Mme la présidente. La parole est à M. Pierre Ouzoulias, pour explication de vote.

M. Pierre Ouzoulias. Je demeurerai, dans mon propos, sur le strict plan du droit, comme nous y incite à raison Mme Gatel. Vous avez déjà compris, mes chers collègues, que je suis quelque peu extérieur au fait religieux ; je me prévaudrai donc d’une certaine neutralité.

Je voudrais vous faire remarquer que ce qui est en question ici, c’est finalement la reconnaissance par la République de la religion. On entend demander à l’État, ou plutôt, de façon très courageuse, au Conseil d’État (Sourires sur les travées du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.), puisque c’est lui qui déterminera la composition de ce conseil consultatif, de dire ce qui, aujourd’hui, est ou n’est pas une religion, ce qui pourrait l’être demain et ce qui ne l’est plus.

Notre rapporteur nous citait tout à l’heure le cas de la Grande-Bretagne, où il n’y a pas de séparation de l’Église et de l’État. Ce modèle communautariste ne me plaît pas, madame Gatel, et je vais vous expliquer pourquoi.

Il existe aujourd’hui une religion, le pastafarisme, qui voue un culte au Monstre en spaghettis volant. (Marques détonnement.) N’y voyez aucune visée antireligieuse ! (Sourires.) Cette religion est reconnue par le gouvernement britannique, ainsi que par la Nouvelle-Zélande, l’État du Kansas et les Pays-Bas.

Mme Goulet, dans son intervention liminaire, a quant à elle évoqué la serpe des druides. Mes chers collègues, il existe aujourd’hui de nombreuses religions druidiques. J’ai moi-même participé à certaines agapes très agréables, autour de sangliers, et je ne parle pas là de la bande dessinée Astérix, auquel je voue un culte particulier ! (Nouveaux sourires.)

Quelle sera la position de notre docte Assemblée ou du Conseil d’État, quand, demain, une religion druidique demandera, tout naturellement, à être associée à ce conseil ? Je pense sincèrement que nous entrons là dans des discussions infinies, et qu’il vaut mieux en rester à la sagesse de 1905 : la neutralité absolue nous évite d’ailleurs de définir le concept de « religion », entreprise tout de même bien compliquée.

Mme la présidente. La parole est à Mme Nathalie Goulet, pour explication de vote.

Mme Nathalie Goulet. Je voudrais pour ma part soutenir Mme la rapporteur dans sa mission créative.

Au-delà de l’existence de telles institutions en Grande-Bretagne, où le statut des religions est, nous en convenons tous, complètement différent, il n’en reste pas moins, madame la ministre, que nous manquons cruellement d’espaces de dialogue et d’échange.

Cela fait extrêmement longtemps que l’instance de liaison qui avait été mise en place par Bernard Cazeneuve ne fonctionne plus, alors qu’il s’agissait selon moi d’une excellente initiative.

Je veux éviter les spaghettis violents…

Mme Nathalie Goulet. … volants, pardon, même si, à l’allure où vont les choses, on aura peut-être bientôt des spaghettis radicalisés ! (Sourires.)

Nous avons tous ici conscience des limites de l’exercice que nous accomplissons aujourd’hui autour de ce texte. Nous allons essayer d’adopter le texte issu des travaux de la commission, mais il n’y a absolument aucune chance qu’il soit examiné par l’Assemblée nationale et devienne loi.

Mme Esther Benbassa. Heureusement !

Mme Nathalie Goulet. Heureusement pour certains, mais peut-être pas pour d’autres. En attendant, nous disposons d’une plateforme sur laquelle nous pouvons débattre ; cette base pourra toujours servir à d’autres choses.

C’est pourquoi, pour ma part, je suis extrêmement favorable au maintien de la position adoptée par la commission des lois et son rapporteur.

Mme la présidente. La parole est à M. Jacques Bigot, pour explication de vote.

M. Jacques Bigot. Je voterai cet amendement de suppression de l’article 3 bis. De toute façon, si une telle disposition n’avait pas existé, j’aurais refusé de voter cet article !

Comme nous l’avons expliqué en commission des lois, ce conseil consultatif a trois missions, qui concourent toutes à la même idée.

« Éclairer les pouvoirs publics dans leurs relations avec les représentants des cultes », qu’est-ce, sinon travailler à une évolution de la loi de 1905 ?

« Contribuer à la réflexion sur les conditions d’exercice de la liberté des cultes », définie dans cette même loi, qu’est-ce, sinon préparer une évolution de la loi de 1905 ?

« Contribuer à la réflexion sur les conditions de la formation des cadres religieux et ministres du culte », enfin, c’est l’objectif principal de cette proposition de loi, et la création de ce conseil signifie bien qu’il faut, pour ses auteurs, faire ainsi évoluer ces conditions !

Vous m’avez rassuré, madame la ministre, en affirmant que vous ne souhaitiez pas que ce conseil soit créé ; j’aurais sinon pensé que vous envisagiez une évolution de la loi de 1905. Il est certes indéniable que le Président de la République ne s’est pas encore montré, sur ce sujet, d’une clarté absolue. J’ai donc l’impression que le débat n’est pas terminé.

À ce stade, je souhaite en tout cas, madame la rapporteur, que ce conseil ne soit pas mis en place. Je ne suis pas sûr qu’un jour quelque chose se fasse, mais ce sera un autre débat.

Mme la présidente. La parole est à Mme le rapporteur.

Mme Françoise Gatel, rapporteur. Je voudrais tout d’abord répondre à Pierre Ouzoulias.

Je crains en premier lieu, mon cher collègue, que vous ne soyez moins excellent en géographie qu’en culture générale ! Lors de mon intervention devant la commission des lois, j’ai parlé non de la Grande-Bretagne, mais de la petite Bretagne, qui est la mienne. Je n’ai pas non plus parlé de spaghettis volants,…

Mme Jacqueline Gourault, ministre. En Bretagne, ce sont les crêpes qui sont volantes ! (Sourires.)

Mme Françoise Gatel, rapporteur. … j’ai seulement, à un moment, évoqué les druides, pour prendre un exemple un peu neutre, qui peut certes avoir une connotation amusante, mais qui constitue aussi, pour certains, un vrai culte. Permettez-moi, mon cher collègue, cette correction.

En second lieu, le Conseil d’État a défini très précisément ce qu’est une association cultuelle dans son avis d’Assemblée du 24 octobre 1997, ce qui permet de répondre à la question très pertinente que vous avez posée.

Cher Jacques Bigot, j’apprécie moi aussi beaucoup votre entrée dans ce débat et le calme avec lequel nous le conduisons. Je n’ai pas, quant à moi, de pensées au deuxième ou au troisième degré – je n’ai pas d’arrière-pensées ! Je vous livre ma réelle conviction, avec beaucoup de sincérité et de franchise.

Je rappelle qu’il s’agit ici d’un conseil consultatif. Quand le Président de la République, quel qu’il soit, discute avec les représentants des cultes, quels qu’ils soient et où que ce soit, sans doute parle-t-il du temps qu’il fait, mais il doit bien lui arriver aussi de discuter d’autre chose !

Nous avons évoqué, y compris avec les représentants des cultes, la nécessité pour l’État de faciliter la mise en place, dans des universités, de programmes qui permettraient de former librement des ministres du culte – nous en avons des exemples. Je vous rassure donc, mon cher collègue : je ne suis mandatée par personne, mais je livre, si je puis dire, ma libre pensée !

Peut-être cette idée reviendra-t-elle d’une autre manière et par un autre canal que ma voix, mais je persiste à y croire : alors même que chacun d’entre nous ici, qu’il soit pour ou contre le texte, reconnaît qu’il est nécessaire de se respecter, de dialoguer et de permettre le libre exercice des cultes, je crois qu’il peut y avoir, dans ce pays, un espace de dialogue, qui ne serait d’ailleurs que consultatif. Reconnaissons-le, et permettons son émergence.

Mme la présidente. La parole est à Mme Françoise Laborde, pour explication de vote.

Mme Françoise Laborde. Je ne puis qu’apprécier la position de Mme la ministre. Bien sûr, je souhaite moi aussi la suppression de cet article.

La composition, l’organisation et le fonctionnement de ce conseil consultatif devront être précisés par décret en Conseil d’État… C’est tout de même quelque peu facile !

Je voudrais aussi vous rappeler, mes chers collègues, qu’il existe un organisme, l’Observatoire de la laïcité, dont les membres sont nommés par le Premier ministre et comprennent deux députés et deux sénateurs. Ses missions, variées, permettent de nous éclairer sur de nombreux sujets.

Cette année, il a publié un rapport de 580 pages, que j’ai lu ; nous en discuterons plus tard, quand vous en aurez fait de même. J’ai été membre de cet observatoire ; quand j’ai reçu ce « pavé », j’ai eu peur, mais il est fort riche, et il n’appelle pas à la création d’un nouvel organisme nommé « conseil consultatif des cultes » !

Mme la présidente. La parole est à Mme Esther Benbassa, pour explication de vote.

Mme Esther Benbassa. Pardonnez-moi, mes chers collègues, de revenir à nouveau sur cette question, mais elle est très importante.

Je vois bien ce que devrait être, dans l’abstraction, un conseil consultatif des cultes, mais d’un point de vue pragmatique, c’est autre chose : les représentants de différents cultes déjà organisés, dont les ministres reçoivent déjà une formation, vont se réunir pour donner des conseils aux musulmans et leur expliquer comment organiser la formation des imams.

Mme Nathalie Goulet. Ce n’est pas cela !

Mme Esther Benbassa. En effet, comme je l’ai déjà dit, les juifs ont les séminaires rabbiniques, les catholiques ont leurs formations, puisqu’il existe une hiérarchie, et il en est de même pour les protestants et d’autres encore. Si ce n’est pas pour les musulmans, pour qui est-ce ? C’est une façon somme toute peu amène d’humilier les musulmans, qui viendraient recevoir des leçons des autres cultes.

Mme Nathalie Goulet. Pas du tout !

Mme Esther Benbassa. Je voudrais en revanche revenir sur la formation des imams. C’est une nécessité – tout le monde le reconnaît, il n’y a pas là de problème –, mais je suggérerai qu’il appartient soit au CFCM soit au Rassemblement des musulmans de France d’essayer de jumeler les écoles de formation d’imams qui existent déjà, que ce soit à la mosquée de Paris ou ailleurs, avec des universités, ou du moins de passer des accords pour que ces établissements puissent dispenser à leurs élèves des cours de sociologie, de civisme, de français.

Tout cela, l’université peut le faire. Seulement, parce que nous sommes dans un pays laïc, il lui est impossible d’enseigner la théologie, ce qui n’est possible que dans des établissements tels que l’Institut catholique ou les deux instituts protestants. On peut imaginer qu’un jour il existera sur ce modèle un Institut de l’islam. Pourquoi pas ? Tout cela peut se faire !

Quoi qu’il en soit, on n’a pas besoin de mettre sous tutelle l’islam, avec la complicité des autres religions, pour expliquer aux musulmans comment former leurs imams. C’est un vrai problème : il faut selon moi sortir de cette abstraction pour imaginer comment ce genre de choses peut fonctionner.

Mme la présidente. Je mets aux voix l’amendement n° 7.

(Lamendement nest pas adopté.)

Mme la présidente. L’amendement n° 15 rectifié, présenté par Mme Laborde, MM. Arnell et Artano, Mme M. Carrère, MM. Collin et Corbisez, Mmes Costes et N. Delattre, MM. Gabouty, Gold et Guillaume, Mme Jouve et MM. Menonville et Requier, est ainsi libellé :

Alinéa 4

Supprimer cet alinéa.

La parole est à Mme Françoise Laborde.

Mme Françoise Laborde. Comme je pensais que l’amendement précédent serait adopté, j’ai déjà expliqué ma position dans mon explication de vote de tout à l’heure.

En conséquence, cet amendement est défendu, madame la présidente.

Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?

Mme Françoise Gatel, rapporteur. Je tiens à saluer la cohérence de Mme Laborde sur ce texte. Ma chère collègue, c’est à mon grand regret que je vais émettre un avis défavorable sur cet amendement.

En effet, vous demandez la suppression de l’une des missions du conseil consultatif des cultes, à savoir sa contribution – ce mot est important – à la réflexion sur la formation des ministres du culte. Or il vous sera impossible, au vu de votre grande rigueur et de votre capacité de réflexion, de prétendre que cela représente une ingérence des pouvoirs publics dans l’organisation des cultes.

C’est pourquoi la commission demande le retrait de cet amendement, faute de quoi elle émettrait un avis défavorable.

Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?

Mme Jacqueline Gourault, ministre. Chère madame Laborde, le Gouvernement vous saurait gré, lui aussi, de bien vouloir retirer votre amendement.

Mme la présidente. La parole est à Mme Françoise Laborde, pour explication de vote.

Mme Françoise Laborde. Dites-vous bien, mes chers collègues, que les cultes eux-mêmes éprouvent des difficultés à établir en leur sein une formation commune pour leurs ministres. Tel est le cas pour bien des religions : on ne traitera jamais qu’avec une partie des musulmans ou une partie des protestants, puisqu’il existe parmi ces derniers de nombreux groupes évangélistes.

Il faudrait donc, selon moi, que les cultes fassent déjà un peu le ménage chez eux ou devant chez eux – cette expression n’est nullement péjorative dans ma bouche ! Après, nous verrons.

Cela dit, comme personne n’est prêt, je retire mon amendement, madame la présidente.

Mme la présidente. L’amendement n° 15 rectifié est retiré.

L’amendement n° 18, présenté par Mme Gatel, au nom de la commission, est ainsi libellé :

Alinéa 5

Supprimer cet alinéa.

La parole est à Mme le rapporteur.

Mme Françoise Gatel, rapporteur. Cet amendement vise à supprimer l’alinéa 5 du présent article : nous avons pris en compte les observations, les remarques et les suggestions des membres de la commission des lois.

Je le rappelle, nous débattons toujours du conseil consultatif des cultes, qui permettra justement d’échanger sur ce sujet et d’écouter les représentants des divers cultes. Les missions de ce conseil sont définies par la loi.

Cet amendement vise à supprimer l’une de ces missions, à savoir celle qui consisterait à favoriser le dialogue interreligieux. Nous avons en effet pris en compte l’interprétation qui a été faite de l’idée que nous avions évoquée. Il ne s’agit pas de forcer des religions à dialoguer entre elles ou à coacher l’une d’entre elles. Je rappelle que ce conseil doit être un espace de dialogue officiellement institué entre l’État et les cultes.

Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?

Mme Jacqueline Gourault, ministre. Je rappelle avant tout que le Gouvernement est favorable à la suppression complète de l’article 3 bis. En effet, nous considérons que la création d’un conseil consultatif des cultes porterait atteinte au principe de non-reconnaissance des cultes et au principe de neutralité de l’État, ainsi qu’à la liberté d’exercice des cultes et à leur libre administration, comme je l’ai dit tout à l’heure.

Néanmoins, si le Sénat décide de conserver cet article dans le texte, comme cela semble se profiler, le Gouvernement s’en remettra à sa sagesse quant à l’alinéa 5, qui prévoit que ce conseil a pour mission de favoriser le dialogue interreligieux. Une telle mission ne peut être conforme au principe de neutralité de l’État, qui interdit à celui-ci, et donc à un conseil placé auprès de lui, de s’immiscer dans la doctrine des cultes, dans leur organisation et dans les relations qui existent entre eux.

Le Gouvernement s’en remet donc à la sagesse de la Haute Assemblée.

Mme la présidente. Je mets aux voix l’amendement n° 18.

(Lamendement est adopté.)

Mme la présidente. Je mets aux voix l’article 3 bis, modifié.

(Larticle 3 bis est adopté.)

Article 3 bis (nouveau)
Dossier législatif : proposition de loi relative aux conditions d'exercice de la liberté de culte dans un cadre républicain
Article 4 bis (nouveau)

Article 4

(Supprimé)

Mme la présidente. Je suis saisie de deux amendements faisant l’objet d’une discussion commune.

L’amendement n° 9 rectifié, présenté par M. Reichardt, Mme Lopez, MM. del Picchia, Danesi et Kern, Mmes Goy-Chavent et Lassarade, MM. Laménie, Mandelli, Cardoux, Joyandet et Delahaye, Mme Imbert, MM. Revet, Dufaut, Lefèvre et Mayet, Mme Bories, M. Rapin, Mme Berthet, M. Daubresse, Mmes Deroche et Lherbier, M. B. Fournier, Mmes Garriaud-Maylam et Micouleau, M. Savin et Mme Keller, est ainsi libellé :

Rétablir cet article dans la rédaction suivante :

Après l’article 25 de la loi du 9 décembre 1905 concernant la séparation des Églises et de l’État, il est inséré un article 25-1 ainsi rédigé :

« Art. 25-1. – Les personnes exerçant en public les fonctions de cadres religieux et de ministres du culte doivent justifier d’une qualification acquise au cours d’une formation spécifique leur assurant une connaissance suffisante des principes civils et civiques, des rites de cette confession et de la langue française.

« La qualification et la formation exigées sont définies par la confession concernée, après consultation du comité consultatif des cultes.

« Le présent article est applicable aux associations ou groupements de personnes assurant l’exercice public d’un culte en application de l’article 4 de la loi du 2 janvier 1907 concernant l’exercice public des cultes. »

La parole est à M. André Reichardt.

M. André Reichardt. Cet amendement vise à rendre obligatoire, pour les cadres religieux et les ministres du culte, la justification d’une formation les qualifiant à l’exercice de ce culte. Cette qualification et la formation exigées seraient définies par la confession concernée, après consultation du conseil consultatif des cultes, introduit dans la proposition de loi à l’article 3 bis.

En effet, il ressort du rapport d’information sénatorial sur l’islam, qui a été déposé en juillet 2016, que les seuls imams exerçant en France, dont on est sûr qu’ils ont bénéficié d’une formation, sont les imams étrangers, financés par des pays étrangers sous la forme de détachements de fonctionnaires dans le cadre d’accords bilatéraux. Au passage, bravo pour la laïcité, dont on nous parle depuis le début de l’après-midi !

Au premier trimestre de l’année 2016, on comptait 301 imams financés par des États étrangers, dont 151 provenant de Turquie, 120 d’Algérie et 30 du Maroc. Rappelons que, par ailleurs, il y aurait au minimum entre 2 500 et 3 000 mosquées dans notre pays.

Tous les autres imams sont choisis par la communauté qui gère le lieu de culte, selon des critères propres à chaque communauté. Comme le soulignait à l’époque la sociologue Solenne Jouanneau, auteur d’une étude sur le sujet, auprès des rapporteurs de la mission commune d’information sénatoriale, il faut généralement faire preuve d’humilité, autant que de savoir coranique, et s’adapter aux attentes de la communauté, par exemple, s’agissant de la façon de psalmodier, pour être désigné imam et pour le rester. C’est tout un programme !

Pour moi, cette situation n’est pas acceptable et, même si l’islam sunnite, majoritaire en France, est une religion du sacerdoce universel, où chaque fidèle est un ministre du culte en puissance, ce caractère universel du sacerdoce ne doit pas remettre en question l’importance qu’il y a à disposer d’un encadrement formé, qui maîtrise à la fois la théologie musulmane et le contexte français, et qui soit en mesure de développer un contre-discours face aux discours de surenchère radicale.

Précisément parce que tout fidèle peut devenir imam, il faut que la formation des imams puisse faire émerger des cadres qui maîtrisent le texte et s’investissent dans son interprétation, adaptée au contexte français. C’est d’autant plus important que, comme le rappelle son étymologie arabe, que j’ai fini par apprendre, l’imam, c’est le guide, le chef, celui qui dirige la communauté.

M. Pierre Ouzoulias. Comme le pasteur ! (Mme Esther Benbassa approuve.)

M. André Reichardt. Il est essentiel qu’il soit formé, pour dispenser ensuite la bonne formation !

Mme la présidente. L’amendement n° 6, présenté par Mme N. Goulet, est ainsi libellé :

Rétablir cet article dans la rédaction suivante :

Après l’article 25 de la loi du 9 décembre 1905 concernant la séparation des Églises et de l’État, il est inséré un article 25-… ainsi rédigé :

« Art. 25-…. – Les associations cultuelles ne peuvent faire appel pour l’exercice public du culte qu’à des ministres du culte justifiant d’une qualification acquise au cours d’une formation spécifique leur assurant une connaissance suffisante des principes civils et civiques et des connaissances de la langue française. »

La parole est à Mme Nathalie Goulet.

Mme Nathalie Goulet. Mon amendement est une petite variante du précédent. Je l’ai déposé dans l’hypothèse où ce dernier serait rejeté, notamment par un scrutin public.

Il tend à substituer à l’obligation faite aux cadres religieux et ministres du culte de suivre une formation spécifique leur assurant à la fois une connaissance suffisante des principes civils et civiques et une connaissance des rites de cette confession et de la langue française, prévue dans le dispositif de l’amendement de mon collègue André Reichardt, la seule obligation de suivre une formation leur assurant une connaissance suffisante des principes civils et civiques.

En d’autres termes, j’ai retiré l’obligation imposée à ces ministres du culte de suivre une formation religieuse, car c’est cette dimension qui pose problème.

Si le Sénat rejetait cette disposition et l’aménagement que je propose, il faudrait m’expliquer la raison pour laquelle on demande une formation civile et civique à des imams détachés, y compris des imams formés à l’étranger.

Il faut reconnaître que des diplômes universitaires ont été créés et que ces formations commencent à être mises en place. Il est également vrai que les imams ne sont pas les seuls concernés. J’ai d’ailleurs fait très attention lors de mon intervention à la tribune à ne pas parler que de l’islam, contrairement à certains de mes collègues aujourd’hui.

Je ne vois pas quelle difficulté il y aurait à imposer une formation civique et civile aux ministres du culte auxquels les associations cultuelles font appel. Il s’agit non pas d’imposer une formation religieuse – je comprends très bien les réticences de Mme la rapporteur sur le sujet –, mais de prévoir une formation civique et civile pour des personnes qui vont guider un culte et qui, à ce titre, doivent disposer d’une parfaite connaissance de notre bloc de légalité.

Franchement, je ne vois pas en quoi cet amendement pourrait être contesté.

Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?

Mme Françoise Gatel, rapporteur. L’amendement de M. André Reichardt a pour objet de rétablir l’obligation de justifier d’une formation qualifiante afin d’assurer l’exercice public d’un culte.

Dans la discussion générale, j’ai expliqué la grande prudence qui devait être la nôtre et la difficulté à laquelle on pourrait se heurter si l’on devait demander à tous les ministres du culte de justifier d’une qualification acquise au cours d’une formation spécifique.

Cette qualification et cette formation seraient définies par la confession concernée, après consultation du conseil consultatif des cultes, et non plus par une instance insuffisamment représentative, définie par décret en Conseil d’État.

Mon cher collègue, je vois bien que vous avez effectivement tenu compte des réserves que nous avions émises. Il faut reconnaître que votre proposition est un peu meilleure. En même temps, je ne vois pas comment je pourrai revenir sur l’avis défavorable que j’entends émettre sur votre amendement, car le principe de laïcité est, à mon sens, indissociable du principe de libre exercice du culte.

Si l’État dispose de la faculté d’exercer ses pouvoirs de police administrative dans le but de prévenir les troubles à l’ordre public, ces derniers doivent être suffisamment graves pour justifier d’une telle immixtion dans l’exercice des cultes. De plus, on ne peut pas prendre a priori des dispositions pour prévenir ces troubles à l’ordre public, alors que l’on ne sait pas si ceux-ci vont se produire et que l’on dispose d’outils pour y mettre fin quand ils surviennent.

Comme je l’ai déjà indiqué, ces conditions sont loin d’être réunies : il faudrait que l’obligation de formation corresponde juridiquement à une exigence d’ordre public.

Très sincèrement, mon cher collègue, les obligations que vous proposez sont tout à fait disproportionnées. Je considère que votre amendement, en l’état, n’est pas conforme à la Constitution, et je vous demande de bien vouloir le retirer, faute de quoi j’émettrais un avis défavorable.

Pour les mêmes raisons, la commission émet un avis défavorable sur l’amendement n° 6 de Mme Goulet.

Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?

Mme Jacqueline Gourault, ministre. Je ne répéterai pas ce que Mme la rapporteur a excellemment exposé : s’agissant de ces deux amendements, le Gouvernement est du même avis que la commission.

Mme la présidente. La parole est à Mme Esther Benbassa, pour explication de vote.

Mme Esther Benbassa. Un enseignement civil et civique est nécessaire, certes, mais il faut surtout un enseignement de la théologie distancié et contextualisé. La théologie requiert un enseignement des textes scripturaires. Ce n’est pas seulement en apprenant La Marseillaise que ces ministres du culte deviendront de vrais enseignants et les vrais cadres d’une mosquée !

Ce n’est certes pas à nous d’élaborer le programme de l’enseignement théologique, mais il ne faut pas oublier que les prêches de ces imams pèchent, si je puis m’exprimer ainsi, par un manque de contextualisation des textes enseignés. Ces imams proposent souvent une lecture linéaire des textes, où tout est pris au mot.

Mme la présidente. La parole est à Mme Françoise Laborde, pour explication de vote.

Mme Françoise Laborde. Je suis très satisfaite des avis que viennent d’émettre Mme la rapporteur et Mme la ministre.

Les diplômes universitaires dont j’ai parlé lors de discussion générale sont, comme je l’ai indiqué, assez variés. Il en existe plusieurs en France, qui s’adressent d’ailleurs à des publics très diversifiés.

Je puis vous parler de celui de la Sorbonne ou encore de celui de Toulouse, par exemple, car des personnes qui me sont proches ont fréquenté ces formations. J’ai ainsi pu comparer les contenus et me rendre compte que la formation était trop diversifiée pour délivrer une certification.

J’ai également écrit au ministre de l’intérieur sur le contenu des enseignements du diplôme universitaire « Religions, laïcité et inclusion sociale » de l’université de Lorraine à Metz, qui porterait atteinte au principe de laïcité. Le ministre devrait se rapprocher du préfet concerné.

Je pense que ces diplômes universitaires ne sont pas encore suffisamment cadrés pour que l’on puisse les présenter comme des diplômes certifiant réellement l’acquisition de toutes les connaissances que l’on pourrait exiger à propos des lois de la République.

Mme la présidente. La parole est à M. Ladislas Poniatowski, pour explication de vote.

M. Ladislas Poniatowski. Je voterai contre ces deux amendements, même s’ils ont le mérite de soulever certains problèmes.

Madame la ministre, je souhaite vous interroger. Comme André Reichardt, je suis un membre assidu de la commission d’enquête sénatoriale sur l’évolution de la menace terroriste. Avant-hier, nous avons auditionné le ministre de l’intérieur. Et j’ai bien peur que nous soyons très naïfs sur ces questions de terrorisme.

Des amendements comme ceux-là ont le mérite de soulever indirectement un ou deux des problèmes graves sur lesquels nous souhaitons attirer votre attention.

Madame la ministre, tous les salafistes ne deviennent pas des terroristes, mais tous les terroristes qui ont frappé le territoire français ces deux dernières années, à une exception près, sont des salafistes ! Je considère que nous ne sommes pas très sérieux dans la manière de traiter ce problème.

Vous avez entamé votre propos en nous informant que quatre mosquées avaient été fermées. Il s’agit selon moi d’une réponse quelque peu légère, car le problème n’est pas de former et de surveiller la formation des imams, mais de contrôler ce qui se dit dans les mosquées. Là-dessus, nous ne sommes pas bons ! Certes, il n’est pas facile de contrôler ce que les imams disent dans nos mosquées, que ce soit les imams français ou les imams étrangers qui restent un certain temps en France.

Il est difficile d’entrer dans ces lieux de culte et de les surveiller : ce ne sont pas des lieux où l’on peut facilement envoyer des policiers ou des gendarmes, qui doivent de surcroît parler la langue arabe pour comprendre ce qui se dit, ce qui est prôné et ce que l’on met dans la tête des jeunes fréquentant ces mosquées.

Je profite du débat sur ces deux amendements pour vous interroger, madame la ministre, sur un autre sujet que nous avons abordé au cours des travaux de la commission d’enquête : le fait que la venue de trois cents imams pendant la période du ramadan se justifierait, d’après l’ensemble de la communauté musulmane, par la prière du soir.

Autrement dit, on nous explique que les pauvres imams sont trop fatigués pour diriger les prières toute la journée – il est vrai que c’est tout à fait épuisant – et qu’ils ne sont pas assez nombreux pour le faire de jour et de nuit. Or cette prière du soir n’est pas obligatoire pendant la période du ramadan !