M. le président. Il faut conclure, mon cher collègue.

M. Philippe Dallier. En cela aussi, le Sénat vous aura aidé.

Nous sommes prêts, en responsabilité, à nous remettre au travail. Mais il est temps que vous changiez de cap. L’acte I du quinquennat est terminé. Le mirage du nouveau monde s’est dissipé. Le temps vous est compté, comme il est compté à la France ! (Applaudissements nourris sur les travées du groupe Les Républicains et sur des travées du groupe Union Centriste.)

M. le président. La parole est à M. Julien Bargeton, pour le groupe La République En Marche. (Applaudissements sur les travées du groupe La République En Marche. – Exclamations sur plusieurs travées.)

M. Julien Bargeton. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le rapporteur général, mes chers collègues, nous avons vécu, il est vrai, une séquence budgétaire assez inédite. La République a déjà connu des épisodes difficiles, et nous venons d’en vivre un.

Nos procédures habituelles relatives à l’examen du projet de loi de finances ont été percutées par l’actualité – c’est bien normal –, les mouvements sociaux, les chaînes d’information en continu et les réseaux sociaux. Il faudra désormais nous y habituer.

La crise des « gilets jaunes » n’est pas née en quatre samedis ; elle est née en quatre décennies. (Exclamations sur de nombreuses travées.) C’est mon point de vue !

S’agissant du pouvoir d’achat, le Président de la République a répondu par des mesures puissantes et concrètes. (Mêmes mouvements.) Il ne faudrait pas que, pour des raisons techniques, des débats légitimes viennent masquer la réalité puissante et solide des annonces du Président de la République. (Applaudissements sur les travées du groupe La République En Marche. – Exclamations sur de nombreuses travées.)

M. François Grosdidier. Le diable est dans les détails !

M. Julien Bargeton. Cela se jouera aussi dans l’entreprise, dont le rôle, il faut le rappeler, est important. Que chacun prenne ses responsabilités,…

M. Julien Bargeton. … notamment pour la prime de fin d’année.

Il faudra mettre en œuvre les mesures annoncées. Oui, le contexte donne une coloration particulière à notre loi de finances. Une partie des modifications a déjà été prise en compte dans ce texte. Par honnêteté intellectuelle, je dois reconnaître une forme de clairvoyance à la majorité sénatoriale (Ah ! sur les travées du groupe Les Républicains.), qui a supprimé la trajectoire carbone telle qu’elle était prévue. Vous le voyez, mes chers collègues, j’essaye d’être honnête intellectuellement !

M. François Grosdidier. Après le repentir, l’absolution !

M. Julien Bargeton. Ce texte traduit donc, d’ores et déjà, une forme de convergence. C’est la raison pour laquelle, alors que le groupe La République En Marche aurait traditionnellement voté contre le projet de loi de finances, nous nous abstiendrons. (Exclamations sur de nombreuses travées.)

S’ouvre maintenant une période de débat avec les Français. Il doit avoir lieu partout dans nos territoires, au plus près des territoires. Il faut faire de cette colère une chance. C’est aussi une occasion pour le Sénat, chambre des territoires, de jouer un rôle important. J’espère que nous nous en saisirons collectivement.

Transition énergétique, transition démographique mondiale, pouvoir d’achat : les sujets sont sur la table. Le bicamérisme a joué son rôle et je sais que les territoires joueront leur rôle dans ce débat.

Le Sénat a effet enrichi le texte sur plusieurs points. Je pense notamment, monsieur le rapporteur général, aux opérations de fraude en matière de dividendes et à la discussion féconde que nous avons eue sur les outre-mer, qui mettait en perspective dépenses fiscales et dépenses budgétaires pilotables.

Concernant les aspects moins positifs, je pense aux taux réduits de TVA, à l’extension de l’exonération pour les permanences de soins des médecins, laquelle me semble en contradiction avec le discours que nous tenons par ailleurs sur la ruralité, ainsi qu’au débat, éludé, sur les sociétés coopératives d’intérêt collectif. Comme d’habitude, il y a donc à nos yeux du « plus » et du « moins ».

Sans entrer dans le débat sur l’équilibre ou le déséquilibre du budget, je regrette que, au moment du vote sur l’article d’équilibre, la majorité sénatoriale ait refusé, fait inédit, me semble-t-il, le chiffrage proposé par le Gouvernement.

Mme Sophie Primas. Il n’y a pas de réel chiffrage !

M. Julien Bargeton. La confiance se construit dans les deux sens. J’espère qu’un tel cas de figure ne se représentera pas.

Le rejet, par la majorité sénatoriale, d’un certain nombre de missions est également rituel. Ainsi six missions n’ont-elles pas été adoptées. Quant à la mission « Défense », elle a failli être rejetée, ce qui me paraît dommage. En effet, dans le débat, des efforts réels avaient été soulignés.

Deux autres aspects auraient également pu nous conduire à voter contre ce projet de budget. Je veux parler des deux mesures traditionnelles proposées par la majorité sénatoriale, à savoir le relèvement du temps de travail des fonctionnaires et la baisse du budget consacré à l’aide médicale de l’État, soit les deux cibles classiques que sont – veuillez excuser cette formule quelque peu lapidaire – les étrangers et les fonctionnaires.

Qui peut croire, à un moment où on demande de la concertation et de la verticalité, qu’on va réaliser, d’un trait de plume, ex abrupto, une économie sur le temps de travail des fonctionnaires, sans même en avoir parlé à leurs organisations professionnelles ?

M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général de la commission des finances. Il faut réformer !

M. Julien Bargeton. Certes, il faut réformer la fonction publique, mais qualitativement et non quantitativement. Quant à la réduction de l’aide médicale de l’État, ce n’est pas une bonne mesure, tant d’un point de vue humaniste qu’en termes de salubrité publique.

Je me permets de le dire, ces deux mesures d’économie ne constituent pas, de notre point de vue, un budget alternatif. (M. André Gattolin applaudit.)

Commence maintenant un débat qui se déroulera devant les Français. C’est le temps de l’échange et non plus des motions de censure. Je pense que la motion qui sera discutée à l’Assemblée nationale intervient à contretemps après les annonces du Président de la République. Au regard de la façon dont ce texte a évolué, les annonces du Président de la République s’inscrivant d’ailleurs dans cette évolution, en particulier sur la trajectoire carbone, le groupe La République En Marche s’abstiendra sur ce budget tel qu’issu des travaux du Sénat. (Applaudissements sur les travées du groupe La République En Marche. – Exclamations sur les travées du groupe Les Républicains.)

Mme Sophie Primas. Quelle honte !

M. le président. La parole est à M. Pascal Savoldelli, pour le groupe communiste républicain citoyen et écologiste.

M. Pascal Savoldelli. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, SMIC, 1 498,47 euros bruts mensuels, soit 1 188 euros nets ; RSA, 550,93 euros pour une personne seule sans enfant et 1 157 euros pour un couple avec deux enfants ; minimum vieillesse, 634,66 euros ; pension de retraite moyenne des femmes, 1 091 euros bruts, inférieure de 42 % à celle des hommes.

Voilà la réalité ! Voilà la vie réelle de millions de nos concitoyens, qui attendaient des réponses claires du chef de l’État à leur exigence de vivre mieux, d’être respectés dans leur dignité.

Tout en maintenant son cap, le Président de la République, encensé précédemment pour sa vision avant-gardiste de la politique, a rencontré l’humilité et reconnu, enfin, le légitime élan populaire citoyen qui souffle actuellement sur notre pays.

D’un côté, on l’a encore vu aujourd’hui, on assiste à une opération de communication, avec la hausse de 100 euros de la prime d’activité, financée par les contribuables et qui n’a rien à voir avec une revalorisation du SMIC.

De l’autre, on enregistre un recul concernant la hausse de la CSG pour les plus petites retraites, pourtant refusé par le Gouvernement pendant l’examen du projet de loi de financement de la sécurité sociale.

Pour le reste, rien qui n’effraiera les marchés financiers ou le grand patronat, exonéré de toute augmentation des salaires. Cela approfondira, soyez-en certains, la défiance populaire à l’égard des politiques gouvernementales.

Qu’on en juge : pas de hausse du SMIC, gel du point d’indice des fonctionnaires, gel de l’allocation adulte handicapé jusqu’au 1er avril 2020. Quid de la diminution du budget des collectivités territoriales de 13 milliards d’euros d’ici à 2022 ?

Et toujours, de l’autre côté, des fortunés cajolés par la suppression de l’ISF, des évadés fiscaux protégés, des actionnaires libres de ponctionner les richesses produites par les salariés au détriment de leurs salaires. C’est ce que contient la loi de finances, reflet de la prise en compte, comme nous pouvons le voir, de la défense du pouvoir d’achat et de la juste rémunération du travail !

Mais le gel n’est pas tout sans quelques hausses, à l’image de celle des primes d’assurance et de toute la fiscalité indirecte, insidieuse et prétendument indolore, qui fait aujourd’hui se soulever une majorité de l’opinion.

Je ne reviens pas ici sur le fait que le Sénat a fini par arracher le gel des taxes sur les carburants, après avoir voté toutes les hausses antérieures.

Le jeu de la commission mixte paritaire permettra au Gouvernement de revenir sur quelques mesures votées ici, donnant au texte final de la loi de finances sa pleine dimension ultralibérale.

Les mesures annoncées hier dans l’allocution enregistrée du Président de la République ne changeront pas la donne, puisque la facture sera soldée par encore plus de droits indirects et de TVA et encore moins de services publics !

La politique du « fort avec les faibles, faible avec les forts », qui anime aujourd’hui un pouvoir désavoué, cacophonique cet après-midi, et ce jusqu’au plus haut niveau, vient de montrer ses limites, à moins que la droite, dont une partie est déjà dans ce gouvernement (Exclamations sur les travées du groupe Les Républicains.), ne vienne à son secours.

Depuis le printemps 2017 et l’élection par défaut d’Emmanuel Macron et de sa majorité, si une forme de contrat a bien été passée, c’est directement avec la finance, avec les affairistes, pour mener une politique conforme à leurs intérêts égoïstes, bien loin de l’intérêt commun.

Y figuraient en bonne place la réforme du code du travail par ordonnances, la suppression de l’impôt de solidarité sur la fortune, l’instauration de la flat tax sur les revenus du capital et du patrimoine, le nouvel allégement des droits de mutation et de succession, le démantèlement des services publics, de la SNCF et du secteur hospitalier, l’étatisation de la formation continue, la mise en cause du droit aux études des bacheliers. Et j’en passe !

Ce contrat, prétendument moderne date en réalité du XVIIIe siècle : « L’accumulation de richesse à un pôle égale l’accumulation de pauvreté […] au pôle opposé ».

Cette République du contrat avec la finance ne peut qu’engendrer des dommages collatéraux : chômage de masse, précarité du travail renforcée, tensions urbaines, désespoir rural, casse des services publics de proximité et stagnation des salaires.

Pour que certains gagnent, il faut que d’autres perdent, et ce sont les plus nombreux.

D’une colère très juste surgit une balbutiante espérance, jusqu’ici contrariée par les prétentions de la finance. L’Europe n’est pas capable d’agir comme il convient, en témoigne l’échec de la négociation sur la taxation des fameux GAFA. Nous ne savons pas mettre à contribution en France, puisqu’il suffit que la Fédération bancaire française fronce un sourcil pour que le Gouvernement s’exécute.

Pourtant, avec des milliards d’euros de frais bancaires extorqués aux entreprises comme aux particuliers, avec les 2 600 milliards d’euros que la Banque centrale européenne a répandus ces dernières années dans les circuits économiques, les banques pourraient faire mieux !

Que dire des dividendes des titres cotés au CAC 40 ? Pour l’année 2017, ils se sont élevés à 46,8 milliards d’euros, ce qui semble laisser quelques marges, monsieur le ministre, pour augmenter les salaires.

S’il s’agit de tracer les voies d’un nouveau contrat social en France, alors coup de barre à gauche, à la justice sociale et à l’égalité dans la société, et vite !

Nous avons porté, dans le cadre de la discussion de ce projet de loi de finances, avec nos moyens et notre détermination, 163 amendements ; 20 ont été adoptés.

« Recommander aux pauvres d’être économes est à la fois grotesque et insultant. Cela revient à conseiller à un homme qui meurt de faim de manger moins. » Il est temps de mettre de la démocratie dans cette société, où les droits sont mis en cause : démocratie dans les institutions, dans la cité, dans les entreprises, au sein de la sécurité sociale. démocratie partout !

C’est bien ce tournant démocratique qui surgit sous nos yeux, celui d’un peuple qui ne veut plus en rabattre sur ses aspirations au nom d’une prétendue « fin de l’Histoire » avec le capitalisme financiarisé à outrance. Oui, tout le monde veut gouverner : les citoyens, les élus locaux, les parlementaires et même la jeunesse ! Et alors ?

Enfin, je veux remercier tous les personnels du Sénat, sans exception, de leur précieux concours aux travaux de ce projet de loi de finances, que notre groupe va évidemment rejeter, sur le fond comme sur la forme. (Applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain citoyen et écologiste et sur des travées du groupe socialiste et républicain.)

M. le président. La parole est à M. Claude Raynal, pour le groupe socialiste et républicain. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain.)

M. Claude Raynal. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le président de la commission des finances, monsieur le rapporteur général, mes chers collègues, en préambule à cette explication de vote, revenons quelques instants sur le contexte politique, économique et social de la période.

Notre pays se trouve dans une situation extrêmement troublée, marquée par un réel décrochage entre une grande partie de nos concitoyens et les acteurs de la vie publique, qu’ils soient syndicalistes, associatifs ou politiques, gouvernants comme opposants.

Nous assistons à une contestation forte des politiques publiques par une large majorité de l’opinion publique, nourrie notamment par le sentiment d’accroissement des inégalités sociales, par le constat d’une iniquité fiscale qui s’accentue chaque année ou encore par l’aggravation des fractures territoriales. Le mouvement des « gilets jaunes » a bien d’autres facettes, mais reconnaissons que celles-là émergent clairement et doivent trouver un débouché dans nos travaux, au moment où nous examinons les textes financiers que sont le projet de loi de financement de la sécurité sociale et le projet de loi de finances.

En tant que parlementaires, représentants de la Nation, nous nous devons d’entendre cette révolte citoyenne et d’en nourrir nos réflexions et décisions.

C’est dans cet esprit que les socialistes ont souhaité présenter un contre-budget ayant vocation à rediriger une partie des recettes vers le pouvoir d’achat des classes moyennes et de nos concitoyens les plus modestes. C’est encore dans cette optique que nous venons de déposer, la semaine dernière, une proposition de loi allant dans le même sens avec nos homologues de l’Assemblée nationale.

Monsieur le ministre, nous regrettons qu’il ait fallu attendre quatre semaines pour que le Gouvernement daigne vraiment s’intéresser à un mouvement populaire, certes protéiforme, mais représentatif de nombre d’angoisses et de colères aujourd’hui qualifiées par le pouvoir de « légitimes », après avoir été d’abord minorées, puis méprisées et souvent caricaturées.

Nous pouvons partager avec vous le fait que la situation actuelle est le fruit d’une mondialisation libérale où, depuis les années soixante-dix, les gouvernements successifs ont essayé d’adapter notre pays au prix sans doute d’une aggravation des inégalités, aggravation d’ailleurs observée dans le monde entier.

Monsieur le ministre, la violence de la politique du président Macron et celle de votre gouvernement, avec des mesures fiscales en faveur des détenteurs de capitaux couplées à des baisses d’aides ou à des augmentations de taxes pour les plus fragiles, ont déclenché cette réaction éruptive. Vous ne pourrez pas dire que le Sénat ne vous avait pas régulièrement mis en garde contre vos excès !

La réalité est que votre « fabuleuse » théorie initiale du ruissellement ne fonctionne évidemment pas. Le projet de loi de finances que vous nous soumettez aujourd’hui, tout comme d’ailleurs celui de l’année dernière, ne répond pas aux attentes et aux besoins d’une majorité de Français.

Il aura malheureusement fallu attendre des émeutes urbaines, par ailleurs insupportables, pour que le Gouvernement, suivant en cela la voie tracée par notre Haute Assemblée, supprime l’augmentation des taxes sur le carburant et reparle, après l’avoir ici méprisée, d’une TICPE flottante.

Il aura fallu le discours du Président de la République d’hier soir pour que quelques-unes de nos idées, hier moquées, soient pour partie reprises, notamment l’élévation du seuil de retraite pour être exonéré d’augmentation de CSG ou l’augmentation de la prime d’activité.

Encore un effort et vous rétablirez l’ISF, ou tout autre impôt sur le patrimoine : nous ne sommes pas fétichistes. Quoi que vous en disiez, vous ne pouviez pas vous priver, ne fût-ce que moralement, de cette recette tant que nos comptes publics n’étaient pas rétablis et que vous demandiez des efforts à l’ensemble de la Nation.

Par charité, je ne m’appesantirai pas sur la demande de suppression de l’impôt sur la fortune immobilière, l’IFI, une demande formulée l’année dernière par la majorité sénatoriale, mais curieusement et discrètement remisée cette année. (Exclamations sur les travées du groupe Les Républicains et au banc des commissions.)

J’en viens au texte que nous votons ce jour, c’est-à-dire le texte largement amendé par la majorité sénatoriale.

Cela ne surprendra personne au sein de cet hémicycle, nous considérons que le résultat du travail parlementaire conduit par la majorité sénatoriale ne permet pas de répondre aux questions qui nous sont posées aujourd’hui.

Chers collègues de la majorité sénatoriale, il faudra qu’un jour vous sortiez enfin de l’ambiguïté dans laquelle vous vous délectez ! (Exclamations sur les travées du groupe Les Républicains et du groupe Union Centriste.) Car si le Gouvernement est à l’origine de l’étincelle de ce mouvement social, la gauche comme la droite républicaine doivent clairement expliciter leurs positions. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain. – Protestations sur les travées du groupe Les Républicains et du groupe Union Centriste.)

M. Philippe Dallier. On va reparler de l’héritage !

M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général de la commission des finances. Qui a supprimé l’exonération des heures supplémentaires ?

M. Jean-François Husson. Qui présidait pendant le précédent quinquennat ?

M. Claude Raynal. Peut-on à la fois être favorable à la suppression de l’ISF, de l’IFI, de l’exit tax, demander des baisses d’impôts à longueur de projet de loi de finances, demander, en même temps pour le coup, sur chaque mission toujours plus d’économies tout en réclamant plus de services publics et de proximité ? (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain et sur des travées du groupe La République En Marche.)

Oui, je vous le dis, mes chers collègues, il vous faut maintenant sortir des postures pour afficher une politique d’ensemble claire et crédible ! (Exclamations sur les travées du groupe Les Républicains et du groupe Union Centriste.)

M. Claude Raynal. Pour notre part, durant l’examen de ce projet de loi de finances, nous avons systématiquement gagé nos propositions de dépenses nouvelles.

M. Loïc Hervé. Tout va bien…

M. Claude Raynal. Nous vous avons de nouveau suggéré la réintroduction de l’ISF, appelée de ses vœux par la grande majorité des Français, que vous ne voulez pas entendre, et la suppression de la flat tax. Non seulement vous vous y refusez, mais vous trouvez de plus le moyen, avec la complicité de la majorité sénatoriale – il faut le dire –, de diminuer encore l’effet de l’exit tax.

M. Philippe Dallier. Rendez-nous Hollande !

M. Claude Raynal. Nous vous avons aussi suggéré de ne pas transformer le CICE en baisse de charges, et de récupérer ainsi 20 milliards d’euros. Cette mesure risque d’ailleurs d’être utile aujourd’hui pour rééquilibrer vos comptes 2019. (Exclamations sur les travées du groupe Les Républicains et du groupe Union Centriste.) Car nous serons vigilants pour que l’on n’assiste pas à un bonneteau fiscal.

Les Français ont déjà pu avoir l’impression que la baisse de taxe d’habitation pour la classe moyenne a pu s’effectuer par une augmentation de taxes sur le carburant pour tous. Nous ne saurions trop vous engager à faire que la contribution aux mesures annoncées hier par le Président de la République soit portée par les très grandes entreprises et les Français les plus fortunés.

En guise de conclusion, je souhaite vous faire part de mes interrogations relatives à l’examen même de ce projet de loi de finances. Certes, le moment est très particulier, et nous ne pouvons qu’espérer entrer, enfin, dans une phase plus constructive. Pour notre part, nous le souhaitons, et nous y participerons. Nul doute que les Français l’attendent. Au Gouvernement de mieux associer et écouter le Parlement. Vous auriez, monsieur le ministre, beaucoup à y gagner.

Cependant, mes chers collègues, vous voterez tout à l’heure un budget qui connaîtra dans les jours à venir des modifications majeures. Rendez-vous donc pour la deuxième lecture. Le groupe socialiste et républicain votera sans surprise contre ce projet de loi de finances pour 2019. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain et sur des travées du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.)

M. le président. La parole est à M. Jean-Claude Requier, pour le groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen. (Applaudissements sur les travées du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen.)

M. Jean-Claude Requier. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, personne, dans cet hémicycle et au-delà, ne se félicitera des conditions dans lesquelles le Sénat a dû cette année examiner le budget de la République. Je ne reviendrai pas sur un tweet malheureux qui a trop pesé sur l’entame de nos discussions. Nous nous sommes déjà exprimés sur ce point, et nos débats ont d’abord besoin de dignité.

M. Jean-Claude Requier. Ce qui importe surtout, bien au-dessus de ces basses billevesées, c’est de répondre à la crise politique, sociale et sociétale que nous vivons. C’est d’écouter avec la plus grande attention la souffrance exprimée par beaucoup de nos compatriotes, leur volonté de vivre dignement de leur travail. C’est d’apporter des solutions pratiques aux préoccupations qui émergent. C’est, au final, de donner tout leur sens à notre mandat d’élus de la République et aux responsabilités qui en découlent.

Oui, il y a bien urgence à apporter des réponses claires et concrètes à ce que beaucoup de nos concitoyens vivent comme une profonde injustice économique et sociale ! Nous y voyons la conséquence de politiques publiques déconnectées des réalités du quotidien depuis trop longtemps, de décisions incompréhensibles du citoyen, sédimentées dans la plus pure logique technocratique.

Ce n’est pourtant pas faute, pour notre groupe, de s’être battu depuis des années en faveur d’une véritable réduction des inégalités, à commencer par celles qui fracturent nos territoires. Je pense ici à l’hyper-ruralité, chère à notre collègue Alain Bertrand. La hausse de la fiscalité des carburants, que le Sénat n’a heureusement pas votée – comme quoi, il a toute son utilité dans notre démocratie ! –, n’en est que le dernier symbole. Nous redoublerons d’efforts, car il existe aujourd’hui deux France : celle qui est parfaitement insérée dans la mondialisation et qui raisonne start-up et Uber, pour laquelle l’avenir est un champ de tous les possibles ; et celle qui a peur du chômage, du déclassement social, qui se sent oubliée, pour ne pas dire méprisée, par les gouvernants, dont la porosité avec la haute fonction publique est délétère !

Les Français qui s’expriment aujourd’hui par la violence nous avaient pourtant lancé des avertissements que bien peu ont entendus : par leur vote contestataire, puis par leur abstention et, désormais, par des actes que nous devons interpréter comme une défiance profonde à l’égard de tout ce qui ressemble à une institution.

Mes chers collègues, chacun peut porter un jugement détaillé sur le train de mesures annoncé hier soir par le Président de la République. Elles sont désormais dans le champ du débat démocratique. Nous n’avons d’ailleurs pas perdu de temps en débattant tout à l’heure de la prime d’activité. D’autres discussions arriveront très vite. Le groupe du RDSE va se prononcer au vu de tous ces éléments.

Bien entendu, nous avons obtenu le vote d’un certain nombre de nos propositions, parmi lesquelles la suppression de l’abattement des journalistes les mieux payés, c’est-à-dire ceux qui touchent plus de 6 000 euros par mois, la redevance des concessions hydroélectriques, la réduction de la TVA des produits hygiéniques pour nourrissons et personnes âgées, le refinancement du Fonds d’intervention pour les services, l’artisanat et le commerce, le FISAC, la trésorerie des sociétés coopératives et participatives, ou SCOP, ou l’encouragement aux filières de biocarburants.

Mais la grande majorité d’entre nous ne pourra pas approuver une loi de finances amputée des crédits de sept missions. De plus, le budget dont nous discutons est obsolète avant même son vote, étant donné les annonces du Président de la République.

M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général de la commission des finances. Eh oui ! Ce n’est pas moi qui le dis !

M. Jean-Claude Requier. C’est pourquoi la très grande majorité de mon groupe s’abstiendra, quand quelques-uns s’opposeront au texte, et un le votera. C’est cela, la liberté de vote au sein du RDSE ! (Exclamations amusées.) Je sais que certains ici nous l’envient secrètement ! (Applaudissements sur les travées du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen. – Nouvelles exclamations amusées sur les autres travées.)

Nous ne pouvons pas non plus poursuivre nos débats sans souligner que le vote d’un budget est au fondement de notre démocratie représentative. Historiquement et philosophiquement, c’est bien par l’acceptation de la levée de l’impôt qu’est née la notion même de Parlement.

Or le consentement à l’impôt est aujourd’hui malmené, voire remis en cause, par certains de nos concitoyens, au point de violemment mettre sous tension notre unité nationale. Mon groupe, qui revendique fièrement l’héritage de Georges Clemenceau et de Joseph Caillaux, ne peut évidemment accepter de telles dérives.

Nous subissons aujourd’hui les effets de décennies de technicité, d’opacité, de mitage fiscal par la multiplication des niches, au point de rendre notre système incompréhensible, donc inacceptable. Le signal que nous adressent nos compatriotes est aussi qu’il n’est plus possible de continuer dans cette impasse.

Revenons donc à la signification profonde de l’impôt, celle de l’article XIII de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen : une « contribution commune […] également répartie entre tous les citoyens, en raison de leurs facultés ». Redonnons de la lisibilité et de la simplicité à notre édifice fiscal, de telle sorte que nos concitoyens comprennent les efforts qui leur sont demandés et prennent conscience qu’ils participent collectivement à la vie de la Nation. Arrêtons avec une fiscalité vécue comme punitive et socialement injuste !

L’impôt doit redevenir l’outil de citoyenneté qu’il n’aurait jamais dû cesser d’être. Il est temps que ceux qui concourent à l’élaboration de l’action publique en prennent la mesure, afin que notre démocratie s’adapte, à la vitesse qui est la sienne, aux évolutions de notre société, reste à l’écoute des Français et essaye de les réconcilier avec l’impôt ! (Applaudissements sur les travées du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen, ainsi que sur des travées du groupe La République En Marche, du groupe Les Indépendants – République et Territoires et du groupe Union Centriste.)