Mme la présidente. La parole est à M. Philippe Adnot, sur l’article.

M. Philippe Adnot. L’article 42 bis permet à l’Institut national de la propriété intellectuelle de vérifier les conditions de brevetabilité d’une invention.

Actuellement, une invention doit obéir à trois critères pour être brevetable : elle doit être nouvelle, elle doit impliquer une activité inventive et elle doit être susceptible d’application industrielle.

Or, contrairement à la plupart des offices nationaux de propriété industrielle, l’INPI ne peut pas considérer l’absence d’activité inventive comme un motif de rejet dans le cadre de la brevetabilité d’une invention.

Cette spécificité française date des années soixante. À une époque où l’innovation ne constituait pas la clé de voûte de l’économie française, on a privilégié un dispositif qui permettait aux entreprises de disposer assez rapidement d’un titre de propriété pas cher, même s’il ne valait pas grand-chose.

Cinquante ans après, les choses ont évolué et cette exception française est devenue pénalisante pour nos entreprises. Dans une économie dominée par l’immatériel, la compétitivité des entreprises françaises repose de plus en plus sur leur capacité à innover. Mais l’innovation coûte cher et n’est considérée par les entreprises que si elle peut être protégée et valorisée. Cela passe donc par un environnement juridique et institutionnel favorable à la création et à la protection de l’innovation.

C’est la raison pour laquelle je ne comprends pas le choix de nombre d’entre vous, mes chers collègues, de défendre la suppression de cet article et, par là même, de maintenir la France dans un système de protection des titres de propriété médiocre, qui nuit à l’essor de nos PME et à leur notoriété.

Alors, oui, c’est un véritable changement de mentalité que nous demandons à nos entreprises et à leurs conseils : arrêtons la solution de facilité d’un brevet faible, qui incite les PME à faire l’économie d’une stratégie sérieuse de brevet et aboutit à la délivrance de titres qui ne sont pas opposables !

On nous dit que le renforcement de la qualité des brevets sera contreproductif pour les entreprises françaises et on nous vante le système actuel. Soyons sérieux : si le système de brevets français était si performant que cela, nous aurions certainement plus d’entreprises innovantes !

On nous dit que nos entreprises renonceront au brevet français au profit du brevet européen parce que les coûts seront identiques. C’est faux ! Le brevet français restera avantageux financièrement – les chiffres ont été précédemment donnés. En revanche, le renforcement de sa qualité permettra à l’entreprise qui souhaiterait s’étendre à l’étranger d’accéder plus facilement et à moindre coût au brevet européen dans la mesure où elle aura déjà pu prouver le caractère inventif de son invention devant l’INPI.

Pour ma part, ce que je constate, c’est que le taux de dépôt de brevets auprès de l’INPI stagne depuis cinq ans. Il apparaît que, dans leurs relations commerciales avec les grandes entreprises, les PME subissent un rapport de force qui leur est défavorable non seulement parce qu’elles ne peuvent pas faire valoir leurs droits en raison de l’insécurité juridique qui pèse sur la valeur de leur titre, mais également parce que le faible coût de dépôt des brevets incite les grandes entreprises à en déposer beaucoup, même s’ils sont contestables,…

Mme la présidente. Il faut conclure, mon cher collègue !

M. Philippe Adnot. … pour empêcher les PME de les attaquer sur leur marché.

Mme la présidente. Il faut vraiment conclure !

M. Philippe Adnot. Mes chers collègues, je voudrais vous dire…

Mme la présidente. Vous dépassez vraiment votre temps de parole !

M. Philippe Adnot. Juste deux secondes pour terminer, madame la présidente !

M. Philippe Adnot. Si nous n’adoptions pas le renforcement du brevet, nous verrions déferler vers nous les demandes de brevets chinois qui, à l’heure actuelle, ont commencé. (Protestations sur certaines travées.) Si, tout à fait !

Mme la présidente. Il faut conclure, monsieur Adnot, s’il vous plaît !

M. Philippe Adnot. Et elles pourraient remettre en cause la capacité de nos entreprises à se défendre !

Mme la présidente. Je suis saisie de cinq amendements identiques.

L’amendement n° 38 rectifié bis est présenté par Mme Estrosi Sassone, M. Longuet, Mmes Deroche et Primas, M. Pellevat, Mme Deromedi, M. de Legge, Mme Di Folco, M. Daubresse, Mme L. Darcos, M. Morisset, Mme Duranton, M. Lefèvre, Mmes Micouleau, Lavarde et Gruny, MM. Pillet, Cuypers, Danesi et Calvet, Mme Lherbier, MM. Panunzi, Sol, Revet, Vial, Mouiller, Milon, Savary, Priou, Piednoir, Kennel et Poniatowski, Mmes M. Mercier et Imbert, MM. Paccaud et Regnard, Mmes Canayer et Chauvin, MM. Rapin, Dallier et B. Fournier, Mme Lanfranchi Dorgal, MM. Mandelli, Perrin, Raison et Leleux, Mme Lopez, MM. Chatillon, Hugonet, D. Laurent et Vaspart, Mme Ramond, MM. Dufaut, Savin, Bouloux et Gilles, Mmes Chain-Larché, Thomas, Raimond-Pavero et Dumas, MM. Ginesta, Laménie, Grand, Darnaud, Genest et Pierre, Mme de Cidrac, M. Gremillet et Mme Renaud-Garabedian.

L’amendement n° 111 est présenté par M. Daunis, Mme Espagnac, MM. M. Bourquin, Lalande, Tourenne et Kanner, Mme Artigalas, MM. Durain et Lurel, Mme Tocqueville, M. Antiste, Mmes Blondin et Bonnefoy, MM. Courteau, Duran, Fichet et les membres du groupe socialiste et républicain.

L’amendement n° 150 rectifié ter est présenté par MM. Delahaye et Henno, Mmes de la Provôté, Vullien et Vermeillet, M. Longeot, Mmes Loisier et Férat, MM. Moga, Mizzon, Cadic, Médevielle, Détraigne et L. Hervé et Mme Gatel.

L’amendement n° 448 rectifié ter est présenté par MM. Segouin, Brisson, Pointereau, de Nicolaÿ et Bonhomme, Mme Bories et MM. Duplomb et J.M. Boyer.

L’amendement n° 841 rectifié est présenté par MM. Menonville, Artano et A. Bertrand, Mme N. Delattre et MM. Gabouty, Requier et Vall.

Ces cinq amendements sont ainsi libellés :

Supprimer cet article.

La parole est à Mme Dominique Estrosi Sassone, pour présenter l’amendement n° 38 rectifié bis.

Mme Dominique Estrosi Sassone. Cet amendement vise à supprimer l’article 42 bis, introduit à l’Assemblée nationale et qui sera de nature, contrairement à ce qu’a dit Philippe Adnot, à freiner les entreprises en matière d’innovation, notamment numérique, dans le cadre de dépôt des brevets.

Cette nouvelle procédure visant à introduire un examen d’activité inventive est un alourdissement pour les entreprises tant en matière de coûts, de temps que de complexification et de suradministration.

Il me semble nécessaire d’en rester au statu quo, c’est-à-dire à la procédure que la France a choisie dans les années soixante-dix : confier à l’Office européen des brevets le système à examen délivrant des titres de qualité portant leurs effets en France.

D’ailleurs, toutes les entreprises implantées en France seraient touchées, aussi bien les petites entreprises, les entreprises de taille intermédiaire, les start-up, sans oublier les grandes entreprises.

Si l’INPI doit désormais procéder à un contrôle a priori et systématique du critère de l’activité inventive, cela impose également à l’État d’augmenter les moyens alloués à l’INPI, notamment le recrutement de nouveaux personnels, dans un contexte de déficit public record.

Dans son référé du 20 octobre 2014, la Cour des comptes avait d’ailleurs mis en garde le Gouvernement contre l’instauration de cet examen au vu des moyens substantiels qu’il faudrait mobiliser pour un volume d’activités limité à la France.

L’adoption de cette mesure a d’ailleurs été faite au détour d’un amendement sans avoir travaillé à une étude d’impact.

J’ajouterai que le comité Innovation et recherche, qui représente officiellement les ingénieurs et scientifiques de France, déplore même qu’aucun représentant des entreprises innovantes ni des inventeurs n’ait été consulté en amont avant de mettre ce thème en examen.

Enfin, l’Espagne par exemple, a fait, en 2017, le choix de la mesure qui est portée dans l’article 42 bis. Résultat : la chute des dépôts de brevets a été chiffrée à 30 % en 2018.

Le risque est aussi que les entreprises se passent du brevet français pour ne déposer que des brevets européens.

Mme la présidente. La parole est à M. Marc Daunis, pour défendre l’amendement n° 111.

M. Marc Daunis. Madame la présidente, monsieur le ministre, madame la rapporteur, mes chers collègues, notre collègue Philippe Adnot nous invitait à être sérieux. Nous sommes éminemment sérieux ! D’ailleurs, le fait est suffisamment rare pour que je le souligne, ma collègue Dominique Estrosi Sassone et moi-même avons déposé le même amendement ! (Sourires.) En effet, nous sommes, l’un et l’autre, élus des Alpes-Maritimes – j’ai, pour ma part, été vice-président de la communauté d’agglomération Sophia Antipolis, premier technopôle d’Europe – et avons été très directement confrontés à cette question des brevets, qui est une vraie question par rapport à la chaîne de l’innovation en France.

Le dispositif actuel est-il satisfaisant ? Non ! Nous savons, c’est évident, qu’il y a un travail de fond à faire pour mieux articuler la recherche, l’industrie et la commercialisation.

Nous avons un retard à rattraper en matière de dispositifs d’accélération. La France s’emploie depuis quelques années avec force pour favoriser, notamment via les incubateurs, tout ce qui concourt à permettre la traduction industrielle et commerciale de l’innovation.

Ce qui nous est proposé dans un projet de loi sur la simplification et la réduction des coûts va-t-il dans ce sens ? Non, c’est exactement l’inverse ! Pardonnez-moi, mon cher collègue Adnot, sur la porte que nous ouvririons, selon vous, aux Chinois, en l’occurrence, c’est exactement l’inverse que nous ferions ! Dominique Estrosi Sassone a raison de nous rappeler ce qui s’est passé en Espagne où ce type de dispositif a été implanté.

Le dispositif est donc à consolider, mais certainement pas de cette façon ! Maintenir cet article serait un vrai paradoxe, car cela aboutirait à introduire un dispositif qui serait plus long, plus cher et plus difficile pour les entreprises souhaitant breveter.

Par conséquent, je vous appelle, mes chers collègues, à raison garder en la matière en votant les amendements de suppression. En revanche, monsieur le ministre, nous sommes prêts à faire le travail de fond pour permettre le dépôt en France de brevets plus nombreux et plus sécurisés.

Mme la présidente. La parole est à M. Vincent Delahaye, pour présenter l’amendement n° 150 rectifié ter.

M. Vincent Delahaye. Nous avons nous aussi déposé un amendement visant à la suppression d’un article ajouté peut-être un peu rapidement à l’Assemblée nationale. En tout cas, nous sommes nombreux à être quelque peu sceptiques quant à l’efficacité de ce dispositif et à regretter l’absence d’étude d’impact.

À titre personnel, je ne suis pas convaincu que le système actuel soit parfait – de toute façon, la perfection n’existe pas ! Le Gouvernement nous propose souvent de poursuivre la réflexion sur certaines questions. Je pense que nous avons là l’occasion de travailler de façon efficace sur une question de fond avant de prendre une position définitive.

De nombreux représentants d’entreprises, des grandes comme des petites, sont venus nous voir en nous demandant de ne surtout pas garder cet article. J’en conviens, leur mise en garde nous interroge.

C’est la raison pour laquelle j’ai maintenu, après réflexion, cet amendement de suppression. J’aimerais que nous prenions le temps : alors que l’objectif est de faciliter la vie des entreprises et de développer l’activité économique, cette disposition pourrait donner l’impression que nous allons à rebours du but recherché dans le projet de loi.

J’en appelle donc à la prudence : il serait souhaitable de supprimer cet article, de continuer à travailler, puis de faire des propositions pour aboutir à des brevets dont l’attractivité et l’efficacité seraient renforcées. (Mme Michèle Vullien applaudit.)

Mme la présidente. La parole est à M. Vincent Segouin, pour présenter l’amendement n° 448 rectifié ter.

M. Vincent Segouin. Au risque de me répéter, je confirme ce qui a été dit : l’Assemblée nationale a adopté un amendement visant à réformer les droits des brevets en créant un examen sur le fond des demandes de brevets à l’INPI. Soyons clairs, une telle réforme mettrait à mal l’équilibre du système actuel, qui est apprécié des innovateurs, particulièrement des PME.

Avec cette nouvelle procédure, l’examen sur le fond par l’INPI impliquerait, notamment, le critère d’activité inventive, très difficile à apprécier puisqu’il s’agit de déterminer si l’invention que l’examinateur a sous les yeux était évidente.

Il est à prévoir, avec une telle disposition, une augmentation massive des recours auprès de l’INPI, qui serait dans l’obligation d’augmenter les capacités de ses services d’examen en créant plusieurs centaines de postes d’examinateur. Une fois de plus, on ne simplifie rien !

Cette procédure irait complètement à l’encontre de l’objectif recherché consistant à améliorer l’activité du système français et à le simplifier. Je le répète, elle aurait sans nul doute pour effet de dissuader les innovateurs de déposer leurs demandes de brevets en France.

Pour toutes ces raisons, je souhaite la suppression de l’article.

Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Marc Gabouty, pour présenter l’amendement n° 841 rectifié.

M. Jean-Marc Gabouty. L’argumentaire a été longuement développé par les orateurs précédents. Je serai donc bref.

Les modifications proposées par l’article 42 bis relatif à « l’examen a priori de l’activité inventive » auront l’effet inverse à celui qui était escompté en termes de coût, de délai et d’accessibilité pour l’obtention d’un brevet français.

Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission spéciale ?

Mme Élisabeth Lamure, rapporteur. Le renforcement de la qualité des brevets constitue un atout majeur au profit des PME. Par conséquent, l’examen au fond et a priori par l’INPI de la brevetabilité de leurs inventions renforcerait le pouvoir de négociation de ces entreprises et faciliterait la valorisation de leur capital immatériel.

Le système choisi par la France il y a plus de cinquante ans constitue désormais une exception au niveau européen et, au-delà, à l’échelle mondiale. Nos grands concurrents européens disposent à la fois d’un brevet fort national et de la possibilité d’opter pour un brevet européen sans que leur brevet national ait été délesté par les entreprises.

Lors de l’examen du texte en commission, ces amendements avaient été rejetés, mais ils sont revenus la semaine dernière sous la forme d’amendements de séance. En ma qualité de rapporteur, j’ai de nouveau émis un avis défavorable, que la commission n’a pas retenu.

À titre personnel, je reste défavorable au vote de ces amendements, qui me paraissent pénaliser les PME, mais la commission en a décidé autrement.

M. Vincent Delahaye. Heureusement !

Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Bruno Le Maire, ministre. Le Gouvernement rejoint l’avis défavorable exprimé à titre personnel par Mme la rapporteur sur les amendements de suppression de l’article. Je m’inscris en faux contre les arguments avancés.

Mesdames, messieurs les sénateurs, comme l’a dit en toute simplicité l’un d’entre vous, beaucoup de représentants de grandes entreprises sont venus le voir en lui expliquant que cette mesure leur poserait problème. Évidemment, le système actuel les avantage ! Ils saturent le marché de propositions de brevets qui ne sont pas forcément valables. Ils empêchent les PME d’être inventives et innovantes et de faire valoir des brevets.

Au bout du compte, qui est-ce qui trinque ? C’est l’économie française, c’est la crédibilité de l’innovation française ! Il n’y aurait pas d’étude d’impact ? Mais l’étude d’impact, elle a été faite depuis trente ans ! En effet, on le voit bien, les brevets français sont les moins crédibles en Europe ! La moitié des brevets français – 43 %, contre 23 % des brevets européens –, tombent parce qu’ils sont refusés par la justice, faute de répondre à l’inventivité suffisante !

Ayons conscience de ce qui est en jeu dans ce vote : le temps a tranché ! Trente années ont suffi pour montrer que le dispositif français en la matière n’est pas le plus efficace. C’est très bien de vouloir avoir raison contre tout le monde, mais il se trouve que toutes les autres grandes nations innovantes de la planète certifient au préalable l’inventivité des entreprises. Cela se fait en Allemagne, ailleurs en Europe, en Asie, parce que cela donne de la crédibilité à l’innovation d’une nation.

C’est dire que l’enjeu est absolument décisif et vital pour les PME. Il est décisif pour la crédibilité des brevets français. Avoir le critère d’inventivité délivré par l’INPI avant, c’est donner de la crédibilité aux brevets français.

Je le répète, votre collègue sénateur a eu la franchise de le reconnaître, oui, des représentants de grandes entreprises sont venus le voir pour lui dire que cette proposition ne les arrangeait pas. Pour ma part, je pense aux PME auxquelles ce texte s’adresse et je pense à la réputation française en termes d’innovation. Ce texte étant destiné à l’innovation et à la crédibilité de la recherche française, il est indispensable que ce critère d’inventivité soit délivré par l’INPI.

Si certains sénateurs du groupe Les Républicains ne sont pas convaincus, je veux rappeler que le plus fervent avocat de ce dispositif à l’Assemblée nationale, celui qui s’est battu pour que le critère d’inventivité soit reconnu par l’INPI, c’est le député Les Républicains Daniel Fasquelle, qui a indiqué que c’était probablement l’une des meilleures propositions du texte. (Murmures sur les travées du groupe Les Républicains.)

Mme la présidente. La parole est à M. Vincent Delahaye, pour explication de vote.

M. Vincent Delahaye. Je me réjouis que la commission ait donné un avis favorable sur ces amendements de suppression, même si j’aurais aimé que Mme la rapporteur l’exprime sur un mode un peu plus enthousiaste.

Si nous avons, à en croire le ministre, trente ans de recul par rapport à cette disposition, je ne comprends pas que le Gouvernement ne l’ait pas prévue dans son projet de loi initial et qu’il ait fallu ajouter un article à l’Assemblée nationale. Si nous avions réellement trente ans de recul, le Gouvernement aurait dû être convaincu depuis longtemps ! Je suis un peu surpris, monsieur le ministre, par cette argumentation. Je ne comprends pas qu’on ne se donne pas un peu plus de temps pour réfléchir. C’est vrai que le sujet est sans doute un peu complexe, faisant intervenir des intérêts de part et d’autre.

Nous n’avons pas été sollicités par les seules grandes entreprises. Nous avons aussi été contactés par des PME et des start-up. Elles ne sont pas toutes contre le système actuel, au contraire.

Avant de toucher au dispositif un peu à la va-vite malgré les trente ans de recul dont disposerait le Gouvernement, je trouve que ce serait bien d’être précautionneux, d’y aller avec prudence et de supprimer cet article aujourd’hui !

Mme la présidente. La parole est à M. Philippe Adnot, pour explication de vote.

M. Philippe Adnot. Il est difficile pour un parlementaire de s’y retrouver ! Tous, autant que nous sommes, nous avons été saisis de demandes provenant de différentes origines. Ceux qui défendent la suppression de cet article ont été saisis par le conseil Amadeus notamment.

Et on pourrait tracer les interventions de chacun en fonction de l’importance qu’ils ont accordée à la demande faite. Je dois avouer très simplement que j’ai été alerté sur cette demande de suppression par les auteurs de ce rapport sur l’innovation. (Lorateur brandit le document.) Il s’agit de gens absolument pertinents, qui ont été choisis pour rédiger ce rapport de qualité. Ils nous ont immédiatement alertés sur le danger que les grands groupes multiplient les dépôts aux dépens des PME. Elles vont s’entendre objecter qu’il existe déjà quelque chose de général, certes pas très précis, mais que, si elles désirent approfondir le sujet, il est toujours possible de s’arranger. C’est ainsi que cela se passe !

Si nous n’agissons pas pour renforcer la qualité des brevets déposés, nous allons nuire à nos propres entreprises, à nos PME, à nos start-up. Et ce serait dommage !

Je réitère ce que j’ai dit : actuellement, les dépôts de brevets chinois ne cessent de croître partout dans le monde. Si nous sommes les plus faibles, c’est par notre fenêtre qu’ils vont entrer et ceux qui auront défendu cette suppression en porteront la responsabilité !

M. Bruno Le Maire, ministre. Très juste !

M. Philippe Adnot. En France, 16 000 brevets sont déposés. Les Chinois sont capables d’en déposer 50 000 demain matin chez nous. Non seulement il faudra prévoir un nombre de personnes suffisant pour les traiter, mais, en plus, on aura nui à nos entreprises.

Mes chers collègues, je vous assure que j’exprime le point de vue des personnalités les plus sérieuses sur le sujet. Ce ne sont pas des représentants de grands groupes, ce sont des chercheurs, des responsables scientifiques. Je pense qu’on devrait les suivre en n’acceptant pas la suppression de cet article ! (Mme Élisabeth Doineau et M. Pierre Louault applaudissent.)

Mme la présidente. La parole est à M. Richard Yung, pour explication de vote.

M. Richard Yung. Monsieur le ministre, cela remonte non à trente ans, mais à plus de cinquante ans : la loi qui a mis en place le système actuel date de 1968 ! Elle était complémentaire de la convention de Munich sur le brevet européen. En France, nous déposons chaque année 17 000 brevets.

Ce résultat est tout à fait à la hauteur : nous sommes le deuxième pays déposant, après l’Allemagne et avant le Royaume-Uni. Le recours aux brevets français, à la procédure française n’est pas négligeable.

Il faut penser aux conséquences qu’aura l’instauration de l’analyse de l’activité inventive. Cette activité est somme toute assez mystérieuse : on ne sait pas très bien ce que c’est. Elle serait définie comme une création qui n’est pas évidente pour l’homme de l’art. Admettons donc que vous avez une invention : vous la montrez à votre plombier. S’il vous dit que tout le monde la connaît, et que cela se fait depuis dix ans, alors vous n’avez pas d’activité inventive ; s’il vous dit, en revanche, que c’est une excellente idée, alors oui, il y a activité inventive ! (Sourires.)

C’est tout de même quelque chose de très difficile à caractériser et à saisir. C’est pourquoi il faut des examinateurs très formés. Voici donc l’un des problèmes que pose, selon moi, la présente proposition : il faudrait que l’INPI dispose d’un corps d’examinateurs qu’elle n’a pas aujourd’hui.

Ce corps doit être formé et relativement substantiel. En effet, on compte actuellement 17 000 dépôts chaque année. Je ne sais combien de demandeurs voudront voir reconnaître leur activité inventive, mais admettons que ce soit environ la moitié. Eh bien, pour examiner 8 000 demandes par an, il faudra du monde, probablement une centaine d’examinateurs.

Enfin, je rappelle que le choix français a été l’intégration dans le système européen.

Mme la présidente. La parole est à M. Marc Daunis, pour explication de vote.

M. Marc Daunis. Il est quelque peu désagréable d’opposer, dans ce débat, ceux qui seraient les défenseurs des grands groupes, d’un côté, et ceux qui seraient à l’écoute des besoins des très petites entreprises, de l’autre.

Je veux répondre à notre collègue Philippe Adnot. Nous avons reçu des demandes sur ce sujet, y compris certaines nous demandant de voter en faveur des mesures adoptées nuitamment à l’Assemblée nationale. J’ai notamment écouté Éric Carreel, dirigeant de Withings, Sculpteo, Invoxia et Zoov. Bref, nous avons fait notre travail de parlementaire, qui consiste, d’une part, à nous documenter sur les appréciations portées sur ces mesures par les entreprises, qui sont tout de même les premières concernées en la matière, et, d’autre part, à faire remonter notre expérience de terrain.

Pardonnez-moi si je me suis permis de citer mon origine élective : c’est que j’ai la faiblesse de travailler, depuis trente ans, en tant qu’élu local, sur ces questions. L’INPI est sur notre territoire. J’ai eu des discussions à ce sujet, j’ai même créé un centre doté d’une pépinière, d’un accélérateur et d’un incubateur. Je connais donc un petit peu le sujet !

Par ailleurs, monsieur le ministre, votre affirmation selon laquelle les grandes entreprises saturent les instances de brevets afin de bloquer les autres acteurs demande à être étayée.

J’ai souvenir de propos que vous avez tenus dans cet hémicycle : vous affirmiez que la tenue d’un compte séparé, obligatoire pour un auto-entrepreneur, coûtait à ce dernier un argent dingue, ou du moins des sommes importantes. Je me permets simplement de vous rappeler que certaines offres bancaires sont gratuites pour les auto-entrepreneurs. Je ferme la parenthèse, mais ce n’est pas parce que vous dites quelque chose au micro, en séance, que c’est forcément la réalité, monsieur le ministre.

En revanche, il est évident que le dispositif actuel n’est pas totalement satisfaisant. Mais avant de prendre des mesures qui rendent plus complexe, plus long et plus cher le dépôt de brevets pour nos entreprises, étudions la question de beaucoup plus près ! C’est pourquoi je plaide de nouveau pour la suppression de cet article.

Deuxièmement, si nous avions, au banc, un ministre qui non seulement défendait le maintien de cet article,…

Mme la présidente. Veuillez conclure, mon cher collègue !

M. Marc Daunis. … mais s’engageait à consolider les moyens de l’INPI, alors nous pourrions avoir une écoute beaucoup plus attentive. En effet, le renforcement des moyens de l’INPI est la condition sine qua non d’une amélioration en la matière.

Mme la présidente. La parole est à M. Alain Richard, pour explication de vote.

M. Alain Richard. Il me semble que nous sommes face à un débat de méthode législative.

M. Gérard Longuet. Très vrai !

M. Alain Richard. Dans ce débat, il n’y a pas, radicalement, de bonne ou de mauvaise solution.

Ce texte ne connaîtra qu’une lecture dans chaque assemblée avant qu’un accord ne soit trouvé en commission mixte paritaire ou qu’une nouvelle lecture n’ait lieu dans chaque assemblée.

Certes, j’entends tout à fait l’objection de notre collègue Vincent Delahaye, selon qui il y aurait certainement besoin de plus travailler sur la méthode retenue afin de mettre en œuvre cette nouvelle sécurité pour nos brevets. Il me semble néanmoins difficile de contester, après les observations de M. le ministre, que cette sécurité constitue aujourd’hui un réel sujet.

Pardonnez-moi, mes chers collègues, mais un peu d’expérience nous apprend que si l’on rate un rendez-vous sur un texte aussi important que celui-ci, la possibilité de trouver un nouveau véhicule législatif pour reparler du sujet devient de plus en plus ténue à mesure qu’on avance dans la législature.

Dès lors, M. le ministre ne pourrait-il pas, sur notre suggestion, réunir des représentants des commissions spéciales de l’Assemblée nationale et du Sénat afin de retravailler le dispositif prévu dans ce nouvel article ? Ainsi, on pourrait convaincre le Sénat de ne pas rejeter complètement cet article, ce qui permettrait à notre assemblée d’intervenir avant la version finale de l’Assemblée nationale.

Il me semble que laisser passer cette occasion de légiférer pour améliorer nos brevets serait une erreur dans notre méthode de législateurs.