M. le président. Veuillez conclure, mon cher collègue.

M. Jean-Yves Leconte. Cette discussion porte sur les valeurs. N’ayons pas peur. Ne doutons pas de leur puissance de conviction, si nous savons les faire vivre, si nous savons convaincre qu’elles sont toujours actuelles : tout dépend de notre comportement.

M. Roger Karoutchi. C’est fini !

M. le président. Monsieur Leconte, je vous demande de conclure.

M. Jean-Yves Leconte. J’espère que, avec ce débat, nous pourrons faire vivre et la liberté, et l’égalité, et la fraternité (Exclamations sur diverses travées.), bref, que nous pourrons faire vivre notre devise républicaine ! (Applaudissements sur des travées du groupe socialiste et républicain.)

M. le président. La parole est à Mme Colette Mélot. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Indépendants – République et Territoires.)

Mme Colette Mélot. Monsieur le président, madame la ministre, messieurs les rapporteurs, mes chers collègues, la crise des migrants est un drame européen.

Le présent texte, à lui seul, ne permettra pas de résoudre une question qui est véritablement existentielle pour l’Union européenne. On pourra l’utiliser à des fins politiques, l’accuser d’être laxiste, ou encore d’être trop dur. Mais il faut garder à l’esprit que l’essentiel se joue ailleurs ; l’essentiel se joue à Bruxelles.

Hélas, la politique commune de l’asile et de l’immigration a jusque-là été un échec patent. Construite pour des flux faibles, elle n’a pas résisté à un afflux massif de réfugiés politiques et économiques. Le système Dublin III, adopté dans l’urgence, s’est révélé impuissant à enrayer le phénomène.

J’insiste, l’Union européenne est aujourd’hui placée face à un dilemme existentiel : se réformer efficacement ou voir la solidarité des États membres se déliter jour après jour. Le Conseil européen des 28 et 29 juin devra prendre des positions claires.

Cette crise, effectivement, est aussi une crise de solidarité des États membres. Les populistes de tous bords surfent sur la vague migratoire pour remettre en question le projet européen. L’exemple dramatique de l’Aquarius illustre ce cynisme destructeur, qui met en péril la cohésion des Européens.

J’ajoute, mes chers collègues, que l’échelle européenne est également la plus pertinente pour définir une politique commune d’attraction des talents, à la mesure de celle qui se pratique, par exemple aux États-Unis, avec la green card, ou au Canada. L’extension du passeport talent, prévue dans le projet de loi, est une bonne chose.

Nous devons nous donner les moyens d’attirer les scientifiques, les artistes, les chefs d’entreprise les plus talentueux du monde pour faire rayonner notre pays et notre continent. L’Union européenne ne deviendra pas « l’économie de la connaissance la plus compétitive et la plus dynamique du monde », pour reprendre les termes de la stratégie de Lisbonne, sans s’ouvrir aux compétences du monde entier.

Madame la ministre, mes chers collègues, que ceux qui réclament moins d’Europe et, en même temps, le règlement de la crise des migrants regardent la vérité en face : la solution au problème des migrations et de l’asile sera politique, elle sera européenne, elle sera collaborative ou elle ne sera pas ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Indépendants – République et Territoires et sur des travées du groupe La République En Marche.)

M. Roger Karoutchi. Très bien !

M. le président. Mes chers collègues, que des groupes ayant un temps de parole de dix minutes le dépassent de trente secondes, soit ! Mais quand un groupe divise son temps de parole en trois interventions de deux minutes et le dépasse, à chaque fois, de trente secondes, il l’accroît très nettement. J’en appelle à votre vigilance.

La parole est à M. Guillaume Arnell. (Applaudissements sur les travées du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen.)

M. Guillaume Arnell. Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le président de la commission des lois, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, l’actualité fait une fois de plus écho à nos débats. L’intervention de l’Aquarius a permis d’éviter un nouveau drame en Méditerranée : 629 vies ont été sauvées !

Bien qu’il ne concerne qu’une partie très minoritaire de la population en France, le droit des étrangers a été très régulièrement modifié depuis les années quatre-vingt, avec pas moins de vingt-neuf textes sur le sujet. Comment expliquer cette surreprésentation législative ?

La première raison que l’on peut avancer est l’inadaptation de la méthode retenue.

L’arrivée d’étrangers sur le territoire national continue d’être abordée comme un phénomène conjoncturel, une crise passagère, alors que, compte tenu de l’évolution structurelle des flux migratoires et de la permanence des conflits suscitant l’exil – Irak, Syrie, Afghanistan, pour ne citer que ces pays –, il est indispensable d’adopter une démarche plus prospective.

Il faut totalement repenser notre système d’accueil et d’intégration, de l’hébergement d’urgence à l’exécution des décisions administratives.

Partout en Europe, le populisme gagne du terrain en se nourrissant de la question migratoire. Une approche globale est donc absolument nécessaire, si l’on veut que les Français ne perçoivent pas notre politique d’accueil et d’intégration comme une charge déraisonnable et contraire à leurs intérêts.

Il faut avoir présent à l’esprit que cette vision négative est liée au sentiment de déclassement éprouvé par certains de nos concitoyens et au renforcement des inégalités.

À ce titre, nous sommes nombreux à penser que ce débat se serait déroulé dans un contexte plus satisfaisant s’il s’était inscrit dans la continuité de mesures destinées à restaurer la justice sociale dans l’ensemble des territoires de la République. En effet, chaque réforme du droit des étrangers et des demandeurs d’asile est essentiellement politique et ne peut être présentée comme une simple réponse à une crise ou une mise en conformité avec le droit européen ou international.

Malgré les textes à valeur supralégislative, l’accueil de réfugiés, la reconnaissance d’un droit au séjour ou l’attribution de la nationalité française restent des décisions unilatérales. Chaque modification de ces droits est un miroir tendu vers notre société, une invitation à redéfinir collectivement ce que nous sommes.

Dans cet effort de définition, notre histoire devrait nous guider autant que les défis contemporains qui surgissent.

Dans un passé pas si lointain, réfugiés et immigrés étaient perçus comme des vecteurs de rayonnement de la France dans le monde.

Cela me conduit à la seconde cause de la multiplication des lois relatives aux droits des étrangers : l’interdépendance de nos sociétés contemporaines. Lorsque l’on se place dans une logique de régulation des flux migratoires, et non plus seulement d’accueil ou d’intégration, la coopération avec l’ensemble des États devient une nécessité absolue.

Malgré notre impuissance à imposer à nos partenaires la généralisation de pièces d’identité, ce qui faciliterait considérablement la gestion de la politique migratoire, il faut se garder de vouloir apporter des solutions législatives affectant les libertés fondamentales sans s’assurer au préalable de leur efficacité.

Je pense tout particulièrement au problème des laissez-passer consulaires. L’étude d’impact produite par le Gouvernement est muette sur ce point-là. La solution législative proposée par le rapporteur, consistant à conditionner la délivrance de visas individuels à la propension des États à délivrer des laissez-passer, bien qu’intéressante, nous paraît trop contraignante pour nos services diplomatiques.

L’interdépendance de nos sociétés nous impose également de dresser un état des lieux approfondi de notre politique de codéveloppement et de nous départir d’idées préconçues. Les trajectoires de certains États, comme le Kenya, où l’immigration a été considérablement réduite, doivent être examinées de plus près, afin d’inspirer des solutions durables.

Madame la ministre, mes chers collègues, après ces constats, vous l’aurez compris, le texte amendé et singulièrement durci par la commission des lois n’obtiendra pas l’adhésion du groupe du RDSE.

Même en reconnaissant les différentes pressions migratoires existant d’un territoire à un autre, le projet de loi n’y apporte pas de réponse.

En particulier, la situation des outre-mer est largement sous-estimée. Je pense notamment à Mayotte et à la Guyane, mais également à mon territoire, Saint-Martin, qui doivent faire face à un afflux important de migrants au regard de leur taille ou de leur population, fragilisant fortement les équilibres locaux.

Un seul article est consacré au schéma national d’orientation et ne permettra pas de pallier les difficultés chroniques dans les services publics régaliens ou de garantir des solutions d’hébergement d’urgence effectives.

De même, l’absence de dispositions contraignantes relatives à la question des futurs réfugiés climatiques, tout comme le nombre limité des mesures relatives à l’intégration sont symptomatiques de la faiblesse de la démarche prospective que j’évoquais précédemment.

Ce texte ne présente pas davantage de solutions pour lutter contre la traite d’êtres humains à laquelle se livrent les passeurs.

Nous proposerons donc une série d’amendements, visant plusieurs objectifs.

L’amélioration de la protection des mineurs, même accompagnés. Une réflexion pourrait s’ouvrir sur les moyens d’offrir un accueil plus adapté aux mineurs isolés étrangers et sur les possibilités de recourir, pour eux, à l’adoption.

La facilitation du codéveloppement. Le but serait de faire émerger des alternatives politiques partout où les États vacillent.

D’autres amendements, inspirés de nos visites et de nos auditions, tendront à garantir une plus grande qualité d’interprétariat et à mieux répartir les différents publics en centre de rétention administrative.

Enfin, nous proposerons de confier un rôle plus important aux élus locaux dans la procédure de régularisation administrative, eux qui sont souvent les premiers témoins de la volonté d’intégration de chacun. À titre d’illustration, je suggère la création d’un office des migrations à Saint-Martin, pour mieux coordonner la délivrance des titres de séjour et de travail.

Mes chers collègues, je reste convaincu que notre pays, sixième puissance économique mondiale, dispose des ressources intellectuelles et matérielles pour mieux répondre aux défis posés par ce siècle, pour entraîner avec lui ses partenaires européens et influer sur le reste du monde.

Dans sa forme actuelle, le groupe du RDSE s’opposera unanimement à l’adoption de ce projet de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen et sur des travées du groupe socialiste et républicain.)

M. le président. La parole est à M. Alain Richard.

M. Alain Richard. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, le débat sur ce projet de loi sera un échange de visions politiques. Pour notre part, nous soutiendrons celle qui est portée dans ce texte, avec un double objectif : rester fermement engagés pour l’accueil des réfugiés politiques et renforcer notre capacité à maîtriser l’immigration économique.

Nous entendons – nous l’avons entendu ici – l’expression d’un secteur de l’opinion qui réfute cette distinction, préférant employer le terme nouveau d’« exilés », précisément pour confondre ensemble réfugiés politiques et immigrés économiques.

Cette distinction est pourtant nécessaire et équitable. Faute de la formuler avec clarté, on facilite l’excès contraire, le choix des populistes xénophobes qui, eux, veulent refuser tous les réfugiés et tous les immigrés. C’est l’opinion exprimée aujourd’hui, souvent avec brutalité, par plusieurs gouvernements de l’Union européenne.

J’en viens justement au sujet de l’Europe, car l’une des esquives – pardonnez-moi cette expression – qui risquent d’être employées dans ce débat consistera à tout renvoyer vers l’Union européenne, pour s’abstenir de légiférer.

Ayons pourtant claire à l’esprit une réalité déplaisante. Les traités fondant la construction européenne, telle qu’elle est, traités conclus entre vingt-huit démocraties, ne donnent pas compétence à l’Union européenne pour statuer sur le droit pour les étrangers d’entrer sur le sol européen. C’est une matière de souveraineté nationale et nous ne pourrons progresser vers une action harmonisée que par de nouveaux accords, qui exigeront le consentement de vingt-sept gouvernements et de vingt-sept parlements exprimant aujourd’hui des approches très différentes.

L’agence européenne de l’asile et du séjour proposée par le président Emmanuel Macron exigera un effort, que nous devons soutenir sans nous bercer d’illusions. Pour conclure des accords nouveaux, on en passera nécessairement par des compromis difficiles et sans doute partiels, unissant une partie, seulement, de l’Union européenne.

Cela ne peut par conséquent pas nous dispenser, aujourd’hui, de débattre et de décider pour notre propre droit.

Donc oui, il faut adopter les nouvelles dispositions proposées, qui statuent sur la situation réelle !

Il faut prévoir des outils améliorés, pour accélérer l’attribution du titre de réfugié à toute personne apportant la justification des persécutions qu’elle encourt du fait d’une crise ou d’un conflit dans sa région d’origine. Cette reconnaissance, et le projet de loi le permet, doit se faire en donnant à chacun toutes les garanties du droit pour plaider sa cause dans un processus équitable.

À ce titre d’ailleurs, je souhaite rendre hommage – c’est une position largement partagée, je crois – aux personnels et membres de l’Office français de protection des réfugiés et apatrides et aux magistrats de la Cour nationale du droit d’asile. Ils s’acquittent, de manière remarquable, d’un travail particulièrement contraignant.

Ce projet de loi doit aussi donner à l’autorité publique les moyens d’éloigner du territoire les personnes jugées comme n’étant pas dans une situation de réfugié politique – le sujet est alors le même que celui de l’immigration irrégulière. Laisser cette question irrésolue, ce qui me semble être la tentation d’une partie des adversaires du texte, équivaut – j’y insiste – à dénaturer le droit d’asile, qui appartient à notre tradition protectrice issue des Lumières et de la Révolution française.

L’ouverture de notre sol à l’immigration se manifeste essentiellement par le droit à la réunion des membres de la famille, dès lors qu’une personne, au moins, est déjà sur le sol français. Ce droit concerne la très nette majorité des entrées régulières et c’est là, essentiellement, que se déploie l’effort d’intégration.

Accepter une ouverture non maîtrisée à une immigration économique, dans notre contexte démographique et social, c’est en réalité se résigner à des situations de marginalité sociale et d’économie grise, qui porteraient – et portent déjà – gravement atteinte à notre cohésion sociale. Je ne parle même pas du rôle des filières mafieuses et meurtrières qui s’enrichissent dans ces trafics…

Cette action dans le sens de la maîtrise suppose un dialogue organisé avec les pays d’origine des flux migratoires, appartenant essentiellement, pour la France, à l’Afrique francophone. Le Président de la République et le Gouvernement en font, à juste titre, un axe majeur de notre politique d’aide au développement. Mais permettez-moi cette réflexion, monsieur le rapporteur : des actions géopolitiques de cette nature ne peuvent être menées au travers de la loi ; elles dépendent de l’action du pays à l’international.

En outre – c’est un perfectionnement souhaitable du projet de loi, madame la ministre, et nous plaiderons en sa faveur –, il faut traiter les situations les plus critiques de certains de nos départements d’outre-mer. Nous appuierons donc fortement l’amendement de notre collègue Thani Mohamed Soilihi relatif au droit de la nationalité spécifique à Mayotte.

Notre débat sera par conséquent un test de volonté politique face au réel, même si nous avons à approfondir les modalités au cours du débat des articles.

Adopter un texte d’équilibre et de clarification de nos règles, en soutenant une politique européenne et internationale de rééquilibrage et de maîtrise des mouvements migratoires, c’est une prise de responsabilité. Mon groupe l’assume avec détermination ! (Applaudissements sur les travées du groupe La République En Marche.)

M. le président. La parole est à M. Roger Karoutchi. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Roger Karoutchi. Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le rapporteur, qui représentons-nous ? Qui sommes-nous ? Nous sommes le Sénat de la République – pour le moment en tout cas, madame la ministre. (Sourires.) Nous sommes, au travers des collectivités territoriales, les représentants des Français.

J’aimerais pouvoir dire la même chose que nos philosophes positivistes. Oui, ils l’avaient dit, le XXe siècle serait le siècle de la prospérité pour la Terre entière ; il a été le siècle des massacres et des guerres !

Le XXIe siècle, mes chers collègues, ne sera pas forcément non plus celui de la prospérité générale… Effectivement, c’est le vingt-neuvième texte sur l’immigration et le droit d’asile. Pourtant nous ne pourrons pas faire en sorte que tout le monde vive dans un pays prospère et en paix !

Je le dis, il n’y a pas dans cet hémicycle, d’un côté, les généreux et, de l’autre, les égoïstes ! En réalité, une question se pose : que peut-on faire ? Qu’est-on capable de faire ?

Pendant des années, à la commission des finances, j’ai été le rapporteur spécial du budget sur la mission relative à l’immigration et au droit d’asile. Pendant des années, en vain, j’ai alerté gouvernements de gauche et de droite confondus – ce sera peut-être le cas, bientôt, avec le gouvernement En Marche Ce n’est pas possible ! Comme dirait l’autre, il faut du pognon ! (Nouveaux sourires.) Or, il n’y en a pas, pas plus pour l’intégration ou le raccompagnement aux frontières que pour le reste !

Nous pouvons élaborer des textes merveilleux, des textes incantatoires. Sans budget, le résultat est néant !

Or la réalité – je m’adresse à tout le monde –, c’est que nous ne sommes plus la France des trente glorieuses. La France sans déficit, sans dette. La France du plein emploi, qui construisait des logements et incitait les gens à venir : « Venez, nous vous offrirons un emploi, nous vous trouverons un logement ».

Depuis trente ans, c’est le chômage de masse ! Depuis trente ans, c’est le déficit ! Depuis trente ans, c’est la dette ! Mais nous continuons à tenir les mêmes discours et à affirmer que nous sommes en situation d’accueillir. Ce n’est pas vrai !

Que l’on ne vienne pas me dire que l’on assure cet accueil aujourd’hui ! Dans toute l’Île-de-France et dans nombre de nos grandes villes, des campements de migrants naissent ; on nous explique qu’on va mettre ces migrants en sécurité, ce qui consiste à aller les chercher pour les installer provisoirement dans un gymnase ; trois mois après, il faut évacuer le gymnase et on les réinstalle ailleurs, dans un autre gymnase.

On a beau avoir construit des places d’accueil – et je reconnais que le gouvernement de François Hollande en a construit pas mal –, c’est encore loin d’être suffisant. Quand on passe de 50 000 à 100 000 demandeurs d’asile en cinq ans, on ne peut pas suivre ! Comment voulez-vous être en situation d’absorber un tel flux migratoire en provenance de l’Est et de la Méditerranée, en l’absence d’argent et de moyens, alors que sévit un chômage de masse ?

Dans la France fracturée d’aujourd’hui, il faut donc prendre des mesures, sans pour autant envisager une fermeture complète.

Car le mouvement naturel de générosité, c’est d’abord le droit d’asile, un droit d’asile qui ne date pas de la Révolution, madame la ministre, mais qui existait déjà du temps de la monarchie. Les règles régissant le royaume de France le reconnaissaient et, aujourd’hui, ce droit d’asile doit être préservé.

Pour autant, on le sait, que ce soit par l’OFPRA ou par la CNDA, sur les 100 000 demandeurs d’asile, 25 000 à 30 000 personnes obtiennent une réponse positive, alors que, par le passé, le taux avoisinait 20 %. Cela signifie que le droit d’asile est systématiquement détourné pour servir une filière d’immigration économique, qui, par ce biais, essaie d’entrer sur le territoire.

On sait aussi – de nombreux orateurs l’ont dit – qu’il n’y a malheureusement pas de raccompagnements aux frontières. C’est bien de l’écrire dans les textes de loi, madame la ministre, mais c’est mieux de prévoir le budget qui va avec !

Quand l’argent, les moyens de transport, les effectifs policiers pour effectuer ces raccompagnements viennent à manquer, vous finissez par créer, au sein de la société française, un sentiment absolument insupportable : qu’ils soient en situation régulière ou en situation irrégulière, les gens sont là !

Peu importe qu’ils aient passé les étapes pour obtenir le droit d’asile, la régularisation ; peu importe qu’ils aient appris à parler le français ou participé à ces cours d’éducation civique qu’il faut renforcer, comme je ne cesse de le dire à l’OFII. Aucune intégration sur le territoire de la République ne pourra se faire si l’on ne veille pas à ce que les personnes présentes sur ce territoire parlent français, connaissent la société française et en respectent les règles !

Nous, parlementaires français, avons à définir ce qui est possible. Je ne prétends pas que ce soit glorieux ni merveilleux. Je dis simplement : au vu de ce que nous avons en notre possession et de ce qui est notre responsabilité à l’égard de l’ensemble des Français, pouvons-nous courir le risque de fracturer encore plus la société française, en accueillant massivement, sans avoir la capacité – matérielle, financière, ni même morale – d’intégrer ?

Que voulons-nous ? Voulons-nous être le suivant sur la liste, après la Hongrie, la Slovaquie, l’Italie, l’Autriche ?…

Oui, il faut un texte, madame la ministre. Mais pas le vôtre, auquel je préfère celui de la commission !

Certains de nos amendements seraient de la surenchère… Surenchère par rapport à quoi, mes chers collègues ?

J’entendais tout à l’heure l’oratrice du groupe CRCE, pour qui j’ai beaucoup d’estime, dire que c’était comparable aux années 1930. Non ! Ce ne le serait que si nous étions défaillants. Ce ne le serait que si nous ne pouvions pas dire : la France généreuse a d’abord conscience de ce qu’elle doit à son peuple ; elle ouvre, oui, mais en fonction de ses capacités.

Elle ouvre aux demandeurs d’asile, à ceux qui y ont droit parce qu’ils sont martyrisés dans leur pays ou victimes de la guerre. Pour ce qui concerne l’immigration économique, elle ouvre en fonction de sa capacité, et aujourd’hui, avec le chômage de masse, on sait que celle-ci est faible.

Mes chers collègues, nous sommes en premier lieu responsables devant le peuple français dans toute sa diversité – diversité des situations sociales, diversité des origines. Ne vous faites pas d’illusions ! Les fractures sociales seront d’autant plus nettes que nous ne serons pas maîtres de la situation et capables de nous imposer. Et je ne veux pas que la France soit l’Autriche ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et sur des travées du groupe Union Centriste.)

M. le président. La parole est à M. Alain Marc. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Indépendants – République et Territoires.)

M. Alain Marc. Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, je ne vais pas convoquer le positivisme et Auguste Comte, cher à Roger Karoutchi. Mon propos sera simple, comme l’était, d’ailleurs, le reste de son discours.

Au vu des difficultés majeures que notre pays rencontre en raison des flux migratoires, nous aurions aimé trouver, dans le projet de loi initial pour une immigration maîtrisée, un droit d’asile effectif et une intégration réussie, la traduction d’une stratégie, d’une vision, d’une politique s’appuyant sur le constat, lucide et éclairé, des défis à relever.

Car ce ne sont pas de simples mesures d’ajustement, de petits aménagements procéduraux ou encore de dispositions purement techniques dont la France a besoin !

La commission des lois du Sénat l’a bien compris, puisqu’elle a proposé un contre-projet réaliste, reposant sur un équilibre entre fermeté et humanité. Je tiens donc à saluer le travail de réécriture qui a été effectué.

Parmi les nombreuses dispositions adoptées, apportant des réponses cohérentes à des difficultés majeures, je veux en souligner quelques-unes, comme le remplacement de l’aide médicale de l’État par une aide médicale d’urgence, le renforcement des conditions du regroupement familial ou la réintroduction de la visite médicale des étudiants étrangers, afin de répondre à un grave enjeu de santé publique.

La commission des lois a également interdit le placement en rétention des mineurs isolés et encadré rigoureusement celui des mineurs accompagnant leur famille.

Elle a supprimé la circulaire Valls, précisant les conditions d’admission au séjour des étrangers en situation irrégulière, qui avait permis, sur la période 2012 à 2017, la régularisation de plus de 180 000 ressortissants étrangers séjournant illégalement en France. Or, si l’acquisition de la nationalité française vient couronner un processus d’intégration et d’assimilation, en aucun cas elle ne doit être un droit automatique !

Enfin, je me félicite que la commission ait souhaité l’accompagnement et le soutien des collectivités territoriales, avec la création d’un fichier national biométrique des personnes déclarées majeures à l’issue de leur évaluation par le département et l’insertion des places d’hébergement des demandeurs d’asile dans le décompte des logements sociaux de la loi du 13 décembre 2000 relative à la solidarité et au renouvellement urbains, dite loi SRU.

Madame la ministre, mes chers collègues, il est grand temps d’adopter des mesures à la hauteur de la gravité de la situation – nationale et internationale ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Indépendants – République et Territoires.)

M. le président. La parole est à M. Pierre Charon. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Pierre Charon. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, l’immigration est un sujet dont nous parlons beaucoup, mais sur lequel nous faisons encore assez peu.

Pourtant, l’actualité est là, sous nos yeux : des frontières allégrement franchies, des navires traversant la Méditerranée, des pays débordés et des opinions publiques inquiètes, à qui l’on répond parfois avec condescendance ou mépris !

Ne soyons pas idylliques à propos de ces flux migratoires. Je sais qu’il existe des situations de détresse, qui peuvent émouvoir, mais il y a aussi des passeurs et des réseaux qui exploitent ces trafics sans la moindre vergogne. Il n’y a pas que des gens qui veulent tenter leur chance ; il y a aussi des mafias et des trafiquants de drogue. L’immigration sauvage intéresse aussi les profiteurs, voire les terroristes.

Un pays qui maîtrise ses flux migratoires accueillera mieux ceux qui veulent s’intégrer. La France n’est pas une terre à prendre, mais un pays à aimer ! N’ayons pas honte d’être fermes et exigeants ! Notre pays a toujours accueilli les bonnes volontés, dont certaines ont même accepté de mourir pour lui. Ce sont curieusement ceux dont on entend le moins parler, parce qu’ils ont l’humilité de ne pas prendre nos bonnes consciences en otage.

Il y a aussi la cohorte de ceux qui abusent, parce que la France apparaît comme un pays qui offre une protection sociale et des allocations. Mon pays n’est pas un numéro de sécurité sociale ou un distributeur de prestations qu’il suffirait d’obtenir en cochant la case d’un formulaire !

Parce que le « en même temps » donne des solutions boiteuses et floues, pour ne pas dire communautaristes, en matière d’immigration, le projet de loi soumis au Sénat était inquiétant.

À cet égard, je voudrais saluer le travail du président de la commission des lois, Philippe Bas, et du rapporteur François-Noël Buffet, qui n’ont pas hésité à apporter les corrections nécessaires à un texte dans lequel figuraient parfois des dispositifs irresponsables.

Notre philosophie est celle de la responsabilité, non celle de l’angélisme. L’instauration d’un débat sur la politique migratoire, tout comme l’identification de nos besoins, est une mesure de bon sens. Les conditions du regroupement familial ont été restreintes via l’augmentation de la durée de séjour, portée à vingt-quatre mois au lieu des douze mois actuels.

En ce qui concerne les réfugiés, la réunification familiale ne saurait être étendue aux frères et aux sœurs. Ce problème des mineurs pénalise les départements, même Paris. Justement, les collectivités locales doivent être associées au traitement des questions relatives à l’asile : je me réjouis que la commission des lois ait prévu de les consulter pour l’élaboration des schémas régionaux d’accueil des demandeurs d’asile. Combien de fois des élus se sont-ils vu imposer des centres d’accueil par l’État, au grand dam des habitants et des riverains ?