M. le président. La parole est à M. Olivier Cadic.

M. Olivier Cadic. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, sur le fond, le texte que nous examinons aujourd’hui ne pose pas de difficulté particulière. Il vise, comme son intitulé l’indique, à autoriser l’approbation d’un accord entre le Gouvernement français et le Gouvernement fédéral autrichien.

Les deux pays sont actuellement liés par un accord signé en 1962, permettant le renvoi mutuel de leurs ressortissants ayant fait l’objet d’une mesure d’éloignement ou de citoyens d’États tiers ayant séjourné sur le territoire de l’autre partie. Cet accord, rendu obsolète par la création de l’espace Schengen, a été actualisé en 2007 et doit l’être de nouveau en 2018 afin de le mettre en conformité avec le cadre juridique en vigueur, en particulier au niveau européen.

Sur la forme à présent, je soulignerai que ce projet de loi est soumis à notre chambre trois ans après la ratification de l’accord par l’Autriche. Si l’on ne peut que déplorer la longueur des délais de ratification, il y a lieu toutefois de distinguer ce texte de l’actuel contexte politique autrichien.

La ratification ayant eu lieu voilà trois ans, il faut bien admettre qu’elle ne s’inscrivait nullement dans l’agenda de l’actuel chancelier fédéral d’Autriche. C’est pourquoi nous n’avons pas de raison de nous opposer à ce texte. Le groupe Union Centriste suivra l’avis formulé par le rapporteur, notre collègue René Danesi.

Nonobstant ces remarques, comme vous l’avez rappelé, monsieur le secrétaire d’État, il y a également un contexte, un sujet crucial, au regard non seulement des changements politiques intervenus en Autriche, mais plus globalement de l’actuel défi migratoire que doit affronter le continent européen.

Sur le sujet ô combien brûlant, ô combien européen des migrations, les solutions ne peuvent être définies qu’à l’échelle de l’Union européenne. Il s’agit du seul niveau auquel il est possible d’agir avec pertinence et efficacité.

Puisqu’il est question d’Europe et de politique migratoire dans ce texte, je profite du temps qui m’est imparti pour affirmer et même réaffirmer deux positions fortes : d’une part, le refus d’une immigration irréfléchie ; d’autre part, notre franc soutien au droit d’asile.

Ces principes demeurent d’autant plus importants que, à force de passivité de notre part, des migrants arrivent quotidiennement sur les côtes européennes alors que, dans le même temps, les réfugiés ne trouvent pas chez nous l’accueil qu’ils mériteraient.

Le droit d’asile est fils des populations déplacées de la Seconde Guerre mondiale. Ces drames ayant profondément marqué les esprits, les pères fondateurs de l’Europe ne voulaient plus les voir se répéter.

Pour parvenir au pouvoir, les populistes font peser sur l’immigration la responsabilité de tous les maux de leur pays. Ce n’est pas nouveau. Enfant, dans les années soixante-dix, je lisais, affiché devant mon lycée, le slogan de Jean-Marie Le Pen : un million de chômeurs, c’est un million d’immigrés en trop !

L’émergence de gouvernements xénophobes ne doit pas remettre en cause le droit d’asile. L’absurde projet de déconstruction européenne que prônent les europhobes de tout poil ne saurait amener à brader les principes d’humanisme et de solidarité qui sont les fondements de notre Union. Devant cette menace, les Européens de bonne volonté doivent s’organiser, s’unir et poursuivre la construction européenne.

Toutefois, un droit d’asile efficace a pour corollaire une définition stricte du statut de réfugié, seule à même d’endiguer les arrivées irrégulières. C’est pourquoi il est important de modifier le règlement de Dublin.

Le compromis trouvé récemment au Parlement européen, qui permet certes d’assouplir le principe de responsabilité du premier pays d’accueil, afin que les candidats à l’asile puissent aller là où ils ont déjà de la famille, assorti d’un mécanisme de relocalisation, est un premier pas encourageant, mais insuffisant.

La plupart des migrants ne sont pas éligibles à l’asile et ont donc vocation à être expulsés. Or les éloigner coûte très cher. Tripler les effectifs de garde-côtes et les budgets ne suffira pas. Vous l’avez souligné, monsieur le secrétaire d’État, la principale réponse est économique et passe par le développement de l’économie de l’Afrique. C’est pourquoi je me félicite du choix d’intégrer au budget européen le Fonds européen de développement dès 2021, ce fonds étant pour l’heure le meilleur instrument en vue de la résolution de la crise migratoire actuelle.

La mise en place de « hot spots » dans les pays de départ, que certains voient comme la solution miracle à la crise migratoire, ne peut s’inscrire dans la vision humaniste que nous défendons tous au sein du groupe Union Centriste. Elle ne manque pas de nous rappeler une époque sombre, pas si lointaine, que nous ne voulons en aucun cas voir reparaître.

Il est vrai, néanmoins, que l’ensemble des pays touchés par cette crise doivent être directement concernés par les réponses que nous tentons d’y apporter. Nous savons pertinemment que les garde-côtes libyens ferment parfois les yeux sur les départs illégaux de nombreux bateaux. Nous pouvons le comprendre, car, sous-payés, ils souffrent des problèmes économiques de leur pays. Nous ne pouvons cependant admettre que les États d’embarquement laissent prospérer le chaos sans jamais subir la moindre sanction. Les responsabiliser par le recours au droit est le seul moyen de pouvoir les compter comme des alliés en vue de relever cet immense défi.

À l’heure où l’image de l’Union européenne est mise à mal, il convient de rappeler qu’elle constitue l’espace où des millions de personnes rêvent de vivre, mais aussi que plusieurs pays des Balkans souhaitent l’intégrer. Au moment où nous parlons de Brexit, deux tiers des Nord-Irlandais souhaitent désormais rester dans l’Union européenne. Parce que l’Europe est la meilleure réponse à nos problèmes, la réciprocité et les partenariats entre ses États membres constituent pour nous la voie à suivre pour que les Européens vivent en paix et dans la prospérité. (Applaudissements sur les travées du groupe Union Centriste.)

M. le président. La parole est à M. Yannick Vaugrenard.

M. Yannick Vaugrenard. Monsieur le président monsieur le secrétaire d’État, monsieur le vice-président de la commission, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, nous devons ce matin nous prononcer sur le projet de loi autorisant l’approbation de l’accord entre la France et l’Autriche relatif à la réadmission des personnes en situation irrégulière.

Ce texte ne tend qu’à moderniser les dispositions actuelles afin de les rendre plus conformes au cadre juridique. Il n’est donc que d’adaptation technique, comme c’est fréquemment le cas pour ce genre d’accord à réactualiser.

Première remarque, ce texte signé en 2007, ratifié par l’Autriche en 2014, le sera donc par la France en 2018 ! On ne peut, bien sûr, que déplorer l’extrême lenteur de nos procédures.

Deuxième remarque, un texte ne peut jamais échapper à son contexte. C’est particulièrement le cas ici, le contexte étant celui d’une Autriche qui préoccupe, voire inquiète, l’Union européenne, au moment où cet État vient d’en prendre la présidence pour six mois, avec un nouveau gouvernement dont on ne peut savoir avec certitude de quelle manière il appliquera ce projet de loi.

C’est pourquoi Hélène Conway-Mouret et le groupe socialiste et républicain ont souhaité que, à l’occasion de l’examen de ce dernier, nous ayons un échange sur l’évolution politique de l’Autriche, et plus généralement de l’Europe. Bien sûr – je rejoins sur ce point le président de la commission –, nous pourrons dès le mois d’octobre nous saisir, en lien avec la commission des affaires européennes du Sénat, de cette question primordiale, essentielle pour le devenir de notre continent qu’est la montée du national-populisme, au-delà de la problématique migratoire.

L’Europe, comme le monde, est en crise. Des dangers la menacent et le socle démocratique et pacifique sur lequel elle s’est construite est désormais vacillant. Bref, il n’est pas urgent d’attendre pour s’en inquiéter, essayer de comprendre et exprimer nos différents points de vue.

Le 1er juillet, la Bulgarie a donc passé le flambeau à l’Autriche, désormais dirigée par une coalition conservatrice de droite et d’extrême droite. Ainsi, le conservateur Sebastian Kurz, devenu chancelier, a proposé une alliance à l’extrême droite, représentée par l’historique FPÖ, fondé en 1956 par d’anciens nazis et dirigé alors par un ancien Waffen-SS. Ce parti d’extrême droite détient désormais trois ministères régaliens, et non des moindres : l’intérieur, la défense et les affaires étrangères.

C’est la seconde fois en vingt ans que l’extrême droite arrive au pouvoir en Autriche. La première fois, en 2000, cela avait entraîné des manifestations d’écœurement absolument gigantesques. Le Gouvernement autrichien fut l’objet d’une réprobation internationale très forte et l’Union européenne maintint durant plusieurs mois des sanctions contre Vienne. Dix-sept années ont passé, mes chers collègues, et le présent accord de gouvernement autrichien n’a pas suscité d’indignation particulière sur la scène européenne !

Cette frilosité, alors que l’Autriche prend les rênes de l’Europe, est une aberration collective insupportable. Elle est en contradiction absolue avec le dernier hommage rendu à Claude Lanzmann, merveilleux auteur du documentaire Shoah.

Au-delà du seul cas de l’Autriche, c’est la progression de l’extrême droite, et plus généralement du national-populisme, qui inquiète. En effet, ce vent mauvais souffle aussi en Bulgarie, en Hongrie, en Pologne, en Finlande et même, dernièrement, dans l’un des pays fondateurs de l’Union européenne, l’Italie.

L’Union européenne affronte donc la crise la plus grave de son histoire, et un doute très profond s’est même fait jour dans l’opinion sur sa viabilité à long terme, son efficacité et sa capacité réelle à protéger.

Curieusement, et peut-être aussi dangereusement, s’est installée l’idée que nous vivrions sur un continent de paix éternelle. Mais rien n’est jamais définitivement acquis ! Nous savons que les conditions économiques et sociales déterminent très fréquemment le reste. Or, au-delà des aspects éthiques et moraux, c’est la persistance des difficultés économiques et sociales qui engendre le rejet et la crainte de la différence. C’est aussi elle qui suscite le scepticisme et le désenchantement de nos concitoyens européens.

Constatons également que l’absence de réponse coordonnée et immédiate, ainsi que le refus de prendre en considération les difficultés rencontrées par les pays de premier accueil des réfugiés, ont incontestablement pesé dans l’issue des dernières consultations électorales en Italie !

L’absence de courage politique en ces circonstances est coupable et, ayant feint d’oublier que les côtes italiennes étaient aussi les côtes européennes, nous en subissons les conséquences. Nos opinions ont besoin, et c’est normal, d’une Europe qui les protège, non seulement de la guerre, mais aussi socialement et collectivement.

Au bout du compte, je suis convaincu d’une chose : l’Europe sera un jour sociale ou elle ne sera pas, ou elle se délitera.

Une réorientation de l’Europe est donc indispensable. Nous sommes désormais vingt-sept, et c’est évidemment beaucoup plus compliqué qu’à six. Toutefois, prenons acte du fait que le traité de Lisbonne permet d’avancer à quelques-uns, d’autres pouvant ensuite nous rejoindre, notamment dans les domaines sociaux, de la défense, de la recherche ou encore de l’environnement. Nous l’avons fait pour la monnaie, pourquoi ne pas le faire pour d’autres sujets tout aussi importants ?

Soulignons, par ailleurs, que notre période est dangereuse à plus d’un titre. Le fait majeur de ces deux dernières années ne serait- il pas l’élection de Donald Trump, aux États-Unis ? Cela a changé la donne internationale, le doute et l’inquiétude dominant désormais.

Lorsque Donald Trump déclare que l’Europe est un ennemi économique, il y a de quoi s’inquiéter. Lorsque ses attitudes donnent à penser que la solidarité au sein de l’OTAN est sujette à caution, nous comprenons bien que notre approche géopolitique est susceptible d’évoluer. Le dernier fiasco de Donald Trump au sommet d’Helsinki avec Vladimir Poutine et ses déclarations aussi dangereuses qu’imprévisibles ajoutent encore à la confusion. Dorénavant, nous risquons de retrouver les partenariats précaires et révocables du monde d’avant la Seconde Guerre mondiale.

Très paradoxalement, c’est à un moment où l’Europe devrait s’imposer d’être plus forte qu’elle est en train de s’affaiblir.

C’est malheureusement dans ce contexte que l’Autriche présidera aux destinées de l’Union européenne durant six longs mois. En conséquence, la vigilance doit être extrême et les condamnations plus virulentes, car il est des principes sur lesquels on ne peut et on ne doit absolument pas transiger. Je crois nécessaire de rappeler ici ces mots de Primo Levi : « Ceux qui oublient leur passé sont condamnés à le revivre. »

L’examen de ce projet de loi au contenu plutôt technique est aussi l’occasion de souligner les dangers qui menacent aujourd’hui notre continent. L’enjeu n’est pas mince. Monsieur le secrétaire d’État, quelle est la position de la France après les premières déclarations de l’Autriche, s’agissant notamment de la politique migratoire de l’Europe ? La position commune européenne, en 2000, était que les ministres d’extrême droite autrichiens ne devaient être reçus par aucun de leurs homologues européens : qu’en est-il aujourd’hui ? Qu’en est-il de la position de la France ? Tout à l’heure, vous avez dit que nous marchions sur deux pieds : l’humanité et la fermeté ; n’oublions pas la fermeté à l’égard de l’actuel gouvernement autrichien !

Au-delà de la protection sociale que l’Europe doit offrir aux populations les plus en difficulté, notre pays se doit aussi de signifier par des actes forts la primauté des valeurs humanistes sur lesquelles s’est construite l’Union européenne. Notre mémoire ne peut et ne doit pas être défaillante, car, comme le soulignait fort justement Érik Orsenna, « la mémoire, c’est la santé du monde ». (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain et sur des travées du groupe Union Centriste. – M. Pierre Ouzoulias applaudit également.)

M. le président. La parole est à M. Claude Malhuret.

M. Claude Malhuret. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, le texte que nous examinons aujourd’hui ne pose pas, en lui-même, de difficulté majeure. Il ne vise qu’à moderniser des dispositions existantes afin de les rendre conformes au cadre juridique en vigueur.

Je comprends que certains de nos collègues veuillent faire de son examen le prélude à une discussion plus large. Mais, quelle que soit la couleur politique de l’actuel gouvernement autrichien, cet accord ne prévoit que ce que prévoient tous les accords analogues avec nos autres partenaires, ni plus ni moins. Il est de surcroît largement encadré par la réglementation européenne.

Faut-il, à cette occasion, entamer un débat sur la politique migratoire de l’Union européenne, avec, peut-être, la volonté de « refaire le match » de la discussion du projet de loi pour une immigration maîtrisée, un droit d’asile effectif et une intégration réussie ? Pourquoi pas, mais j’ai pris bonne note de la volonté du président de la commission des affaires étrangères, Christian Cambon, d’organiser un débat à l’automne sur ces questions : ce débat sera un cadre plus approprié pour évoquer cette question sérieuse.

Que dire aujourd’hui que nous n’ayons déjà dit il y a quelques semaines ? Oui, eu égard aux défaillances de la politique migratoire commune, les politiques nationales se durcissent. Ce n’est pas le monopole des États autoritaires du centre et de l’est de l’Europe : c’est aussi le fait de grands États de l’Union, tels que l’Italie, l’Allemagne et, bien sûr, la France.

Par exemple, la semaine dernière, le conseil des ministres allemand a inscrit les pays maghrébins sur la liste des pays « sûrs ». Ce changement permet aux services allemands de l’immigration de rejeter presque automatiquement les demandes d’asile des ressortissants de ces pays. Nous attendons toujours la liste commune de l’Union européenne qui permettrait d’harmoniser la définition des pays d’origine sûrs.

Autre exemple, l’Italie a décidé de conditionner les débarquements des migrants sauvés en Méditerranée par les navires de l’opération navale européenne Sophia à un partage de leur prise en charge avec d’autres États membres. On peut dénoncer l’attitude des autorités italiennes, mais leur arrivée au pouvoir ne traduit qu’une chose : le ras-le-bol des citoyens italiens devant l’abandon des autres États européens.

Enfin, il y a la question de l’Autriche, qui préside actuellement l’Union. Le 12 juillet dernier, à Innsbruck, les ministres de l’intérieur européens ont de nouveau examiné la proposition autrichienne d’externalisation de notre politique de l’asile, notamment par la mise en place de « plateformes de retour » dans des pays tiers, où les migrants déboutés du droit d’asile seraient retenus en attendant de rentrer dans leur pays d’origine. Les discussions ont mis en lumière le caractère irréaliste de cette proposition, tenant notamment au fait qu’aucun pays « tiers », africain ou autre, n’est disposé à accueillir ce type de camp.

Comment envisager sérieusement que nous limitions notre politique migratoire à la protection de nos frontières, en délocalisant notre politique de l’asile ? Méfions-nous de ces expédients séduisants : on ne saurait régler par des solutions simplistes un problème compliqué.

Entre le populisme migratoire et l’angélisme béat, il y a une voie : celle du pragmatisme. Le durcissement généralisé des politiques migratoires en Europe nous montre à la fois les insuffisances de l’Union européenne et les inquiétudes des peuples. Mais il nous montre également l’échec des égoïsmes nationaux. Dans cet entre-deux – échec de l’Union, échec des solutions individuelles –, que faire ? Notre groupe croit à la solution collective et européenne. Réformer la politique migratoire européenne est possible, en s’appuyant sur deux piliers : la solidarité et l’efficacité.

La solidarité, c’est accepter enfin un système de répartition robuste. Aucun pays d’Europe ne pourra donner de leçons s’il ne prend sa juste part de l’effort européen.

L’efficacité, c’est mettre enfin des moyens dans notre politique migratoire commune. Nous ne consacrons qu’une portion infime de nos ressources à nos frontières. Le budget de FRONTEX est inférieur d’un tiers à celui du département de l’Allier : c’est dire si nous avons des marges de progression !

Nous aurons l’occasion d’évoquer ces sujets plus en détail à l’automne. Mes chers collègues, face aux fanatiques des murs ou aux naïfs de l’accueil à outrance, nous proposerons une solution collective, européenne et responsable, la seule qui soit politiquement viable et techniquement efficace ! (Applaudissements sur les travées du groupe Union Centriste. – MM. André Gattolin et Pierre Ouzoulias applaudissent également.)

M. le président. La parole est à M. Guillaume Arnell.

M. Guillaume Arnell. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, nous examinons aujourd’hui, en dehors du cadre de la procédure simplifiée, le projet de loi autorisant l’approbation de l’accord entre la France et l’Autriche relatif à la réadmission des personnes en situation irrégulière, certains de nos collègues ayant manifesté la volonté de débattre plus largement du sort des migrants sur le continent européen.

Il faut reconnaître que, au sein de l’Union européenne, l’émergence de gouvernements très conservateurs, voire d’extrême droite, menace la cohésion européenne à bien des égards.

S’agissant de l’Autriche, l’évolution de sa situation politique intérieure interroge quelque peu, d’autant que ce pays exerce actuellement la présidence de l’Union européenne.

L’arrivée au pouvoir, à la fin de 2017, d’une coalition alliant le parti conservateur ÖVP et le parti de la liberté d’Autriche, le FPÖ, soulève bien des craintes.

On sait que le programme du Gouvernement autrichien comprend des mesures, en matière d’asile et d’immigration, qui restreignent certains droits. Je citerai la limitation de la prise en charge sociale des demandeurs d’asile, le renforcement de la politique de retour ou encore la réduction des délais de recours dans le cadre des procédures accélérées.

Ce durcissement n’est pas sans conséquence sur l’orientation que souhaite donner l’Autriche à la politique européenne. Nous l’avons bien mesuré lors du Conseil européen des ministres de l’intérieur du 12 juillet dernier, à l’occasion duquel le ministre autrichien a promu l’idée de créer des « plateformes de retour » dans les « pays tiers », destinées à accueillir les migrants qui auraient été déboutés du droit d’asile en Europe.

Ces propositions, déjà avancées par Vienne au Conseil européen du 28 juin dernier, ont été repoussées ; souhaitons que ce soit pour de bonnes raisons. Nous le savons, les pays qui pourraient être concernés par l’installation de tels centres, notamment le Maroc ou la Tunisie, n’y sont pas favorables.

Pour ma part, il me semble que c’est non pas tant la question de la localisation de ces structures hors d’Europe qui pose problème, que celle des standards juridiques qui seraient appliqués aux personnes retenues. Si certains pays européens ont pu trouver l’idée séduisante, nous devons rappeler qu’externaliser la politique d’accueil des réfugiés hors d’Europe suppose que les pays abritant des plateformes de retour appliquent les mêmes règles que nous en matière de droits et de procédures.

À ce stade, il ne me semble pas souhaitable que l’Union européenne avance dans cette voie, qui pourrait être contraire à la Convention européenne des droits de l’homme.

Les conclusions du dernier Conseil européen évoquent la mise en place de plateformes régionales de débarquement en coopération avec les pays tiers, un concept qui semble rejoindre l’idée du Gouvernement autrichien. Alors même que les flux migratoires s’affaiblissent, il ne faudrait pas que la politique migratoire subisse l’influence de solutions radicales. Les principes de dignité et de solidarité doivent demeurer intangibles en matière d’accueil et de gestion des réfugiés et des migrants.

En attendant une occasion plus appropriée pour débattre de la politique migratoire de l’Union européenne, je ferme cette parenthèse, pour en revenir au projet de loi qui nous occupe directement.

S’agissant de l’accord entre la France et l’Autriche relatif à la réadmission des personnes en situation irrégulière, le groupe du RDSE ne voit aucun obstacle à son adoption, au regard de plusieurs éléments.

Tout d’abord, notre collègue rapporteur l’a souligné, le texte a une portée très limitée, puisque l’on a constaté que, depuis 2012, entre trente et quarante personnes par an étaient concernées par des procédures d’éloignement vers l’Autriche.

Ensuite, l’accord de réadmission de 2007, révisé en 2014 par le biais d’un protocole, est avant tout destiné à actualiser un texte bien plus ancien, devenu obsolète depuis la création de l’espace Schengen. Compte tenu de la longueur de ce cheminement, on peut s’abstraire de la donne politique en Autriche, qui a bien entendu changé entre 2007 et 2018.

Par ailleurs, l’accord contient des dispositions assez classiques pour les accords bilatéraux de ce type. La France en a signé avec une quarantaine de pays, dont vingt États membres de l’Union européenne.

Sur le fond, il s’agit de traiter principalement trois cas de figure : la réadmission par une partie de ses propres ressortissants qui se trouveraient en situation irrégulière sur le territoire de l’autre partie ; une dérogation à la directive Retour avec la réadmission des ressortissants de pays tiers qui se sont déplacés du territoire de l’une des parties à celui de l’autre ; enfin, le transit via la France ou l’Autriche.

Cet accord prévoyant le même type de dispositions que n’importe quel autre accord du même ordre avec nos partenaires européens, le fond du texte ne soulève pas de difficultés particulières.

Je veux également rappeler que l’Autriche, malgré ses prises de position actuelles sur l’immigration, a consenti des efforts notables en matière d’asile au cours de ces dernières années, plus importants que ceux de notre pays, si on les rapporte au nombre d’habitants. Je donnerai un seul chiffre, fourni par Eurostat : le rapport du nombre de titres de séjour délivrés en 2016 à la population globale est de 0,57 % en Autriche, contre 0,35 % en France. Si le présent texte concerne avant tout les personnes en situation irrégulière, on peut tout de même établir un parallèle avec l’accueil réservé aux demandeurs d’asile, qui s’est révélé plus généreux chez notre partenaire.

Enfin, cet accord de réadmission s’inscrit dans le cadre juridique européen, qui pose des règles en matière d’asile et d’immigration. Si l’Autriche venait à s’abstraire de ces règles, elle pourrait faire l’objet de sanctions, à l’instar de ce qui se passe actuellement pour la Hongrie de Viktor Orbán, contre laquelle la Commission européenne a engagé une procédure d’infraction devant la Cour de justice de l’Union européenne.

Mes chers collègues, sans méconnaître les défis que doit relever l’Europe, notamment l’existence d’un bloc de pays plus durs en matière de politique migratoire, le groupe du RDSE votera ce projet de loi, dont les mesures techniques permettront de régler les cas de réadmission de personnes en situation irrégulière entre l’Autriche et la France. (Applaudissements sur les travées du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen et sur des travées du groupe La République En Marche.)

M. le président. La parole est à M. Robert del Picchia.

M. Robert del Picchia. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, le rapporteur René Danesi a parfaitement exposé les termes de ce projet de loi, qui est de nature technique.

C’est pour pouvoir revenir sur le contexte plus global de la gestion de la crise migratoire par l’Union européenne sous présidence autrichienne que les groupes socialiste et républicain et CRCE ont demandé l’examen en séance publique de ce texte, dont la seule teneur ne le justifiait peut-être pas totalement, en tout cas aux yeux de la commission.

Comme l’a indiqué le président Christian Cambon, la commission des affaires étrangères ne refuse pas ce débat. Au contraire, celui-ci est très important pour nos concitoyens puisque, sur la question de la sécurité et du contrôle des frontières extérieures, 80 % des citoyens européens demandent à l’Europe d’en faire plus. À un an des élections européennes, cette préoccupation légitime doit être entendue.

La question des migrations est d’une actualité brûlante et dramatique, tout le monde le sait, et la traiter relève finalement d’une nécessité pour l’Europe : c’est en quelque sorte le test de la capacité de celle-ci à gérer les problèmes européens. Il y a là un enjeu en termes de crédibilité pour l’Union européenne.

La commission des affaires étrangères et celle des affaires européennes ont d’ailleurs saisi le président du Sénat en vue de la tenue d’un débat dans l’hémicycle, à la fin du mois d’octobre, sur la gestion européenne de la crise migratoire, alors que le Conseil européen aura sans doute tracé, à la mi-octobre, les premières perspectives ouvertes par le mini-sommet sur les migrations de juin dernier.

La conviction du groupe Les Républicains est qu’il faut consolider la stratégie migratoire de l’Union européenne et freiner l’afflux de migrants. Évidemment, il faut aller à la racine et traiter dans les pays sources la cause des migrations.

Mais l’Europe n’a pas non plus rien fait depuis 2015. Je rappelle que plus d’un million de migrants sont entrés en Europe par la Grèce et la route des Balkans en 2015, et que 700 000 sont arrivés en Italie par la mer depuis 2011.

Aujourd’hui, il y a dix fois moins de migrants qui se rendent en Europe qu’en 2015. Cela signifie que notre continent s’est organisé pour faire face. Des progrès ont été réalisés : renforcement des contrôles aux frontières extérieures, déploiement de 1 700 officiers du nouveau corps des gardes-frontières et des garde-côtes en soutien aux 100 000 agents nationaux des États membres, progression de l’interopérabilité des systèmes nationaux de gestion des frontières et des migrations, directive sur les armes, renforcement de la coopération avec les pays tiers, etc. Il faut aussi reconnaître que l’accord migratoire de mars 2016 avec la Turquie a produit des effets indéniables. La Commission européenne a en outre proposé une augmentation importante des effectifs du budget de FRONTEX après 2010.

Ces progrès sont substantiels, mais les difficultés sont loin d’être résolues. Plusieurs États membres ont rétabli des contrôles aux frontières intérieures de l’espace Schengen afin d’empêcher l’entrée de migrants arrivés par l’Italie ou la Grèce. C’est aussi ce qu’a fait la France, à la frontière italienne. Notre pays est en effet exposé, via les mouvements secondaires, aux flux migratoires venant de Libye et transitant par l’Italie.

Cette fermeture des frontières et les arrivées incessantes sur ses côtes ont fait peser sur l’Italie, par ailleurs confrontée au mécontentement croissant de sa population, une charge écrasante. Chacun sait comment ce mécontentement s’est exprimé dans les urnes.

En trois ans, l’exception hongroise s’est propagée à toute l’Europe centrale : Varsovie, Prague, Bratislava ont rejoint Budapest et se dirigent vers une renationalisation de la politique migratoire. Aujourd’hui, ce mouvement gagne la partie occidentale de l’Europe. L’Autriche, et maintenant l’Italie, ont basculé. Quelque 500 000 migrants sont toujours présents en Italie. Quant à l’Autriche, elle détient le record d’Europe du taux d’immigrés par habitant, des immigrés auxquels elle applique une politique d’intégration coûteuse pour les contribuables.

Mes chers collègues, chacun sait que les problèmes de fond se situent dans les pays sources. C’est donc un traitement en profondeur du problème qu’il faut mettre en place, incluant une coopération avec les pays d’origine et de transit, ainsi qu’une aide au développement plus efficace. Mme Merkel parlait même d’un plan Marshall pour l’Afrique.

Notre commission, qui a récemment travaillé sur la Libye, connaît bien la situation de ce pays devenu une voie de transit vers l’Europe pour les travailleurs migrants d’Afrique de l’Ouest et les réfugiés en provenance de la Corne de l’Afrique.

Sur la route de la Méditerranée centrale, la Libye, qui était autrefois un verrou, est devenue une véritable pompe aspirante des migrations, avec une véritable économie des passeurs à laquelle il faut s’attaquer. En Libye, mes chers collègues, l’économie de la migration représente de 20 % à 25 % du PIB. Si elle est d’abord le fait de réseaux structurés dotés de ramifications internationales, elle implique aussi directement ou indirectement une grande partie de la population libyenne. Le trafic de migrants est une importante source de revenus pour les groupes armés qui rackettent les trafiquants ou prennent le contrôle des réseaux. Il alimente aussi la corruption de fonctionnaires sous-payés – un garde-côte libyen gagnerait 140 euros par mois –, qui ferment les yeux sur les flux illicites.

Nous connaissons tous les limites de l’opération Sophia, dont la mission est de démanteler le modèle économique des passeurs, mais qui se heurte à la réalité, c’est-à-dire à l’impossibilité, pour ses bâtiments, d’entrer dans les eaux territoriales libyennes. En haute mer, ils font surtout de la surveillance et des sauvetages et, malgré eux, le jeu des passeurs. La mission Sophia a dû ramener en Italie quelque 45 000 migrants.

Il y aurait à ce jour environ 700 000 migrants en Libye. Le sort épouvantable qu’ils subissent dans les centres de détention est connu, notamment grâce aux rapports des ONG. Les centres de ce type seraient au nombre d’une soixantaine, la moitié étant sous contrôle du gouvernement d’entente nationale, les autres aux mains des milices. Je vous épargne l’énumération des graves violations des droits humains dont ces migrants sont victimes : privations, travail forcé, viols, tortures, etc. Certains sont même revendus aux réseaux de traite qui prospèrent dans le pays.

L’action menée, notamment via les garde-côtes, a entraîné une baisse spectaculaire des départs. En 2017, le nombre de traversées sur la route de la Méditerranée a diminué d’un tiers par rapport à 2016, passant de 180 000 à 119 000. Sur les cinq premiers mois de cette année, ce chiffre tend à baisser encore plus, puisque le nombre de traversées a été ramené à 13 500.

Cette stabilisation n’en reste pas moins très fragile et dépendante, à la fois, du processus politique en Libye et de la lutte contre les réseaux de passeurs, notamment les têtes de réseaux. L’adoption de sanctions individuelles par le Conseil de sécurité des Nations unies contre des trafiquants de haut niveau est une première avancée. Les mandats d’arrêt émis en mars dernier par la justice libyenne contre 200 trafiquants de migrants, libyens et étrangers, vont aussi dans le bon sens. Mais il faut faire plus, notamment en s’attaquant aux flux financiers considérables qui émanent de ce trafic et qui transitent par l’étranger. La solution de long terme est naturellement de tarir le flux migratoire en amont.

Je terminerai en rappelant que la France contribue largement à la stabilisation de la région sahélienne en conduisant et en finançant, seule, l’opération Barkhane, avec 4 500 soldats déployés dans cinq pays – le Mali, le Niger, le Tchad, le Burkina Faso, la Mauritanie –, et en agissant pour la sécurité, et donc le développement. Il faut, je le crois, rendre hommage à ces soldats.

Selon les projections de l’ONU, l’Afrique comptera 2,4 milliards d’habitants en 2050, contre 1,3 milliard aujourd’hui. Si elle ne met pas en place un plan d’aide au développement de grande ampleur pour retenir les migrants, l’Europe risque de ne pas pouvoir surmonter la crise.

La question migratoire pourrait déterminer, mes chers collègues, l’avenir de l’Europe, dont elle remet en cause le modèle politique, économique et social. Pour Angela Merkel, cette crise est un test définitif pour l’avenir de l’Europe. Elle rejoint sur ce point le président du groupe Les Républicains, Bruno Retailleau, qui déclarait à la fin juin que, « sur la crise des migrants, l’Europe joue son destin ».

Mes chers collègues, nous sommes bien loin de la convention technique avec l’Autriche qui nous est soumise et que nous approuverons par notre vote, mais ces questions migratoires sont essentielles pour nos concitoyens. Le groupe Les Républicains participera très activement aux débats qui y seront consacrés. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et au banc des commissions.)