M. le président. La parole est à Mme la ministre.

Mme Jacqueline Gourault, ministre auprès du ministre d'État, ministre de l'intérieur. Monsieur le sénateur, l’autonomie financière des collectivités, au sens de l’article 72-2 de la Constitution, sera en tout état de cause respectée. La réforme de la taxe d’habitation n’altère pas le ratio d’autonomie ainsi défini. En effet, la taxe d’habitation n’est pas supprimée ; elle fait simplement l’objet d’un dégrèvement, et non pas d’une exonération. La dynamique des bases reste donc acquise à la collectivité et la taxe d’habitation dégrevée demeure une ressource propre au sens de la Constitution.

Par ailleurs, et même si la règle constitutionnelle d’autonomie financière ne garantit pas en droit le pouvoir de fixer les taux, le Gouvernement a proposé, dans le projet de loi de finances pour 2018, de maintenir ce pouvoir pour la taxe d’habitation. Évidemment, les hausses de taux au-delà de celui de 2017 seront à la charge du contribuable.

Cela étant, vous savez qu’une réflexion d’ensemble sur la fiscalité locale a été engagée dans le cadre de la mission confiée à MM. Alain Richard et Dominique Bur. Pour ma part, à titre personnel, au vu de ce que rapporte, dans certaines régions, la taxe foncière sur les propriétés non bâties, j’estime qu’il faut aussi revoir cet impôt et instaurer des différenciations suivant l’usage de la propriété taxée. Je pense surtout aux agriculteurs, mais des ressources pourraient également y être trouvées pour les collectivités locales.

M. le président. La parole est à M. Dominique de Legge, pour la réplique.

M. Dominique de Legge. Madame la ministre, j’ai bien compris qu’il s’agissait d’un dégrèvement. En 2010, lors de la suppression de la taxe professionnelle, on nous avait expliqué la même chose. Or je me souviens qu’un excellent sénateur d’alors, qui était d’ailleurs une sénatrice, avait ainsi répondu : « Je voudrais relayer ici l’angoisse des élus. […] la réforme de la taxe professionnelle […] correspond à une recentralisation fiscale [Les collectivités locales] craignent de ne plus pouvoir assumer leurs missions. » J’aimerais que l’actuelle ministre n’oublie pas ce que disait la sénatrice !

Mme Jacqueline Gourault, ministre. Ce n’était pas un dégrèvement ; c’était une exonération !

M. le président. Madame la ministre, le principe veut que le dernier mot revienne au sénateur auteur de la question ; c’est l’un des rares privilèges sénatoriaux. Vous auriez pu compléter votre réponse lors de votre prochaine intervention.

La parole est à M. Bernard Fournier, pour le groupe Les Républicains.

M. Bernard Fournier. Madame la ministre, je souhaite attirer votre attention sur les transferts obligatoires des compétences communales à l’échelon supérieur.

Comme vous, je suis convaincu que l’intercommunalité représente une chance de survie pour les communes et je reste pleinement conscient que la mutualisation des moyens humains et financiers est un enjeu déterminant, notamment en milieu rural.

En revanche, il est certain que l’intercommunalité doit impérativement être consensuelle et cohérente pour servir d’outil en faveur d’un projet de territoire.

Quelle est la logique actuelle ? Une course aux collectivités « XXL », coûteuses et peu démocratiques ! Comme une très large majorité d’élus, soutenus dans leurs actions par l’Association des maires ruraux de France, l’AMRF, je considère que les transferts obligatoires de compétences vers les EPCI sont particulièrement dangereux, puisqu’ils contribuent encore un peu plus à faire de nos communes des coquilles vides.

La loi NOTRe, qui transfère obligatoirement les compétences eau et assainissement au 1er janvier 2020, en est un très bon exemple – je devrais plutôt dire, un très mauvais exemple !

Fruit d’une vision dogmatique de la loi NOTRe qui consiste à concentrer les compétences sans s’interroger sur l’opportunité ou la faisabilité d’un tel transfert, la disposition actuelle dépossède les élus ruraux de tout choix, alors qu’ils ont souvent déployé des solutions adaptées à la géographie et à la morphologie des territoires.

L’enjeu est d’améliorer la gestion de ces politiques en redonnant pouvoir de décision et de responsabilité aux élus locaux. L’idéologie consistant à « éplucher » les compétences des communes pour les affecter sans choix aux intercommunalités se heurte à une réalité concrète : le périmètre des nouveaux EPCI ne correspond pas nécessairement aux périmètres des syndicats gérant ces enjeux.

L’enjeu est aussi économique, puisque, dans de nombreux cas, le coût du transfert à l’échelon de l’intercommunalité se répercutera sur le prix de l’eau.

En d’autres termes, le maintien du transfert obligatoire des compétences eau et assainissement à l’intercommunalité serait la preuve de la poursuite d’une vision technocratique.

M. le président. La parole est à Mme la ministre.

Mme Jacqueline Gourault, ministre auprès du ministre d'État, ministre de l'intérieur. Monsieur le sénateur, puisque l’on aime citer ce que j’ai fait pendant des années au Sénat, on pourrait rappeler combien, lors de l’examen de la loi NOTRe, nous nous sommes battus sur la question du périmètre des EPCI, pour que soit fixé un critère de densité de population permettant au monde rural de ne pas être contraint par le seuil de 15 000 habitants qui avait été finalement retenu.

Un certain nombre d’événements se sont ensuite produits. Certains élus ont souhaité créer des communautés plus grandes, alors qu’ils n’en avaient pas l’obligation ; parfois, je le reconnais, certains se sont vu forcer la main. Mais, dans le Grand Reims par exemple, les élus ruraux ont manifesté la volonté de se rattacher à Reims au sein d’une grande intercommunalité. Certaines situations ont pu se révéler particulièrement difficiles.

Sur les compétences eau et assainissement que vous avez évoquées, monsieur le sénateur, lorsque des difficultés manifestes se sont posées dans les zones rurales ou dans les zones de montagne, nous avons travaillé. Vous le savez, le Premier ministre m’a confié une mission et un texte législatif est prévu. Les élus ont été entendus et respectés.

Le Premier ministre l’a annoncé hier : un droit d’opposition un peu similaire à ce qui existe pour le PLUI sera créé, qui permettra, dans le respect d’au moins 25 % des communes et d’au moins 20 % de la population, le maintien de la compétence à l’échelon communal.

C’est là, je crois, une avancée importante, grâce à laquelle nous sortons par le haut du clivage entre ceux qui voulaient garder le transfert et ceux qui souhaitaient le supprimer. C’est un bon compromis.

M. le président. Nous en avons terminé avec le débat sur la thématique des collectivités locales.

Madame la ministre, je vous remercie de vous être livrée à cet exercice exigeant et, mes chers collègues, je vous remercie d’avoir, dans l’ensemble, respecté vos temps de parole.

Nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à vingt-deux heures cinq.

La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à vingt heures trente-cinq, est reprise à vingt-deux heures cinq, sous la présidence de M. Jean-Marc Gabouty.)

PRÉSIDENCE DE M. Jean-Marc Gabouty

vice-président

M. le président. La séance est reprise.

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Dossier législatif : proposition de loi relative aux modalités de dépôt de candidature aux élections
Discussion générale (suite)

Modalités de dépôt de candidature aux élections

Adoption d’une proposition de loi dans le texte de la commission modifié

M. le président. L’ordre du jour appelle la discussion, à la demande du groupe socialiste et républicain, de la proposition de loi, adoptée par l’Assemblée nationale, relative aux modalités de dépôt de candidature aux élections (proposition n° 362 [2016-2017], texte de la commission n° 88, rapport n° 87).

Dans la discussion générale, la parole est à Mme la ministre.

Discussion générale (début)
Dossier législatif : proposition de loi relative aux modalités de dépôt de candidature aux élections
Article additionnel avant l'article 1er A

Mme Jacqueline Gourault, ministre auprès du ministre d'État, ministre de l'intérieur. Monsieur le président, monsieur le président de la commission des lois, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, la Haute Assemblée a souhaité inscrire à l’ordre du jour de ses travaux la proposition de loi relative aux modalités de dépôt de candidature aux élections, adoptée par l’Assemblée nationale le 1er février dernier.

À l’époque, le Gouvernement avait émis un avis favorable sur ce texte, déposé par Laurence Dumont et Bruno Le Roux, qui vise à garantir le caractère volontaire des déclarations de candidature pour empêcher que des personnes ne se retrouvent candidates « malgré elles ».

Avant d’évoquer le contexte et le contenu de ce texte, je souhaite m’arrêter un instant sur ces candidats malgré eux. De quoi parlons-nous ? De personnes qui, sous l’effet de manœuvres frauduleuses, figurent contre leur gré dans une déclaration de candidature. Ces personnes, souvent âgées, ont signé à leur insu le formulaire CERFA de candidature, alors que celui-ci leur a été présenté comme une pétition, un parrainage ou même une demande d’inscription sur les listes électorales.

Ces irrégularités, qui concernent principalement les scrutins de liste et, de manière plus marginale, les scrutins majoritaires uninominaux ou plurinominaux, sont le fait de candidats qui, ne trouvant pas de suppléant ou un nombre suffisant de candidats volontaires pour déposer une liste complète, choisissent alors, de manière délibérée, de compléter leur candidature en y inscrivant des personnes sans leur consentement.

Les conséquences de ces manœuvres frauduleuses sont lourdes.

Pour les candidats malgré eux, cela se traduit par l’impossibilité de retirer leur candidature dès lors que le délai de dépôt est forclos ou lorsque la déclaration de candidature a été déposée auprès des services de l’État. Cela se traduit également par l’impossibilité d’obtenir le retrait de la propagande électorale et des bulletins de vote sur lesquels figure leur nom, ce qui est extrêmement préjudiciable lorsqu’ils ne partagent pas les principes et valeurs du candidat titulaire ou tête de liste.

Pour les électeurs, ces fraudes sont susceptibles d’altérer le sens du vote, mais, surtout, alimentent une défiance à l’égard du système électoral.

Pour les autres candidats au scrutin, ces manœuvres introduisent des inégalités dans la constitution des candidatures. Pour ceux qui ont gagné l’élection, elles constituent un préjudice lorsqu’elles conduisent à l’annulation du scrutin.

Mesdames, messieurs les sénateurs, il s’agit d’un sujet qui, en touchant à la sincérité du scrutin, est au cœur de notre démocratie. C’est pourquoi le Gouvernement se félicite que la Haute Assemblée s’en soit emparée pour en débattre.

Ces manœuvres frauduleuses ne sont pas récentes, comme en témoigne l’annulation d’élections pour ce motif par le juge administratif dans les années quatre-vingt-dix. Plus récemment, lors des élections municipales de 2014, une quarantaine de cas ont été recensés par le ministère de l’intérieur dans plusieurs départements : la Seine-Maritime, le Calvados, la Seine-Saint-Denis, la Haute-Savoie… Des cas ont également été signalés lors des élections départementales de mars 2015 et des élections régionales de décembre 2015.

Ces manœuvres ont pu conduire à des rectifications ou annulations partielles ou totales de scrutins et à de nouvelles élections. Par une décision du 4 février 2015, le Conseil d’État a par exemple confirmé l’annulation du scrutin municipal de Vénissieux de mars 2014 prononcée par le tribunal administratif de Lyon, compte tenu des écarts de voix constatés.

Au-delà de l’insécurité juridique et du contentieux, ces irrégularités portent atteinte à la confiance des électeurs dans le système électoral et la classe politique et doivent donc être fermement combattues. Une première tentative avait du reste eu lieu, avec la proposition de loi déposée en 2003 par le député Jacques Masdeu-Arus.

Jusqu’à présent, ce combat était mené a posteriori par le biais de sanctions pénales et de sanctions prononcées par le juge de l’élection. La proposition de loi dont nous débattons aujourd’hui va plus loin, car elle permet d’agir en amont de ces fraudes en garantissant le caractère volontaire des déclarations de candidature.

Ainsi, le texte prévoit de formaliser le consentement des candidats à travers deux dispositions.

Il s’agit, d’une part, d’ajouter, sous la signature du formulaire CERFA de déclaration de candidature, une mention manuscrite de chaque candidat par laquelle celui-ci consent à se porter candidat aux élections. Le responsable de la liste ou le candidat au poste de titulaire sera nommément cité dans cette mention manuscrite.

Il s’agit, d’autre part, pour chaque candidat, de transmettre la copie d’un justificatif d’identité dans les pièces nécessaires au dépôt de la candidature.

Certains d’entre vous pourront estimer que ces dispositions constituent de nouvelles formalités pour les candidats, alors même, et c’est un objectif du Gouvernement, que les modalités de dépôt de candidature sont parfois complexes et pourraient faire l’objet de simplifications.

Je peux comprendre de telles inquiétudes, mais je souhaite apporter les précisions suivantes.

L’apposition d’une mention manuscrite sous la signature du formulaire CERFA ne me paraît pas une formalité excessive, mais constitue, au contraire, un mécanisme simple d’expression du consentement. S’il est simple, il n’est en revanche pas suffisant pour garantir le caractère volontaire d’une candidature, dès lors que cette mention manuscrite peut être apposée de manière frauduleuse par le candidat titulaire ou tête de liste après la signature du formulaire CERFA.

C’est pourquoi la transmission de la copie d’une pièce justificative d’identité est une condition indispensable pour garantir le consentement du candidat. En effet, c’est la seule pièce à caractère personnel que ne peut se procurer le candidat titulaire ou tête de liste à l’insu de la personne concernée. Elle diverge en cela de l’attestation d’inscription sur les listes électorales que les candidats doivent fournir et qui, en étant un document communicable au sens de la Commission d’accès aux documents administratifs, la CADA, peut être sollicitée par un tiers sans le consentement de l’intéressé.

Ainsi, mesdames, messieurs les sénateurs, la proposition de loi prévoit un mécanisme procédural simple et efficace auquel les membres du Gouvernement sont favorables. Nous veillerons à ce que sa mise en œuvre réglementaire réponde à ces deux exigences de simplicité et d’efficacité.

Le Gouvernement est d’autant plus favorable à ce texte que celui-ci a été enrichi par la commission des lois de la Haute Assemblée dont je veux saluer le travail ainsi que celui de son rapporteur, M. Didier Marie. En étendant le périmètre du texte aux élections municipales dans les communes de moins de 1 000 habitants, à l’élection des conseillers de la métropole de Lyon, à celle des instances représentatives des Français établis hors de France et à l’ensemble des élections des collectivités ultramarines, c’est la sincérité de l’ensemble des scrutins qui se trouve ainsi renforcée. Il en est de même pour la transmission d’un justificatif d’identité pour les candidats et suppléants aux élections législatives, départementales et sénatoriales.

Fallait-il pour autant une loi pour apporter ces garanties supplémentaires au caractère volontaire des candidatures ? Je sais que ce point a fait débat au sein de la commission des lois et je tiens à répondre dès à présent à cette question par l’affirmative.

Sur le plan juridique, poser le principe de dispositions, telles qu’un justificatif d’identité, visant à garantir le consentement des candidats dans un domaine touchant à la sincérité des scrutins relève pleinement du domaine de la loi, tandis qu’il appartient au pouvoir réglementaire d’en fixer les modalités et la nature.

Sur le plan politique, la gravité du sujet et les solutions pouvant être apportées ne souffriraient pas l’absence d’un débat parlementaire. Alors que les enjeux liés à la sincérité du scrutin se trouvent au cœur de la vie démocratique, concernent l’ensemble des élus et ceux qui souhaitent le devenir, le Gouvernement n’entend pas faire l’économie de ce débat, économie qui n’aurait pas manqué de lui être reprochée.

Un autre sujet de discussion concerne l’amendement du sénateur Jean-Pierre Grand visant à ajouter deux noms sur les listes de candidats aux élections municipales dans les communes de plus de 1 000 habitants. Si ce sujet n’est pas au cœur du texte examiné aujourd’hui, le Gouvernement ne saurait ignorer les difficultés qui surviennent lorsqu’un maire démissionne alors que le conseil municipal est incomplet. Ces difficultés sont d’autant plus prégnantes dans les petites communes où une seule liste s’est présentée.

Toutefois, l’amendement déposé par Jean-Pierre Grand soulève une difficulté, en particulier pour les petites communes qui sont nombreuses à connaître une crise des vocations. Augmenter de deux le nombre de candidats sur la liste rendrait encore plus difficile l’établissement de listes complètes pour ces communes. C’est pourquoi, dans une approche équilibrée, le Gouvernement défendra un amendement visant à rendre ces dispositions optionnelles.

En revanche, le Gouvernement ne saurait approuver des dispositions tendant à encadrer l’enregistrement et la communication des informations relatives aux nuances politiques.

Sur ce sujet – j’aurais l’occasion d’y revenir lors de l’examen des amendements –, je souhaite insister sur le fait que les nuances politiques sont utilisées par l’administration depuis la IIIe République.

Chaque nuance est attribuée par les services déconcentrés de l’État, à leur plus haut niveau, en fonction d’éléments objectifs parmi lesquels figurent notamment les investitures délivrées par les partis politiques.

Dans la mesure où ces nuances ne sont pas communiquées aux électeurs, elles n’altèrent en rien la sincérité du scrutin, comme le Conseil d’État l’a indiqué à plusieurs reprises, en 2003 et en 2015, dans sa jurisprudence.

S’agissant du traitement de données personnelles, la CNIL, la Commission nationale de l’informatique et des libertés, s’est prononcée sur la finalité des nuançages dans sa délibération du 19 décembre 2013 : « Cette nuance, attribuée par l’administration, vise à placer tout candidat ou élu sur une grille politique représentant les courants politiques et se distingue ainsi des étiquettes et des groupements politiques. Elle permet aux pouvoirs publics et aux citoyens de disposer de résultats électoraux faisant apparaître les tendances politiques locales et nationales et de suivre ces tendances dans le temps. »

En outre, les modalités de communication et de diffusion de ces nuances sont, depuis le décret du 9 décembre 2014, déjà encadrées. Ainsi, tout candidat à une élection peut demander à l’administration communication de la nuance qui lui a été attribuée. En cas de désaccord, il peut également en demander la rectification. Il s’agit là de dispositions essentielles, qui répondent pleinement aux exigences soulevées.

Tel est, mesdames, messieurs les sénateurs, l’état d’esprit dans lequel le Gouvernement aborde ce débat, un état d’esprit constructif et équilibré, qui vise à établir des mécanismes simples et efficaces pour garantir le caractère volontaire des candidatures aux différents scrutins, sédiment essentiel de la confiance des électeurs dans leurs représentants et dans notre démocratie. (Applaudissements sur les travées du groupe La République En Marche, du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen, du groupe Union Centriste et du groupe Les Républicains, ainsi qu’au banc des commissions.)

M. le président. La parole est à M. le rapporteur.

M. Didier Marie, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le président de la commission, mes chers collègues, entre 2014, date des dernières élections municipales, et 2017, près d’un million de nos concitoyens se sont portés candidats à une élection européenne, nationale ou locale, ce qui atteste de la vitalité de notre démocratie.

Tous ont satisfait à l’obligation de dépôt de candidature auprès des services de l’État, une obligation ancienne constituant une formalité substantielle, qui a été progressivement précisée depuis la fin des années quatre-vingt, renforcée, notamment par la loi du 30 décembre 1988 imposant aux candidats de joindre les documents officiels attestant qu’ils respectent les règles d’éligibilité fixées par le code électoral, par celle de 2011 prévoyant la désignation d’un mandataire financier et par la loi du 17 mai 2013, de nos collègues Yves Détraigne et Alain Richard, étendant l’obligation de dépôt de candidature aux communes de moins de 1 000 habitants.

Si la grande majorité des opérations de dépôt et d’enregistrement des candidatures se sont déroulées sans difficulté, des partis et groupements politiques, souvent situés à l’extrémité de l’échiquier politique, ont profité de l’inattention, voire de l’état de faiblesse de certains de nos concitoyens pour les inscrire, à leur insu, sur une liste de candidats.

Lors des élections municipales de 2014, le ministère de l’intérieur a ainsi identifié, dans un département qui m’est cher, la Seine-Maritime, près de trente candidats malgré eux – vingt-deux au Grand-Quevilly, six dans ma bonne ville, Elbeuf, un à Lillebonne –, mais aussi huit à Giberville, dans le Calvados, trois à Barfleur, dans la Manche, un à Annemasse, en Haute-Savoie, un à Noisy-le-Grand, en Seine-Saint-Denis, et un à Puteaux. À Orléans, une nonagénaire atteinte de la maladie d’Alzheimer a été inscrite, malgré elle, sur la liste Orléans Bleu Marine.

M. Didier Marie, rapporteur. À Vénissieux, une personne a déposé une déclaration de candidature au nom de la liste Vénissieux fait front. Dix-neuf des quarante-huit colistiers ont affirmé avoir été trompés, la tête de liste ayant indiqué, à tort, qu’elle avait le soutien du Front national, alors qu’elle en avait été exclue quelques semaines plus tôt. Le juge administratif a annulé l’élection et déclaré la tête de liste inéligible.

Ces manœuvres frauduleuses ne concernent pas seulement les élections municipales. Ainsi, lors des dernières élections départementales de mars 2015 dans le Puy-de-Dôme, un binôme a été investi contre son gré, recueillant 14,3 % des voix au premier tour sans faire campagne et faussant ostensiblement les résultats du scrutin.

Ces manipulations portent une atteinte grave à la sincérité des scrutins. À défaut de pouvoir retirer leur candidature avant l’élection, les personnes abusées ont pour seule solution de saisir le tribunal administratif.

Ces irrégularités sont lourdes de conséquences pour le bon fonctionnement de la démocratie : elles dupent les électeurs, ruinent la confiance qu’ils peuvent avoir dans les institutions et pénalisent l’ensemble des listes candidates. Elles engendrent également des dépenses publiques nouvelles lorsqu’elles provoquent la convocation d’élections partielles.

L’inscription de candidats malgré eux présente, enfin, des conséquences non négligeables sur les citoyens dupés, comme cette personne âgée de Giberville, qui a toute sa vie voté communiste, le proclamant haut et fort, et s’est retrouvée sur la liste du Front national. Le préjudice psychologique au regard de sa notoriété est très important…

Il est utile de rappeler que, si ces personnes ont connaissance avant le scrutin de leur engagement, elles ne peuvent retirer leur candidature après le dépôt de la déclaration que si la moitié de la liste y consent et si les délais limites de dépôt de candidature ne sont pas dépassés, ce qui est particulièrement rare.

Ainsi, s’il est difficile de recenser avec précision le nombre de candidats malgré eux signalés, ces « fraudes au consentement » et ces « bourrages de liste », pour reprendre l’expression d’une collègue députée, représentent un problème ancien, constaté dès les municipales de 1989 et 2001, qui prend une ampleur inégalée. Ce phénomène doit donc être traité avec vigueur et pragmatisme.

Dans ce contexte, la proposition de loi relative aux modalités de dépôt de candidature aux élections, déposée par notre collègue députée Laurence Dumont et plusieurs de ses collègues du groupe socialiste, adoptée par l’Assemblée nationale le 1er février 2017 et inscrite aujourd'hui à notre ordre du jour, tend à renforcer les dispositifs mis en œuvre en amont de l’enregistrement des candidatures pour s’assurer que tous les colistiers ou suppléants consentent réellement à se présenter au suffrage des électeurs.

Concrètement, le texte prévoit deux formalités supplémentaires lors du dépôt des déclarations de candidature : d’une part, l’apposition d’une mention manuscrite des colistiers ou suppléants confirmant leur volonté de se présenter à l’élection, d’autre part, la transmission aux services de l’État d’une copie du justificatif d’identité des candidats.

Les articles 1er, 3 et 4 s’appliquent aux élections à scrutin de liste, c'est-à-dire les élections municipales, régionales et européennes. L’article 2 concerne les élections départementales et l’article 2 bis les élections sénatoriales. L’article 5 étend l’application de la proposition de loi aux élections municipales de Nouvelle-Calédonie et à l’élection des conseillers aux assemblées de Guyane et de Martinique.

La commission des lois partage pleinement les objectifs de cette proposition de loi qui semble faire consensus : elle a été votée à l’unanimité à l’Assemblée nationale, elle reçoit l’appui du Gouvernement – ce dont je remercie Mme la ministre –, ainsi que des associations d’élus.

D’aucuns pourraient objecter que ses dispositions relèvent du domaine réglementaire. Nous nous sommes interrogés sur ce point, mais force est de constater que cette difficulté n’a été soulevée ni par les députés ni par le Gouvernement. En outre, les difficultés politiques qu’implique l’inscription de candidats malgré eux sur les listes justifient que le Parlement se positionne fermement sur cette question.

Enfin, je rappelle que la déclaration de candidature constitue un acte essentiel pour l’exercice des droits civiques des citoyens et que le législateur a déjà précisément encadré cette procédure dans la partie législative du code électoral : fixation d’un délai limite de dépôt des candidatures, définition des documents à transmettre aux services de l’État, etc.

Pour ceux qui craignent un excès de formalisme, je reprendrai les propos de notre collègue député Guy Geoffroy : « On conviendra cependant qu’être astreint à respecter un peu plus de formalisme et à écrire un peu plus à la main tous les cinq ou six ans pour pouvoir s’engager dans le débat démocratique et devenir un élu de la République, cela vaut la peine, car l’objectif est de lutter contre tous les types de détournement, toutes les fraudes. »

Pour prévenir tout formalisme excessif, il appartiendra au pouvoir réglementaire de garantir la simplicité de la réforme. Je rappelle que la volonté de se présenter aux élections prime d’éventuelles erreurs formelles et non substantielles. L’objectif de la proposition de loi est de lutter contre l’inscription de candidats malgré eux dans les déclarations de candidature, non de contraindre l’ensemble des candidats à un excès de formalisme.

Si les objectifs du texte sont partagés, la commission a précisé ses dispositions et les a étendues à l’ensemble des scrutins en apportant les compléments suivants. Elle a, d’une part, prévu la transmission d’une copie du justificatif d’identité des candidats et des suppléants aux élections au scrutin majoritaire uninominal ou plurinominal – soit les élections législatives, les élections départementales et les élections sénatoriales dans les circonscriptions élisant moins de trois sénateurs. Elle a, d’autre part, étendu les dispositions du texte à l’ensemble des scrutins, en y incluant les communes de moins de 1 000 habitants, la métropole de Lyon, les instances représentatives des Français établis hors de France et diverses élections ultramarines.

Ce texte simple, clair, qui se veut efficace, poursuit un objectif essentiel : empêcher les manœuvres frauduleuses qui entachent la sincérité des processus électoraux et portent atteinte au fonctionnement de notre démocratie.

Aussi, je ne doute pas de son adoption à une majorité très large par la Haute Assemblée. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain, du groupe La République En Marche, du groupe Union Centriste et du groupe Les Républicains.)