Mme la présidente. La parole est à Mme Maryse Carrère.

Mme Maryse Carrère. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, une fois de plus, et je m’en félicite, le groupe du RDSE met les territoires ruraux à l’ordre du jour de notre assemblée.

La semaine dernière, j’interrogeai le Gouvernement sur le non-versement de près de 700 millions d’euros d’aides Leader. Ce fut l’occasion de rappeler l’importance de ce fonds pour nos territoires, mais aussi de relever que des barrières encore trop lourdes subsistent pour le versement effectif et efficace des fonds considérés.

Aujourd’hui, force est de constater que dans l’océan des aides, fonds et dotations à destination de nos territoires, trop peu d’entre eux sont versés de manière simple, rapide, lisible et efficace.

À l’instar du président de mon groupe, Jean-Claude Requier, je tiens à saluer les évolutions positives de ces dernières années, comme la création des PETR, qui, avec les contrats de ruralité, ont permis de maintenir le développement de nos territoires.

La hausse de la DETR ou encore la fin de la baisse continue de la DGF pour les collectivités sont à relever certes, mais elles n’arrivent pas à compenser le ressenti d’affaiblissement de nos territoires et le sentiment d’abandon de la ruralité.

Les conséquences sont mesurables sur l’investissement public. Ce recul de l’investissement dans nos territoires est aussi accentué par les efforts demandés aux départements dont les dépenses de fonctionnement supplémentaires ne peuvent excéder 1,2 % de leur budget, alors même que de nouvelles dépenses sont sollicitées.

À ces limitations de dépenses s’ajoute bien souvent un manque de visibilité pour les budgets de nos collectivités, qui doivent financer de nouvelles compétences avec des effets considérables sur la fiscalité – je pense, par exemple, à la gestion des milieux aquatiques et la prévention des inondations, la Gemapi.

Dernier exemple en date – je profite de mon intervention, monsieur le ministre, pour attirer votre attention sur ce point –, les nouveaux critères qui, en 2020, définiront les nouvelles ZRR. Ainsi, 11 communes de mon département seront exclues de la ZRR à laquelle elles appartiennent actuellement. À cette date elles verront s’envoler les exonérations de cotisation foncière des entreprises qui accompagnent un tel classement. Si un rapport est prévu en juillet 2020 pour répondre à ces situations, ces communes sont pour le moment dans l’embarras et ne disposent d’aucune solution à long terme. Elles restent donc frileuses pour se lancer dans des investissements malgré tout nécessaires.

Face à la multiplicité des dispositifs de soutien aux territoires – DETR, FSIL, LEADER, FISAC, FNADT, etc. – et à la lenteur du versement des aides correspondantes, il nous faut aller vers une simplification de l’ensemble de ces dispositifs.

Cet outil de simplification, nous en disposerons très prochainement : c’est la future agence nationale de la cohésion des territoires, l’ANCT.

Plus qu’une officine étatique, la création de cette agence doit être l’occasion de revoir notre système d’attribution, en passant d’une logique d’aide à une logique de guichet, comme l’énonce Serge Morvan dans son rapport sur la cohésion des territoires. Donnons-lui les moyens, dans chaque département, d’être le référent-clé en termes d’attribution des fonds, mais aussi, et surtout pour la mobilisation des compétences en ingénierie.

Cette simplification, pour être une réussite, doit se faire avec la volonté de tous les acteurs politiques, dans un seul but : simplifier le quotidien de milliers d’élus locaux démunis.

Le regroupement de ces aides ne peut et ne devra pas s’accompagner, s’il voit le jour, d’une baisse généralisée des fonds, qu’il s’agisse des territoires ruraux ou des territoires urbains.

Soyons-en conscients, la création de l’ANCT et la simplification des procédures ne suffiront pas pour soutenir ces territoires.

Pour pérenniser durablement nos territoires, la mère des batailles – si je puis dire – concerne deux défis que nous devrons relever : la reconquête démographique et l’attractivité.

La reconquête démographique d’abord, parce qu’elle est la condition sine qua non d’une hausse des dotations. Si nous bénéficions – c’est le sens même de l’équité républicaine – de la péréquation, nous ne pouvons nous reposer sur elle.

L’attractivité enfin, car c’est d’elle que découle la reconquête démographique. Face à un cap fixé parfois morose, je me félicite que mon groupe ait déposé de nombreuses propositions de loi. Je pense à l’initiative de Jacques Mézard sur le désenclavement des territoires, ou encore à la proposition d’Éric Gold sur la désertification bancaire dans les territoires ruraux.

En parlant du soutien à nos territoires, comment ne pas évoquer le big-bang consécutif à la loi NOTRe et à la fusion de nombreuses intercommunalités ? Une vraie réflexion doit être menée sur ses effets. Il faut aussi réfléchir aux coûts de fonctionnement des intercommunalités, mais aussi à la réalité de leurs budgets actuels. Là encore, il faudra accomplir un véritable effort en termes de dotations et d’aides.

Pour conclure, dans cette période de perte de repères démocratiques, il faut à mon sens rapprocher la décision des élus locaux, qui sont les plus à même d’agir au quotidien face aux attentes de plus en plus fortes d’administrés toujours plus exigeants à l’égard de leurs services publics. Cela passe par davantage de décentralisation et par davantage de moyens accordés à nos territoires en matière d’investissement.

Redonner les clés de l’investissement à nos territoires, c’est honorer la libre administration des collectivités territoriales consacrée à l’article 72 de la Constitution ! (Applaudissements sur les travées du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen et du groupe Union Centriste. – M. Jean-Paul Émorine applaudit également.)

Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Claude Luche. (Applaudissements sur les travées du groupe Union Centriste.)

M. Jean-Claude Luche. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, je remercie le groupe du RDSE d’avoir inscrit ce débat à l’ordre du jour.

Les dispositifs pour la ruralité sont largement insuffisants. Oui, les zones de revitalisation rurale, les contrats de santé, les maisons de services au public ont le mérite d’exister. Mais sont-ils à la hauteur des enjeux pour nos territoires qui connaissent de grandes difficultés ?

Je plaide pour un renforcement des dispositifs existants et plus encore pour la création de nouveaux dispositifs. La ruralité ne doit pas être abandonnée. Elle a besoin de la présence physique des services publics et des aménagements qui contribueront au développement économique.

Parfois, même quand la ruralité a droit à des aides, elle ne les perçoit pas. Quand on sait que les fonds européens du programme Leader n’ont pas pu être versés à cause de certains dysfonctionnements, il y a de quoi bondir et se révolter, d’autant que, comme Maryse Carrère l’a rappelé, près de 700 millions d’euros auraient échappé à la ruralité !

Selon moi, il faut aller plus loin, monsieur le ministre. Une solution doit être trouvée. Comme il existe une politique de la ville, il faudrait une politique du rural et lui allouer des fonds. Des zones franches urbaines ont été créées. Pourquoi ne pas instaurer aujourd’hui des zones franches rurales ?

La vie en milieu rural n’est pas la même que dans les métropoles, nous le savons tous. Il faut consacrer des textes ou des interventions spécifiques à la ruralité.

Inciter les entreprises à s’implanter dans les territoires ruraux vieillissants donnerait à ceux-ci un nouveau dynamisme. Y attirer des jeunes avec des enfants participerait au renouvellement des générations et contribuerait à relancer la vie dans les petites villes et villages. Plutôt que de s’agglutiner en ville, nos concitoyens pourraient trouver une qualité de vie appréciable dans nos campagnes. Mais pour cela, tous les membres du foyer doivent pouvoir y trouver du travail.

Monsieur le ministre, il est nécessaire de nous aider à encourager l’emploi et à renforcer l’attractivité de nos territoires, car c’est de cela qu’il s’agit. Seule une action politique forte, avec des mesures lisibles et des incitations fiscales et sociales, pourrait redonner une nouvelle dynamique à nos territoires. Comme mes collègues l’ont souligné, la ruralité est une chance pour notre pays.

En attendant, le maintien des dispositifs existants – je pense notamment aux ZRR – est essentiel, tout comme le sont la présence des services publics et la création de nouveaux aménagements. En tout état de cause, monsieur le ministre, nous comptons sur vous pour mettre en œuvre ces zones franches rurales indispensables à la renaissance de nos territoires ruraux. (Applaudissements sur les travées du groupe Union Centriste et du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen. – M. Jean-Paul Émorine applaudit également.)

Mme la présidente. La parole est à M. Daniel Chasseing.

M. Daniel Chasseing. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous débattons aujourd’hui, afin de dresser un bilan des dispositifs de soutien aux territoires ruraux les plus fragiles, à la suite d’une demande tout à fait pertinente du groupe du RDSE.

Le premier constat que nous pouvons partager est qu’il existe non pas une ruralité, mais des ruralités. D’une part, il existe une ruralité périurbaine, avec des zones en expansion. Les élus doivent continuer de promouvoir le foncier là où les activités économiques et culturelles se développent. Il convient également de promouvoir les services publics. C’est un challenge souvent difficile, mais enthousiasmant. D’autre part, il existe une ruralité profonde, plus éloignée. Cette ruralité, c’est celle où les élus se battent chaque jour pour maintenir la vie et la création d’emplois dans leurs territoires.

Cette hyper-ruralité a besoin d’un soutien spécifique, et c’est donc d’elle que je vous parlerai dans le cadre de ce débat. Il y va de l’avenir de notre cohésion territoriale : le principe constitutionnel d’égalité des territoires est en jeu !

À en croire les élus locaux de ces territoires, nous sommes aujourd’hui à la croisée des chemins. Les dispositifs mis en place n’ont pas tous été à la hauteur de l’enjeu.

Je pense d’abord aux zones de revitalisation rurale. S’il s’agit bien d’un projet initialement ambitieux, le dispositif se révèle aujourd’hui fragile, avec des aides diminuées, et peu efficace sur le plan opérationnel. Malgré les évolutions annoncées par le président François Hollande en 2015 et en 2016 lors des comités interministériels aux ruralités de Vesoul et de Privas, rien n’a changé. Les ZRR n’ont pas répondu aux attentes des territoires ruraux les plus fragiles.

Je pense ensuite aux contrats de ruralité. Ils sont censés coordonner les actions et les moyens pour faciliter le financement des PETR, avec l’accessibilité des populations aux services et aux soins. Ces contrats vont dans le bon sens, mais leur concrétisation n’est pas à la hauteur des attentes.

Concernant les éléments financiers, le bilan est plus positif : la DGF des communes se stabilise en 2018, mais reste deux fois moindre par habitant que pour les villes. La DETR et la DSIL augmentent légèrement.

Le développement des maisons de santé, du plan Santé et des maisons de services au public se poursuit. Voilà des dispositifs qui peuvent contribuer à renforcer l’offre de santé dans ces territoires, de même que la suppression du numerus clausus ou les aides à l’installation des médecins. C’est indispensable pour le maintien de la médecine en zone rurale. Il faudra également, comme en ville, mieux prendre en charge la dépendance à domicile et dans les établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes, les Ehpad.

Certains dispositifs récemment mis en place apportent des réponses concrètes au sentiment d’abandon de ces territoires. C’est notamment le cas du déploiement accéléré du haut débit et de la résorption des zones blanches pour la téléphonie mobile.

Par exemple, en Corrèze, qui a courageusement été maître d’ouvrage, les gouvernements successifs et la région se sont engagés pour permettre l’accès de tous les foyers à la fibre en 2021, afin que les entreprises continuent de s’y implanter, que les touristes s’y rendent et que les particuliers puissent y mener une vie semblable à celle de leurs concitoyens sur le reste du territoire. C’est la base indispensable.

Toutes les dispositions que je viens d’énumérer ont une utilité et doivent être poursuivies. Mais l’État doit aussi s’engager dans une stratégie ambitieuse et cohérente pour la ruralité, afin d’y maintenir la vie par des créations d’emplois. Il faut consacrer de l’ingénierie aux territoires les plus fragiles, en prévoyant des moyens pour accompagner les communes et les EPCI, mais surtout en ayant une vision et une ambition pour les ruralités profondes.

Cela doit être une grande cause du ministère de la cohésion des territoires pour maintenir la vie dans nos départements les plus fragiles. Cette politique doit être relayée dans les territoires par des « préfets développeurs », aux côtés des élus locaux, des chambres consulaires, des départements, des régions et des fonds européens.

Seule une politique volontariste de création d’emplois pourra encourager l’installation de jeunes actifs en aidant les artisans et les TPE à maintenir et à développer l’activité économique.

Les dispositifs des zones franches, évoqués par Jean-Claude Luche, paraissent à cet égard pertinents. Pour les EPCI d’une densité inférieure à 15 habitants au kilomètre carré, par exemple, il faudrait également prévoir des ZRR nouvelle formule, avec des aides importantes, non diluées dans le cadre des PETR ruraux ou hyper-ruraux.

En effet, les EPCI de ces zones hypo-denses n’ont pas, seuls, les moyens de soutenir les entreprises, d’autant que les nouvelles régions n’aident plus l’immobilier d’entreprise. Cet effort doit désormais être réalisé avec le concours de l’État.

Cela passe aussi par une poursuite des mesures contenues dans la loi pour l’équilibre des relations commerciales dans le secteur agricole et alimentaire et une alimentation saine, durable et accessible à tous, dite loi Égalim, dont les agriculteurs attendent les premiers effets.

Dans un secteur où trois quarts des emplois ont été perdus depuis trente ans, l’application de la loi et le débat européen qui s’ouvre seront suivis avec beaucoup d’intérêt…

Tout comme les communes retenues au programme « Action cœur de ville », les bourgs-centres doivent bénéficier du Fisac. Ils doivent également bénéficier d’accompagnement pour la réhabilitation des logements. La DGF par habitant doit aussi être égale dans les campagnes et dans les villes.

La mobilité constitue également un enjeu essentiel pour la ruralité profonde. Je pense notamment aux actifs qui n’ont d’autre choix que de prendre leur voiture et de parcourir quotidiennement de longues distances pour aller travailler. L’État doit trouver une solution pour compenser ces frais qui ne peuvent pas seulement être pris en charge par l’entreprise. La taxe carbone ne doit pas être augmentée.

Enfin, le potentiel touristique de ces zones rurales pourrait être amélioré par le financement de la réhabilitation de logements touristiques et des hôtels-restaurants.

Au sein du groupe Les Indépendants – République et Territoires, nous pensons qu’il faut réinventer les ruralités avec une présence forte de l’État. Il importe d’engager des actions volontaires dans l’hyper-ruralité et d’y soutenir les créations d’emplois.

Nous sommes prêts à accompagner les réflexions du Gouvernement en ce sens pour améliorer enfin réellement l’attractivité de nos territoires ruraux et afin d’y maintenir la vie par une action déterminée et collective. Il est absolument nécessaire de repenser les dispositifs spécifiques de soutien de l’État aux territoires ruraux les plus fragiles. Ils doivent être plus souples, plus simples, mais surtout s’inscrire dans le cadre d’une véritable politique d’aménagement du territoire. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Indépendants – République et Territoires, du groupe La République En Marche, du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen et du groupe Union Centriste. – M. Jean-Paul Émorine applaudit également.)

Mme la présidente. La parole est à M. Charles Guené.

M. Charles Guené. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, les dispositifs de soutien aux territoires appellent sans aucun doute une évaluation et une refondation. La situation actuelle des ZRR et les modifications erratiques dont elles ont fait l’objet en sont une illustration. Je remercie donc le groupe du RDSE de l’opportunité qu’il nous offre aujourd’hui d’avoir un tel débat.

Si la réforme du zonage ZRR votée à partir du rapport d’information Calmette-Vigier partait d’un bon sentiment, consistant à évaluer le système de 1995 au regard de l’aggravation des inégalités territoriales et à l’adapter au phénomène de l’intercommunalité, la réforme adoptée dans le cadre de la loi de finances pour 2015 n’en constitue pas moins une catastrophe pour bon nombre de territoires ruraux en déclin.

Ce texte a provoqué tout d’abord une modification exceptionnelle en faveur des territoires de montagne, dont la vigilance n’est plus à démontrer, puis un report des effets du dispositif à l’été 2020 lors de la discussion de la loi de finances pour 2017.

C’est une réaction normale, nous dirons les habitués de la fiscalité locale, car toute réforme est susceptible de créer des perdants et donc des mécontents. Mais encore faut-il qu’elle mette en œuvre un dispositif plus équitable.

Je souscris, à cet égard, à la nouvelle approche territoriale qui a permis d’instaurer un zonage nouveau au niveau des EPCI, car on ne pouvait plus longtemps raisonner en termes de ressources économiques, à l’échelon communal, surtout en milieu rural. En revanche, les critères retenus sont incohérents.

On a substitué aux critères précédents de la faible démographie et du déclin de la population deux critères cumulatifs qui relèvent, par leur association mathématique, du pâté de cheval et d’alouette !

En effet, on a posé comme base nouvelle la nécessité cumulative d’une démographie inférieure ou égale à la densité nationale médiane, soit 63 habitants au kilomètre carré, et d’un revenu fiscal par unité de consommation médian inférieur ou égal à la médiane des revenus moyens des EPCI de l’Hexagone.

Lorsque l’on sait que le premier critère varie de 1 à 1 500, et le second de plus ou moins 15 %, on imagine les effets pervers d’une telle combinaison, qui substitue et privilégie la typologie sociale à la notion de déclin !

D’ailleurs, la cartographie résultant de cette opération est tout aussi choquante que lumineuse. (Lorateur montre une carte.) En effet, une grande partie des territoires ruraux de la diagonale aride à très faible démographie sort du zonage, au bénéfice d’une large partie ouest et sud-est de l’Hexagone.

J’ai certes tenté de corriger par voie d’amendement et par deux fois cette anomalie en proposant de maintenir les EPCI de moins de quinze habitants au kilomètre carré – il n’y en a que cinq en France –, dont le revenu médian par habitant « tangente » défavorablement le seuil, voire ceux de moins de vingt habitants, qui ne sont que vingt.

Le Commissariat général à l’égalité des territoires, le CGET, m’a opposé, par le biais du rapporteur général de l’Assemblée nationale, Joël Giraud, plus écouté, que de telles modifications, certes pertinentes, devraient s’intégrer dans une refondation globale de la politique en faveur des territoires ruraux : c’était en octobre 2018 !

Je ne conteste pas que sept régimes zonés coexistent actuellement – nous pourrions y ajouter les parcs nationaux –, dont la superposition fréquente rend peu lisible le régime précis.

Il n’en demeure pas moins qu’en dépit de leur prétendue non-visibilité je puis vous dire, pour avoir aidé dans une autre vie à leur mise en œuvre auprès d’un certain nombre d’entreprises, l’intérêt des dispositions relatives aux ZRR !

Même si le coût avoisine 300 millions, en mesures tant sociales que fiscales, elles ne sont pas les chimères décrites par le second rapport Louwagie-Blanc, toujours de l’Assemblée nationale. Surtout, je vous en conjure, ne nous proposez pas, comme le prescrit ce rapport, d’en transférer le montant dans la DETR. Outre le fait que nous ne nous adresserions pas aux mêmes bénéficiaires, le précédent du sort de la réserve parlementaire et de son devenir au fil du temps nous laisse dubitatifs…

Pour conclure, il faut effectivement refonder les aides aux territoires, qui vont d’ailleurs toutes s’achever en 2020. Mais il faut dès maintenant, et en urgence, que nous puissions en définir les stratégies précises pour véritablement revitaliser la ruralité à l’écart des dynamiques et qui se meurt.

Si nouveau zonage il y a, les critères doivent être absolument rediscutés sur des bases qui relèvent non pas d’une mathématique abstraite, mais de la réalité des déficits des territoires.

Mme la présidente. Veuillez conclure, cher collègue !

M. Charles Guené. Le Sénat est prêt à travailler sur l’audit complet d’une évaluation des politiques menées, et à reconstruire une stratégie adaptée à notre époque et à la diversité des territoires.

Monsieur le ministre, n’ajoutez pas au désarroi actuel la psychose du vide d’une période transitoire sans dispositif. Il y a urgence et, à cet égard, la loi de finances rectificative exceptionnelle prévue cette année pourrait en être le cadre. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

Mme la présidente. La parole est à M. Bernard Delcros. (Applaudissements sur les travées du groupe Union Centriste.)

M. Bernard Delcros. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, comme Jean-Claude Requier l’a rappelé, de nombreux mécanismes de solidarité ont été mis en place pour soutenir les territoires ruraux les plus fragiles.

Pourtant, quand on fait le bilan, on constate que les fragilités se sont accentuées pour bon nombre d’entre eux. Comment en est-on arrivé là ?

Les raisons sont évidemment multiples. Je reviendrai néanmoins sur deux d’entre elles, qui doivent nous éclairer pour l’avenir.

D’abord, les effets induits de la décentralisation qui a transféré de nouvelles responsabilités aux collectivités locales sans accompagner ces transferts de mesures efficaces de régulation des richesses. Je pourrais illustrer mon propos avec l’exemple du département du Cantal, dont l’épargne nette est aujourd’hui réduite à zéro, sous le poids des dépenses sociales qui se sont accumulées au fil du temps.

Ensuite, l’ouverture au marché de services essentiels à la vitalité des territoires. Il ne s’agit pas ici de juger de l’opportunité de cette décision. Néanmoins, faute de l’avoir accompagnée de mesures suffisamment contraignantes pour imposer aux opérateurs le même traitement dans tous les territoires de France, nous avons en réalité créé de nouvelles fractures territoriales. Les exemples de la téléphonie mobile et du numérique illustrent parfaitement cette réalité.

La question que nous devons nous poser est simple : face aux enjeux du XXIe siècle et dans un pays dont la population pourrait croître de 7 millions d’habitants d’ici à trente ans, n’avons-nous pas intérêt à engager dès aujourd’hui une politique volontariste de rééquilibrage des populations sur le territoire national ? C’est à mon sens une nécessité si nous voulons préserver la cohésion sociale dans la France de demain.

Comment sortir de cette spirale ? Nous le savons, notre société est en mutation. La qualité de vie, les nouvelles technologies sont des marqueurs de cette transformation. Mais ces évolutions sont autant de chances à saisir pour investir dans les territoires.

Nous devons tirer les leçons du passé, sortir de critères purement comptables qui nous amènent, par exemple, à lier les décisions au nombre d’habitants, alors qu’elles devraient au contraire s’inscrire dans une vision de long terme.

Autrement dit, monsieur le ministre, nous devons investir plutôt qu’assister. Réfléchissons à une stratégie de reconquête de l’espace rural visant à faire émerger des territoires exemplaires en matière de santé, d’éducation, de mobilités, de nouvelles technologies, de transition écologique, et, par là, à créer un cercle vertueux et à renforcer durablement l’attractivité de ces territoires.

À cette fin, nous devons investir : investir dans les infrastructures, investir dans les services, investir dans la matière grise. Par exemple, décidons que, désormais, tous les territoires bénéficieront des avancées technologiques au même rythme, quelle que soit leur densité de population. Ce pourrait être, monsieur le ministre, le marqueur d’une ambition d’aménagement du territoire plus visionnaire.

Ne nous y trompons pas : investir dans la ruralité aujourd’hui, c’est investir dans l’intérêt du pays pour demain. Monsieur le ministre, afin que nous avancions sur ce chemin, je vous propose que la future Agence nationale de la cohésion des territoires se voie confier la mission de garant de l’équité territoriale et de la mise en œuvre d’une politique de rééquilibrage. J’appelle vraiment de mes vœux une telle politique, tant elle conditionne la cohésion sociale dans notre pays, cohésion sociale – vous le savez – malmenée dans la période que nous traversons depuis des mois.

Nous comptons sur vous, monsieur le ministre, pour engager résolument notre pays sur la voie d’une politique d’aménagement du territoire dynamique, offensive, efficace. (Applaudissements sur les travées du groupe Union Centriste et du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen, ainsi que sur des travées du groupe Les Républicains, du groupe Les Indépendants – République et Territoires et du groupe socialiste et républicain.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Anne-Marie Bertrand.

Mme Anne-Marie Bertrand. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, la France ne se résume pas à Paris. Avec 80 % de la population vivant sur 20 % du territoire et 20 % de la population vivant sur 80 % du territoire, la France est constituée de villages, du village touristique au village agricole, en passant par le village-dortoir.

Dans le cadre de nos fonctions, nous entendons souvent que les nouveaux ruraux souhaitent les mêmes services que leurs concitoyens citadins. N’est-ce pas normal ? Vous l’aurez compris : je ne suis pas en train de parler de ceux qui souhaiteraient que les coqs se réveillent plus tard ou que nos clochers cessent de rythmer la vie de nos villages, mais bien de ceux de nos concitoyens qui ne comprennent pas pourquoi leur lieu de vie est devenu, malgré leurs impôts, une seconde zone, pour ne pas dire une seconde France.

J’entends ceux qui balaient cette question en répondant que, en vivant à la campagne, ils ont, d’une certaine manière, renoncé aux transports en commun, à l’accès aux soins à proximité, aux services de gendarmerie ou encore au haut débit. Ce raisonnement est faux en tout point.

Si certains s’installent à la campagne, c’est pour partie parce que les centres-villes sont devenus trop chers, et non par choix. Quant à ceux qui ont choisi d’y vivre, devraient-ils se contenter de remercier l’État de leur avoir fourni l’accès à l’eau et à l’électricité ? Je ne le crois pas.

Pour tâcher de remédier à cette situation, nous avons mis en place de nombreux fonds, qui, au fil des années, ont fondu.

De plus, le financement des dotations de solidarité urbaine et rurale par écrêtement interne de la DGF revient à dénaturer l’objectif de la péréquation verticale, émanation du principe de solidarité nationale garanti par notre Constitution. Les mécanismes actuels de péréquation ne permettent pas de réduire les inégalités territoriales, qui ont été considérablement accrues en raison de ces baisses de dotations.

À grand renfort de discours sur la « synergie » et la « mutualisation », on nous avait présenté les intercommunalités comme des remparts permettant aux communes rurales de s’en sortir. Force est pourtant de constater que, très souvent, dans les faits, ce sont les communes rurales qui financent les communes urbaines.

Bien sûr – il faut le noter –, certains investissements d’envergure rayonnent sur l’ensemble du bassin de vie, mais – notons-le également – les fonds que j’évoquais précédemment sont progressivement vidés de leur sens.

Par exemple, lorsque les régions votent des subventions, il faut que le projet soit porté par une intercommunalité ; lorsque le préfet dresse la liste des projets susceptibles de recevoir la DETR, les intercommunalités sont systématiquement mises en avant.

À l’heure de la vente par internet, où nos centres-villes sont en pleine mutation, à l’heure où l’on promeut – je pense à nos agriculteurs – les circuits courts et le made in France, notre ruralité peut être une chance. Nos granges peuvent devenir des ateliers d’excellence, si tant est que l’on donne à notre ruralité les moyens d’innover.

Monsieur le ministre, comprenez qu’une ruralité forte, c’est une France forte ! (Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains et du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen.)