M. le président. La parole est à Mme Éliane Assassi.

Mme Éliane Assassi. Monsieur le président, monsieur le président de la commission des lois, monsieur le président du comité de déontologie parlementaire, mes chers collègues, abordant la question de la déontologie des sénatrices et des sénateurs, nous sommes évidemment écoutés, voire scrutés, peut-être aussi attendus.

Le texte présenté par le président du Sénat est la conséquence directe des lois dites de « moralisation de la vie politique » promulguées le 15 septembre dernier. Il reprend par ailleurs un certain nombre de dispositions déjà existantes.

Nous sommes attendus sur ces questions, ai-je dit, car notre peuple a perdu dans une large mesure confiance en le politique en général et, par ricochet, en les femmes et les hommes qui font la politique. Les premiers visés par la colère, le mépris, à tout le moins le désintérêt sont les parlementaires. Les élus locaux, les maires en particulier, échappent encore à cette vindicte, par leur proximité avec la population.

Comme je l’avais indiqué lors de mon intervention sur les textes précités, ce rejet des parlementaires prend principalement sa source dans les déceptions successives, dans les promesses non tenues. Nos concitoyennes et concitoyens attendent principalement une chose, l’amélioration de leur situation : pouvoir travailler, se loger dignement, accéder à des soins de qualité, faire faire à leurs enfants des études, quel que soit leur milieu.

Depuis maintenant des décennies, chaque fois qu’ils élisent un Président de la République et, dans la foulée, une majorité parlementaire, le même scénario se reproduit : la déception.

Les choix politiques sont donc responsables, pour une bonne part, du rejet du Parlement sur lequel surfe aujourd’hui le Président de la République pour attaquer durement celui-ci, en commençant par en réduire l’effectif, avant de contraindre les prérogatives des députés et des sénateurs. Ces lourdes attaques du chef de l’État contre le Parlement sous-tendent les projets de révision institutionnelle qui seront mis en débat dans les semaines à venir à l’Assemblée nationale et au Sénat, en septembre.

Comment ne pas y voir l’aboutissement d’un calcul ancien, quelque peu machiavélique : il s’agit de pointer du doigt une institution où s’exprime encore une opposition politique, qui argumente malgré un pluralisme abîmé, une institution où le débat républicain se mène, particulièrement au Sénat.

Comment ne pas percevoir qu’Emmanuel Macron s’appuie sur cet affaiblissement du Parlement pour tenter d’instaurer un système que certains qualifieront de post-démocratique, adapté à la mondialisation économique, un système où les intérêts privés et l’argent sont les valeurs dominantes, au détriment de l’intérêt général ?

Si l’on est convaincu de la pertinence de certaines valeurs démocratiques et républicaines, il faut résister à cette vague antiparlementaire venue d’en haut, en proposant une profonde rénovation démocratique. Nous y reviendrons lors des débats à venir.

Dans ce contexte, l’argent, valeur dominante, incontournable, de notre société, s’est mêlé à la vie politique elle-même. Les promoteurs d’intérêts privés, ce que l’on nomme les lobbies, sont présents et institutionnalisés au point que, trop souvent, les parlementaires eux-mêmes se comportent en lobbyistes.

De trop nombreuses affaires ont illustré les rapports entre politique et argent, entre élus et argent, masquant la probité de la très grande majorité de ces hommes et de ces femmes engagés pour défendre leurs idées et porter dans l’hémicycle la voix de leurs électrices et de leurs électeurs.

Cette intrusion de l’argent dans la politique n’est pas suffisamment combattue sur le fond ; ce fut d’ailleurs notre principal grief à l’encontre des réformes de l’été dernier. Elle est au contraire institutionnalisée : encadrée, certes, mais institutionnalisée.

La proposition de résolution dont nous discutons ce soir porte les stigmates de cette régulation qui ne vaut en rien interdiction.

L’organisation du système de déport proposé au travers de ce texte est emblématique à cet égard. Plutôt que de combattre en amont, avant même l’élection, les conflits d’intérêts potentiels, on organise de manière tout à fait fictive une séparation entre intérêt privé et intérêt général dans le cadre d’un même mandat, en autorisant un parlementaire à ne pas siéger ou à ne pas voter en fonction d’un conflit d’intérêts qu’il déclarerait lui-même. Ainsi, des mandats pourront être intermittents, truffés de conflits d’intérêts acceptés par l’institution…

Ce système de déport ne constitue pas un rejet du conflit d’intérêts : il en est une organisation. Qui pis est, il sera possible de se déporter, durant tout un mandat, d’un secteur législatif. Cela est-il conforme à une conception républicaine de la représentation élective ? Les électrices et les électeurs ne devraient-ils pas, pour le moins, être informés en amont de l’incapacité d’un candidat à exercer en totalité son mandat du fait de son lien avec des intérêts privés ? Si l’objectif est vraiment de restaurer l’image des élus, de manifester leur probité et leur sens de l’intérêt général, ouvrir cette possibilité de déport apparaît totalement contre-productif. Nous présenterons d’ailleurs deux amendements sur ce sujet.

La réforme de septembre 2017 a eu pour effet de rendre caduc le système de pénalisation de l’absentéisme ou du manque d’assiduité des sénatrices et des sénateurs.

Ce système – il faut le reconnaître – a produit des effets positifs. Je le constate d’autant plus sereinement que notre groupe s’est toujours signalé par un fort taux de présence.

Les nouvelles dispositions réglementaires d’ordre pécuniaire avaient donc produit un effet non négligeable. Je ne peux que regretter que cette réforme prévoie un allégement de la sanction automatique pour manque d’assiduité,…

M. Philippe Bas, rapporteur. Pas exactement.

Mme Éliane Assassi. … même si le président-rapporteur de la commission des lois a proposé, en commission, de renforcer le texte du président Larcher.

Mais la mise en œuvre, dans le cadre d’un nouveau niveau de sanction – dont l’application est seulement rendue possible –, des dispositions financières accompagnant la censure simple ou avec exclusion temporaire ne sera pas automatique. Dans les faits, la procédure ne sera que rarement mise en œuvre.

M. le président. Veuillez conclure, ma chère collègue.

Mme Éliane Assassi. Je vais conclure, monsieur le président.

M. François Bonhomme. On a compris !

Mme Éliane Assassi. Non, mon cher collègue, vous n’avez pas compris, car notre vote ne sera pas celui que vous imaginez sans doute : nous ne voterons pas contre ce texte ; il est probable que nous nous abstenions.

M. Jean Bizet. Ce n’est pas certain ?

M. François Bonhomme. C’est la grève du vote !

M. le président. La parole est à Mme Sophie Joissains. (Applaudissements sur les travées du groupe Union Centriste et sur des travées du groupe Les Républicains.)

Mme Sophie Joissains. Monsieur le président, monsieur le président-rapporteur de la commission des lois, mes chers collègues, le 3 août 2017, le Parlement adoptait définitivement les projets de loi organique et ordinaire pour la confiance dans la vie politique. L’examen de ces textes a donné lieu à de très longs débats. La loi a été promulguée, et elle s’impose à tous.

Il est nécessaire que les innovations introduites par cette législation nouvelle soient bien intégrées dans notre règlement. C’est la raison d’être de la présente proposition de résolution.

Il est tout de même important de rappeler ici que le Sénat, en la matière, avait été précurseur ; il avait, bien en amont de la loi, déjà mis en place un dispositif global et cohérent de prévention et de traitement des conflits d’intérêts, entendus, je cite, comme « toute situation dans laquelle les intérêts privés d’un membre du Sénat pourraient interférer avec l’accomplissement des missions liées à son mandat et le conduire à privilégier son intérêt particulier face à l’intérêt général ». Ce dispositif figure et figurera dans l’instruction générale du bureau du Sénat.

La proposition de résolution que nous examinons ce soir traite également d’une difficulté née d’une disposition de la loi pour la confiance dans la vie politique, à savoir la disparition de l’IRFM, et de ses conséquences sur le mécanisme de sanction en cas d’absences répétées d’un sénateur.

Dès le 14 décembre 2017, lors de l’examen de la dernière réforme de notre règlement, mon collègue et président de groupe Hervé Marseille avait attiré l’attention de la Haute Assemblée sur le fait que les sanctions prévues par l’article 23 bis étaient assises sur l’IRFM et que, cette dernière disparaissant au 1er janvier 2018, lesdites sanctions seraient privées de base légale à compter de cette date.

Cela fait donc quelques mois que nous nous trouvons dans un vide juridique, heureusement sans conséquence, puisque le bureau, à ma connaissance, n’a pas eu à connaître de telles absences pour le moment.

Pour autant, il était indispensable de rétablir une sanction pour ces cas particuliers.

La présente proposition de résolution prévoit une disposition à mi-chemin entre une sanction prévue directement à l’article 23 bis et l’éventuel recours à des sanctions disciplinaires prévues à l’article 97. Ce mécanisme paraît pertinent et tout aussi dissuasif que le précédent.

Autre innovation majeure de la proposition de résolution, la création d’un registre des déports. Le sujet est délicat, car il ne prête pas à l’établissement de listes exhaustives que nous pourrions inscrire dans le règlement. Il a donc été décidé, en commission, que la question du déport resterait à l’appréciation de chaque sénateur.

Cependant, cette appréciation peut être complexe, et une forte dose de pédagogie sera nécessaire. En effet, un sénateur pourrait se trouver dans une situation où il devrait se déporter et, de bonne foi, ne pas en avoir la perception ou le réflexe, tant de telles situations peuvent être complexes. Aussi est-il important de rappeler à l’ensemble des sénateurs que, en cas de doute, il leur revient de consulter le comité de déontologie du Sénat.

M. Philippe Bas, rapporteur. Très juste !

Mme Sophie Joissains. Il est proposé de conserver au comité de déontologie parlementaire et au bureau du Sénat les rôles respectifs qui sont aujourd’hui les leurs, tels qu’ils sont prévus par l’instruction générale du bureau du Sénat.

Le comité de déontologie parlementaire garderait les mêmes règles de composition et de fonctionnement, ainsi que ses missions. En revanche, la loi impose de revoir ses modalités de saisine.

La présente proposition de résolution introduit une gradation selon trois niveaux de saisine possibles.

Le comité pourrait être saisi par le bureau ou le président du Sénat d’une question relative à la déontologie sénatoriale, à laquelle il serait répondu par un avis public.

Le comité pourrait être saisi par le bureau ou le président du Sénat de la situation personnelle d’un sénateur au regard des règles déontologiques. L’avis rendu serait alors confidentiel et assorti de recommandations.

Enfin, le comité pourrait être saisi par un sénateur d’une demande de conseil déontologique sur sa situation personnelle. Il lui serait alors répondu par un conseil confidentiel. Comme cela a été mentionné plus haut, cette dernière possibilité pourrait s’avérer être, dans certains cas, d’une aide précieuse.

Je tiens à saluer la qualité du travail de notre président-rapporteur, qui a permis de clarifier le texte sur plusieurs points essentiels et d’introduire de nombreuses propositions du comité de déontologie du Sénat.

Il en est ainsi de la possibilité, pour le bureau, de prononcer des rappels à l’ordre afin de traiter des manquements déontologiques mineurs, ou de la clarification du régime de publicité des avis du comité. En effet, qu’ils soient rendus à la demande du président du Sénat, du bureau ou d’un sénateur, sur une question générale ou individuelle, les avis du comité seront publiés, mais la confidentialité nominative sera garantie. Cette publication, un peu à la façon d’une jurisprudence, permettra aux sénateurs d’être éclairés de manière précise sur les bonnes pratiques.

Mes chers collègues, le groupe Union Centriste votera naturellement en faveur de l’adoption de cette proposition de résolution, qui marque une actualisation nécessaire de notre règlement. (Applaudissements sur les travées du groupe Union Centriste et du groupe Les Républicains. – Mme Françoise Laborde et MM. Martin Lévrier et Pierre Louault applaudissent également.)

M. le président. La parole est à Mme Marie-Pierre de la Gontrie.

Mme Marie-Pierre de la Gontrie. Messieurs les présidents, mes chers collègues, depuis trente ans, notre vie publique et notre vie parlementaire sont rythmées par des évolutions législatives régulières. Tous les deux ou trois ans, le Parlement est amené à délibérer sur des règles qui ont vocation à encadrer, à formaliser la problématique des relations entre l’argent et le monde politique. Jacques Chirac, en 1988, Michel Rocard, en 1990, Philippe Séguin, en 1995 : l’ensemble des responsables politiques, de tous bords, ont dû, année après année, proposer des législations, souvent d’ailleurs en réponse à des scandales financiers ayant secoué la vie politique française.

Ces scandales sont certes déplorables ; pour autant, le monde politique a su en tirer les conséquences pour encadrer, de manière parfois complexe, le financement de la vie politique, le financement des partis politiques, le financement des campagnes électorales. Il a instauré la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique, avant de s’intéresser à la question des conflits d’intérêts et des lanceurs d’alerte.

Après une nouvelle loi, fin 2017, élaborée elle aussi à la suite, notamment, de difficultés survenues lors des mois précédents, nous débattons donc aujourd’hui de cette proposition de résolution qui a vocation à introduire dans les règlements des deux assemblées un certain nombre de règles destinées à améliorer encore l’organisation des liens entre les parlementaires et l’argent.

Comme l’a souligné le président Bas, certaines dispositions visent à prendre en compte la suppression de la fameuse IRFM – je dis « fameuse » car, après les récentes campagnes électorales, plus aucun Français regardant le journal télévisé ne pouvait ignorer qu’il existât quelque chose qui s’appelait IRFM, sans forcément savoir très exactement ce que ce terme recouvre. Depuis, Julia, l’application de « justification en ligne des avances », est devenue notre meilleure amie… (Sourires.)

Quant à la prévention des conflits d’intérêts, elle constitue un point très important. Les collègues qui m’ont précédée l’ont rappelé, il s’agit là d’un sujet délicat, difficile, qui doit faire l’objet d’une réglementation et sur lequel nous devrons sans doute progresser – j’ai compris, à l’écoute de diverses interventions, que nous ne sommes pas seuls, au groupe socialiste et républicain, à le penser.

Le comité de déontologie, admirablement présidé par notre collègue Pillet, a lui aussi formulé un certain nombre de suggestions pour compléter cette proposition de résolution du président Larcher. M. Bas, président de la commission et rapporteur, en a repris un certain nombre pour le compte de la commission, y compris celle d’introduire dans le texte le principe du respect de la laïcité. J’avais moi aussi souhaité que ce principe soit réintroduit dans notre règlement.

Nous avons donc bien avancé, et nous avons pu approcher encore un peu plus une solution du problème des conflits d’intérêts.

Vous l’aurez compris, le groupe socialiste et républicain est favorable à cette proposition de résolution. Pour autant, nous devons regarder devant nous, en anticipant les questions qui vont se poser à nous prochainement. Lors de l’examen à l’Assemblée nationale d’un projet de loi relatif à l’agriculture et à l’alimentation, les lobbies, a-t-on entendu dire, auraient été très actifs… Nous allons donc devoir faire montre de la plus grande vigilance quant à la façon dont les représentants d’intérêts tentent d’interférer dans le travail parlementaire, pour le meilleur parfois, mais pas toujours.

Notre collègue Alain Richard a indiqué que nous devrions peut-être envisager d’étendre le champ de la réglementation, notamment, aux dons qui peuvent être faits par des organismes extérieurs, aux invitations à telle ou telle manifestation de prix élevé ; nous avons évoqué ce point en commission des lois, et peut-être en effet devrons-nous progresser en ce sens.

Je l’ai rappelé, nous avons su faire évoluer la législation régulièrement ; nous avons su comprendre, au sein tant de chaque assemblée que des formations politiques, qu’il était nécessaire de légiférer pour restaurer la confiance des Français. Je suis donc très confiante dans notre capacité à progresser sur ce chemin, dont une partie reste à parcourir.

Le groupe socialiste et républicain restera vigilant à l’avenir. Il sera toujours présent lorsqu’il s’agira, sans mauvais esprit, d’identifier les points sur lesquels nous aurons encore, demain, à compléter la législation, afin que nos électeurs cessent de penser que nous n’exercerions pas notre mission de parlementaires de la manière la plus digne. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain. – Mmes Marie-Thérèse Bruguière et Michèle Vullien, MM. Marc Laménie, Martin Lévrier et Alain Richard applaudissent également.)

M. le président. La parole est à M. Alain Marc.

M. Alain Marc. Messieurs les présidents, mes chers collègues, la proposition de résolution relative aux obligations déontologiques et à la prévention des conflits d’intérêts des sénateurs tire les conséquences des lois organique n° 2017-1338 et ordinaire n° 2017-1339 du 15 septembre 2017 pour la confiance dans la vie politique. Elle procède à une actualisation du règlement du Sénat, sans toutefois bouleverser les règles déontologiques déjà rigoureuses applicables aux sénateurs. Elle a donné lieu à un avis du comité de déontologie parlementaire.

En premier lieu, la suppression de l’IRFM exige de revoir le mécanisme de retenue financière automatique en cas d’absences répétées d’un sénateur, car ce mécanisme comporte un prélèvement sur cette indemnité. Le bureau pourra prononcer, en pareil cas, une sanction disciplinaire de censure pour manquement à l’obligation d’assiduité, laquelle conduit à la retenue d’une partie de l’indemnité parlementaire.

En second lieu, des dispositions déontologiques, concernant la prévention et le traitement des conflits d’intérêts, doivent être inscrites dans le règlement, alors qu’elles figurent aujourd’hui dans l’instruction générale du bureau.

Ainsi, la proposition de résolution prévoit de faire figurer dans le règlement, de façon synthétique, les règles déontologiques existantes, en particulier les principes déontologiques applicables aux sénateurs, l’obligation de déclarer les invitations, cadeaux, dons et avantages en nature, la composition du comité de déontologie parlementaire et la procédure en matière de prévention et de traitement des conflits d’intérêts, faisant intervenir le bureau et le comité de déontologie. Elle crée également un registre des déports.

La commission des lois, sur l’initiative de son président et rapporteur de ce texte, Philippe Bas, dont je salue le travail,…

M. Philippe Bas, rapporteur. Je vous remercie.

M. Alain Marc. … a adopté dix-neuf amendements, visant à prendre en compte l’avis du comité de déontologie, à clarifier la proposition de résolution et à améliorer la cohérence du règlement.

Ainsi, elle a renforcé le contrôle disciplinaire de l’absentéisme, en prévoyant un examen disciplinaire automatique par le bureau de la situation d’un sénateur en cas d’absences répétées pendant deux trimestres. Elle permet également au bureau de prononcer des sanctions de rappel à l’ordre en matière déontologique.

En matière d’absentéisme, la commission a prévu, au-delà des deux premiers niveaux de retenue financière automatique, un troisième niveau, en cas d’absences importantes et répétées d’un sénateur au cours de deux trimestres de la session ordinaire, consistant en un examen automatique par le bureau du Sénat de la situation de ce sénateur. Le bureau pourrait, s’il l’estime nécessaire, prononcer une sanction disciplinaire de censure.

Le premier niveau de sanction consiste en une retenue de la moitié de l’indemnité de fonction pendant trois mois, et le deuxième en une retenue de la totalité de cette indemnité pour la même durée ; aux termes du texte adopté par la commission, en raison de la suppression de la possibilité de retenue sur l’indemnité représentative de frais de mandat, la censure simple prononcée en matière déontologique emporterait, outre la privation de la totalité de l’indemnité de fonction, la privation d’un tiers de l’indemnité parlementaire pour une durée de trois mois, et la censure avec exclusion temporaire la privation de deux tiers de l’indemnité parlementaire pendant six mois. La commission a supprimé la possibilité pour le bureau de moduler ces durées à la baisse.

Reprenant une proposition du comité de déontologie parlementaire, la commission a également prévu que le bureau puisse prononcer, en matière déontologique, non seulement des censures, mais également des rappels à l’ordre, afin de traiter des manquements déontologiques mineurs. Le rappel à l’ordre et le rappel à l’ordre avec inscription au procès-verbal sont dépourvus d’incidence financière, mais ils seraient rendus publics, comme il est de principe pour toute sanction disciplinaire en matière déontologique.

Par ailleurs, la commission a clarifié le régime de publicité des avis du comité rendus à la demande du bureau, sur une question générale ou individuelle ou à la demande d’un sénateur sur une question individuelle le concernant, tout en garantissant la confidentialité des informations nominatives qui y figurent. En effet, une telle publicité permettrait d’éclairer l’ensemble des sénateurs en matière déontologique sur la base d’avis rendus, notamment, sur des cas particuliers et concrets.

La commission a également clarifié les dispositions relatives à la faculté de déport des sénateurs et permis au bureau d’interroger le comité de déontologie non seulement sur un possible conflit d’intérêts, mais aussi sur tout manquement déontologique d’un sénateur. Elle a renforcé le caractère contradictoire de la procédure de contrôle par le bureau de la situation d’un sénateur en matière déontologique.

Cette proposition de résolution constitue un texte de consolidation et d’actualisation des obligations déontologiques des sénateurs inscrites dans le règlement du Sénat. Le groupe Les Indépendants se félicite de ce texte et y est tout à fait favorable. (Applaudissements sur des travées du groupe Union Centriste et du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen, ainsi que sur des travées du groupe Les Républicains.)

M. le président. La parole est à Mme Mireille Jouve.

Mme Mireille Jouve. Monsieur le président, monsieur le président de la commission des lois et rapporteur, mes chers collègues, assiduité, prévention des conflits d’intérêts, compétences et composition du comité de déontologie, sanctions en cas de manquements aux règles de déontologie : proposition nous est soumise de faire évoluer les règles qui régissent le fonctionnement de la chambre haute du Parlement.

Cette proposition de résolution trouve sa source dans la nécessité de transposer les dispositions introduites l’été dernier par les lois pour la confiance dans la vie politique, trente-deuxième et trente-troisième textes tendant à « réguler » la vie politique et publique depuis 1985.

Ces lois, élaborées à l’issue d’une campagne électorale présidentielle particulièrement erratique, ont laissé nombre d’entre nous assez dubitatifs, non parce que nous ne percevrions pas la réalité du déclin croissant de l’intérêt de nos compatriotes pour la chose publique et la nécessité de l’enrayer, mais en raison des moyens employés.

En effet, la confiance dans le politique saurait-elle être restaurée par la loi ? Le cadre dans lequel nous exercions précédemment nos mandats serait-il la cause réelle de cette désaffection ? Une énième démarche en faveur d’une plus grande transparence de nos faits et gestes ne serait-elle pas, in fine, contre-productive et source de nouvelles suspicions ?

Ironie du sort, le garde des sceaux qui avait élaboré ces deux textes aura d’ailleurs lui-même été emporté par la « crise de confiance » qu’il entendait combattre, et ce, avant même de pouvoir présenter ses travaux devant la représentation nationale…

M. François Pillet, président du comité de déontologie parlementaire du Sénat. Excellent rappel !

Mme Mireille Jouve. Comme entrée en matière pour restaurer la confiance entre les Français et leurs représentants, on pouvait imaginer mieux !

En dépit de ces interrogations, le Sénat s’est, l’an passé, pleinement impliqué dans l’élaboration de cette nouvelle réforme. Ses apports furent nombreux et, à l’image de tous nos travaux, imperméables aux chants des sirènes sondagières ou médiatiques.

Lorsque le Gouvernement nous a semblé faire fausse route, nous n’avons pas hésité à lui en faire part. Ce fut notamment le cas pour la suppression de la dotation d’action parlementaire, la DAP.

On nous opposa l’« opacité » de cette pratique, qui faisait pourtant l’objet depuis plusieurs années d’une information tout à fait limpide sur son utilisation.

On nous opposa l’arbitraire de ses modalités d’attribution, alors que personne ici n’ignore que, dans nos collectivités, l’attribution d’une subvention ne présente pas non plus un caractère automatique.

On nous opposa qu’il était d’une nécessité impérieuse de mettre un terme aux pratiques de l’ancien monde, alors que, dans le même temps, la réserve ministérielle, clone de la DAP à disposition de l’exécutif, allait perdurer.

Nous ne le répéterons jamais assez : cette manne était aussi utile aux collectivités les plus modestes qu’au tissu associatif. (Mme Françoise Laborde approuve.)

Mme Sophie Joissains. C’est vrai !

Mme Mireille Jouve. Le monde des anciens combattants, pour ne citer que lui, nous a encore récemment fait part des difficultés financières considérables qu’il rencontre depuis la suppression de la réserve parlementaire.

De toutes les institutions républicaines, notre Haute Assemblée est sans doute l’une de celles qui véhiculent le plus de représentations selon moi faussées. Le Sénat a institué, sans publicité tonitruante et dès 2009, soit deux années avant la création de la fonction de déontologue à l’Assemblée nationale, un comité de déontologie parlementaire.

M. François Pillet, président du comité de déontologie parlementaire du Sénat. Eh oui !

Mme Mireille Jouve. Notre Haute Assemblée sanctionne également plus lourdement que la chambre basse l’absentéisme de ses membres.

Vous aurez en outre pu observer, mes chers collègues, que le Sénat a su résister à la vague « dégagiste » qui a caractérisé les scrutins nationaux de l’an passé. Certains auront relevé là une « résistance de l’ancien monde » ou une nouvelle manifestation de l’« archaïsme » du Sénat. Cette relative stabilité dans nos rangs est, j’en ai la conviction, le fait des liens que nous avons tissés, au gré du temps et de nos travaux, avec les élus locaux. Ceux-ci connaissent la réalité de la charge d’un mandat. Dans leur grande majorité, ils voient dans les sénateurs d’anciens élus locaux, qui partagent leur passion de l’action publique. Nous ne sommes pas pour eux des inconnus. C’est cette proximité qui nous permet de dépasser les idées préconçues.

C’est là pour moi l’occasion de rappeler, au nom du groupe du RDSE, l’importance de maintenir un lien suffisamment étroit entre les citoyens et leurs représentants. La confiance et l’inconnu ne vont généralement guère de pair.

Dans notre pays, cette proximité qui permet d’ancrer la politique dans le réel auprès des Français est, avant toute chose, le fait de l’institution communale. Le maire demeure celui qui résiste le mieux à la crise affectant la confiance dans la sphère publique ; ne l’oublions pas au moment où l’on tend à réduire son rôle et ses moyens.

Le Sénat, attaché à son indépendance, ne travaille sous aucune pression d’aucune sorte. Il poursuit aujourd’hui sa route.

Sur l’initiative de M. le rapporteur et des membres de la commission des lois, dix-neuf amendements ont été intégrés au texte qui nous est soumis ce jour. Les membres du groupe du RDSE se félicitent de l’introduction, parmi les principes déontologiques applicables, de celui de « respect de la laïcité » dans le cadre de l’exercice du mandat de sénateur.

Attaché à la lutte contre les conflits d’intérêts, notre groupe salue également les nouvelles dispositions introduites.

Soucieux de garantir l’égalité des droits entre les femmes et les hommes, nous vous soumettrons par ailleurs une proposition d’amendement visant à dispenser d’assiduité nos collègues masculins qui souhaiteraient faire valoir leur droit au congé de paternité.

Mes chers collègues, le débat public actuel pourrait gagner en sérénité à l’heure où les réseaux sociaux se muent en véritables tribunaux populaires. Sans aller jusqu’à parler de présomption de culpabilité, aucun élu ne souhaite, au moment de ceindre l’écharpe tricolore, avoir le sentiment de se transformer en pigeon d’argile…