M. le président. La parole est à Mme Joëlle Garriaud-Maylam.

Mme Joëlle Garriaud-Maylam. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, chaque État est souverain dans sa politique fiscale. Même si, en France, nous sommes attachés à une imposition à raison de la résidence, et non de la nationalité, nous ne pouvons que prendre acte des décisions fiscales américaines.

En revanche, il nous revient de défendre les droits de nos ressortissants. Plus de 10 000 Français seraient concernés, souvent nés sur le sol américain pendant l’expatriation de leurs parents, mais n’ayant conservé aucune attache dans ce pays, certains ne connaissant même pas leur situation.

Nous sommes très nombreux à avoir reçu des témoignages décrivant leur situation ubuesque. Il faut absolument que l’État français agisse pour que ces ressortissants puissent renoncer à leur nationalité américaine. Pour cela, il faut négocier une procédure dérogatoire, simple et gratuite.

Aujourd’hui, renoncer à la nationalité américaine coûte, cela a été dit, très cher : il faut régulariser sa situation fiscale sur cinq ans, payer une taxe importante correspondant à la clôture des frais de dossier et régler des frais d’avocat élevés du fait de la complexité de la procédure.

Cette démarche porte également atteinte à la vie privée : il faut fournir une multitude de renseignements, notamment sur ses études, ses employeurs, son état civil. Ces exigences sont inacceptables pour des Français n’étant américains que par accident, j’allais dire presque par hasard.

Par ailleurs, nous devons garantir à ces « Américains accidentels » le droit au compte bancaire. Tous nos ressortissants, y compris lorsqu’ils vivent à l’étranger, ont le droit de détenir un compte bancaire en France. Ce principe – je le rappelle – avait été inscrit dans la loi à la suite de l’adoption de l’un de mes amendements en 2011.

Il est anormal que des banques françaises, par peur des autorités américaines ou par volonté d’éviter les complications engendrées par la loi FATCA, puissent décider de fermer un compte en banque uniquement sur des « indices d’américanité ». La liberté contractuelle ne doit pas aller à l’encontre des droits humains les plus basiques. En effet, sans compte en banque, comment vivre et opérer aujourd’hui ?

Ensuite se pose la question de la réciprocité, aujourd’hui largement insuffisante, de nos accords fiscaux. C’est problématique non seulement pour l’accord du 14 novembre 2013, mais aussi pour notre convention fiscale bilatérale.

Une convention fiscale permet, en principe, d’éviter les cas de double imposition : un impôt réglé dans un pays étranger est déclaré dans le pays de résidence où il permet de bénéficier d’une déduction. Avec les États-Unis, la base de taxation a évolué de manière très différente. Certaines cotisations privées pour la retraite ou la vente de la résidence principale, déductibles en France, sont imposables aux États-Unis. De même, la CSG française n’est pas considérée comme un impôt par les États-Unis et n’est donc pas déductible dans ce pays.

Ainsi, s’agissant de la convention fiscale, l’enjeu dépasse de loin les seuls « Américains accidentels », mais concerne tous nos compatriotes établis aux États-Unis.

Une action diplomatique résolue auprès de nos partenaires américains était plus qu’urgente. Je remercie mon collègue Antoine Lefèvre de son action à l’occasion de la visite d’État d’Emmanuel Macron aux États-Unis.

Je remercie également très vivement ma collègue Jacky Deromedi d’avoir été à l’initiative de cette proposition de résolution, ainsi que nos collègues députés, qui se sont également saisis de ce sujet par une proposition de résolution. Je leur souhaite un plein succès, puisque Marc Le Fur et Laurent Saint-Martin se sont vus confier une mission dont nous attendons avec impatience les résultats. En effet, ce sujet, je le répète, est d’une grande importance et d’une grande urgence. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, du groupe Union Centriste et du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen.)

M. le président. La parole est à M. François Bonhomme. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. François Bonhomme. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, depuis l’entrée en vigueur, en 2014, du Foreign Account Tax Compliance Act, le FATCA, et de l’accord conclu entre Washington et Paris, un an plus tôt, pour qu’il soit appliqué sur le territoire français, les banques se trouvent contraintes d’identifier et de déclarer auprès de l’administration américaine les clients présentant des « indices d’américanité ».

Les banques doivent depuis lors analyser un certain nombre de pièces et de documents fournis par le client avant de fournir les informations détaillées des comptes concernés à l’agence du gouvernement fédéral américain chargée de collecter l’impôt et de veiller au respect des lois fiscales encadrant le budget fédéral américain.

Dans ce contexte, le principe de la fiscalité fondée sur la citoyenneté conduit à ce que soit considérée comme contribuable américain toute personne détenant la nationalité américaine, alors même qu’elle résiderait à l’étranger.

Dès lors, dans le cadre de la législation actuelle, nombreux sont nos concitoyens ayant acquis la nationalité américaine à la naissance, à l’occasion d’une résidence occasionnelle ou d’un voyage de leurs parents par exemple, sans pour autant avoir résidé aux États-Unis. À cet égard, nombre d’entre eux n’ont bien souvent pour seul lien avec ce pays que celui de la naissance.

Depuis l’entrée en vigueur en 2013 de l’accord conclu entre la France et les États-Unis et en 2014 du FATCA, un nombre important de Français ont ainsi découvert qu’ils étaient considérés comme citoyens américains. Ils subissent un traitement injuste sur le plan tant bancaire que fiscal et financier.

En effet, abusivement considérés comme « résidents fiscaux américains », ces Français, « Américains accidentels », se sont vus réclamer des sommes importantes par l’administration fiscale américaine, alors qu’ils n’ont, dans la majorité des cas, jamais travaillé ou vécu aux États-Unis.

Au surplus, ce processus de mise en conformité fiscale ou de renonciation à la citoyenneté américaine se révèle extrêmement onéreux et compliqué. En effet, les Français « américains accidentels » se trouvent contraints de payer une indemnisation correspondant à la clôture de leurs frais de dossiers. À cela s’ajoutent encore les frais d’avocats nécessaires à la régularisation de leur situation. En outre, la renonciation à la citoyenneté américaine suppose une régularisation de leur situation fiscale auprès du fisc américain sur une période de cinq ans, puis le paiement d’une taxe.

Ils sont soumis à l’obligation de fournir à l’administration américaine une quantité importante de renseignements fiscaux, mais aussi d’ordre plus privé, s’étalant sur de nombreuses années.

Face à cette accumulation de vicissitudes, notre collègue député Marc Le Fur a enjoint au Gouvernement de garantir le droit au compte bancaire pour les « Américains accidentels ». Il recommandait par ailleurs d’informer les Français vivant aux États-Unis des conséquences fiscales liées à leur expatriation et de garantir la réciprocité dans la mise en œuvre de l’accord bilatéral FATCA.

Richard Ferrand, pour sa part, a appelé à l’obtention d’un traitement dérogatoire susceptible de permettre aux « Américains accidentels » soit de renoncer à la citoyenneté américaine au travers d’une procédure simple et gratuite, soit d’être exonérés d’obligations fiscales américaines.

Au début de 2016, les commissions des affaires étrangères et des finances de l’Assemblée nationale décidaient conjointement de constituer une mission commune d’information sur l’extraterritorialité de certaines lois américaines. Cette mission commune dénonçait dans son rapport d’information les « abus d’extraterritorialité juridique américaine ».

Elle recommandait d’obtenir, au travers soit de la négociation d’un amendement à l’accord fiscal bilatéral, soit d’une « action diplomatique forte » favorisant le vote d’une disposition législative américaine ad hoc, que les Américains accidentels puissent renoncer à la nationalité américaine par une procédure simple et gratuite ou être exonérés de leurs obligations fiscales américaines.

Enfin, la mission appelait le Gouvernement à exercer l’action diplomatique nécessaire pour que soient tenus les engagements de réciprocité pris par l’administration américaine dans le cadre de l’accord FATCA.

Ces différentes recommandations n’ont, pour l’heure, pas été suivies d’effets. La proposition de résolution de notre collègue Jacky Deromedi s’inscrit dans la continuité de ces différentes initiatives et de ces recommandations. Elle vise à assurer, dans un premier temps, le droit au compte bancaire des « Américains accidentels ». Elle préconise en outre que soit garantie la réciprocité dans la mise en œuvre de l’accord bilatéral relatif au FATCA. Elle prévoit aussi la meilleure information des Français vivant aux États-Unis sur les conséquences fiscales attachées à leur expatriation.

J’observe par ailleurs que l’administration fiscale américaine reconnaît elle-même qu’il existe un problème.

L’absence de réciprocité du FATCA, ratifié en 2014, n’est en outre plus à prouver. Il me semble donc opportun d’en appeler à une meilleure réciprocité, le Gouvernement ayant reconnu en septembre 2017 que des progrès méritaient d’être faits dans ce domaine.

C’est pourquoi je voterai en faveur de la proposition de notre collègue, qui ouvre la voie à la raison et qui permettrait de revenir à un dialogue constructif, pour corriger la situation baroque et inconfortable dans laquelle se sont retrouvés bon nombre de nos compatriotes. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, du groupe Union Centriste et du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen.)

M. le président. La parole est à M. Jean-Yves Leconte.

M. Jean-Yves Leconte. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, je veux tout d’abord saluer l’initiative de notre collègue Jacky Deromedi, qui nous permet d’évoquer cette situation pénible ce soir.

Le FATCA, l’un des dispositifs mis en œuvre par le Congrès américain pour lutter contre la fraude fiscale, n’est pas tant la source que le révélateur des difficultés dont nous discutons ce soir.

D’ailleurs, quand cet accord entre la France et les États-Unis a été ratifié, le 29 septembre 2014, l’étude d’impact annexée au projet de loi de ratification évoquait très rapidement cette situation, sans en mesurer toutes les conséquences. Celles-ci sont liées à la conjugaison de deux facteurs.

Le premier est l’attribution de plein droit de la nationalité américaine à la naissance ; le second, cela a été rappelé, est l’assujettissement à l’impôt sur le fondement de la nationalité, un principe que les États-Unis partagent avec un seul autre pays dans le monde, l’Érythrée. Pour être tout à fait exact, c’est la notion d’« US person », un peu plus large que la nationalité, qui fonde cette obligation déclarative aux États-Unis. Cette dernière conduit, au-delà d’un certain seuil de revenu, au paiement d’un impôt complémentaire et elle entraîne, si elle n’est pas respectée, l’imposition d’une amende.

De ce point de vue, les banques françaises ont fait du zèle ; d’ailleurs, cela ne concerne pas que les « Américains accidentels ». En effet, toute personne, même résidant au Canada, dont le numéro de téléphone commence par « +1 » voit transmettre ses informations personnelles par les banques françaises aux États-Unis !

Nous connaissons tous des cas de personnes qui ont perdu leur emploi parce que, étant – consciemment ou non – de nationalité américaine, ils faisaient courir un risque à leur entreprise, qui entretenait des relations avec certains pays. L’état actuel des relations internationales, notamment avec l’Iran, pose une difficulté majeure à tous les « Américains accidentels » employés par des entreprises travaillant avec ce pays.

Cette situation nous donne finalement une image de la citoyenneté américaine assez éloignée de celle que dépeignait la carte postale envoyée voilà près de deux cents ans par Tocqueville, dans son analyse de la démocratie des États-Unis. Finalement, il s’agit non d’une citoyenneté libre et consentie, mais d’une réelle sujétion, on le constate actuellement…

Il faut donc engager plusieurs actions, monsieur le secrétaire d’État, et la proposition de résolution que nous examinons ce soir en dresse la liste.

Tout d’abord, il convient, pour ce qui concerne la France, d’améliorer l’information, en particulier dans nos consulats, chaque fois qu’est dressé ou transcrit un acte de naissance aux États-Unis, et de préciser ces éléments dans nos conseils aux voyageurs, afin que, les choses étant connues, il n’y ait plus d’ « Américain accidentel ». Cela ne dépend que de nous.

Ensuite, comme vous y a invité notre collègue Antoine Lefèvre, il faut obtenir, dans le cadre d’un dialogue diplomatique, une procédure simplifiée et gracieuse de renonciation à la citoyenneté américaine.

En outre, nous devons faire en sorte qu’il n’y ait aucune pratique rétroactive dès lors que les informations ont été volontairement transmises par les banques et par le Gouvernement français. Il nous faut également obtenir la garantie que l’ensemble des données transmises soit traité conformément aux exigences du règlement général sur la protection des données, le RGPD.

Enfin, qu’en est-il, monsieur le secrétaire d’État, du respect par les États-Unis des engagements qu’ils ont pris vis-à-vis de la France lorsque nous avons pris, à leur égard, les engagements qui ont des conséquences néfastes, mais que nous respectons néanmoins ?

Tout le monde ici est attaché à la lutte contre la fraude fiscale, laquelle oblige à passer par des échanges automatiques d’information.

M. le président. Il faut conclure, mon cher collègue.

M. Jean-Yves Leconte. Or ces échanges peuvent avoir des conséquences néfastes – c’est le cas en l’espèce. Si l’on veut continuer dans cette voie, ils doivent être maîtrisés et leurs conséquences néfastes corrigées. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain et du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen. – Mme Jacky Deromedi et M. Antoine Lefèvre applaudissent également.)

M. le président. La parole est à Mme Françoise Laborde.

Mme Françoise Laborde. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, le sujet qui nous intéresse aujourd’hui résonne fortement avec l’actualité internationale, marquée par le rejet récent, par le président des États-Unis, de l’accord sur le nucléaire iranien.

Il s’agit d’un exemple supplémentaire des conséquences négatives de l’unilatéralisme américain, qui se manifeste dans de nombreux domaines : sanctions économiques contre des entreprises françaises à l’étranger, rejet de l’accord de Paris sur le climat, et, maintenant, loi FATCA, qui, malgré des intentions louables, s’est transformée en enfer administratif et fiscal pour certains de nos concitoyens.

Tandis que, en France, le droit du sol est soumis à certaines conditions de résidence, les États-Unis appliquent un droit du sol inconditionnel ; toute personne née sur le sol américain possède la nationalité américaine, sans condition de résidence, même si ses parents sont étrangers. Ainsi, une personne née sur le sol américain, mais n’y résidant pas, voire n’y ayant jamais résidé, est considérée par les autorités américaines comme une personne américaine, une « US person ».

Depuis l’adoption, en 2010, de la loi FATCA, qui vise à lutter contre l’évasion fiscale des citoyens américains et contre le blanchiment d’argent, tout établissement bancaire dans le monde doit identifier les clients présentant des « indices d’américanité » et déclarer leurs avoirs à l’Internal Revenue Service, l’IRS, le fisc américain. En cas de manquement à cette loi, la banque doit s’acquitter d’une retenue à la source de 30 %, cela a été dit.

Toutefois, les informations à fournir vont au-delà des simples informations fiscales : ces « Américains accidentels » doivent fournir de nombreuses informations personnelles, ainsi que celles de leur conjoint, même si celui-ci n’a pas la nationalité américaine. Au total, on considère que plusieurs dizaines de milliers de citoyens français sont concernées.

C’est par l’accord bilatéral de 2013-2014 que la France a accepté ces conditions ; c’est peut-être notre tort… Si les autorités américaines doivent également transmettre des informations sur les citoyens français résidant sur le sol américain, en pratique, l’accord est très asymétrique, et les États-Unis reçoivent un ensemble d’informations bien plus large que ce qu’ils transmettent. Dans le rapport de juillet 2014 de la commission des finances du Sénat relatif à la loi de ratification de cet accord, la réciprocité était considérée comme une « question centrale ».

Pour régulariser leur situation auprès des autorités américaines, les « US persons » n’ont d’autre solution que de régler des impôts aux États-Unis ou de renoncer officiellement à la nationalité américaine. Néanmoins, cette dernière option nécessite une procédure judiciaire coûteuse, exigeant le recours à un avocat américain ; surtout, elle ne dispense pas, quoi qu’il advienne, de se mettre à jour de sa situation fiscale auprès des autorités américaines.

En octobre 2016, les députés Karine Berger et Pierre Lellouche ont publié un rapport d’information sur l’extraterritorialité des lois américaines. Ce rapport montre comment le caractère incontournable du marché américain et de ses dispositions législatives permet aux États-Unis d’imposer leurs règles aux autres États.

D’ailleurs, cette extraterritorialité ne concerne pas que les « Américains accidentels », puisqu’elle s’applique aussi aux citoyens américains expatriés, qui doivent déclarer leurs revenus à l’IRS. En effet, en droit américain, l’impôt est prélevé sur le fondement de la citoyenneté et non sur celui de la seule résidence – cela pourrait être amené à changer avec la réforme fiscale en cours outre-Atlantique.

Dans le contexte de mobilisation croissante en France, en Europe et dans le monde, la résolution proposée par notre collègue Jacky Deromedi semble bienvenue. Elle reprend des recommandations du rapport de Karine Berger et de Pierre Lellouche et elle incite le Gouvernement à reprendre les négociations avec les autorités américaines, afin d’amender l’accord bilatéral de 2013 ou de modifier la loi FATCA pour tenir compte de la situation des « Américains accidentels ». Dans tous les cas, monsieur le secrétaire d’État, elle invite le Gouvernement à agir auprès des États-Unis pour faire respecter les engagements de réciprocité.

Enfin, elle demande d’assurer l’accès normal aux services bancaires pour les particuliers touchés par la loi FATCA, et – c’est très important –, de mieux informer les Français résidant aux États-Unis des conséquences fiscales de leur expatriation, pour eux et éventuellement pour leurs enfants qui naîtront sur le sol américain.

J’ajoute que l’on peut appeler nos banques à faire preuve de davantage de responsabilité vis-à-vis de leur clientèle. Même si elles peuvent subir les effets pervers de la loi américaine, il est difficilement tolérable qu’elles menacent des familles entières de clore leurs comptes pourtant ouverts il y a des dizaines d’années.

J’ai été le témoin, lors d’une permanence dans le département dont je suis élue, de la détresse de plusieurs personnes, qui en viennent à redouter toute démarche bancaire par crainte d’une transmission de leurs données à l’IRS, qui ne peuvent pas solliciter de tutelle sur le compte de leurs parents vieillissants, car cela entrerait dans le calcul de leurs impôts américains, ou qui craignent de liquider une succession, car cela augmenterait leur fiscalité.

Le groupe du RDSE est favorable à cette résolution ; il faut envisager une action coordonnée à l’échelon européen, même si l’on connaît la lenteur du processus communautaire de décision, car c’est le niveau pertinent pour négocier d’égal à égal avec les États-Unis. (Applaudissements.)

M. le président. La parole est à M. le secrétaire d’État.

M. Jean-Baptiste Lemoyne, secrétaire dÉtat auprès du ministre de lEurope et des affaires étrangères. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, voilà un débat ô combien important, et je vous remercie de l’avoir inscrit à votre ordre du jour.

Je ne puis pas ne pas remercier, à mon tour, Jacky Deromedi, d’autant que tous ses collègues sénateurs des Français établis hors de France sont très mobilisés sur le sujet. Néanmoins, cette question concerne tous les territoires et elle concerne, en France aussi, de nombreux cas. J’en ai moi-même été saisi, et des témoignages du type de celui que l’on a entendu au cours de la séance, que je connaissais, me parviennent de différents départements.

Aussi, je me félicite, au nom du Gouvernement, de la tenue de ce débat, qui souligne que le Sénat et l’Assemblée nationale sont pleinement mobilisés. Le Gouvernement est à l’unisson de cet engagement. D’ailleurs, ce vote, qui devrait être unanime ou presque, sera de nature à conforter les démarches que le Gouvernement entreprendra ; il est important pour montrer l’adhésion du Parlement à cette action.

La situation des « Américains accidentels » est, hélas, bien connue des ministères, tant du quai d’Orsay que de Bercy. La chronologie des événements a été rappelée et, depuis 2016, un certain nombre de démarches ont été entreprises, sans rencontrer, reconnaissons-le, un grand succès.

Revenons à la genèse de tous ces problèmes. Je le répète, nous faisons face à des situations ubuesques, kafkaïennes ou, en tout cas, inextricables, auxquelles nous devons apporter des réponses. C’est le résultat de plusieurs dispositifs, dont l’effet cumulatif a bien été rappelé.

Tout d’abord, en matière de fiscalité, chaque pays est souverain et les États-Unis connaissent le principe de l’imposition sur le fondement de la citoyenneté. Or celle-ci peut s’acquérir par la seule naissance sur le sol américain, cela a été dit. Des citoyens français, qui ont aussi la nationalité américaine, sont ainsi tenus par le droit américain de procéder à une déclaration de leurs revenus auprès des services fiscaux américains et d’acquitter, le cas échéant, les impôts dus. Il en va de même, d’ailleurs, pour tous les citoyens américains résidant en France.

En application de la convention fiscale bilatérale conclue entre la France et les États-Unis en vue d’éviter les doubles impositions, c’est seulement dans les cas où l’impôt français est inférieur à celui qui est dû aux États-Unis ou dans les cas où certains revenus ne sont pas imposés de façon effective en application du droit fiscal français, alors qu’ils le seraient aux États-Unis, qu’une imposition complémentaire peut être demandée par les autorités fiscales américaines.

Ainsi, le fait d’être un « Américain accidentel » n’engendre pas ipso facto une imposition si le niveau d’imposition en France est supérieur à celui des États-Unis, toutes choses égales par ailleurs – mais les choses ne sont pas égales par ailleurs, puisque les procédures de définition de l’impôt diffèrent, j’y reviendrai.

Le second fait générateur réside dans la signature, le 14 novembre 2013, par la France et les États-Unis, d’un accord intergouvernemental, dit « accord FATCA ». À cet égard, le Sénat étant, je le sais, très attaché à la langue française, je propose que, plutôt que de parler de l’accord ou de la loi « FATCA », nous trouvions un acronyme francophone. Je propose « CCBE », car la traduction de FATCA correspond à la loi sur la « conformité des comptes bancaires à l’étranger ». Nous nous rejoindrions alors dans la défense de notre belle langue française !

Cet accord, entré en vigueur en octobre 2014 – Jean-Yves Leconte et Françoise Laborde rappelaient les travaux menés par la commission des finances à cette occasion –, visait à lutter contre l’évasion fiscale, un objectif qui n’est pas contestable en soi, mais qui, on le voit, a des effets pervers. Cet accord fixait un cadre pour l’échange automatique d’informations fiscales permettant de garantir une sécurité juridique des institutions financières françaises.

Il faut aussi avoir en tête que la France n’a pas signé un accord asymétrique pour le plaisir ; un certain nombre de nos institutions financières étaient exposées à des amendes considérables si nous ne trouvions pas un terrain d’entente. Je reconnais toutefois que le terrain d’entente est asymétrique ; c’est bien ce qui pose problème – on y reviendra d’ailleurs, car le dialogue transatlantique est assez riche en matière d’asymétrie et d’extraterritorialité…

Pour répondre à la question de Joël Guerriau, notons que la plupart des partenaires des États-Unis, notamment en Europe, se sont organisés pour faciliter la mise en œuvre de ce dispositif FATCA dans le cadre d’accords bilatéraux : c’est le cas notamment du Royaume-Uni, de l’Allemagne, de l’Espagne, de l’Italie, du Canada, du Mexique, du Japon et de la Suisse.

Le Trésor américain indique que 113 pays au total ont signé le même type d’accord que la France. La mise en œuvre de l’accord bilatéral a conduit les institutions financières françaises à réclamer à leurs clients doubles nationaux souhaitant accéder à certains produits financiers des justificatifs qui attestaient de la régularité de leur situation auprès des services fiscaux américains.

Pour certains de nos compatriotes qui possèdent également la nationalité américaine du fait de leur naissance sur le sol américain, l’impact de ce dispositif a pu devenir un casse-tête administratif et financier. En l’absence de lien substantiel avec les États-Unis, pays dans lequel ils ne résident pas la plupart du temps, ils rencontrent des difficultés pour fournir les informations exigées par les établissements financiers français, notamment un numéro d’identification fiscale américain.

Conscients de ces difficultés, nous avons exploré avec le ministère des finances différentes pistes, qui recoupent d’ailleurs assez largement celles qui sont recommandées dans le projet de résolution. Ce débat est pour le Gouvernement l’occasion de dresser un bilan d’étape, et j’espère que nous pourrons régulièrement faire le point sur les avancées de notre diplomatie, à l’occasion de questions orales sans débat, de questions d’actualité ou d’autres voies et moyens que vous jugerez utiles.

J’ai bien entendu l’appel assez général en faveur d’une diplomatie forte : elle le sera d’autant plus qu’elle pourra s’appuyer sur votre action, mesdames, messieurs les sénateurs. Je salue d’ailleurs la diplomatie parlementaire mise en œuvre par Antoine Lefèvre il y a quelques semaines, à l’occasion de la visite d’État du président Macron. (Exclamations amusées sur les travées du groupe Les Républicains. – M. Antoine Lefèvre sourit.)

Le premier enjeu a consisté à clarifier le statut des « Américains accidentels » et à fournir à ces derniers des informations utiles pour faciliter leurs démarches. À notre demande, l’ambassade des États-Unis à Paris diffuse désormais sur son site internet une notice d’information à destination des doubles nationaux.

Nous ne pouvons toutefois pas en rester là en matière d’information. Il me paraît indispensable que nous mettions en place une véritable cellule dédiée, qui pourra répondre à tous les Français par ailleurs « Américains accidentels ». Cette cellule pourrait être composée de quelques fonctionnaires issus des différentes administrations concernées par la situation et devrait, à mon avis, s’accompagner d’une ligne téléphonique dédiée, type numéro vert, permettant d’avancer dans le maquis réglementaire et législatif.

En parallèle, nous nous sommes attachés à résoudre les difficultés concrètes rencontrées par ces personnes. L’absence d’un numéro d’identification fiscale américain pose en effet un certain nombre de problèmes pour l’ouverture ou le maintien d’un compte. Heureusement, les procédures de la Banque de France permettent de garantir l’accès à un compte. C’est une avancée, même si je ne méconnais pas les démarches supplémentaires que cela nécessite.

La mobilisation est également européenne. Nous avons obtenu de l’Union européenne qu’un courrier soit adressé en mai dernier à Steven Mnuchin, le secrétaire au Trésor américain, pour exprimer nos préoccupations. Quelques semaines plus tard, les services fiscaux américains – l’Internal Revenue Service ou IRS – avaient accordé un assouplissement des procédures relatives à la transmission par les banques des numéros d’identification fiscale des particuliers. Mais, là encore, nous devons aller plus loin, et je veux évoquer avec vous quelques pistes pour l’avenir proche, car il y a urgence.

Il est proposé dans la résolution de convaincre les autorités américaines de faciliter les renonciations à la nationalité américaine pour les personnes n’entretenant que très peu de liens avec les États-Unis.

Le sujet est sensible, ce pays étant souverain pour définir sa citoyenneté. Le Congrès américain, en particulier, est très sourcilleux sur ces sujets, et c’est pourquoi la diplomatie parlementaire a également toute sa place, notamment via les groupes d’amitié. La réflexion peut progresser parallèlement à celle qui se noue au niveau des exécutifs. J’ai ainsi constaté qu’une proposition parlementaire américaine portée dans le cadre de la réforme fiscale l’automne dernier, qui visait à modifier le régime fiscal des contribuables pour imposer ces derniers sur le seul fondement de la résidence, n’avait pas abouti. Il y a donc tout un travail d’influence à effectuer auprès du Congrès.

Nous allons bien entendu poursuivre le dialogue engagé avec le département d’État et les services fiscaux américains en vue de l’obtention d’une procédure facilitée de renonciation. Jean-Yves Le Drian, Bruno Le Maire et moi-même avons souhaité qu’une mission de travail conjointe du ministère de l’économie et du ministère des affaires étrangères se rende dès la fin de ce mois à Washington. Toute l’équipe, qui est devant vous, se prépare donc à prendre l’avion et à aller négocier pied à pied avec nos homologues américains les 28, 29 et 30 mai prochains !