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Communication relative à deux commissions mixtes paritaires

Mme la présidente. J’informe le Sénat que la commission mixte paritaire chargée d’élaborer un texte sur le projet de loi de finances rectificative pour 2018 n’est pas parvenue à l’adoption d’un texte commun.

Je l’informe également que la commission mixte paritaire chargée d’élaborer un texte sur le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2019 n’est pas parvenue à l’adoption d’un texte commun.

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Candidatures à des commissions

Mme la présidente. J’informe le Sénat que des candidatures pour siéger au sein de trois commissions ont été publiées.

Ces candidatures seront ratifiées si la présidence n’a pas reçu d’opposition dans le délai d’une heure prévu par notre règlement.

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Conditions de mise en œuvre de l’Accord économique et commercial global (CETA)

Débat organisé à la demande du groupe communiste républicain citoyen et écologiste

Mme la présidente. L’ordre du jour appelle le débat, organisé à la demande du groupe communiste républicain citoyen et écologiste, sur les conditions de mise en œuvre de l’accord économique et commercial global, ou CETA.

Nous allons procéder au débat sous la forme d’une série de questions-réponses dont les modalités ont été fixées par la conférence des présidents.

Je rappelle que l’auteur du débat disposera d’un temps de parole de huit minutes, y compris la réplique, puis le Gouvernement répondra pour une durée équivalente.

Dans le débat, la parole est à M. Fabien Gay, pour le groupe auteur de la demande.

M. Fabien Gay, pour le groupe communiste républicain citoyen et écologiste. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, mon groupe a souhaité ce débat sur les conditions de la mise en œuvre du CETA, ce traité de libre-échange conclu entre l’Union européenne et le Canada, pour une raison, somme toute, assez simple : il règne une grande opacité autour de ce traité de nouvelle génération ; opacité dans sa négociation, dans sa mise en œuvre, quant à ses effets et, enfin, dans l’échéance de sa ratification.

Effectivement, ce traité n’est pas un accord commercial comme un autre. Il ne se contente pas, pour faciliter les échanges, de diminuer puis de faire disparaître les droits de douane – ce qu’on appelle les barrières tarifaires. Non, son enjeu majeur est de viser également à amoindrir toutes les entraves existantes au commerce, même lorsqu’est en jeu l’intérêt général, avec notamment nos services publics, notre santé et l’environnement. C’est ce que l’on appelle les barrières non tarifaires.

Ce débat devient urgent, car de nouveaux traités sont en préparation, avec Singapour, le Mercosur, le Vietnam, l’Indonésie, ou encore le Japon – le JEFTA ; il y en a quinze sur la table. Or, pour débattre en toute connaissance de cause, nous avons besoin d’études d’impact sérieuses sur ce type de traités, dont nous ne connaissons pas encore suffisamment les effets.

Je parlais d’opacité ; le CETA a été négocié à Bruxelles, au troisième sous-sol, par la Commission européenne de 2006 à 2014. Même si, depuis lors, nous avons gagné en transparence sur les mandats de négociation, avec notamment leur publication sur le site du Parlement européen,…

M. Jean-Baptiste Lemoyne, secrétaire dÉtat auprès du ministre de lEurope et des affaires étrangères. Tout à fait !

M. Fabien Gay. … et, même si l’Union européenne a toute compétence pour ces négociations depuis le traité de Lisbonne, la question de l’association des parlements nationaux reste, selon nous, un enjeu majeur.

Le CETA, signé le 30 octobre 2016, est entré en vigueur de manière provisoire le 21 septembre 2017 pour sa partie relative aux barrières tarifaires. Nous devions nous prononcer sur la question des barrières non tarifaires, car celles-ci modifient profondément les législations européenne et nationale. Or comment serait-il possible d’appliquer un accord sur la partie tarifaire sans que la partie non tarifaire en soit affectée ?

Par exemple, nous venons d’adopter la loi du 30 octobre 2018 pour l’équilibre des relations commerciales dans le secteur agricole et alimentaire et une alimentation saine, durable et accessible à tous, dont les mesures restent pourtant, selon nous, assez timides, au travers de laquelle nous demandons à nos agriculteurs un mieux-disant social et environnemental. Or, du côté canadien, les experts insistent sur l’absence de garanties concernant les farines animales, les antibiotiques comme activateurs de croissance, l’étiquetage des produits contenant des OGM et le type et les niveaux de pesticides autorisés. Le Canada autorise encore quarante-six substances actives qui ont été interdites depuis longtemps dans les autres pays.

On nous objectera, monsieur le secrétaire d’État, que les quotas d’importation de viande de bœuf – 35 000 tonnes – et de porc – 75 000 tonnes – ne sont pas atteints, mais ce n’est en rien surprenant, les hormones étant autorisées dans l’élevage au Canada ; la mise en place d’une filière sans hormones, destinée à l’export, prend du temps. Pour autant, « sans hormones » ne signifie pas sans antibiotiques ni sans mauvais traitements. De plus, l’Union européenne et le Canada ne sont pas d’accord sur la reconnaissance automatique de leurs standards phytosanitaires. Enfin, les contingents canadiens atteindront leur plein potentiel en 2023, conformément à cet accord.

Il s’agit d’une concurrence déloyale pour notre agriculture et de la mort, à terme, de notre agriculture paysanne. Vous le savez, il est impossible de préciser sur l’étiquette si le bœuf est ou non traité aux hormones. Comment savoir, par exemple, si le saumon nourri aux OGM de la société AquaBounty ne se retrouvera pas un jour dans nos assiettes ?

Les risques ne sont donc pas écartés, et nous ne pouvons pas ne pas les évoquer. Nous parlons de risques, mais le climat est le grand oublié de ce traité. Un rapport commandé par les gouvernements prévoyait une hausse des émissions de gaz à effet de serre, du fait de l’augmentation de 7 % du trafic maritime entre l’Europe et le Canada, et de la promotion des investissements dans des industries polluantes, telles que celle du pétrole issu des sables bitumineux. Sommes-nous donc toujours coincés dans la logique « pas chez moi, mais ailleurs, pas de problème, allez-y, polluez ! » ? Nous bannissons ou nous atténuons ici des pratiques pour les encourager ailleurs, en les cautionnant par l’importation !

Alors que les émissions de gaz à effet de serre ont de nouveau augmenté en 2017, de 3,2 %, nous voudrions poursuivre ce mouvement destructeur ? Cela n’a absolument aucun sens.

Nous n’avons pas non plus de nouvelles concernant le veto climatique annoncé voilà un an.

Bref, les incohérences sont flagrantes, sans parler de l’actualité, comme le forage offshore ou le projet Montagne d’or en Guyane. Votre slogan, c’est définitivement : « Make our business great again ».

Mes chers collègues, je m’adresse maintenant à vous ; jusqu’à quand allons-nous laisser l’exécutif nier aux parlementaires le droit de se prononcer sur le CETA ? Ce traité a été ratifié du côté canadien et par le Parlement européen. Chacun des États membres devait ensuite le ratifier, ce qu’ont fait la Lituanie, la Lettonie, le Danemark, la Croatie et le Portugal. En France, la ratification devait intervenir un an après la mise en œuvre provisoire. Nous y sommes, et pourtant aucune date à l’horizon !

Même situation en Italie, où le Gouvernement avait indiqué son opposition au traité. Pour autant, il tarde, sous la pression de l’Union européenne, à le soumettre à ratification. Est-ce pour cette raison, monsieur le secrétaire d’État, que nous n’avons pas encore eu à nous prononcer ? Pour laisser le temps au gouvernement italien de trouver les moyens d’approuver ce traité, afin de ne pas compromettre son adoption ? En effet, rappelons-le, il suffit qu’un seul des États membres le rejette pour que cet accord tombe de lui-même. Monsieur le secrétaire d’État, une vraie question : quand aurons-nous la date de la ratification de ce traité ?

J’irai même plus loin, nous, sénateurs du groupe communiste républicain citoyen et écologiste, ainsi que les parlementaires européens communistes, des associations et des citoyens, proposons d’organiser un référendum sur le CETA (Marques de scepticisme sur les travées du groupe Les Républicains.), après une période de débat public et de réelle information des citoyens, qui doivent pouvoir décider en toute connaissance de cause. Un choix qu’il s’agirait de respecter véritablement, contrairement à ce qu’il s’est passé en 2005. Nous proposons même que ce soit l’un des enjeux des prochaines élections européennes, et peut-être, monsieur le secrétaire d’État, pourriez-vous l’inclure dans le clip de propagande gouvernementale que vous diffusez actuellement ? (Sourires sur diverses travées.)

Enfin, je veux terminer sur une question, mes chers collègues, qui peut, je crois, malgré nos différences et nos désaccords, nous réunir. Elle vise les tribunaux d’arbitrage privés, qui seront au-dessus des États et donc de leurs lois, ce qui nous concerne en tant que citoyens, mais aussi en tant que législateur. Allons-nous laisser les multinationales attaquer nos États et nos lois, celles que nous votons ici pour défendre les Françaises et Français, notre agriculture, nos entreprises, notre modèle social ?

L’association Les Amis de la terre a récemment révélé qu’une entreprise canadienne, Vermillon, avait menacé l’État français de poursuites sur le fondement d’un autre accord de protection des investissements pour amoindrir, avec succès, la portée de la loi Hulot sur la fin de l’exploitation des hydrocarbures. Je sais que cette loi a fait débat, mais je suis certain que chacun a à cœur que la décision que nous avons adoptée ne soit pas remise en cause par le pouvoir économique, car cela signifierait la fin du pouvoir politique. La société de demain doit-elle être administrée par les entreprises GAFAM et par les multinationales ? Si c’est le cas, démissionnons et déplaçons l’hémicycle dans leurs conseils d’administration, cela ira plus vite ! Nous vous proposerons, mes chers collègues, de nous opposer ensemble à cette disposition.

Si vous me le permettez, madame la présidente, j’aimerais finir par une citation qui dure quelques secondes.

Mme la présidente. Allez-y, monsieur Gay.

M. Fabien Gay. Elle a cent soixante-dix ans, mais, à mon sens, elle est toujours d’actualité : « En général, de nos jours, le système protecteur est conservateur, tandis que le système du libre-échange est destructeur. Il dissout les anciennes nationalités et pousse à l’extrême l’antagonisme entre la bourgeoisie et le prolétariat. En un mot, le système de la liberté commerciale hâte la révolution sociale. C’est seulement dans ce sens révolutionnaire, messieurs, que je vote en faveur du libre-échange. »

M. André Gattolin. Karl Marx !

M. Fabien Gay. Ces mots sont en effet de Karl Marx, et je les fais miens aujourd’hui. (Applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.)

Mme la présidente. La parole est à M. le secrétaire d’État.

M. Jean-Baptiste Lemoyne, secrétaire dÉtat auprès du ministre de lEurope et des affaires étrangères. Madame la présidente, mesdames, messieurs les sénateurs, merci beaucoup de me donner l’occasion de débattre de nouveau de l’AECG, ou CETA.

Effectivement, nous en avons discuté à plusieurs reprises, que ce soit lors d’auditions au sein des commissions ou dans l’hémicycle du Sénat ou de l’Assemblée nationale, et j’ai envie de dire que vous ne m’aurez pas l’usure ; au contraire. Il y a une volonté intacte de pouvoir conduire à bien ce chantier, qui va très clairement conforter la relation entre la France et le Canada, entre l’Union européenne et le Canada.

Celui qui vous le dit siégeait, voilà quelques années, sur ces travées, et il était déjà extrêmement vigilant par rapport au déroulement des négociations du CETA – nous étions un certain nombre de sénateurs à manifester cette vigilance, cette attention. J’avais eu l’occasion de dire à l’époque – nous étions en 2014 – qu’il ne me semblait pas de bonne méthode que j’apprenne un certain nombre d’éléments non par la Commission européenne, mais par le négociateur québécois ou canadien. On le voit bien, il y avait alors une forme d’asymétrie dans la façon d’associer les parlements nationaux.

Je suis aussi déterminé aujourd’hui que naguère à faire en sorte d’améliorer ces procédures. Un certain nombre d’entre elles ont déjà évolué vers plus de transparence et d’association. J’y reviendrai en détail.

Cet accord a donné l’opportunité au gouvernement français de prendre des engagements en matière de politique commerciale. Nous avons ainsi adopté, le 25 octobre 2017, en réponse à la commission instituée pour évaluer l’impact du CETA, un plan d’action sur la mise en œuvre de cet accord commercial. Il s’agit d’aller vers plus de transparence et de respecter une mise en œuvre exemplaire de cet accord en affirmant une nouvelle ambition climatique dans notre relation avec le Canada.

Par ailleurs, nous voulions également tirer un certain nombre de leçons pour les négociations d’accords commerciaux à venir.

Après une première année d’application provisoire, nous relevons déjà des retombées économiques positives. Nous constatons aussi qu’un certain nombre des craintes que plusieurs d’entre nous redoutaient ne se sont pas réalisées : les exportations françaises de vin ont ainsi augmenté de 5 % et celles de fromage de 8 %. La France profite d’une dynamique très clairement positive.

Si l’on prend le temps d’observer le monde dans son ensemble, au regard du contexte international marqué par les tensions commerciales croissantes et par l’unilatéralisme américain, le Canada est un partenaire important pour la défense du multilatéralisme. Voilà quelques jours, nos amis canadiens accueillaient à Ottawa une conférence sur l’avenir de l’OMC, l’Organisation mondiale du commerce. Vous le savez, nous avons un besoin urgent de moderniser cette instance et de disposer d’outils de régulation effectifs de la mondialisation.

Plus que des accords de libre-échange, ce sont vers des accords de juste-échange que nous devons tendre. Il ne s’agit pas de simples paroles ou de marketing, mais de la réalité : nos sociétés sont naturellement tiraillées par un certain nombre d’inégalités. Nous avons besoin de mettre de l’équité dans le commerce international pour le rendre socialement acceptable.

Vous évoquiez, monsieur Gay, une grande opacité sur la mise en œuvre de ce plan d’action. En sus du processus parlementaire – auditions par les commissions compétentes, débats en séance publique comme ce soir… –, nous réunissons régulièrement le comité de suivi des sujets de politique commerciale. Nous avons d’ailleurs établi un tableau de suivi de chacun des engagements du plan d’action dont la dernière version est disponible sur internet.

Vous pouvez ainsi suivre, action par action, l’état des lieux et constater que nous avons bien avancé sur certains points et qu’il reste encore du travail sur d’autres. Ce tableau est naturellement à la disposition du public, au-delà de la société civile organisée, des ONG, par exemple, et des parlementaires qui participent déjà au comité de suivi stratégique des sujets de politique commerciale.

Je veux évoquer quelques éléments sectoriels. Certaines craintes étaient apparues au sujet des biens agricoles : nous avons obtenu un contingent de 18 500 tonnes de fromage, là où les droits étaient de 245 %. Maintenant qu’un certain nombre des barrières auxquelles ils étaient soumis sont tombées, imaginez quels nouveaux marchés vont pouvoir conquérir le camembert, le Roquefort ou le brie de Meaux, par exemple. Il en va de même pour nos vins et spiritueux.

En ce qui concerne la viande bovine, des chiffres alarmistes circulaient. Entre janvier et août derniers, un peu moins de 500 tonnes ont été exportées depuis le Canada sur un contingent de 45 000 tonnes, soit tout juste 1 % de ce qui était permis. Les Canadiens sont donc loin de saturer les quotas, là où nous les utilisons fort bien.

Dans le domaine des services, cet accord va nous donner l’occasion d’obtenir une meilleure reconnaissance des qualifications et de lever des restrictions d’accès au marché canadien, notamment dans le secteur des communications et des services postaux.

La question des qualifications est importante – je parle sous le contrôle du sénateur Regnard, élu d’Amérique du Nord qui sait quels problèmes peuvent parfois rencontrer nos concitoyens avec certains ordres consulaires au Canada et au Québec. Grâce à cet accord, une dynamique positive va pouvoir s’enclencher, afin de leur faciliter l’exercice de leur profession.

Le CETA permet également de diffuser nos normes et notre modèle français et européen. Par ce traité, le Canada s’est engagé à reconnaître et à protéger notre système d’indication géographique : quarante-deux produits bénéficieront ainsi d’un niveau de protection – jambon de Bayonne, piment d’Espelette, brie de Meaux, reblochon, crottin de Chavignol, huîtres de Marennes-Oléron… Je pourrais citer énormément de produits de vos territoires respectifs, mesdames, messieurs les sénateurs…

M. Christophe Priou. Et le chablis, alors ! (Sourires.)

M. Jean-Baptiste Lemoyne, secrétaire dÉtat. Je range naturellement le chablis dans la catégorie des vins et spiritueux que j’ai déjà évoquée, monsieur le sénateur. (Mêmes mouvements.)

L’administration est totalement mobilisée pour suivre dans le détail la mise en œuvre de cet accord. Si nous n’avons pas assisté à un déferlement de viande canadienne, c’est que le Canada n’est pas outillé pour exporter ces produits vers l’Union européenne. D’ailleurs, nous ne sentons pas d’appétence particulière pour le développement d’une telle filière.

Vous avez évoqué, monsieur Gay, le saumon OGM ou d’autres produits qui ne sont pas autorisés sur notre territoire. Très clairement, l’accord nous permet d’assurer le respect strict de nos normes. Tout produit importé au sein de l’Union européenne doit impérativement être sûr, ne présenter aucun danger pour la santé des consommateurs et respecter les normes dont nous nous sommes dotés, comme l’interdiction de produits OGM.

S’agissant du mécanisme d’interprétation conjoint…

Mme la présidente. Veuillez conclure, monsieur le secrétaire d’État.

M. Jean-Baptiste Lemoyne, secrétaire dÉtat. Nous avons soumis un projet de veto climatique que la Commission européenne a endossé. Je me suis assuré que nos amis canadiens, à travers la voix de leur ministre du commerce – il s’agissait alors de François-Philippe Champagne –, y consentaient. Nous sommes sur la bonne voie.

Nous avons énormément de sujets à évoquer ensemble, mais c’est tout l’enjeu de nos débats et des questions à venir…

M. Fabien Gay. Quid de la date, monsieur le secrétaire d’État ?

M. Jean-Baptiste Lemoyne, secrétaire dÉtat. Nous allons y venir, monsieur Gay. (Sourires.)

Je tenais justement à vous remercier de l’occasion que vous nous donnez de débattre. (Applaudissements sur les travées du groupe La République En Marche, du groupe Les Indépendants – République et Territoires, du groupe Union Centriste et du groupe Les Républicains.)

Débat interactif

Mme la présidente. Je rappelle que chaque orateur peut intervenir pour deux minutes maximum pour présenter sa question, avec une réponse du Gouvernement pour une durée équivalente.

Dans le cas où l’auteur de la question souhaite répliquer, il dispose de trente secondes supplémentaires, à condition que le temps initial de deux minutes n’ait pas été dépassé.

Dans le débat interactif, la parole est à M. Stéphane Artano.

M. Stéphane Artano. Je veux tout d’abord remercier nos amis du groupe CRCE d’avoir pris l’initiative de ce débat qui démontre très clairement, selon moi, le pouvoir qu’exerce la technocratie européenne sur le pouvoir politique. Mais il s’agit d’un autre débat que nous devrons tenir à un autre moment.

Le CETA a été présenté comme ambitieux, ce qu’il est. Il me semble que la Commission européenne a évalué à plus de 600 millions d’euros la valeur des barrières douanières que cet accord faisait tomber au profit des exportateurs.

Vous évoquiez, monsieur le secrétaire d’État, la libéralisation des services. En termes de PIB, on en attend plus de 6 milliards d’euros à l’échelle européenne, ce qui est considérable.

Toutefois, cet optimisme – et je sais le vôtre sincère – n’est pas partagé par tous. Fabien Gay a illustré ce paradoxe français ; j’évoquerai, de mon côté, celui de l’outre-mer, et plus particulièrement de Saint-Pierre-et-Miquelon. Je ne vais pas apporter une touche exotique ce soir…

Saint-Pierre-et-Miquelon est une collectivité, au sens de l’article 74 de la Constitution, associée à l’Union européenne. À ce titre, elle bénéficie de 26 millions d’euros de crédits européens pour son développement et son insertion dans la région.

Vous avez vite compris que la région concernée se résume en grande partie à son plus grand voisin d’Amérique du Nord, situé à moins de trente kilomètres de ses côtes, à savoir le Canada. Or le paradoxe que j’évoquais est qu’à aucun moment la Commission européenne n’a intégré l’archipel dont je suis originaire dans les discussions.

J’ai pourtant essayé pendant onze ans, lorsque je présidais cette collectivité, de créer une porte d’entrée vers l’Europe. Aujourd’hui, on a créé un pont entre le Canada et l’Union européenne, sans voir en Saint-Pierre-et-Miquelon un territoire européen, un territoire français, à proximité du Canada, ce qui est navrant.

La Direction générale du Trésor a rendu un rapport en 2016 dont un certain nombre de préconisations n’ont jamais été traduites dans un plan d’action tel que celui que vous venez d’évoquer, monsieur le secrétaire d’État.

Je pense que le gouvernement français doit assumer le soutien qu’il apporte au CETA et ne surtout pas faire supporter à Saint-Pierre-et-Miquelon la seule responsabilité de faire tomber des barrières douanières qui appartiennent au conseil territorial, compétent en matière d’impôt sur le revenu, d’impôt sur les sociétés et de droits de douane.

Monsieur le secrétaire d’État, j’aimerais savoir si vous êtes prêt à assumer ce soutien au CETA. Allez-vous signer, avec les acteurs locaux, un plan d’action qui permette de préserver Saint-Pierre-et-Miquelon de son voisin canadien ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Indépendants – République et Territoires. – Mme Sophie Primas applaudit également.)

Mme la présidente. La parole est à M. le secrétaire d’État.

M. Jean-Baptiste Lemoyne, secrétaire dÉtat auprès du ministre de lEurope et des affaires étrangères. Vous avez raison, monsieur le sénateur : du fait de son statut de PTOM – les pays et territoires d’outre-mer –, Saint-Pierre-et-Miquelon n’est partie intégrante de l’Union européenne que si les textes le prévoient explicitement et n’a donc pas été inclus dans l’AECG.

La France a obtenu l’inscription dans le texte d’un certain nombre de délais – pouvant aller jusqu’à sept ans – pour la libéralisation des lignes tarifaires concernant les produits de la mer canadiens concurrents.

En 2016, une mission s’était penchée sur l’impact de l’accord sur l’économie de l’archipel. Elle avait conclu que ce dernier était peu exposé aux conséquences du CETA. Nous avons mandaté un certain nombre de nouvelles missions en vue de la réalisation de l’étude d’impact. Nous allons utilement leur demander de s’assurer que les choses n’ont pas évolué. Si de nouveaux éléments devaient être mis à jour, nous les prendrions assurément en compte.

Je peux vous le garantir, à chaque fois que la France et le Canada se parlent, les dossiers propres à Saint-Pierre-et-Miquelon sont systématiquement évoqués.

Vous le savez, nous avons obtenu l’exonération de l’augmentation des frais de scolarité dans les universités canadiennes pour les étudiants français. Il s’agit d’une bonne chose que nous devons nous efforcer de décliner.

Pour avoir assisté à un certain nombre d’entretiens entre le Président la République et le Premier ministre canadien, je peux vous dire que tous les sujets intéressant Saint-Pierre-et-Miquelon sont pris en compte – Annick Girardin y est particulièrement attachée. Nous serons toujours à vos côtés.

Mme la présidente. La parole est à Mme Anne-Catherine Loisier.

Mme Anne-Catherine Loisier. Comme cela a été dit, il convient aujourd’hui de tirer tous les premiers enseignements de la mise en œuvre du CETA.

Si les exportations vers le Canada sont globalement en hausse, notamment le chocolat belge, le jambon italien, mais aussi les fromages, les fruits ou les produits pharmaceutiques, ce fait ne doit pas masquer des réalités plus dérangeantes, notamment pour certains produits français qui subissent des pratiques commerciales déséquilibrées. Je pense aux vins et spiritueux que vous avez évoqués, monsieur le secrétaire d’État.

Il semblerait qu’un certain nombre de taxes à l’importation aient augmenté au Canada. Des professionnels m’ont fait savoir, par exemple, que la Colombie-Britannique limiterait les ventes de vins étrangers en grande surface. Il semblerait encore que l’Ontario applique des taxes de 60 centimes de dollars canadiens par litre, tandis que les vins nord-américains ou chiliens bénéficieraient de réductions de 30 centimes par litre.

Je vous invite à vérifier ces faits, qui montrent que la situation des vins et spiritueux européens au Canada s’est globalement détériorée ces derniers mois. Sachant que ce pays est le quatrième marché pour les vins et spiritueux de l’Union européenne, cette situation n’est pas tenable.

La vigilance est aussi de rigueur à propos du secteur de la viande bovine, même si les importations de bœuf canadien n’ont pas commencé. Nous le savons, la production canadienne repose sur l’engraissement d’animaux en feedlot, sans aucun accès aux pâturages, élevés aux hormones de croissance avec le recours aux farines animales, aux antibiotiques et à d’autres substances chimiques interdites en France et dans l’Union européenne.

Ce mode de production est en totale contradiction avec l’article 44 de la loi pour l’équilibre des relations commerciales dans le secteur agricole et alimentaire et une alimentation saine, durable et accessible à tous, dite loi ÉGALIM, que nous avons récemment adoptée.

Et pourtant, à ce jour, ni le CETA ni la réglementation européenne n’interdisent l’importation de viande canadienne issue de ces feedlots. Le contingent des 64 500 tonnes à droits de douane réduits peut donc à tout moment inonder le marché français et européen. Je dis « inonder », car chacun sait que ces importations concerneraient essentiellement les morceaux les plus rémunérateurs pour nos éleveurs, comme l’aloyau. Connaissant les difficultés que rencontre la filière, cette situation est inacceptable.

Monsieur le secrétaire d’État, fort de ces constats, comment pensez-vous protéger les intérêts des agriculteurs français ? Notre modèle familial est particulièrement respectueux de l’environnement. Envisagez-vous de faire valoir l’exception pour le secteur sensible de la viande bovine ? (Applaudissements sur les travées du groupe Union Centriste et du groupe Les Républicains.)