M. Dominique de Legge. Je souhaite rappeler ici que, depuis 2008, la Constitution prévoit un ordre du jour partagé, accordant une place à l’initiative parlementaire. Je ne peux que déplorer que cette pratique, qui consiste à ne considérer un texte comme bon et légitime que s’il émane du Gouvernement ou du groupe majoritaire à l’Assemblée nationale, en limite l’intérêt. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et du groupe Union Centriste.) Elle n’augure pas bien de l’état d’esprit du Gouvernement dans la perspective de la réforme constitutionnelle, dont on perçoit qu’elle ne va pas dans le sens d’un renforcement des droits et du pouvoir du Parlement.

Monsieur le secrétaire d’État, le sujet qui nous rassemble cet après-midi mérite mieux qu’une ligne votée dans le cadre du marathon budgétaire. Je déplore qu’un sujet aussi sensible, qui engage l’honneur de la France, sa mémoire et la reconnaissance due à ceux qui ont risqué ou perdu leur vie pour elle, se réduise pour le Gouvernement à une simple question comptable.

Je remercie le rapporteur Philippe Mouiller et le président de la commission Alain Milon d’avoir maintenu ce texte. Il nous a paru important de rendre justice à ces combattants et d’honorer par là même la mémoire de leurs frères tombés en Algérie durant cette période. Je dis « nous », car cette proposition de loi a recueilli plus de 120 signatures issues de toutes les formations politiques, pour exprimer de manière solennelle, par la voix des représentants de la Nation, notre reconnaissance à ces combattants injustement écartés d’une prestation à laquelle ils avaient droit.

Monsieur le secrétaire d’État, il ne faut jamais redouter le débat parlementaire, surtout lorsqu’il porte sur un texte aussi consensuel, touchant à la mémoire de notre pays. Vous n’avez rien à craindre du débat, puisque nous voulons exactement la même chose que vous : que justice soit enfin faite ! Voyez dans la détermination du Sénat sa volonté de débattre et puis – pourquoi pas ? – d’accompagner le Président de la République dans la réalisation des promesses qu’il avait faites ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et du groupe Union Centriste, ainsi que sur des travées du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen. – M. Joël Guerriau applaudit également.)

M. le président. Je mets aux voix la proposition de loi, dans le texte de la commission.

(La proposition de loi est adoptée.)

M. le président. Belle unanimité ! (Applaudissements.)

Mes chers collègues, nous allons interrompre nos travaux pour quelques instants.

La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à seize heures, est reprise à seize heures cinq.)

M. le président. La séance est reprise.

Explications de vote sur l'ensemble (début)
Dossier législatif : proposition de loi visant à attribuer la carte du combattant aux soldats engagés en Algérie après les accords d'Évian, du 2 juillet 1962 jusqu'au 1er juillet 1964
 

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Dossier législatif : proposition de résolution au nom de la commission des affaires européennes, en application de l'article 73 quater du Règlement, en faveur de la préservation d'une Politique agricole commune forte, conjuguée au maintien de ses moyens budgétaires
Discussion générale (suite)

Préservation d’une politique agricole commune forte

Adoption d’une proposition de résolution européenne dans le texte de la commission modifié

M. le président. L’ordre du jour appelle la discussion, à la demande de la commission des affaires économiques et de la commission des affaires européennes, de la proposition de résolution au nom de la commission des affaires européennes, en application de l’article 73 quater du règlement, en faveur de la préservation d’une Politique agricole commune forte, conjuguée au maintien de ses moyens budgétaires, présentée par M. Daniel Gremillet, Mme Pascale Gruny, MM. Claude Haut et Franck Montaugé (proposition n° 430, rapport n° 475, rapport d’information n° 437).

Dans la discussion générale, la parole est à Mme Pascale Gruny, au nom de la commission des affaires européennes. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, ainsi que sur des travées du groupe Union Centriste.)

Discussion générale (début)
Dossier législatif : proposition de résolution au nom de la commission des affaires européennes, en application de l'article 73 quater du Règlement, en faveur de la préservation d'une Politique agricole commune forte, conjuguée au maintien de ses moyens budgétaires
Explications de vote sur l'ensemble (début)

Mme Pascale Gruny, au nom de la commission des affaires européennes. Monsieur le président, monsieur le ministre de l’agriculture, mes chers collègues, depuis dix-huit mois, la commission des affaires économiques et la commission des affaires européennes ont mené un important travail de fond sur la PAC, la politique agricole commune, en amont de la nouvelle réforme. Dès juillet 2017, avec Daniel Gremillet, Claude Haut et Franck Montaugé, nous avons ainsi publié un rapport d’information intitulé PAC : traverser le cap dangereux de 2020, complété par une première proposition, devenue résolution européenne du Sénat, le 8 septembre 2017.

Au regard des éléments préparatoires publiés par les instances européennes et des positions prises par les autorités françaises, il nous a semblé indispensable de revenir sur le sujet. En effet, l’architecture de la réforme en gestation est manifestement éloignée de nos recommandations. Compte tenu de l’importance capitale de la PAC, le Sénat ne pouvait naturellement pas en rester là.

La seconde proposition de résolution européenne, qui a été adoptée à l’unanimité le 19 avril dernier par notre commission des affaires économiques et notre commission des affaires européennes, confirme et prolonge nos réflexions antérieures. Nous voulons une PAC forte, rénovée et répondant aux attentes des agriculteurs.

Je ne peux manquer de m’émouvoir de l’ampleur de la baisse annoncée pour les moyens budgétaires de la PAC. La Commission européenne « communique » sur une diminution de 5 % en euros constants. En prenant en compte l’inflation, la diminution réelle atteindrait 15 %. S’y ajouterait aussi l’impact, mécaniquement défavorable à la France, de la poursuite du processus de convergence des paiements directs à l’intérieur de l’Union européenne au bénéfice des nouveaux membres.

Je me suis aussi inquiétée à la lecture des propositions pour la future PAC 2021-2027 publiées le 1er juin par la Commission européenne. Ces dernières reposent sur quatre grandes orientations.

La première concerne le nouveau mode de mise en œuvre imaginé pour la PAC. Concrètement, l’approche uniforme serait remplacée par davantage de subsidiarité : des plans stratégiques seraient élaborés par les États membres, puis validés par la Commission. Ce modus operandi est supposé simplifier le cœur de la politique agricole commune en retenant une approche par les résultats plutôt que par les moyens. Il présente néanmoins un double risque de « renationalisation » et de distorsion de concurrence.

La deuxième orientation de la nouvelle PAC vise à établir des conditions plus équitables grâce à un meilleur ciblage des aides. En résumé, les paiements directs aux agriculteurs seraient réduits jusqu’à 60 000 euros et plafonnés à 100 000 euros par exploitation en déduisant les coûts de main-d’œuvre.

La troisième orientation tend à encourager l’innovation et la recherche. Ainsi, 10 milliards d’euros issus du programme Horizon y seraient affectés.

La dernière orientation défendue par la Commission a pour objet de relever les ambitions environnementales et climatiques de la PAC. Les paiements directs seraient ainsi subordonnés à des exigences accrues : au-delà du « verdissement » actuel considéré comme acquis, il y aurait à l’avenir treize exigences réglementaires – à commencer par les directives Nitrates, Bien-être animal, Habitat, Oiseaux – auxquelles s’ajouteraient douze conditions agroenvironnementales définies au niveau européen, dont cinq nouvelles.

Les États membres ou les régions auraient ensuite à préciser aux agriculteurs les règles à suivre pour mettre en œuvre ces grands principes.

Enfin, chaque État membre devrait disposer de programmes écologiques, que la Commission européenne a baptisés, en langue anglaise, Eco Schemes, incitant les agriculteurs à aller au-delà des exigences obligatoires.

En définitive, la dernière des quatre orientations annoncées le 1er juin représente à l’évidence une innovation importante dont il faudra prendre le temps de mesurer l’impact. En première analyse, la question posée est celle de la nature même de la PAC : s’agira-t-il toujours à l’avenir d’un budget de soutien à une activité économique ou bien cette politique deviendra-t-elle un budget d’accompagnement de la réglementation environnementale ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et au banc des commissions, ainsi que sur des travées du groupe Union Centriste.)

M. le président. La parole est à M. Claude Haut, au nom de la commission des affaires européennes.

M. Claude Haut, au nom de la commission des affaires européennes. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, j’axerai mon propos sur la comparaison entre l’économie générale de notre proposition de résolution européenne et le contenu des propositions législatives de la Commission européenne, dont ma collègue Pascale Gruny vient de vous présenter la synthèse.

D’une façon générale, les réflexions de la Commission européenne, censées préfigurer les contours de la prochaine réforme, sont assurément décevantes à plusieurs titres. En effet, elles ne reprennent que très imparfaitement, voire contredisent sur le plan budgétaire, aussi bien les recommandations de la première résolution du Sénat du 8 septembre 2017 que celles de notre nouvelle – et seconde – proposition de résolution européenne sur la PAC. J’observe toutefois que les négociations ne font que commencer.

Par ailleurs, les autorités françaises ont d’ores et déjà jugé « inacceptables » les propositions de la Commission européenne au titre des crédits budgétaires de la PAC pour la période 2021-2027 dans le prochain cadre financier pluriannuel de l’Union européenne.

Nous attendons donc désormais avec intérêt, monsieur le ministre, de connaître la position du Gouvernement sur le contenu même des propositions formulées par la Commission européenne. Dans cette perspective, le seul énoncé des quatre orientations avancées par la Commission européenne, à savoir la confirmation du nouveau mode de mise en œuvre de la PAC, le ciblage des aides, l’encouragement de la recherche et l’approfondissement des ambitions environnementales, apparaît sensiblement différent de nos propres priorités.

Pour mémoire, la proposition de résolution européenne du Sénat met en avant les cinq points suivants : premièrement, l’impérieuse nécessité d’un budget stable en euros ; deuxièmement, de vives inquiétudes et réticences à l’égard du nouveau mode de mise en œuvre envisagé de la PAC ; troisièmement, le refus du statu quo en matière de règles de concurrence et de gestion de crise ; quatrièmement, la réaffirmation des préconisations antérieures en matière de commerce international ; enfin, de fortes interrogations sur la possibilité d’aboutir à un accord sur la PAC d’ici au printemps 2019.

Au total, le texte de notre nouvelle proposition de résolution européenne comporte vingt-trois demandes et recommandations, précédées par un ensemble de quatre considérants. Il a vocation à compléter notre première proposition de résolution européenne, adoptée par le Sénat le 8 septembre 2017. Il reprend d’ailleurs explicitement et sans aucun changement la partie de cette résolution relative au commerce international, cette reprise étant justifiée par l’importance des négociations commerciales en cours, à commencer par celles avec les pays du MERCOSUR, qui ont dominé l’actualité des derniers mois.

Mes collègues rapporteurs insisteront dans quelques instants sur certains points clés des propositions législatives de la Commission européenne avec laquelle nous avons des divergences plus ou moins importantes.

Permettez-moi cependant de conclure mon propos sur une note positive – il en faut une ! La Commission européenne prévoit en effet d’allouer un minimum de 2 % de la dotation en paiement direct au soutien de l’installation des jeunes agriculteurs. Sur ce point capital, comme d’ailleurs sur la recherche et l’innovation, nos préoccupations ont été prises en compte.

En définitive, monsieur le ministre, nous avons grandement besoin que la France continue à exprimer une volonté politique forte pour soutenir la politique agricole commune, car, pour reprendre les termes du commissaire Phil Hogan, « jamais cette politique n’a été autant sous pression ». (Applaudissements au banc des commissions et sur les travées du groupe Les Républicains, ainsi que sur des travées du groupe Union Centriste et du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen.)

M. le président. La parole est à M. Daniel Gremillet, rapporteur. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et au banc des commissions, ainsi que sur des travées du groupe Union Centriste.)

M. Daniel Gremillet, rapporteur de la commission des affaires économiques. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la politique agricole européenne est à un tournant historique, peut-être plus important encore que celui qu’elle a connu dans les années 1990. Véritable politique fondatrice de l’Union européenne, elle en est depuis les années soixante le volet le plus intégré. Or c’est justement à l’heure où l’on parle d’une Europe en crise que la Commission européenne a délibérément choisi de sacrifier sa politique la plus européenne. Plus qu’une faute, c’est un véritable renoncement.

En proposant de réduire le budget de la politique agricole commune de plus de 40 milliards d’euros pour la prochaine période du cadre financier pluriannuel allant de 2021 à 2027, la Commission européenne a suscité l’indignation du monde agricole.

Ces chiffres, déjà très préoccupants, sont malheureusement présentés sous leur meilleur jour. Compte tenu de l’inflation que la Commission ignore volontairement, la baisse du budget de la politique agricole commune sera davantage de l’ordre de 12 % que des 5 % annoncés.

Les subventions directes seront sévèrement touchées par une coupe brutale de 8 %. Le deuxième pilier de la politique agricole commune, qui permet des investissements dans des projets d’avenir ruraux serait quant à lui amputé d’un quart de son budget par rapport à la période précédente.

Pour la France, cela entraînera concrètement une réduction de plus de 600 millions d’euros par an des aides directes de la PAC. Cela se traduira instantanément par une coupe sèche dans les revenus des agriculteurs. Comment peut-on le permettre, alors qu’un tiers des agriculteurs français ont des revenus très faibles ?

Il est d’ailleurs paradoxal pour un gouvernement français de défendre au niveau national une meilleure rémunération pour les agriculteurs dans un projet de loi que nous aurons à connaître d’ici à la fin du mois de juin, tout en laissant, au niveau européen, opérer des baisses drastiques et directes des revenus des agriculteurs.

Le commissaire européen Phil Hogan, décrivant ces perspectives budgétaires, a parlé d’un « résultat très équitable pour les agriculteurs ». Permettez-moi de lui répondre que, au regard de la situation de notre agriculture, ces paroles sont inacceptables, incroyables de la part du commissaire qui doit porter le projet de l’agriculture et de l’agroalimentaire au sein de l’Union européenne.

Il n’est pas question de contester la complexité de l’équation financière que la Commission européenne doit résoudre en établissant son cadre financier pluriannuel. Au regard de ses ambitions, l’Union européenne n’a pas assez de ressources. Or, tout en constatant que la perspective du Brexit ampute potentiellement son budget de 12 milliards d’euros, l’Union européenne aspire à accroître ses ambitions en répondant à de nouvelles priorités politiques, notamment en matière de défense ou de migrations.

Il est en revanche de notre devoir de dénoncer le fait que la Commission européenne finance ses nouvelles priorités en sacrifiant la PAC. On aurait pu imaginer une ambition budgétaire européenne bien plus forte tout en partant du socle de base, qui était la politique agricole commune. Cela donne l’amère impression que la Commission européenne la considère comme une vieille politique destinée à être abandonnée peu à peu. Croire cela, c’est témoigner d’une absence totale de vision à long terme.

La politique agricole commune est, mes chers collègues, la condition première de la souveraineté de l’Union européenne. Elle permet d’assurer l’indépendance et la sécurité alimentaires de tout un continent. C’est pourquoi elle revêt des enjeux géostratégiques essentiels au XXIsiècle. Tous les autres grands pays l’ont compris. Les efforts budgétaires en matière agricole des États-Unis, de la Chine, de l’Inde, de la Russie ont considérablement augmenté ces dernières années, avec de véritables perspectives et de véritables ambitions. L’Union européenne s’apprête à faire l’inverse.

M. Roland Courteau. C’est vrai !

M. Daniel Gremillet, rapporteur. Si une telle réduction du budget venait à être décidée, il s’agirait d’un revirement brutal, totalement à contre-courant de la politique suivie par les autres puissances mondiales.

Face à cette situation, la France doit être ferme et intraitable, monsieur le ministre. Le Gouvernement doit être à la hauteur des enjeux. Les négociations préalables ont été un échec. Il n’est pas trop tard pour changer la donne.

Mes chers collègues, nous sommes à la croisée des chemins. Cela dépasse de loin nos appartenances politiques. Il s’agit de l’avenir de l’agriculture. Il s’agit de l’avenir de la ferme France. Il s’agit de l’avenir de nos territoires. Il s’agit d’assurer aux générations futures la garantie alimentaire.

Le Sénat, au travers de la commission des affaires économiques et de la commission des affaires européennes, s’est mobilisé depuis l’année dernière, pressentant des négociations délicates tant sur la nouvelle architecture de la politique agricole commune que sur son budget. Sur ce point, la proposition de résolution européenne appelle au strict minimum que la PAC bénéficie pour la période 2021-2027 d’un budget d’un montant stable en euros par rapport à la période précédente. Je vous invite donc à l’adopter, afin d’envoyer un signal fort à la fois au Gouvernement et aux institutions européennes. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, du groupe Union Centriste et du groupe Les Indépendants – République et Territoires, ainsi quau banc des commissions.)

M. Jean Bizet, président de la commission des affaires européennes. Très bien !

M. le président. La parole est à M. Franck Montaugé, rapporteur. (Mme la présidente de la commission des affaires économiques applaudit.)

M. Franck Montaugé, rapporteur de la commission des affaires économiques. Monsieur le président, monsieur le ministre, chers collègues, la réussite d’une réforme ne se mesure pas qu’à l’aune du budget qui lui est consacré, mais tout de même…

Après l’annonce de la baisse de 5 % par la Commission européenne – c’était déjà beaucoup trop ! – et, comme un coup de canon, la correction opérée par le commissaire européen au budget, portant la diminution à 14 % sur les aides directes et à près de 25 % sur le développement rural, on peut former les plus vives inquiétudes sur l’aboutissement du processus.

Dans de telles conditions, ce que la loi qui fait suite aux états généraux de l’alimentation pourrait hypothétiquement faire gagner aux producteurs français, la PAC leur enlèverait, et peut-être même au-delà. Je ne le souhaite pas, bien entendu, mais je crois que nous avons un devoir de lucidité. Les propositions que nous faisons dans ce texte n’en sont donc que plus pertinentes. J’en reprendrai quelques-unes qui illustrent la responsabilité et la solidarité dont nous devons faire preuve à l’égard des acteurs du monde agricole, en premier lieu des producteurs.

Le système du pur libre marché, qui place directement et en permanence le producteur seul face à des marchés volatils ou des acheteurs concentrés, est peu compatible avec une économie agricole variée, performante et durable. Les crises nombreuses doivent pouvoir faire l’objet d’interventions avec de nouveaux outils – je pense aux mécanismes contracycliques ou aux aides volontaires à la gestion des volumes du marché, comme le VCI, le volume complémentaire individuel, pour le vin.

Nous en appelons aussi à l’activation en temps opportun de la réserve européenne de crise et à sa gestion par période triennale. Les outils assurantiels et les fonds de mutualisation de gestion des risques doivent également être promus et accompagnés.

Sur le plan des principes de gestion de la PAC, nous en appelons au pragmatisme pour être efficaces dans la concurrence et dans la gestion des crises nombreuses. À cet égard, la façon dont la France et l’Europe gèrent la révision de la carte des zones défavorisées simples est un contre-exemple absolu en matière de pragmatisme.

M. Roland Courteau. Exactement !

M. Franck Montaugé, rapporteur. Dans mon département, par le truchement de critères ubuesques, 140 éleveurs situés sur des territoires de forte pente au potentiel agronomique parmi les plus faibles de France vont devoir arrêter leur exploitation à cause de la perte de l’ICHN, l’indemnité compensatoire de handicaps naturels, qui est une part essentielle du faible revenu qu’il leur reste.

M. Roland Courteau. Dans l’Aude aussi !

M. Franck Montaugé, rapporteur. Cela représente 1 million d’euros de perdus sur un total de 6 millions dans le Gers, terre ancestrale de polyculture et d’élevage. Stop au darwinisme agricole et au sacrifice délibéré des paysans les plus modestes !

Après des cas comme celui-là, injustifiables, inexplicables aux hommes et aux femmes qui en sont les victimes, il ne faut pas s’étonner que l’idée européenne régresse et que le populisme de rejet des grandes constructions de l’après-guerre gagne du terrain au péril de la démocratie. C’est aussi de cela qu’il est question avec la PAC, pas moins !

Nous espérons malgré tout qu’il n’est pas trop tard – c’est l’état d’esprit qui a présidé aux travaux du groupe de suivi et à la rédaction de cette proposition de résolution européenne. C’est pourquoi nous faisons des propositions qui vont dans le sens d’une meilleure insertion et d’une meilleure prise en compte des agriculteurs dans les diverses transitions auxquelles notre société et nos territoires doivent contribuer.

Dans le cadre de la politique énergétique nationale et de la programmation pluriannuelle de l’énergie à venir, la PAC doit faciliter les investissements des agriculteurs en matière de production d’énergies renouvelables. Les cultures et les forêts stockent, on le sait, d’énormes quantités de carbone, et le pouvoir de séquestration de l’agriculture est un enjeu majeur, comme nous le rappelle le programme « 4 pour 1 000 »

La valeur et l’existence même des paysages ruraux relèvent de la notion de bien commun de la société. Notre comptabilité nationale et celle des autres Européens ne sont pas aujourd’hui adaptées à la prise en compte de ce patrimoine naturel.

Notre proposition de résolution européenne ouvre cette réflexion indispensable en demandant la création d’une prestation pour service environnemental ou écosystémique qui serait versée aux agriculteurs en fonction de leur contribution aux enjeux de transition pour lesquels la France et tous les autres pays européens ont pris des engagements devant les citoyens du monde.

Dans le domaine des accords commerciaux, au-delà de l’absolue nécessité d’une concurrence loyale et équilibrée protégeant nos signes d’identification de la qualité et de l’origine, nous rappelons l’enjeu de préservation des relations commerciales avec la Grande-Bretagne.

Je pense qu’il faudra aussi très vite mesurer les conséquences que pourraient avoir les ruptures profondes que les États-Unis sont en train d’introduire dans les échanges mondiaux. Quelles en seront les conséquences pour l’agriculture française et pour les échanges agroalimentaires ?

Mes chers collègues, que le budget de la PAC se maintienne ou non, il y a nécessité de rendre souples et agiles les crédits correspondants, qu’ils soient affectés au premier ou au second pilier, afin de les rendre plus efficients. La filière viticole a donné l’exemple il y a quelques années en réinterrogeant sa stratégie et son rapport à la PAC. L’exemple n’est peut-être pas transposable à toutes les filières, mais il mérite d’être connu.

Vigilance et responsabilité ont guidé les travaux de notre groupe de suivi – cette proposition de résolution européenne en est la parfaite illustration. Nous attendons maintenant, monsieur le ministre, de savoir comment le Gouvernement entend préserver les intérêts agricoles et agroalimentaires de la France tout en ouvrant des perspectives nouvelles et réalistes pour soutenir durablement l’ensemble de ses agriculteurs et des territoires concernés. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain et au banc des commissions, ainsi que sur des travées du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen, du groupe Union Centriste et du groupe Les Républicains.)

M. le président. La parole est à Mme la rapporteur pour avis. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

Mme Pascale Gruny, rapporteur pour avis de la commission des affaires européennes. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la première résolution du Sénat, celle du 8 septembre 2017, visait à envoyer « un message politique fort adressé au président de la Commission européenne et au président du Parlement européen qui renforcera utilement les efforts déjà engagés par les pouvoirs publics français pour faire entendre la position française sur l’avenir de la politique agricole commune ».

Il est à craindre que ce message politique très fort n’ait pas ou guère été entendu, d’où l’urgence d’en formuler un second en des termes plus précis. Cette fois, il s’adresse plus encore aux autorités politiques françaises afin qu’elles fassent valoir cette position au Conseil.

Dans la foulée des interventions de mes collègues rapporteurs, je souhaite, pour ma part, insister sur deux points.

En premier lieu, notre proposition de résolution européenne met l’accent, à dessein, sur ce qui constitue le cœur de la prochaine réforme aux yeux de la Commission européenne, c’est-à-dire le mécanisme de mise en œuvre de la PAC. Nous voudrions ici conjurer le risque d’une « vraie fausse » simplification, qui ne profiterait paradoxalement qu’à la direction générale Agriculture de la Commission européenne, sans atteindre les premiers intéressés, à savoir les agriculteurs.

Nos craintes sont partagées par nombre d’observateurs. À titre d’illustration, je citerai ici les propos de Luc Vernet au nom de Farm Europe : « La Commission propose une PAC nationalisée ou régionalisée, moins politique et plus technocratique, où elle garderait un droit de veto systématique. Il ne s’agit en aucune façon d’une simplification. »

Au surplus, l’expérience des plans de développement régional du second pilier, dont la complexité byzantine est unanimement reconnue, laisse perplexe. Les risques de distorsion de concurrence sont élevés : certains États membres pourraient être tentés d’utiliser le principe de subsidiarité pour gagner en compétitivité grâce au moins-disant réglementaire. Inversement, d’autres pays, dont la France, pourraient vouloir aller au-delà des normes européennes.

Monsieur le ministre, est-ce vraiment cela que nous voulons ?

J’en arrive, en second lieu, au statu quo qui se dessine sur les règles de concurrence et de gestion des crises après les avancées introduites par le « Règlement Omnibus ». La Commission européenne semble s’en satisfaire. Notre proposition de résolution européenne fait valoir a contrario que ce règlement ne constitue qu’une étape dans la voie d’une meilleure sécurisation des revenus des agriculteurs.

Six autres points sont ensuite consacrés aux progrès souhaités par vos rapporteurs tant en matière de gestion des risques que de modalités d’intervention sur les marchés en période de crise ou d’adaptation des règles de concurrence.

Monsieur le ministre, la prochaine réforme de la PAC ne pourra éluder les sujets de la rémunération des agriculteurs, du fonctionnement des marchés et de la volatilité des cours des produits agricoles.