compte rendu intégral

Présidence de M. David Assouline

vice-président

Secrétaires :

M. Éric Bocquet,

Mme Jacky Deromedi.

M. le président. La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à quatorze heures trente.)

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Procès-verbal

M. le président. Le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué.

Il n’y a pas d’observation ?…

Le procès-verbal est adopté sous les réserves d’usage.

2

 
Dossier législatif : proposition de loi visant à renforcer la prévention des conflits d'intérêts liés à la mobilité des hauts fonctionnaires
Discussion générale (suite)

Conflits d’intérêts liés à la mobilité des hauts fonctionnaires

Adoption d’une proposition de loi dans le texte de la commission modifié

Discussion générale (début)
Dossier législatif : proposition de loi visant à renforcer la prévention des conflits d'intérêts liés à la mobilité des hauts fonctionnaires
Article additionnel avant l'article 1er - Amendement n° 12

M. le président. L’ordre du jour appelle la discussion, à la demande du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen, de la proposition de loi visant à renforcer la prévention des conflits d’intérêts liés à la mobilité des hauts fonctionnaires, présentée par M. Jean-Claude Requier et plusieurs de ses collègues (proposition n° 205, texte de la commission n° 298, rapport n° 297).

Dans la discussion générale, la parole est à Mme Maryse Carrère, auteur de la proposition de loi.

Mme Maryse Carrère, auteur de la proposition de loi. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, madame la rapporteur, mes chers collègues, comme le reste de la société, l’administration est désormais confrontée aux aspirations individuelles croissantes et légitimes de renouvellement professionnel tout au long de la vie, dont la durée continue de s’allonger. Entre 1946 et 2015, l’espérance de vie a augmenté de 20 ans pour chaque sexe, passant de 59 à 79 ans pour les hommes et de 65 à 85 ans pour les femmes.

L’allongement consécutif de la durée de leurs carrières a un impact indéniable sur les projections professionnelles des individus, qu’ils évoluent dans le secteur privé ou dans le secteur public. Les statistiques publiées sur le Portail de la fonction publique confirment cette intuition : on peut y lire que 40 % des agents en situation de mobilité sont âgés de plus de 50 ans.

Les dispositions législatives actuelles offrent en principe à tous les agents publics de grandes possibilités de mobilité entre administrations, mais aussi vers les organisations internationales, le secteur privé, et un certain nombre d’entités telles que les autorités administratives indépendantes. Elles leur permettent également, dans des conditions particulières, de se mettre en disponibilité afin d’exercer un mandat politique ou de donner la priorité à leur vie familiale, dans des conditions précises.

Dans les faits, cependant, on constate que l’accès à la mobilité varie sensiblement selon la catégorie des agents. Selon les données disponibles sur le site internet de la fonction publique, les agents de catégorie A+ sont les plus mobiles. En 2016, 24,4 % d’entre eux étaient en situation de détachement et 7,9 % en situation de mobilité, contre respectivement 2,6 % et 2,7 % seulement des catégories A, 2 % et 2 % des catégories B, 5,7 % et 2,9 % des catégories C.

Cela peut s’expliquer de plusieurs manières. En premier lieu, la grande qualité des profils des agents de catégorie A+ les rend particulièrement aptes à valoriser leurs compétences dans l’ensemble des emplois que notre société a à offrir. En l’absence de définition légale, une problématique sur laquelle j’aurai l’occasion de revenir, on peut en effet considérer que les agents de catégorie A+ sont ceux qui sont issus des écoles d’application les plus prestigieuses de la République : l’ENA, Polytechnique, les Mines, les Ponts, et d’autres encore. Par leur prestige, ces écoles attirent d’excellents élèves, qui pratiquent eux aussi, parfois, le cumul : c’est particulièrement vrai pour l’ENA, où l’on trouve de nombreux anciens élèves des écoles normales supérieures ou de HEC.

En France, où la « théorie du signal » se vérifie quotidiennement sur le marché de l’emploi, le profil du haut fonctionnaire ayant passé tous les filtres de la sélection républicaine est particulièrement recherché.

Cette importante mobilité peut également s’expliquer par des règles coutumières propres à certains corps, où les départs seraient encouragés en raison des perspectives limitées de carrière pour des individus parvenus, dès leur sortie d’école, à des niveaux hiérarchiques très élevés. Les propositions du premier Comité interministériel de la transformation publique tendent d’ailleurs à confirmer cette hypothèse puisqu’il est prévu que les élèves de l’ENA sortis les mieux classés « seront affectés au bout de deux ans sur des postes consacrés à la mise en œuvre des chantiers prioritaires du Gouvernement, en administration centrale et dans l’administration territoriale ».

On peut lire cette proposition comme la volonté de satisfaire le besoin d’aventure des jeunes hauts fonctionnaires et de mieux employer leur dynamisme, sans remettre en cause leur place dans la hiérarchie des corps, puisqu’ils resteront à vie liés à leur administration d’affectation d’origine. Mais cela remet également en question le besoin de recrutement des institutions concernées…

Comme vous nous en avez informés, madame la rapporteur, plusieurs de vos interlocuteurs ont insisté sur la « crise d’attractivité » que la haute fonction publique traverserait. On observe pourtant que la sélectivité du concours externe de l’ENA reste supérieure à celle des écoles de commerce plébiscitées par le secteur privé. La rémunération actuelle apparaît comme l’un des principaux facteurs de découragement des agents de catégorie A+ à construire toute leur carrière au service de l’administration.

Toutefois, parallèlement aux évolutions des aspirations individuelles des fonctionnaires que je viens de décrire, les exigences éthiques de la société envers l’État se sont renforcées. Dès 1789, l’article XV de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen prévoyait : « La Société a le droit de demander compte à tout Agent public de son administration ».

Au fil des siècles, ce principe est devenu plus effectif, avec le renforcement de la publicité progressive des actes pris par l’administration, puis les premières lois de lutte contre les conflits d’intérêts et l’interdiction des rétrocommissions, ou encore l’encadrement des paiements en espèces.

Parallèlement, la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme, notamment la « théorie des apparences », a contribué à modifier le fonctionnement des juridictions administratives, afin de lever toute suspicion de conflit d’intérêt possible entre la fonction juridictionnelle et la fonction d’expertise juridique du Conseil d’État auprès du Gouvernement, ou encore afin de clarifier les rapports entre le rapporteur public et le reste de la formation de jugement.

Ce mouvement a irradié tous les pans de la société, jusqu’aux lois instaurant la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique et renforçant les obligations déontologiques des fonctionnaires, sous le gouvernement précédent, ou, plus récemment encore, la loi pour la confiance dans l’action publique.

Au cours de ces débats, plusieurs d’entre nous ont proposé de renforcer les dispositifs s’imposant aux hauts fonctionnaires, dont l’influence dans la conduite de la politique de la Nation est déterminante. Nos concitoyens doivent avoir à l’esprit qu’elle se manifeste à tous les stades de l’action publique.

Au moment de l’élaboration de la loi, les administrations, sous l’autorité de leurs directeurs, sont chargées de la préparation des projets de loi du Gouvernement, ensuite soumis aux membres du Conseil d’État pour avis sur la pertinence juridique des textes qui seront ultérieurement soumis au Parlement.

Une fois les lois adoptées, les administrateurs civils sont chargés de rédiger les décrets d’application, sans lesquels les lois restent lettre morte.

Au-delà de l’élaboration des normes, les hauts fonctionnaires disposent également d’un rôle décisionnel important, selon qu’ils sont chargés de conduire des négociations internationales au nom de la France, de régler les différends entre l’administration et les administrés, d’engager des dépenses publiques, ou encore de prendre des décisions économiques substantielles.

Leurs décisions ont le pouvoir de favoriser les intérêts des uns ou des autres, dans des circonstances plus confidentielles que celles de la procédure législative – les parlementaires font désormais l’objet de nombreux contrôles –, mais surtout dans des proportions plus importantes que les décisions prises par les agents des autres catégories placés sous leur autorité.

Selon notre point de vue, ces prérogatives considérables justifient de soumettre les hauts fonctionnaires à des règles déontologiques propres, plus exigeantes que celles qui sont prévues pour l’ensemble des fonctionnaires depuis 2016.

Forts de ces constats, nous avons décidé de vous soumettre cette proposition de loi, dans l’esprit d’examiner toutes les pistes envisageables pour renforcer la prévention des conflits d’intérêts s’appliquant particulièrement aux hauts fonctionnaires.

Il s’agit, en premier lieu, de renforcer le contrôle effectué par la commission de déontologie. Nous souhaitons en modifier la présidence, afin de la prémunir contre les accusations de complaisance vis-à-vis de tel ou tel corps. Nous voulons également rendre effective l’automaticité des contrôles des allers et retours effectués par certains hauts fonctionnaires entre le secteur public et le secteur privé, instaurer un contrôle au moment de la réintégration après une mobilité et renforcer le contrôle des agents destinés à prendre part au pouvoir de sanction des autorités administratives indépendantes, les AAI, et des autorités publiques indépendantes, les API. Nous sommes donc favorables à la publication des avis et à la fusion, à terme, de la commission de déontologie et de la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique, la HATVP, introduite très justement par Mme la rapporteur et validée par la commission des lois.

Le lien entre la perception d’un risque de conflits d’intérêts et la grande mobilité des hauts fonctionnaires est très vite devenu évident. Aussi avons-nous eu la volonté de proposer un meilleur encadrement dans le temps de la mobilité, alors que l’étude Que sont les énarques devenus ? suggère que certains hauts fonctionnaires passent plus de la moitié de leur carrière dans le secteur privé.

Le troisième axe découle directement du précédent : si la mobilité est mieux encadrée, alors une éthique de responsabilité doit être développée au sein de l’administration, afin de pousser les agents désirant poursuivre le reste de leur carrière dans le secteur privé à démissionner effectivement et à honorer leur engagement vis-à-vis de la société en remboursant le cas échéant le coût de leur scolarité.

Afin de restaurer l’attractivité de la carrière publique, d’autres évolutions pourraient être envisagées sur le plan réglementaire. Elles avaient été évoquées lors du débat organisé sur l’initiative du groupe du RDSE l’année dernière : réserver l’accès aux grands corps par la promotion interne et améliorer la formation professionnelle continue au sein de la fonction publique, auxquelles on peut à présent ajouter la revalorisation des traitements. Ces derniers choix sont entre vos mains, monsieur le secrétaire d’État ! (Applaudissements sur les travées du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen. – MM. Loïc Hervé et Marc Laménie applaudissent également.)

M. le président. La parole est à Mme la rapporteur.

Mme Josiane Costes, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et dadministration générale. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, monsieur le président de la commission des lois, mes chers collègues, en 1945, l’ordonnance relative à la formation, au recrutement et au statut de certaines catégories de fonctionnaires portant création de l’École nationale d’administration soulignait le « sentiment des hauts devoirs que la fonction publique entraîne », un sentiment encore largement partagé chez les agents publics qui concourent quotidiennement au fonctionnement de nos services publics et de nos institutions.

Lors des auditions que j’ai conduites, plusieurs témoignages ont illustré le dévouement de grands serviteurs de la Nation, pour des traitements inférieurs aux rémunérations des hauts cadres des entreprises.

Aujourd’hui encore, ceux qui font le choix de rejoindre le secteur privé demeurent minoritaires, y compris au sein des catégories supérieures de la fonction publique, où la part des départs vers le privé est tout de même beaucoup plus élevée. Il en ressort que la question de la rémunération des hauts fonctionnaires demeure le nœud du problème, problème que l’on peut d’ailleurs étendre à d’autres catégories de la fonction publique.

Beaucoup de mes interlocuteurs ont présenté la mobilité comme un levier d’attractivité vers la haute fonction publique : il nous a été dit que le recrutement traversait une crise. Pour autant, à défaut de données étayées en ce sens, on ne peut déplorer qu’un sentiment de baisse d’attractivité des carrières publiques : à charge pour vous, monsieur le secrétaire d’État, d’objectiver ce sentiment.

En outre, et c’est un deuxième aspect des conclusions que je tire de mes auditions, la perception du pantouflage est très variable selon la fonction exercée : les administrations les plus favorables au passage vers le secteur privé sont souvent celles dont les activités sont le plus en lien avec l’écosystème. Il s’agit, pour eux, d’accroître leur efficacité administrative en s’imprégnant des problématiques que rencontrent les acteurs économiques. La difficulté dans ces cas-là est de s’assurer que l’agent, une fois retourné dans l’administration, retrouve son impartialité vis-à-vis de l’entreprise qui l’avait recruté.

La dernière conclusion que je tire de mes auditions est la grande opacité qui entoure la notion de haute fonction publique, et en premier lieu son périmètre réel, dès lors qu’il n’est nullement défini. Il existe bien le terme de « catégorie A+ », mais, selon les personnes interrogées, le nombre de personnes concernées varierait du simple au double, entre 12 000 et 34 000 personnes, excepté les maîtres de conférences.

Il en va de même des données relatives à leur mobilité, chaque corps, chaque administration recueillant ou non des données sur la mobilité de ses membres. L’étude Que sont les énarques devenus ? ne permet pas de retracer les mobilités vers le secteur privé des Polytechniciens, des diplômés des Ponts, des Mines ou d’autres encore. Si elle a pu longtemps les protéger, je crains que cette opacité ne desserve aujourd’hui les hauts fonctionnaires, à une époque où la transparence est requise partout. Il me semble indispensable, monsieur le secrétaire d’État, que la direction générale de l’administration et de la fonction publique, la DGAFP, se dote des moyens et des outils nécessaires pour disposer de données chiffrées sur la mobilité de ces hauts fonctionnaires.

Si la mobilité des fonctionnaires et des hauts fonctionnaires, y compris vers le secteur privé, me paraît indispensable, elle doit impérativement s’articuler avec le respect des principes déontologiques destinés à prévenir et à sanctionner tout conflit d’intérêts dans le cadre de leurs missions de service public. Certaines situations peuvent produire des faits constitutifs d’infractions pénales, et se manifester tant dans l’exercice par un agent de ses fonctions au sein du secteur public qu’en cas de « pantouflage », c’est-à-dire lorsqu’un fonctionnaire souhaite quitter ses fonctions publiques pour occuper un poste dans le secteur privé.

Cet équilibre entre la volonté, d’une part, de favoriser la mobilité des fonctionnaires et, d’autre part, d’éviter les situations de conflits d’intérêts est difficile à établir.

C’est, jusqu’à présent le rôle de la commission de déontologie de la fonction publique, qui constitue le pivot de la prévention des conflits d’intérêts des agents publics. Alors que ses prérogatives ont été renforcées par la loi du 20 avril 2016 relative à la déontologie et aux droits et obligations des fonctionnaires, force est de constater qu’elle fait toujours l’objet de nombreuses critiques, ce qui a motivé le dépôt de la proposition de loi du groupe du RDSE aujourd’hui examinée.

La plupart des personnes auditionnées ont reconnu que les dispositions actuelles présentent plusieurs défauts, également constatés par nos collègues députés Fabien Matras et Olivier Marleix. Les dispositifs relatifs au recouvrement de la pantoufle ne sont guère opérationnels, selon qu’ils interviennent après l’interruption de la scolarité ou après quelques années de service.

Les règles de déontologie, imposées depuis 2016, sont inégalement appliquées selon les ministères ou les administrations concernés. Bien que la loi rende la saisine de la commission de déontologie obligatoire, celle-ci ne dispose pas des moyens de contrôler que tous les cas de mobilités entrant dans le champ de l’article 25 octies lui ont été soumis. L’activité de la commission de déontologie a également été critiquée en raison de la non-publication de ses avis, et sa partialité a parfois été remise en cause.

Enfin, le principe même de cohabitation de la commission de déontologie et de la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique n’est pas satisfaisant. Je rappelle à ce titre que la HATVP est déjà chargée de collecter les déclarations de patrimoine de certains hauts fonctionnaires.

Dans ces conditions, et soucieuse de remplir mon devoir de « bijectivité » qu’évoquait Philippe Bas, j’ai été amenée à proposer, en tant que rapporteur pour la commission des lois, des amendements tendant à supprimer plusieurs articles du texte du groupe du RDSE. Je l’ai fait dans le souci de respecter au mieux la sensibilité des membres de la commission des lois sur cette question. Il ne s’agit pas de schizophrénie, mais de « pensée complexe » ! (Sourires.)

En conséquence, si certains collègues regrettent la suppression de plusieurs articles de cette proposition de loi par la commission des lois, les dispositions restantes me paraissent importantes pour répondre à l’objectif que nous assigne cette proposition : une meilleure prévention des conflits d’intérêts dans la fonction publique, en particulier dans la haute fonction publique.

Aujourd’hui, la commission de déontologie de la fonction publique est uniquement compétente lors du départ d’un agent public vers le secteur privé. Dans ce cadre, elle apprécie la compatibilité des fonctions exercées par le fonctionnaire au cours des trois années précédentes avec celles qu’il exercerait au sein d’une entreprise du secteur concurrentiel. Votre commission des lois a adopté, en en clarifiant la rédaction, l’article 4 de la proposition de loi, qui prévoit d’étendre la compétence de la commission au retour d’un agent public dans la fonction publique, après une partie de carrière effectuée dans un organisme privé à but lucratif. Cette extension est apparue nécessaire. La prévention des conflits d’intérêts est indispensable aussi bien lors du départ d’un fonctionnaire dans le secteur privé que lors de son retour dans le secteur public. Dans ce cadre, la commission devrait apprécier la compatibilité de la nouvelle affectation du fonctionnaire dans la fonction publique avec les fonctions précédemment exercées dans le secteur concurrentiel.

La commission des lois a également adopté l’article 5, en en clarifiant également la rédaction. Cet article prévoit d’étendre le contrôle de la commission de déontologie de la fonction publique au recrutement des directeurs généraux et des secrétaires généraux des autorités administratives indépendantes et des autorités publiques indépendantes. Ce nouvel élargissement apparaît bienvenu compte tenu des missions spécifiques exercées par ces autorités, missions qui réclament de la part de leur personnel comme des membres de leur collège une neutralité totale dans l’exercice de leurs fonctions. Tout conflit d’intérêts ou soupçon de conflit d’intérêts pourrait nuire à la qualité des décisions rendues.

En outre, la commission des lois a introduit un article 4 bis, qui vise à assurer la publicité des avis de la commission de déontologie de la fonction publique, selon des modalités qu’elle définirait elle-même.

Concernant la suppression de l’article 6, qui prévoyait de plafonner à cinq ans la durée d’un détachement, nos auditions ont souligné que le passage des fonctionnaires dans le secteur privé s’opère désormais quasi exclusivement par la voie d’une mise en disponibilité. Faut-il prévoir un meilleur encadrement des mises en disponibilité ? C’est une question dont le Parlement devra se saisir.

Enfin, à l’article 7, la commission des lois a adopté l’institution d’une peine complémentaire obligatoire d’interdiction d’exercer une fonction publique pour les fonctionnaires coupables de crimes ou de certains délits. Elle a, en revanche, supprimé du champ de cette peine les délits détachables de l’exercice d’une fonction publique, qui font l’objet de sanctions pénales spécifiques.

Voilà, monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, les modifications que la commission des lois a adoptées : elles ne visent pas à bouleverser l’équilibre de la loi adoptée en 2016, mais tendent, au contraire, à y apporter des compléments utiles. (Applaudissements sur les travées du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen. – Mme Catherine Di Folco, ainsi que MM. Loïc Hervé et Marc Laménie applaudissent également.)

M. le président. La parole est à M. le secrétaire d’État.

M. Olivier Dussopt, secrétaire dÉtat auprès du ministre de laction et des comptes publics. Monsieur le président, monsieur le président de la commission des lois, madame la rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, la proposition de loi que nous examinons touche à une exigence, la déontologie, qui est consubstantielle à l’action publique.

La déontologie, entendue comme la connaissance de ce qui est juste ou convenable, rapporté à l’activité professionnelle, participe en effet directement à la légitimité de l’action publique auprès de nos concitoyens. Cette exigence s’impose aux responsables politiques, mais elle doit également être au cœur de l’action des agents publics, plus particulièrement de ceux d’entre eux qui exercent les responsabilités les plus importantes et mettent en œuvre les orientations arrêtées par le pouvoir politique.

Il ne peut y avoir de confiance publique que si les citoyens ont la conviction que ceux à qui la souveraineté est déléguée agissent au service de l’intérêt général.

Cette exigence de probité, d’intégrité et d’impartialité n’est pas nouvelle pour notre pays. C’est en effet Louis IX qui, le premier, exigea des officiers placés sous son autorité qu’ils réforment tout abus moral et politique, dans son ordonnance de 1254. Tout au long de notre histoire, nous nous sommes collectivement interrogés sur les obligations des fonctionnaires, sur ce « sentiment des hauts devoirs que la fonction publique entraîne », pour reprendre les termes de l’ordonnance du 9 octobre 1945, qui a conduit, en particulier, à la création de l’École nationale d’administration.

Cette exigence s’est toutefois considérablement renforcée ces dernières années, alors que les attentes en matière de transparence et d’exemplarité se sont accrues. La plus grande porosité et la plus grande mobilité professionnelle entre le secteur public et le secteur privé l’expliquent en partie.

Ne nous y trompons pas : cette mobilité est une source d’enrichissement pour les agents publics, pour le service public et pour la société dans son ensemble. Les allers et retours professionnels entre le service public et le secteur privé favorisent en effet pleinement la respiration et la créativité dont notre société a besoin. C’est tout le sens de la démarche engagée par le Gouvernement dans le cadre du programme « Action publique 2022 », afin de décloisonner le déroulement des carrières entre l’emploi public et l’emploi privé.

Par conséquent, s’il faut sanctionner efficacement les manquements aux règles déontologiques, il faut éviter de créer des règles qui procéderaient d’une suspicion généralisée à l’égard des agents publics et paralyseraient, de façon disproportionnée, l’efficacité de l’action publique.

Cet équilibre a précisément été consacré par l’adoption de la loi du 20 avril 2016 relative à la déontologie et aux droits et obligations des fonctionnaires, qui a emporté la plus importante réforme du statut général de la fonction publique en matière de déontologie depuis 1983. Comme vous le savez, cette loi rappelle les valeurs essentielles du service public qui sont portées par les agents publics. Elle définit et organise les mécanismes relatifs aux conflits d’intérêts. Elle assure, enfin, une large diffusion d’une culture déontologique auprès des agents publics, car la déontologie est moins affaire d’interdits que de valeurs et de principes positifs qui doivent être mis en œuvre à titre préventif.

Je ne reviendrai pas sur les dispositifs de prévention des conflits d’intérêts mis en place par cette loi de 2016, que vous connaissez parfaitement, et dont le récent rapport de la mission d’information de l’Assemblée nationale relatif à la déontologie des fonctionnaires et l’encadrement des conflits d’intérêts dresse l’inventaire.

Je me permettrai simplement de rappeler les plus emblématiques d’entre eux : l’extension des compétences de la commission de déontologie de la fonction publique, qui contrôle désormais systématiquement les départs vers le secteur privé de tous les agents publics ; un encadrement plus strict des cumuls d’activités entre l’emploi public et une activité privée accessoire ; la mise en place de référents déontologues dans les trois versants de la fonction publique afin que tout agent public dispose d’un interlocuteur clairement identifié sur ces questions ; enfin, la mise en place d’un statut protecteur pour les lanceurs d’alerte.

Ces dispositions, qui concernent l’ensemble des agents publics, ont été complétées par des mécanismes de prévention des conflits d’intérêts spécifiques pour les emplois les plus sensibles des trois versants de la fonction publique.

Certains emplois sont ainsi soumis, compte tenu de leur niveau hiérarchique ou de la nature des fonctions exercées, à des obligations déclaratives nouvelles. Les agents qui occupent ces emplois sont ainsi tenus de déclarer leurs intérêts, leur situation patrimoniale ou de confier à des tiers des mandats pour la gestion de leurs instruments financiers.

Pour la seule fonction publique d’État, ce sont désormais près de 4 500 emplois qui sont soumis à l’obligation de transmission d’une déclaration d’intérêts et de 500 emplois pour la déclaration de situation patrimoniale.

S’agissant des postes les plus importants de l’administration, c’est-à-dire ceux qui sont laissés à la décision du Gouvernement, comme les directeurs d’administration centrale et les secrétaires généraux de ministères, la nomination sur ces emplois est également subordonnée à la transmission d’une déclaration d’intérêts et d’une déclaration de situation patrimoniale auprès de la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique.

L’articulation de tous ces dispositifs permet de prévenir de façon équilibrée la survenance de conflits d’intérêts à la sortie de l’emploi public vers le secteur privé, mais aussi lors du retour des agents concernés dans l’emploi public. Qu’il me soit permis à nouveau de souligner que ce contrôle sur les emplois les plus exposés, à la sortie comme à l’entrée, concerne tous les agents publics, fonctionnaires ou non.

Est-il aujourd’hui nécessaire d’aller plus loin et de modifier, comme vous le proposez avec cette proposition de loi, les dispositifs existants ?

Ce n’est pas la position du Gouvernement.

Non pas parce que le Gouvernement ne partage pas le même souci que le Sénat quant aux exigences d’exemplarité et de probité attachées à l’emploi public, mais parce que les règles déontologiques existantes ont procédé de la volonté de construire un dispositif équilibré et qu’elles commencent tout juste à être déployées.

Certains des décrets d’application de la loi du 20 avril 2016, et non des moindres, sont entrés en vigueur depuis moins d’une année. Nous pouvons très difficilement juger aujourd’hui, avec tout le recul nécessaire, de la nécessité de compléter notre corpus législatif en matière de déontologie des agents publics. Il nous faut, avant tout, faire appliquer et faire vivre ces règles nouvelles.

La réforme du cadre législatif envisagée par le Sénat à travers cette proposition de loi nous semble donc aujourd’hui prématurée.

Des adaptations seront sans doute ultérieurement nécessaires, notamment celles qui seront de nature à assurer, tout en les encadrant, la fluidité et le décloisonnement des carrières entre l’emploi public et l’emploi privé.

À cet égard, le Gouvernement partage pleinement les conclusions du récent rapport de la mission d’information de l’Assemblée nationale relatif à la déontologie des fonctionnaires et l’encadrement des conflits d’intérêts. Il s’agit moins de réviser le dispositif législatif que d’envisager son ajustement. Le Gouvernement restera particulièrement vigilant.

Mesdames, messieurs les sénateurs, monsieur le président, madame la rapporteur, promouvoir et veiller au respect de la déontologie au sein de l’administration est une condition essentielle à la pérennité du pacte républicain et à la légitimité de l’action des pouvoirs publics. Le Gouvernement considère que le cadre législatif tel qu’il existe est de nature à répondre à ces exigences. D’éventuels ajustements pourront intervenir, mais sous réserve que les obligations déontologiques récemment mises en place aient été pleinement déployées et évaluées.

C’est la raison pour laquelle nous ne pouvons souscrire à la proposition de loi que vous nous avez présentée. (M. Thani Mohamed Soilihi applaudit.)