.

M. Sébastien Lecornu, secrétaire d'État auprès du ministre d'État, ministre de la transition écologique et solidaire. Il y a plusieurs éléments dans votre question, monsieur le sénateur. La biomasse comprend aussi les nouveaux carburants, la méthanisation, hormis la question du bois. Je tiens à le redire, nous pouvons être fiers du modèle français de biomasse, notamment en ce qui concerne la méthanisation. Avec nos amis agriculteurs, nous avons fait le choix courageux de nous concentrer sur les matières organiques, sans utiliser des cultures spécifiques dédiées à l’alimentation des méthaniseurs. D’autres modèles européens sont différents.

Ensuite, s’agissant du bois, il y a un enjeu de structuration de la filière. C’est absolument indispensable. La durabilité de la production d’énergie à partir du bois doit être évaluée. On ne va pas déforester pour ne produire que de l’électricité. Il faut être en cogénération et davantage utiliser les chutes de bois d’un certain nombre de métiers, de scieries, d’entreprises. Nous croyons à cette filière, notamment dans un certain nombre de territoires d’outre-mer. J’étais avec le Président de la République en Guyane, où le bois ne manque pas. La question de la biomasse est donc intéressante là-bas.

Enfin, monsieur le sénateur, le fonds chaleur ne diminue pas.

Je rappelle la différence entre autorisations d’engagement et crédits de paiement ; il faut regarder ces derniers. C’est la même chose dans une collectivité locale entre le budget primitif et le compte administratif ; il faut regarder ce dernier.

Je le répète, le fonds chaleur ne diminue pas.

M. Sébastien Lecornu, secrétaire d'État. Il s’élève à 200 millions d’euros pour l’année 2018, chiffres à l’appui, et le compte rendu fera foi.

En plus, la trajectoire carbone permet d’améliorer la compétitivité des projets. Le nombre de projets exécutés tels quels par le biais du fonds chaleur augmentera donc l’année prochaine. L’un ne va pas sans l’autre.

M. le président. La parole est à M. Gérard Longuet, pour le groupe Les Républicains.

M. Gérard Longuet. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, quelles que soient nos passions ou nos préférences pour les énergies de l’avenir, force est d’admettre que les énergies sont fortement consommatrices de capitaux, d’investissements. À ce titre, elles ont besoin de règles du jeu prévisibles et stables.

Le débat n’est pas simplement franco-français, vous le savez, il est naturellement mondial. Nous ne sommes jamais à l’abri d’un risque international, qui peut modifier singulièrement et fortement l’approvisionnement énergétique ; nous ne sommes pas à l’abri de l’apparition d’une nouvelle technologie ; nous ne sommes pas à l’abri de décisions politiques de pays étrangers, qui sont parfois nos partenaires. À cet égard, je veux évoquer le cas de l’Allemagne, qui a décidé, après l’accident survenu à Fukushima, de renoncer au nucléaire, et donc de relancer à la fois des énergies renouvelables aléatoires, comme l’éolien, et des énergies fossiles, à savoir le charbon et le lignite.

Ce développement, en particulier de l’éolien, aboutit à déstabiliser les prix de l’énergie électrique en Europe, puisque, vous le savez mieux que quiconque, monsieur le secrétaire d'État, l’électricité ne se stocke pas encore aujourd’hui dans des conditions acceptables.

Aussi, allez-vous prendre des initiatives franco-allemandes pour que les règles du jeu de l’investissement énergétique puissent être prévisibles et ne soient pas remises en cause par des décisions de nos partenaires qui sont, certes, compréhensibles, mais qui mériteraient d’être prises à la lumière de l'intérêt collectif européen et du centre de l’Europe?

M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'État.

M. Sébastien Lecornu, secrétaire d'État auprès du ministre d'État, ministre de la transition écologique et solidaire. Monsieur Longuet, vous avez raison, il y a les trajectoires franco-françaises et les réalités du prix du marché.

En fait, votre question comporte deux éléments.

Il y a tout d’abord la réalité technologique, dont les représentants de RTE parleraient bien mieux que moi : les équilibres entre import et export d’électricité, les phénomènes de prix négatif de l’électricité lorsqu’il y a beaucoup de vent dans le nord de l’Europe. Cependant, la vraie question que vous posez, c’est celle de la trajectoire carbone européenne, notamment à l’échelle de la relation franco-allemande. Une fois de plus, et je le disais à l’instant pour le fonds chaleur, tout est relatif, puisque nous sommes face à des effets de levier de compétitivité, qui permettent d’engager des transitions.

Si les projets récents d’éoliennes en mer du Nord n’ont plus aucune subvention publique, c’est que le prix de l’électricité a permis d'améliorer les modèles. Mais on voit bien qu’on arrive au bout du bout de la logique sans accord de régulation, ou en tout cas d’entente, sur un coût du carbone commun à la France et à l'Allemagne.

Cela fait partie des conversations que le Président de la République a avec Mme Merkel. Je ne suis pas ces questions moi-même, vous m’en excuserez, monsieur Longuet, mais je crois qu’un certain nombre de conseils consacrés à l’énergie et composés des ministres concernés se sont tenus ou vont se tenir dans les semaines qui viennent.

En tout cas, c’est vrai, à un moment donné, la PPE va devoir s’appuyer sur une visibilité du coût du carbone, parce que c’est celle-ci qui donnera la prévisibilité de notre trajectoire en matière d’énergie. Je crois que nous sommes convaincus de la même chose sur le sujet. À nous maintenant d’agir pour arriver à un résultat le plus rapidement possible. Si nous avons une trajectoire carbone nationale, en même temps, selon la formule consacrée (Sourires.), une trajectoire carbone européenne est nécessaire.

M. le président. La parole est à M. Gérard Longuet, pour la réplique.

M. Gérard Longuet. Je veux simplement remercier le ministre Hulot de son sens des réalités.

M. le président. La parole est à M. Joël Bigot, pour le groupe socialiste et républicain.

M. Joël Bigot. Monsieur le secrétaire d’État, ma question n’est pas sans lien avec le devenir des territoires à énergie positive, évoqué par mon collègue Franck Montaugé. Je souhaite en effet vous interroger sur les difficultés de la filière solaire en France, qui ne connaît malheureusement pas le dynamisme de celle de l’éolien. L’énergie solaire est pourtant la plus compétitive, avec un prix qui peut descendre à 55 euros le mégawattheure, soit un coût nettement inférieur à celui de l’éolien.

Si des parcs photovoltaïques sortent aujourd’hui de terre, je crois que nous devons aller beaucoup plus loin pour rattraper notre retard en la matière.

Le projet de ferme solaire porté par la commune des Ponts-de-Cé, dans le Maine-et-Loire, est un bel exemple de ce qui peut se faire. Il s’agit de reconvertir une ancienne décharge en centrale solaire sur 13 hectares. Dommage qu’il ait fallu attendre huit ans avant que la Commission de régulation de l’énergie, la CRE, ne valide le projet.

Ne serait-il pas judicieux, monsieur le secrétaire d’État, de lancer une vaste opération de recensement des fonciers non agricoles qui pourraient faire l’objet de telles reconversions pour doper la filière ?

Toujours en Maine-et-Loire – vous avez souligné tout à l’heure l’importance du côté participatif pour dynamiser certains projets –, les collectivités territoriales peuvent également compter sur une mobilisation citoyenne extraordinaire, grâce à des associations ou des coopératives comme CoWatt ou Énercoop, qui se proposent d’accompagner les particuliers dans la transition énergétique. Cet engouement démontre que nos concitoyens sont prêts et attendent un soutien sans faille de l’État.

Alors que les discussions concernant la prochaine programmation pluriannuelle de l’énergie portant sur la période 2023-2028 s’engagent, quelles sont, monsieur le secrétaire d’État, les mesures que vous envisagez pour encourager massivement la filière solaire en vue de rattraper nos voisins européens comme l’Angleterre ou l’Allemagne, pays pourtant nettement moins ensoleillés ?

M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'État.

M. Sébastien Lecornu, secrétaire d'État auprès du ministre d'État, ministre de la transition écologique et solidaire. Monsieur le sénateur, afin de respecter le temps qui m’est imparti, je vais aller droit au but.

Tout d’abord, je partage votre analyse.

Ensuite, si c’est parfois la faute de l’État, en l’occurrence, pour le photovoltaïque, les difficultés dans la structuration de la filière ne sont pas de la responsabilité des pouvoirs publics. Je pourrais évoquer, chiffres à l’appui, un certain nombre de défaillances qui ne proviennent pas d’un problème réglementaire, ce qui n’est pas le cas pour l’éolien, notamment l’éolien offshore.

Enfin, sur le foncier, j’ai prévu de sensibiliser les établissements publics fonciers pour recenser les friches, puisque, bien évidemment, sur des périodes données, dans le cadre d’un projet d’aménagement, dans les ZAC ou dans les concessions, utiliser ces friches pour produire de l’énergie est une solution qui peut être intelligente et intéressante, y compris pour celui qui possède le foncier.

En revanche, pour ce qui relève de la compétence de la puissance publique sur le solaire, dans les années qui viennent, nous allons imposer la pluriannualité sur tout le quinquennat dans les appels d’offres et, surtout, une massification, une augmentation du niveau et des seuils de ces appels d’offres pour créer de véritables effets de levier en réponse, afin de « dumper », si j’ose dire, par le haut, le modèle économique et la rentabilité.

M. le président. La parole est à M. Jean-François Husson, pour le groupe Les Républicains.

M. Jean-François Husson. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, la loi relative à la transition énergétique pour la croissance verte prévoit de porter la part des énergies renouvelables dans la consommation finale brute d’énergie à 23 % en 2020 et à 32 % en 2030.

Cette transition énergétique pèse déjà, et va peser encore davantage demain, sur nos finances publiques : le soutien aux énergies renouvelables électriques s’élèvera à plus de 5 milliards d’euros en 2018, et sur le quinquennat, il représentera 30 milliards d’euros.

Or, dans les faits, le Parlement est aujourd’hui contourné, absent des décisions prises par le Gouvernement en matière de soutien aux énergies renouvelables, alors qu’il devrait pouvoir encadrer cette politique, pour bien la soutenir, en fixant dans une loi de programmation pluriannuelle de l’énergie le plafond par filière des nouvelles opportunités de production, ainsi que le plafond des surcoûts compensés aux opérateurs au titre de l’achat d’électricité issue de sources d’énergies renouvelables.

Ma question est simple, monsieur le secrétaire d’État : le Gouvernement a-t-il aujourd’hui l’intention de proposer au Parlement de se prononcer sur ces sujets décisifs pour l’avenir économique du pays, notamment en lui permettant de prendre toute sa place et toute sa part ?

M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'État.

M. Sébastien Lecornu, secrétaire d'État auprès du ministre d'État, ministre de la transition écologique et solidaire. Monsieur le sénateur Husson, je vous remercie de votre question, qui en comporte en fait deux.

Tout d’abord, sur les trajectoires financières, puisque le contribuable est amené à financer les ENR, bien malin celui qui sait ce que cela va coûter dans les années qui viennent, le coût de l’électricité étant tel aujourd’hui que jamais les ENR n’ont été si compétitives. Je ne vais pas redire ce que j’ai déjà dit, mais, vous le constaterez lors de l’examen du projet de loi de finances rectificative, il reste de l’argent – ce n’est pas très conforme à la « parole de Bercy » de parler ainsi – sur le compte d’affectation spéciale « Énergies renouvelables ». Le contribuable n’a jamais été aussi peu sollicité en termes de transition, puisque, là aussi, il s’agit du coût d’un marché. Il serait d’ailleurs intéressant de l’évaluer.

Ensuite, s’agissant de l’association du Parlement, je répète que c’est indispensable. Au-delà de ce qui relève du domaine réglementaire et de la loi, il est essentiel non seulement que le Parlement soit associé à l’élaboration de la PPE, mais aussi qu’un grand débat public ait lieu sur ces questions. Le sénateur Raison parlait tout à l’heure d’acceptabilité : en 2018, on ne peut plus parler d’énergie en catimini entre membres du corps des Mines – Dieu sait que je respecte ce corps, qui m’assiste dans mes fonctions actuelles.

Nicolas Hulot a évoqué ce débat, mais il faudra que l’on précise, dans les semaines et les mois qui viennent, la méthodologie et la manière d’associer les uns et les autres, y compris les élus locaux, les filières économiques concernées, les associations environnementales. Le Parlement aura tout son rôle à jouer dans l’animation des grands débats énergétiques.

Les énergies renouvelables ont un aspect local, quotidien, et la performance énergétique ne consiste pas seulement à faire des travaux d’isolation ; c’est aussi changer le comportement des Françaises et des Français. Les syndicats d’électricité, d’ailleurs, y concourent. Bref, il faut que le débat soit le plus large possible, faute de quoi il ne fonctionnera pas.

M. le président. La parole est à M. Jean-François Husson, pour la réplique.

M. Jean-François Husson. Ma question était courte, pour me laisser le temps de la réplique.

Monsieur le secrétaire d’État, vous nous trouverez toujours aux côtés du Gouvernement, lorsqu’il s’agira, un peu dans l’esprit du Grenelle de l’environnement, d’associer les collectivités, le Parlement et les Français. Sur ces sujets difficiles, on a besoin de cohésion et de soutien si l’on veut réussir.

M. le président. La parole est à M. François Bonhomme, pour le groupe Les Républicains.

M. François Bonhomme. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, le projet de stratégie nationale de mobilisation de la biomasse, conséquence de la loi relative à la transition énergétique pour la croissance verte, a pour objectif le développement de la mobilisation et de l’utilisation de la biomasse, qu’elle soit forestière, agricole ou de déchets, en énergie, notamment pour atténuer le changement climatique, tout en respectant l’articulation des usages entre ses différents débouchés.

Dès lors, la France possédant une importante ressource en biomasse, cette stratégie a également pour objectif de permettre une meilleure indépendance énergétique du pays et de tendre ainsi vers l’objectif de 23 % d’énergies renouvelables en 2020 et de 32 % en 2030.

Néanmoins, malgré des initiatives convergentes offrant des perspectives au secteur de la biomasse, il semble qu’une véritable stratégie publique fasse défaut dans notre pays.

En effet, la France ne dispose pas de réelle stratégie de bio-économie permettant de hiérarchiser les différents usages des ressources et de dépasser la question du partage de la ressource pour envisager les moyens de produire mieux et davantage.

D’ailleurs, un rapport de l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques de 2016 portant sur l’exploitation de la biomasse a rappelé les avantages associés à celle-ci : une énergie renouvelable dont la disponibilité est réputée permanente ; des ressources susceptibles d’être stockées ; un facteur de réduction d’émissions de gaz à effet de serre

Ce rapport a souligné également le manque de vision globale à long terme et de stratégie publique pour une exploitation optimale de cette ressource.

Enfin, l’exploitation de ces énergies est freinée par des lourdeurs administratives. Il faut en effet en France entre trois et quatre fois plus de temps que chez nos voisins italiens ou allemands pour obtenir les autorisations nécessaires.

Depuis, un certain nombre de projets, je pense notamment à la transformation de la centrale à charbon de Gardanne, sont toujours en phase expérimentale.

Monsieur le secrétaire d’État, pouvez-vous nous éclairer sur la façon dont vous entendez surmonter ces difficultés persistantes et faciliter la réalisation de projets de cette nature ?

M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'État.

M. Sébastien Lecornu, secrétaire d'État auprès du ministre d'État, ministre de la transition écologique et solidaire. Monsieur le sénateur, vous me permettez de finir en beauté avec cette question (Sourires.), qui ouvre en plus quelques perspectives. Comme je le disais voilà un instant à votre collègue, la question de la biomasse en général, de la filière bois en particulier, demande des efforts de structuration qui sont extraordinairement importants.

C’est la rencontre de nos outils, des appels à projets notamment, j’y reviendrai, et d’une filière. Sont concernées des réalités territoriales qui sont très fortes, comme vous l’avez dit.

La stratégie relative à la filière bois et à la cogénération d’électricité sera présentée par le Gouvernement dans les jours ou dans les semaines qui viennent. Elle a été coécrite avec l’ensemble des acteurs de la filière, c’est-à-dire les forestiers, les exploitants de scierie, entre autres acteurs, pour arriver justement à un modèle qui fonctionne.

Nous allons faire des appels d’offres dédiés pour aider cette filière à trouver son marché. Nous allons également régionaliser un certain nombre de ces appels d’offres pour essayer de coller au plus près des besoins du territoire.

Comme je l’ai dit tout à l’heure, l’enjeu pour la filière bois est de disposer d’une véritable visibilité sur la durabilité de ce que nous faisons. Il ne s’agit pas d’investir de l’argent public pour s’apercevoir dans cinq ans ou dix ans qu’un modèle complet n’a pas été déterminé, à la différence du photovoltaïque ou de la méthanisation, pour prendre un autre élément de biomasse, qui, lui, fonctionne.

Si ces questions vous passionnent, mesdames, messieurs les sénateurs, nous sommes prêts à vous associer très directement, puisque l’on voit bien que ces questions de la biomasse et de la filière bois sont peut-être plus sensibles que celles portant sur d’autres sources d’énergie renouvelable.

M. le président. Je remercie tous les participants à ce débat thématique, qui ont respecté leur temps de parole, permettant que le débat suivant commence à l’heure prévue.

Nous en avons terminé avec le débat sur le thème : « Quelles énergies pour demain ? »

Mes chers collègues, nous allons interrompre nos travaux pour quelques instants.

La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à dix-huit heures vingt, est reprise à dix-huit heures trente.)

M. le président. La séance est reprise.

8

Collectivités locales

Débat organisé à la demande du groupe socialiste et républicain

M. le président. L’ordre du jour appelle le débat, organisé à la demande du groupe socialiste et républicain, sur la thématique des collectivités locales.

Nous allons procéder au débat sous la forme d’une série de questions-réponses dont les modalités ont été fixées par la conférence des présidents.

L’orateur du groupe qui a demandé ce débat, en l’occurrence le groupe socialiste et républicain, disposera d’un temps de parole de dix minutes, y compris la réplique, puis le Gouvernement répondra pour une durée qui ne devra pas excéder dix minutes.

Dans le débat, la parole est à M. Christian Manable, pour le groupe auteur de la demande.

M. Christian Manable, pour le groupe socialiste et républicain. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, le rôle des collectivités locales, l’avenir de la décentralisation et les suites à donner à la réforme territoriale ont un impact direct sur le quotidien des Français et sont autant de réponses aux fractures qui traversent notre société.

Les enjeux futurs concernant ces thématiques sont donc très importants. De mon point de vue, ils se concentrent autour de quatre domaines : les relations entre l’État et les collectivités territoriales, les finances locales, les compétences des collectivités et l’achèvement de la modernisation de l’intercommunalité.

En effet, les élus locaux sont légitimement préoccupés et inquiets du fait des incertitudes, qui pèsent très lourdement sur le devenir de leur collectivité. Or ils ont besoin de se projeter pour penser le futur de leur commune, car être élu aux côtés de leurs concitoyens, c’est, pour eux, se préoccuper de la gestion quotidienne, mais aussi être un bâtisseur d’avenir de leur collectivité.

Cependant, comment agir si le flou l’emporte ?

Comment agir sans certitude sur l’avenir des recettes, par exemple en ce qui concerne les compensations, d’ici à la fin du mandat, de la suppression programmée de la taxe d’habitation ?

Comment agir en matière de rythmes scolaires, sans certitude sur la pérennisation de l’engagement de l’État ?

Comment agir sur la programmation des logements sociaux, alors que l’aide personnalisée au logement – APL – est instrumentalisée et que les offices d’HLM risquent l’étranglement financier ?

Avant de regarder plus précisément ces enjeux, il faut reconnaître que l’acte III de la décentralisation n’a pas eu lieu. Non pas parce que le précédent quinquennat n’avait pas la fibre décentralisatrice – le transfert aux régions de la gestion des fonds européens en est une illustration parmi d’autres –, mais parce que la priorité a été donnée à la modernisation de notre organisation territoriale.

Je rappelle que notre pays compte, pour la première fois de son histoire, moins de 36 000 communes, grâce au succès du dispositif des communes nouvelles.

Je rappelle aussi que la carte des régions métropolitaines a été redessinée, que la clause de compétence générale des régions et des départements a été supprimée et que le régime intercommunal a été rénové dans les grandes agglomérations avec la création des métropoles.

Ce processus, alliant décentralisation de compétences précises et modernisation des structures, doit être poursuivi sans engager de nouveau big bang.

Pour ce faire, il faut renouveler et institutionnaliser le dialogue entre l’État et les collectivités territoriales, c’est le premier enjeu.

Un État décentralisé ne peut se passer d’une instance de discussion et de concertation pérenne réunissant l’État et les représentants des collectivités, où seraient discutés les projets de textes législatifs concernant ces dernières et mis sur pied un pacte de confiance.

Il y a également un vrai travail à mener en matière de finances locales, c’est le deuxième enjeu, j’y reviendrai dans quelques instants.

À ce sujet, il faut noter que le projet du Président de la République d’exonérer 80 % des contribuables locaux de taxe d’habitation a eu un écho médiatique et populaire non négligeable pendant la campagne présidentielle.

M. François Bonhomme. C’était la campagne…

M. Christian Manable. Cet impôt souffre effectivement de nombreuses lacunes et défauts et le projet a le mérite de cibler les classes moyennes et populaires. Il ne faut pas que cette exonération remette en cause l’autonomie fiscale des collectivités et finisse par se transformer en variable d’ajustement au sein des transferts financiers entre l’État, d’une part, et les collectivités territoriales, d’autre part.

S’agissant des compétences, le Gouvernement doit être ouvert à de futurs transferts vers les collectivités, c’est le troisième enjeu.

La suppression de la clause de compétence générale a permis de recentrer l’action des départements et des régions sur ce que j’appellerai leur cœur de métier : aux départements, les politiques de solidarité ; aux régions, les politiques structurelles, comme le développement économique ou la formation.

Une décentralisation intégrale du service public de l’emploi vers les régions s’inscrirait ainsi en cohérence avec les compétences déjà exercées par les conseils régionaux.

Le quatrième enjeu concerne l’intercommunalité.

La refonte récente de la carte intercommunale et le renforcement progressif des compétences des établissements publics de coopération intercommunale à fiscalité propre ne doivent pas être perçus comme une remise en cause des communes, échelon de proximité indispensable – cela a été dit de nombreuses fois cet après-midi dans l’hémicycle –, mais comme une volonté de faciliter la mise en œuvre de politiques publiques à l’échelle des bassins de vie. C’est la même logique qui est derrière l’affirmation des métropoles.

Au moment où nous travaillons à une contractualisation de la relation entre l’État et certaines collectivités ou à la préparation de la deuxième réunion de la Conférence nationale des territoires, je veux ici témoigner de l’inquiétude, voire de la résignation – ce qui est souvent bien pire –, qui s’installe parmi les élus, les maires et leurs équipes.

Les causes sont bien connues ; il s’agit en fait d’une succession de mesures rétrécissant toujours un peu plus le champ des libertés locales et affaiblissant le rôle des collectivités et des communes.

C’est évidemment le cas avec les économies budgétaires de 13 milliards d’euros imposées au secteur local. Parce qu’elle intègre l’inflation et ne tient pas compte des efforts de gestion réalisés par les collectivités, cette mesure va rapidement se traduire par une baisse brutale des ressources et avoir des conséquences sur l’investissement.

Même si, notamment lors du dernier quinquennat, un renforcement des mécanismes de péréquation a permis de réduire certaines inégalités entre collectivités ou territoires, la méthode de la contractualisation pour les plus grandes collectivités de notre pays est séduisante et beaucoup plus souple que la baisse de la dotation globale de fonctionnement, DGF, pratiquée sous les précédents mandats.

Néanmoins, certaines des décisions préalablement annoncées ont été particulièrement mal ressenties, notamment dans les territoires ruraux et les banlieues : réduction brutale des emplois aidés ; exclusion d’une très grande partie de notre territoire du champ du prêt à taux zéro – le PTZ – et du dispositif dit Pinel ; réduction du nombre d’élus locaux ; instauration d’une nouvelle norme prudentielle prévue à l’article 24 du projet de loi de programmation des finances publiques pour les années 2018 à 2022… Et n’oublions pas l’annulation de plus de 200 millions d’euros de crédits de paiement sur l’enveloppe de la dotation d’équipement des territoires ruraux, la DETR !

Vous vous doutez bien que toutes ces décisions ont rendu les élus locaux très méfiants.

Il en va de même pour la suppression de la taxe d’habitation, que j’évoquais à l’instant, ainsi que pour la restriction du recours à l’emprunt, mesure qui est prise alors même qu’aucune collectivité – je dis bien, aucune ! – n’est en faillite et que les dispositifs de contrôle existent déjà. Quand on sait que les budgets des collectivités doivent être votés à l’équilibre, cette mesure apparaît avant tout comme vexatoire.

Sans parler de la baisse envisagée du nombre d’élus locaux, dont l’écrasante majorité est bénévole !

Sur la question de la contractualisation, je voudrais vous interroger plus particulièrement, madame la ministre, sur le cas des départements, dont la situation est très hétérogène, notamment selon le nombre de bénéficiaires de l’allocation personnalisée d’autonomie – APA –, du revenu de solidarité active – RSA – ou de la prestation de compensation du handicap – PCH. On peut aussi citer, parmi les éléments d’hétérogénéité, le nombre – par ailleurs, croissant – des mineurs isolés.

Comment le taux d’augmentation est-il négociable et en fonction de quels critères ? Ne faudrait-il pas, dès à présent, inscrire une clause de revoyure, afin de rassurer les élus et garantir le succès du dispositif de contractualisation ?

En ce qui concerne les régions, si la carte territoriale a bien été remodelée, tout reste à construire. Tout autant que la taille ou le nombre d’habitants, ce sont les compétences, les capacités d’adaptation, y compris réglementaires, et la volonté de travailler en synergie qui comptent.

La priorité de ces régions « XXL » sera désormais de redonner un sens à l’action qu’elles mènent sur l’ensemble de leur territoire, et cela grâce à une plus grande coopération territoriale. Ces démarches pragmatiques seront encouragées, je l’espère, chaque fois qu’elles permettront de renforcer la régionalisation.

L’attribution d’une fraction du produit de la TVA en remplacement de la DGF va dans le bon sens, puisqu’elle renforcera l’autonomie fiscale des régions, tombée aujourd’hui à moins de 10 % !

Il faut faire confiance aux territoires et faire le pari de leur intelligence collective, de leur capacité à mener de grands projets.

Il faut redonner du sens à la libre administration des territoires. C’est possible à Constitution constante. Les exemples de la Nouvelle-Calédonie, de Wallis-et-Futuna – cette collectivité a trois rois –, de la Corse, mais aussi de l’Île-de-France ou de Lyon le prouvent : la France est un État fédéral qui s’ignore ou, tout du moins, un État dévolutif.