Sommaire

Présidence de M. David Assouline

Secrétaires :

Mme Annie Guillemot, M. Guy-Dominique Kennel.

1. Procès-verbal

2. Démission et remplacement d’un sénateur

3. Candidature à une commission

4. Rappel au règlement

5. Programmation pluriannuelle de l’énergie. – Débat organisé à la demande du groupe Les Républicains

M. Gérard Longuet, pour le groupe Les Républicains

M. François de Rugy, ministre d’État, ministre de la transition écologique et solidaire

Débat interactif

M. Georges Patient ; M. François de Rugy, ministre d’État, ministre de la transition écologique et solidaire ; M. Georges Patient.

M. Fabien Gay ; M. François de Rugy, ministre d’État, ministre de la transition écologique et solidaire ; M. Fabien Gay.

M. Roland Courteau ; M. François de Rugy, ministre d’État, ministre de la transition écologique et solidaire ; M. Roland Courteau.

M. Ronan Dantec ; M. François de Rugy, ministre d’État, ministre de la transition écologique et solidaire ; M. Ronan Dantec.

Mme Nadia Sollogoub ; M. François de Rugy, ministre d’État, ministre de la transition écologique et solidaire ; Mme Nadia Sollogoub.

M. Jérôme Bignon ; M. François de Rugy, ministre d’État, ministre de la transition écologique et solidaire ; M. Jérôme Bignon.

M. Daniel Gremillet ; M. François de Rugy, ministre d’État, ministre de la transition écologique et solidaire ; M. Daniel Gremillet.

M. Joël Bigot ; M. François de Rugy, ministre d’État, ministre de la transition écologique et solidaire ; M. Joël Bigot.

M. Jean-Paul Prince ; M. François de Rugy, ministre d’État, ministre de la transition écologique et solidaire.

M. Jean-François Husson ; M. François de Rugy, ministre d’État, ministre de la transition écologique et solidaire ; M. Jean-François Husson.

Mme Angèle Préville ; M. François de Rugy, ministre d’État, ministre de la transition écologique et solidaire ; Mme Angèle Préville.

Mme Pascale Bories ; M. François de Rugy, ministre d’État, ministre de la transition écologique et solidaire ; Mme Pascale Bories.

M. Guillaume Chevrollier ; M. François de Rugy, ministre d’État, ministre de la transition écologique et solidaire.

M. Pierre Cuypers ; M. François de Rugy, ministre d’État, ministre de la transition écologique et solidaire.

M. Jean-Pierre Vial ; M. François de Rugy, ministre d’État, ministre de la transition écologique et solidaire ; M. Jean-Pierre Vial.

Conclusion du débat

Mme Sophie Primas, pour le groupe Les Républicains

Suspension et reprise de la séance

6. Gouvernance des grands groupes coopératifs agricoles. – Débat organisé à la demande du groupe Union Centriste

M. Pierre Louault, pour le groupe Union Centriste

Mme Cécile Cukierman

M. Henri Cabanel

M. Franck Menonville

M. Daniel Dubois

M. Alain Fouché

M. Daniel Gremillet

M. Didier Rambaud

M. Franck Montaugé

M. Laurent Duplomb

Mme Patricia Morhet-Richaud

M. Didier Guillaume, ministre de l’agriculture et de l’alimentation

Suspension et reprise de la séance

PRÉSIDENCE DE M. Philippe Dallier

7. Mobilités du futur. – Débat organisé à la demande de la délégation sénatoriale à la prospective

Mme Michèle Vullien, rapporteur de la délégation sénatoriale à la prospective

Mme Françoise Cartron, rapporteur de la délégation sénatoriale à la prospective

M. Didier Mandelli, au nom de la commission de l’aménagement du territoire et du développement durable

Mme Élisabeth Borne, ministre auprès du ministre d’État, ministre de la transition écologique et solidaire, chargée des transports

Débat interactif

Mme Martine Filleul ; Mme Élisabeth Borne, ministre auprès du ministre d’État, ministre de la transition écologique et solidaire, chargée des transports ; Mme Martine Filleul.

M. Jean-Pierre Corbisez ; Mme Élisabeth Borne, ministre auprès du ministre d’État, ministre de la transition écologique et solidaire, chargée des transports ; M. Jean-Pierre Corbisez.

Mme Nadia Sollogoub ; Mme Élisabeth Borne, ministre auprès du ministre d’État, ministre de la transition écologique et solidaire, chargée des transports ; Mme Nadia Sollogoub.

M. Alain Fouché, rapporteur de la délégation sénatoriale à la prospective ; Mme Élisabeth Borne, ministre auprès du ministre d’État, ministre de la transition écologique et solidaire, chargée des transports ; M. Alain Fouché, rapporteur.

M. Didier Rambaud, rapporteur de la délégation sénatoriale à la prospective ; Mme Élisabeth Borne, ministre auprès du ministre d’État, ministre de la transition écologique et solidaire, chargée des transports.

Mme Éliane Assassi ; Mme Élisabeth Borne, ministre auprès du ministre d’État, ministre de la transition écologique et solidaire, chargée des transports.

M. Philippe Dominati ; Mme Élisabeth Borne, ministre auprès du ministre d’État, ministre de la transition écologique et solidaire, chargée des transports.

M. Michel Dagbert ; Mme Élisabeth Borne, ministre auprès du ministre d’État, ministre de la transition écologique et solidaire, chargée des transports ; M. Michel Dagbert.

Mme Sylvie Vermeillet ; Mme Élisabeth Borne, ministre auprès du ministre d’État, ministre de la transition écologique et solidaire, chargée des transports ; Mme Sylvie Vermeillet.

M. Philippe Pemezec ; Mme Élisabeth Borne, ministre auprès du ministre d’État, ministre de la transition écologique et solidaire, chargée des transports ; M. Philippe Pemezec.

Mme Victoire Jasmin ; Mme Élisabeth Borne, ministre auprès du ministre d’État, ministre de la transition écologique et solidaire, chargée des transports.

M. Michel Raison ; Mme Élisabeth Borne, ministre auprès du ministre d’État, ministre de la transition écologique et solidaire, chargée des transports ; M. Michel Raison.

Mme Christine Lavarde ; Mme Élisabeth Borne, ministre auprès du ministre d’État, ministre de la transition écologique et solidaire, chargée des transports.

M. Jean-Marc Boyer ; Mme Élisabeth Borne, ministre auprès du ministre d’État, ministre de la transition écologique et solidaire, chargée des transports.

Conclusion du débat

M. Olivier Jacquin, rapporteur de la délégation sénatoriale à la prospective

8. Communication d’avis sur deux projets de nomination

9. Ordre du jour

Nomination d’un membre d’une commission

compte rendu intégral

Présidence de M. David Assouline

vice-président

Secrétaires :

Mme Annie Guillemot,

M. Guy-Dominique Kennel.

M. le président. La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à quatorze heures trente.)

1

Procès-verbal

M. le président. Le compte rendu intégral de la séance du vendredi 21 décembre 2018 a été publié sur le site internet du Sénat.

Il n’y a pas d’observation ?…

Le procès-verbal est adopté.

2

Démission et remplacement d’un sénateur

M. le président. M. Gérard Cornu a fait connaître à la présidence qu’il se démettait de son mandat de sénateur d’Eure-et-Loir, à compter du 30 décembre 2018, à minuit.

En application de l’article L.O. 320 du code électoral, il est remplacé par Mme Françoise Ramond, dont le mandat de sénatrice d’Eure-et-Loir a commencé le 31 décembre 2018, à zéro heure.

Au nom du Sénat tout entier, je souhaite à notre nouvelle collègue la plus cordiale bienvenue.

3

Candidature à une commission

M. le président. J’informe le Sénat qu’une candidature pour siéger au sein de la commission de l’aménagement du territoire et du développement durable a été publiée.

Cette candidature sera ratifiée si la présidence n’a pas reçu d’opposition dans le délai d’une heure prévu par notre règlement.

4

Rappel au règlement

M. le président. La parole est à M. Jean Louis Masson, pour un rappel au règlement.

M. Jean Louis Masson. Monsieur le président, la procédure d’examen simplifié des textes de loi prévoit un vote en séance, mais sans aucun débat ni aucune possibilité d’explication de vote. Pour ma part, j’ai voté contre cette réforme, que je trouve totalement antidémocratique, d’autant que, pour empêcher la mise en œuvre de cette procédure, les groupes peuvent demander un examen normal des textes de loi, un droit dont ne disposent malheureusement pas les non-inscrits.

Ainsi, lorsque nous souhaitons qu’il y ait un débat sur un texte que nous jugeons important, nous sommes dans l’impossibilité d’empêcher, finalement, que l’on nous prive de toute possibilité de débat, d’amendement ou de contestation.

Monsieur le président, mes chers collègues, je voudrais protester solennellement contre la décision prise par la conférence des présidents de faire adopter selon la procédure d’examen simplifié, le 14 février prochain, un texte extrêmement important, à savoir le projet de loi autorisant l’approbation de la décision du Conseil européen relatif à l’élection des membres du Parlement européen. Nous n’aurons même pas la possibilité de dire pourquoi nous ne sommes pas d’accord avec ce texte d’une telle dimension, surtout au moment où se profile le Brexit.

Je considère que cette décision est scandaleuse ! Les sénateurs non inscrits ne sont pas traités correctement dans cette enceinte. Cela montre à quel point les « gilets jaunes » ont raison de se battre pour qu’il y ait plus de démocratie, plus de transparence. Il faut avoir à l’esprit que, dans cette enceinte, les deux groupes de sénateurs les plus importants représentent les trois quarts des effectifs, alors qu’ils ne représentaient même par le quart des électeurs lors de la dernière élection présidentielle. Pourtant, ils peuvent assurer un blocage total de l’institution.

Monsieur le président, j’y insiste, je trouve honteux que l’on ne puisse pas s’exprimer sur un vote aussi important !

M. le président. Acte est donné de votre rappel au règlement, mon cher collègue, même si vous n’avez pas mentionné à quel article du règlement vous faisiez référence. Effectivement, il est important que votre droit soit respecté.

5

Programmation pluriannuelle de l’énergie

Débat organisé à la demande du groupe Les Républicains

M. le président. L’ordre du jour appelle le débat, organisé à la demande du groupe Les Républicains, sur la programmation pluriannuelle de l’énergie.

Nous allons procéder au débat sous la forme d’une série de questions-réponses dont les modalités ont été fixées par la conférence des présidents.

Je rappelle que l’auteur de la demande dispose d’un temps de parole de huit minutes, puis le Gouvernement répond pour une durée équivalente.

À l’issue du débat, l’auteur de la demande dispose d’un droit de conclusion pour une durée de cinq minutes.

Dans le débat, la parole est à M. Gérard Longuet, pour le groupe auteur de la demande. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – M. Jean-Paul Prince applaudit également.)

M. Gérard Longuet, pour le groupe Les Républicains. Monsieur le président, monsieur le ministre d’État, mes chers collègues, le groupe Les Républicains a souhaité qu’il y ait un débat à l’occasion, non pas de la présentation, mais de la réflexion conduite par le Gouvernement sur la programmation pluriannuelle de l’énergie, la PPE. Je remercie le groupe de m’avoir fait confiance pour porter sa parole.

Je voudrais ouvrir ce débat par une observation forte, qui explique et qui légitime nos interrogations : la France, en matière d’économie décarbonée, se situe au deuxième rang en Europe, après la Norvège. À cet égard, il faut évidemment rendre hommage aux grands anciens de la IIIe et de la IVe République, qui nous ont équipés en hydraulique,…

M. Charles Revet. Tout à fait !

M. Gérard Longuet. … à la Ve République, qui nous a équipés en nucléaire et – pourquoi ne pas le dire aussi ? – aux efforts faits avec l’argent du consommateur d’électricité pour diversifier, grâce aux énergies renouvelables, nos sources d’approvisionnement.

Aujourd’hui, monsieur le ministre d’État, nous avons besoin d’un débat politique au regard de l’enjeu et de l’importance des questions soulevées. De surcroît, certaines décisions sont, à l’évidence, de nature législative. Or, dans l’article 176 de la loi relative à la transition énergétique pour la croissance verte, il n’est fait référence qu’à une présentation de la PPE, qui est un texte administratif, plus précisément un décret, devant le Parlement. Nous souhaitons au contraire un large débat. En effet, l’actualité nous rappelle à cette évidence : l’énergie étant stratégique pour le développement économique de notre pays, il est bon d’en connaître les règles pour la part qui relève de l’autorité publique.

Certes, il y a eu un débat public intéressant, organisé par la commission du même nom, avec des réponses nuancées. Vous avez pris vous-même un décret, monsieur le ministre d’État, et vous avez présenté un dossier assez intéressant sur les préoccupations et les préférences du Gouvernement en ce qui concerne l’évolution de l’énergie. Néanmoins, il y a des questions majeures qui n’ont pas été traitées et qui doivent l’être sur le plan politique, c’est-à-dire en faisant le choix de s’appuyer sur le Parlement. Si nous ne voulons pas traiter ces sujets au Parlement, l’actualité nous rappelle qu’ils seront traités dans la rue, dans des conditions de superficialité et de violence qui ne conviennent pas à notre République démocratique.

Je retiendrai, pour ma part, quatre angles pour ouvrir ce débat.

Le premier, et sans doute le plus important, concerne le pouvoir d’achat et le problème de la répartition juste de cet avantage stratégique que constitue le fait qu’en France on émet 4,5 tonnes de CO2 par habitant, alors que les Allemands en émettent plus du double. Nous avons une marge. Comment la répartir et comment faire en sorte que tous les Français en profitent ? Nous sommes confrontés, et les dernières semaines nous le rappellent, à un problème de trajectoire carbone, qui a fait ressortir la question majeure des inégalités entre nos compatriotes en matière de mobilité. Pour faire simple, ceux qui peuvent accéder aux transports collectifs bénéficient de subventions, quand ceux qui ne peuvent pas y accéder doivent non seulement prendre en charge leur investissement, mais aussi financer par l’achat de carburant le budget public. C’est une injustice, qui est ressentie comme telle. On peut en discuter, mais on ne peut pas la considérer comme négligeable.

De la même façon, il existe une injustice entre catégories de Français non pas territorialement, mais au regard de notre histoire. L’effort nucléaire a été spectaculaire et, pendant longtemps, cela nous a conduits à avoir une électricité chère. Aujourd’hui, bénéficiant de l’envol du fissile après les chocs pétroliers, le tarif de l’accès régulé à l’électricité nucléaire historique, l’ARENH, est raisonnable, à quelque 43 euros le mégawattheure. Il faut continuer d’en bénéficier. Pourquoi les Français qui ont fait cet effort seraient-ils privés d’un tel avantage en payant une contribution au service public de l’électricité, ou CSPE, qui, elle, sert hélas trop largement à financer des investissements d’industries extérieures, en particulier ceux de producteurs de panneaux photovoltaïques ? Cette question de la répartition de l’effort entre nos compatriotes est un point préoccupant.

Le deuxième thème que je voudrais aborder pour ce débat, c’est justement la question de l’emploi et de l’aménagement du territoire, qui est aussi un problème de justice entre nos compatriotes.

Une autre raison de la faible émission de carbone par habitant dans notre pays tient sans doute à la désindustrialisation, à comparer à la part que l’industrie représente encore, par exemple, en Allemagne. Nous émettons moins de CO2, mais notre empreinte carbone se dégrade, parce que nous importons des produits industriels que nous ne fabriquons plus, parce que, justement, la trajectoire carbone imposée ou la réglementation ont découragé nos industriels dans toute une série de domaines. Je les cite, mais nous aurons l’occasion d’y revenir dans la suite du débat : pétrole, raffinage, électro-intensifs, automobile, particulièrement dans ce créneau où la France est notoirement compétente, c’est-à-dire celui des petits véhicules à moteur diesel, qui sont aujourd’hui très injustement critiqués.

J’ajoute enfin l’annonce que vous avez faite de la fermeture des dernières centrales à charbon. Je suis lorrain et j’ai fermé, comme ministre de l’industrie, les dernières mines de charbon dans notre pays, mais je trouve que l’annonce de la fermeture des quatre centrales qui restent – Gardanne, Carling, Cordemais et Le Havre – a été pour le moins brutale. Il faut que ces fermetures soient accompagnées par une transition énergétique active et généreuse.

Nous avons donc un problème industriel. L’industrie recule, alors qu’elle était répartie sur l’ensemble du territoire. Cela accrédite le sentiment que notre politique énergétique défavorise la majorité des Français sur la partie du territoire national à faible densité, là où nos compatriotes ressentent la nécessité d’utiliser la voiture, mais où il y avait cependant des activités industrielles, les services se concentrant dans les grandes métropoles.

J’en viens à la question du nucléaire au travers de celle de l’aménagement du territoire. Quand vous fermez un site, vous menacez des emplois. À cet instant, monsieur le ministre d’État, je veux vous poser une question majeure : pourquoi ne pas « découpler » clairement votre objectif de 50 % d’électricité d’origine nucléaire, dont on ne connaît pas les motifs, d’ailleurs, mais qui est en quelque sorte une vache sacrée sur le chemin de la sérénité et de la paix énergétiques (Sourires.), d’une réussite du nucléaire français sur le plan mondial ? Nous sommes dans une économie totalement mondialisée, et nous avons un atout industriel et scientifique qui nous permet de jouer un rôle important sur le plan mondial. Alors que les acteurs de l’énergie nucléaire cherchent, au travers de la diversification de l’offre et la fermeture du cycle, à exister sur le plan mondial, vous laissez cet atout français dans l’incertitude et l’expectative.

Comme il me reste peu de temps, je citerai, parce que c’est un point important du débat, la balance commerciale. Nous avons l’obligation, monsieur le ministre d’État, de regarder l’énergie à la mesure non pas de nos seuls besoins nationaux, mais de la dimension du monde. Si nous faisons trop de nucléaire en France, juge-t-on, pourquoi ne pas vendre à l’extérieur ? Si nous faisons trop d’électricité, pourquoi ne pas la vendre en Europe ? En améliorant les ventes d’électricité, de services et d’équipements, nous enrichirions la balance commerciale d’une économie de l’énergie fondée sur la confiance qu’inspirent les talents français.

M. le président. Il faut conclure, mon cher collègue.

M. Gérard Longuet. Je termine, monsieur le président, en évoquant le problème de la sécurité et de l’indépendance, sur le plan non pas de la guerre – c’est-à-dire tout ou rien –, mais de la manipulation des prix de l’énergie fossile, qui compromet assez régulièrement la perspective d’investissements dans les activités de diversification énergétique.

C’est la raison pour laquelle, monsieur le ministre d’État, en conclusion, je vous demande si le Gouvernement a l’intention de proposer au Parlement de débattre d’un certain nombre de questions majeures. Je pense essentiellement, pour la mise en œuvre de cette PPE, à la CSPE, d’une part, et au taux et au calendrier du nucléaire, d’autre part,…

M. le président. Monsieur Longuet…

M. Gérard Longuet. … qui figuraient dans la loi de 2015 et qui méritent d’être soumis de nouveau à l’appréciation du Parlement. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et du groupe Union Centriste, ainsi que sur des travées du groupe Les Indépendants – République et Territoires et du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen.)

M. le président. La parole est à M. le ministre d’État.

M. François de Rugy, ministre dÉtat, ministre de la transition écologique et solidaire. Monsieur le président, madame la présidente de la commission des affaires économiques, mesdames, messieurs les sénateurs, monsieur le sénateur Longuet, je veux juste rappeler en introduction que c’est la quatrième discussion sur l’énergie en quatre mois à laquelle je participe au Sénat. (Exclamations sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Charles Revet. C’est que le sujet est très important !

M. François de Rugy, ministre dÉtat. Il y a d’abord eu un débat de contrôle en séance publique, puis des auditions devant les commissions concernées, la plus récente ayant été l’occasion de présenter la programmation pluriannuelle de l’énergie, la PPE.

J’en rappelle les grandes lignes. Présentée le 27 novembre dernier par le Président de la République, ce qui montre à quel point ce sujet est considéré comme stratégique au plus haut sommet de l’État, cette PPE, qui est en quelque sorte la stratégie nationale française pour l’énergie pour les dix ans à venir, est fondée sur deux piliers : la baisse des consommations d’énergie en général, d’énergies fossiles en particulier ; la diversification de nos modes de production et d’approvisionnement en énergie. C’est notamment une question de sécurité. On voit, par exemple avec nos voisins belges, ce qui peut se produire quand on est trop dépendant, pour l’alimentation en électricité, d’un parc nucléaire ayant un certain âge – la situation française est assez comparable –, ou des importations d’énergies fossiles. C’est aussi le cas en France, puisque 100 % des énergies fossiles consommées sont importées.

Je voudrais maintenant donner quelques éléments sur le calendrier d’adoption de la programmation pluriannuelle de l’énergie. Nous allons transmettre le texte à l’autorité environnementale dès la semaine prochaine. Celle-ci aura trois mois pour se prononcer ; ensuite, une consultation du public s’ouvrira pour quarante-cinq jours. Nous avons donc encore cinq mois devant nous pour discuter de cette PPE, qui fera également l’objet de consultations obligatoires : Conseil national de la transition écologique, Conseil supérieur de l’énergie, Comité d’experts pour la transition énergétique, Comité de gestion des charges de service public de l’électricité, Comité du système de distribution publique d’électricité, mais également États voisins de la France.

Bien sûr, nous devons piloter en parallèle, dans ce même délai, l’adoption d’une loi Énergie qui révisera la loi de transition énergétique de 2015, notamment sur la date butoir pour l’équilibrage dans la production d’électricité entre le nucléaire et les autres modes de production, que nous avons décidé de repousser de 2025 à 2035 par réalisme.

Les économies d’énergie porteront principalement sur les énergies fossiles – baisse de 40 % de la consommation de fossiles d’ici à 2030 pour atteindre la neutralité carbone d’ici à 2050. Nous serons amenés à faire un effort particulier sur les chaudières au fioul, que nous voulons voir disparaître dans les dix ans. Nous ferons des offres concrètes à cet effet.

Plus globalement, nous encouragerons les économies d’énergie dans le logement et les bâtiments tertiaires, mais aussi dans les transports. Vous avez parlé des voitures particulières. À cet égard, je vous indique que nous avons eu des négociations au niveau européen qui conduiront à des baisses d’émission de CO2 des véhicules neufs vendus en Europe de 37,5 % en 2030, dans un cadre concurrentiel égalitaire pour toute l’Union européenne. Entre-temps, il y aura une étape en 2020, où les véhicules neufs vendus en Europe devront atteindre au maximum 95 grammes de CO2 en moyenne, ce qui conduira à une augmentation forte des ventes de voitures électriques ou hybrides neuves.

Je le disais au début de mon intervention, nous visons la diversification des modes de production d’énergie en général, et d’électricité en particulier. Comme nous voulons sortir du fossile, nous devons mettre l’accent sur le développement des énergies renouvelables. Nous nous sommes fixé, à l’échéance de la programmation pluriannuelle de l’énergie, donc dans dix ans, un objectif de 32 % d’énergies renouvelables dans notre mix énergétique global. Pour ce faire, nous avons choisi de nous appuyer sur le développement et la montée en puissance de technologies fiables et compétitives économiquement. Nous disposons pour cela d’un certain nombre de moyens, que je pourrai développer plus tard.

Je dirai un mot sur la fermeture des quatre dernières centrales à charbon qui existent encore en France, dont vous avez parlé, monsieur le sénateur Longuet. Nous sommes engagés dans cette politique pour montrer, en quelque sorte, la voie de la sortie du charbon, qui est absolument nécessaire à l’échelle européenne, mondiale, pour baisser les émissions de CO2. Dans ce cadre, nous avons prévu un accompagnement des territoires et des personnels sur chaque site, pour tenir compte des particularités propres à chacun.

Concernant le nucléaire, nous avons essayé d’être aussi clair et précis que possible, avec l’objectif d’équilibre 50-50, sur lequel vous avez quelque peu ironisé, alors qu’il est, je le rappelle, issu de la loi de 2015, votée sur l’initiative du précédent gouvernement. L’objectif, c’est la diversification, l’équilibre, pour ne pas être trop dépendant d’une seule technologie.

Cela nous amènera à fermer 14 réacteurs d’ici à 2035,…

M. Bruno Sido. Impossible !

M. François de Rugy, ministre dÉtat. … dont 6 d’ici à dix ans, notamment les 2 de Fessenheim, que nous nous sommes donné les moyens de fermer d’ici à 2022.

Voilà un calendrier précis, fondé par ailleurs sur une analyse extrêmement rigoureuse de la sécurité d’approvisionnement en électricité de notre pays,…

M. Charles Revet. Comment les remplacerez-vous ?

M. François de Rugy, ministre dÉtat. … effectuée avec RTE, Réseau de transport d’électricité. Il pourra évidemment être affiné au fil du temps, en lien avec les visites décennales conduites sous la houlette de l’Autorité de sûreté nucléaire.

Nous avons souhaité établir une liste de sites pour permettre aux territoires de se préparer et à EDF, l’opérateur, de préciser quels seraient les sites les plus pertinents parmi Tricastin, Bugey, Gravelines, Dampierre, Le Blayais, Cruas, Chinon, Saint-Laurent. Le choix des sites devra être fait en toute transparence.

Telles sont les grandes lignes de la programmation pluriannuelle de l’énergie. Je tiens à préciser par ailleurs, monsieur le sénateur Longuet, que, contrairement à ce que vous avez dit, c’est non plus la CSPE qui finance le développement des énergies renouvelables, mais bien la taxe carbone. Il était tout à fait logique que, dans une optique de décarbonation des usages, donc de la baisse des consommations fossiles, cette taxe serve à financer le développement des énergies renouvelables en France.

Quant au tarif ARENH, dont vous avez parlé, il est stable, mais l’opérateur demande sa renégociation à la hausse pour couvrir ses coûts de production.

Enfin, en ce qui concerne l’exportation, il faut savoir qu’aujourd’hui 15 % de notre production d’électricité est exportée. Le marché de l’électricité étant ouvert, nos producteurs s’y positionnent, saisissant les opportunités qui se présentent, souvent à l’exportation, mais aussi, parfois, à l’importation, pour couvrir les besoins, notamment dans les périodes de pointe. Nous visons une plus grande coordination européenne pour pouvoir rendre notre mode de production et de distribution plus efficace au regard des objectifs « climat », mais aussi plus sûr du point de vue de l’approvisionnement en électricité.

Débat interactif

M. le président. Nous allons maintenant procéder au débat interactif.

Je rappelle que chaque orateur dispose de deux minutes maximum pour présenter sa question, avec une réponse du Gouvernement pour une durée équivalente.

Dans le cas où l’auteur de la question souhaite répliquer, il dispose de trente secondes supplémentaires, à la condition que le temps initial de deux minutes n’ait pas été dépassé.

Dans le débat interactif, la parole est à M. Georges Patient.

M. Georges Patient. Monsieur le président, monsieur le ministre d’État, mes chers collègues, les outre-mer sont souvent présentés comme les fers de lance de la transition énergétique, car ils regorgeraient de gisements en énergies renouvelables. C’est sûrement la raison pour laquelle la loi relative à la transition énergétique pour la croissance verte dispose qu’il faut « parvenir à l’autonomie énergétique dans les départements d’outre-mer à l’horizon 2030 avec, comme objectif intermédiaire, 50 % d’énergies renouvelables à l’horizon 2020 ».

Il s’agit d’un défi de taille pour les territoires ultramarins, quand on sait qu’ils sont très dépendants des énergies fossiles. En effet, celles-ci représentaient, en 2017, entre 77 % et 94 % du mix électrique des outre-mer, mais 32 % seulement en Guyane, grâce au barrage hydroélectrique de Petit-Saut. Cependant, les communes de l’intérieur de la Guyane, elles, ne sont pas reliées au réseau et fonctionnent grâce à des groupes électrogènes au diesel.

C’est même plus une gageure qu’un défi, quand, en même temps, EDF promeut toujours des projets de centrales thermiques : trois centrales au diesel, d’une capacité de plus de 200 mégawatts, ont ainsi été mises en service entre 2012 et 2014 à La Réunion, en Guadeloupe et en Martinique, pour un coût total de 1,5 milliard d’euros. En Guyane, la première PPE prévoit la construction, d’ici à 2023, d’une centrale au fioul de 120 mégawatts pour 500 millions d’euros.

Où donc est la cohérence quand l’État s’engage à ce qu’il n’y ait plus d’installations produisant d’électricité à partir d’énergies fossiles d’ici à 2030, mais qu’il continue à les financer ?

Où donc est la cohérence de la loi Hulot, qui interdit l’exploitation des hydrocarbures en France, mais ne s’attaque pas à leur utilisation, quand on sait pertinemment que la société moderne n’est pas prête à se passer du pétrole ?

Monsieur le ministre d’État, l’interdiction d’exploitation des hydrocarbures en France n’est-elle pas une mesure destinée exclusivement à la Guyane, qui, pour l’heure, est le seul territoire français susceptible d’en détenir ?

M. le président. La parole est à M. le ministre d’État.

M. François de Rugy, ministre dÉtat, ministre de la transition écologique et solidaire. Monsieur le sénateur Patient, vous avez raison de souligner que les enjeux dans les outre-mer sont quelque peu différents de ceux de la métropole. C’est pourquoi les outre-mer ont fait l’objet, dans la loi de 2015, de programmations pluriannuelles de l’énergie spécifiques à chaque territoire. Les premières ont été récemment adoptées, donc il y aura un décalage d’environ un an avec la programmation pluriannuelle de l’énergie pour la métropole.

En ce qui concerne la production d’électricité, qui représente en moyenne un tiers de l’énergie consommée dans les territoires d’outre-mer, ces PPE prévoient en effet un fort développement des énergies renouvelables. Leur part dans le mix électrique devrait ainsi passer d’ici à 2023 de 18 % à 62 % en Guadeloupe, de 58 % à 87 % en Guyane. À cet effet, un certain nombre d’appels d’offres sont lancés.

Des mesures de maîtrise de la consommation sont envisagées, ainsi qu’une évolution de la demande en lien avec la croissance de la population. C’est le cas en Guyane. À ce moment-là, la programmation pluriannuelle de l’énergie permet d’assurer la sécurisation de l’approvisionnement en renouvelant des installations, parfois encore malheureusement avec des moyens thermiques. Cela a bien évidemment vocation à évoluer pour qu’il y ait, à terme, davantage d’énergies renouvelables. C’est bien notre orientation.

Ces révisions futures, encore une fois un peu décalées, permettront de mettre la priorité sur la maîtrise de la consommation, mais aussi sur le développement des énergies renouvelables. Nous avons engagé des discussions avec EDF et la Commission de régulation de l’énergie pour voir si, dans le cas que vous citez, on pourrait envisager une plus petite centrale, complétée avec des installations solaires et l’utilisation de la biomasse pour réduire la consommation d’énergies fossiles.

M. le président. La parole est à M. Georges Patient, pour la réplique.

M. Georges Patient. Comme je l’ai dit, en dehors d’une petite ouverture faite à Total, la loi Hulot rend quasiment impossible l’exploitation pétrolière en Guyane, qui est pourtant nécessaire, car elle est l’un des éléments majeurs pour assurer le développement endogène de ce territoire.

Il n’est pas normal que les territoires voisins exploitent leur pétrole et que la Guyane ne puisse pas le faire !

M. le président. La parole est à M. Fabien Gay.

M. Fabien Gay. Monsieur le ministre d’État, je trouve bizarre que, dans votre propos liminaire de huit minutes, vous n’ayez à aucun moment parlé de nos concitoyens. La précarité énergétique touche pourtant 12 millions de Françaises et Français, incapables de satisfaire leurs besoins fondamentaux. Il est inacceptable de devoir choisir entre se chauffer, au risque d’encourir des impayés, ou ne plus se chauffer, exposant sa santé et son logement aux conséquences du froid !

Vous ne manquerez pas de me brandir le chèque énergie en guise de réponse. Pourtant, vous le savez, outre que les conditions pour bénéficier de certaines aides sont trop restrictives, de nombreuses personnes ne déposent pas de demande faute d’avoir eu une information suffisante. D’ailleurs, dans le cadre du grand débat national, les gens ne parlent pas du chèque énergie. Ils ne demandent pas l’aumône ; leur revendication porte sur l’augmentation de leur salaire pour pouvoir payer leurs factures.

Les privatisations, la dérégulation et la concurrence libre et non faussée ont finalement conduit à un alourdissement très net de la facture énergétique des ménages, fragilisant ainsi les plus modestes.

Certes, le législateur a qualifié l’électricité de « bien de première nécessité », mais il est impératif, si nous voulons véritablement endiguer la précarité énergétique, de franchir une nouvelle étape et d’appréhender l’énergie comme un bien commun de l’humanité.

La lutte contre la précarité énergétique ne doit pas relever des seules politiques sociales. Il faut la placer au cœur de la politique énergétique, laquelle englobe, outre les questions de production, les économies d’énergie et l’efficacité énergétique, que ce soit dans les transports, les logements ou le système productif.

C’est aussi cela la transition énergétique : une transition sociétale où l’accès à l’énergie tout au long de l’année devient une nécessité impérieuse pour éviter l’exclusion !

Monsieur le ministre d’État, ma question est simple : comment allez-vous lutter contre la précarité énergétique dans le cadre de cette programmation pluriannuelle de l’énergie ?

M. le président. La parole est à M. le ministre d’État.

M. François de Rugy, ministre dÉtat, ministre de la transition écologique et solidaire. Monsieur le sénateur Fabien Gay, j’ai parlé des personnes, j’ai même commencé par cela. J’ai parlé de nos concitoyens, qui sont évidemment au cœur de cette transition énergétique. J’ai en effet évoqué la réduction des consommations d’énergie, dont le bénéfice revient à nos concitoyens.

Au cours de débats précédents, vous m’avez déjà entendu dire qu’il faut « se libérer du pétrole et se libérer des énergies fossiles ». Cette idée, je la défends, bien sûr, parce qu’elle est bonne pour le climat et pour la planète, mais aussi et surtout parce qu’elle est bonne pour le porte-monnaie de chacune et de chacun de nos concitoyens. L’économie du pays et notre balance extérieure tireront aussi profit de ce choix puisque les énergies fossiles représentent aujourd’hui un déficit commercial de plusieurs dizaines de milliards d’euros par an. Il s’agit surtout de permettre à nos concitoyens de ne plus subir les hausses des prix du pétrole, qui se traduisent dans la facture du fioul pour le chauffage, par exemple. C’est à cela que je pensais quand j’ai parlé de sortir des chaudières au fioul.

Je ne l’oublie pas, cet aspect était à l’origine, voilà quelques mois, du mouvement de protestation contre le coût de la vie, nos concitoyens soulignant l’importance des dépenses contraintes et du pouvoir d’achat. Leurs revendications allaient évidemment bien au-delà du coût de l’énergie, mais je ne mésestime pas son poids. Si certains ont protesté contre les taxes, considérant que nous pouvions intervenir pour les modifier, ce sont surtout les cours mondiaux du pétrole qui sont en cause.

Nous allons donc poursuivre cette politique. Vous avez parlé du chèque énergie, que je n’avais pas mentionné : s’il est certes un outil d’accompagnement social et solidaire, il n’a pas vocation à transformer les choses. Si on veut lutter contre la précarité énergétique, préoccupation que nous partageons, il faut donner aux Français les moyens de rénover leur logement. Dans la même logique, nous avons créé la prime à la conversion et la prime à la casse pour nous débarrasser des vieilles voitures. Une aide de l’État, votée par le Parlement en 2017 et mise en œuvre en 2018, a remporté un succès qui va très au-delà de nos espérances.

Nous devons avoir la même démarche, bénéfique pour le climat et nos concitoyens, s’agissant du chauffage, pour faire baisser les factures et permettre qu’elles soient durablement maîtrisées.

M. le président. La parole est à M. Fabien Gay, pour la réplique.

M. Fabien Gay. Merci, monsieur le ministre d’État, de votre réponse.

Dans le cadre du grand débat national, outre les trente-deux questions posées, que je ne réfute pas et auxquelles il va falloir répondre, il me semble qu’il en manque une. Pour lutter contre la précarité énergétique, il faut nous demander si nous avons la maîtrise publique de l’énergie. Vous m’aviez dit être d’accord avec la privatisation d’Engie. Eh bien, moi, je suis pour qu’on donne la parole au peuple et qu’on lui demande s’il est d’accord avec le fait que, depuis vingt ans, on brade tous les services publics et toutes les entreprises publiques. Demandons à nos concitoyens s’ils pensent que c’est une bonne manière de lutter, par exemple, contre la précarité énergétique.

Depuis que vous avez privatisé Engie, le service s’est dégradé, le prix du gaz a augmenté de 70 % et les dividendes versés aux actionnaires…

M. le président. Il faut conclure, mon cher collègue.

M. Fabien Gay. … n’ont jamais été aussi hauts dans ce pays !

M. le président. La parole est à M. Roland Courteau.

M. Roland Courteau. Je ferai deux remarques. La première sera pour rappeler que les plus touchés par les bouleversements climatiques sont les plus pauvres, alors qu’ils sont les moins responsables de la situation. La seconde visera à indiquer qu’il n’y aura pas de transition écologique sans justice sociale et pas de justice sociale sans transition écologique.

Parmi les revendications actuelles, la plus juste et la plus socialement protectrice est la rénovation thermique des logements. Or c’est l’une de nos plus graves carences. D’une façon plus générale, l’efficacité énergétique doit être considérée comme une énergie à part entière. Répétons-le, c’est la plus propre, la moins chère, la moins délocalisable et la plus compétitive. En matière d’économies d’énergie, nous avons là un gisement colossal.

Compte-t-on booster les dispositifs d’aides énergétiques, monsieur le ministre d’État ? Compte-t-on favoriser aussi un vrai travail de pédagogie, permettant aux Français de modifier leur comportement en préférant le toujours mieux au toujours plus ?

Par ailleurs, pour parvenir aux 50 % d’électricité nucléaire d’ici à 2035, il faudra tripler l’éolien et quintupler le photovoltaïque. Or, par les demi-mesures que vous venez d’annoncer sur l’éolien flottant, vous risquez de condamner cette filière naissante, en Méditerranée notamment. Dans ces conditions, comment pourrons-nous atteindre les 40 % d’énergies renouvelables d’ici à 2030 et comment compensera-t-on la baisse du nucléaire en 2035 ?

Enfin, concernant le biogaz, qui peut nous permettre de bâtir une nouvelle industrie décentralisée et porteuse d’un nouveau dynamisme rural, comptez-vous agir pour une simplification réglementaire et pour des tarifs d’achat adaptés ?

M. Marc Daunis. Très bien !

M. le président. La parole est à M. le ministre d’État.

M. François de Rugy, ministre dÉtat, ministre de la transition écologique et solidaire. Monsieur le sénateur Roland Courteau, vous avez tout à fait raison, l’énergie qui pollue le moins et qui coûte le moins cher, c’est celle qu’on ne consomme pas. Voilà où est notre priorité. C’est notre intérêt collectif, à l’échelle planétaire, comme à l’échelle de notre pays, et c’est notre intérêt pour chacune et chacun de nos concitoyens, notamment les plus modestes. Car ceux qui ont assez de moyens pour ne pas avoir besoin de surveiller leur budget peuvent évidemment « gaspiller » l’énergie. Mais je pense à celles et ceux qui, et c’est le cas de la plupart des gens, ont des budgets contraints et que nous devons aider à maîtriser leur facture d’énergie grâce aux économies d’énergie.

Nous sommes bien conscients que les différents dispositifs de rénovation des logements, développés en grand nombre ces dernières années à l’échelle nationale comme à l’échelle locale, ne sont pas encore suffisamment calibrés. J’ai rencontré hier à Bordeaux le maire et président de la communauté urbaine, Alain Juppé. Il m’a dit avoir mis en place un dispositif ciblant 9 000 logements par an qui s’est limité à 3 000 réalisations. Ce n’est pas faute de moyens puisqu’ils étaient sur la table, en plus des aides nationales.

Il faut nous doter d’autres dispositifs, à plus grande échelle, et nous y travaillons avec le ministre du logement, Julien Denormandie. Nous étudions plusieurs pistes : faudra-t-il lancer une sorte d’appel d’offres national pour trouver un opérateur national ou plusieurs opérateurs dont l’objectif sera vraiment d’atteindre notre objectif de rénover 500 000 logements par an, en donnant la priorité absolue aux passoires énergétiques et à nos compatriotes qui ont les revenus les plus modestes ? Je le crois.

J’aurai l’occasion de revenir dans les prochaines semaines sur un dispositif concret destiné aux ménages les plus modestes qui va se mettre en place en 2019, ce que l’on appelle « la chaudière à 1 euro ». Des certificats d’économies d’énergie vont permettre de financer le changement de chaudière.

Sur l’éolien flottant en Méditerranée dont nous avons déjà parlé, la cible dans la programmation pluriannuelle de l’énergie est de deux fois 250 mégawatts. Je le dis et je le redis,…

M. le président. Il faut conclure, monsieur le ministre d’État.

M. François de Rugy, ministre dÉtat. … si les coûts de production baissent et que le niveau de subvention n’est donc plus de même nature, nous pourrons aller évidemment bien au-delà. Là aussi, nous ferons des propositions dès cette année 2019.

M. le président. La parole est à M. Roland Courteau, pour la réplique.

M. Roland Courteau. S’agissant de l’éolien flottant, j’insiste encore, monsieur le ministre d’État, pour vous demander de faire porter l’effort de l’État sur cette filière où nous sommes pionniers pour le moment. Ne ratons pas ce rendez-vous, comme nous en avons raté beaucoup d’autres par le passé !

Vous le savez, la rénovation thermique des logements est la meilleure solution pour faire se rejoindre justice sociale et changement climatique.

Je conclus sur le biogaz, qui me paraît être la meilleure manière de stimuler l’économie locale, d’alléger la facture de la France et de renforcer la compétitivité des exploitations agricoles.

M. le président. La parole est à M. Ronan Dantec.

M. Ronan Dantec. Monsieur le président, monsieur le ministre d’État, mes chers collègues, on peut évidemment évoquer beaucoup de choses lors d’un débat sur la programmation pluriannuelle de l’énergie.

Je voudrais dire à Gérard Longuet que la chaîne de valeur du photovoltaïque commence par l’installation sur les toits, qui est assez difficilement délocalisable. Puisqu’il insiste sur la reconquête industrielle, je l’invite à venir visiter à Carquefou, à côté de Nantes, la nouvelle unité de fabrication de panneaux photovoltaïques, qui a permis de créer une centaine d’emplois.

Monsieur le ministre d’État, suivant l’avis de RTE du fait des retards de la centrale à gaz de Landivisiau et du nucléaire à Flamanville, le Gouvernement a retardé la fermeture de la centrale de Cordemais, en ouvrant la voie à sa transformation en centrale de valorisation des bois de classe B dans le cadre du procédé Ecocombust.

Cette prolongation a évidemment ouvert un débat sur la question de savoir si vous alliez tenir les engagements pris par le Président de la République quant à la sortie du charbon.

Première question très simple, monsieur le ministre d’État : cette position sur Cordemais change-t-elle quelque chose à la fermeture des autres centrales à charbon ? On sait en effet que le bois de classe B permet de ne faire fonctionner qu’un four ou deux seulement, et en tout cas pas quatre anciennes centrales à charbon.

Tout cela nous laisse finalement plus de temps. Il pourrait être consacré à mener à Cordemais une expérimentation rigoureuse du nouveau procédé Ecocombust soutenu par EDF et les salariés, qui nous permet aussi de remettre en question la centrale à gaz de Landivisiau. En effet, une réussite à Cordemais rendrait inutile le maintien d’une autre centrale fossile thermique à Landivisiau, dotée, de surcroît, d’un contrat léonin, l’État versant 40 millions d’euros par an au titre du mécanisme de capacité pour le fonctionnement de Landivisiau.

Deuxième question, elle aussi relativement simple, monsieur le ministre d’État : prévoyez- vous de rediscuter avec Total, nouveau propriétaire du site à Landivisiau, de l’abandon possible de ce projet de centrale à gaz qui pourrait devenir inutile en Bretagne ?

M. le président. La parole est à M. le ministre d’État.

M. François de Rugy, ministre dÉtat, ministre de la transition écologique et solidaire. Monsieur le sénateur Ronan Dantec, je vais articuler ma réponse autour de trois noms de lieux sympathiques : Cordemais, Landivisiau et Flamanville. C’est l’approvisionnement en électricité de l’ouest de la France, de la Bretagne en particulier, qui est en jeu.

Nous avons demandé à RTE une étude complémentaire, qui nous sera fournie début février, sur la sécurité d’approvisionnement. Parmi les éléments récemment apparus figurent d’abord les retards pris dans la mise en service de l’EPR de Flamanville jusqu’à une date encore indéterminée. Je tiens à le dire à toutes celles et tous ceux qui parlent parfois du nucléaire en termes un peu passionnés, je fais état de faits : c’est l’Autorité de sûreté nucléaire qui a demandé des travaux à EDF, mais EDF n’a pas, pour l’instant, pu se prononcer sur une durée.

Deuxième élément, qui concerne la centrale existante de Flamanville, il faut signaler le risque que, lors des visites décennales, les mises à l’arrêt de réacteurs soient plus longues que prévu, ce qui rendrait le parc nucléaire français moins disponible, notamment pour l’alimentation de l’ouest du pays.

Enfin, le dernier élément concerne Landivisiau et comporte moins d’incertitudes. À l’évidence, si la centrale de Landivisiau n’est pas mise en service d’ici à la date prévue, à savoir 2022, la nécessité d’assurer la sécurité de l’approvisionnement nous empêche de fermer la centrale de Cordemais.

Quand j’ai dit que la date de fermeture de la centrale à charbon de Cordemais, comme celle des trois autres sites, était ajustable, je tenais compte de cet aspect lié à la sécurité d’approvisionnement. J’en profite pour m’adresser aux gens qui sont contre l’EPR de Flamanville, qui sont favorables à une fermeture plus rapide des réacteurs existants, qui sont opposés à la centrale à gaz de Landivisiau et qui réclament la fermeture immédiate de Cordemais. Je leur demande comment ils feront pour assurer la sécurité d’approvisionnement de nos compatriotes en matière d’électricité.

M. le président. Il faut conclure, monsieur le ministre d’État.

M. François de Rugy, ministre dÉtat. Il faut tout de même être concret et précis ! C’est dans ce cadre que le projet Ecocombust est étudié et que nous avons demandé à EDF de fournir tous les éléments précis sur le sujet.

M. le président. Monsieur le ministre d’État, vous dépassez votre temps de parole de quinze à vingt secondes à chaque réponse. Cela va faire beaucoup à la fin !

M. François de Rugy, ministre dÉtat. Les questions sont vastes, monsieur le président !

M. le président. Je vous rappelle que vous ne disposez que de deux minutes pour chaque réponse.

La parole est à M. Ronan Dantec, pour la réplique.

M. Ronan Dantec. En deux minutes, on n’arrive pas toujours avoir les réponses à toutes les questions qu’on pose !

Monsieur le ministre d’État, je suis d’accord avec vous pour dire qu’on ne peut pas vouloir tout fermer ou vouloir tout garder. Il nous faut aujourd’hui profiter de ce temps que nous donnent les retards pris sur un certain nombre d’unités pour remettre à plat la question de la sécurité de la production électrique de l’Ouest et de la Bretagne. Nous allons bientôt disposer de l’interconnexion venant d’Irlande. De plus, le projet Ecocombust est bon pour le climat. S’il fonctionne, il permettra d’économiser 40 millions d’euros par an à Landivisiau. Comme Total veut plutôt opter pour la production d’électricité verte, nous avons là une véritable opportunité d’économies pour les finances publiques !

M. le président. La parole est à Mme Nadia Sollogoub.

Mme Nadia Sollogoub. Monsieur le président, monsieur le ministre d’État, mes chers collègues, l’hydroélectricité est actuellement la première des énergies renouvelables. Elle joue un rôle primordial pour le système électrique français. Elle représente une production d’environ 10 % de la production électrique nationale, totalement décarbonée et sans production de déchets toxiques. Elle est souple, flexible, permet une grande réactivité, et on estime qu’en hiver, en période de pointe, 1 kilowattheure sur 4 est d’origine hydraulique. C’est en France une filière industrielle d’excellence, dont le savoir-faire s’est bâti historiquement.

Alors que, dans le monde, la gestion de l’eau, en particulier pour la production d’énergie, est un enjeu critique de géopolitique, curieusement, le silence entoure en France l’énergie hydroélectrique. On la traite comme une vieille dame respectable ayant vocation à être dépassée.

L’objectif de programmation est d’augmenter la capacité de production hydroélectrique de 500 à 750 mégawatts et la production de 2 à 3 térawattheures à l’horizon 2023. Autant dire une ambition marginale au regard des efforts faits en direction de l’énergie éolienne terrestre. Dans le même temps, nous apprenons que Bruxelles veut imposer l’ouverture à la concurrence des concessions hydrauliques EDF. Des dizaines d’ouvrages en France seraient concernées. Aucun autre opérateur européen n’est sommé, comme EDF, de laisser ses barrages !

La sécurité de l’approvisionnement énergétique nationale est une priorité absolue. L’optique qui consiste à privilégier la concurrence pure et dure entre opérateurs met au second plan la politique énergétique.

Mme Nadia Sollogoub. Dans ce contexte, pouvez-vous me dire, monsieur le ministre d’État, quelle est votre position : souhaitez-vous renforcer la filière hydroélectrique en France, augmenter la part qui lui est assignée et en faire un pilier de la transition énergétique nationale ? Entendez-vous vous opposer à la privatisation de nos barrages, conservant ainsi dans notre patrimoine national une carte maîtresse de notre indépendance énergétique ? (Applaudissements sur les travées du groupe Union Centriste, ainsi que sur des travées du groupe socialiste et républicain et du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.)

M. le président. La parole est à M. le ministre d’État.

M. François de Rugy, ministre dÉtat, ministre de la transition écologique et solidaire. Madame la sénatrice, le Gouvernement considère évidemment que l’hydroélectricité est une énergie d’avenir, pas simplement une vieille dame, avec tous les égards que nous lui devons !

Si certains barrages sont plus que centenaires, ils représentent une énergie d’avenir, une énergie propre, qui peut même gagner en efficacité.

Il n’a jamais été question de privatisation. Les mots ont un sens. Une privatisation signifierait que l’on vend les barrages et les infrastructures au plus offrant sans jamais pouvoir reprendre la main.

En revanche, il est question de renouvellement de concessions. De cela, il a toujours été question, vous le savez. Plusieurs concessions sont arrivées à échéance entre la fin de 2011 et aujourd’hui, et aucune procédure n’a été ouverte pour les renouveler, ce qui place nombre de territoires dans une situation d’incertitude que l’on ne peut absolument pas maintenir.

Vous le savez aussi, en France, les différents gouvernements ont mené des négociations avec la Commission européenne pour examiner les conditions du renouvellement de ces concessions.

Certains voulaient que les concessions soient renouvelées automatiquement au profit de l’opérateur déjà en place. Vous le voyez bien, ce n’est tout de même pas une position très défendable : pourquoi favoriser uniquement l’opérateur déjà présent ? Certaines concessions ont été renouvelées, concernant, par exemple, la CNR, la Compagnie nationale du Rhône. D’autres sont confiées à EDF et à la SHEM, la Société hydroélectrique du Midi, filiale d’Engie. D’autres encore, de plus petits barrages, fonctionnent sous un régime différent.

Nous sommes attachés au fait que les collectivités locales soient associées au processus de renouvellement des concessions, à la possibilité de regrouper des concessions d’un point de vue de gestion hydraulique, solution qui n’était pas forcément admise au niveau européen. Nous avons envisagé des prolongations contre travaux, tout en sachant qu’il y a parfois des dérives, comme on l’a vu dans le domaine des autoroutes, par exemple. Nous avons bien sûr veillé à préserver le statut des personnels au fil des renouvellements.

Voilà ce que nous ferons dans cette démarche très encadrée et négociée avec la Commission européenne, qui donnera lieu à des décisions dès cette année 2019.

M. le président. La parole est à Mme Nadia Sollogoub, pour la réplique.

Mme Nadia Sollogoub. Monsieur le ministre d’État, je vous remercie. À vrai dire, vous ne me voyez pas tellement rassurée. Vous avez utilisé une comparaison avec la situation des autoroutes : cette dernière a bien montré les complications qu’il peut y avoir lorsque l’on fait intervenir des gestionnaires différents. Que se passera-t-il en matière de protection des inondations quand divers gestionnaires interviendront sur un même cours d’eau et plusieurs barrages ? Je pense que cela sera extrêmement compliqué.

La vieille dame n’est pas rassurée non plus. En effet, la réponse a été globale mais pas très chiffrée quant à la place que vous comptez donner à l’hydroélectricité en France.

M. le président. La parole est à M. Jérôme Bignon.

M. Jérôme Bignon. Monsieur le président, monsieur le ministre d’État, mes chers collègues, le Gouvernement a fixé des objectifs ambitieux de transition énergétique dans la programmation pluriannuelle de l’énergie.

Se doter d’objectifs forts n’est pas nécessairement un exercice difficile. Ce qui est plus compliqué, c’est de les atteindre, et de les atteindre vite, car 2030, c’est demain.

La Commission européenne a, en novembre dernier, adopté une vision stratégique afin de parvenir à une économie prospère et neutre pour le climat d’ici à 2050. Le captage et le stockage du carbone sont l’un des sept axes de travail pour atteindre la neutralité carbone.

À juste titre, car, selon l’Agence internationale de l’énergie, le stockage de carbone serait le troisième levier le plus efficace pour assurer la transition énergétique.

Pour réussir à limiter la hausse des températures mondiales à 2 degrés à l’horizon 2060, il faudra que 14 % des réductions cumulées d’émissions proviennent du captage et du stockage de carbone.

Emprisonner et enfouir le carbone émis avant son émission dans l’atmosphère, principalement dans les centrales électriques et les sites industriels à forte intensité énergétique, est essentiel.

Si ces technologies sont testées avec succès, elles restent limitées à quelques sites dans le monde et ne sont pas du tout attractives au niveau financier, ce qui bride leur multiplication. À ce jour, le volume d’émissions traité par 18 grandes installations dans le monde est de 40 millions de tonnes par an, alors que l’objectif fixé pour 2050 est d’environ 10 milliards de tonnes de CO2 par an, soit 250 fois plus.

Monsieur le ministre d’État, pouvez-vous nous dire où en est la France dans le développement des technologies innovantes de captage et de stockage de carbone ?

Nous avons la chance, en France, de posséder un grand établissement public, le Bureau de recherches géologiques et minières, plus communément dénommé BRGM. Ses recherches et ses travaux sont-ils utilisés à leur juste valeur ? Qu’en est-il du projet européen ENOS, que coordonne précisément le BRGM ?

M. le président. La parole est à M. le ministre d’État.

M. François de Rugy, ministre dÉtat, ministre de la transition écologique et solidaire. Monsieur le sénateur, il est difficile de répondre en deux minutes sur un sujet aussi vaste !

Bien sûr, on ne peut que souhaiter, dans le cadre de la réduction des émissions de CO2, avoir aussi une part de stockage. Au demeurant, il faut tout de même être précis, concret et pragmatique.

Des expérimentations à grande échelle ont été menées. C’est le cas, par exemple, sur le site de Lacq par le groupe Total. Elles n’ont pas abouti.

Par ailleurs, ces solutions sont souvent très coûteuses. Un projet de captage d’EDF et d’Alstom au Havre sur une tranche de la centrale à charbon n’a pas été plus concluant.

Il faut avoir des projets soutenables. Il est évident que tout cela est lié au prix du carbone. S’il est bas et que l’on ne veut pas agir dessus, il n’est pas du tout intéressant d’investir dans ces technologies. Sans doute faudrait-il les centrer soit sur les gros émetteurs du type de l’industrie sidérurgique situés à proximité de sites où l’on puisse stocker, soit – certains pays l’envisagent, la France est moins concernée – sur les anciennes plateformes d’exploitation de pétrole en milieu sous-marin, qui pourraient faire l’objet d’un stockage.

Pour ce qui est du projet européen ENOS, il a reçu une aide de 12 millions d’euros de la Commission européenne, avec un soutien fort de la France. Nous allons donc évidemment poursuivre dans cette voie et suivre de près la réalisation de ce projet, qui permettra peut-être d’avoir de meilleurs résultats que les précédentes expérimentations.

M. le président. La parole est à M. Jérôme Bignon, pour la réplique.

M. Jérôme Bignon. Monsieur le ministre d’État, je ne vous trouve pas très allant sur cette question du stockage, qui me semble pourtant essentielle. D’abord, à mon sens, les travaux du BRGM méritent d’être regardés de près. Je voudrais vous renvoyer à la très remarquable note de quatre pages rédigée par notre collègue Roland Courteau, ici présent, dans le cadre des travaux qu’il réalise à l’OPECST, l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques, note intitulée Stocker plus de carbone dans les sols : un enjeu pour le climat et pour lalimentation. Elle est moins pessimiste que vous !

Je pense qu’on aurait intérêt à privilégier cette technologie que la France peut maîtriser et sur laquelle elle peut travailler, car elle dispose des instruments scientifiques pour le faire. Je pense vraiment qu’il faut essayer d’y aller d’un bon pas. C’est une piste qu’il ne faut pas négliger.

M. Roland Courteau. Très bien !

M. le président. La parole est à M. Daniel Gremillet. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – Mme Anne-Catherine Loisier applaudit également.)

M. Daniel Gremillet. Monsieur le ministre d’État, nous discutons de la future programmation pluriannuelle de l’énergie, la PPE, mais je rappelle que nous attendons toujours votre projet de texte.

M. Daniel Gremillet. Vous l’avez annoncé pour la semaine prochaine, alors que le Président de la République lance aujourd’hui même le grand débat national.

Première question : la PPE pourra-t-elle être revue en fonction des résultats du grand débat national ? Je n’ai pas besoin de rappeler qu’à l’origine du mouvement il y avait la taxe carbone.

Le Gouvernement avait élaboré son projet de PPE en fonction de la trajectoire carbone prévue. La suspension des hausses finalement décidée ne vous oblige-t-elle pas à revoir votre copie ? Je pense, par exemple, au soutien aux énergies renouvelables thermiques, dont le niveau dépend beaucoup de la taxation des énergies fossiles.

Deuxième question : le Gouvernement a décidé la fermeture des centrales à charbon. Je ne reviendrai pas sur Cordemais, car vous avez répondu. Je voudrais entendre votre point de vue sur les autres centrales.

Uniper a annoncé être entré en négociation exclusive avec un groupe énergétique tchèque pour la vente de ses actifs. Comment réagissez-vous à cette annonce ?

Enfin, pour compléter une précédente question sur l’hydroélectricité, je poserai deux questions de détail qui ont leur importance : l’hydroélectricité dont on connaît les grandes vertus est-elle véritablement considérée comme la grande oubliée, comme cette PPE en témoigne ? Y aura-t-il de nouvelles capacités hydroélectriques ? Vous parlez d’optimisation des installations existantes, mais la vraie question est la suivante : peut-on imaginer des projets de nouveaux barrages et pas seulement de petits ouvrages, même si, là aussi, il y a beaucoup de potentiel ? (Mmes Patricia Morhet-Richaud et Nadia Sollogoub ainsi que M. Jean-Paul Prince applaudissent.)

M. le président. La parole est à M. le ministre d’État.

M. François de Rugy, ministre dÉtat, ministre de la transition écologique et solidaire. Monsieur le sénateur Gremillet, à question claire, réponse claire : le grand débat n’a pas vocation à tout remettre en cause. Nous avons pris un certain nombre d’engagements, fait un certain nombre de choix politiques depuis les élections de 2017. Je pense que nous sommes tous d’accord pour considérer que, la légitimité des élections, c’est la légitimité politique par excellence.

La programmation pluriannuelle de l’énergie, la politique climat, c’est une politique qui fait partie de nos grands engagements, que nous ne remettrons pas en cause. Nous rechercherons simplement si des solutions nouvelles peuvent émerger pour les mettre en œuvre.

Par rapport à la lutte contre les émissions de CO2, il n’y a pas que la taxe carbone, vous le savez, cela a été suffisamment dit, même si, de fait, la France se situe aujourd’hui au troisième rang des pays de l’Union européenne qui ont la taxe carbone la plus élevée.

En ce qui concerne les centrales à charbon, je le redis, notre volonté politique est de les fermer d’ici à 2022. Quatre sites, deux groupes différents, EDF et Uniper, mais quatre réalités quelque peu différentes pour la reconversion et l’avenir des salariés, d’où un accompagnement particulier. Il y a un binôme le Havre-Cordemais, qui appartient au groupe EDF, notamment par rapport au projet Ecocombust. Il y a un autre binôme Saint-Avold-Gardanne, qui appartient à Uniper. Nous aurons et j’aurai personnellement très prochainement un échange avec l’entreprise EPH, qui est en négociation pour racheter Uniper. Cela ne change rien à notre objectif.

Quant aux barrages et à l’hydroélectricité, oui, nous considérons que quelques centaines de mégawatts supplémentaires pourraient être valorisées. Tant mieux, mais, vous le savez comme moi, il n’y a pas de grandes capacités pour construire de nouveaux barrages en France.

On parle souvent de l’acceptabilité territoriale, citoyenne, sociale, environnementale et économique des différents modes de production d’énergie : quels qu’ils soient, des oppositions peuvent toujours s’exprimer. Vous imaginez bien que, si l’on proposait aujourd’hui de noyer des vallées de façon autoritaire, comme cela se fait dans d’autres pays, cela susciterait des mouvements très forts. Il ne faut donc pas faire de fausses promesses aux gens ; en revanche, tout ce qui pourra être valorisé le sera, en matière d’hydroélectricité comme pour le reste.

M. le président. La parole est à M. Daniel Gremillet, pour la réplique.

M. Daniel Gremillet. Monsieur le ministre d’État, votre première réponse me pose une vraie question de fond. On annonce une consultation nationale sur ce sujet, mais il ne faut pas la fuir. Voilà la vraie question de fond : un certain nombre de personnes ont besoin d’un véhicule pour aller travailler. Certes, nous avons déjà eu l’occasion de débattre de la taxe carbone, mais la trajectoire que vous avez adoptée est purement insupportable pour la population qui a besoin d’un véhicule pour se déplacer. (M. le ministre dÉtat fait un geste de dénégation.)

Mais si, soyez réaliste ! Vivez sur le terrain, avec les femmes et les hommes qui habitent nos territoires, en milieu rural, certes, mais aussi en milieu urbain ! C’est un vrai sujet.

J’ai compris que sur les centrales au charbon, vous aviez pris une décision.

M. le président. Il faut conclure, mon cher collègue.

M. Daniel Gremillet. Il est important d’avoir ce contact. Quant à l’hydroélectricité, je suis un peu déçu, parce que je pensais que les perspectives étaient plus belles que celles que vous avez annoncées.

M. le président. La parole est à M. Joël Bigot.

M. Joël Bigot. Monsieur le président, monsieur le ministre d’État, mes chers collègues, quels enseignements le Gouvernement a-t-il tirés du débat organisé par la Commission nationale du débat public, la CNDP, entre mars et juin 2018, sur la programmation pluriannuelle de l’énergie ?

En octobre dernier, nous avons reçu ici même M. Jacques Archimbaud, vice-président de la CNDP. Il nous a présenté les conclusions de cette consultation exceptionnelle, qui a mobilisé des milliers de citoyens. Il a insisté sur des points essentiels, dont auraient dû s’inspirer le Président de la République et le Gouvernement pour saisir les attentes sociales et écologiques profondes des Français.

Voici, pour mémoire, un extrait de ses propos : « Pour être efficace, une politique énergétique devrait associer mieux les citoyens et les territoires. Largement attachés à donner un plus grand rôle aux collectivités, intéressés par le développement de l’autoconsommation, les participants soulignent que le rôle de l’État doit être de garantir la solidarité entre usagers et entre territoires. »

Le travail de concertation a donc, d’une certaine façon, déjà eu lieu, monsieur le ministre d’État, mais vous avez manqué de lucidité sur la pertinence des remarques formulées, notamment sur la précarité énergétique, qui touche 7 millions de personnes selon les chiffres de l’Observatoire national dédié à ce problème. Aussi, le montant médian des impayés énergétiques atteint désormais 789 euros, soit quasiment 200 euros de plus qu’il y a dix ans. Ces chiffres étaient connus.

Je n’évoquerai pas aujourd’hui nos propositions concrètes en faveur du renforcement de la dimension sociale de la future PPE.

Toutes les raisons de la crise actuelle sont rigoureusement consignées dans le rapport de la CNDP : on ne peut faire la transition énergétique contre une partie de la population, ou contre les territoires dont nous sommes ici les représentants. Je crois que vous en avez tardivement pris conscience.

C’est pourquoi, alors que s’ouvre aujourd’hui le grand débat, je veux vous demander comment le Gouvernement envisage d’y intégrer les réflexions portées lors des débats dont l’organisation a été déléguée, sans ménagement, aux maires.

M. le président. La parole est à M. le ministre d’État.

M. François de Rugy, ministre dÉtat, ministre de la transition écologique et solidaire. Monsieur le sénateur Bigot, à l’évidence, il est absolument indispensable d’associer les citoyens et les territoires à la grande transformation de la politique énergétique de la France qu’il faut mener. C’est déjà à l’œuvre : les collectivités locales foisonnent d’initiatives relatives à la production d’énergie ; elles soutiennent même parfois la production d’énergies renouvelables.

Je pense notamment aux réseaux de chaleur, que personne n’a d’ailleurs évoqués jusqu’à présent. Ces réseaux permettent de développer une chaleur renouvelable et de répondre ainsi au besoin élémentaire de chauffage de nos concitoyens tout en assurant, dans le temps, la maîtrise des coûts. C’est donc un moyen de garantir aux Français et, notamment, aux locataires, au-delà même du parc social, que leurs factures seront maîtrisées dans le temps.

J’ai aussi à l’esprit le développement des énergies renouvelables. Je le dis et je le redirai autant de fois qu’il le faudra : cela revient à développer les atouts de notre territoire, partout en France, en métropole comme dans les outre-mer. Il faut valoriser toutes ces ressources, depuis la géothermie – la chaleur que nous avons sous nos pieds – jusqu’à la filière bois, sous-développée en France pour l’énergie comme pour la construction. L’éolien, terrestre et maritime, flottant et posé, est aussi en jeu, de même que le solaire et le photovoltaïque, ainsi que la méthanisation et donc la production de gaz renouvelable. Toutes ces productions d’énergies renouvelables représentent des atouts sur nos territoires.

Cela dit, pour ma part, je défendrai toujours l’idée de réaliser ces évolutions à coût maîtrisé. En effet, s’il faut financer le stockage de carbone ou tout autre projet expérimental, comme l’hydrogène, sur fonds publics, l’équation sera toujours la même. Soit ce coût est répercuté directement sur le prix de l’énergie – gaz ou électricité –, ce qui conduirait à une augmentation des prix, soit on le finance par l’impôt ; or on a vu les limites de cette méthode, et on les verra toujours dans un pays où le niveau des impôts et des taxes est très élevé.

Nous irons donc dans le sens des conclusions du rapport de la CNDP. Nous mettrons en œuvre cette transformation écologique et énergétique en profondeur, avec les Français et avec les élus locaux.

M. le président. La parole est à M. Joël Bigot, pour la réplique.

M. Joël Bigot. Je vous remercie de votre réponse, monsieur le ministre d’État. J’ai bien compris, en écoutant la réponse que vous avez faite à M. Gremillet, qu’il n’était pas question, dans le cadre du grand débat public, de bouleverser les choix qui ont été faits depuis deux ans. En revanche, il est vraisemblable que, dans ce même cadre, un certain nombre de propositions vont émerger, qui auront tout intérêt à être reprises. Qu’en pensera le Gouvernement ?

Je m’y intéresse d’autant plus que, dans cet hémicycle, nous avions fait un certain nombre de propositions, notamment par voie d’amendement, sur les économies d’énergie ; or ces propositions n’avaient pas été reprises. Plus tôt dans l’après-midi, je vous ai entendu affirmer que votre politique reposait sur deux piliers ; dès lors, vous auriez tout intérêt à reprendre quelques-unes d’entre elles. C’est le vœu que je formule, en espérant que vous saurez redescendre au niveau des territoires et des citoyens, pour lesquels vous avez indiqué qu’il y avait beaucoup d’énergie et de potentialités.

M. le président. La parole est à M. Jean-Paul Prince.

M. Jean-Paul Prince. Monsieur le président, monsieur le ministre d’État, mes chers collègues, le secteur qui émet, à l’heure actuelle, le plus de gaz à effet de serre dans notre pays est, comme chacun sait, celui des transports.

Or le transport routier dispose dans ce secteur d’une part modale écrasante, au détriment des moyens de transport alternatifs que sont le train et la navigation fluviale. Ceux-ci sont pourtant plus respectueux de l’environnement. Hélas, ils ne représentaient en 2017 que 11,7 % du fret intérieur. Ces chiffres placent la France parmi les mauvais élèves européens en la matière et montrent une aggravation de la situation.

Face à la dégradation de notre environnement et au défi du réchauffement climatique, il serait très important de changer cet état de fait et de faire preuve de volontarisme en la matière. Le transport routier dans son ensemble a un impact environnemental particulièrement lourd. De plus, ce secteur est particulièrement difficile à réformer ; le contexte actuel nous le rappelle. En revanche, une marge de progrès est possible dans la part modale du fret ferroviaire et fluvial.

Le 27 novembre dernier, lors de la présentation des grands objectifs du décret à venir de programmation pluriannuelle de l’énergie, le Président de la République a fait preuve d’un tel volontarisme, en prenant des engagements forts, en particulier dans le domaine du nucléaire et des énergies renouvelables. Voilà dix ans, dans la loi Grenelle I, le législateur avait fixé des objectifs chiffrés d’augmentation de la part modale du fret ferroviaire ; hélas, ils furent sans lendemain.

Je suis pleinement conscient que les enjeux auxquels l’État doit répondre dans cette PPE sont nombreux et que ses marges de manœuvre, notamment financières, sont limitées. Toutefois, monsieur le ministre d’État, je tiens à vous demander si le Gouvernement compte y faire figurer des objectifs ou des mesures concernant l’augmentation de la part modale des secteurs ferroviaire et fluvial dans le transport de marchandises. (Applaudissements sur les travées du groupe Union Centriste.)

M. le président. La parole est à M. le ministre d’État.

M. François de Rugy, ministre dÉtat, ministre de la transition écologique et solidaire. Monsieur le sénateur Jean-Paul Prince, le secteur du transport, qu’il s’agisse de passagers ou de marchandises, secteur aujourd’hui dominé, en France, par le transport routier, doit évidemment faire un effort important de réduction des émissions de CO2.

Nous le faisons au travers des normes CO2 applicables aux véhicules. Une initiative européenne en la matière est d’ailleurs passée quelque peu inaperçue : pour la première fois, des normes s’imposeront aux camions.

Mais il faut aussi, à l’évidence, transférer une partie du trafic et, notamment, du fret, vers le rail et la voie d’eau. Cela fait partie de notre politique, vous le savez bien. D’ailleurs, le Sénat a contribué activement l’année dernière à l’adoption, sur l’initiative du Gouvernement, d’une réforme du système ferroviaire français, qui visait à le rendre plus efficace et plus compétitif, pour que davantage de transports de marchandises et de voyageurs s’effectuent par le chemin de fer.

En l’occurrence, nous faisons des efforts d’investissement : nous engageons, sur dix ans, 3,6 milliards d’euros pour renouveler le réseau ferroviaire existant et 2,6 milliards d’euros sur la même période pour « désaturer », c’est-à-dire pour améliorer le fonctionnement des grands nœuds ferroviaires centrés sur les grandes villes et constituer autour d’eux des réseaux plus efficaces, à la fois pour les passagers et pour les marchandises.

Nous avons également prévu d’investir, toujours sur dix ans, 2,3 milliards d’euros pour soutenir le développement des ports et de leurs connexions ferroviaires et fluviales, afin, là aussi, de rendre plus efficace ce mode de transport des marchandises.

Nous avons par ailleurs pris un engagement extrêmement fort : limiter au niveau de l’inflation la hausse des péages ferroviaires appliqués aux entreprises ferroviaires de fret ; l’État conforte le dispositif de compensation pour assurer la neutralité financière de cette mesure pour SNCF Réseau.

Nous sommes précis et concrets : c’est un engagement financier, de même que le maintien d’une aide au transport combiné, visant à favoriser ce mode de transport des marchandises, et que les investissements qui seront réalisés en faveur des petites voies du dernier kilomètre et des voies de service ; il ne s’agit que des mesures relatives au transport de marchandises.

M. le président. La parole est à M. Jean-François Husson.

M. Jean-François Husson. Monsieur le président, monsieur le ministre d’État, mes chers collègues, il aura fallu la crise des « gilets jaunes » pour que le Gouvernement prenne conscience que sa décision d’augmenter très fortement la contribution climat-énergie, en avançant à 2024, au lieu de 2030, le passage à 100 euros du prix de la tonne de carbone, n’était pas viable.

Le Sénat vous avait pourtant alerté, monsieur le ministre d’État, mais vous avez refusé de l’écouter. En l’occurrence, j’avais interpellé en novembre 2017, lors de l’examen du projet de loi de finances pour 2018, le ministre de l’action et des comptes publics, car je craignais de voir revenir des « bonnets rouges » ; M. Darmanin avait à l’époque balayé mes remarques d’un revers de manche.

Parce que vous n’avez pas voulu écouter le Sénat, vous avez dû céder à la rue. Sans stratégie gouvernementale claire et partagée, vous naviguez à vue sur un sujet qui est pourtant un enjeu et un défi très important de notre siècle : je veux parler de la transition énergétique.

Nous attendons d’ailleurs toujours, monsieur le ministre d’État, le texte de la PPE. Celle-ci est venue par inadvertance, au travers du discours du Président de la République ; elle n’avait absolument pas été annoncée auparavant.

À ce jour, faute de document programmatique, nous ne pouvons concrètement aborder les vrais sujets de fond : quid de la position du Gouvernement sur l’électrification de la société française ?

Son ambition est-elle toujours de renoncer au modèle de la voiture thermique, au profit de l’électrique, ce qui pose des questions en matière d’aménagement du territoire, d’approvisionnement et de consommation énergétique ?

Surtout, quelle trajectoire financière le Gouvernement a-t-il prévue pour se donner les moyens de ses ambitions, à la suite notamment de la remise en cause de la trajectoire de la taxe carbone ? Quelle efficacité énergétique recherche-t-on ? Comment réduire les consommations ? Quelle montée en charge des énergies propres et renouvelables ? Je pense notamment aux réseaux de chaleur.

Monsieur le ministre d’État, pouvez-vous nous indiquer si le Gouvernement compte mettre en place une feuille de route financière précise, à l’occasion de cette PPE, notamment sur la fiscalité énergétique ? Si tel est le cas, quel calendrier sera retenu ?

M. Gérard Longuet. Très bien !

M. le président. La parole est à M. le ministre d’État.

M. François de Rugy, ministre dÉtat, ministre de la transition écologique et solidaire. Monsieur le sénateur Husson, j’ai compté au moins une dizaine de questions : il me sera difficile d’y répondre de façon précise en deux minutes.

M. Jean-François Husson. J’y suis parvenu en deux minutes !

M. François de Rugy, ministre dÉtat. Il est plus facile d’égrener des questions que de faire des réponses argumentées !

M. Gérard Longuet. Cela s’appelle l’exercice du pouvoir !

M. Jean-François Husson. Vous avez le talent requis !

M. François de Rugy, ministre dÉtat. Sur la taxe carbone, je veux que les choses soient claires. Oui, nous avons décidé une pause pour 2019 ; nous ne savons pas encore concrètement, avant le grand débat national, ce que nous ferons en 2020 et en 2021.

Maintenant, il nous faut être bien conscients d’une chose : la taxe carbone sur les carburants représentait, pour l’essence, une hausse de leur prix de 3 centimes d’euro par litre, prévue au 1er janvier 2019 ; pour le gazole, la hausse aurait été plus élevée, du fait de la convergence des fiscalités du gazole et de l’essence, et non pas de la taxe carbone. Cette hausse serait intervenue dans un contexte de forte baisse du prix du pétrole. En revanche, ce prix avait fortement augmenté en octobre : c’est cela qui a provoqué cette réaction de nos compatriotes.

D’ailleurs, quand j’évoque, dans mes discussions avec les « gilets jaunes », ces 3 centimes, ils me regardent avec des yeux ronds : on leur avait fait croire – certaines personnes, et non pas vous, sans doute, monsieur le sénateur – que cette hausse était due aux taxes. Mais tel n’était pas le cas en octobre : d’ailleurs, ce n’est pas au 1er octobre qu’augmentent les taxes, mais bien au 1er janvier ! (Exclamations sur les travées du groupe Les Républicains.)

En l’occurrence, le débat sera de nouveau posé. En effet, on ne peut pas affirmer, d’un côté, comme l’un d’entre vous l’a fait précédemment, qu’il faut donner un prix au carbone et que son prix actuel n’est pas assez élevé, et, d’un autre côté, dénoncer une taxe carbone existante et dire qu’il faut un autre mode d’imposition. Certes, ce n’est pas le seul levier possible, mais c’en est un.

Les questions auxquelles il faut répondre sont les suivantes : quel niveau, quel rythme, et que fait-on des recettes ? Voilà les questions qui sont posées par les Français. Il est tout à fait normal qu’on en débatte et qu’on apporte des réponses.

Quant à l’électrification des transports individuels, oui, cela reste l’un des axes majeurs de notre politique, non pas simplement en France, mais en Europe. Les normes CO2 applicables aux véhicules vont dans ce sens ; je vous le dis, mon cher collègue…

M. Jean-François Husson. Je ne suis pas ministre !

M. François de Rugy, ministre dÉtat. Avant d’être ministre, je suis élu !

M. le président. Il faut conclure, monsieur le ministre d’État.

M. François de Rugy, ministre dÉtat. Je tiens à le dire à nos concitoyens, car un grand travail d’explication reste à faire à ce sujet : aujourd’hui, la voiture électrique est plus adaptée aux besoins des habitants des zones rurales qu’à ceux des habitants des villes. Or elle a l’image inverse. Voyez-y un exemple des sujets sur lesquels nous aurons à travailler dans les mois et les années qui viennent.

M. le président. La parole est à M. Jean-François Husson, pour la réplique.

M. Jean-François Husson. Monsieur le ministre d’État, je veux d’abord vous répondre, en quelques mots, sur la taxe carbone. Ne nous méprenons pas : pour recevoir la confiance des Français et avoir des chances de réussir, il faut créer les conditions de la confiance, il faut donc dialoguer et écouter. C’est ce que j’appelle l’intelligence partagée. Or, à l’époque de sa création, cette taxe a été imposée, il n’y avait pas à discuter. C’est là votre faute : d’ailleurs, cela a été reconnu par le Premier ministre et le Président de la République.

Ensuite, je pense très honnêtement que, si l’on veut faire gagner l’écologie, ce qui est finalement le sens de la vie, il faut alors tout faire pour associer les territoires et leurs habitants. Or sur ce point, honnêtement, vous avez un déficit abyssal. Alors, je nous donne rendez-vous pour reprendre la main ensemble. Je vous vois, monsieur le ministre d’État, dodeliner de la tête, mais je pense que c’est aussi ce que les Français vous ont exprimé.

M. Michel Savin. Très bien !

M. le président. La parole est à Mme Angèle Préville.

Mme Angèle Préville. Monsieur le président, monsieur le ministre d’État, mes chers collègues, la feuille de route qui nous est présentée comporte une zone d’ombre : l’impossibilité de donner un cap sur la question du nucléaire, avec le report à 2035 de la réduction à 50 % de sa part dans le mix énergétique.

Certes, on nous annonce 14 fermetures de réacteur. Il y a pourtant un non-sens aujourd’hui à vanter les mérites de cette énergie, certes décarbonée, tant les risques posés pour la sûreté, la sécurité, l’économie et la santé publique sont avérés.

Quel sera le prix à payer pour faire du neuf avec du vieux ?

Notre parc est vieillissant : 37 réacteurs atteindront quarante années de fonctionnement à l’horizon 2025. Dois-je rappeler que le risque d’accident n’en est que plus grand ? Vous le savez tous : rien n’égale en gravité un accident nucléaire.

Sur la sécurité, la sûreté et la gestion des déchets, nous ne pouvons pas pratiquer la langue de bois.

Oui, le béton de la cuve des réacteurs devient poreux avec l’âge.

Oui, l’émergence d’un nouveau risque sécuritaire, par cyberattaques, mais aussi par attaques physiques, est avérée.

Oui, le projet Cigéo reste inabouti, et la gestion des déchets radioactifs qui s’accumulent pose un véritable problème.

Oui, le développement de la sous-traitance implique une perte de maîtrise technique de certaines opérations.

Oui, enfin, le réchauffement climatique posera problème, en affectant l’approvisionnement des centrales en eau de refroidissement.

Face à cette situation, qu’avons-nous ? Une chape de plomb sur l’EPR : quand ce projet a débuté, en 2007, on prévoyait sa mise en service en 2012. Ce projet a donc huit ans de retard, et son surcoût, de 7,5 milliards d’euros, donne le vertige.

Que penser aussi de notre dépendance à l’égard de pays fournisseurs où la menace terroriste est réelle ? Le Niger est confronté aux incessantes attaques de Boko Haram ; à Arlit, le site d’AREVA a déjà été attaqué. Par ailleurs, l’exploitation des gisements d’uranium a conduit à un désastre sanitaire : la population et l’environnement sont contaminés par la radioactivité. Passera-t-on la situation sous silence, comme cela fut fait en France ?

Je ne peux que regretter que le Parlement ne soit pas associé à ces enjeux, dans le cadre d’une loi.

M. le président. Il faut conclure, ma chère collègue.

Mme Angèle Préville. Nous avons pris trop de retard sur le développement des énergies renouvelables.

M. le président. La parole est à M. le ministre d’État.

M. François de Rugy, ministre dÉtat, ministre de la transition écologique et solidaire. Madame la sénatrice Préville, le cap que nous avons dessiné sur la production nucléaire d’électricité, que j’ai décrit précédemment, est clair et beaucoup plus précis qu’il ne l’était lors de l’adoption de la loi de transition énergétique, en 2015.

Nous nous situons dans cette orientation générale, mais nous avons été obligés, par principe de réalité, de reconnaître qu’atteindre en 2025 l’objectif 50-50 n’était pas faisable, y compris parce que peu d’initiatives avaient été prises auparavant.

Vous savez que même le décret de fermeture de la centrale de Fessenheim, pris à la va-vite en avril 2017, quelques semaines avant l’élection présidentielle, a été cassé par le Conseil d’État, ce qui était couru d’avance, si vous me permettez l’expression, tellement il avait été mal rédigé.

Nous avons fait les choses dans l’ordre. La centrale de Fessenheim va fermer : cet engagement, pris en 2012 par François Hollande, alors candidat à l’élection présidentielle, sera mis en œuvre d’ici à 2022 par le Gouvernement.

Quant à la transition que nous avons à mener, elle est double : il s’agit, à la fois, de la baisse des émissions de CO2 et de celle de la part du nucléaire dans la production d’électricité française. Peu de pays font ce double effort dans le même temps.

Quant aux risques, nous les prenons très au sérieux ; telle est la mission, vous le savez, de l’Autorité de sûreté nucléaire. Je peux vous dire que l’opérateur, EDF, juge l’ASN beaucoup trop rude et trop exigeante. C’est une réalité que les Français doivent connaître : de fait, le taux de disponibilité de nos centrales nucléaires est aujourd’hui beaucoup plus faible qu’autrefois. En hiver, au moment même où les besoins sont les plus élevés, entre 60 % et 70 % du parc nucléaire français est en capacité de produire de l’électricité.

C’est notre devoir d’anticiper le vieillissement des centrales et les effets qu’il a sur la sécurité d’approvisionnement en électricité et sur la sécurité tout court. Nous aurons la même démarche sur la question des déchets nucléaires.

M. le président. La parole est à Mme Angèle Préville, pour la réplique.

Mme Angèle Préville. Je voulais insister sur le risque d’accident et sur la gestion des déchets. Dans plusieurs milliers, voire plusieurs centaines de milliers d’années, quand tout aura disparu à la surface de notre territoire, une seule chose restera : nos déchets nucléaires, qui seront toujours radioactifs.

M. le président. La parole est à Mme Pascale Bories.

Mme Pascale Bories. Monsieur le président, monsieur le ministre d’État, mes chers collègues, permettez-moi de vous faire part de mon étonnement à propos de la programmation pluriannuelle de l’énergie dont nous débattons aujourd’hui.

Le 27 novembre dernier, monsieur le ministre d’État, vous présentiez la stratégie française pour l’énergie et le climat. Force est de constater qu’à ce jour, bien que cette présentation ait été faite auprès des Français via les médias, la future PPE n’a toujours pas été dévoilée ; sinon, un décret en ce sens aurait été publié.

Comment ne pas s’étonner, voire s’alarmer, que la stratégie française pour l’énergie et le climat soit dévoilée alors qu’elle est censée s’appuyer sur un document qui n’existe pas ?

Rappelons en effet la portée normative de ce document programmatique tant attendu, notamment par les différentes filières de la production électrique. Ce document est censé fixer les objectifs quantitatifs pour les lancements d’appels d’offres adressés aux investisseurs, définir les orientations d’autorisations d’exploitation de nouvelles productions, et proposer les différents scenarii de ce que sera la consommation énergétique des Français en 2023 et en 2028.

Je note que, sur les quatre scenarii proposés, seuls deux ont été retenus comme bases de discussion pour le débat public.

Voici donc mes questions, monsieur le ministre d’État. Les acteurs du secteur de l’énergie, les décideurs locaux et, in fine, les Français ont montré ces dernières semaines leur désaccord sur les méthodes de concertation et de débat public du Gouvernement ; auront-ils à subir les conséquences de nouvelles volte-face et du retard pris sur le sujet crucial de la PPE ?

Pourquoi ne disposent-ils pas d’une trajectoire crédible et transparente, notamment sur le nucléaire, qui nous conduirait vers le respect des engagements de la COP21 ?

Enfin, monsieur le ministre d’État, quel calendrier prévoyez-vous pour présenter la PPE au Parlement, comme le prévoit l’article L. 141–4 du code de l’énergie, et pour publier le décret ?

M. le président. La parole est à M. le ministre d’État.

M. François de Rugy, ministre dÉtat, ministre de la transition écologique et solidaire. Je crois avoir répondu, dès mon propos introductif, à la question identique que m’a posée M. Longuet. Je vous renvoie donc, madame la sénatrice Bories, à cette réponse.

La procédure d’adoption de la PPE n’est pas une surprise. Ce n’est pas le Gouvernement qui la détermine : elle a été fixée par la loi de transition énergétique. Il ne s’agit donc pas d’un décret ordinaire, que je pourrais signer tout seul dans mon bureau. La PPE est soumise à la consultation de l’autorité environnementale, pendant trois mois, puis à celle du public, pendant quarante-cinq jours ; cinq autres organismes, dont je ne redonne pas la liste, doivent aussi donner leur avis, ainsi que nos voisins européens. Tout cela exige donc cinq mois. Or, depuis le 27 novembre, il ne s’est écoulé qu’un mois et demi. C’est la semaine prochaine que nous présenterons le texte, qui fait, en tout, près de 400 pages.

Vous voyez donc, madame la sénatrice, que nous suivons la procédure normale : il n’était pas prévu que la PPE fasse l’objet d’un vote au Parlement, puisqu’il s’agit d’un décret d’application de la loi.

M. Gérard Longuet. La loi est modifiée ! Ce n’est pas un décret qui peut modifier la loi !

M. François de Rugy, ministre dÉtat. Si vous voulez changer la législation sur ce point, vous pouvez le faire, mais c’est la loi de transition énergétique de 2015 qui a prévu une telle procédure.

Par ailleurs, l’objectif concret de la PPE, vous le savez bien, est d’offrir un cadre clair, aux Français en général, mais aussi aux collectivités locales, qui sont déjà des acteurs de la transition énergétique et, parfois, de la production d’énergie, de sa distribution et des économies d’énergie, ainsi qu’aux entreprises et aux investisseurs. Ceux-ci sont nombreux et variés, et ils n’ont pas tous les mêmes intérêts. Je n’ai pas besoin de vous faire un dessin : nous avons, d’une part, des opérateurs historiques, qui ont un métier dominant, et, d’autre part, de nouveaux acteurs, qui œuvrent pour la diversification et la transformation des opérateurs historiques.

Il faut mener tout cela en même temps – c’est ce que nous faisons –, mais en donnant aux acteurs un cap. Dix ans, ce n’est pas de trop. En effet, quand on lance des projets en matière énergétique, il faut souvent plus de dix ans pour les réaliser, quel que soit le mode de production, mais a fortiori pour ce qui est du nucléaire ; des projets éoliens eux-mêmes requièrent au minimum huit ou neuf ans.

Voilà le cadre dans lequel nous nous inscrivons et qui va permettre aux uns et aux autres de se mettre en mouvement, pour réaliser ce beau projet de transformation de la production et de la consommation d’énergie en France.

M. le président. Monsieur le ministre d’État, je me permets de vous rappeler les limites qui s’imposent à votre temps de parole : vous les dépassez à chaque fois de quinze à vingt secondes.

La parole est à Mme Pascale Bories, pour la réplique.

Mme Pascale Bories. Visiblement, nous renouvelons les retards pris en 2016 par le précédent gouvernement. Les constructeurs automobiles, les producteurs d’énergie, mais aussi le secteur du bâtiment public attendent et retiennent leur souffle : ce n’est qu’avec la diffusion de la PPE qu’ils pourront programmer et investir.

Non, monsieur le ministre d’État, je n’invente pas la loi : c’est l’article L. 141–4 du code de l’énergie qui vous impose de présenter la PPE au Parlement.

M. le président. La parole est à M. Guillaume Chevrollier.

M. Guillaume Chevrollier. Monsieur le président, monsieur le ministre d’État, mes chers collègues, à l’heure du lancement du grand débat national, je me félicite de la tenue, au Sénat, de ce débat sur la programmation pluriannuelle de l’énergie. Il s’agit en effet d’un sujet majeur dont doit traiter le Parlement, dans le respect de nos institutions et de la démocratie représentative : il est important, à mes yeux, de le rappeler aujourd’hui.

La lutte contre le réchauffement climatique est au cœur des priorités de la transition énergétique élaborée par le Gouvernement. Pour y parvenir, il faut puiser dans deux sources d’énergie : le renouvelable, bien sûr, mais aussi le nucléaire.

N’en déplaise à certains, l’énergie nucléaire est reconnue par le groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat, le GIEC, comme une solution indispensable pour respecter les accords de Paris.

Grâce à cet atout industriel, climatique et énergétique majeur qu’est le nucléaire, la France est le pays leader pour la réduction des émissions de gaz à effet de serre.

Je rappelle aussi que des pays comme l’Allemagne, le Japon, ou encore les États-Unis, qui ont trop rapidement réduit leur part de nucléaire en faveur des énergies renouvelables, ont constaté une stagnation, voire une augmentation, des émissions de gaz à effet de serre.

L’énergie nucléaire est une ressource sûre, pilotable et disponible 24 heures sur 24, ce qui n’est pas le cas de l’énergie éolienne, dans laquelle on investit pourtant massivement : alors que, parfois, des pales sont à l’arrêt, vous proposez de tripler le parc éolien terrestre.

Certes, il est nécessaire de diminuer la part du nucléaire dans le mix énergétique. Mais prenons garde aux fermetures précipitées de réacteurs et veillons au renouvellement du parc nucléaire.

Monsieur le ministre d’État, dans la programmation pluriannuelle de l’énergie, le Gouvernement a confirmé son objectif de réduire à 50 % la part du nucléaire au sein du mix énergétique en 2035, ce qui nécessiterait la fermeture de 14 réacteurs.

Or la France aura besoin d’un socle d’énergie nucléaire en 2050. Ce socle nous offrira une souveraineté en matière d’approvisionnement énergétique.

Jeudi dernier, les réseaux électriques français et européens étaient sous tension, nous étions au bord du black-out. Alors, faisons preuve de pragmatisme et de bon sens.

M. le président. Il faut conclure, mon cher collègue.

M. Guillaume Chevrollier. Une décision doit être prise au plus tôt quant au lancement d’un véritable programme de renouvellement du parc nucléaire.

Quelle est votre position, monsieur le ministre d’État, sur la construction de réacteurs nucléaires de nouvelle génération EPR ?

Est-il, selon vous, judicieux de continuer à investir autant dans les énergies renouvelables électriques, alors que l’impératif climatique nous exhorte à donner une vraie place au nucléaire ?

M. Gérard Longuet. Très bien !

M. le président. La parole est à M. le ministre d’État.

M. François de Rugy, ministre dÉtat, ministre de la transition écologique et solidaire. Monsieur Chevrollier, je note avec intérêt que, dans ce débat, alors même qu’ils appartiennent parfois au même groupe politique, certains nous accusent d’aller trop vite, d’autres de ne pas aller assez vite ; certains de vouloir trop augmenter la taxe carbone, d’autres de ne pas nous engager assez rapidement dans l’économie décarbonée ; certains de ne pas en faire assez pour les énergies renouvelables, d’autres de ne pas agir suffisamment pour le nucléaire…

Il faut trouver un équilibre. C’est ce que nous avons voulu faire. C’est d’ailleurs pourquoi le maître mot de la programmation pluriannuelle de l’énergie est la diversification, et je le revendique.

Alors que la France était jusqu’à présent marquée par la domination du nucléaire dans la production de l’électricité, nous assumons cette diversification, et ce pour une raison simple. Il y a bien un atout économique : il ne faut pas passer à côté de l’essor mondial des énergies renouvelables. Cela concerne des entreprises françaises, mais aussi des sites de production en France ; certes, Alstom a été rachetée par General Electric, mais la production d’éoliennes se trouve dans notre pays, car l’entreprise allemande Siemens installera un site au Havre pour développer ces éoliennes.

Par ailleurs, se pose la question de notre parc nucléaire, qui est vieillissant, puisque toutes les centrales ont été construites au même moment et arriveront en fin de vie en même temps. Cela constitue un facteur de fragilité, qu’il faut prévenir et anticiper en organisant la fermeture progressive et étalée dans le temps de ces sites, pour ne pas avoir à se retrouver face au mur ou au bord de la falaise, sans avoir de choix.

J’en viens à la filière nucléaire française, dont je tiens à rappeler qu’elle a été sauvée de la faillite en 2015 et 2016, des décisions difficiles ayant été prises d’ailleurs à ce moment-là par le ministre de l’économie de l’époque. Celui-ci, qui est devenu Président de la République, connaît donc bien le sujet.

Je rappelle également qu’Areva n’existe plus dans la forme qui était la sienne voilà encore cinq ans. Rappelez-vous sa situation d’alors ! Il n’est qu’à se pencher sur la programmation pluriannuelle de l’énergie pour le constater : nous sommes allés jusqu’à veiller à ce que Orano, fournisseur de combustibles, ait un plan de charge étalé dans le temps.

Enfin, j’en viens à l’EPR. Nous l’avons dit, tous les documents nécessaires seront produits d’ici à 2021 pour qu’un choix démocratique puisse être fait après les élections de 2022, en toute connaissance de cause.

M. le président. La parole est à M. Pierre Cuypers.

M. Pierre Cuypers. Monsieur le président, monsieur le ministre d’État, mes chers collègues, le Président de la République a précisé le 27 novembre dernier ses propositions pour atteindre la neutralité carbone en 2050. Il a notamment retenu comme priorité la baisse de la consommation d’énergie d’origine fossile – le pétrole, le gaz ou le charbon – et la diversification du mix énergétique, en mobilisant les énergies renouvelables.

Le ministre de l’action et des comptes publics a lui-même déclaré que « la réduction de nos émissions de C02, dont près de 70 % résultent de l’utilisation d’énergies fossiles, passe par une consommation d’énergie plus faible et par des énergies plus vertes ».

Or, monsieur le ministre d’État, la politique du Gouvernement n’est pas très lisible en ce domaine. J’en veux pour preuve la non-parution à ce jour du décret relatif à la programmation pluriannuelle de l’énergie, la PPE. Le Gouvernement promet sans cesse des dispositions pour favoriser le développement et l’utilisation des biocarburants au moment des lois de finances, mais il n’agit pas fiscalement par la suite, mettant à mal les espérances qu’il suscite.

Au Sénat, nous votons par conviction et par bon sens, souvent à une très large majorité, des amendements visant à soutenir les biocarburants issus de la production agricole, des filières de l’éthanol et des oléagineux. Hélas, le Gouvernement s’emploie à « détricoter » systématiquement ces mesures à l’Assemblée nationale ! Comment le Gouvernement espère-t-il nous convaincre que les efforts fiscaux doivent porter sur les carburants de seconde génération, qui eux-mêmes n’évinceraient pas les carburants de première génération ?

Monsieur le ministre d’État, vous n’ignorez pourtant pas que la seconde génération de biocarburants n’existe pas, ni économiquement ni techniquement ! C’est justement là toute l’hypocrisie du Gouvernement. Sauvons ce qui peut encore être sauvé, car les biocarburants représentent des milliers d’emplois en France et des débouchés extraordinaires pour l’agriculture.

Monsieur le ministre d’État, donnez dès maintenant un signe d’apaisement, un signe volontariste, en préparant les futures mesures fiscales incitatives qui s’imposent.

M. le président. Veuillez conclure, mon cher collègue.

M. Pierre Cuypers. Elles coûteront très peu à l’État et sont faciles à mettre en œuvre, vous le savez bien. (MM. Jean-François Husson et René-Paul Savary applaudissent.)

M. le président. La parole est à M. le ministre d’État.

M. François de Rugy, ministre dÉtat, ministre de la transition écologique et solidaire. Monsieur Cuypers, nous en avons déjà parlé en commission. Il existe une politique française de soutien aux agrocarburants ; elle se poursuit. Dans le cadre de la politique de maîtrise de l’énergie et de diversification, l’objectif de carburants liquides devrait être de 432 térawatts-heure en 2028 et l’incorporation de biocarburants de première génération de 7 % de l’énergie contenue dans les carburants aux horizons 2023 et 2028.

La croissance de la part biosourcée dans les carburants qui ne soient pas fossiles doit se faire non pas avec des biocarburants en concurrence avec la production alimentaire, mais grâce à des biocarburants dits « de deuxième génération » à base de bois, de paille ou d’algues, dont la production et l’utilisation sont encore simplement émergentes en France. La programmation pluriannuelle de l’énergie a bien pour objectif de développer cette part.

Plus concrètement, dans la loi de finances pour 2019 – c’est valable pour cette année –, a été voté le déplafonnement de certains sucres de betterave – je n’entre pas dans les détails, mais vous les connaissez –, à savoir 45 % des sucres présents dans le jus de betterave ayant fait l’objet de deux extractions sucrières. Ce mode de calcul est plus avantageux pour la filière des agrocarburants. C’est, de fait, un soutien public indirect à cette filière.

Nous allons continuer, puisque nous soutiendrons à l’échelon national le développement des agrocarburants via une incitation à l’incorporation pour les opérateurs qui mettent les carburants à la consommation.

Au-delà du plafond existant pour les agrocarburants conventionnels, nous limiterons l’incorporation de biocarburants réalisés à partir de matières premières présentant un risque élevé d’induire des changements indirects sur l’affectation des sols. C’est notamment la question de l’importation d’huile de palme ou de soja, qui, vous le savez, fait toujours l’objet de polémiques quand il s’agit des agrocarburants.

M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Vial.

M. Jean-Pierre Vial. Monsieur le ministre d’État, je vous ai récemment interrogé sur la sécurité du système électrique. Nous avons eu le plaisir de recevoir en Savoie, vendredi dernier, votre secrétaire d’État. Le hasard a voulu que, la veille, le réseau ait frôlé la défaillance et ait été secouru par les industriels électro-intensifs, ceux-là mêmes que rencontrait votre secrétaire d’État. Or, le jour même, la France actionnait deux centrales à charbon, sans que les mêmes industriels soient activés.

Si la PPE s’est fixé l’objectif de cinq gigawatts en 2018, vous le savez, monsieur le ministre d’État, nous en sommes à peine à la moitié. Or les industriels pourraient satisfaire la totalité des objectifs avec les conséquences économiques que l’on imagine.

Il vous revient, monsieur le ministre d’État, de vous engager en faveur de cette politique volontariste et de démontrer, comme vous l’avez annoncé lors de votre arrivée au ministère, que l’écologie peut se conjuguer avec l’économie.

L’autre défi, monsieur le ministre d’État, est aussi celui de la mobilité propre, avec le transport ferroviaire marchandises et sa faible émission de C02.

Le Lyon-Turin n’est plus un projet, c’est une réalité, avec 25 kilomètres de galeries déjà creusés sur 110 kilomètres. Il dotera la France d’une infrastructure, à l’instar des trois ouvrages existants entre l’Italie, la Suisse et l’Autriche.

Le Président de République et le Premier ministre se sont engagés clairement sur ce grand projet européen. Cependant, ce serait un demi-succès si le transfert modal n’était pas la seconde ambition.

La France et la Suisse ont le même volume d’activité avec l’Italie, soit 40 millions de tonnes de marchandises correspondant pour chacun à 3 millions de poids lourds. Or, si la Suisse vient de passer à moins de 1 million de poids lourds sur les routes, la France va dépasser les 3 millions, la moitié dans les vallées de Savoie, avec une augmentation de plus de 196 000 poids lourds en cinq ans. L’autoroute ferroviaire alpine lancée à titre expérimental attend depuis 2009 la décision de la plate-forme de l’Est lyonnais pour monter en puissance.

Monsieur le ministre d’État, pouvez-vous nous donner l’assurance que le transfert modal est bien une ambition que vous êtes prêt à défendre dans ce formidable projet européen ?

M. le président. La parole est à M. le ministre d’État.

M. François de Rugy, ministre dÉtat, ministre de la transition écologique et solidaire. Monsieur Vial, on parle beaucoup de la variabilité de la production d’électricité, mais on discute peu de la variabilité de la consommation. Or c’est depuis toujours un problème extrêmement lourd, notamment en France, car, si notre production de base est importante grâce au nucléaire, nous rencontrons des difficultés à faire face aux périodes de pointe.

Plutôt que d’avoir un grand nombre de centrales thermiques ou de faire appel à l’hydraulique, réponses qui finissent par montrer leurs limites, l’effacement de la consommation peut être l’une des solutions. Cela suppose que de gros consommateurs acceptent que l’on puisse commander une baisse, voire un effacement de leur consommation – contre rémunération, car tel est évidemment le levier qui le permet (M. Jean-Pierre Vial acquiesce.) ; rien de cela n’est gratuit, comme toujours. Bien sûr, nous continuerons à promouvoir cette solution, et nous essayons de le faire aussi à l’échelle européenne.

Vous le savez, le Gouvernement est favorable au projet Lyon-Turin. Côté italien, les deux partis de la coalition du nouveau gouvernement étaient hostiles à ce projet et ont donc commandé un certain nombre d’études nouvelles sur le sujet. Pour notre part, nous souhaitons qu’il soit conforté ; c’est pourquoi Élisabeth Borne, ministre des transports, a engagé des discussions avec son homologue des transports italien.

Évidemment, nous faisons tout pour que le projet soit réalisé et qu’il s’accompagne du maximum de reports modaux, tant pour les passagers que pour les marchandises. Cette infrastructure ferroviaire, au-delà de son caractère franco-italien, est d’intérêt européen et elle est d’ailleurs subventionnée à ce titre.

M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Vial, pour la réplique.

M. Jean-Pierre Vial. Monsieur le ministre d’État, je vous remercie de votre réponse sur la flexibilité. Les moyens financiers existent. Je rappelle que la loi NOME, ou loi portant nouvelle organisation du marché de l’électricité, a instauré la redevance capacitaire, qui rapporte aujourd’hui à peu près 2 milliards d’euros, ce qui laisse tout de même des possibilités.

Un peu moins de deux siècles après Cavour, le Lyon-Turin permettra à la France de se doter d’une infrastructure transfrontalière avec l’Italie, à l’instar des ouvrages qui existent entre la Suisse et l’Autriche, à travers les tunnels ferroviaires du Lötschberg, du Brenner et du Saint-Gothard. Très sincèrement, le défi que constitue le Lyon-Turin irait à l’encontre du sens de l’histoire, s’il ne mettait pas le transfert modal au rang de ses ambitions.

Monsieur le ministre d’État, c’est aujourd’hui qu’il faut afficher cette ambition. Il ne faut pas attendre que le tunnel soit réalisé. Je vous rappelle que l’appel à projets concernant l’autoroute ferroviaire attend une décision politique depuis 2009, c’est-à-dire depuis dix ans !

Conclusion du débat

M. le président. En conclusion de ce débat, la parole est à Mme Sophie Primas, pour le groupe auteur de la demande. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

Mme Sophie Primas, pour le groupe Les Républicains. Monsieur le président, monsieur le ministre d’État, mes chers collègues, plus fortement encore qu’hier, nous savons que l’énergie est au cœur des préoccupations des Français.

Elle l’est, d’abord, parce que les dépenses pour se chauffer ou pour se déplacer pèsent lourdement dans le budget de nos concitoyens, en particulier pour les plus fragiles d’entre eux et pour ceux dont les trajets domicile-travail sont les plus importants. Elle l’est aussi, parce que, ne nous y trompons pas, les Français sont bien conscients qu’il nous faut changer de modèle pour limiter le changement climatique et lutter contre la pollution de l’air, même s’il faut bien admettre que la France n’est pas le plus mauvais élève de l’Union européenne ni du monde.

Dans le domaine de l’énergie, nous avons donc à traiter deux dimensions, dont on a bien vu, ces derniers mois, qu’elles pouvaient se percuter lorsque les efforts n’étaient pas équitablement répartis. Je veux parler des problèmes de « la fin du mois » et de celui de « la fin du monde », selon l’expression désormais consacrée.

Dans ce projet de programmation pluriannuelle de l’énergie, monsieur le secrétaire d’État, vous prévoyez notamment de doubler les capacités installées d’énergies renouvelables électriques d’ici à 2028 en lançant une dizaine d’appels d’offres chaque année, ce qui conduira à augmenter les dépenses de soutien d’environ 5 milliards d’euros par an, hors la dette due à EDF, à environ 7 à 8 milliards d’euros par an dans les années à venir.

Même si les coûts baissent très rapidement et que, pour le même prix, si j’ose dire, nous atteindrons des volumes beaucoup plus significatifs, ce seront toujours plusieurs milliards d’euros en plus qu’il faudra bien trouver quelque part. Or c’est là l’un des grands angles morts de ce projet, Jean-François Husson l’a parfaitement souligné.

Pour les financer, monsieur le ministre d’État, vous comptiez sans doute sur les hausses de taxe carbone, mais celles-ci ont été annulées – suspendues, nous dites-vous – et l’essentiel des recettes déjà acquises est mobilisé pour alimenter le budget de l’État et financer d’autres baisses d’impôts ; elles ne pourront donc servir plusieurs fois…

Le Président de la République lui-même semble dans le flou, puisque, dans le cadre du grand débat national, il en appelle aux Français : « Comment finance-t-on la transition écologique : par l’impôt, par les taxes et qui doit être concerné en priorité ? » Je suis d’ailleurs étonnée, monsieur le ministre d’État, de vous avoir précédemment entendu dire que le débat ne serait pas nécessairement considéré… Ce que l’on sait en revanche de façon certaine, c’est qu’il faudra bien que quelqu’un soit mis à contribution.

Au-delà du mode de financement, les premières remontées des cahiers de doléances ouverts dans certaines mairies font apparaître une forte mobilisation contre les éoliennes. Là aussi, nous sommes au cœur des contradictions qu’il nous faudra surmonter entre, d’un côté, le désir de chacun d’avoir des énergies plus propres, et, de l’autre, celui qu’elles ne soient pas installées au bout de son jardin, selon un phénomène bien connu, qui n’épargne en réalité aucune des sources d’énergie – nous pourrions dire la même chose avec la méthanisation.

Là aussi, nous aurons à rechercher la juste répartition des efforts, par exemple entre les ruraux, qui auront à vivre avec ces éoliennes, et les urbains, qui ne seront pas concernés, mais qui les réclament, et qui subissent il est vrai déjà d’autres nuisances. Il faudra aussi gérer la frustration des habitants d’immeubles collectifs, qui ne disposent pas des mêmes services ou des mêmes possibilités pour recharger leur voiture que dans l’habitat individuel. Nous pourrions multiplier les exemples.

Il ne faudrait pas non plus que cette demande d’individualisation croissante permise par les évolutions technologiques – pouvoir produire sa propre énergie verte localement et l’autoconsommer – ne remette en cause les valeurs de solidarité et de péréquation qui fondent notre modèle français, en particulier dans le domaine de la distribution d’énergie.

Sans garde-fou, un participant à une opération d’autoconsommation collective pourra décider, un jour, de ne plus contribuer à la solidarité nationale en ne finançant plus le réseau dont il croira pouvoir se dispenser ; les plus éloignés du réseau paieront alors plus cher, et l’on aboutira à moins de solidarité, là où nos concitoyens en réclament toujours davantage.

Monsieur le ministre d’État, prenons garde à tous ces risques. La tâche n’est pas facile, je l’admets, mais je pense que, pour l’accomplir, vous gagneriez certainement à associer encore davantage nos concitoyens – à cet égard, nous verrons ce que donnera le grand débat –, mais aussi les parlementaires. De ce point de vue, je connais votre ouverture personnelle à l’idée d’une véritable loi de programmation pluriannuelle de l’énergie, mais nous en sommes encore très loin : encore aujourd’hui, nous discutons d’un projet de décret.

D’autres progrès en matière de transparence et de contrôle parlementaire pourraient aussi être envisagés : je pense en particulier aux certificats d’économies d’énergie, les C2E, qui sont en réalité une quasi-taxe qui ne dit pas son nom, dont le montant atteindra 9 milliards d’euros sur la période 2018-2020 et qui pèse déjà à la pompe et sur les factures, mais dont aucun des éléments, ou presque, n’est approuvé par le Parlement !

Tels sont, monsieur le ministre d’État, quelques-uns des chantiers qui se trouvent devant nous. Certes, nous ne sommes pas forcément toujours d’accord avec la politique énergétique de ce gouvernement, qui, à vrai dire, se situe dans la droite ligne de celle de son prédécesseur. Mais, chaque fois que vous voudrez bien associer le Parlement, en particulier le Sénat, nous serons heureux de travailler avec vous, avec pragmatisme et avec pour seule boussole le bien des Français, comme nous en avons, je le crois, fait la démonstration ces dernières années. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, du groupe Union Centriste et du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen.)

M. le président. Mes chers collègues, nous en avons terminé avec le débat sur la programmation pluriannuelle de l’énergie.

Nous allons interrompre nos travaux pour quelques instants.

La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à seize heures vingt, est reprise à seize heures trente.)

M. le président. La séance est reprise.

6

Gouvernance des grands groupes coopératifs agricoles

Débat organisé à la demande du groupe Union Centriste

M. le président. L’ordre du jour appelle le débat, organisé à la demande du groupe Union Centriste, sur la gouvernance des grands groupes coopératifs agricoles.

La parole est à M. Pierre Louault, pour le groupe auteur de la demande de débat. (Applaudissements sur les travées du groupe Union Centriste.)

M. Pierre Louault, pour le groupe Union Centriste. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, les membres du groupe Union Centriste et moi-même avons demandé l’inscription de ce débat sur la gouvernance des grands groupes coopératifs agricoles en raison des dysfonctionnements que connaissent certains d’entre de ces derniers et qui inquiètent autant les adhérents que le monde agricole français.

Au-delà de l’actualité, cette inquiétude, que je partage, pose aujourd’hui le problème de l’avenir du modèle coopératif français.

Ce modèle original permet d’associer les agriculteurs à la gestion partagée d’une partie de leur activité, selon le principe « un homme, une voix ». Il a été pensé pour améliorer leur rémunération grâce à la mutualisation des efforts et des investissements et à une meilleure maîtrise de l’amont et de l’aval de la production.

Le tissu coopératif français est d’abord un modèle qui structure fortement l’organisation de la production agricole nationale. Il s’agit d’un modèle solide, d’un modèle d’avenir, d’un modèle défendu par les agriculteurs-coopérateurs, auquel tiennent nombre d’acteurs de la profession.

La coopération en France, ce sont 2 400 coopératives, dont 93 % sont des petites ou des moyennes entreprises. Seuls treize grands groupes ont une dimension nationale ou internationale. Ce sont aussi 190 000 salariés et près de 85 milliards d’euros de chiffre d’affaires, soit 40 % du chiffre d’affaires de l’agroalimentaire français.

Or ce modèle est aujourd’hui menacé par certaines pratiques et certaines évolutions, qui ont notamment cours dans les plus grands groupes. Il ne s’agit pas de remettre en cause les principes de concurrence, de marché, d’internationalisation et de développement, mais force est de constater que, dans les faits, les mêmes principes peuvent servir de prétexte à des pratiques qui sont non seulement discutables, mais surtout contraires au modèle original.

Au cours de mon intervention, j’aborderai trois points. J’évoquerai, tout d’abord, les menaces liées à la gouvernance et à l’internationalisation. Je m’interrogerai, ensuite, sur le rôle du Haut Conseil de la coopération agricole, le HCCA, acteur majeur et garant du système coopératif français. Je proposerai, enfin, quelques pistes pour nous engager plus avant dans la réflexion sur ces sujets.

Je commencerai par évoquer la gouvernance. Lors du grand débat coopératif de 2018, il est apparu qu’un tiers des adhérents des coopératives estiment que leur voix n’est pas assez entendue. Comme vous le savez, les grands groupes sont pilotés par un conseil d’administration, ou de surveillance, et un directoire, qui en est l’exécutif. Ce schéma, lorsqu’il s’applique aux grands groupes, pose deux problèmes.

Le premier problème réside dans la désignation des membres des conseils de surveillance. Le principe « un homme, une voix », qui distingue le système coopératif de tout autre, est bousculé, quand il n’est pas piétiné. Pour exemple, et très concrètement, le conseil de surveillance d’un grand groupe fait aujourd’hui en sorte que le coopérateur d’une section vaut trois coopérateurs d’une autre section, alors que, selon le principe « un homme, une voix », cela devrait être l’inverse. En représailles, ceux qui ont dénoncé ces faits, entre autres, ont purement et simplement été exclus du conseil d’administration. Heureusement, la justice a ordonné leur réintégration.

Le second problème est que, en réalité, les membres des directoires sont aujourd’hui les maîtres du jeu. Ce sont souvent eux qui définissent la politique du groupe.

Compte tenu de la complexité des marchés et des mécanismes en jeu à l’échelon international, nous avons indubitablement besoin de directeurs qui mobilisent leur expertise. Mais cette expertise doit accompagner les décideurs légitimes, à savoir les membres élus du conseil d’administration. Les directeurs ont par ailleurs un devoir d’information, voire de formation, conformément aux éléments inscrits dans les règlements intérieurs. Or c’est peu le cas en pratique, malgré le budget fléché dans la loi d’avenir pour l’agriculture, l’alimentation et la forêt.

La transparence reste souvent un vœu pieux. Dans les faits, on déploie beaucoup d’ingéniosité pour se conformer à l’exigence formelle d’information tout en dissimulant l’essentiel. D’ailleurs, dans ce système, on parle non plus de filiales, mais de business units, animés par des change leaders. Ou comment rendre la situation opaque…

Du fait de ces deux problèmes – la désignation des membres des conseils d’administration et la mainmise des directeurs sur la politique de certains grands groupes coopératifs –, les coopérateurs sont petit à petit dépossédés de leur outil industriel et commercial et empêchés d’exercer leur légitime pouvoir de décision.

La seconde menace est l’internationalisation. Le mode de gouvernance et de fonctionnement que j’ai évoqué est parfaitement entretenu par l’internationalisation, qui reste malgré tout une marque incontournable de ces grands groupes coopératifs. Il s’agit non pas de contrer cette dynamique, mais de faire en sorte qu’elle s’inscrive dans le modèle coopératif, qui demeure le modèle protecteur de notre excellence nationale.

Trois problèmes se posent.

Tout d’abord, l’internationalisation produit effectivement de la valeur, mais profite-t-elle réellement aux coopérateurs ? Il semble plutôt que la logique financière l’emporte sur une logique de filières, lesquelles deviennent de véritables nébuleuses. Par exemple, il arrive qu’une filiale en Belgique soit en réalité sous le contrôle d’une filiale brésilienne, le tout échappant en totalité au contrôle des administrateurs du groupe coopératif français.

Ensuite, cette internationalisation et cette structure en filiales induisent des risques financiers pour les coopérateurs initiaux. Ce jeu de filiales entraînera inévitablement l’ouverture du capital des grands groupes coopératifs et la possibilité de produire des dividendes pour les actionnaires des filiales, ce qui est logique, au détriment des coopérateurs. En outre, la complexité de ces montages en filiales, qui créent une vulnérabilité, ne me semble pas assez anticipée.

J’en viens au troisième problème, qui est lié à celui que pose la gouvernance : la transparence.

Il se trouve que les membres du conseil d’administration sont souvent écartés de la gouvernance des filiales. Le directoire n’étant pas tenu de transmettre à l’assemblée les éléments comptables précis concernant les résultats de chacune des filiales, seuls les comptes consolidés sont communiqués, ce qui rend l’information nécessaire incompréhensible lors des assemblées générales.

Je dirai maintenant quelques mots du Haut Conseil de la coopération agricole. Le législateur, conscient peut-être de l’originalité de notre modèle coopératif, de sa pertinence ou encore de sa vulnérabilité, a mis en place depuis longtemps déjà des outils pour garantir son existence, dont le HCCA.

Une telle instance, par les missions qui lui sont expressément dévolues, devrait nous rassurer. Or plusieurs dysfonctionnements ont été récemment relevés. Le président du HCCA lui-même, l’ancien ministre de l’agriculture Henri Nallet, a ainsi été obligé de demander la démission de l’un de ses membres quand il a enfin été établi que celui-ci était par ailleurs avocat d’un groupe coopératif, ce qui créait un conflit d’intérêts.

En outre, le HCCA manque de rigueur dans son obligation de publicité réglementaire et dans le contrôle des modifications des statuts et des règlements intérieurs qui sont effectuées par certains grands groupes. Force est donc de constater que le HCCA n’a pas pleinement exercé sa mission. Face à ces constats, que pouvons-nous faire ?

Pour garantir le fonctionnement des coopératives, qui se structurent autour de valeurs qui sont plus que jamais d’actualité, des évolutions nous semblent nécessaires. Il s’agit d’assurer une meilleure transparence ; de renforcer la lisibilité des informations aux coopérateurs, notamment les informations financières ; de sécuriser les revenus des agriculteurs et de garantir une meilleure valorisation de la production afin de mieux aborder les crises conjoncturelles ; d’encadrer la gestion et la gouvernance des filiales en imposant le principe selon lequel la présidence d’une filiale doit être exercée par un administrateur coopérateur du groupe ; de mieux former les élus des coopératives à la gestion et au contrôle de leurs coopératives ; de conforter le statut des administrateurs, en leur donnant les moyens de remplir leurs missions.

Les conséquences des dérives de gouvernance et le passage à une scène internationale non contrôlée pourraient avoir des effets très directs sur nos territoires ruraux, qu’il est de notre devoir de préserver.

M. le président. Il faut conclure, mon cher collègue.

M. Pierre Louault. Ainsi les coopératives pourraient-elles se prévaloir du nouveau statut, tel qu’il est aujourd’hui envisagé dans le projet de loi relatif à la croissance et la transformation des entreprises, le projet de loi PACTE, qui conjugue valeurs coopératives et entrepreneuriales.

M. le président. Il faut vraiment conclure !

M. Pierre Louault. Mes chers collègues, j’aurais souhaité vous apporter plus d’informations afin de vous permettre de mieux appréhender cette question, mais le temps me manque.

M. le président. En effet…

M. Pierre Louault. Pour conclure, je tiens néanmoins à saluer les coopératives agricoles françaises, qui, pour la plupart, gèrent et préservent l’esprit coopératif tout en modernisant les outils nécessaires à la valorisation de leurs produits.

M. le président. La parole est à Mme Cécile Cukierman.

Mme Cécile Cukierman. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, avant d’en venir au cœur de mon intervention, permettez-moi de rappeler l’historique de la création des coopératives agricoles.

Les coopératives agricoles sont nées lors de la Révolution industrielle, alors que la paupérisation de l’Europe s’accentuait. La recherche d’un certain équilibre des richesses, ou d’un rééquilibrage, s’est alors fait sentir. Ces entreprises, que l’on peut alors qualifier d’« a-capitalistes », se sont développées en parallèle du modèle de l’entreprise capitaliste.

Plus que les autres coopératives, les coopératives agricoles sont nées par pragmatisme. Elles se sont développées tout au long du XXe siècle, au fil des aléas agricoles et des crises sectorielles. Elles ont en somme constitué une sorte de mécanisme d’autodéfense économique.

Force est de constater qu’elles sont devenues des actrices incontournables depuis de nombreuses décennies, agissant au cœur des filières agricoles, mais aussi alimentaires, et contribuant à leur structuration.

Pourtant, aujourd’hui, nous en conviendrons, les coopératives agricoles sont à la croisée des chemins. D’après un récent sondage, 70 % des agriculteurs considèrent que les regroupements de coopératives ne leur sont plus bénéfiques.

Ce débat arrive à point nommé, après les discussions que nous avons eues lors de la très insuffisante loi pour l’équilibre des relations commerciales dans le secteur agricole et alimentaire et une alimentation saine, durable et accessible à tous, dite loi ÉGALIM. Son article 11 autorise le Gouvernement à réformer par ordonnances la gouvernance des coopératives agricoles.

Je l’ai dit, le système coopératif est un acteur incontournable, car il occupe une place prépondérante dans le paysage agricole français. Trois exploitants sur quatre appartiennent à l’une des 2 600 coopératives de notre pays. Ces coopératives sont aujourd’hui confrontées à des transformations qui les mettent sous tension. L’évolution majeure de ces dernières années est la multiplication des opérations de rapprochement ou de croissance externe, lesquelles ont modifié la taille et le champ d’activité de nombre de coopératives, certaines d’entre elles ayant désormais une dimension internationale.

Dès lors, comment assurer l’équilibre entre les attentes des agriculteurs adhérents et les exigences du marché ? Cette question est au cœur du débat qui nous est proposé aujourd’hui. Il s’agit de trouver un nouvel équilibre pour les groupes coopératifs.

Les coopératives agricoles ont tellement prospéré que certaines d’entre elles sont devenues des poids lourds de l’agroalimentaire – quelques-unes seulement, mais leur chiffre d’affaires est important – et ont finalement oublié l’esprit coopératif au profit d’un capitalisme pur et dur. Telle est la situation.

À ce stade, comment ne pas évoquer la crise de gouvernance que traverse la coopérative Tereos depuis juillet dernier ? De nombreux membres critiquent ouvertement la stratégie d’internationalisation et de diversification du groupe, laquelle suscite un grand nombre de mécontentements.

À ce propos, on ne peut que se féliciter des solutions qui ont été trouvées et de la réintégration des coopérateurs qui avaient été exclus après avoir ouvertement exprimé leur désaccord et critiqué la gouvernance ; le premier principe d’une coopérative est pourtant de permettre à ses adhérents d’intervenir, d’agir et de décider de la gouvernance !

Enfin, la complexité de la structure juridique autorise la présence simultanée d’acteurs coopératifs et d’investisseurs privés. Les partenaires privés, apporteurs de capital, peuvent donc peser lourd dans les décisions.

Faut-il d’ailleurs rappeler que c’est sous l’impulsion de l’actionnaire américain de la marque Yoplait, General Mills, que la coopérative laitière Sodiaal a créé au Luxembourg, plutôt qu’en France, la filiale qui permet aujourd’hui au géant américain de verser ses bénéfices à l’international ?

Le groupe communiste républicain citoyen et écologiste du Sénat a formulé des propositions lors de l’examen de la loi ÉGALIM, mais tous ses amendements ont alors été déclarés irrecevables. Tous visaient à accroître la transparence. Ils avaient notamment pour objet de simplifier les conditions de départ des associés coopérateurs, d’améliorer leur information, de renforcer leur rôle dans la détermination des éléments qui constituent la rémunération et de rendre plus transparente la redistribution des gains des coopératives.

Il appartenait à notre assemblée – à nous, parlementaires – de prévoir des modalités de contrôle et des sanctions, afin d’assurer l’application effective de ces dispositions, en veillant à ne pas remettre en cause l’équilibre d’exploitation desdites sociétés. Voilà, je pense, de quoi nos agriculteurs coopérateurs associés ont besoin : de plus de transparence concernant la redistribution, les relations économiques, mais aussi les prises de décisions stratégiques. Ils ont besoin d’une gouvernance démocratique et d’un retour à une gestion efficace.

Je le répète, l’affaire Tereos est révélatrice du malaise qui touche aujourd’hui une grande partie du monde coopératif. Il ne faudrait pas que de cette crise naisse une méfiance susceptible de fragiliser demain le rôle et l’action de l’ensemble des coopératives agricoles françaises, comme je l’ai dit précédemment.

La méfiance et la défiance des adhérents à l’égard de leurs dirigeants sont en train de se creuser. Aussi, il nous appartient dès aujourd’hui d’envoyer un signal à ces femmes et à ces hommes qui œuvrent au quotidien pour nourrir nos concitoyens. (M. Pierre Louault applaudit.)

M. le président. La parole est à M. Henri Cabanel. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain.)

M. Henri Cabanel. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je suis un coopérateur depuis près de quarante ans. En pleine crise viticole, en plein Midi rouge, j’ai choisi la solidarité et l’entraide. J’ai également assumé la présidence de l’une des plus grosses structures coopératives vinicoles de l’Hérault.

Que ce soit au sein d’une cave coopérative ou d’une coopérative d’utilisation de matériel agricole, une CUMA, les décisions se prennent toujours à plusieurs têtes, le travail se fait à plusieurs mains, dans le débat et le respect des avis parfois divergents.

En tant que vigneron héraultais, je suis fier de rappeler dans cet hémicycle que la coopération viticole est née à Maraussan, commune de l’ouest du département, près de Béziers, en 1901, sous la bannière de « Tous pour chacun, chacun pour tous », et que Jean Jaurès est venu la visiter le 1er mai 1905. Ce dernier a rendu hommage à ce regroupement de petits propriétaires, en disant : « Les associés de la Société des Vignerons libres travaillent chacun leur tout petit domaine, mais ils ont commencé par avoir un chai commun, une cave coopérative commune.

« Mais il ne leur a pas suffi d’organiser la vente. Maintenant que, par une première application de l’association, ils ont vaincu l’esprit de défiance, ils vont plus loin : ils commencent à organiser la production. »

Voilà, en quelques phrases précises, l’esprit coopérateur : aller toujours plus loin, car, ensemble, on est plus forts, plus intelligents, et aussi plus audacieux.

Depuis lors, la situation a évolué et la tendance s’est inversée : si un adhérent égale toujours une voix, certaines voix pèsent plus que d’autres ! Alors que, à l’origine, 100 % des coopérateurs étaient des pluriactifs, aujourd’hui, les gros propriétaires représentent 30 % des adhérents et exploitent 70 % des surfaces.

La philosophie a elle aussi évolué, les crises agricoles ayant entraîné la fusion des caves coopératives. Ces regroupements ont donné naissance à de grosses structures. On a assisté à une course au monopole et à la taille. Du poids de chaque cave dépend le pouvoir de certains. On oublie alors, parfois, les valeurs de base de la coopération.

L’exemple de la coopérative Tereos, qui a évincé certains de ses administrateurs, montre les dérives possibles d’un tel système quand l’agriculteur perd la main.

À l’instar des communes dans les EPCI, on assiste à un éloignement de l’adhérent. La gouvernance repose souvent sur un exécutif réduit. Pour les caves viticoles, comme ailleurs, il est constitué d’un tandem formé d’un président et d’un directeur. Il a même fallu modifier les statuts et les règlements internes, car il n’était plus possible d’atteindre le quorum lors des assemblées générales annuelles.

Peut-on faire marche arrière et retrouver la fraternité et l’esprit collectif des temps anciens ? Si la personnalité des présidents, leur faculté à coconstruire, est le ciment de leur gouvernance, il me semble nécessaire de repenser la coopération, afin d’assurer une représentation plus réelle des adhérents.

L’absence d’obligation d’information et de communication pour le président du conseil de surveillance est une entrave majeure à l’esprit coopératif. Il faut aussi prendre à bras-le-corps la formation des administrateurs et la rendre obligatoire. Compte tenu de la complexification de la législation, mais aussi des évolutions techniques et scientifiques dans le domaine agronomique, il est nécessaire de professionnaliser les membres du conseil d’administration ou, a minima, ceux qui aspirent à faire partie de l’exécutif.

Comme les grosses entreprises, les coopératives doivent faire face à des enjeux mondiaux et développer des stratégies. Comment un agriculteur peut-il être à la tête d’un énorme paquebot sans avoir de notion de navigation ?

La coopération, qui repose sur l’économie sociale et solidaire, est un système qui a toute sa place dans l’économie et qui a montré ses atouts. Jean Jaurès rendait hommage à l’initiative de Maraussan en disant : « Ainsi le germe de solidarité se développe. Ainsi s’ébauchent, jusque dans ce monde paysan si morcelé, des formes nouvelles et plus hautes de production et de vie. »

Pour ma part, j’espère que ces structures sauront revenir à leurs fondamentaux pour que, aux côtés du germe de solidarité, se développe celui de la démocratie participative.

Monsieur le ministre, si vous devez travailler de près ou de loin sur le système coopératif, ne pensez-vous pas qu’il vaudrait mieux en débattre au Parlement plutôt que de légiférer par ordonnances ? (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain, ainsi que sur des travées du groupe Union Centriste et du groupe Les Républicains.)

Mme Sophie Primas. Très bien !

M. le président. La parole est à M. Franck Menonville.

M. Franck Menonville. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, les coopératives constituent des acteurs majeurs du développement économique. Nées de la volonté des agriculteurs de prendre collectivement en main leur destin, elles ont relevé d’importants défis depuis leur création.

Force est de constater que le modèle coopératif rencontre de vifs succès économiques. Ses spécificités en matière de gouvernance, laquelle s’inscrit dans le long terme, en font des entreprises non délocalisables, ancrées dans les territoires.

En investissant dans leurs appareils productifs, la recherche et le développement, les coopératives agricoles parviennent à rémunérer leurs adhérents et à effectuer un partage de la valeur plus équilibré. Leur résilience leur permet de mieux résister aux crises, grâce à l’importance de leur capital social et de leurs réserves accumulées, qui leur assurent une réelle capacité de développement. Aujourd’hui, en France, une marque alimentaire sur trois est produite par une coopérative.

Face à ces évolutions, la gouvernance des coopératives n’a pas cessé de s’adapter pour répondre aux nouveaux défis. Une évolution majeure tient à la multiplication des opérations de rapprochement ou de croissance externe, lesquelles ont modifié la taille et le champ d’activité de nombre de coopératives.

Depuis 1999, les coopératives ont l’obligation de consolider leurs comptes. Elles sont aussi soumises aux contrôles du Haut Conseil de la coopération agricole, le HCCA. Par ailleurs, leurs obligations ont été renforcées en 2014, afin de mieux éclairer les associés sur le fonctionnement de leur groupe.

Enfin, plus récemment, l’article 11 de loi ÉGALIM a prévu une réforme par ordonnances de la gouvernance de ces acteurs clés de la chaîne de valeur agricole. Une ordonnance en cours de rédaction fait l’objet d’une concertation. Elle devra reposer sur un équilibre précis entre les attentes des agriculteurs adhérents et les exigences du marché.

Les coopératives sont indispensables au développement de notre agriculture. Corrélativement, elles doivent s’adapter. Leur transparence et leur responsabilité doivent être renforcées. Pour y parvenir, différentes pistes sont à étudier.

Une première piste consisterait à octroyer au HCCA un champ d’action plus large, afin d’en faire une autorité de contrôle et de régulation. Pour cela, deux éléments sont indispensables : le Haut Conseil doit disposer de ressources supplémentaires, afin de mener des expertises plus poussées, et son conseil d’administration pourrait être ouvert à des personnes qualifiées.

Une deuxième piste serait de confier au Haut Conseil le soin d’établir une charte de gouvernance des grands groupes coopératifs, dont il contrôlerait la bonne application. Cette charte proposerait notamment des procédures rigoureuses de recrutement des managers et leur évaluation par des cabinets labellisés ; des formations obligatoires des élus du conseil d’administration ; la mise en œuvre de comités permettant un contrôle renforcé des élus ; la garantie de la séparation des pouvoirs entre le politique, qui oriente et contrôle, et les managers, qui pilotent et rendent compte de leur action.

Une troisième piste consisterait à renforcer le rôle et les moyens du médiateur de la coopération, afin de mieux gérer les situations de conflit ou les crises éventuelles.

Certaines coopératives agricoles sont soupçonnées de s’éloigner quelque peu de l’esprit coopératif, afin de peser sur les marchés, ce qui donne à certains agriculteurs le sentiment que les outils qu’ils financent leur échappent. Je pense ainsi à la crise interne traversée actuellement par ce fleuron que constitue le groupe Tereos, dont la situation a été évoquée précédemment.

Néanmoins, les difficultés momentanées d’un groupe coopératif ne doivent pas nous faire oublier que la très grande majorité des entreprises fonctionnent parfaitement bien, et ce quelle que soit leur taille.

À mon sens, il faut éviter l’a priori simpliste selon lequel la gouvernance des grands groupes coopératifs s’éloignerait des adhérents, tandis que les petites et moyennes entreprises seraient plus vertueuses. En effet, les grands groupes coopératifs disposent d’un contrôle de gestion rigoureux ; l’implication et le contrôle des administrateurs y sont souvent plus importants que dans les PME ou les TPE.

Les enjeux de filière, de marché et de profil des clients déterminent la taille optimum d’une coopérative. De celle-ci dépendra une organisation de la gouvernance adaptée, décentralisée, par exemple à travers des conseils de section ou de région, des conseils d’usine, ou, pour les filiales, des conseils de surveillance, avec, en leur sein, des administrateurs impliqués et bien formés ; ce point est extrêmement important.

Soulignons enfin le rôle essentiel des grands groupes coopératifs. Lors de nombreuses crises, ils ont assuré un soutien financier à leurs adhérents.

Pour conclure, sociétés de personnes ancrées dans un territoire mettant en œuvre une solidarité intergénérationnelle, les coopératives agricoles ont démontré leur remarquable efficacité économique, leur capacité à concilier le local et le global et à construire une économie au service de l’homme, du territoire et du développement durable.

Alors même que nous nous sommes penchés, voilà quelques mois, sur la loi ÉGALIM, il ne faut surtout pas décourager l’émergence de coopératives leaders en France. Au contraire, il faut inciter aux regroupements, indispensables à l’amélioration du rapport de force, au profit de nos agriculteurs, alors même que seules six d’entre elles figurent dans le top 20 des coopératives européennes.

Avant de terminer, permettez-moi de vous citer une phrase de Charles Gide : « Les coopératives sont un îlot de singularité dans un océan de capitalisme. »

Enfin, je remercie le groupe Union Centriste d’avoir pris l’initiative d’organiser ce débat. (Applaudissements sur les travées du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen et du groupe Union Centriste, ainsi que sur des travées du groupe Les Républicains.)

M. le président. La parole est à M. Daniel Dubois. (Applaudissements sur les travées du groupe Union Centriste.)

M. Daniel Dubois. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, en préambule, je tiens à remercier notre collègue Pierre Louault d’avoir proposé ce débat sur la gouvernance des grands groupes coopératifs agricoles. En préparant cette intervention, j’ai pu me rendre compte qu’il s’agissait d’un sujet d’actualité, mais aussi d’un sujet sensible, en prise directe avec le quotidien de nos agriculteurs coopérateurs.

C’est indéniable : la petite coopérative de village n’existe plus. N’en soyons pas nostalgiques. Sa disparition est la réponse aux évolutions de l’environnement concurrentiel.

Face à la mondialisation des marchés, face à la volatilité des prix, face à la mondialisation de la distribution, face à l’augmentation du coût réel du financement, le modèle coopératif a muté en taille, mais aussi en structure. Il a muté vers davantage de concentration. Il a muté vers une intégration plus verticale. Il a muté vers une plus grande diversification des métiers. Il a muté, enfin, vers une plus grande internationalisation.

Reconnaissons que si des coopératives agricoles jouent aujourd’hui dans la cour des grands, c’est davantage en raison de leur masse importante que de leur message coopératif. Notons également que la législation a accompagné, particulièrement ces quarante dernières années, ce passage d’une logique paysanne à une logique industrielle et commerciale, puis à une logique financière, en assouplissant le droit.

Au cours de cette mutation, les principes fondateurs du modèle coopératif ont parfois été bousculés.

La filialisation, en partenariat avec des entreprises capitalistes, a engendré un nouveau type de sociétés, qu’on ne peut plus définir seulement avec les principes coopératifs classiques. D’ailleurs, dans leur communication, les grands groupes coopératifs évoquent davantage aujourd’hui leur finalité et les valeurs coopératives que les principes ou les règles censées les régir.

Présents en amont et en aval de leur marché, les agriculteurs coopérateurs prennent plus de risques aujourd’hui. Pour autant, comme cela a été rappelé à cette tribune, les coopérateurs plébiscitent très largement leur modèle et continuent de le percevoir comme un modèle d’avenir.

M. Laurent Duplomb. Tout à fait !

M. Daniel Dubois. Justement, plaçons-nous du point de vue de l’adhérent. Notre collègue Pierre Louault a cité l’exemple d’un grand groupe du nord de la France que je connais bien. Il ne nous appartient pas, ici, d’en faire le procès,…

M. Daniel Dubois. … même si nous pouvons regretter la maladresse de certaines décisions, qui font par ailleurs l’objet de saisines judiciaires.

Je me permets néanmoins de rappeler le contexte très difficile dans lequel évolue cette coopérative. Il ne faut pas oublier la fin des quotas betteraviers et la chute du prix du sucre blanc.

Néanmoins, la crise de la gouvernance que connaît ce groupe lui permet aussi d’avancer. Celui-ci a pris conscience du déficit de démocratie interne, tout en constatant logiquement que, à 12 000 coopérateurs, l’idée d’une démocratie directe est illusoire. Des commissions thématiques territoriales ont été créées, ainsi qu’une commission des finances. Un audit indépendant a été réalisé afin d’attester la véracité des chiffres.

Nous le voyons bien, les agriculteurs coopérateurs, de mieux en mieux formés, de plus en plus informés, d’autant plus exigeants qu’ils vivent une période de crise, demandent une grande transparence de la part de leur structure. Dans le même temps, certains coopérateurs attendent avant tout de leur coopérative le meilleur prix pour leurs produits, quitte à prendre quelques libertés avec les principes traditionnels de la coopération.

Pour ma part, j’entends les deux. Je veux croire que l’apport de valeur pour l’usager peut cohabiter avec la valeur pour « l’actionnaire » lorsqu’il y a un partenariat avec le secteur capitalistique. Je veux croire qu’il est possible de tracer une convergence entre un « modèle d’affaires » rendu indispensable par une compétition mondiale exacerbée et un « modèle coopératif qui reste proche et vertueux ». Contre ce qui pourrait être perçu comme un grand écart, l’idée d’un nouveau paradigme doit s’imposer.

D’où doit venir ce renouveau ? Je suis ravi que le Sénat se saisisse de cette question. Le groupe Union Centriste soutient naturellement la proposition de notre collègue Pierre Louault d’une mission d’information sur le sujet, alors que le Gouvernement doit « plancher », en ce moment même, sur le projet d’ordonnance sur le statut des coopératives agricoles qu’il a souhaité intégrer dans la loi Agriculture et alimentation.

Je souhaite que le Gouvernement entende, au travers de son ordonnance, les propositions que ne manquera pas de formuler le monde coopératif agricole. Je pense que c’est en cours, très naturellement.

M. Didier Guillaume, ministre de lagriculture et de lalimentation. Eh oui !

M. Daniel Dubois. Aidons-le à se poser les bonnes questions.

Le débat sur le gigantisme n’est pas sans nous rappeler ceux, nombreux, qui pèsent sur le périmètre des collectivités territoriales.

M. Daniel Dubois. Je formulerai quelques réflexions. Comment éviter que la taille ne soit l’ennemie de la proximité ? Si l’on a créé des centres de profit dans les grandes entreprises, c’était justement pour garder le lien avec le terrain, alors que l’entreprise et la holding travaillaient sur des territoires immenses.

L’erreur n’a-t-elle pas été, dans certains groupes, de fusionner en une coopérative unique, en éloignant la gouvernance des territoires ? C’est une question. Pour le dire autrement, comment être un colosse sans pieds d’argile ? Il serait intéressant d’étudier comment ont été provoqués les derniers grands rassemblements, et s’ils ont été soucieux de préserver une gouvernance locale.

Je suis persuadé que l’une des forces du réseau coopératif réside dans son enracinement dans les territoires, dont les administrateurs demeurent les garants. Cet enracinement, fruit de notre histoire, est précieux et donne un avantage évident aux groupes qui savent le préserver et l’utiliser.

Deuxième question que je souhaite formuler aujourd’hui : comment renforcer le contrôle démocratique de la coopérative et, surtout, de ses filiales de droit commercial ?

On le sait, dès lors que les agriculteurs perdent la main, ils ont tendance à rencontrer des difficultés pour dégager des revenus décents. Ils doivent donc réinvestir les organes de gouvernance, y compris ceux des filiales. Mais comment garantir leur implication quand le système mondialisé impose le recours à des cabinets d’audit anglophones, par exemple ?

Il y a, évidemment, un important devoir d’information et un enjeu de formation des coopérateurs. Il y a peut-être également besoin, comme le soulignaient deux responsables coopérateurs dans une récente tribune, d’un « référentiel de gouvernance coopérative détaillé » auquel se rattacher. J’y ajouterai la création de comités d’éthique dans les coopératives de très grande taille.

Je voudrais évoquer, ensuite, la capacité qui pourrait être donnée aux coopérateurs de déclencher un audit indépendant sur les résultats de leur coopérative. C’est un droit des salariés aujourd’hui dans les comités d’entreprise. Pourquoi ne pas l’élargir aux coopérateurs dans les très grandes coopératives ?

Troisième et dernière interrogation, quelle régulation mettre en place pour adapter les coopératives au monde des affaires sans pour autant contredire les valeurs du modèle coopératif ? Je ne l’ai pas encore dit, mais, à titre personnel, je suis évidemment très attaché, comme la plupart d’entre vous sans doute, au modèle coopératif.

Toutefois, je me pose légitimement la question : ne faut-il pas le doter d’un gendarme qui puisse agir en toute indépendance et impartialité ? Le Haut Conseil de la coopération agricole pourrait-il se voir affecter des moyens supplémentaires pour assurer cette prérogative, afin d’éviter les écueils dénoncés par notre collègue Pierre Louault en ouverture de ce débat ?

Mes chers collègues, vous l’aurez compris, j’appelle de mes vœux une nouvelle gouvernance des coopératives françaises, mais coconstruite avec les intervenants du secteur.

M. le président. Il faut conclure, mon cher collègue.

M. Daniel Dubois. Je suis optimiste. Pas plus tard qu’hier, la fédération des coopératives a annoncé son intention de présenter en février un guide de gouvernance. J’espère que nous y retrouverons un certain nombre de bonnes pratiques. (Applaudissements sur les travées du groupe Union Centriste et du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen.)

M. le président. La parole est à M. Alain Fouché.

M. Alain Fouché. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je tiens tout d’abord à saluer la tenue de ce débat, sur un sujet en apparence assez technique, mais qui soulève en réalité de grands enjeux pour le monde agricole français.

M. Alain Fouché. Les coopératives agricoles sont, en effet, un pilier de l’agriculture française : trois agriculteurs sur quatre appartiennent à au moins une coopérative agricole.

Ces structures placent l’homme au centre de leur gouvernance ; elles agissent au cœur des filières agricoles, mais aussi alimentaires, et contribuent à leur structuration et à leurs mutations profondes. Comme l’a montré le congrès de Coop de France qui s’est tenu le 19 décembre dernier, les agriculteurs y sont très attachés et le considèrent comme un modèle pertinent. Ainsi, quelque 77 % des adhérents considèrent que le modèle coopératif répond aux défis de demain.

Sur les territoires, ce sont des acteurs incontournables de l’emploi et de la formation. Elles participent à l’innovation agricole, à la valorisation des produits, à l’économie rurale et au rayonnement de la France à l’international. Quelque 2 600 coopératives génèrent un chiffre d’affaires de plus de 85 milliards d’euros par an, soit 40 % de l’agroalimentaire français.

En Europe, on compte plus de 51 000 coopératives agricoles, soit 9,5 millions de producteurs et 675 000 salariés, dans toutes les filières alimentaires. Elles sont donc aussi un pilier de l’économie française et européenne.

Le particularisme des coopératives fait qu’elles sont gouvernées d’une manière démocratique. Principes démocratiques, proximité et dépendance réciproque ont pendant longtemps été les piliers de la gouvernance des coopératives. Ils ont permis de maintenir un engagement fort des agriculteurs.

Cependant, au-delà de ce tableau idyllique se cachent des évolutions qui peuvent entraîner certains problèmes de gouvernance. Deux transformations mettent aujourd’hui en tension les piliers de cette gouvernance : l’agrandissement de leur base territoriale et la complexification des enjeux, avec une diversification et une internationalisation des activités industrielles et commerciales portées par les coopératives.

Elles se sont, pour la plupart, développées dans un environnement marqué par les quotas et les prix garantis. Avec la fin de ces derniers, les coopératives agricoles ont dû s’adapter pour entrer de plain-pied dans la compétitivité. Elles ont souvent fait le choix de la diversification au travers de la création de filiales et l’internationalisation des activités, une adaptation nécessaire pour affronter la concurrence sur des marchés mondialisés, mais qui pose de nouveaux défis.

En effet, le lien entre les coopérateurs et leur coopérative s’est distendu et, avec lui, les capacités d’orientation et de contrôle des agriculteurs et de leurs représentants se sont affaiblies. Ces derniers mois, des tensions sont apparues dans certaines grandes coopératives, où des membres demandent un renouvellement de leur gouvernance.

Les mesures prévues dans la loi ÉGALIM pour réformer les pratiques de gouvernance des coopératives agricoles arrivent donc au moment opportun pour que celles-ci continuent de jouer un rôle central dans l’agriculture et l’alimentation françaises. Nous serons bien sûr attentifs à ce que les spécificités de ce modèle soient préservées, tout en assurant une plus grande transparence et une plus grande responsabilité des instances dirigeantes, en fournissant plus d’informations aux agriculteurs et en promouvant davantage les bonnes pratiques. Les mesures doivent être réalistes pour être efficaces et applicables.

Des changements sont nécessaires pour que les coopératives françaises continuent à grandir et à se développer. Les ordonnances prévues d’ici au mois de mars 2019 peuvent apporter une partie des réponses pour que les coopératives fassent un saut qualitatif en matière de pratiques de gouvernance, mais c’est aujourd’hui surtout au mouvement coopératif de revisiter ses fondamentaux et de faire des propositions ambitieuses au Gouvernement pour projeter les agriculteurs et l’agriculture française dans les défis du XXIe siècle.

Monsieur le ministre, la modernisation de l’agriculture française, et plus largement européenne, ne pourra se faire sans les coopératives. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Indépendants – République et Territoires, du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen et du groupe Union Centriste, ainsi que sur des travées du groupe Les Républicains.)

M. le président. La parole est à M. Daniel Gremillet. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Daniel Gremillet. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je remercie Pierre Louault d’avoir mis le sujet à l’ordre du jour. Quel plus beau débat aujourd’hui que celui de la coopération et de l’engagement de femmes et d’hommes sur un territoire pour valoriser leurs productions ? Quoi de plus beau que de voir des femmes et des hommes investir dans le capital de coopératives pour récupérer, trente ans après, en euros, la même somme ?

Je voudrais faire le lien, monsieur le ministre, avec l’actualité de la fin de l’année 2018. Ces femmes et ces hommes présents sur des territoires pour un projet partagé sont normalement là pour valoriser la production des coopérateurs. Si les statuts sont respectés, la coopérative doit transformer et valoriser l’ensemble de la production de ses coopérateurs ; en contrepartie, les coopérateurs doivent fournir la totalité de leur production.

Si j’évoque ce lien exceptionnel, c’est parce que, derrière la coopération, se trouvent des engagements, des statuts, un règlement intérieur où les anciens, je tiens à le mettre en avant ici, au Sénat, ont encore leur place.

Les anciens laissent du capital et même, pour certains, toutes leurs économies, investies dans ce qui a été le projet de leur vie, afin de permettre aux jeunes coopérateurs de commencer leur activité. Ces jeunes qui s’installent découvrent le monde de la coopération. On est souvent coopérateur de père en fils, mais il faudrait peut-être que les nouveaux s’approprient le projet collectif. Je connais quelques coopératives qui font systématiquement découvrir la coopérative en organisant la rencontre avec l’équipe du conseil d’administration, avec celles et ceux qui portent le projet, en vue d’une véritable appropriation.

Ce n’est pas parce que l’on appartient à une coopérative, quel que soit son nom, que l’on vend mieux ou plus cher ses produits. Il y a toujours une obligation de compétitivité, donc d’outils et de responsabilité sur le marché, par rapport aux souhaits des consommateurs, qui sont des clients. Nos concurrents peuvent être des coopérateurs, donc des paysans, originaires du même village, de la région, du pays, de l’Europe, voire du monde entier, parfois des entreprises privées de nos territoires. Nous devons donc en permanence conjuguer le caractère supportable des investissements et la capacité à obtenir des prix de revient.

Un autre reproche, souvent formulé, se révèle tout infondé. Tous les cinq ans, le coopérateur peut décider de quitter la coopérative, même s’il doit respecter ses engagements pendant le contrat. À l’inverse, la coopérative ne peut le mettre dehors, sauf en cas de faute grave. C’est un modèle merveilleux, à l’inverse du marché libéral.

Monsieur le ministre, il est essentiel que vous repreniez les recommandations du Sénat issues de la loi ÉGALIM concernant l’habilitation du Gouvernement à légiférer par ordonnances sur la coopération.

Je conclus en souhaitant vivement que vous restiez dans ce cadre, monsieur le ministre, car nous avons besoin de lisibilité et d’assurance, pour ce monde si merveilleux. (Bravo ! et applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, du groupe Union Centriste, du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen et du groupe Les Indépendants – République et Territoires.)

M. le président. La parole est à M. Didier Rambaud.

M. Didier Rambaud. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, il y a quelques mois, la question de l’organisation des coopératives agricoles a été au cœur de nos débats. Ce sujet est en effet une des mesures clés de la loi ÉGALIM. Nous ne pouvions pas traiter de la question du revenu agricole sans nous pencher sur le système coopératif, compte tenu du poids des coopératives de ce modèle.

Si nous n’étions pas forcément tous d’accord sur le véhicule législatif à utiliser, nous savons tous ici, sur ces travées, que cette réforme est amplement justifiée et nécessaire : le modèle de la coopération agricole est en transition. Je ne dirai pas qu’il est en crise, mais nous devons le refonder et le réinventer. La mutation et la modernisation de cet espace coopératif sont indispensables à son avenir. Ce modèle si particulier, où un homme égale une voix, qui représente des valeurs d’entraide, de solidarité et de partage, nous devons le cultiver et le renforcer.

Le Gouvernement s’est donné six mois pour proposer une modernisation ambitieuse et efficace de ce mode d’organisation, en concertation avec l’ensemble des acteurs, notamment Coop de France. Ce sujet particulièrement technique justifie aujourd’hui ce temps d’échange et de dialogue, et je salue l’initiative du groupe Union Centriste.

Cette modernisation doit répondre à plusieurs objectifs précis. Le premier des travaux à accomplir, c’est l’amélioration des relations entre les associés coopérateurs et leurs coopératives, c’est-à-dire sur les questions de rémunération, de transparence et de conditions de départ. Aujourd’hui, les associés manquent d’informations sur les relations économiques nouées par leur coopérative. Dans certaines coopératives, il est par ailleurs complexe pour eux d’obtenir des informations sur la mise en réserve des investissements ultérieurs ou sur les résultats des filiales.

Pour rénover le système des coopératives agricoles et maintenir le rôle exemplaire des coopératives en matière de contractualisation, il est nécessaire de favoriser l’information de l’associé coopérateur sur sa rémunération et sur la redistribution des gains, ainsi que sur ses conditions de sortie de la coopérative, qui doivent être transparentes et non bloquantes. L’ordonnance instaurera également un mécanisme régulier de contrôle et de sanction garantissant l’exemplarité des pratiques.

Le deuxième objectif de cette modernisation est d’adapter aux nouveaux enjeux les règles relatives à la gouvernance, aux missions et à la composition du Haut Conseil de coopération agricole. Institué en 2006 par la loi d’orientation agricole, le Haut Conseil manque de moyens et ses missions essentielles sont insuffisamment connues. Elles gagneraient pourtant à être renforcées.

Enfin, le troisième objectif de la réforme des coopératives concerne le médiateur. Après trois années d’existence, seuls six dossiers de médiation lui ont été soumis, paraît-il. Le médiateur de la coopération manque de visibilité auprès des coopérateurs et certains lui reprochent son manque d’indépendance et l’insuffisance des moyens dont il dispose.

De plus, l’articulation entre le médiateur de la coopération et le médiateur des relations commerciales n’est pas claire. Face à ce flou, le Gouvernement propose de modifier les conditions de nomination et d’intervention du médiateur de la coopération agricole pour assurer son indépendance et sa bonne coordination avec les médiateurs des relations commerciales agricoles.

Cette modernisation du régime coopératif est essentielle pour assurer sa place dans notre paysage de l’agriculture et de l’alimentation. Les 2 600 coopératives présentes sur notre territoire jouent un rôle essentiel pour notre économie, cela a été dit, avec environ 86 milliards d’euros de chiffres d’affaires, pour nos emplois avec près de 165 000 salariés, mais également pour l’aménagement et la cohésion de nos territoires. Le système coopératif participe à l’évolution et à la dynamique agricole que nous connaissons en de nombreux points du pays.

J’aimerais profiter de cette prise de parole pour saluer l’action de Coop de France, qui présentera au printemps un code de gouvernance, afin d’accompagner les coopératives et d’apporter des réponses concrètes aux questions qui sont posées dans les coopératives et par la société.

Enfin, je salue l’action du Gouvernement, qui prend le sujet dans sa globalité et qui, fidèle à sa méthode, fait le choix de la concertation avec l’ensemble des parties prenantes. Monsieur le ministre, votre prédécesseur annonçait un projet de loi de ratification de l’ordonnance pour le mois de mars ; nous l’attendons avec impatience, de même, bien sûr, que votre réponse. (Applaudissements sur des travées du groupe Union Centriste.)

M. le président. La parole est à M. Franck Montaugé. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain.)

M. Franck Montaugé. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, ce débat sur la gouvernance des grands groupes coopératifs est tout à fait opportun au moment où le Gouvernement prépare l’ordonnance relative à la coopération agricole que la loi ÉGALIM l’a habilité à prendre, contre l’avis largement majoritaire et transpartisan du Sénat. On sait que ce point a fait dissensus, avec d’autres, lors de la commission mixte paritaire qui n’a pas été conclusive. Nous souhaitions ici pouvoir discuter directement, dans l’écoute de toutes les parties prenantes, du contenu des dispositions envisagées.

Nos collègues de l’Union Centriste ont demandé l’organisation de ce débat à partir des difficultés que rencontre en ce moment la coopérative Tereos, qui enregistre des déficits records du fait de la fin des quotas sucriers, mais aussi de choix financiers à l’international critiqués en interne. Cette crise a pris une nouvelle ampleur l’été dernier, avec la démission de 70 des 73 conseillers de région et l’exclusion de trois coopérateurs membres du conseil d’administration pour avoir été trop critiques à l’égard de la direction. Ces critiques portaient sur la gouvernance « défaillante », le manque de transparence régnant au sein de la coopérative, ainsi que sur une politique d’internationalisation inefficace.

L’article 11 de la loi ÉGALIM habilite le Gouvernement à prendre par ordonnance des mesures qui concernent directement la gouvernance des coopératives.

La première de ces mesures – il y a en a huit – prévoit de renforcer la lisibilité et la transparence des informations contenues dans les documents transmis aux associés coopérateurs par l’organe chargé de l’administration de la société ou adoptés en assemblée générale, notamment le règlement intérieur, le rapport annuel et le document unique récapitulatif. La deuxième prévoit d’améliorer la lisibilité et la transparence par les associés coopérateurs des modalités de détermination du prix et de la répartition des résultats de la coopérative au travers de l’élaboration de documents appropriés. Les six autres mesures concernent moins la gouvernance.

La question majeure que pose le cas de Tereos est celle des dérives de certaines grosses coopératives agricoles, notamment au sujet de leur stratégie à l’international, et en conséquence le manque de pouvoir des agriculteurs coopérateurs au sein de celles-ci.

Au regard de la diminution sensible, ces dernières années, des exportations agricoles et agroalimentaires françaises, au regard aussi des exigences fortes de la société en matière de qualité sanitaire et d’impact environnemental, la compétitivité du modèle coopératif est un enjeu crucial pour notre pays.

Je suis un fervent défenseur de toutes les organisations collectives agricoles permettant d’accroître la valeur pour le producteur et la valeur ajoutée des produits transformés, tout en mutualisant les risques de toutes natures, économiques, sanitaires ou environnementaux. La modernisation de l’agriculture française doit aussi prendre appui sur ses coopératives, petites et grandes.

Je trouve qu’il est précieux, dans un contexte national général où la question de la participation et de la redistribution est posée, que le principe démocratique soit au cœur de la gouvernance des coopératives, le principe cardinal étant que chaque associé ou sociétaire dispose, sauf dispositions spéciales, d’une voix à l’assemblée générale.

Au fil du temps, par nécessité économique autant que par opportunité juridique, la coopération s’est complexifiée et, dans certains cas, opacifiée dans ses montages sociétaires. Les opérations de rapprochement ou de croissance externe ont modifié la taille et le champ d’activité de nombreuses coopératives. Certaines possèdent désormais une dimension internationale.

Ces adaptations étaient indispensables pour affronter la concurrence sur les marchés mondialisés. Elles le seront encore demain, mais elles posent de nouveaux défis en termes d’organisation et de gouvernance. Le point de vue de certains associés s’est éloigné dans certains cas, les conséquences des décisions prises ailleurs pouvant avoir des effets positifs ou négatifs très importants sur la coopérative ou l’union de coopératives d’origine, la maison mère.

Pour maîtriser et retrouver de la valeur dans l’acte de production, de transformation et de commercialisation, les agriculteurs doivent dans certaines configurations – pas toutes, et c’est heureux –, réinvestir les organes de gouvernance. Ils doivent prendre part à toutes les décisions à caractère stratégique qui conditionnent leur propre rémunération dans le moyen, mais aussi le long terme.

Ces principes pourraient trouver une traduction dans l’ordonnance attendue, en prévoyant, monsieur le ministre, un pacte stratégique soumis systématiquement au vote des coopérateurs, un accès facilité des coopérateurs à l’expertise ou à l’audit pour toutes les grandes questions concernant les coûts internes et l’organisation, une implication directe des administrateurs de la maison mère dans la gouvernance des filiales.

Monsieur le ministre, dans le contexte de la loi ÉGALIM, quelles mesures concrètes envisagez-vous de prendre par ordonnance pour améliorer la transparence interne et la démocratie des sociétés coopératives si importantes pour la rémunération des coopérateurs et la compétitivité de l’agroalimentaire français ? (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain, du groupe La République En Marche, du groupe Les Indépendants – République et Territoires et du groupe Union Centriste.)

M. le président. La parole est à M. Laurent Duplomb.

M. Laurent Duplomb. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, tout d’abord, souvenons-nous que les coopératives sont le fruit de l’histoire de l’agriculture française. Elles sont vieilles de plus de cent ans : c’est à la fin du XIXe siècle que les agriculteurs ont décidé de créer les premières coopératives, et ainsi de se regrouper et de faire ensemble ce qu’ils ne pouvaient pas faire seuls.

Ce modèle positif et constructif les a conduits à organiser le principe des droits et devoirs de chacun. Cela devrait déjà nous permettre de mener une première réflexion sur la contemporanéité de ce principe, car, aujourd’hui, les droits supplantent souvent les devoirs.

N’est-ce pas déjà dans ce principe de base que notre problème réside, dans la perception de la gouvernance de nos grandes coopératives ? N’est-ce pas déjà dans l’exercice trop facile de la critique permanente, sans prendre part objectivement aux informations et aux décisions en tant que simple coopérateur qu’une partie de notre problème réside ?

Ce modèle d’entreprise coopérative a aussi conduit les agriculteurs à fixer des principes et des règles.

Les principes sont de plusieurs natures : investir ensemble en participant, de façon proportionnelle et égalitaire, au capital social ; rechercher la meilleure valorisation des produits, afin de favoriser le prix payé à l’adhérent, mais aussi d’accroître les résultats de la coopérative, pour un meilleur retour au producteur et la poursuite des investissements et du développement de la structure ; permettre une bonne valorisation du capital social pour constituer un patrimoine à chaque coopérateur.

Nos agriculteurs devraient prendre plus de temps pour recueillir l’ensemble des informations et mener une réflexion collective sur ces principes du mieux faire ensemble.

Quant aux règles, elles sont nombreuses et, pour certaines, importantes à rappeler. C’est la règle démocratique : un adhérent vaut une voix. Le traitement des dossiers doit être identique pour tous – pas de passe-droit selon les règles établies ! Certains articles des statuts sont d’une impérieuse nécessité, tel l’article 1er, relatif à l’obligation faite à la coopérative de collecter la totalité de la production de son adhérent, partout en France, et l’obligation faite à l’adhérent de livrer à la coopérative la totalité de sa production.

Mon expérience me conduit à penser que la critique des grandes coopératives est liée à une appropriation insuffisante, par les adhérents, de la structure qui leur appartient, par méconnaissance des fondamentaux et des évolutions de cette dernière. Souvent, j’entends les adhérents parler de « la coopérative » au lieu de « leur coopérative ». Que nos coopérateurs soient acteurs, plutôt que spectateurs !

La France peut être fière de ce modèle coopératif, qui, fort de son histoire, permet aujourd’hui à notre pays de compter plus de 2 400 coopératives, dont 13 grands groupes. Ces grands groupes coopératifs sont souvent la cible de critiques : ils seraient trop gros, trop industriels, trop agroalimentaires au goût de certains.

De mon point de vue, ces critiques ne sont pas fondées. Elles ne sont que l’expression de ceux qui refusent de voir la réalité économique de l’agriculture, livrée depuis des décennies à une concurrence exacerbée et mondialisée, rendant nécessaire la recherche de croissance et de résultats.

Nos grandes coopératives ont permis d’aller chercher de la croissance en externe, grâce à des volumes importants d’exportation, qui, favorisant leurs résultats, ont servi les intérêts des agriculteurs et de la balance commerciale française. Comment ne pas s’enorgueillir de ces grandes marques qui font la renommée de tout un pays, comme Yoplait, Candia, Béghin-Say et beaucoup d’autres ?

Ces grandes coopératives font plus encore. Ne contribuent-elles pas à déterminer le prix des produits agricoles payés aux producteurs, face aux grands groupes privés ? Certes, ce n’est jamais suffisant, et les critiques sont nombreuses dans la bouche de certains coopérateurs qui rêvent parfois de quitter la coopérative pour une entreprise privée, comme si l’herbe était plus verte dans le pré du voisin. Mes chers collègues, croyez-vous que les entreprises privées défieraient ces prix, si les coopératives ne le faisaient pas ? Je ne le pense pas !

Les grandes coopératives, souvent poussées par les pouvoirs publics, ne font-elles pas office d’ambulance dans les crises les plus graves ? Je pense notamment au cas du groupe Entremont Alliance en Bretagne, une entreprise privée sauvée par une grande coopérative, ou encore celui de l’Union régionale des coopératives de vente de lait, l’URCVL, dans le sud-est de la France, dont les producteurs ont également été sauvés par de grandes coopératives. Et je ne parle pas de Sud Lait et de tant d’autres…

Les grandes coopératives ne permettent-elles pas de conserver une agriculture répartie sur l’ensemble du territoire, même dans les zones de montagne où la collecte est difficile ? Collecter partout, c’est dans l’ADN même des coopératives ! C’est un devoir statutaire à l’égard de leurs producteurs !

Ainsi évitent-elles la concentration des productions dans les zones les plus intéressantes économiquement et, ne l’oublions pas, c’est pour elle, aussi, un inconvénient face aux concurrents privés, qui ne procèdent pas nécessairement ainsi.

Au vu de tous ces éléments, et avec 72 % de coopérateurs reconnaissant que le modèle coopératif répond aux défis de demain, distinguons les questions de gouvernance, donc de pratique, et celles de statut, donc de réglementation. Valorisons ce qui a fait ses preuves ! Valorisons la réussite du difficile pari du collectif face à l’individualisme.

M. le président. Il faut conclure, mon cher collègue.

M. Laurent Duplomb. Je refuse de croire que les grandes coopératives puissent être les victimes expiatoires d’une société en quête de repères, alors que tout me pousse à penser que le système coopératif est l’exemple même d’une gestion fraternelle, qui fait tant défaut à notre société. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – M. Pierre Louault applaudit également.)

M. le président. La parole est à Mme Patricia Morhet-Richaud.

Mme Patricia Morhet-Richaud. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je voudrais tout d’abord remercier nos collègues du groupe Union Centriste de nous permettre d’aborder, aujourd’hui, le sujet de la gouvernance des grands groupes coopératifs agricoles.

Avant d’évoquer en détail cette problématique, je voudrais rappeler quelques éléments de contexte s’agissant de la réalité des coopératives et de leur rôle dans les territoires, où elles sont devenues, au fil des années, des acteurs incontournables de développement économique et d’aménagement du territoire.

En effet, les principes coopératifs sont communs à toutes les coopératives, indépendamment de leur taille, celles-ci étant le fruit d’une longue tradition, issues de la volonté commune de femmes et d’hommes de structurer leur filière pour répondre aux enjeux économiques, réglementaires et environnementaux.

Peu à peu, les coopératives agricoles ont étendu leur champ de compétences, de la collecte à la commercialisation, pour déboucher sur la mise en place d’entités de négoce dans le domaine des engrais, des produits « phytos » ou des semences, par exemple.

Les coopératives offrent aujourd’hui à leurs adhérents une palette de prestations de services innovants, la mise en place d’outils d’aide à la décision ou de gestion des productions. C’est un champ de compétences techniques en interne très large et très diversifié, qui permet de répondre aux besoins des 2 400 entreprises, dont 13 seulement sont qualifiées de « grands groupes » et 130 d’« intermédiaires ». Le tissu coopératif est donc composé, à 93 %, de TPE et de PME.

Je connais un peu ce domaine d’activité, pour avoir travaillé pendant trente ans au sein de la coopérative Alpesud, dans les Hautes-Alpes et les Alpes-de-Haute-Provence.

La mise en œuvre de la loi ÉGALIM et, plus particulièrement, de l’ordonnance visant à rendre incompatibles l’agrément pour la vente de produits « phytos » et celui pour le conseil n’est pas sans poser de grandes difficultés. En effet, le capital de l’activité conseil ne peut être détenu directement ou indirectement par des personnes physiques ou morales agréées pour la vente : ni filiale ni holding, par exemple, ne sont possibles.

Le conseiller indépendant, qui doit être agréé, ne peut pas percevoir de rémunération directe ou indirecte liée à la production ou à la distribution de produits, à leur application en tant que prestataire ou via la vente de matériel d’application.

L’agrément est renouvelable annuellement, selon des modalités définies par décret en Conseil d’État et s’inscrit dans un objectif de réduction de l’usage et des impacts des produits « phytos », privilégiant les méthodes alternatives.

Or, comme vous le savez, mes chers collègues, un justificatif de ce conseil devra être présenté pour acheter des produits « phytos », sauf si l’exploitation agricole est certifiée, en sa totalité, selon « un référentiel listé par la voie réglementaire pour ses incidences favorables sur la réduction de l’usage et des impacts des produits phytopharmaceutiques. »

Dès lors, un certain nombre de questions subsistent. Qu’en est-il du conseil en réapprovisionnement, par exemple ? Où s’arrête le rôle du vendeur, qui peut notamment évoquer la « cible » du produit ? Quel sera le coût du conseil indépendant ?

Face aux nombreuses évolutions, la gouvernance coopérative n’a cessé de s’adapter. Mais les dernières évolutions règlementaires provoqueront des changements profonds. Je souhaite, pour ma part, que le débat de ce jour nous permette d’en évaluer les conséquences et d’ajuster certaines dispositions.

Les retours des territoires sont unanimes : les coopératives doivent demeurer capables d’apporter du conseil de proximité, au quotidien. On ne peut pas remettre en cause leur rôle dans la mise à disposition des agriculteurs des moyens de production dont ces derniers ont besoin.

Avec un chiffre d’affaires global de 84 milliards d’euros, et dans un monde en pleine mutation, il apparaît essentiel d’améliorer la gouvernance coopérative. C’est aussi une demande des adhérents, puisque 32 % de ceux qui ont répondu au questionnaire de Coop de France considèrent que leur voix n’est pas assez entendue et s’interrogent sur le partage réel du projet de la coopérative.

Ce modèle a d’ailleurs vocation à être pérennisé. Ainsi, 77 % des adhérents considèrent que le modèle coopératif répond aux besoins de demain. Il est même qualifié, par les agriculteurs-coopérateurs, de « bouclier » face aux nombreuses incertitudes.

Toutefois, cette adaptation doit se faire en toute indépendance et impartialité. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – M. Pierre Louault applaudit également.)

M. le président. La parole est à M. le ministre.

M. Didier Guillaume, ministre de lagriculture et de lalimentation. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, je tiens tout d’abord à remercier le sénateur Pierre Louault et son groupe d’avoir choisi de mettre ce sujet – passionnant – à l’ordre du jour.

Vous avez été plusieurs à rappeler ce que sont les coopératives et à souligner leur poids. Permettez-moi d’entamer mon intervention en évoquant deux écueils à éviter lorsque l’on traite du système coopératif en France : le premier consiste à se défier des coopératives ou de « sa » coopérative ; le second, à redouter le développement économique et la mise en situation de concurrence.

On ne le dira jamais assez, depuis l’origine des coopératives – Mme Cécile Cukierman l’a rappelé –, jusqu’à aujourd’hui, l’esprit est resté le même : chacun est libre d’adhérer à une coopérative ou pas ! M. Daniel Dubois s’est très justement référé aux intercommunalités. Le principe est identique : l’adhésion est libre et si, au bout de cinq ans, on veut quitter sa coopérative, rien n’empêche de le faire. Mais tant que l’on reste dans le système coopératif, je veux l’affirmer ici, on se trouve dans un système qui fonctionne à merveille !

Certes, il peut toujours y avoir des problèmes, ici ou là. Mais ce n’est pas une raison pour jeter le bébé avec l’eau du bain, alors même que les coopératives françaises fonctionnent à merveille et qu’elles figurent parmi les entreprises concourant à l’excédent de notre balance commerciale pour les produits agricoles et agroalimentaires.

Je puis vous dire que, pour ma part, je suis très fier quand je vois six coopératives dégager 11 milliards d’euros de chiffre d’affaires. N’oublions jamais que le développement économique de ces coopératives, et du secteur agricole dans son entier, est un élément essentiel dans la concurrence mondiale. Ces six coopératives sont notre fierté !

L’une d’entre elles – elle a été plusieurs fois citée – connaît aujourd’hui des difficultés de gouvernance… Ne nous focalisons pas sur ce cas ! À l’heure actuelle, une pétition a été lancée et un administrateur qui avait été soustrait du dispositif de gouvernance a été réintégré. La liste des pétitionnaires se trouve dans le coffre du HCCA. Si elle est validée, une nouvelle assemblée générale se tiendra dans les semaines à venir et les administrateurs prendront alors leurs responsabilités. Dans le cas contraire, l’assemblée générale aura lieu, comme prévu, au mois de juin prochain.

Toutefois, en dehors de tels ou tels aspects particuliers, nous ne pouvons, tous, qu’appeler de nos vœux un système dans lequel, de manière contractualisée, une coopérative prélève 100 % de la production d’un producteur qui s’est engagé à la lui vendre en totalité. Aussi je voulais, en introduction de mon propos, rendre un vibrant hommage à tous les agriculteurs qui ont fait le choix du modèle coopératif et à l’ensemble des coopératives.

Il n’existe pas qu’un seul modèle – certains n’ont pas choisi le modèle coopératif, et cela fonctionne aussi très bien –, mais le modèle coopératif montre ce que nous pouvons faire au travers de l’action collective.

Les coopératives et leurs adhérents maillent le territoire. On ne dira jamais assez à quel point ils participent d’un véritable aménagement du territoire – Mme Patricia Morhet-Richaud l’a souligné. Ce sont là des emplois non délocalisables et, au moment où nous rencontrons des difficultés économiques, c’est un élément très important.

Les chiffres ont été cités : quelque 2 500 coopératives comptabilisent un chiffre d’affaires de 85 milliards d’euros. Ce n’est tout de même pas rien !

L’ordonnance prévue dans le cadre de la loi ÉGALIM, qui sera publiée dans les semaines à venir, apportera un peu plus de transparence et de régulation au modèle coopératif. Pour l’heure, cette ordonnance, si je puis dire, est en train de tourner : nous en discutons avec Coop de France et avec l’ensemble de celles et ceux qui ont des choses à dire sur le sujet, afin qu’elle soit consensuelle. Et j’espère, je suis même quasiment certain, qu’elle le sera !

Il en va de même, d’ailleurs, pour l’ordonnance évoquée par Mme Patricia Morhet-Richaud sur la séparation entre vente et conseil, qui n’entre pas véritablement dans notre débat de cet après-midi. Ce projet est également en train de tourner : les membres de mon cabinet et moi-même rencontrons de nombreux responsables, et je ne doute pas que nous parviendrons à élaborer une ordonnance acceptée par l’ensemble des parties prenantes.

L’objectif du Gouvernement, ce n’est pas de développer une vision, sans regarder ailleurs. C’est d’accompagner le développement économique de l’agriculture française ; certes, de limiter l’utilisation de produits phytopharmaceutiques dans l’agriculture et d’encourager la mutation de cette dernière, mais tout cela en responsabilité, avec les représentants des filières coopératives. C’est ce que nous allons faire.

La spécificité de la relation d’un agriculteur avec sa coopérative a été soulignée à plusieurs reprises. Celui-ci est, à la fois, propriétaire, client et fournisseur. Ce point est, comme M. Henri Cabanel l’évoquait, au fondement du modèle coopératif. C’est cela l’essentiel, qu’il s’agisse de toutes petites coopératives – il y en a, dans mon département, qui obtiennent de très bons résultats sur des produits de niche – ou, sinon de mastodontes, si j’ose dire, du moins de grosses coopératives, qui interviennent à l’export et qui sont tout aussi indispensables.

Le projet d’ordonnance que je publierai très prochainement a pour objectif de préciser les dispositions de l’article 1er de la loi ÉGALIM, définissant un cadre rénové à la contractualisation.

Je vais maintenant suivre le fil de cette ordonnance, afin de n’oublier aucun sujet. Il s’agit de retrouver dans la relation entre la coopérative et l’associé coopérateur des clauses produisant des effets similaires.

Le premier sujet, que vous avez été plusieurs à évoquer, c’est l’information sur les modalités de rémunération par unité de volume des associés coopérateurs à la fin de chaque exercice. Ces modalités sont précisées dans le règlement intérieur, notamment l’information sur les deux clés de distribution du résultat : la part destinée aux associés coopérateurs par rapport à la part restant à la coopérative – c’est tout à fait logique – et la part des dividendes remontés des filiales par rapport aux résultats de celles-ci.

Le deuxième sujet, c’est la lisibilité des modalités de sortie de la coopérative, avec, notamment, des informations sur le délai de remboursement des parts sociales.

Il est également proposé, dans cette ordonnance, de faire évoluer le Haut Conseil de la coopération agricole, le garant du droit coopératif. Son fonctionnement actuel, vous avez été nombre à le dire, ne lui permet pas de remplir cette mission de façon effective. Il est donc proposé de renforcer ses possibilités d’action, en vue d’en faire un conseiller auprès des coopératives, pour leur gouvernance, et non un gendarme. M. Daniel Dubois voulait qu’il soit un gendarme ; je crains que cela n’effraie, mais, à tout le moins, le HCCA doit disposer des moyens de remplir son office.

En matière de contrôle des statuts de la coopérative par cet organisme, la loi impose déjà à toutes les coopératives l’obligation de respecter les statuts types homologués par arrêté ministériel.

Le HCCA, lors de l’instruction de l’agrément d’une coopérative, vérifie donc la conformité des statuts. Il effectue cette même vérification lorsqu’une modification d’agrément est nécessaire – par exemple, dans le cas d’une fusion de deux coopératives ou d’une extension de la circonscription territoriale. Il n’y a donc pas nécessité de légiférer en la matière.

Au-delà des statuts, il faut vérifier la conformité de tous les textes régissant le fonctionnement de la coopérative – règlement intérieur, bulletin d’adhésion, etc. –, et, surtout, la réalité de son fonctionnement pratique. Ce contrôle existe : il s’agit de la révision. Il sera renforcé, avec la possibilité, pour le HCCA, de diligenter un contrôle ad hoc. C’est là un point important, qui a été intégré dans la loi d’habilitation.

En outre, et surtout, ce contrôle sera désormais accompagné de sanctions lorsqu’il révélera des non-conformités, ce qui permettra de cadrer un certain nombre de choses et de mettre tout le monde sur un pied d’égalité.

Ces sanctions seront graduées, car le but n’est évidemment pas de mettre en cause ou de fragiliser les coopératives concernées. Il pourra s’agir d’un courrier d’avertissement ou de la convocation d’une assemblée générale de la coopérative – c’est une innovation que nous introduisons, en permettant au HCCA, dans sa grande sagesse, de convoquer une nouvelle assemblée générale s’il constate des dysfonctionnements, et cette nouveauté, déjà évoquée par M. Pierre Louault dans son propos liminaire, me semble aller dans le bon sens. Au pire, on pourra envisager la saisine du tribunal pour prononcer des astreintes tant que la mise en conformité n’est pas effective.

En l’état actuel, les coopératives et leurs membres font très peu appel au médiateur de la coopération agricole – c’est, de nouveau, un point évoqué par plusieurs d’entre vous.

C’est certainement dû à sa mise en place récente et à sa faible visibilité auprès des coopérateurs. Il est donc proposé de modifier les conditions de sa nomination pour assurer toute son indépendance. Le médiateur sera nommé par décret, décret que je prendrai après avis du comité directeur du HCCA. Il faut, me semble-t-il, que ce soit une personnalité indépendante et que l’on connaisse son existence !

Par ailleurs, l’intervention du médiateur de la coopération agricole doit être mieux coordonnée avec celle du médiateur des relations commerciales agricoles, point sur lequel, effectivement, la marge de progression est assez grande.

Il doit bénéficier des mêmes avancées que celles qui ont été offertes au médiateur des relations commerciales agricoles par la loi. D’ailleurs, nous allons instaurer une charte éthique et déontologique pour les membres du HCCA. C’est aussi, je pense, un point important.

J’entends parfois dire que nous ne serions pas allés assez loin… Attention ! Tout d’abord, le débat parlementaire a délimité avec précision le périmètre de l’habilitation et les contours de cette ordonnance.

Je dois le dire, nous avons beaucoup travaillé, avec Coop de France, le HCCA, les OPA, pour identifier les priorités, conformément à la méthode qui est la mienne – j’estime que l’on ne peut pas prendre des décisions du haut de je ne sais quoi, sans en discuter avec la base. Ces priorités sont de renforcer la transparence de la coopérative sur la rémunération des associés coopérateurs et d’assurer le contrôle de cette transparence par le HCCA et le médiateur.

Dans votre intervention, monsieur Louault, vous avez mentionné les difficultés liées aux présidents de filiales qui devraient être administrateurs coopérateurs. Nous n’avons absolument pas la possibilité d’entrer dans cette problématique, qui relève du fonctionnement même de la démocratie au sein de la coopérative.

S’agissant des filiales de coopérative et de la publication des comptes consolidés, je tiens à le rappeler, la loi du 13 octobre 2014 d’avenir pour l’agriculture, l’alimentation et la forêt a renforcé la transparence du secteur coopératif, en introduisant l’obligation de rendre compte du résultat des filiales dans le rapport aux associés. Je ne souhaite pas aller plus loin, ne voulant pas montrer du doigt ce que pourraient être des dysfonctionnements qui n’existent pas forcément. De nouveau, veillons à éviter les écueils évoqués précédemment !

S’agissant de la rémunération des administrateurs, je ne pense pas que la loi soit un bon vecteur de régulation. Je voudrais simplement m’arrêter sur un chiffre : la médiane d’indemnités versées représente 14 500 euros par conseil d’administration et par an. Si l’on compare ce montant au temps moyen passé par les administrateurs – 311 jours par an et par coopérative –, on met en évidence le caractère mesuré du niveau d’indemnisation des administrateurs, au regard de leur implication.

Un comité des rémunérations des dirigeants existe souvent déjà au sein des plus grands groupes coopératifs. Soyons prudents quant à une généralisation obligatoire à toutes les coopératives. C’est aujourd’hui une prérogative normale des conseils d’administration ; laissons-les prendre leurs responsabilités.

Mesdames, messieurs les sénateurs, chaque fois qu’une structure croît, qu’elle soit une coopérative ou une entreprise, elle peut être confrontée à des problèmes de gouvernance. La montée en compétences de ses administrateurs est alors indispensable – M. Franck Montaugé a cité leur formation, qui est absolument essentielle. Ces derniers doivent avoir, autant que faire se peut, la capacité de comprendre où le directeur général les emmène et de mettre au défi les instances de direction.

Toutefois, en soi, il n’y a rien à redire de ce système, qui existe depuis quelques années déjà et où l’on trouve, côte à côte, un président de conseil d’administration et un directeur. Dans les coopératives, c’est comme en politique, si je puis m’exprimer ainsi : quand le politique est défaillant, la technostructure prend le pouvoir ! (Sourires.)

M. Loïc Hervé. Je ne sais pas si c’est rassurant !

M. Didier Guillaume, ministre. Avec une meilleure formation des administrateurs, avec une meilleure organisation, je reste persuadé que l’on peut y arriver !

Pour connaître beaucoup de coopératives, des grandes comme des petites, les agriculteurs administrateurs et les présidents se dépensent sans compter et acquièrent de très grandes compétences. La formation prévue permettra d’améliorer encore ces dernières, afin qu’ils soient en mesure de mettre au défi les directions et de faire en sorte que les décisions soient bien prises par eux, sur présentation du directeur général.

J’ai confiance en l’avenir. J’ai confiance en l’avenir des coopératives ! (Applaudissements sur les travées du groupe La République En Marche et du groupe Les Indépendants – République et Territoires, ainsi que sur des travées du groupe socialiste et républicain, du groupe communiste républicain citoyen et écologiste et du groupe Union Centriste.)

M. le président. Mes chers collègues, nous en avons terminé avec le débat sur la gouvernance des grands groupes coopératifs agricoles.

Nous allons interrompre nos travaux pour quelques instants.

La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à dix-sept heures cinquante-cinq, est reprise à dix-huit heures, sous la présidence de M. Philippe Dallier.)

PRÉSIDENCE DE M. Philippe Dallier

vice-président

M. le président. La séance est reprise.

7

Mobilités du futur

Débat organisé à la demande de la délégation sénatoriale à la prospective

M. le président. L’ordre du jour appelle le débat, organisé à la demande de la délégation sénatoriale à la prospective, sur les mobilités du futur.

Nous allons procéder au débat sous la forme d’une série de questions-réponses dont les modalités ont été fixées par la conférence des présidents.

Je rappelle que l’auteur de la demande dispose d’un temps de parole de dix minutes, puis le Gouvernement répond pour une durée équivalente.

À l’issue du débat, l’auteur de la demande dispose d’un droit de conclusion pour une durée de cinq minutes.

Dans le débat, la parole est à Mme Michèle Vullien, rapporteur de la délégation sénatoriale à la prospective, auteur de la demande. (Applaudissements sur les travées du groupe Union Centriste, du groupe Les Indépendants – République et Territoires et du groupe La République En Marche. – M. Olivier Jacquin, rapporteur, applaudit également.)

Mme Michèle Vullien, rapporteur de la délégation sénatoriale à la prospective. Je voudrais d’abord remercier nos collègues qui sont encore en séance et saluer mes corapporteurs – il s’agit, en effet, monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, d’un travail collectif conduit sous la houlette de Roger Karoutchi, président de la délégation à la prospective du Sénat.

Il y a deux mois, cette délégation adoptait un rapport demandant de mettre les nouvelles mobilités au service de tous les territoires. Quelques semaines plus tard, les « gilets jaunes » manifestaient pour protester contre les hausses de prix des carburants, qui grèvent le pouvoir d’achat de ceux qui n’ont pas de solution alternative à la voiture pour se déplacer.

Nous sommes en train de vivre une révolution des mobilités, qui est très rapide : véhicules autonomes, véhicules électriques, véhicules partagés, applications de mobilité en temps réel, retour au vélo, nouveaux engins de déplacement personnel dans les villes, etc.

Pourquoi avons-nous choisi, avec le président de la délégation à la prospective, de nous intéresser à ce sujet ?

Ce n’est pas seulement parce que c’est la mode ou pour recenser les dernières innovations technologiques ; ce n’est pas non plus seulement parce que se profilait la loi Mobilités. C’est, plus fondamentalement, pour cette raison évidente que la mobilité est l’une des conditions essentielles au développement d’un territoire dans toutes ses dimensions : développement économique par l’implantation d’activités – les salariés doivent pouvoir circuler –, développement social en créant du lien, excellence environnementale. Nous avons là les trois piliers du développement durable.

Pendant près de cinquante ans, le développement de la mobilité se résumait à un seul type d’action : faire des routes, promouvoir la « bagnole » individuelle. Or, on le voit aujourd’hui, ce modèle trouve ses limites : pollution, congestion, coût élevé au kilomètre des déplacements en automobile, dépendance économique au pétrole.

Si la voiture a été un instrument de liberté formidable pour nos déplacements, on doit sortir du « tout-voiture », et c’est là que les difficultés commencent, notamment en raison du « tout-voiture solo ».

Les transports collectifs, les transports partagés, le vélo en libre-service peuvent être mis en place dans les agglomérations, dans les zones denses, où les nouvelles technologies permettent d’enrichir l’offre de mobilités du quotidien.

Mais comment faire dans les zones peu denses, dans les zones rurales où les start-up des mobilités ne viennent pas spontanément ? Les nouvelles mobilités connectées risquent de laisser sur le bord du chemin des pans entiers du territoire.

Les actuelles autorités organisatrices de transport, ou AOT, ne couvrent pas l’ensemble du territoire. Le projet de loi d’orientation des mobilités prévoit d’ailleurs, de manière très intéressante, d’en finir avec ces zones blanches.

Actuellement, 80 % des espaces français métropolitains représentant 30 % de la population sont très mal, voire pas du tout desservis.

Pour que le progrès technique dans le domaine des mobilités et les changements de pratiques en cours n’aggravent pas les fractures territoriales et ne créent pas une nouvelle fracture, une nouvelle frontière interne à notre pays, il ne faut pas être passifs et « attendre que ça se passe ».

Bien au contraire, pour que le scénario positif des nouvelles mobilités au service de tous les territoires se réalise, il faudra un pilotage politique fort qui accompagne le progrès technique, qui l’encadre et qui l’organise.

La mission confiée récemment à M. François Philizot sur la desserte fine des territoires va ainsi dans le bon sens.

C’est à ce prix que la « mobilité augmentée » promise profitera à tous.

Dans notre rapport, nous avons identifié trois aspects de la révolution des mobilités qui est en train de se produire sous nos yeux, et dont il faut avoir conscience.

Premier aspect, le modèle d’innovation dans les mobilités est très nouveau. Avant, on testait, on imaginait des nouvelles solutions, on attendait éventuellement une réglementation, puis on voyait les nouvelles offres apparaître : le TGV a été longuement préparé ; la voiture a mis soixante ans pour se généraliser.

Avec la nouvelle économie numérique, cela ne marche plus ainsi : des applications pour smartphones sont lancées, des vélos en libre-service sont déposés dans les rues des grandes villes – un peu n’importe comment –, des applications de réservation de voitures avec chauffeur concurrencent les bornes de taxi sans demander aucune autorisation à qui que ce soit.

Les entreprises testent leurs solutions en situation réelle et celles-ci réussissent en étant adoptées par le public ou sont très vite abandonnées.

Cela vient percuter nos politiques de transport : celles-ci sont des politiques du temps long, avec des investissements lourds dans des infrastructures. Notre conviction est que l’innovation ne doit pas conduire à l’anarchie : nous réaffirmons donc qu’il est nécessaire qu’il existe un pilotage politique des mobilités à deux niveaux : celui des collectivités territoriales pour les mobilités de proximité, et celui de l’État pour la politique d’infrastructures et la péréquation entre territoires.

M. le président. Il faut conclure, ma chère collègue.

Mme Michèle Vullien, rapporteur. Vous ne saurez donc rien sur le deuxième aspect, qui n’était pas sans lien avec le premier, mes chers collègues. (Sourires.)

Vous ne saurez pas non plus comment on peut développer l’intermodalité et l’interopérabilité…

M. le président. Il faut vraiment conclure !

Mme Michèle Vullien, rapporteur. Je ne vous parlerai pas non plus de la ruralité, qui n’est pas condamnée par les nouvelles mobilités…

En conclusion, ce que nous souhaitons organiser, c’est le maillage pour tous ! (Applaudissements sur les travées du groupe Union Centriste, du groupe Les Indépendants – République et Territoires et du groupe La République En Marche. – M. Olivier Jacquin, rapporteur, applaudit également.)

M. le président. La parole est à Mme Françoise Cartron, rapporteur de la délégation sénatoriale à la prospective.

Mme Françoise Cartron, rapporteur de la délégation sénatoriale à la prospective. Monsieur le président, madame la ministre, monsieur l’éminent président de la délégation à la prospective – quand nous avons choisi de travailler sur les mobilités du futur, nous ne pensions pas que la problématique serait à ce point d’actualité ! –, mes chers collègues, dans notre rapport, nous avons identifié cinq enjeux essentiels.

L’enjeu environnemental est important, puisque les transports en France contribuent à hauteur de 30 % à nos émissions de gaz à effet de serre. Décarboner nos déplacements, cela paraît incontournable, et ce cap est désormais fixé avec l’interdiction des moteurs thermiques à l’horizon 2040.

L’enjeu industriel est aussi fondamental. La chaîne de valeur se déplace, des constructeurs traditionnels vers les fournisseurs de services numériques, gestionnaires de données, ou encore fabricants de batteries, qui sont plutôt pour l’instant asiatiques ou américains. Une question se pose alors : va-t-on conserver une industrie des transports innovante en France et en Europe ?

L’enjeu pour les finances n’est pas mince, avec près de 45 milliards d’euros de dépenses publiques.

L’enjeu social est aussi prioritaire, l’absence de solution de mobilité frappant d’abord les plus vulnérables. Elle est facteur d’exclusion sociale et de frein à l’emploi, comme l’actualité en témoigne tous les jours.

Les mobilités numériques posent également la question de l’exclusion numérique : l’illectronisme touche 6 à 11 millions de Français et il existe encore dans nos territoires ruraux des zones blanches.

L’enjeu territorial, enfin, brièvement évoqué par ma collègue Michèle Vullien (Sourires.), me paraît évident : les mobilités relient nos territoires entre eux, mais surtout les femmes et les hommes entre eux.

Nous avons ensuite identifié trois critères qui influenceront les mobilités de demain.

Premièrement, s’agissant des dynamiques territoriales des activités économiques et de l’habitat, va-t-on vers une polarisation accrue des territoires autour des métropoles et une spécialisation toujours plus forte des espaces ? Va-t-on, à l’inverse, vers une meilleure distribution des activités sur les territoires ?

Deuxièmement, quel sera le coût des nouvelles mobilités et comment les financer ?

Troisièmement, quels seront le degré d’intervention de la puissance publique et la coordination des acteurs ?

Différentes combinaisons de ces critères dessinent des mobilités futures aux multiples visages : le pire, l’impensable serait le scénario des mobilités nouvelles pour les seuls territoires attractifs drainant les populations les plus favorisées.

Une conviction forgée lors des auditions est que le progrès en la matière vient de micro-initiatives sur le territoire, qu’il s’agisse du covoiturage, de l’autopartage, du transport à la demande ou des pistes cyclables.

Pour éviter de futures mobilités très excluantes, nous faisons donc plusieurs propositions.

Première exigence : ces politiques doivent faire l’objet d’un pilotage à deux niveaux.

Au niveau des collectivités – « agglo » et « interco » –, nous estimons nécessaire de disposer partout d’AOM à compétence large, qui ne laissent aucune zone blanche de mobilité, de renforcer les moyens en ingénierie des mobilités, de lever les freins réglementaires à l’innovation et d’associer davantage les citoyens aux décisions locales.

Au niveau de l’État, nous suggérons de préserver une capacité nationale d’investissement dans les infrastructures de transport, assise sur des ressources pérennes, et de mettre en place des dispositifs de soutien aux actions locales en faveur des nouvelles mobilités, en particulier pour les territoires les plus défavorisés.

Notre deuxième exigence porte sur l’intermodalité.

Nous préconisons de renforcer les alternatives à la voiture au-delà des cœurs d’agglomération, en veillant à assurer une desserte de qualité, en rapidité et en fréquence autour des zones denses et sur des plages horaires élargies, mais aussi en créant des pôles multimodaux permettant le rabattement des usagers pendulaires, notamment à travers des parcs relais, et en construisant pour les voyageurs des services d’information fiables et de très haut niveau.

Dernière exigence : ne pas subir des effets que nous n’aurions pas anticipés.

Imposons l’ouverture des données mobiles, gardons sur notre territoire les start-up innovantes, encourageons l’expérimentation et captons les fonds européens de soutien à l’innovation. Nous préconisons enfin d’adapter l’action publique aux pratiques innovantes de mobilité, par exemple en permettant dans certains cas aux particuliers de participer à ces services.

Parce que le progrès dans les mobilités, c’est aussi une nouvelle approche centrée sur les besoins des usagers, les débats à venir sur le projet de loi Mobilités seront l’occasion d’entrer plus dans le détail, avec des mesures législatives précises et concrètes. (Applaudissements sur des travées du groupe socialiste et républicain et du groupe La République En Marche, ainsi quau banc des commissions.)

M. le président. La parole est à M. Didier Mandelli, au nom de la commission de l’aménagement du territoire et du développement durable.

M. Didier Mandelli, au nom de la commission de laménagement du territoire et du développement durable. Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le président de la délégation à la prospective, mes chers collègues, la commission de l’aménagement du territoire et du développement durable aura très prochainement l’importante tâche d’examiner le projet de loi d’orientation des mobilités, qui a été déposé par le Gouvernement au Sénat le 26 novembre dernier. Nous sommes bien sûr déjà au travail et je suis honoré de la confiance que la commission m’a témoignée en me nommant rapporteur. C’est en cette qualité que je voudrais vous dire quelques mots en cette fin d’après-midi. J’en profite pour excuser notre président Hervé Maurey, qui n’a pas pu être parmi nous en cette fin d’après-midi en raison de la présence du Président de la République dans son département pour un autre débat, un peu plus vaste.

Le thème de notre débat d’aujourd’hui – les mobilités du futur – est loin d’être sans lien avec les travaux que nous menons actuellement au sein de la commission.

Permettez-moi tout d’abord de saluer l’important travail de la délégation sénatoriale à la prospective ainsi que la qualité du rapport d’information qu’elle a publié en novembre dernier. Mais c’est aussi son rôle au sein de notre assemblée que je voudrais vanter. C’est en effet une grande chance pour nous de pouvoir compter sur les travaux de cette instance prospective qui, par nature, a le temps de se pencher et de réfléchir sur les défis du futur à 10, 15, 20 ans et au-delà, tandis que les commissions permanentes sont contraintes par les délais et les rythmes législatifs. Notre débat de cette fin d’après-midi, qui s’inscrit dans le contexte de l’examen très prochain du projet de loi d’orientation des mobilités, montre cette complémentarité.

Quatre des cinq rapporteurs de la délégation sont d’ailleurs des membres actifs de notre commission et participent avec une grande assiduité aux auditions que je conduis et que j’ai souhaité ouvrir à tous les membres de la commission, en y associant également notre collègue Françoise Gatel, rapporteur pour avis de la commission des lois. Je souhaite également les remercier pour leur travail, qui nous sera précieux lorsque nous arriverons à la phase concrète d’examen du projet de loi.

Vous ne m’en voudrez donc pas de faire le lien, d’établir ce pont évident entre les réflexions prospectives de la délégation sur les nouvelles mobilités et le projet de loi d’orientation et de programmation que vous portez, madame la ministre, dans un contexte que l’actualité rend particulièrement sensible.

Nous serions complètement déconnectés si nous nous contentions en cette fin d’après-midi de parler de la maturation technologique des véhicules autonomes ou encore des innovations scientifiques des start-up en matière de systèmes de covoiturage sans les relier aux enjeux actuels. Certes, les grandes mutations en cours doivent être bien comprises pour nous permettre de construire des scénarios d’adaptation à horizon 10 ou 15 ans. Mais ce sont surtout nos choix d’aujourd’hui que ces mutations bien appréhendées doivent déterminer.

Le rapport de nos collègues identifie deux mutations principales, qui sont entremêlées.

La première est une véritable « révolution » des usages. Cette révolution recouvre des enjeux environnementaux – comment passer à des transports moins polluants ? –, socio-économiques – comment garantir l’accès de tous à une offre de transport multiple et attractive ? –, industriels – comment permettre à notre filière automobile d’assurer les transitions en cours et à nos start-up de continuer à innover ? –, mais aussi territoriaux – comment mettre fin à ce qu’on appelle les « zones blanches de la mobilité », qui finalement divisent les citoyens en deux catégories, les « connectés », reliés au monde extérieur et mobiles, et ceux qui ne le sont pas ?

La seconde est une « révolution du numérique », qui impacte tant les offres de transports que la demande, tant les véhicules que les modes de conduite, et qui soulève des questions juridiques très fortes que le projet de loi d’orientation des mobilités commence à aborder. Ces questions sont très diverses. Elles vont de l’ouverture des données de mobilité au statut des personnes qui travaillent en ayant recours à des plateformes de mise en relation électronique.

Notre monde change au gré de ces enjeux. Et, en tant que rapporteur de la LOM, mon principal message pour notre débat de cette fin d’après-midi sera d’insister sur la nécessité de penser les mobilités de demain comme un outil au service de la réduction des fractures qui parcourent notre société, au premier rang desquelles les fractures territoriales. Ainsi, nous devrons veiller à ce qu’il n’y ait pas des gagnants et des perdants dans cette révolution des mobilités. Nous devrons absolument faire en sorte que les mobilités du futur n’accentuent pas les inégalités existantes ou – pire ! – qu’elles n’en créent pas de nouvelles. La mobilité connectée, le covoiturage, les nouvelles offres de free floating, le développement des transports à la demande ne doivent pas être réservés aux villes, tandis que les zones rurales n’auraient d’autre choix que de continuer à privilégier l’« autosolisme » et seraient même financièrement pénalisées pour cela, notamment en termes de fiscalité.

Une très récente étude du Pew Research Center montre que la spectaculaire progression des applis VTC aux États-Unis concerne avant tout les jeunes, les urbains et les catégories les plus aisées. Des mobilités du futur au service du désenclavement des territoires : voilà ce qui serait la plus grande des innovations ! Je rappelle d’ailleurs que c’est grâce à la présence des sénateurs au sein du Conseil d’orientation des infrastructures que les problématiques d’aménagement du territoire et du désenclavement des petites villes sont devenues des priorités. Et je souligne que cette présence est transpartisane.

Le projet de loi d’orientation des mobilités comprend des dispositions dont l’ambition affichée est de répondre à ce sentiment d’abandon des territoires. On peut citer par exemple la couverture de l’ensemble du territoire par des autorités organisatrices de la mobilité, alors qu’aujourd’hui 80 % du territoire représentant 30 % de la population n’est pas couvert.

On peut citer aussi la possibilité d’élaborer des plans de mobilité rurale, ainsi que l’ouverture des données de mobilité, qui doit permettre de faire connaître les solutions de mobilité dans les zones peu denses, ou encore la possibilité d’expérimenter des solutions de mobilité nouvelles dans ces mêmes zones. Quelques articles visent également à permettre le développement du covoiturage ou encore celui des bornes de recharge pour les véhicules électriques.

Toutes ces mesures vont dans le bon sens. Mais seront-elles suffisantes ? Deux conditions me semblent essentielles. La première est celle d’un financement à la hauteur des enjeux, sincère et crédible. Beaucoup de solutions sont d’ores et déjà expérimentées par les territoires. Les initiatives doivent être soutenues, encouragées, développées. Les collectivités territoriales doivent avoir les moyens, les outils et les marges de manœuvre nécessaires afin de pouvoir mettre en œuvre ces solutions nouvelles.

Tous les acteurs interrogés nous demandent de faire confiance à l’intelligence des territoires. C’est pour cette raison que le financement doit être transparent. Toutes les recettes perçues doivent être fléchées pour que les collectivités territoriales développent les offres de transport et créent des services partout, y compris dans les zones peu denses.

La seconde condition en découle : les solutions de mobilité de demain doivent être construites en concertation avec l’ensemble des collectivités concernées. Les contrats opérationnels de mobilité conclus entre les autorités organisatrices et les régions, qui figuraient dans une version antérieure du projet de loi, étaient à mon sens de bons outils à l’échelle des bassins de mobilité.

Voilà, mes chers collègues, le sentiment que je souhaitais vous livrer aujourd’hui. Il ne fait aucun doute que les débats de cette fin d’après-midi alimenteront ceux que nous aurons très bientôt sur le projet de loi. En attendant, nos travaux continuent. Nous avons déjà mené plus de 65 auditions et elles se poursuivront durant tout le mois de janvier. (Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains et du groupe Union Centriste, ainsi quau banc de la délégation.)

M. le président. La parole est à Mme la ministre.

Mme Élisabeth Borne, ministre auprès du ministre dÉtat, ministre de la transition écologique et solidaire, chargée des transports. Monsieur le président, monsieur le président de la délégation à la prospective, mesdames, messieurs les rapporteurs, mesdames, messieurs les sénateurs, permettez-moi tout d’abord de vous remercier pour ce débat sur les mobilités du futur et pour ce rapport d’information qui arrive au moment opportun pour éclairer le débat parlementaire que nous aurons prochainement sur le projet de loi d’orientation des mobilités.

Les transports occupent une place centrale dans la vie quotidienne des Français, ils sont la condition nécessaire à l’accès à l’emploi, à l’éducation, à la santé, à la culture et à de nombreux services.

L’accès à la mobilité pour tous et partout est un facteur essentiel de la cohésion sociale et territoriale de notre pays.

C’est la conviction forte que je porte et qui guide mon action.

L’urgence environnementale nous oblige, par ailleurs, à prendre des mesures fortes pour réduire l’impact des transports sur l’environnement.

La colère exprimée ces dernières semaines par les « gilets jaunes » montre l’importance de ce triple enjeu : offrir à tous les Français l’accès à la mobilité, et que celle-ci soit à la fois abordable financièrement et soutenable pour l’environnement.

Je crois profondément que les transformations que nous observons depuis plusieurs années dans les transports – révolution numérique ou émergence de l’économie du partage, par exemple – sont de réelles opportunités à saisir pour répondre à ces attentes.

Elles offrent de nouvelles solutions de mobilité, alternatives à l’usage individuel de la voiture thermique, qui est encore trop souvent l’unique solution dans les territoires ruraux.

Aussi, je partage les principaux constats du rapport d’information de votre délégation à la prospective, et je veux ici saluer la qualité du travail de vos rapporteurs.

Le premier constat que vous faites, qui est au cœur du projet de loi d’orientation des mobilités, c’est celui de la nécessité d’apporter une solution de mobilité à tous et dans tous les territoires.

Le projet de loi Mobilités, dont vous débattrez très prochainement, est la traduction de l’engagement du Président de la République de repenser en profondeur notre politique de mobilité en donnant la priorité aux déplacements du quotidien. Ce projet de loi a été nourri par un intense travail de concertation depuis les Assises nationales de la mobilité jusqu’à aujourd’hui.

Parce que j’ai la conviction que rien ne se fera en matière de transports sans un rôle actif et central des territoires, le premier pilier de ce projet de loi concerne la gouvernance des mobilités.

L’objectif est de couvrir 100 % du territoire par une autorité organisatrice pleinement en charge des mobilités, contre seulement 20 % aujourd’hui. Cet objectif, que vous mettez en avant dans votre rapport, sera mis en œuvre en privilégiant l’exercice de la compétence au niveau intercommunal et en faisant intervenir la région lorsque cela est nécessaire. Celle-ci sera cheffe de file de la mobilité sur son territoire. L’exercice de cette compétence mobilités sera simplifié, assoupli, et les collectivités se verront confier de nouveaux outils pour promouvoir des mobilités plus partagées et plus propres, en particulier à destination des publics les plus fragiles. L’exercice de ces compétences pourra s’appuyer sur le versement mobilité, l’actuel versement transport. La réflexion se poursuit avec les associations d’élus pour les situations où la collectivité ne souhaite pas organiser de transports réguliers.

Je partage également l’orientation proposée par votre rapport de s’intéresser à des mécanismes pour les territoires où le potentiel fiscal du versement mobilité est inadapté aux besoins.

Le deuxième pilier de cette loi est le soutien à l’innovation pour répondre aux besoins des territoires. C’est dans ce cadre que s’inscrivent la politique nationale d’ouverture des données de mobilité et le développement de services de billettique multimodale. L’objectif fixé dans la loi, et auquel nous travaillons avec les collectivités et les entreprises au sein du comité stratégique sur les données et la billettique multimodale, est simple : il s’agit de favoriser le déploiement de nouvelles formes de mobilité en offrant à tous les Français, d’ici à la fin de 2021, toutes les informations sur la mobilité dans leur territoire. Cela répond notamment à votre proposition de construire des systèmes d’information des voyageurs de très haut niveau. C’est également dans ce cadre que s’inscrit la stratégie de la France en faveur du développement des véhicules autonomes, que j’ai présentée en mai 2018, avec une priorité donnée au développement des navettes autonomes.

Le troisième pilier du projet de loi Mobilités vise à engager une transition complète de nos mobilités vers la neutralité carbone. Je crois profondément que cette transition ne sera possible qu’à travers de réels changements de comportement. J’ai la conviction que les mobilités actives, en particulier le vélo, peuvent jouer un rôle accru dans la mobilité des Français. C’est l’enjeu du plan Vélo, qui prévoit de tripler la part du vélo dans nos trajets quotidiens d’ici à 2024.

Mais le foisonnement créatif de ces nouvelles solutions ne doit pas nous faire oublier que, dans de nombreux territoires, la voiture restera le moyen de déplacement incontournable pour de nombreux trajets. L’enjeu, c’est donc de rendre les déplacements en voiture à la fois plus partagés, plus propres et plus économes.

Je suis convaincue qu’en développant les mobilités actives et partagées, il sera ainsi possible à de nombreux ménages de se passer de leur deuxième, voire troisième véhicule.

Aussi, le projet de loi prévoit de nouveaux outils pour inciter au partage des véhicules et a pour ambition de favoriser le déploiement de véhicules plus propres et plus économes.

Le quatrième et dernier pilier du projet de loi Mobilités porte, pour les cinq prochaines années, sur un renforcement de l’investissement dans les infrastructures, avec une augmentation de 40 % par rapport au précédent quinquennat. Cet effort sans précédent ira en priorité aux infrastructures essentielles pour la mobilité quotidienne, avec notamment un grand plan de désenclavement routier des villes moyennes et des territoires ruraux.

Là encore, et je sais que vous y êtes sensibles, c’est une révolution culturelle que nous entendons mener, où plutôt que de se contenter de promettre des grands projets, nous mettons notre énergie et nos moyens à ce qui sert vraiment le quotidien de nos concitoyens : des routes et des voies ferrées en bon état, des trains là où il en manque, des itinéraires routiers enfin achevés. (M. François Bonhomme sexclame.)

Au-delà de l’ensemble des mesures présentes dans le projet de loi Mobilités et des dispositions qui viendront l’enrichir lors des débats parlementaires, je sais que cette loi devra être accompagnée auprès de tous les acteurs pour qu’elle porte ses fruits. Les enjeux sont dans les territoires et sont donc aux mains de l’ensemble des porteurs de projet, collectivités, entreprises et associations.

Vous en êtes sans doute les témoins dans chacun des territoires que vous représentez, comme je le constate moi-même à chacun de mes déplacements : nos territoires regorgent d’initiatives et de solutions innovantes.

C’est pour cela que j’ai lancé voilà maintenant un an la démarche baptisée French Mobility dans la continuité des Assises, pour créer un vrai lien de coopération et accompagner les porteurs de projet. Cette démarche facilite ainsi les expérimentations, fait partager les bonnes pratiques et accompagne les collectivités pour déployer des solutions de mobilité plus propres et plus accessibles partout sur notre territoire. Car c’est bien cela notre ambition commune : donner tous les outils, juridiques et opérationnels pour que les solutions concrètes se déploient.

Vous l’aurez donc compris, les nouvelles mobilités, ce sont pour moi des mobilités qui incluent et rassemblent. Nous avons une responsabilité particulière pour nous assurer qu’elles n’oublient personne et qu’elles soient accessibles à tous et sur tous les territoires.

Le grand débat qui débute est pour moi, pour nous tous, une nouvelle opportunité d’écouter les Français, de faire connaître nos actions. Vous le savez, nous avons choisi ensemble de décaler de quelques semaines le calendrier d’examen de ce projet de loi, pour tenir compte des propositions qui pourraient venir l’enrichir.

C’est également le cas du débat d’aujourd’hui, avec vous, mesdames les sénatrices, messieurs les sénateurs, qui représentez nos territoires.

Je vous remercie donc une nouvelle fois pour ce rapport et ce débat et je serai heureuse de répondre à vos questions. (Applaudissements sur les travées du groupe La République En Marche et sur des travées du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen, du groupe socialiste et républicain et du groupe Les Indépendants – République et Territoires.)

Débat interactif

M. le président. Nous allons maintenant procéder au débat interactif.

Je rappelle que chaque orateur dispose de deux minutes maximum pour présenter sa question, avec une réponse du Gouvernement pour une durée équivalente.

Dans le cas où l’auteur de la question souhaite répliquer, il dispose de trente secondes supplémentaires à la condition que le temps initial de deux minutes n’ait pas été dépassé.

Dans le débat interactif, la parole est à Mme Martine Filleul.

Mme Martine Filleul. Madame la ministre, penser les mobilités du futur, c’est favoriser les modes de déplacement respectueux de l’environnement et de la santé des citoyens, et c’est, par conséquent, réduire sensiblement la part du trafic routier, première cause de la pollution de l’air.

De nombreuses villes souffrent de ce fléau et de la congestion automobile, qu’il est urgent de réguler.

Pour répondre à cette problématique, l’avant-projet de loi d’orientation des mobilités autorisait initialement les grandes agglomérations à mettre en place des péages urbains.

Si le principe majeur consistait alors à faire payer les usagers se rendant en centre-ville, ces mesures permettaient également de mettre en place un péage « inversé » ou « positif ». Cet « écobonus », tel qu’imaginé par la Métropole européenne de Lille ou encore la métropole de Grenoble, par exemple, prévoit de rétribuer les automobilistes volontaires qui évitent de prendre leur véhicule aux heures de pointe, utilisant un mode de transport plus doux ou optant pour le télétravail.

Face aux revendications du mouvement des « gilets jaunes », qui dénonçaient, à juste titre, le risque d’un impôt injuste pénalisant les ruraux et ceux qui ne peuvent habiter plus près de leur lieu de travail, le Gouvernement a intégralement supprimé du projet de loi final les articles relatifs aux péages urbains, sans se douter que les deux systèmes – l’un qui pénalise et l’autre qui récompense les conducteurs – étaient liés dans le texte.

Faute de cadre juridique, il est aujourd’hui impossible de lancer l’expérimentation de ces péages inversés.

Aussi, je vous demande, madame la ministre, ce que le Gouvernement entend faire pour que le projet de loi évolue afin de permettre ces expérimentations.

M. le président. La parole est à Mme la ministre.

Mme Élisabeth Borne, ministre auprès du ministre dÉtat, ministre de la transition écologique et solidaire, chargée des transports. Je rappelle tout d’abord que le péage urbain a été inscrit dans la loi à la suite du Grenelle de l’environnement, et les dispositions qui avaient été envisagées avaient pour objectif de mieux encadrer celui-ci. Or il est apparu que cette disposition était mal comprise et il nous a donc semblé préférable de la retirer du projet de loi.

S’agissant du péage « inversé » ou « positif » tel que l’envisage la Métropole européenne de Lille, et comme vous l’avez évoqué, il s’agit, grâce à un ciblage des usagers fréquents concernés, de récompenser ceux qui renoncent à des trajets aux heures de pointe sur les axes urbains les plus encombrés. Effectivement, l’expérience montre qu’avec un report d’une fraction finalement assez limitée de ces usagers, on peut réduire significativement la congestion.

Le projet de péage « inversé » a emporté l’adhésion, depuis 2017, des services de l’État, mais il apparaît que tel qu’il est envisagé aujourd’hui, il supposerait un recours large, pour le ciblage en amont des usagers, à des moyens de vidéosurveillance et au croisement du fichier des immatriculations pour enregistrer les comportements. Cela peut représenter une atteinte à la vie privée disproportionnée compte tenu de notre cadre constitutionnel.

Or c’est un point de vigilance du Gouvernement : toutes les dispositions du projet de loi d’orientation des mobilités liées aux dispositifs de contrôle automatisé ont fait l’objet d’une analyse rigoureuse quant à leur proportionnalité. Il nous faut donc continuer le travail en cours entre les services de la métropole et de l’État, en lien avec la Commission nationale de l’informatique et des libertés, la CNIL, pour imaginer une autre façon de cibler les usagers – qui se seraient préalablement inscrits, par exemple – afin de définir un mode opératoire respectueux de la vie privée.

M. le président. La parole est à Mme Martine Filleul, pour la réplique. Vous disposez de trente-cinq secondes, ma chère collègue.

Mme Martine Filleul. Madame la ministre, il est vraiment urgent de trouver des solutions à la pollution atmosphérique à laquelle sont confrontées les métropoles. Une catastrophe sanitaire se prépare.

D’une manière plus générale, il faut absolument entendre et accompagner les collectivités territoriales et les métropoles, qui ont des capacités à innover. Nous ne réussirons à nous battre contre le réchauffement climatique qu’avec leur apport.

Enfin, il faut encourager nos concitoyens à adopter de bonnes pratiques plutôt que de taxer les utilisateurs d’automobiles.

M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Corbisez.

M. Jean-Pierre Corbisez. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, en dépit de l’issue en demi-teinte de la dernière COP, la lutte contre le réchauffement climatique est devenue un impératif.

Parmi les énergies nouvelles, il en est une qui me semble particulièrement sous-employée, à savoir l’hydrogène, qui, en production totalement décarbonée, n’émet aucune pollution et qui, utilisé comme carburant, permet alors le recours à des véhicules électriques, moyennant une énergie totalement propre, même si elle reste un peu coûteuse.

Les technologies développées aujourd’hui le rendent adaptable aux transports individuels comme aux transports collectifs et déclinable sur tout type de véhicule.

Certes, notre pays vient de se doter d’un plan national hydrogène. C’est une première, une étape importante qu’il convient de souligner. Mais il faut être plus ambitieux : il me semble nécessaire d’assurer rapidement le développement d’une filière française performante, compétitive et innovante. Trop souvent, notre pays a souffert du retard pris sur ses voisins : j’en veux pour exemple la signature par Alstom de plusieurs contrats avec les Länder dans le domaine du ferroviaire, alors que la France ne sortira son premier train à hydrogène qu’en 2022.

Les études établissent aujourd’hui que d’ici à 2040, les véhicules à hydrogène constitueront seulement le quart des véhicules circulant. En aucun cas il ne faut aborder l’hydrogène comme un substitut et attendre la fin des véhicules à batterie électrique avant de développer son usage. Aussi, au-delà de la déclinaison opérationnelle du plan national via notamment les appels à projets de l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie, l’ADEME, j’aimerais savoir quelles mesures le Gouvernement entend mettre en œuvre et quelles initiatives il compte prendre dès cette année pour accompagner l’émergence de cette filière afin qu’elle joue un rôle central dans notre transition écologique.

En particulier, dans quelle mesure les collectivités seront-elles incitées pour leurs propres flottes de transport, mais aussi pour leurs services de transport collectif et leur développement économique, à recourir à l’hydrogène ?

Enfin, l’Association française pour l’hydrogène et les piles à combustible, l’AFHYPAC, qui regroupe les acteurs de la filière, annonce des possibilités d’exportation d’un hydrogène produit en France à hauteur d’environ 6 milliards d’euros d’ici à 2030. Là encore, quelles actions le Gouvernement entend-il mener pour ne pas passer à côté de telles opportunités de développement ? (Applaudissements sur les travées du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen. – M. Alain Fouché applaudit également.)

M. le président. La parole est à Mme la ministre.

Mme Élisabeth Borne, ministre auprès du ministre dÉtat, ministre de la transition écologique et solidaire, chargée des transports. Monsieur le sénateur, je peux vous assurer que le Gouvernement est convaincu que l’hydrogène a un rôle important à jouer dans la transition énergétique. C’est une solution de mobilité propre complémentaire au bio-GNV et aux batteries et c’est également un vecteur de décarbonation du réseau gaz.

La filière française est en avance et compte de nombreux industriels de premier rang mondial, présents sur toute la chaîne de valeur.

Le plan de déploiement de l’hydrogène, qui a été présenté le 1er juin dernier, veut capitaliser sur ces atouts pour développer les avantages industriels français et préparer le déploiement massif de l’hydrogène autour de trois axes, notamment la mobilité, dans laquelle l’hydrogène, j’en suis convaincue, a tout son rôle à jouer, en particulier pour les véhicules lourds, les poids lourds, les véhicules utilitaires ou les trains, et pour les flottes captives.

Le plan comporte plusieurs dispositions opérationnelles.

Tout d’abord, les dispositifs de soutien au verdissement des véhicules ont été systématiquement élargis à l’hydrogène : je pense au suramortissement pour les poids lourds ou à celui qui a été introduit pour les navires, au bonus pour l’acquisition de nouveaux véhicules ou à la prime à la conversion.

Deuxième dispositif : le soutien à l’émergence d’écosystèmes, qui a fait l’objet d’un appel à projets spécifique de l’ADEME – écosystème de mobilité hydrogène. Il s’agit non seulement de développer des solutions de mobilité, mais aussi de disposer de systèmes de production d’hydrogène. L’appel à projets, lancé en octobre, a été clos dans un premier temps voilà quelques jours et il est en cours d’examen par mes services. Le but est de développer des clusters dans ce domaine.

J’ai également lancé une mission spécifique sur le développement du train à hydrogène, mission conduite par le député Benoît Simian et qui doit nous permettre de déployer une expérimentation de trains à hydrogène avant la fin du quinquennat.

L’hydrogène, je vous le confirme, est un vecteur important pour les mobilités. C’est même le cas pour le vélo puisque l’entreprise Pragma Industries a été récompensée au Consumer Electronic Show de Las Vegas cette année pour son vélo à assistance électrique à hydrogène.

M. le président. Monsieur Corbisez, pour une réplique éventuelle, vous disposez de trente-trois secondes.

M. Jean-Pierre Corbisez. À l’occasion de la nouvelle année, je vous les offre, monsieur le président. (Rires.)

M. le président. Merci beaucoup, mon cher collègue. (Mêmes mouvements.)

La parole est à Mme Nadia Sollogoub.

Mme Nadia Sollogoub. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, de multiples facteurs favorisent et même imposent l’émergence de nouveaux modes de mobilité. L’usage du véhicule individuel à énergie fossile va sortir de nos pratiques quotidiennes.

Les territoires les plus urbanisés sont pour la plupart organisés avec des solutions alternatives de transport collectif. La situation est bien différente en milieu rural, où, pourtant, le fait de pouvoir se déplacer sur des distances parfois longues est un impératif incontournable du quotidien.

Face à l’obligation du changement, de nombreuses propositions techniques émergent, qui font intervenir autant des start-up que des grandes entreprises des secteurs traditionnels. Comme l’expose l’excellent rapport d’information produit récemment par nos collègues et amis de la délégation à la prospective, « le cadre institutionnel des mobilités est bousculé par toutes ces innovations. Il se pose des questions pratiques de partage de l’espace public, entre piétons, cyclistes, utilisateurs de trottinettes électriques et autres engins de déplacement personnel ». Se posent également des questions de responsabilité assurantielle.

En imaginant que les choses, comme toujours, iront plus vite qu’on ne l’imagine, je me pose la question de la cohabitation des différents types de véhicules pendant quelques années. Comment gérer sur une même voie des véhicules parfaitement autonomes et d’autres qui ne le seraient absolument pas ?

La question de la relation directe entre chauffeurs, avec le cortège de coups de klaxon et de noms fleuris qui les accompagne, ne sera sans doute un problème que pour quelques-uns – j’espère un épiphénomène. Au-delà de la boutade, il y a un vrai problème, et c’est l’objet de ma question : madame la ministre, les véhicules des deux générations évolueront-ils sur des voies dédiées différentes ? Sinon, quelles solutions sont à l’étude ? Avez-vous envisagé, dans les années qui viennent, des mesures pour que la cohabitation se mette en place progressivement sans doute, prioritairement en milieu de circulation peu dense, à savoir en milieu rural, ce qui serait probablement plus sécurisant et donnerait des perspectives à des territoires où les solutions de mobilité sont essentielles ?

M. le président. La parole est à Mme la ministre.

Mme Élisabeth Borne, ministre auprès du ministre dÉtat, ministre de la transition écologique et solidaire, chargée des transports. La question de la cohabitation des véhicules autonomes avec les autres véhicules est un enjeu essentiel en termes d’innovation, mais aussi d’acceptabilité.

D’ores et déjà coexistent, à la fois sur le marché et sur nos routes, des véhicules qui disposent d’assistant de conduite, notamment l’adaptation automatisée de la vitesse, le maintien sur voie, le freinage d’urgence automatisé. Ces dispositifs ont précisément vocation à gérer les interactions avec le trafic dans un sens qui améliore la sécurité routière.

Les futurs systèmes autonomes devront aussi gérer la complexité des interactions avec les autres usagers, qu’il s’agisse des autres automobilistes, mais aussi des vélos et des piétons, et ce en toute sécurité.

Cela fait partie des expérimentations qui sont soutenues par l’État dans le cadre de la stratégie pour le développement des véhicules autonomes. Ces expérimentations doivent notamment nous permettre d’améliorer les connaissances sur les conditions d’acceptabilité de ces véhicules. C’est un point essentiel du cadre de validation de ces systèmes que nous sommes en train de construire avec les acteurs.

S’agissant des transports publics autonomes et notamment des navettes, je partage tout à fait le souci qu’ils puissent bénéficier à tous les territoires, y compris les territoires ruraux. C’est une priorité de notre stratégie sur le véhicule autonome.

Je suis convaincue que ce sont les collectivités, lesquelles connaissent à la fois les besoins et les conditions de circulation et de sécurité, qui sont les mieux placées pour porter des projets de navettes autonomes. Les expérimentations déjà soutenues par l’État et celles qui sont sur le point de l’être dans le cadre d’un appel à projets en cours ont permis de faire remonter des cas d’usage variés, notamment en milieu rural, et je m’en félicite.

L’État poursuivra son soutien aux projets innovants en milieu rural, dans le cadre des appels à projets, mais aussi dans le cadre de la dotation de soutien à l’investissement local. J’invite tous les porteurs de projets à se saisir de ces outils.

Mme Nadia Sollogoub. Je demande la parole pour la réplique.

M. le président. Madame Sollogoub, vous avez dépassé le temps qui vous était imparti lorsque vous avez présenté votre question, je ne devrais donc pas vous donner la parole. Toutefois, c’est le début de l’année, je vous accorde vingt secondes.

Mme Nadia Sollogoub. Je me permets de rebondir au nom de tous mes collègues élus de milieux ruraux.

C’est une très bonne nouvelle que nous apprenons là. J’en profite pour demander des moyens, sachant que nous pouvons à peine entretenir nos routes. Si l’on veut que la voirie soit correctement équipée, il va falloir des moyens financiers !

M. le président. Ce débat aurait pu nous entraîner très loin… Je vous remercie d’en être restée là ! (Sourires.)

La parole est à M. le rapporteur.

M. Alain Fouché, rapporteur de la délégation sénatoriale à la prospective. Monsieur le président, monsieur le président de la délégation, madame la ministre, mes chers collègues, l’actualité le montre chaque jour : la mobilité est un enjeu essentiel pour les Français, dans leur quotidien, pour leurs trajets personnels et professionnels.

Nous le constatons depuis longtemps : nous sommes arrivés à un point de rupture – une rupture technologique – dans les besoins des usagers, dans le coût de la mobilité.

Il convient d’accompagner au mieux les citoyens et les territoires dans cette transition pour qu’elle soit une chance pour tous, et il faut veiller à préserver la liberté de circuler de chacun.

Les mobilités nouvelles doivent donc être faciles, accessibles, rapides et peu coûteuses.

M. François Bonhomme. Tout à fait !

M. Alain Fouché, rapporteur. Cela passe par le développement de nouvelles technologies innovantes, par l’amélioration des infrastructures, par la mise en place d’incitatifs financiers pertinents.

La mobilité du futur doit être plurielle, intelligente collaborative, propre, solidaire et responsable.

M. François Bonhomme. Quel programme !

M. Alain Fouché, rapporteur. La mise en place d’un cadre réglementaire fort et incitatif doit permettre de sortir de la dépendance à la voiture, d’accélérer la croissance des nouvelles mobilités tout en prenant en compte la diversité et la spécificité de nos territoires ruraux.

Dès lors, madame la ministre – je sais quelle est votre détermination –, comment faire en sorte que les mobilités du futur, toutes plus innovantes les unes que les autres, soient adaptées tant au milieu urbain qu’au milieu rural – et j’insiste –, en veillant à respecter leur diversité et leurs spécificités ? Comment utiliser ces mobilités innovantes pour reconnecter le rural et l’urbain ? (M. Jean-Pierre Corbisez, Mme Françoise Laborde, Mme Michèle Vullien, rapporteur, et M. Michel Raison applaudissent.)

M. le président. La parole est à Mme la ministre.

Mme Élisabeth Borne, ministre auprès du ministre dÉtat, ministre de la transition écologique et solidaire, chargée des transports. Je partage tout à fait votre préoccupation. L’enjeu est de faire en sorte que la révolution des mobilités puisse être mise à profit pour améliorer concrètement la mobilité de tous nos concitoyens, qu’ils résident ou travaillent en milieux urbains, ruraux ou périurbains.

L’innovation en particulier ne doit pas être un privilège réservé aux citadins ; elle doit au contraire profiter à tous et partout.

Nous avons dans nos territoires des collectivités, des entreprises, des associations, des citoyens qui portent des solutions innovantes pour améliorer les déplacements du quotidien et il nous faut les soutenir. C’est pour cela que j’ai lancé voilà maintenant un an la démarche d’appel à projets French Mobility, qui a pour ambition de soutenir l’expérimentation, le développement et la diffusion dans tous les territoires de toutes les innovations au service de la mobilité du quotidien.

Vingt-six projets innovants de mobilité en territoires ruraux et périurbains sont par exemple soutenus en ingénierie pour couvrir des thématiques aussi variées que le déploiement de mobilité active et partagée, le soutien à l’intermodalité en milieu rural, le déploiement de services de mobilité pour des publics spécifiques, la mise en œuvre de systèmes autonomes.

Je vais poursuivre cette dynamique et autant de territoires seront sélectionnés dans les prochaines semaines. Afin de partager ce qui marche dans les territoires, une plateforme rendant visibles tous ces projets sera mise en place à très brève échéance.

Par ailleurs, afin que l’ensemble de nos concitoyens sachent quelles sont les solutions de mobilité qui se trouvent à leur proximité, les régions seront chargées de s’assurer que, d’ici à 2021, l’ensemble de leurs territoires soient couverts par un système d’information numérique sur les solutions de mobilité qui existent.

M. le président. La parole est à M. le rapporteur, pour la réplique.

M. Alain Fouché, rapporteur. La réponse de Mme la ministre me satisfait pleinement.

M. le président. Voilà qui est dit !

La parole est à M. le rapporteur.

M. Didier Rambaud, rapporteur de la délégation sénatoriale à la prospective. Madame la ministre, cette question de la mobilité, notamment dans les territoires ruraux et périurbains, infuse le débat qui parcourt aujourd’hui notre société.

On l’a vu cet après-midi dans l’échange entre le Président de la République et les maires : ce sujet a été posé à de nombreuses reprises.

La réponse à cette question de « comment mieux se déplacer, à moindre coût », dans des territoires où la voiture individuelle n’a pas d’alternative, constitue une des solutions à mettre en œuvre pour résorber cette crise.

La future loi d’orientation des mobilités, ou LOM, sera l’occasion de débattre sur ces choix, mais je souhaitais aujourd’hui vous apporter une illustration de ce qu’il est possible d’imaginer, de l’intelligence que nos territoires peuvent mobiliser pour trouver des solutions innovantes.

Dans mon département, l’Isère, plusieurs autorités organisatrices de la mobilité, ou AOM, sous l’impulsion de la métropole grenobloise, travaillent sur un protocole d’accord pour partager un projet commun d’organisation des mobilités sur le bassin de vie sud-Isère.

Le constat a été fait de ces phénomènes d’étalement urbain, depuis plusieurs dizaines d’années, conduisant à une mobilité de plus en plus éclatée et logiquement à l’utilisation croissante de la voiture. Ce constat est indéniable. Il faut ajouter à cela que nos concitoyens ne comprennent pas toujours les limites administratives de leur bassin de vie. Ils ne comprennent pas, par exemple, pourquoi un bus ne va pas un peu plus loin parce qu’il n’est plus dans le même territoire.

On le voit, l’innovation, l’intelligence territoriale peut largement contribuer à la vie de nos concitoyens dans leur demande de mobilité. Et l’exemple du sud-Isère mérite d’être reproduit largement.

Mais je crois aussi qu’il faut aller au-delà et permettre notamment aux territoires périphériques de constituer avec leurs voisins des communautés de projets au service des mobilités. Ces territoires n’ont bien souvent aujourd’hui pas la taille critique, l’ingénierie, la cohérence géographique, les finances pour organiser les mobilités. Mais ils pourraient, avec leurs voisins plus importants, créer la communauté que j’évoque. Des freins peuvent exister, réglementaires ou législatifs notamment : on pense par exemple au versement transport, dont le taux unique sur un vaste bassin peut être un obstacle. Je crois important de pouvoir identifier ces freins et les lever dans le cadre de nos futurs débats pour faire en sorte que l’exemple dont je parlais puisse être reproduit et élargi.

J’aimerais donc connaître, madame la ministre, votre positionnement sur cette question.

M. le président. Il faut conclure, monsieur le rapporteur.

M. Didier Rambaud, rapporteur. Comment favoriser des projets de coopération au service de nos concitoyens ?

M. le président. La parole est à Mme la ministre.

Mme Élisabeth Borne, ministre auprès du ministre dÉtat, ministre de la transition écologique et solidaire, chargée des transports. Je suis convaincue que c’est effectivement par une bonne coopération entre les différentes collectivités que l’on pourra développer des offres de qualité à l’échelle de bassins de mobilité, qu’ils soient urbains ou ruraux. C’est, de ce fait, une ambition forte du projet de loi d’orientation des mobilités.

Ainsi, celui-ci prévoit une meilleure coordination entre les autorités organisatrices de la mobilité et, plus largement, les acteurs de la mobilité à l’échelle de ces bassins de mobilité. Les régions et les autorités organisatrices de la mobilité auront à se coordonner et à définir les modalités de leur action commune, par exemple au travers d’un contrat opérationnel de mobilité.

Le terme n’est plus employé dans le projet de loi, mais je pense qu’il pourrait effectivement y être réintroduit.

C’est une des modalités de cette coopération, qui doit permettre à la fois d’assurer la cohérence, la complémentarité des différentes formes de mobilité, l’intermodalité en termes de dessertes, de tarification, d’horaires, d’information, d’accueil du public, la création et l’aménagement de pôles d’échanges multimodaux ou des aires de mobilité en milieu rural et de définir les modalités de gestion des situations dégradées.

Nous aurons l’occasion de discuter de la portée de ces contrats opérationnels lors des débats sur le projet de loi d’orientation des mobilités.

Le texte facilite aussi le rapprochement dans des syndicats mixtes particuliers des différentes autorités organisatrices, en permettant de moduler le taux du versement mobilité – ce qui est aujourd’hui impossible – au sein d’un syndicat mixte, justement pour permettre que les petits établissements publics de coopération intercommunale puissent travailler avec les agglomérations plus importantes dans l’esprit que vous évoquiez.

Je suis convaincue de la nécessité de soutenir les initiatives des petits EPCI. C’est tout l’objet de la dynamique mise en place avec une cellule régionale qui regroupe l’ensemble des compétences : les services de l’État – je pense notamment au Centre d’études et d’expertise sur les risques, l’environnement, la mobilité et l’aménagement, le Cerema, à l’ADEME à nos services régionaux –, la banque des territoires, et, bien sûr, l’ensemble des acteurs locaux. Le projet de loi prévoit en particulier l’élargissement du périmètre de l’assistance technique des départements à la mobilité.

M. le président. La parole est à Mme Éliane Assassi.

Mme Éliane Assassi. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, comme un préalable à l’examen du projet de loi d’orientation des mobilités, qui a été repoussé, nous entamons cette nouvelle année par un débat sur les mobilités du futur.

Ma question, et j’en suis désolée, se fera un peu provocatrice. (Mme Victoire Jasmin sourit.)

Si nous encourageons évidemment le développement de nouvelles mobilités, qu’elles soient actives ou autonomes, nous estimons que la question du transport collectif de masse, c’est-à-dire le transport ferroviaire, doit rester la pierre angulaire de toute politique publique des transports, et ce y compris au regard des enjeux climatiques, le rail étant un mode bien moins polluant que la route et un puissant levier pour lutter contre la désertification rurale.

Pourtant, les petites lignes ne cessent de fermer, de petites gares sont supprimées et on limite l’offre notamment des trains de nuit. Aujourd’hui, on demande même aux postiers de jouer les chefs de gare !

Nous sommes donc aujourd’hui très loin des 62 000 kilomètres de rails des années 1930 puisque le réseau ferroviaire a été divisé par deux.

Le rapport Spinetta, conjugué à la funeste réforme ferroviaire, promet pour bientôt la suppression de 10 000 kilomètres de lignes capillaires jugées trop peu rentables, les usagers étant appelés à se réorienter vers les bus, l’autopartage, le vélo ou toute autre mobilité du futur.

Je vous rappelle pourtant qu’une étude datant de juin dernier menée par la Fédération nationale des associations d’usagers des transports, la Fnaut, démontre que « quand on passe du train au car, on perd 40 % de voyageurs, alors que quand on passe du car au train, on en gagne 65 % ».

Madame la ministre, allez-vous préserver ces lignes et ces infrastructures comme autant d’outils pour lutter contre le dérèglement climatique, qui est l’affaire du siècle ? Et pour l’aménagement des territoires, allez-vous enfin considérer le ferroviaire non pas comme une mobilité du passé, mais bien comme une mobilité d’avenir ?

M. le président. La parole est à Mme la ministre.

Mme Élisabeth Borne, ministre auprès du ministre dÉtat, ministre de la transition écologique et solidaire, chargée des transports. Madame la présidente Assassi, je crois que nous ne partageons pas la même vision sur la réforme ferroviaire.

Mme Éliane Assassi. Je vous le confirme ! Et, apparemment, nous ne sommes pas les seuls !

Mme Élisabeth Borne, ministre. Je considère qu’elle a vocation effectivement à donner un nouveau souffle au transport ferroviaire. Je rappelle qu’elle s’accompagne d’une augmentation de 50 % des moyens consacrés à l’entretien et à la régénération du réseau ferroviaire.

Notre programmation des investissements, celle qui figure dans le projet de loi d’orientation des mobilités, dont vous aurez prochainement à débattre, prévoit aussi le développement du transport ferroviaire, notamment pour avoir de véritables RER métropolitains autour des métropoles régionales, et évidemment de continuer à moderniser le réseau en Île-de-France.

Je me réjouis de voir que les présidents de région et les présidents de métropole se saisissent de ces sujets.

Il ne s’agit pas d’oublier les lignes de desserte fine des territoires. Je viens de confier une mission au préfet François Philizot afin de travailler avec chacune des régions à partir des solutions techniques qui ont été identifiées à ma demande par SNCF Réseau pour réfléchir à des modalités adaptées à chacune des situations.

Aujourd’hui, on a finalement un peu tendance à recourir aux mêmes techniques, qu’il s’agisse d’un RER en région parisienne ou d’une ligne qui va accueillir quelques trains par jour – jusqu’à un ou deux trains. Il faut non seulement réfléchir à l’adaptation des solutions techniques, mais aussi trouver les bonnes organisations pour gérer au mieux ce réseau de desserte fine des territoires qui est très important à mes yeux. Pour autant, je ne voudrais pas qu’on néglige le fait que ces lignes ferroviaires de desserte fine ne font pas du porte-à-porte. Ces solutions de nouvelles mobilités dont on parle doivent justement permettre de ramener des voyageurs et d’assurer leurs correspondances. Je suis convaincue qu’elles seront aussi un outil pour favoriser le redéveloppement, la relance du transport ferroviaire dans nos territoires.

M. le président. La parole est à M. Philippe Dominati.

M. Philippe Dominati. Madame la ministre, la délégation sénatoriale à la prospective évoque un sujet de long terme. Or le statut de l’Île-de-France est particulier, avec en général des sociétés d’État, actuellement au nombre de quatre, qui essaient de se partager des travaux, des grandes entreprises qui sont intéressées par les infrastructures, des engagements pris en fonction de devis généralement dépassés et multipliés par deux et des délais généralement peu tenus.

Récemment, Mme la présidente du conseil régional d’Île-de-France, Valérie Pécresse, avec Mme la maire de Paris, Anne Hidalgo, a remis en cause la liaison Charles-de-Gaulle Express en raison des délais, des coûts, de son opportunité, etc.

Vous avez parlé de gouvernance : peut-on en attendre une nouvelle, pour la région d’Île-de-France, à l’égard des usagers et des consommateurs, qui sont en réalité les contribuables, et de tous ces projets qui sont initiés régulièrement par l’État en changeant de cap régulièrement.

Par exemple, lors du débat sur la Société du Grand Paris, à l’occasion duquel nous avions évoqué cette liaison Charles-de-Gaulle Express, l’État nous avait dit qu’il ne la financerait pas. Après, par ordonnance, le ministre des finances, Emmanuel Macron, lance ce projet, qui est finalement remis en cause. Va-t-on écouter les élus ?

Le préfet de région vient de convoquer, par un courrier daté du 10 et qui arrivera lundi, les différents acteurs pour une concertation sur ce sujet qui aura lieu jeudi prochain. J’aimerais avoir votre sentiment : respecterez-vous la volonté de la présidente de la région Île-de-France et de la maire de Paris de remettre éventuellement en cause ce projet ? En outre, au moment où l’État veut vendre des infrastructures de transport comme l’aéroport Charles-de-Gaulle, et alors qu’un déficit de 23 milliards d’euros pèse sur la Société du Grand Paris, ne serait-il pas judicieux d’affecter cette privatisation à ladite Société ? Enfin, j’insiste sur la nouvelle gouvernance, madame la ministre, car les engagements dans ce domaine pris par le Gouvernement sont malheureusement rarement respectés.

M. le président. La parole est à Mme la ministre.

Mme Élisabeth Borne, ministre auprès du ministre dÉtat, ministre de la transition écologique et solidaire, chargée des transports. L’État travaille avec les collectivités en Île-de-France, à l’instar de ce qu’il fait ailleurs, les projets d’investissement étant inscrits dans un contrat de plan État-région qui a vocation à traduire une volonté commune, comme son nom l’indique, de l’État et de la région.

Je voudrais souligner que le contrat de plan État-région en Île-de-France n’a pas été modifié depuis l’arrivée de notre gouvernement, faute de demande émanant de la région : nous mettons donc en œuvre le contrat de plan tel qu’il avait été signé par nos prédécesseurs. Je voudrais également souligner que, contrairement à ce qui a cours dans les autres régions, en Île-de-France, l’État soutient les transports publics. Je peux vous confirmer que d’autres métropoles apprécieraient que l’État soit à leurs côtés comme il l’est en Île-de-France : nous avons un cadre et une trajectoire fixés par le contrat de plan que nous honorons.

Par ailleurs, de façon constante, l’État a indiqué depuis des années que le projet Charles-de-Gaulle Express ne serait pas financé par des concours publics. Vous le savez, pour éviter des charges inutiles ainsi que des frais et des coûts de financement importants, l’État a préféré accorder un prêt du Trésor ; il n’y a pas un euro de subvention publique, et cela restera le cas tout au long du projet.

Je vais évidemment prendre en compte les avis des collectivités. Je prends également en compte l’enjeu national que représente la plateforme Charles-de-Gaulle, qui est notre premier hub national. J’écouterai Anne Hidalgo et Valérie Pécresse, tout en notant que l’une et l’autre ne disent pas la même chose, voir disent le contraire. Nous mènerons donc ce projet dans les meilleures conditions, en concertation avec les élus, en donnant la priorité aux transports du quotidien. Tel est d’ailleurs le sens des concertations qui ont été lancées par le préfet de région.

M. Philippe Dominati. Monsieur le président, pourrais-je avoir la parole pour la réplique ?

M. le président. Non, mon cher collègue, car vous avez dépassé votre temps de parole de vingt secondes.

La parole est à M. Michel Dagbert.

M. Michel Dagbert. Madame la ministre, je suppose que vous ne doutez pas de l’intérêt que je porte aux mobilités du quotidien et aux solutions innovantes dont il est question aujourd’hui. Mais l’actualité chez nos voisins britanniques doit nous amener à connaître ce soir, par un vote qui doit intervenir à la chambre des représentants, la position de la Grande-Bretagne sur les modalités du Brexit.

Or il se trouve que, sans même attendre de connaître l’issue de ce vote, par la voix de Chris Grayling, ministre du gouvernement de Mme May, nous apprenons la décision de mettre sur la table 100 millions de livres à partager entre trois opérateurs, Brittany Ferries, DFDS et Seaborne Freight, afin de soutenir l’ouverture de nouvelles lignes sans passer par Douvres et, par conséquent, sans passer par Calais.

Vous comprendrez dès lors que je profite de votre présence aujourd’hui au Sénat pour vous dire l’émoi que suscite une telle annonce, à quelques semaines du 29 mars.

Je ne rappellerai pas ici par quoi sont passés les opérateurs du port de Calais et l’ensemble des acteurs économiques tout comme ceux du tunnel ces dernières années. Il est par ailleurs choquant de voir que nos voisins et amis britanniques ont déployé un arsenal juridique important pour mettre à mal l’association faite en son temps entre Eurotunnel et MyFerryLinK au nom de la libre concurrence, avant de s’en affranchir aujourd’hui dans une forme de panique à l’approche du Brexit.

Sans remettre en cause la souveraineté anglaise et sans vouloir faire de l’ingérence dans les décisions que notre voisin s’apprête à prendre, quelles mesures le Gouvernement compte-t-il prendre afin de rassurer les transporteurs sur les procédures de contrôles et, surtout, sur les délais de celles-ci ? Enfin, un tel soutien à ces trois entreprises vous semble-t-il répondre aux règles en vigueur en matière de libre concurrence ?

M. le président. La parole est à Mme la ministre.

Mme Élisabeth Borne, ministre auprès du ministre dÉtat, ministre de la transition écologique et solidaire, chargée des transports. Monsieur le sénateur, j’ai bien eu connaissance de l’initiative du gouvernement britannique de réserver des capacités chez un certain nombre d’armateurs, pour faire face à l’éventualité d’une congestion des trafics sur les ports existants.

Nous avons effectivement demandé des explications au gouvernement britannique – je ne suis pas en mesure de vous les donner aujourd’hui – à la fois sur la procédure qui a été retenue et l’équité de la concurrence dans cette démarche. Néanmoins, je peux d’ores et déjà vous dire que le gouvernement auquel j’appartiens se prépare à toutes les éventualités, y compris à l’hypothèse d’un Brexit sans accord.

Nous y travaillons depuis ces derniers mois, notamment pour renforcer les moyens permettant de réaliser les contrôles douaniers et sanitaires qui n’étaient pas nécessaires pour les trafics avec le Royaume-Uni dans le cadre de l’Union européenne. C’est pourquoi de nouveaux effectifs de douaniers ont été prévus, vous le savez, dans le cadre de la loi de finances pour 2019.

Nous réfléchissons également aux renforts des services vétérinaires et donc, de façon générale, aux renforts humains à mettre en place, par le biais de contrôles qui s’effectueront aussi de manière progressive ; les normes devront forcément être adaptées à cette situation exceptionnelle.

De plus, nous travaillons sur les aménagements qui seront nécessaires pour disposer d’espaces propres à ces contrôles. Vous le savez, des financements ont été réservés au niveau du mécanisme d’interconnexion européen pour les ports du réseau global. En outre, un nouvel appel à projets sera lancé l’an prochain pour les ports du réseau central dont fait partie Calais, qui, dans ce cadre, peut donc bénéficier de taux de subvention importants.

Par ailleurs, pour accélérer la réalisation de ces aménagements et prendre toutes les dispositions nécessaires afin d’assurer la continuité, notamment, des services de transport, le Conseil d’État examine actuellement les ordonnances prises en application du projet de loi d’habilitation que vous avez voté. Ces ordonnances permettront en particulier d’accélérer les procédures d’aménagement. Nous nous préparons à toutes les éventualités, y compris à un Brexit dur !

M. le président. La parole est à M. Michel Dagbert, pour la réplique. Vous disposez de trente-deux secondes, mon cher collègue.

M. Michel Dagbert. Madame la ministre, vous comprendrez que bon nombre d’acteurs sont inquiets à la suite de ces annonces. J’ai pu constater que nous avions anticipé les choses, puisque, lors de votre déplacement à Calais, le 6 novembre dernier, vous avez pu voir la mobilisation de l’ensemble des acteurs, mais également faire un certain nombre d’annonces.

M. le président. La parole est à Mme Sylvie Vermeillet.

Mme Sylvie Vermeillet. Madame la ministre, le débat sur les mobilités du futur doit nécessairement aborder les axes et priorités de développement. On peut par exemple s’interroger sur la place qui sera laissée aux nouveaux engins de déplacement – trottinettes, gyropodes et autres hoverboards – en milieu urbain. Faudra-t-il leur consacrer des voies spécifiques, faudra-t-il les intégrer dans les futurs plans de circulation des villes ? L’État contribuera-t-il aux dépenses ainsi engendrées ?

De manière générale, la stratégie de l’État en faveur des transports de demain aura-t-elle comme priorité de développer les nouvelles mobilités urbaines ou s’attachera-t-elle à résorber d’abord les carences en milieu rural ?

L’État investira-t-il, notamment au travers des prochains CPER – contrats de plan État-région –, sur les infrastructures manquantes ou dégradées des territoires ruraux afin de permettre aux citoyens qui y vivent de bénéficier d’une mobilité équivalant à celle des urbains ? Vous avez parlé, madame la ministre, d’un effort de l’État majoré de 40 % sur le ferroviaire et le routier. Pouvez-vous nous donner des précisions quant à sa répartition ?

De plus, le rapport sur les nouvelles mobilités, fait au nom de la délégation sénatoriale à la prospective, préconise la mise en place de mécanismes de soutien aux actions locales pour les territoires enclavés.

Vous avez lancé en 2018 un appel à manifestation d’intérêt sous le nom de French Mobility. La date limite de dépôt des candidatures était fixée à la fin octobre 2018. Avez-vous reçu des propositions et des solutions particulièrement pertinentes qui pourraient faire l’objet d’expérimentations à court terme, voire d’une mise en œuvre plus globale sur l’ensemble des territoires concernés ? (Applaudissements sur les travées du groupe Union Centriste.)

M. le président. La parole est à Mme la ministre.

Mme Élisabeth Borne, ministre auprès du ministre dÉtat, ministre de la transition écologique et solidaire, chargée des transports. L’enjeu est bien de répondre aux besoins dans tous les territoires, mais en partant du constat que, spontanément, les offres innovantes en termes de mobilité ont tendance à se concentrer dans les grandes villes : toutes les start-up ont envie de montrer ce qu’elles savent faire à Paris, à Toulouse ou à Lyon. Le rôle de la puissance publique, c’est bien que cette innovation profite à tous les territoires. Le cœur de la politique en termes de programmation des infrastructures sera en priorité, je le redis, l’entretien, la régénération des réseaux routiers et ferroviaires et un plan de désenclavement routier avec l’accélération de projets qui sont souvent promis depuis des décennies – je pense à la RN 164 en Bretagne, à la RN 10 dans une région que je connais bien et à la RN 88 en Lozère.

Il s’agit également de soutenir les collectivités pour sortir des zones blanches de la mobilité et pour apporter des solutions alternatives à l’usage individuel de la voiture dans tous les territoires. Cela passe d’abord par le fait de faciliter l’exercice de la compétence par les collectivités, comme le prévoit le projet de loi d’orientation des mobilités. Cela passe ensuite, on l’a évoqué, par le fait de permettre aux petites intercommunalités de travailler avec les plus grosses, à travers une modulation du versement transport, demain du « versement mobilité ». Cela passe aussi par les appels à projets que nous lançons. Nous avons déjà désigné 26 lauréats et nous allons continuer. L’objectif est bien de démultiplier le plus rapidement ces solutions qui fonctionnent, à savoir le transport à la demande, le covoiturage ou l’autopartage, en prenant appui sur les expériences positives qui sont menées dans nos territoires.

M. le président. La parole est à Mme Sylvie Vermeillet, pour la réplique. Vous disposez de quarante secondes, ma chère collègue.

Mme Sylvie Vermeillet. Je vous remercie de votre réponse, madame la ministre. J’ajouterai simplement que, en novembre dernier, l’État ayant annoncé le zonage de 124 territoires d’industrie, il serait heureux d’introduire une cohérence, peut-être au travers des futurs CPER, et que l’État sache aussi accompagner, en matière d’infrastructures et de mobilité, le soutien à ces filières et aux emplois qu’elles représentent.

M. le président. La parole est à M. Philippe Pemezec.

M. Philippe Pemezec. Je serai bref, puisque ma question rejoint celle qui a été posée par mon collègue Philippe Dominati.

À mon sens, madame la ministre, le vrai problème est que les autorités sont nombreuses à s’occuper de transport, sans une organisation efficace de la problématique. Ne croyez-vous pas que la région, qui devrait être région métropole, devrait gérer pour l’ensemble de ce périmètre la problématique transport ? La région a déjà fait d’énormes efforts pour régler un certain nombre de problèmes, surtout depuis l’arrivée de la nouvelle présidente de région. Selon moi, cette problématique ne devrait plus être gérée par l’État, qui veut tout faire et fait tout mal.

M. le président. La parole est à Mme la ministre.

Mme Élisabeth Borne, ministre auprès du ministre dÉtat, ministre de la transition écologique et solidaire, chargée des transports. Je vous remercie au nom des services de l’État !

Évidemment, vous comprendrez que je ne partage pas votre vision. De façon générale, quand on parle de mobilités, nous sommes sur des compétences décentralisées, et il ne s’agit donc en aucun cas, de la part de l’État, de vouloir faire à la place des collectivités.

L’État porte des infrastructures de transport non seulement sur le réseau ferré, mais aussi sur le réseau routier. Il le fait exceptionnellement en Île-de-France, et si vous proposez que l’État ne s’en mêle plus, je pense que les autres régions seront très satisfaites. Nous pourrons ainsi redéployer l’argent important que nous consacrons aux transports publics en Île-de-France. Si l’État intervient en effet dans le financement des infrastructures, il ne se mêle pas d’organiser des services de mobilité, car ce n’est pas son rôle.

L’organisation qui est en place depuis la loi NOTRe – loi portant nouvelle organisation territoriale de la République – et la loi MAPTAM – loi de modernisation de l’action publique territoriale et d’affirmation des métropoles – prévoit que cette compétence s’exerce à deux niveaux, celui du bloc communal et au niveau régional. Cette architecture me semble la bonne sur l’ensemble de notre territoire. C’est pourquoi nous allons œuvrer, au travers de la loi d’orientation des mobilités, pour que, justement, cette compétence soit exercée par l’ensemble des intercommunalités, le cas échéant regroupées en bassins de mobilité dans le cadre de syndicats. Cela permettra, le cas échéant, une mutualisation des ressources, avec la région en chef de file.

Je suis convaincue que, concernant cette logique de la mobilité de proximité exercée par les intercommunalités de la région à la fois sur les déplacements d’intérêt régional et sur la cohérence, la coordination est la bonne. S’agissant de la situation en Île-de-France, l’État ne s’en mêle pas davantage : c’est Île-de-France mobilité, le syndicat des transports d’Île-de-France, qui est chargé d’organiser l’ensemble des mobilités, avec un rôle éminent de la région, qui a la majorité et organise donc comme elle l’entend les mobilités en Île-de-France.

M. le président. La parole est à M. Philippe Pemezec, pour la réplique. Mon cher collègue, il vous reste une minute et quarante et une secondes, la plus longue réplique possible de cette fin d’après-midi.

M. Philippe Pemezec. Je n’abuserai pas de mon temps de parole. Je retiens l’idée que vous étiez assez favorable, madame la ministre, à ce que la région soit chef de file concernant les transports. Il est vrai qu’aujourd’hui Paris est totalement congestionnée et que les habitants des banlieues rencontrent de vraies difficultés à y entrer ; sans doute préféreraient-ils emprunter des moyens de transport en commun moins polluants et pouvoir se déplacer facilement d’un point à un autre de la région d’Île-de-France, ce qui n’est pas le cas aujourd’hui. À mes yeux, le niveau pertinent de gestion de ces problématiques, c’est la région. J’espère que vos suggestions en ce domaine seront respectées.

M. le président. La parole est à Mme Victoire Jasmin.

Mme Victoire Jasmin. Madame la ministre, mes chers collègues, je tiens au préalable à féliciter la délégation sénatoriale à la prospective pour la qualité de son travail. Ce débat est une opportunité qui me permet d’évoquer la problématique du transport dans les territoires d’outre-mer.

En effet, en matière économique, environnementale, mais aussi en termes d’équité territoriale et sociale, il est urgent pour nos territoires et plus singulièrement pour la Guadeloupe, qui est un archipel, d’organiser un service public des mobilités afin d’assurer la continuité territoriale de façon optimale et satisfaisante pour l’ensemble de la population.

Ainsi, une autorité de régulation unique, dont la gouvernance serait collégiale entre l’État, les collectivités locales et les prestataires privés, pourrait gérer de façon mutualisée tous les modes de déplacements individuels ou collectifs, de passagers ou de marchandises, maritime, routier et aérien, à l’échelle de l’ensemble de l’archipel.

L’objectif est, grâce à une péréquation horizontale des dessertes les plus efficientes vers les zones les plus enclavées, de permettre un égal accès à tous à un service public intégré, multimodal, régulier et de qualité. Cela aurait pour conséquence de décongestionner les axes routiers déjà saturés, dont l’impact nocif sur la qualité de l’air est avéré, tout en permettant de rationaliser le financement des investissements structurants, la maintenance des infrastructures, ainsi que la formation des personnels et la sécurité des usagers.

Une telle entité serait particulièrement utile, car, à l’heure où je vous parle, avec le retour des algues sargasses, les îles du sud de la Guadeloupe, plus précisément la Désirade subit un isolement sans précédent depuis que le seul bateau qui assurait la desserte vers l’île a cassé son moteur. Seuls les marins-pêcheurs acceptent d’assurer les déplacements des usagers, ce qui reste une alternative précaire en attendant une solution palliative sécurisée et respectueuse de la législation en vigueur.

Il s’agit également d’inciter à un aménagement du territoire concerté, en privilégiant davantage des modes de déplacement doux dans les centres-bourgs, afin d’éviter le recours systématique à la voiture.

M. le président. Il faut conclure, ma chère collègue.

Mme Victoire Jasmin. En 2018, en Guadeloupe, sur les 33 victimes de la route, 11 étaient des piétons. Il est donc urgent…

M. le président. Il faut vraiment conclure !

Mme Victoire Jasmin. Oui, monsieur le président.

Il est donc urgent, disais-je, de mettre en œuvre des transports électriques, maritimes, solaires pour toutes les îles, en particulier pour La Désirade, où quinze minutes de transport…

Mme Victoire Jasmin. … coûtent 140 à 150 euros – il était important de le souligner.

M. le président. La parole est à Mme la ministre.

Mme Élisabeth Borne, ministre auprès du ministre dÉtat, ministre de la transition écologique et solidaire, chargée des transports. Madame Jasmin, il y a beaucoup à évoquer en matière de mobilité sur votre territoire. On n’a pas parlé des enjeux de connectivité aérienne, qui figurent eux aussi au cœur de mes préoccupations.

Je suis convaincue que, à la Guadeloupe comme dans les autres régions, il est effectivement très important d’assurer une prise de compétence, et que, sur l’ensemble du territoire, les collectivités s’organisent pour proposer des solutions alternatives à la voiture individuelle qui permettent de lutter contre la congestion et la pollution. Il convient d’agir au plus près des territoires à l’échelle intercommunale, mais aussi de façon coordonnée en mutualisant ce qui peut l’être : c’est le rôle de chef de file.

Peut-être serait-il intéressant de creuser aussi l’hypothèse, émise dans certaines régions, d’un syndicat, ce qui permettrait de regrouper à la fois le niveau intercommunal, les différentes autorités organisatrices et la région, pour concevoir de façon plus coordonnée l’ensemble des réponses en termes de mobilité. C’est ce qui a été étudié à La Réunion, et il serait sans doute intéressant de voir si un tel dispositif peut être envisagé pour la Guadeloupe. En tout cas, je suis certaine que l’on peut, et que l’on doit progresser pour offrir des solutions alternatives, y compris en prenant en compte les enjeux de sécurité routière que vous avez mentionnés, les piétons et les vélos devant pouvoir circuler en toute sécurité.

Quant à la desserte de l’île de la Désirade que vous avez évoquée, madame la sénatrice, ce sujet relève, là encore, des compétences des collectivités locales. Mais je peux vous assurer que le préfet a mobilisé les services de l’État pour regarder comment on peut appuyer techniquement l’émergence de solutions, sans attendre la réparation du navire actuellement indisponible.

M. le président. La parole est à M. Michel Raison.

M. Michel Raison. Monsieur le Président, madame la ministre, mes chers collègues, cet après-midi, le Président de la République était dans l’Eure ; il a de nouveau fait le constat d’une fracture entre les territoires de notre pays. De nombreux maires ont parlé de cette fracture en matière non seulement d’enclavement, qu’il soit numérique, ferroviaire ou routier, mais également de mobilité, puisque, vous le savez, dans les territoires les plus ruraux, il est plutôt difficile de mettre en place des transports en commun.

Madame la ministre, ma question va être simple. L’heure n’est plus au constat, et les mouvements qui ont eu lieu à la fin de l’année 2018 et au début de l’année 2019 – ils ne vous auront pas échappé – en découlent. Comment envisagez-vous de bouleverser le logiciel français d’abandon des territoires, en particulier en matière d’enclavement, puisque c’est certainement l’un des principaux abandons de ces territoires ?

M. le président. La parole est à Mme la ministre.

Mme Élisabeth Borne, ministre auprès du ministre dÉtat, ministre de la transition écologique et solidaire, chargée des transports. Voilà maintenant plus de dix-huit mois – cela rend modeste – que je porte l’idée selon laquelle il faut revoir totalement nos priorités en termes d’investissement. En effet, certains de nos territoires sont à la fois victimes du « tout-TGV », avec, pour conséquence, la dégradation de leur réseau, et du « tout-voiture ».

Tout l’objet de la loi d’orientation des mobilités est non seulement de partir de ce diagnostic, que le mouvement a porté avec beaucoup de force, mais d’y apporter des réponses, en modifiant notre vision des priorités en termes d’investissement. La priorité doit être donnée à l’entretien et à la modernisation des réseaux. Elle doit également être donnée au désenclavement des territoires, en accélérant et en rendant enfin possible ces projets promis depuis des années. La priorité doit aussi être donnée à la désaturation ferroviaire. Aujourd’hui, il serait nécessaire d’augmenter l’offre ferroviaire autour des territoires qui sont engorgés par la congestion automobile.

Il faut également mettre l’innovation, comme le montre bien le rapport, au service de tous nos territoires, et de proposer à tous nos concitoyens des solutions alternatives à l’usage individuel de la voiture. L’ambition n’est évidemment pas d’empêcher nos concitoyens de se passer de voiture dans les territoires peu denses, mais de les inciter à se passer d’une deuxième, voire d’une troisième voiture.

C’est vraiment tout le sens de la loi d’orientation des mobilités de permettre aux collectivités de se saisir de cet enjeu, de les accompagner, de déployer les solutions innovantes, précisément pour répondre à ces territoires et à nos concitoyens qui se sentent abandonnés.

M. Roger Karoutchi, président de la délégation sénatoriale à la prospective. Que du bonheur !

M. le président. La parole est à M. Michel Raison, pour la réplique. Vous disposez d’une minute et vingt et une secondes, mon cher collègue.

M. Michel Raison. Merci, madame la ministre ! Je connais vos compétences, et je ne les mets aucunement en doute.

Mme Élisabeth Borne, ministre. Merci !

M. Michel Raison. Vous évoquez les projets anciens qui n’ont toujours pas été menés à bien. Je pourrais vous en citer plusieurs, aux quatre coins de la France, et je vous prends tout simplement au mot : faisons-les ! Il s’agit, de votre part, d’une véritable annonce.

Ce sera, en outre, une bonne occasion d’écouter le Sénat.

M. Roger Karoutchi, président de la délégation sénatoriale à la prospective. Mais ça, c’est vrai en permanence ! (Sourires.)

M. Michel Raison. À travers le rapport remis par nos cinq collègues, le Sénat vient de faire des propositions en la matière. Il avait également adressé ses recommandations au Premier ministre, pour éviter qu’une étincelle ne vienne allumer la mèche sous la marmite qui bouillonnait dans les campagnes.

M. Michel Raison. Je pense, par exemple, aux 80 kilomètres à l’heure, ou encore à la non-surtaxation des carburants pour 2019.

Si vous nous aviez suivis plus tôt, nous n’aurions peut-être pas connu tous ces mouvements. Il est temps d’écouter beaucoup plus la sagesse du Sénat. Je vous en remercie par avance. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, du groupe Union Centriste et du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen. – Mme Victoire Jasmin applaudit également.)

M. le président. La parole est à Mme Christine Lavarde.

Mme Christine Lavarde. Madame le ministre, le dioxyde de carbone produit par l’activité humaine, pour se loger ou se déplacer, représente près de trois quarts des émissions de gaz à effet de serre.

À la suite des travaux du Grenelle de l’environnement, en juillet 2010, a été inscrit dans la loi l’objectif d’une division par quatre des émissions sur le territoire national.

Les véhicules électriques présentent un énorme avantage pour atteindre cet objectif : quelles que soient la source et la nature de l’électricité qui alimentent leur batterie, ils n’émettent pas là où ils circulent.

Notre parc automobile connaît une croissance fulgurante : en France, les nouvelles immatriculations ont augmenté de 25 % entre 2017 et 2018. Comme en matière d’énergie solaire, il me semble important de considérer le cycle de vie de ces véhicules, et en particulier de leur batterie, dont la durée de vie est estimée à dix ans.

La directive-cadre de 2008 relative aux déchets impose le recyclage de 50 % du poids moyen des « autres piles et accumulateurs ». Mais, selon le président de la société nouvelle d’affinage des métaux, la SNAM, laquelle assure le recyclage des batteries, le recyclage est vu comme une contrainte imposée par la loi. Les constructeurs ne cherchent pas à recycler plus, mais à recycler ces 50 % au meilleur prix, alors que l’on pourrait réutiliser jusqu’à 80 % des composants.

À l’heure actuelle, mieux vaut recycler le cobalt, minerai dont la présence est rare, plutôt que le lithium, lequel est encore trop abondant pour être précieux. Or le lithium métallique réagit avec l’azote, l’oxygène et la vapeur d’eau dans l’air. De plus, l’hydroxyde de lithium présente un risque potentiel significatif, car il s’agit d’un composé extrêmement corrosif qui peut s’avérer nocif, notamment pour les organismes aquatiques.

Madame le ministre, le recyclage des batteries est une condition indispensable au succès écologique des véhicules électriques. Aujourd’hui, des efforts sont faits, en particulier au travers des investissements d’avenir, dans le domaine de la recherche et du développement. Mais la filière du recyclage sera-t-elle prête lorsque les premiers volumes de batteries arriveront en fin de vie ? (Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains. – Mme Nadia Sollogoub applaudit également.)

Mme Nadia Sollogoub. Très bien !

M. le président. La parole est à Mme la ministre.

Mme Élisabeth Borne, ministre auprès du ministre dÉtat, ministre de la transition écologique et solidaire, chargée des transports. Madame la sénatrice, je suis convaincue que la mobilité électrique aura un rôle majeur pour diminuer la pollution de l’air produite par le secteur des transports, notamment en réduisant les émissions de gaz à effet de serre.

Vous le savez, nous nous sommes fixé pour objectif de multiplier par cinq le nombre de véhicules électriques vendus en France d’ici à la fin du quinquennat. Nous avons également plaidé en faveur d’objectifs ambitieux à l’échelle européenne, pour ce qui concerne les véhicules neufs vendus à échéance 2030. En outre, je rappelle que le plan Climat prévoit l’arrêt des ventes de véhicules thermiques à horizon 2040.

Dans ce contexte, les batteries représentent effectivement un enjeu crucial ; la question que vous posez est d’ailleurs au cœur de la feuille de route fixée par le Gouvernement, et intitulée « la batterie en France », laquelle comporte différents volets.

Premièrement, notre pays doit se positionner dans le domaine de la production de batteries : il convient d’assurer l’attractivité de notre territoire pour les fabricants afin non seulement de créer des emplois, mais aussi de tirer parti de notre mix décarboné.

Deuxièmement, nous devons nouer des partenariats encore plus étroits avec les industriels pour ce qui concerne le travail de recyclage. Lorsqu’elles sont utilisées pour la mobilité, les batteries peuvent souvent avoir une deuxième vie, en tant qu’installations fixes. C’est précisément pour cela qu’il faut travailler avec les producteurs, afin de créer une filière de récupération des batteries usagées.

Troisièmement et enfin, nous souhaitons assurer la prise en compte des performances environnementales des batteries : le but est de discriminer ces dernières selon leur contenu carbone, leur contenu en produits chimiques, bref, selon le respect de l’environnement. (Marques dapprobation au banc de la délégation.) C’est tout le sens de la feuille de route qu’a proposée le Gouvernement.

M. le président. La parole est à M. Jean-Marc Boyer.

M. Jean-Marc Boyer. Tout d’abord, je tiens à remercier mes collègues de cet excellent rapport, qui traite d’une problématique essentielle : « Mettre les nouvelles mobilités au service de tous les territoires ».

L’enjeu est capital pour l’avenir de nos territoires : il s’agit d’éviter une déconnexion de notre ruralité et une aggravation de la fracture territoriale.

Nos concitoyens ruraux souffrent d’être laissés au bord de la route, et, sur de nombreux points, ils ont raison.

Je l’ai déjà affirmé en déposant la proposition de loi visant à reconnaître la ruralité comme grande cause nationale 2019 : nos territoires doivent être traités comme un atout, et non comme un fardeau. Ainsi, faisons en sorte que les nouvelles mobilités soient aussi une avancée pour eux et non un énième instrument de relégation, de frustration, et donc de colère.

Les 80 kilomètres à l’heure ont pénalisé les territoires. Il est vécu comme punitif. Il a été et il est l’un des détonateurs du mouvement des « gilets jaunes ». Or de nombreux territoires ont besoin de moyens et de considération afin que les nouvelles mobilités soient aussi une chance pour eux.

Je citerai l’exemple du département du Puy-de-Dôme, qui subit malheureusement plusieurs des points négatifs décrits par le présent rapport.

Tout d’abord, ses liaisons ferroviaires sont réduites, avec la relégation récente du TGV aux calendes grecques et une amélioration a minima de l’Intercités Paris-Clermont-Ferrand : pour ce qui concerne ce train, le temps de trajet ne passera pas sous les trois heures, qui constituent pourtant un véritable cap pour promouvoir ce moyen de transport. Notre mobilité quotidienne reste donc très dépendante de la voiture individuelle, tant critiquée aujourd’hui : nous n’avons pas d’autre choix.

Ensuite, dans de nombreuses zones rurales, la couverture numérique se révèle défaillante. Cette situation empêche les territoires concernés d’envisager de nouvelles solutions de mobilité, et pour cause : ces dernières ne peuvent fonctionner qu’avec des réseaux mobiles efficaces, présentant un débit suffisant.

Madame la ministre, voilà précisément un an que l’État, l’ARCEP – Autorité de régulation des communications électroniques et des postes – et les opérateurs ont signé l’accord destiné à améliorer la couverture numérique. Où en sont les résultats ? Sont-ils à la hauteur des promesses, c’est-à-dire 600 à 800 sites nouveaux déjà couverts ?

M. le président. La parole est à Mme la ministre.

Mme Élisabeth Borne, ministre auprès du ministre dÉtat, ministre de la transition écologique et solidaire, chargée des transports. Monsieur le sénateur, je tiens à vous redire toute l’attention que porte le Gouvernement aux territoires ruraux en général, et à ceux du Puy-de-Dôme en particulier.

Vous avez évoqué la ligne Paris–Orléans–Clermont-Ferrand–Lyon, ou POCL. J’ai tenu à ce que, dans son volet programmation, le projet de loi d’orientation des mobilités ne limite pas aux lignes nouvelles la catégorie des grands projets : le chantier de la ligne ferroviaire Paris-Orléans-Limoges-Toulouse, qui implique des investissements de régénération et de modernisation très importants, doit faire partie de ces grands projets, de même que celui du POCL. Dans les deux cas, il s’agit également d’assurer le renouvellement du matériel roulant, c’est-à-dire des trains.

Nous évoquions la nécessité de revoir nos logiciels : à cet égard, savoir travailler sur l’existant, le moderniser, me semble l’une des voies essentielles. Voilà pourquoi nous portons la plus grande attention à la liaison ferroviaire entre Paris et Clermont-Ferrand.

Évidemment, la voiture joue un rôle important, mais les ménages doivent pouvoir se passer de la seconde voiture, en se saisissant de tous les dispositifs mentionnés dans le rapport. De leur côté, les collectivités territoriales doivent, elles aussi, se saisir des solutions proposées pour offrir des réponses à nos concitoyens.

Comme vous le soulignez, cela suppose que l’on accélère le travail de couverture numérique de notre territoire : c’est tout l’enjeu du plan que le Gouvernement consacre à la résorption de la fracture numérique. L’objectif, c’est non seulement le déploiement des haut et très haut débits d’ici à 2022, mais aussi la couverture en téléphonie mobile. À ce titre, chaque opérateur doit construire de nouveaux sites 4G, pour améliorer la réception, et les sites actuellement équipés en 2G ou en 3G doivent passer à la 4G. Dans le même temps, il faut accélérer la couverture des réseaux de transport.

L’ensemble de ces mesures commencent à produire leurs effets. Je vous invite notamment à vous reporter aux données publiées récemment par l’ARCEP : ce plan de couverture numérique est bien en train de se déployer.

Mme Michèle Vullien, rapporteur. Très bien !

Conclusion du débat

M. le président. Pour conclure le débat, la parole est à M. le rapporteur de la délégation sénatoriale à la prospective.

M. Olivier Jacquin, rapporteur de la délégation sénatoriale à la prospective. Monsieur le président, madame la ministre, monsieur l’éminent président de la délégation sénatoriale à la prospective, mes chers collègues, mes collègues rapporteurs – et je les en remercie – m’ont confié le soin de conclure ce débat sur les mobilités du futur.

La délégation tenait à prolonger les intéressants travaux organisés, à la fin de 2017, dans le cadre des Assises nationales de la mobilité, et à éclairer nos discussions à travers une réflexion globale et de long terme.

Ce débat n’est pas celui du projet de loi d’orientation des mobilités, qui viendra prochainement, mais plusieurs interventions l’annoncent. Je pense à certains questionnements très ancrés dans l’actualité : ont ainsi été évoqués le Charles-de-Gaulle Express et, plus largement, l’organisation des transports en Île-de-France, ainsi que le Brexit. Le mouvement des « gilets jaunes » a, quant à lui, transparu.

D’autres interventions relevaient véritablement de la prospective. Elles portaient sur la question des énergies, notamment sur l’hydrogène, le recyclage des batteries, les polluants nouveaux qui pourraient apparaître ou la cohabitation des différents modes de transport. On a également fait état des questions technologiques, par exemple avec le péage inversé.

L’une de ces questions a révélé un creux demeurant dans nos débats depuis 2017. Il s’agit des petites lignes de chemin de fer. En effet, ce sujet a été écarté des discussions consacrées à la réforme ferroviaire, mais il reviendra certainement dans le débat, et pour cause, il constitue un véritable totem.

Notre délégation à la prospective est donc bien à sa place en inscrivant précisément ses travaux dans cette temporalité. Nous devons avoir une vision claire de la manière de déployer les nouvelles mobilités dans tous les territoires. Nous devons également comprendre les grands enjeux et les objectifs liés aux mobilités, en ayant bien en tête que les dynamiques peuvent être contraires entre les espaces denses et les espaces peu denses.

Mes chers collègues, il s’agit là d’une ligne qui segmente clairement vos interventions : ainsi, les questions relatives à l’Île-de-France n’ont rien à voir avec les interrogations portant sur la ruralité.

À cet égard, je tiens à formuler quelques remarques.

Premièrement, l’on ne peut qu’approuver l’objectif de développement de transports plus propres : ce sujet fait consensus. Les constructeurs automobiles ont compris le problème et adaptent leur offre, mais cette évolution n’est pas sans poser des questions connexes. Je pense notamment à l’hydrogène. La bascule du transport individuel vers des modes collectifs, lorsque c’est possible, constitue également une perspective prometteuse.

Deuxièmement, dans les villes comme dans les campagnes, nos concitoyens veulent disposer de transports plus souples, plus adaptables et plus réactifs. Au travers de la localisation en temps réel des utilisateurs et des moyens de transport disponibles, les smartphones sont, à ce titre, des outils fort utiles, d’autant plus qu’ils peuvent être employés partout.

Mme Michèle Vullien, rapporteur. Enfin, tout dépend du réseau…

M. Olivier Jacquin, rapporteur. Néanmoins, des efforts importants restent à faire pour l’intégration de données, la billettique et l’information des voyageurs, afin que ces outils fonctionnent correctement et que les usagers disposent d’une information fiable et neutre, non guidée par des intérêts commerciaux.

Troisièmement, il convient de poser la question délicate du financement des transports.

Cette problématique ne disparaîtra pas par enchantement dans le futur, tant s’en faut, d’autant que les différents modes de transport ont des clefs de financement très différentes. Les grandes infrastructures resteront à la charge de la collectivité publique et auront toujours besoin de financements substantiels.

Le modèle économique de la loi d’orientation des transports intérieurs, la LOTI, n’est pas en question à court terme, et l’originalité du système français, fondé sur le versement transport, qui est un financement solidaire, n’est pas remise en cause à ce jour. Mais un nouveau débat sur la fiscalité écologique et la taxation ou mise à contribution des externalités négatives doit être rapidement rouvert.

Quatrièmement, je formulerai non pas une remarque, mais une série d’interrogations. La pratique du partage et le paiement à l’usage vont-ils se généraliser ? La location de la trottinette, du vélo ou de la voiture va-t-elle supplanter le modèle d’achat et de propriété qui est le nôtre aujourd’hui ? Les expériences de mutualisation fonctionnent bien, parce qu’elles permettent aux usagers de faire des économies en optimisant leurs coûts ; et, grâce à des plateformes numériques très accessibles, les différents acteurs peuvent se mettre en relation de manière simple. D’ailleurs, avec les véhicules autonomes, nous pourrions aller vers des logiques similaires de transport à la demande, moins coûteux et partagés.

Cinquièmement et enfin – nous abordons, avec cette remarque, le cœur de notre sujet –, je tiens à revenir sur la question des territoires. Le rapporteur du projet de loi d’orientation des mobilités, Didier Mandelli, l’a évoqué clairement dans son propos : les nouvelles mobilités doivent permettre de réduire les fractures de notre société et, particulièrement, les fractures territoriales.

Nous ne pensons pas que les zones peu denses soient condamnées à être les grandes oubliées des mobilités du futur. En la matière, les obstacles sont largement surmontables, et nos propositions vont précisément dans ce sens.

C’est forts de cette conviction que nous affirmons que les mobilités du futur peuvent être inclusives en s’adressant à tous. Les nouvelles technologies peuvent même nous aider à favoriser ce caractère inclusif. L’ensemble de ces remarques et questionnements seront au cœur de nos réflexions relatives au projet de loi d’orientation des mobilités. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain, du groupe La République En Marche et du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen, ainsi quau banc de la délégation.)

M. le président. Mes chers collègues, nous en avons terminé avec le débat sur les mobilités du futur.

8

Communication d’avis sur deux projets de nomination

M. le président. Conformément aux dispositions du cinquième alinéa de l’article 13 et à celles de l’article 65 de la Constitution, la commission des lois a fait connaître qu’elle a émis, lors de sa réunion du mardi 15 janvier 2019, un vote favorable, d’une part, à la nomination de M. Jean Cabannes – 27 voix pour, 2 voix contre – et, d’autre part, à celle de Mme Natalie Fricero – 29 voix pour, aucune voix contre – aux fonctions de membre du Conseil supérieur de la magistrature.

9

Ordre du jour

M. le président. Voici quel sera l’ordre du jour de la prochaine séance publique, précédemment fixée à demain, mercredi 16 janvier 2019, à quatorze heures trente :

Nomination des vingt-sept membres de la mission d’information sur la gestion des risques climatiques et l’évolution de nos régimes d’indemnisation.

Débat sur le thème : « Quelle politique d’attractivité de la France à l’égard des étudiants internationaux ? »

Débat sur le thème : « Après un an d’application, bilan et évaluation de Parcoursup ».

Débat sur la solidarité intergénérationnelle.

Personne ne demande la parole ?…

La séance est levée.

(La séance est levée à dix-neuf heures quarante-cinq.)

 

nomination dun membre dune commission

Le groupe Les Républicains a présenté une candidature pour la commission de laménagement du territoire et du développement durable.

Aucune opposition ne sétant manifestée dans le délai dune heure prévu par larticle 8 du règlement, cette candidature est ratifiée : Mme Françoise Ramond est membre de la commission de laménagement du territoire et du développement durable.

 

Direction des comptes rendus

ÉTIENNE BOULENGER