compte rendu intégral

Présidence de M. Jean-Marc Gabouty

vice-président

Secrétaires :

Mme Jacky Deromedi,

M. Joël Guerriau.

M. le président. La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à dix heures trente.)

1

Procès-verbal

M. le président. Le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué.

Il n’y a pas d’observation ?…

Le procès-verbal est adopté sous les réserves d’usage.

2

 
Dossier législatif : projet de loi autorisant l'approbation de l'accord entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement fédéral autrichien relatif à la réadmission des personnes en situation irrégulière
Discussion générale (suite)

Accord avec l'Autriche sur la réadmission des personnes en situation irrégulière

Adoption définitive d’un projet de loi dans le texte de la commission

M. le président. L’ordre du jour appelle la discussion du projet de loi, adopté par l’Assemblée nationale, autorisant l’approbation de l’accord entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement fédéral autrichien relatif à la réadmission des personnes en situation irrégulière (projet n° 507, texte de la commission n° 654, rapport n° 653).

Dans la discussion générale, la parole est à M. le secrétaire d’État.

Discussion générale (début)
Dossier législatif : projet de loi autorisant l'approbation de l'accord entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement fédéral autrichien relatif à la réadmission des personnes en situation irrégulière
Article unique

M. Jean-Baptiste Lemoyne, secrétaire dÉtat auprès du ministre de lEurope et des affaires étrangères. Monsieur le président, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, mes chers amis – j’ose –, nous voici réunis ce matin pour examiner ce projet de loi autorisant l’approbation d’un accord bilatéral entre la France et l’Autriche relatif à la réadmission des personnes en situation irrégulière.

Nous discutons d’un texte – j’ai évidemment bien suivi les travaux de la commission –, mais aussi d’un contexte, qui est évoqué dans le rapport.

Sans préjuger d’un débat sur les enjeux migratoires en général que la commission a appelé de ses vœux, et dont elle a demandé l’inscription à l’ordre du jour de cet automne, je dirai quelques mots de ce texte, avant de parler du contexte.

Cet accord a été négocié et signé en 2007, puis actualisé en 2014 – ce travail, vous le voyez, a traversé les majorités et les gouvernements –, afin d’être adapté à l’état du droit communautaire. L’accord qui liait auparavant la France et l’Autriche datait de 1962 ; il fallait tenir compte d’un certain nombre d’évolutions du cadre communautaire.

Cet accord va rejoindre une liste riche d’une cinquantaine d’accords de réadmission dont la France est d’ores et déjà signataire, dont une vingtaine avec des États membres de l’Union européenne, comme l’Allemagne, l’Espagne, le Portugal ou encore la Suède. Cet accord n’a donc rien d’exceptionnel.

Il faut l’envisager au regard de l’évolution du droit communautaire, qui prévaut en tout état de cause, et en particulier du règlement de Dublin et de la directive Retour.

Cet accord avec l’Autriche couvre plusieurs cas de figure.

Premier cas de figure, l’accord oblige chaque partie, c’est-à-dire la France et l’Autriche, à réadmettre ses propres ressortissants qui se trouveraient en situation irrégulière sur le territoire de l’autre partie. Compte tenu des règles de libre circulation, ces cas sont très rares ; ils ont trait, pour la plupart, à des peines d’interdiction de séjour prononcées en complément de peines criminelles ou correctionnelles, ou à des mesures d’expulsion justifiées par des motifs sérieux tenant à l’ordre ou à la sécurité publics. Votre rapporteur le souligne dans son rapport, de tels cas sont très peu nombreux – ces trois dernières années, sept Autrichiens seulement ont fait l’objet d’une demande de réadmission pour l’un de ces motifs.

Deuxième cas de figure, l’accord permet à la France et à l’Autriche de réadmettre des ressortissants de pays tiers, c’est-à-dire des citoyens de pays n’appartenant pas à l’espace Schengen, lorsqu’ils ont séjourné sur ou transité par leur territoire avant de se rendre sur le territoire de l’autre partie.

Nous sommes là dans le cadre des dérogations prévues par la directive Retour adoptée en 2008 : un cadre balisé, donc.

Il faut avoir en tête que, depuis 2015, la France a saisi l’Autriche d’une quarantaine de demandes de réadmission en moyenne chaque année. Ces demandes concernent principalement des ressortissants afghans, algériens, kosovars et pakistanais. Ce nombre n’a vraisemblablement pas vocation à évoluer de manière significative au cours des prochaines années.

Le troisième et dernier cas de figure prévu par l’accord est celui du transit via la France ou l’Autriche, aussi bien par voie terrestre qu’à l’occasion d’une escale aérienne, d’une personne en cours d’éloignement vers un pays tiers décidé par notre pays ou par l’Autriche.

L’obligation de réadmission qui est inscrite dans l’accord ne vaut bien sûr pas dans les cas suivants : celui des ressortissants d’un État tiers ou des apatrides titulaires d’un titre de séjour ou d’une autorisation de séjour provisoire en cours de validité délivrés par un autre pays de l’espace Schengen ; celui, naturellement, des personnes auxquelles la France ou l’Autriche auraient reconnu le statut de réfugié ou d’apatride ; celui des demandeurs d’asile – dans ce dernier cas, c’est le règlement Dublin III qui prévaut, et il permet déjà le transfert des demandeurs dans l’État membre responsable de leur demande d’asile, autrement dit le pays dans lequel ils ont été préalablement enregistrés.

L’accord fixe de manière précise, tout au long de ses articles, qui sont complétés par un protocole d’application, les règles procédurales qui régissent ces réadmissions, mais également les garanties de droit relatives à l’établissement de l’état civil et de la nationalité des personnes concernées ainsi qu’à la protection des données à caractère personnel échangées dans le cadre de ces procédures – ce dernier point est très important ; c’est d’ailleurs à ce titre, en vertu de l’article 53 de la Constitution, que l’accord est soumis à l’approbation parlementaire.

Ce texte vise donc principalement à actualiser un accord très ancien pour le mettre en conformité avec le droit européen.

J’ajoute que notre partenaire autrichien a notifié à la France l’achèvement de sa procédure interne, qui, elle, ne passait pas par le Parlement, le 17 septembre 2015, il y a donc maintenant presque trois ans.

J’ai bien entendu, d’ailleurs, les interrogations de la commission sur le temps mis par la partie française pour approuver un certain nombre d’accords de ce type. Il est vrai que le protocole actualisant l’accord a été signé en 2014 et que le projet de loi a été élaboré sous le précédent gouvernement ; or ce n’est qu’aujourd’hui que nous sommes amenés à en débattre dans cet hémicycle. Nous avons donc peut-être, en effet, à nous pencher, collectivement, sur les voies et moyens pour réduire les délais permettant l’approbation de tels accords.

Un petit mot sur le contexte.

Tout cela s’inscrit en effet dans un contexte marqué, sinon par l’irruption, du moins par la mise sur le devant de la scène du sujet migratoire, alors même que, depuis 2015, le contexte a énormément évolué. Les flux de migration, qu’ils viennent de la Méditerranée centrale ou de la Méditerranée orientale, ont été considérablement réduits ; un très important travail de stabilisation a d’ailleurs été accompli par de nombreux États, en partenariat avec des autorités des pays de la rive sud de la Méditerranée.

La situation a néanmoins conduit le Conseil européen à être saisi de cette question. Souvenez-vous, il y a un mois – ce mois nous semble un siècle, tant le temps s’accélère –, nous étions tous très préoccupés s’agissant de la capacité de l’Europe à répondre ou non à un certain nombre de défis qu’elle a en commun avec l’Afrique. Car, ne nous y trompons pas : en matière migratoire, le destin de l’Europe et celui du continent africain sont totalement liés. Nous réussirons ensemble, ou bien nous échouerons ensemble.

C’est d’ailleurs pour cette raison que la France porte une voix ambitieuse en faveur d’un véritable partenariat eurafricain, ne négligeant aucune dimension – il n’y a pas de réponse unique, mais toute une palette de solutions. L’aide publique au développement, notamment, doit être toujours plus importante et, surtout, toujours plus opérationnelle ; elle doit se déployer plus rapidement sur le terrain.

Cette palette comprend également, par exemple, les procédures que nous souhaitons mettre en place dans le cadre de l’Alliance pour le Sahel, afin d’obtenir des résultats concrets, visibles, et, surtout, afin d’apporter des réponses à tous ces jeunes qui, loin de prendre les routes de la liberté, empruntent bel et bien, comme le dit le Président de la République, celles de la nécessité – il faut appeler les choses par leur nom : ces routes sont parfois de véritables traversées de la mort.

La France s’honore donc de mettre en œuvre un certain nombre de programmes avec le HCR, le Haut-Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés, ou avec l’OIM, l’Organisation internationale pour les migrations, afin de faire en sorte que nous puissions, au Niger ou au Tchad même, identifier des personnes qui relèveraient du droit d’asile pour les acheminer directement, dès lors qu’il est avéré qu’elles sont éligibles à ce régime. Un certain nombre de missions sont donc conduites.

Vous le voyez, la France mène une politique empreinte d’humanité, mais également de fermeté, dès lors qu’il s’agit de respecter les cadres légaux existants. À ce titre, nous sommes bien sûr très engagés, avec nos partenaires européens, dans le renforcement de l’efficacité et des moyens d’un outil comme FRONTEX, dont la montée en puissance est indispensable si nous voulons être au rendez-vous de la situation.

Voilà pour les quelques mots rapides que je souhaitais consacrer au contexte. Nous pouvons d’ores et déjà nous féliciter de notre capacité, sur ce débat qui déchaîne parfois les passions, à faire ce qu’il faudrait toujours faire, c’est-à-dire en revenir aux faits, à la raison, à des solutions pragmatiques, concrètes, permettant de préserver à la fois la dignité des êtres humains et, naturellement, la souveraineté, que celle-ci soit nationale ou européenne.

Je sais, mesdames, messieurs les sénateurs, que l’examen de ce projet de loi d’approbation sera prolongé dans les prochains mois par d’autres débats, soit au sein de votre commission soit dans l’hémicycle. Monsieur le rapporteur, soyez remercié pour le travail accompli. Nous arrivons au terme d’un processus dont l’achèvement n’a que trop tardé – cela fait onze ans que l’ouvrage est sur le métier, mesdames, messieurs les sénateurs ! (Applaudissements sur les travées du groupe La République En Marche et du groupe Union Centriste. – M. le rapporteur et M. Robert del Picchia, vice-président de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, applaudissent également.)

M. le président. La parole est à M. le rapporteur.

M. René Danesi, rapporteur de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, comme vient de l’indiquer M. le secrétaire d’État, le projet de loi que nous examinons ce matin est avant tout technique.

L’accord en vigueur qui lie nos deux pays depuis 1962 ne concerne qu’un très faible nombre de personnes. En effet, au cours des trois dernières années, la France n’a saisi l’Autriche que d’une quarantaine de demandes de réadmission en moyenne chaque année, et ce nombre n’a pas vocation à évoluer de manière significative dans les années à venir.

La commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées avait donc proposé un examen en forme simplifiée. Deux présidents de groupe ont toutefois demandé le retour à la procédure normale, davantage, supposé-je, pour pouvoir débattre en séance publique du contexte politique que pour discuter de l’accord lui-même, lequel a d’ailleurs été adopté à une très large majorité en commission.

Je rappelle, à cet égard, que l’accord soumis à notre examen a été signé le 30 octobre 2014. Il a été approuvé par l’Autriche dès 2015. Ce pays était alors gouverné par une coalition dirigée par les sociaux-démocrates. Le retard pris par notre gouvernement pour inscrire ce texte à l’ordre du jour de notre assemblée, retard que je déplore, n’est donc pas sans conséquence. En effet, son examen a lieu dans un contexte politique totalement différent de celui qui prévalait au moment de la signature de l’accord ; il est aujourd’hui, bien entendu, très difficile de s’abstraire de ce nouveau contexte.

M. René Danesi, rapporteur. Ce contexte, nous le connaissons : celui de populations fuyant leur pays et d’une Autriche qui se situe sur la route migratoire de l’Europe centrale.

Au cours des trois dernières années, ce pays de 8 750 000 habitants a enregistré 148 000 primo-demandes d’asile, contre 238 000 pour la France. L’Autriche a accordé le statut de réfugié à plus de 83 000 personnes. À titre de comparaison, la France, qui est huit fois plus peuplée, a accordé ce statut à 102 000 réfugiés au cours de la même période.

Mme Hélène Conway-Mouret. Les chiffres parlent !

M. René Danesi, rapporteur. L’Autriche est aujourd’hui l’un des États de l’Union européenne qui, proportionnellement à la taille de sa population, a accueilli le plus d’immigrés.

Chacun connaît également le résultat des élections législatives autrichiennes d’octobre dernier, dont l’immigration a été le thème central. Lors de la campagne, les partis de la coalition aujourd’hui au pouvoir avaient proposé de durcir les conditions d’accueil et d’asile, ainsi que la politique de retour. Mais, je tiens à le souligner, ils n’ont pas affiché dans leurs programmes la volonté de revenir sur les engagements européens de l’Autriche en matière d’accueil de migrants.

Ce dont nos collègues souhaitent débattre ce matin concerne donc essentiellement, je le suppose, les récentes propositions du nouveau chancelier, M. Sebastian Kurz.

L’Autriche assure en effet la présidence de l’Union européenne pour le second semestre 2018. Dans une note confidentielle révélée par la presse, Vienne a détaillé ses propositions aux États membres. Elle y préconise notamment la mise en place d’un nouveau système qui empêcherait tout dépôt de demande d’asile sur le sol européen. Les demandes seraient dès lors traitées dans des centres établis hors de l’Union. En outre, Vienne propose de limiter le droit d’asile aux personnes respectant les valeurs et les droits fondamentaux de l’Union européenne, sans toutefois définir clairement ce critère.

Le 5 juillet dernier, la commission des affaires européennes du Sénat, dont je suis également membre, a auditionné l’ambassadeur d’Autriche en France. Celui-ci a confirmé l’existence de cette note. Son Excellence Walter Grahammer a précisé qu’« une présidence n’a pas vocation à imposer ses idées, mais à trouver un dénominateur commun pour dégager une majorité ».

Après les tergiversations européennes autour de l’accueil de l’Aquarius, le dernier Conseil européen a adopté une position commune.

D’une part, le Conseil prévoit la création de « plateformes régionales de débarquement », en dehors de l’Union. Celles-ci seraient probablement situées en Afrique du Nord, où les situations des migrants seraient étudiées. Le Maroc et la Tunisie ont d’ores et déjà annoncé leur refus d’implanter une telle plateforme sur leur territoire. L’Italie suggère d’en installer une en Libye, pays qui peine à reconstruire un État.

D’autre part, le Conseil prévoit l’ouverture, sur une base volontaire, de centres contrôlés établis dans les États membres. Ces centres permettraient de séparer les réfugiés éligibles à la protection internationale des migrants économiques devant être rapatriés. La Commission européenne vient d’annoncer qu’elle prendra en charge le coût de ces centres contrôlés.

La question migratoire et sa gestion européenne sont devenues des enjeux essentiels pour l’Union européenne, et ils menacent de la diviser. Ces enjeux seront immanquablement au cœur des échéances électorales de l’an prochain. C’est pourquoi notre commission des affaires étrangères a demandé au président du Sénat, conjointement avec la commission des affaires européennes, la tenue d’un débat en séance publique sur ce sujet dès le début du mois d’octobre.

Mais – je le répète – tel n’est pas l’objet du texte que nous examinons ce matin, dont la portée est beaucoup plus limitée.

Premièrement, ce nouvel accord oblige chaque partie à réadmettre ses propres ressortissants se trouvant en situation irrégulière sur le territoire de l’autre partie. Ces cas sont très marginaux.

Deuxièmement, l’accord oblige les parties, la France et l’Autriche, à réadmettre des citoyens de pays n’appartenant pas à l’espace Schengen lorsqu’ils ont séjourné sur ou transité par le territoire de l’une avant d’entrer sur le territoire de l’autre. Là encore, le nombre de demandes formulées est faible.

Troisièmement, l’accord encadre le transit via la France ou l’Autriche, aussi bien par voie terrestre qu’à l’occasion d’une escale aérienne, d’une personne en cours d’éloignement vers un pays tiers décidé par notre pays ou par l’autre partie.

Les stipulations de cet accord franco-autrichien sont donc similaires à celles des accords de même nature conclus ces dernières années – de telles stipulations sont toujours très encadrées par le droit européen. Elles fixent de manière précise les règles procédurales qui régissent la réadmission de personnes en situation irrégulière. Elles mentionnent les garanties de droit relatives à l’établissement de l’état civil et de la nationalité des personnes concernées ainsi qu’à la protection des données à caractère personnel échangées dans le cadre des procédures de réadmission. Elles encadrent les prérogatives des éventuelles escortes policières.

Il s’agit donc d’un texte à la portée limitée ; il ne concerne ni les apatrides, ni les réfugiés, ni les demandeurs d’asile, qui sont soumis à des règles spécifiques. Le principal objectif est d’actualiser l’accord de 1962, pour le mettre en conformité avec le droit européen.

En conséquence, pour l’ensemble des raisons que je viens d’exposer, la commission préconise l’adoption de ce projet de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, du groupe Union Centriste, du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen, du groupe La République En Marche et du groupe socialiste et républicain.)

M. le président. La parole est à M. André Gattolin.

M. André Gattolin. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, le projet de loi sur lequel nous sommes invités à nous prononcer aujourd’hui vient clore la renégociation d’un accord bilatéral entre la France et l’Autriche qui a débuté il y a plus de dix ans, en 2007.

Cette révision particulièrement longue s’inspire pourtant du modèle classique de l’accord bilatéral de réadmission – et la France a déjà signé des accords de ce type avec une vingtaine d’autres pays de l’Union européenne.

Côté autrichien, comme cela a été rappelé par M. le secrétaire d’État, cette approbation est intervenue en 2015, soit bien avant l’arrivée au pouvoir de l’actuel gouvernement de coalition formé par les conservateurs avec le parti d’extrême droite FPÖ, ou Parti de la liberté d’Autriche.

J’évoquerai cet accord en quelques mots seulement – il ne pose pas, à mon sens, de difficultés notables.

Notre rapporteur, René Danesi, l’a dit : ce texte a une portée très marginale ; chaque année, en effet, seules quelques dizaines de personnes sont concernées et réadmises sur le fondement de ce cadre de coopération franco-autrichienne.

Deux mécanismes sont régis par cet instrument bilatéral.

Le premier consiste dans l’obligation, pour chaque partie, de réadmettre ses ressortissants lorsqu’ils se trouvent en situation irrégulière, du fait d’une mesure d’éloignement, sur le territoire de l’autre partie. Seuls sept Autrichiens ont été renvoyés par ce biais au cours des trois dernières années.

Le second oblige chaque partie à réadmettre sur son territoire des ressortissants de pays tiers ayant séjourné ou transité sur leur sol avant d’entrer sur le territoire de l’autre partie. La France n’a saisi l’Autriche que d’une quarantaine de demandes de réadmission en moyenne chaque année depuis 2015.

Ce mécanisme s’inscrit comme une exception à la directive Retour de 2008, qui prévoit le retour vers l’État tiers d’origine avec l’accord de ce dernier, et qui demeure le principe applicable.

Cette révision, en outre, a une portée technique : elle s’attache uniquement à rendre conforme au droit européen en vigueur un instrument juridique qui existe depuis 1962, dont les dispositions ont été rendues caduques par l’émergence de l’espace Schengen et par la distinction existant désormais entre citoyens européens et citoyens de pays tiers.

J’en viens maintenant à la situation politique particulière de l’Autriche et, plus précisément, à l’inquiétude qui peut régner autour du gouvernement autrichien formé par la droite et l’extrême droite. Cette dernière, l’extrême droite, dirige en effet d’importants ministères : l’intérieur, la défense et les affaires étrangères.

Et, ces derniers mois, un malaise a pu être alimenté par les propositions formulées en matière migratoire par le chancelier, Sebastian Kurz, alors que Vienne exerce depuis le 1er juillet la présidence du Conseil de l’Union européenne.

Le chancelier autrichien a notamment proposé de créer un « axe des volontaires Rome-Vienne-Berlin » pour établir, en la matière, une ligne dure.

Si cette inquiétude est justifiée, nous ne pouvons pas nous permettre pour autant de la laisser amoindrir ou, pire encore, empoisonner les importantes relations bilatérales que nous entretenons depuis de nombreuses années, et aujourd’hui plus que jamais, avec l’Autriche.

Notre rapporteur, René Danesi, a évoqué l’audition que nous avons réalisée de l’ambassadeur d’Autriche à Paris, M. Walter Grahammer. Celui-ci a réaffirmé devant nous, le 5 juillet dernier, la volonté de l’Autriche de s’inscrire dans le cadre des institutions européennes et de ses valeurs et de respecter les principes de l’État de droit.

Nous verrons ce qu’il en est ; en tout cas, cette assurance nous a été donnée. J’ai d’ailleurs eu l’occasion d’entendre cet engagement répété par le même ambassadeur lorsque nous l’avons invité au Sénat, dès le lendemain, dans le cadre des petits-déjeuners du Mouvement européen. Il s’est soumis avec une très grande clarté au jeu des questions des quelque soixante-dix invités qui y participaient.

Nous le savons, les négociations au niveau européen ont souvent à composer avec des priorités et des objectifs divergents ; mais les intérêts et les enjeux sous-jacents, eux, restent communs.

N’oublions pas non plus que, en 2015, année record en matière de mouvements migratoires vers l’Union européenne, l’Autriche a été le deuxième pays européen à accueillir le plus de demandeurs d’asile proportionnellement à sa population. Elle a reçu, cette année-là, plus de 88 000 demandes d’asile, répondant positivement à plus de 35 000 d’entre elles. Comme l’a rappelé notre rapporteur, ce chiffre est, au regard de l’action d’autres pays, y compris de la France, particulièrement élevé.

À plusieurs reprises, le chancelier Kurz a réaffirmé son attachement résolu aux valeurs européennes et démocratiques, mais aussi au projet européen, comme le confirme d’ailleurs le contrat de gouvernement conclu par les partis politiques de la coalition.

Le chancelier autrichien a également fait le choix politique de détacher les affaires européennes du ministère des affaires étrangères, dirigé par un ministre d’extrême droite, pour les rattacher directement à lui.

Et – il faut le dire –, sur plusieurs grands dossiers européens, qu’il s’agisse de la lutte contre le réchauffement climatique, des questions environnementales, de l’imposition de l’économie numérique ou de la très belle initiative concernant le calcul à haute performance, l’Autriche est un partenaire sur lequel nous savons pouvoir compter.

C’est dans cet esprit, refusant toute approche ostracisante, que le groupe La République En Marche soutient le gouvernement français, afin qu’il maintienne un dialogue constructif avec l’Autriche, qui se trouve au carrefour de l’Europe.

Ce dialogue est indispensable pour connaître, comprendre et convaincre, d’autant plus lorsque les négociations sont difficiles. Il est tout aussi essentiel pour opérer une refonte profonde du projet européen et construire une Europe ambitieuse et protectrice.

Pour toutes ces raisons, et parce qu’il apparaîtrait incompréhensible de sanctionner l’adoption de ce projet de loi d’approbation de l’accord, le groupe La République En Marche votera en faveur de ce texte. (M. le rapporteur, ainsi que MM. Philippe Bonnecarrère et Olivier Cadic applaudissent.)

M. le président. La parole est à M. Fabien Gay.

M. Fabien Gay. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, depuis 1962, la France et l’Autriche sont liées par un accord de réadmission. Cela a été dit, la convention de 2007 a dû être révisée en 2014, car elle contrevenait à nouveau au droit européen.

Nous sommes donc en présence d’un texte purement technique. Cette vision, promue et partagée à l’Assemblée nationale tout comme en commission des affaires étrangères et de la défense du Sénat, déconnecte le contenu du texte du contexte dans lequel il s’inscrit.

Si nous avons voulu, avec d’autres collègues, demander un débat sur cette convention, c’est bien parce qu’il nous apparaît impossible de faire comme si cet accord flottait au-dessus de la réalité, c’est-à-dire de la situation particulièrement préoccupante, à Vienne et, plus largement, en Europe.

Il est tout aussi vrai que, jusqu’ici, l’accord de réadmission franco-autrichien a concerné peu de personnes, au maximum une cinquantaine par an. Il ne s’agit donc pas de surestimer la portée de cette convention.

Toutefois, la situation autrichienne a changé. Alors que, proportionnellement, l’Autriche a davantage été un pays d’accueil que la France depuis 2015, les élections législatives d’octobre dernier rebattent forcément les cartes. Comme le rappelait le rapporteur de l’Assemblée nationale, Vienne a terminé la procédure de ratification dès 2015. Cela confère une responsabilité supplémentaire à la France pour assurer la sécurité des réfugiés.

Il faut le rappeler, la coalition entre l’ÖVP et le FPÖ montre déjà ses premiers effets : élargissement de la liste des pays « sûrs », remplacement des allocations et aides financières par des aides en nature, baisse desdites aides, augmentation du nombre d’expulsions…

La présidence tournante du Conseil de l’Union européenne attribuée à l’Autriche participe pleinement du renfermement de l’Europe sur elle-même. C’est sur tout le continent que les poussées conservatrices et/ou xénophobes s’opèrent : en Autriche, mais aussi en Italie, en Hongrie, en Slovaquie, en Pologne, en Finlande, en Bulgarie, en Allemagne… L’Europe est, une nouvelle fois, au bord du gouffre !

Alors que, en à peine trois ans, 15 000 êtres humains sont morts en tentant de traverser la Méditerranée, l’Europe se constitue en forteresse, à rebours des idéaux de Robert Schuman et du sens des responsabilités qui devrait prévaloir.

Combien d’États européens ont une part de responsabilité dans le retard de développement des pays de départ de certains migrants ? Combien d’États européens interviennent activement dans des opérations militaires sur zone ?

L’opposition stérile entre les réfugiés quittant une zone de conflit et les autres n’honore pas celles et ceux qui l’entretiennent. Faut-il rappeler quelques exemples montrant l’indécence d’une telle attitude ? Le Cameroun a adopté en 2014 une loi antiterroriste condamnant à mort tout auteur « d’acte ou menace susceptibles d’occasionner des dommages matériels dans l’intention de perturber le fonctionnement normal des services publics ». En Mauritanie, on compte près de 300 000 esclaves modernes, Haratins et Bidhans, destinés à la traite locale ou à la vente dans les pays du Golfe. Au total, chaque année, 16 millions de personnes meurent de faim ou de soif sur la planète, tandis que 3,5 millions décèdent de maladies dont les remèdes sont parfaitement connus.

Faut-il dès lors s’étonner que près de 200 000 personnes tentent chaque année de fuir leur sinistre destin en rejoignant les terres européennes ? Il en est ainsi de l’ensemble des migrations recensées dans l’histoire, hormis les vagues de colonisation.

Ces quelques éléments paraissent aller de soi, mais la teneur des débats qui se développent dans l’ensemble de l’Europe oblige à rappeler l’évidence.

Les discussions et les conclusions du sommet européen sur l’immigration sont profondément marquées par le regain de vitalité réactionnaire que j’évoquais. L’accord du 28 juin dernier prévoit ainsi, au mépris de la sécurité des réfugiés, la création de « centres contrôlés » et de « plateformes de débarquement » censés dissuader les traversées de la Méditerranée au départ de pays tiers.

Certains imaginent déjà la Libye ou l’Irak contenir leurs candidats au départ dans des camps situés en front de mer. Ces mêmes personnes semblent fermer les yeux sur la situation, dénoncée par l’ONU, dans les centres de rétention déjà mis en œuvre dans certains pays, où viols, tortures, actes de traite et trafics sont devenus monnaie courante.

Il y a le fond, mais aussi la forme. Les propos viennois parlant de réfugiés « peu ou pas éduqués, les empêchant de vivre dans des sociétés ouvertes », justifiant « qu’aucune demande d’asile ne soit déposée sur le sol européen » rappellent des propos tenus il y a quatre-vingts ans par certains diplomates européens « effarés de voir le mauvais genre des réfugiés »… Et quand une ministre française se permet de dire que les centres créés par l’accord du 28 juin seront non pas des centres fermés, mais des centres dont les migrants ne pourront pas sortir, on se dit que l’on marche sur la tête !

Il y a donc une vraie réflexion à mener sur la coopération européenne et bilatérale en matière d’immigration. Aujourd’hui, la forteresse européenne que j’évoquais s’articule à tous les échelons, dans un déni d’humanité absolu. À l’intérieur même de l’Union européenne, la libre circulation ne concerne, semble-t-il, que les capitaux et les marchandises extra-européens.

À ce titre, les règlements de Dublin, qui font reposer tout le poids de l’accueil sur les pays d’entrée, ne sont pas satisfaisants. À l’extérieur, l’accord du 28 juin n’est qu’une nouvelle étape dans la politique de dissuasion et d’empêchement des réfugiés, qui sonne dès lors comme une politique d’abandon.

Au vu du contexte, il nous est impossible d’approuver cette convention. Toutefois, comme je l’ai dit, surestimer la portée de celle-ci serait une erreur et risquerait de réduire l’importance du débat que nous devrons avoir à la rentrée. Dans ces conditions, nous nous abstiendrons. (Applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.)