compte rendu intégral

Présidence de M. David Assouline

vice-président

Secrétaires :

Mme Mireille Jouve,

M. Guy-Dominique Kennel.

M. le président. La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à quatorze heures trente.)

1

Procès-verbal

M. le président. Le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué.

Il n’y a pas d’observation ?…

Le procès-verbal est adopté sous les réserves d’usage.

2

Mises au point au sujet de votes

M. le président. La parole est à M. Jean-Claude Requier.

M. Jean-Claude Requier. Monsieur le président, lors du scrutin public n° 169 du 22 juin 2018 sur l’amendement n° 22, tendant à rétablir l’article 19 ter du projet de loi pour une immigration maîtrisée, un droit d’asile effectif et une intégration réussie, MM. Ronan Dantec et Joël Labbé ont été comptabilisés comme ayant voté contre, alors qu’ils souhaitaient voter pour.

M. le président. Acte est donné de cette mise au point, mon cher collègue. Elle sera publiée au Journal officiel et figurera dans l’analyse politique du scrutin.

La parole est à M. Yves Détraigne.

M. Yves Détraigne. Monsieur le président, lors du scrutin public n° 155 du 21 juin 2018 sur les amendements identiques nos 118, 249 rectifié bis, 421, 448 rectifié et 527 rectifié, déposés à l’article 10 AA du projet de loi pour une immigration maîtrisée, un droit d’asile effectif et une intégration réussie, Mme Nathalie Goulet a été comptabilisée comme ayant voté contre, alors qu’elle souhaitait voter pour.

M. le président. Acte est donné de cette mise au point, mon cher collègue. Elle sera publiée au Journal officiel et figurera dans l’analyse politique du scrutin.

3

Article additionnel après l'article 26 ter - Amendement n° 100 rectifié (interruption de la discussion)
Dossier législatif : projet de loi pour une immigration maîtrisée, un droit d'asile effectif et une intégration réussie
Article 26 quater (nouveau)

Immigration, droit d’asile et intégration

Suite de la discussion en procédure accélérée d’un projet de loi dans le texte de la commission

M. le président. L’ordre du jour appelle la suite de la discussion du projet de loi, adopté par l’Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, pour une immigration maîtrisée, un droit d’asile effectif et une intégration réussie (projet n° 464, texte de la commission n° 553, rapport n° 552, tomes I et II, avis n° 527).

Dans la discussion du texte de la commission, nous en sommes parvenus, au sein du chapitre II du titre III, à l’article 26 quater.

TITRE III (suite)

ACCOMPAGNER EFFICACEMENT L’INTÉGRATION ET L’ACCUEIL DES ÉTRANGERS EN SITUATION RÉGULIÈRE

Chapitre II (suite)

Mesures de simplification

Discussion générale
Dossier législatif : projet de loi pour une immigration maîtrisée, un droit d'asile effectif et une intégration réussie
Article additionnel après l'article 26 quater - Amendement n° 102 rectifié ter

Article 26 quater (nouveau)

Après l’article L. 611-6 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile, il est inséré un article L. 611-6-1 ainsi rédigé :

« Art. L. 611-6-1. – Afin de garantir la protection de l’enfance aux mineurs étrangers privés temporairement ou définitivement de leur famille et de lutter contre l’entrée et le séjour irrégulier en France, le ministère de l’intérieur est autorisé à mettre en œuvre un traitement automatisé de données à caractère personnel collectées au cours de l’accueil et de la prise en charge des étrangers reconnus majeurs par les services départementaux en charge de la protection de l’enfance.

« Ce traitement automatisé de données comprend :

« 1° Les résultats de l’évaluation sociale mentionnée à l’article L. 221-2-2 du code de l’action sociale et des familles ;

« 2° Les empreintes digitales ainsi qu’une photographie des personnes concernées, qui peuvent être relevées et mémorisées ;

« 3° Le cas échéant, les résultats des examens radiologiques réalisés sur décision judiciaire en application du deuxième alinéa de l’article 388 du code civil.

« Le consentement de l’étranger évalué au relevé de ses empreintes digitales et photographiques est recueilli, dans une langue comprise par l’intéressé, ou dans une langue dont il est raisonnable de penser qu’il la comprend.

« Le traitement de données ne comporte pas de dispositif de reconnaissance faciale à partir de la photographie.

« Dans le cas où le juge des enfants reconnaît la minorité de l’étranger en application de l’article 375 du code civil, il est procédé à l’effacement immédiat des données de la personne concernée du traitement automatisé de données.

« Un décret en Conseil d’État, pris après avis publié et motivé de la Commission nationale de l’informatique et des libertés, fixe les modalités d’application du présent article. Il précise notamment les catégories de personnes pouvant être destinataires des données et avoir accès au traitement mentionné au présent article, les modalités d’exercice des droits des personnes concernées et la durée de conservation desdites données. »

M. le président. Je suis saisi de deux amendements identiques.

L’amendement n° 27 rectifié est présenté par Mmes Assassi et Benbassa, M. Bocquet, Mmes Brulin, Cohen et Cukierman, MM. Gay et Gontard, Mme Gréaume, MM. P. Laurent et Ouzoulias, Mme Prunaud et MM. Savoldelli et Watrin.

L’amendement n° 499 rectifié est présenté par MM. Amiel, de Belenet, Patriat et Yung.

Ces deux amendements sont ainsi libellés :

Supprimer cet article.

La parole est à Mme Éliane Assassi, pour présenter l’amendement n° 27 rectifié.

Mme Éliane Assassi. L’article 26 quater, introduit en commission, vise à créer un nouveau fichier national biométrique tendant à recenser les « mineurs » déjà reconnus « majeurs », la logique déshumanisée de suspicion et de chasse aux migrants atteignant ainsi son apogée !

L’argument principal avancé en faveur de la création de ce fichier d’enfants, car c’est bien de cela qu’il s’agit, est le suivant : « Les coûts imposés aux départements lors de la phase d’évaluation de la minorité sont très supérieurs à la compensation accordée par l’État ». En résumé, l’argument est donc financier…

Il est vrai que, au titre de leurs compétences en matière de protection de l’enfance, les départements sont en première ligne : ils ont en effet réalisé plus de 54 000 évaluations sociales préalables à la confirmation de la minorité. Toutefois, la mise en œuvre du mécanisme d’évaluation de l’âge et de l’isolement de ces jeunes s’est transformée en une opération pour séparer le bon grain de l’ivraie, c’est-à-dire débusquer les jeunes majeurs – prétendument majoritaires – des véritables mineurs.

Or tous ces jeunes sont en situation de détresse !

Sans parler des méthodes contestables de reconnaissance, qui passe souvent par des tests osseux ou des entretiens réalisés dans de très mauvaises conditions, la création d’un tel fichier déshonore notre pays, en marquant au fer rouge des exilés qui, s’ils ne sont pas effectivement mineurs, sont dans la plupart des cas de très jeunes adultes vulnérables qui ont connu un parcours migratoire terrible et viennent chercher refuge dans notre pays.

Aucune de ces personnes vulnérables, mineure ou majeure, ne mérite d’être ainsi fichée. C’est pourquoi nous sommes absolument opposés à la création d’un nouveau fichier, a fortiori pour des enfants.

Au regard de la nature des données visées, des risques de détournement de ces données et de l’usage illicite qui pourrait en être fait, nous pensons qu’un tel outil porte nécessairement une atteinte disproportionnée au droit au respect de la vie privée, ainsi qu’à la protection des données personnelles. La création de ce fichier fera courir le risque d’une exploitation étrangère à l’objectif affiché, à savoir éviter que la minorité des jeunes ne soit évaluée plusieurs fois. Enfin, la tentation sera grande d’utiliser ces données à des fins de police administrative ou judiciaire.

M. le président. La parole est à M. Richard Yung, pour présenter l’amendement n° 499 rectifié.

M. Richard Yung. Je me réjouirais de l’insertion de l’article 26 quater dans un chapitre consacré à des mesures de simplification si du moins il s’agissait bien de cela. En l’occurrence, on a bien du mal à voir où est la simplification…

En effet, l’article crée un fichier national des étrangers ayant sollicité la protection de l’enfance, mais reconnus majeurs. Ce traitement de données par les services départementaux, qui sont responsables de la protection de l’enfance, a pour objectif prioritaire d’éviter des présentations successives de la même personne dans différents départements.

Cette disposition ne nous paraît pas nécessaire. En effet, dès lors que les personnes concernées sont identifiées comme étant des étrangers majeurs en situation irrégulière, elles reçoivent une obligation de quitter le territoire français, une OQTF. De ce fait, la procédure veut qu’une photo soit prise et que les empreintes digitales soient relevées.

Ces éléments d’identification existent donc déjà, ce qui rend un nouveau fichier redondant, et donc inutile.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. François-Noël Buffet, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et dadministration générale. La commission est défavorable à ces amendements.

Quelle est la situation ? Tous les départements français, certains plus que d’autres, sont confrontés à de nombreuses demandes de reconnaissance de minorité. En pratique, ce sont les services départementaux – je salue d’ailleurs leur formidable travail – qui sont chargés de cette évaluation, alors même qu’ils ne disposent pas d’un cadre national harmonisé.

Un problème apparaît lorsque le département décide de ne pas reconnaître la minorité : dans ce cas, les services – ils nous l’ont tous dit – ont constaté que les mineurs, d’eux-mêmes ou incités par les réseaux qui les accompagnent, partent dans un autre département et la procédure recommence…

Tel est le problème de fond. Les chiffres le montrent : 15 000 nouveaux mineurs non accompagnés ont été confiés aux départements sur décision judiciaire en 2017 et 54 000 évaluations sociales ont été réalisées, ce qui est considérable. Il est évident que nombre de ces évaluations sont des doublons, ou plus…

L’enjeu, pour la commission des lois, est de répondre à la demande des départements, qui ont besoin d’un outil leur permettant de savoir si un demandeur a déjà été déclaré majeur. Il s’agit donc bien d’un fichier recensant des personnes majeures, et non des mineurs.

Cette mesure entre donc pleinement dans le champ de la simplification : elle bénéficiera aux départements dans le cadre de la procédure de reconnaissance de minorité.

C’est pour ces raisons que l’avis de la commission est défavorable, je le répète, sur les amendements identiques nos 27 rectifié et 499 rectifié.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

Mme Jacqueline Gourault, ministre auprès du ministre dÉtat, ministre de lintérieur. Le Gouvernement est pleinement mobilisé pour trouver une solution efficace à la problématique des mineurs non accompagnés, dont le rapporteur vient de rappeler la double importance : d’une part, ce sont des mineurs, d’autre part, leur nombre est élevé.

Dans le cadre des négociations menées entre l’État et l’ADF, l’Assemblée des départements de France, collectivités compétentes en matière d’aide sociale à l’enfance, des travaux interministériels placés sous l’autorité du Premier ministre ont permis d’aboutir, le 17 mai dernier, à un accord : tout en maintenant la compétence des départements dans l’évaluation et la prise en charge des mineurs, l’État peut leur apporter une contribution plus déterminante en ce qui concerne l’évaluation préalable de la minorité.

Parmi les solutions proposées et arrêtées figure la création d’un traitement automatisé de données, afin de contribuer à l’identification des personnes étrangères se disant mineurs non accompagnés, de mieux garantir la protection de l’enfance et d’éviter que des personnes reconnues majeures ne fassent l’objet d’évaluations successives de minorité dans d’autres départements, comme le rapporteur vient de l’évoquer.

À la demande des présidents de conseil départemental, les demandeurs seraient reçus en préfecture par des agents ayant la charge de renseigner ce fichier. Sa création s’accompagnerait d’importantes garanties de respect de la vie privée, avec notamment une courte durée de conservation des données.

Conformément à ses engagements, le Gouvernement souhaite mettre en œuvre ce dispositif au début de l’année 2019. Des dispositions législatives contribuant à cette mise en œuvre ont été introduites dans le projet de loi par la commission des lois du Sénat – c’est l’objet de l’article 26 quater.

Cependant, la rédaction actuelle de cet article ne répond qu’imparfaitement à l’objectif, puisque ne feraient l’objet du traitement que les données des personnes reconnues majeures à l’issue de l’évaluation. Or il convient de promouvoir la collecte des données de tous les demandeurs, et non celles des seuls majeurs, pour toute la durée de l’évaluation, afin de pouvoir procéder à leur identification à un stade précoce et d’éviter la multiplication postérieure des procédures.

En outre, la création d’un traitement automatisé de données personnelles est régie par la loi du 6 janvier 1978 relative à l’informatique, aux fichiers et aux libertés, qui prévoit qu’un tel traitement est créé par la voie réglementaire après, le cas échéant, un avis de la CNIL. Il importe que la procédure soit respectée afin que soit pleinement appréciée la proportionnalité du traitement envisagé au regard, notamment, des finalités recherchées et de la nature des données.

Si la création de ce fichier relève du champ réglementaire, il convient d’aménager le cadre législatif. C’est dans cet esprit que le Gouvernement sera plus favorable à l’amendement n° 395 rectifié déposé par Mme Deromedi et plusieurs de ses collègues, qui sera discuté un peu plus tard dans nos débats, après l’examen de cet article 26 quater. Nous souhaitons toutefois que la rédaction de cet amendement soit complétée par la précision des finalités du recueil des empreintes des demandeurs.

Par ailleurs, comme le présent projet de loi concerne le droit d’asile, l’immigration et l’intégration des étrangers, il n’y a pas lieu d’y introduire des dispositions qui relèvent d’autres législations, par exemple le code de l’action sociale et des familles.

C’est pourquoi le Gouvernement estime, sur le sujet précis des mineurs non accompagnés, parfois appelés MNA, que ne doivent être introduites dans le présent projet de loi que les seules dispositions concernant le recueil de données, en s’appuyant sur l’amendement n° 395 rectifié que je viens d’évoquer.

À ce stade, le Gouvernement propose donc de supprimer l’article 26 quater tel qu’il a été introduit en commission des lois – il ne nous semble pas adapté – et donne, par conséquent, un avis favorable aux amendements nos 27 rectifié et 499 rectifié présentés par Mme Assassi et M. Yung.

M. le président. La parole est à Mme Marie-Pierre de la Gontrie, pour explication de vote.

Mme Marie-Pierre de la Gontrie. Notre rapporteur, voilà quelques instants, a de lui-même donné le motif premier pour lequel il faut non pas accepter la rédaction actuelle de cet article 26 quater, mais voter les amendements identiques de suppression présentés par nos collègues.

En effet, comme il l’a dit lui-même, les examens pratiqués sur les mineurs posent problème au regard de leur hétérogénéité et, plus exactement, de l’absence d’harmonisation au niveau national. D’après cet article, le ministère de l’intérieur recueillerait des données collectées au cours de ces examens par tous les conseils départementaux, dont chacun a salué à la fois l’engagement, mais aussi les difficultés en la matière. Or ces données, je le répète, sont en réalité très hétérogènes, car recueillies suivant des modalités élaborées et fixées par chaque conseil départemental - ce n’est pas mettre en cause la qualité du travail mené par les départements que de le dire.

Pour cette première raison, il serait tout de même curieux d’adopter l’article 26 quater. Mais il y en a une autre, et elle n’a pas encore été avancée dans le débat.

Je relis l’avant-dernier aliéna de l’article : « Dans le cas où le juge des enfants reconnaît la minorité de l’étranger en application de l’article 375 du code civil, il est procédé à l’effacement immédiat des données de la personne concernée du traitement automatisé de données. »

Madame la ministre, mes chers collègues, regardons les choses en face : cela ne se fera pas ! Il existe, nous le savons tous, un nombre incalculable de fichiers pour lesquels une telle mention est prévue et qui, dans la réalité, ne sont jamais mis à jour, « nettoyés », comme on dit. Du coup, y sont stockées toute une série de fausses informations. Je me permets d’attirer votre attention aussi sur ce point.

Pour l’ensemble des raisons qui ont été très bien expliquées précédemment, y compris, d’ailleurs, par Mme la ministre, mais aussi évidemment par les auteurs des amendements identiques, nous voterons en faveur de la suppression de cet article.

M. le président. La parole est à M. Bruno Sido, pour explication de vote.

M. Bruno Sido. Je voudrais répondre à Mme Assassi ainsi qu’à M. Yung, qui a d’ailleurs été plus subtil dans ses explications.

M. Bruno Sido. Je ne suis pas opposé, après tout, à cette proposition de supprimer l’article 26 quater. Mais, à lire l’objet de votre amendement, madame Assassi, je vous le dis franchement, on vous a connue avec un sens plus aigu de la modération et de la nuance.

Mme Catherine Procaccia. La modération bien connue de Mme Assassi… (Sourires.)

M. Bruno Sido. À vrai dire, les présidents de conseil départemental que nous étions, monsieur le président de la commission des lois, notre président de groupe, modestement moi-même…

M. Bruno Sido. … et bien d’autres encore, ne peuvent accepter une telle suspicion. Les départements ne procèdent pas eux-mêmes aux diligences nécessaires à la détermination de l’âge, en particulier par les tests osseux. Ils délèguent cette recherche à d’autres structures, qui ont recours à des techniques tout à fait éthiques et nullement critiquables.

Il convient, madame Assassi, de bien observer les conditions dans lesquelles ces supposés mineurs, qui ne le sont pas toujours, arrivent dans nos départements.

Vous avez raison de le souligner dans l’objet de l’amendement, ces jeunes ont eu un parcours extraordinairement difficile, c’est vrai, et ont terriblement souffert, c’est tout aussi vrai. Néanmoins, quand on les voit arriver au fond d’une impasse, dans un département, inconnus mais munis d’un smartphone et vérifiant l’adresse avec Google Maps, on se demande comment ils se sont procuré le téléphone, mais plus encore comment ils ont obtenu l’adresse. (Mme Éliane Assassi lève les bras au ciel.) Madame Assassi, vous le savez très bien, il y a des filières et il faut le dire. Vous avez beau vous cacher derrière votre petit doigt, c’est la réalité : il y a bien des filières. (Mme Éliane Assassi proteste.)

Ce sont les départements, et donc les contribuables, qui payent l’accueil de ces mineurs isolés. Rien de plus normal, d’ailleurs, s’ils sont effectivement mineurs. Je rappelle que l’accueil coûte, en gros, 40 000 euros par an, à due proportion, bien entendu, s’il se prolonge. Il est logique que les départements, parce qu’ils protègent leurs contribuables, regardent un petit peu ce qui se passe sur le terrain. Et, parce qu’il y a des filières, ces jeunes quittent parfois un département pour aller se présenter dans un autre. Il faut donc donner un coup d’arrêt à de telles pratiques.

Que les fichiers existants ne soient qu’insuffisamment vérifiés et nettoyés, c’est un autre problème. Je voterai contre ces amendements identiques de suppression.

M. le président. La parole est à Mme Éliane Assassi, pour explication de vote.

Mme Éliane Assassi. Monsieur Sido, nous ne nous connaissons pas assez pour que vous puissiez dire que je ne sais pas faire preuve de modération. Je n’ai certes pas été présidente d’un conseil départemental, mais j’ai bien connu celui de la Seine-Saint-Denis, à l’époque où il s’appelait encore « conseil général ». Je vous rappelle tout de même que la Seine-Saint-Denis est la collectivité qui accueille le plus de mineurs étrangers isolés.

Voyez-vous, je suis bien évidemment en complet désaccord avec ce tout que vous dites. (M. Bruno Sido lève à son tour les bras au ciel.) Vous ne parlez ni de l’objet de l’amendement ni de l’article, n’évoquant jamais le fichier dont il est question. Vous ne faites qu’étaler vos fantasmes sur ces réseaux de mineurs isolés, sur ces mômes qui auraient des smartphones, oubliant qu’aujourd’hui, dans notre pays, on ne compte plus les gamins possédant des smartphones à 13 ou 14 ans…

Vous ne cessez de stigmatiser une certaine population et j’imagine bien, derrière vos mots, ce que vous pouvez penser vraiment. Vous ne répondez pas en tout cas au sujet sur lequel porte notre amendement.

Je rappelle par ailleurs qu’à la demande de mon groupe s’est tenu, ici même, un débat sur les mineurs isolés étrangers, débat au cours duquel un certain nombre de propositions ont été exprimées, y compris dans vos rangs, sur les travées de votre propre groupe, monsieur Sido. Certaines étaient relativement intéressantes, notamment celles qui étaient formulées en liaison avec l’ADF. Il conviendrait d’y travailler, plutôt que de jeter des anathèmes sur une partie de ces jeunes gens.

M. le président. La parole est à M. Roger Karoutchi, pour explication de vote.

M. Roger Karoutchi. Qu’il me soit permis d’adresser un clin d’œil à nos collègues du groupe CRCE.

Lecteur assidu de la presse, je suis tombé, ce matin, sur La Marseillaise, journal communiste provençal.

Mme Éliane Assassi. Vous avez de bonnes lectures !

M. Roger Karoutchi. Comme vous le dites ! À la une du journal (Lorateur brandit un document), on peut lire en titres, d’un côté, « Ian Brossat, chef de file du PCF aux européennes, répond aux lecteurs de La Marseillaise » et, de l’autre, « Passeurs, corruption, prostitution… Trafic des migrants : 6 milliards dans la poche des mafias ! ».

Mme Éliane Assassi. Ai-je dit le contraire, monsieur Karoutchi ?

M. Roger Karoutchi. Certes, non. Mais nous sommes nombreux à dire qu’il y a des réseaux, des filières, même de votre côté. Rendez-vous compte, 6 milliards d’euros !

Mme Éliane Assassi. Combattons les réseaux, pas les migrants !

M. le président. La parole est à M. Sébastien Meurant, pour explication de vote.

M. Sébastien Meurant. Nous sommes déjà intervenus à plusieurs reprises sur ce sujet. Certains d’entre nous se sont déplacés sur le terrain pour constater, effectivement, la présence de nombreux soi-disant mineurs (Exclamations sur les travées du groupe communiste républicain citoyen et écologiste et du groupe socialiste et républicain),…

Mme Éliane Assassi. Il est revenu !

Mme Sophie Taillé-Polian. C’est reparti !

M. Sébastien Meurant. … équipés de pieds en cap de maillots de football, de baskets, de téléphones, fournis non pas par les services départementaux, mais par les passeurs eux-mêmes. C’est ce qui nous a été rapporté dans les Hautes-Alpes et nous sommes six sénateurs à avoir entendu la même chose.

Il suffit d’un minimum d’objectivité et de courage, aussi, pour constater la réalité des faits. Même votre presse en parle : 6 milliards d’euros, je ne sais si vous vous en rendez compte.

M. Sébastien Meurant. Vous avez dû recevoir, comme moi, plusieurs courriers émanant d’un certain nombre de départements. J’en ai d’ailleurs un sous les yeux, adressé par le département de la Vienne, qui est loin d’être limitrophe d’une frontière. Dans ce courrier, peut-être l’avez-vous reçu, peut-être vous intéressez-vous à ce sujet, il est écrit que le département a accueilli, en 2017, 450 mineurs non accompagnés, dont 70 % sont considérés comme majeurs.

Vous n’avez eu de cesse, tout au long de ces quelques journées, de détricoter le peu de facilités juridiques dont nous disposons pour dénoncer ce trafic, car il s’agit bien d’un trafic d’êtres humains. Compte tenu des départements et de leurs finances, ne vous en déplaise, cette solidarité, ce droit à venir en France s’exercent au détriment des pauvres et des mineurs non accompagnés vivant dans ces mêmes départements. Lorsque des familles se déchirent, ces jeunes passent ni plus ni moins à la trappe.

M. Xavier Iacovelli. Mais pourquoi passent-ils « à la trappe » ?

M. Sébastien Meurant. À voir les flux aux frontières, mais pas seulement, au cœur même de notre pays, il convient de rappeler deux chiffres : en 2015, les Hautes-Alpes, département de 140 000 habitants, ont accueilli 25 mineurs non accompagnés ; en 2017, 1 300 !

M. Bruno Sido. Oh là là !

M. Sébastien Meurant. Tout est dit. Comment faire ?

M. Xavier Iacovelli. On les laisse mourir ?

M. Fabien Gay. M. Ravier est là !

Mme Éliane Assassi. C’est son double !

M. Fabien Gay. Il n’a pas besoin d’être présent dans l’hémicycle, ses idées sont là !

M. le président. La parole est à M. le rapporteur.

M. François-Noël Buffet, rapporteur. Revenons-en aux principes, mes chers collègues.

Personne n’ignore, ici, et vous êtes nombreux à avoir été conseillers départementaux, la difficulté rencontrée en la matière.

Il n’est tout de même pas acceptable que les départements ne puissent pas avoir accès à un fichier qui leur permette de savoir si, éventuellement, la personne qui se présente devant eux a déjà été reçue par un autre département et si, dans telle hypothèse, sa majorité, ou plutôt sa non-minorité, a été établie.

M. Philippe Bonnecarrère. C’est le bon sens !

M. François-Noël Buffet, rapporteur. Cela tombe effectivement sous le sens. Il faut absolument que ce fichier soit créé. Actons-en le principe, aujourd’hui, au Sénat. Sans doute y aura-t-il des précisions à apporter pour parfaitement cadrer le dispositif, ce qui paraît logique, même si nous avons déjà fait beaucoup, notamment pour le sécuriser.

Mais ne fichons pas en l’air, si je puis dire, un outil qui sera utile à nos départements, s’agissant d’une problématique, certes, délicate, nous le savons tous. Les services départementaux ne seront pas les seuls à intervenir. Il y aura également des magistrats de l’ordre judiciaire et nous examinerons, dans quelques instants, des amendements portant sur les tests osseux.

Conservons le principe d’un fichier, il est important, il est déjà cadré. Profitons de la navette pour le préciser davantage, puisque j’ai cru comprendre que le Gouvernement n’y était pas globalement hostile. Faisons avancer cette thématique, les départements en ont bien besoin.

Je ne parle pas de l’aspect financier lui-même, qui dépend non pas de nous, mais d’un accord entre l’ADF et l’État. Il est en discussion, laissons faire les choses, occupons-nous de ce qui nous regarde. En la matière, le Sénat ferait œuvre de bonne législation en adoptant ce principe.