Mme la présidente. La parole est à M. Claude Bérit-Débat. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain.)

M. Claude Bérit-Débat. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, c’est peu de dire que, depuis 1982 et la promulgation de la LOTI, une nouvelle donne pour les mobilités et le transport dans notre pays se faisait attendre.

Élu du monde rural, je constate chaque semaine dans mon département de la Dordogne les difficultés de nos concitoyens à se déplacer. Pour ceux qui n’ont d’autre solution que d’utiliser leur voiture au quotidien, les choix politiques sont sensibles : la colère déclenchée par la hausse de la fiscalité sur le gazole et relayée par les « gilets jaunes » exprime un sentiment d’abandon très prégnant dans ces « zones blanches » de la mobilité. Dès lors, ce projet de loi vise un objectif louable : renforcer les moyens pour les mobilités du quotidien et dégager des marges de manœuvre pour les collectivités afin de s’en emparer.

Madame la ministre, je salue la concertation menée en amont de ce texte, mais je regrette tout autant que vous ayez présenté le projet de loi pour un nouveau pacte ferroviaire sans discuter en premier lieu des orientations liées à la mobilité dans son ensemble.

Le contexte politique et social, nous le savons, a retardé l’examen de votre texte. À l’origine, il devait comporter plus de 150 articles. Finalement, leur nombre a été limité à 54, puis à 44, après les arbitrages de Bercy et de Matignon. Dès lors – c’est un peu son péché originel –, le texte étudié en commission présentait plusieurs lacunes importantes, en particulier s’agissant des financements pérennes dédiés aux infrastructures. Vous avez vous-même concédé le besoin de trouver 500 millions d’euros supplémentaires à partir de 2020 pour garantir les ressources de l’Afitf.

À ce sujet, je tiens à saluer l’important travail du rapporteur Didier Mandelli,…

M. Gérard Larcher. Très bien !

M. Claude Bérit-Débat. … qui a su proposer un grand nombre de dispositifs de compromis pour compenser les carences identifiées.

Parmi les 240 amendements adoptés en commission, plusieurs mesures me paraissent aller dans le bon sens : le COI sera de nouveau gravé dans le marbre de la loi ; la programmation financière liée à la réalisation des infrastructures de transport sera examinée par le Parlement ; surtout, les ressources de l’Afitf seront sanctuarisées et l’on affectera des recettes pérennes liées à la TICPE, notamment celles qui ont été décidées en 2014 pour compenser l’arrêt de l’écotaxe.

Du point de vue de la gouvernance, satisfaire l’objectif d’assurer une offre de mobilité partout sur notre territoire et pour tous signifie donner aux collectivités les moyens de mettre en œuvre cette compétence. Aussi, j’approuve la philosophie du texte, consistant à faire des régions les chefs de file des mobilités dans notre pays, aux côtés des EPCI. Mais ces derniers doivent pouvoir bénéficier de marges de manœuvre plus grandes pour se saisir, eux aussi, des compétences dédiées. La mise en œuvre d’un versement mobilité plus souple et plus strictement conditionné à l’organisation de services réguliers répond à cet impératif, de même que l’affirmation des contrats de mobilité comme outils adaptés pour inciter plus encore au conventionnement.

Je me félicite tout particulièrement de l’attribution d’une partie de la TICPE aux mobilités dans les territoires peu denses. Cette solution permettra aux AOM de compléter le produit d’un versement mobilité insuffisant dans certains départements, comme le mien, où le potentiel fiscal peut se révéler à la fois faible et très inégalement réparti.

En outre, le fléchage des certificats d’économies d’énergie vers le secteur des transports pour promouvoir la mobilité propre est, à mes yeux, une idée séduisante. Ce type de mesure rejoint notre volonté de vous proposer plusieurs nouvelles pistes de financements innovants, tant au profit de l’Afitf que des collectivités territoriales, afin de mieux répondre au défi des mobilités de demain.

Avec mes collègues du groupe socialiste, nous défendrons plus d’une centaine d’amendements, qui tendent à aller encore plus loin au profit des collectivités et des initiatives locales : création d’un versement mobilité additionnel et transitoire pour financer localement des projets d’infrastructures ; fléchage d’une partie de la TICPE vers les EPCI développant des services de mobilité sobre et faiblement émettrice ; ou encore meilleure association des départements, détenteurs de la compétence de gestion des routes, aux politiques de mobilité. Certes, notre proposition d’instaurer une redevance kilométrique pour les poids lourds, assortie d’une suppression de la taxe à l’essieu, n’a pas passé le couperet de l’article 40, mais elle reflète notre volonté de doter le pays d’un dispositif conforme aux règles européennes visant à faire contribuer les transporteurs étrangers au financement de notre réseau routier national, sans les discriminer sur la base d’arguments nationalistes contestables.

Nous serons très attentifs au débat que suscitera notre proposition de grand emprunt national au profit des infrastructures de transport. En effet, nous avons l’audace de penser, dans la lignée de plusieurs économistes de renom, que le financement des mobilités durables, comme celui de la transition énergétique, doit bénéficier d’un véritable plan d’investissement sur le long terme.

Enfin, madame la ministre, j’évoquerai les amendements que vous avez déposés tardivement. L’un d’eux vise à permettre le transfert de certaines lignes ferroviaires à des collectivités territoriales. Mais d’autres, et nous le regrettons, tendent à revenir sur les avancées votées en commission. J’ajoute que certaines dispositions,…

Mme la présidente. Il faut conclure !

M. Claude Bérit-Débat. … très techniques, échappent à l’évaluation du Conseil d’État.

Mes chers collègues, vous l’aurez compris, au long de ce débat, les élus de notre groupe veilleront à être constructifs tout en se montrant vigilants et attentifs aux réponses apportées. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Michèle Vullien. (Applaudissements sur les travées du groupe Union Centriste.)

Mme Michèle Vullien. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, enfin, nous y sommes : trente-cinq ans après la LOTI, le projet de loi d’orientation des mobilités, tant attendu par les acteurs du secteur et les citoyens, est à l’étude. Qui plus est, la première lecture commence devant le Sénat. Le fait est suffisamment rare pour être souligné !

Madame la ministre, pour la confiance que vous témoignez à la Haute Assemblée, pour votre qualité d’écoute lors des différents échanges et pour les nombreuses phases de concertation menées en préparation de ce projet de loi, je tiens à vous remercier tout particulièrement.

Je remercie également notre rapporteur, Didier Mandelli. Certains de mes collègues l’ont déjà dit : il a ouvert avec bienveillance les auditions à tous les élus de la commission de l’aménagement du territoire et du développement durable. Il a su rester attentif aux demandes, remarques et propositions faites tout au long du processus de travail.

Je souhaite également remercier les organismes professionnels, associations d’élus ou de citoyens, les entreprises, les collectivités avec qui nous avons eu des échanges constructifs durant nos travaux pour améliorer un texte qui se devra de faire référence durablement.

Mes chers collègues, comme vous le savez, ce projet de loi est essentiel, car la mobilité est absolument indispensable à tous les actes de la vie. Elle concerne tous les citoyens, quels que soient leur statut, leur âge, leur lieu de résidence, qu’ils soient femme ou homme, actif ou retraité, demandeur d’emploi ou étudiant. Que l’on vive en ville ou à la campagne, dans une métropole ou une commune isolée, on a toujours besoin de se déplacer pour étudier, travailler, se soigner, faire des courses, se cultiver ou aller voir des amis. Même pour utiliser un espace de coworking, il faut se déplacer.

La vie « à distance », avec les outils numériques, n’abolit pas la nécessité de se déplacer : un livreur devra toujours venir à notre domicile si nous commandons par internet. Ce constat met d’ailleurs en lumière les impératifs de la logistique du dernier kilomètre.

Le maître mot, l’objectif principal, l’enjeu, c’est bien qu’il n’y ait plus aucune « zone blanche » de mobilité sur notre territoire. Voilà pourquoi nous devons engager une réflexion sur la notion d’équité, notion différente de l’égalité stricte, entre tous nos territoires et sur la nécessité de trouver des solutions adaptées à la réalité concrète du terrain.

Plus que jamais, cette situation nous interroge quant aux solutions de mobilité pour tous, qui, de manière évidente, n’excluent pas la voiture, même si elle est de moins en moins sacro-sainte ; quant aux solutions ad hoc en fonction des territoires ; quant à l’impérieuse nécessité de créer un cadre propice au dialogue, à la décision et au financement entre les différentes strates administratives concernées.

Ce projet de loi nous conduit également à nous interroger sur le partage des données. Cherchant constamment à me mettre en situation d’usage et empruntant régulièrement les transports publics, je considère que tous les travaux entrepris dans la logique du MaaS – Mobility as a Service – vont dans le bon sens s’agissant déjà d’intermodalités, des mobilités actives au mass transit, de la marche à pied aux navettes autonomes. Le transfert des données à l’autorité organisatrice est alors une condition sine qua non de la pertinence de l’outil. Tandis que plane l’ombre de GAFA, il est de notre devoir de définir les conditions du succès de ces nouveaux services, en s’assurant qu’aucun prestataire privé ne puisse en tirer un avantage concurrentiel. L’intérêt général doit primer les intérêts particuliers.

Malgré toutes ces bonnes intentions, nous déplorons qu’au fil des jours, ou des arbitrages interministériels, ce texte tant attendu se soit vidé petit à petit de sa substance au point de manquer singulièrement d’ambition, notamment au regard de l’enjeu climatique et du développement durable. Le projet de loi a été dangereusement édulcoré pour ne pas faire de vagues dans le contexte politique actuel. C’est la raison pour laquelle il était nécessaire de l’amender. Le grand nombre d’amendements déposé est d’ailleurs significatif, et le groupe Union Centriste sera particulièrement attentif à la suite des débats. Ces derniers ne manqueront pas d’être animés, car, en la matière, nous sommes au cœur du quotidien de nos concitoyens.

Il est également dommage d’examiner ce projet de loi en sachant que certaines de ses lacunes ne pourront être gommées à court terme ; parce que des sujets, pourtant essentiels, demeurent à l’étude au sein du ministère – je pense à la péréquation du versement mobilité ou encore à la taxe pour les poids lourds étrangers – ; parce que des travaux sont en cours – je pense notamment au rapport du préfet Philizot sur le devenir des petites lignes ferroviaires ; d’ailleurs plusieurs collègues l’ont déjà dit, les enjeux ferroviaires ont été finalement gommés de ce texte – ; parce que le projet de loi a trop largement recours aux ordonnances.

Enfin, au même titre que mes collègues, je ne peux que m’interroger sur la problématique du financement : financement des infrastructures, financement des solutions de mobilité choisies par les autorités organisatrices, financement de la régénération, financement de la dette de la SNCF.

Madame la ministre, j’approuve totalement votre point de vue lorsqu’il s’agit de définir une programmation sincère et crédible. Nos concitoyens ne peuvent plus accepter les reports systématiques, les promesses non tenues, les DUP non respectées, les atermoiements et les délais glissants : souvent, on laisse passer tant de temps que les infrastructures sont construites sur la base d’études et de solutions obsolètes ! Pourtant, la programmation de l’hypothèse 2 de l’excellent rapport du Conseil d’orientation des infrastructures, instance que nous souhaitons tous voir pérenniser, est rapidement devenue une programmation « 2 moins ». Surtout, elle n’est assortie d’aucune garantie financière. Vous conviendrez que l’on gagne beaucoup en crédibilité lorsque l’on apporte lesdites garanties. Or, j’y insiste, je ne les vois pas vraiment. Il semble qu’il faille attendre le prochain projet de loi de finances pour les obtenir.

Plusieurs dossiers brûlants, volontairement laissés hors du cadre du COI, alors qu’ils représentent des enjeux financiers colossaux, ne font que renforcer mon inquiétude. Je pense au Lyon-Turin, au Grand Paris Express ou encore au canal Seine-Nord-Europe.

La présentation récente du budget de l’Afitf n’est pas parvenue à nous rassurer. Je fais partie de ceux pour qui les ressources issues des mobilités, la TICPE notamment, doivent être fléchées vers les mobilités. Les taxes, péages, impôts et autres redevances ont alors un sens, une réalité objective facilitant leur acceptation. Imaginer un financement d’infrastructures prioritaires en les corrélant à la productivité des radars, sachant que l’Afitf est la dernière servie, relève plus du non-sens que de la stratégie.

Pour conclure, alors que j’évoquais à l’instant les problèmes de financement, je voudrais vous lancer un défi, madame la ministre.

La baisse de la dotation globale de fonctionnement a amené les collectivités locales à revoir leur organisation, à remettre en question les process, à améliorer leur politique d’achats, dans un souci constant d’économie. Je n’ai pas de réponse toute faite à vous proposer, mais la discussion du projet de loi d’orientation des mobilités me semble offrir l’occasion rêvée de nous interroger sur la multiplicité des organismes publics et parapublics intervenant sur la thématique des mobilités, sur leurs missions, leur pertinence, leur fonctionnement et leur efficience, ainsi que sur la multiplicité des documents d’orientation, des schémas directeurs, souvent rédigés selon des temporalités différentes. Si le Sraddet, le schéma régional d’aménagement, de développement durable et d’égalité des territoires, doit devenir un document de référence pour les mobilités, musclons-le comme il doit l’être et clarifions sa position par rapport aux autres schémas. Seuls les spécialistes parviennent à s’y retrouver dans cet emboîtage de schémas. De même, nous avons ici l’occasion de mettre en question la profusion normative, qui engendre des dépenses importantes, ainsi que les approches en silo qui empêchent une vision globale et transversale. L’intermodalité relève d’une approche globale des mobilités, tenant compte de ce qui se passe dans les territoires alentour.

Madame la ministre, mes chers collègues, notre tâche est sans nul doute complexe, mais nous ne devons pas décevoir nos concitoyens : nous savons combien leur attente est fébrile. (Applaudissements sur les travées du groupe Union Centriste.)

Mme la présidente. La parole est à M. Rémy Pointereau. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Rémy Pointereau. Madame la présidente, madame la ministre, madame, monsieur les rapporteurs, chers collègues, nous attendions ce projet de loi d’orientation des mobilités, dit LOM, depuis un certain temps, comme nos concitoyens, préoccupés par les problématiques d’accès aux infrastructures routières, ferroviaires ou maritimes. Madame la ministre, ils attendent du Gouvernement, et par la force des choses de nous, la mise en œuvre d’une politique volontariste pour un meilleur aménagement du territoire. Cet objectif nous oblige.

Malheureusement, le texte initial ne plaçait pas cette préoccupation au sommet des priorités du projet de loi et, comme ce fut le cas d’ailleurs avec la réforme de la SNCF, il aura fallu attendre que le Sénat s’investisse pour que la question de l’aménagement, et plus précisément celle du désenclavement des territoires, en devienne l’objet principal.

Je salue le travail réalisé en ce sens dans un esprit constructif et exigeant par les rapporteurs, Françoise Gatel, Benoît Huré et, tout particulièrement, Didier Mandelli et l’équipe qui l’a accompagné.

Ce projet de loi comporte cinq titres, mais l’un d’entre eux a fait l’objet d’une attention particulière de la part de notre commission : celui relatif à la programmation des investissements de l’État dans les infrastructures de transport. Cette programmation s’appuie essentiellement sur le rapport du comité d’orientation des infrastructures publié en février 2018, qui présentait trois scénarios en matière de priorités d’investissements.

Madame la ministre, vous avez opté pour le scénario n° 2. Je ne souhaite pas m’attarder sur les difficultés de financement clairement identifiées et corrigées par notre commission, qui a prévu des ressources crédibles et pérennes pour financer cette réforme. Toutefois, je veux vous dire que le choix de ce scénario est, de mon point de vue, la plus importante marque de renonciation à l’ambition initiale du texte, à savoir « offrir à nos concitoyens, sur l’ensemble du territoire, des solutions de déplacement à la hauteur de leurs attentes et des enjeux d’aujourd’hui », comme l’indique la première phrase de l’exposé des motifs.

En effet, en optant pour le deuxième scénario plutôt que pour le troisième, le Gouvernement fait le choix d’enterrer des projets qui, pourtant, permettraient tout à fait de réduire le fossé entre les habitants des métropoles et des centres urbains connectés, efficacement reliés aux pôles économiques, et nos concitoyens exclus de l’accès aux réseaux et aux offres de transport.

L’un de ces projets me tient particulièrement à cœur : celui de la ligne à grande vitesse Paris-Orléans-Clermont-Ferrand-Lyon, la POCL. Né en 2007 et toujours inscrit dans le Grenelle de l’environnement, ce projet, comme d’autres, ne cesse de faire l’objet d’une procrastination étatique. Son utilité a pourtant été démontrée par la commission Mobilité 21, selon laquelle il présente « la double caractéristique de répondre à la saturation prévisible de la LGV Paris-Lyon, mais aussi de mieux connecter les territoires du centre de la France au réseau de la grande vitesse ».

Madame la ministre, souhaiter la réalisation d’une LGV ne relève pas d’un caprice : c’est une infrastructure qui permet de mettre en œuvre des politiques de développement local de grande envergure et ainsi de replacer les territoires concernés sur les rails de la modernité. Voyez le développement qu’ont connu Lyon, Strasbourg, Reims, Rennes ou Bordeaux !

Je suis conscient des problèmes posés par le financement et la dette, mais, comme dans une entreprise performante, nous devons définir des perspectives à long terme – quinze ou vingt ans –, ainsi que le faisait autrefois la Datar, la Délégation interministérielle à l’aménagement du territoire et à l’attractivité régionale. À l’instar d’une entreprise, un pays qui n’investit plus est un pays qui se meurt. (Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains.) Il ne faut pas confondre dette de fonctionnement et dette d’investissement. Nous avons besoin d’un cap et nous devons donner de l’espérance aux territoires oubliés.

Nous sommes d’accord pour privilégier la rénovation et la modernisation des lignes existantes, à l’image de la ligne Paris-Orléans-Limoges-Toulouse, dite POLT, mais le projet de loi est muet sur le calendrier des travaux nécessaires à ce titre, de même que sur les plus petites lignes. Ainsi, on n’y trouve pas un mot, pas une note de bas de page sur la ligne Paris-Bourges-Montluçon, alors que son état, comme d’ailleurs celui de bien d’autres, est très dégradé à cause des reports successifs d’investissements.

En ce sens, je me réjouis que nous ayons pu, avec l’appui du rapporteur, insérer dans le projet de loi, sans pour autant revenir, madame la ministre, sur votre préférence pour le scénario n° 2, une programmation qui n’abandonne pas des projets inscrits dans le scénario n° 3.

Au fond, nous n’avons qu’un seul désir : que l’État renoue avec ce que l’on appelait, dans l’ancien monde, l’« âge d’or de l’État aménageur » ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et sur des travées du groupe Union Centriste.)

Mme la présidente. La parole est à M. Alain Fouché. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Indépendants – République et Territoires et sur des travées du groupe Union Centriste.)

M. Alain Fouché. Madame la présidente, madame la ministre, monsieur le président de la commission, mes chers collègues, ce texte positif est très attendu par nos territoires et nos concitoyens.

Le travail de la commission a notamment permis de mettre en évidence certaines difficultés de financement. Il est évident que de nouvelles ressources vont devoir être trouvées. Les solutions proposées par la commission à cet égard nous paraissent aller dans le bon sens.

Se pose également la difficulté tenant à l’écart d’un peu plus de 200 millions d’euros entre le budget de l’Afitf pour 2019, tel que prévu par ce projet de loi, et celui qui a été publié le 27 février dernier par l’agence elle-même.

La France a depuis longtemps besoin d’investissements importants pour maintenir et développer ses infrastructures de transport ; ce n’est pas une nouveauté. La situation actuelle de nos territoires n’est pas satisfaisante : beaucoup d’entre eux ont toujours besoin d’être désenclavés, d’où la pertinence de ce projet de loi.

J’éprouve cependant un regret, madame la ministre : les thèmes du transport aérien et du fret ferroviaire n’ont pas été traités. Dans certains territoires de France, pourtant, le désenclavement passe nécessairement par le transport aérien. Je fais ici référence, en particulier, à la France d’outre-mer.

Ce projet de loi ne résoudra pas tous les problèmes, mais il contient cependant de nombreuses mesures intéressantes. Nos territoires vont pouvoir développer leurs propres solutions, adaptées à leurs spécificités : c’est important pour la ruralité, car il n’y a pas que Paris en France, monsieur Karoutchi ! (Sourires.)

M. Roger Karoutchi. Bien entendu !

M. Alain Fouché. On peut en effet compter sur leur ingéniosité pour imaginer des solutions pragmatiques, mais il faudra mobiliser des fonds suffisants pour que celles-ci puissent être mises en œuvre.

Certains territoires ne nous ont d’ailleurs pas attendus. À ce titre, l’ouverture des données est une très bonne chose. Des solutions de mobilité existent parfois déjà, mais elles ne sont pas assez utilisées, faute d’être suffisamment connues du public. On peut aussi penser que cette ouverture permettra l’élaboration de nouvelles solutions.

Plus généralement, ce projet de loi fixe un cadre favorable à l’innovation. Nous espérons que cela permettra l’émergence de synergies, tant en matière de mobilité qu’en matière économique. Nous en avons besoin, car il ne faut pas opposer les différents modes de transport entre eux, non plus que les citadins aux ruraux. C’est dans la complémentarité que nous saurons créer un système plus efficace et plus juste. Ce texte permettra, à mon sens, d’y parvenir. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Indépendants – République et Territoires, ainsi que sur des travées du groupe Union Centriste et du groupe Les Républicains.)

M. Roger Karoutchi. Très bien !

Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Pierre Vial.

M. Jean-Pierre Vial. Madame la présidente, madame le ministre, mes chers collègues, s’il est difficile de prédire quelle sera la place de ce texte dans l’histoire des transports de notre pays, nul ne peut contester que, par son intitulé, il marque une rupture avec un monde organisé sous l’autorité de l’État. Vous me permettrez de concentrer mon propos sur le sujet de l’État stratège.

M. Bruno Le Maire évoquait, en fin de semaine dernière, son ambition de voir la France redevenir la première économie du continent d’ici à quinze ans, en rappelant que, il y a vingt ans, notre économie était comparable à celle de l’Allemagne, ce qui est vrai ! Il aurait pu ajouter que les capacités ferroviaires de transport de marchandises des deux pays étaient alors également équivalentes. Cependant, les nôtres se sont effondrées à hauteur de plus de la moitié, quand celles de l’Allemagne ont progressé de plus de 40 %.

Madame la ministre, vous vous étonniez récemment que l’Europe n’ait pas retenu les ports français au titre de la stratégie post-Brexit. Il est en effet regrettable de constater que, si la France est la proue de l’Europe dans l’Atlantique, Le Havre ne figure pas parmi les cinquante premiers ports mondiaux et que plus de 50 % des marchandises importées dans notre pays transitent par des ports étrangers.

La création de la liaison Lyon-Turin s’inscrit donc clairement dans l’enjeu méditerranéen de demain. Lancée par Cavour en 1857, avant que la Savoie ne devienne française, la construction de ce tunnel ferroviaire fut une première mondiale. Aujourd’hui, le trafic de marchandises entre la France et l’Italie atteint 40 millions de tonnes, pour 3 millions de poids lourds. Les chiffres du trafic entre la Suisse et l’Italie sont équivalents, mais les Suisses viennent de descendre sous le seuil de 1 million de poids lourds, quand le Lyon-Turin permettrait à terme d’en reporter un million sur le rail.

C’est lors du sommet d’Essen, en 1993, que le Lyon-Turin a été retenu parmi les grandes infrastructures européennes à réaliser. En 2010, le Conseil européen a confirmé le « corridor méditerranéen » allant d’Espagne jusqu’en Hongrie, avec franchissement des Alpes par la section Lyon-Turin.

L’ambition politique française a été affichée très tôt, dès le traité de Turin de 2001, avec l’engagement du Président de la République de l’époque, Jacques Chirac, confirmé successivement par les présidents Nicolas Sarkozy, François Hollande et, plus récemment, Emmanuel Macron. Vous-même, madame le ministre, avez rappelé que le tunnel transfrontalier et ses accès faisaient partie intégrante du traité transfrontalier relatif au Lyon-Turin ; je vous en remercie.

L’actualité nous conduit à rappeler que le tunnel transfrontalier de 57,7 kilomètres, d’un coût de 8,6 milliards d’euros, est financé à 40 % par l’Europe, à 35 % par l’Italie et à 25 % par la France, alors que l’ouvrage est situé à 80 % sur notre territoire, au cœur des accès de la liaison Lyon-Turin, d’une longueur de 270 kilomètres. Avec ce tunnel de basse altitude, la France se mettra au niveau des infrastructures transfrontalières européennes de l’arc alpin, après les tunnels du Lötschberg, du Saint-Gothard et du Brenner.

Mais la question des accès reste au cœur des enjeux nationaux et régionaux, en vue de pouvoir disposer d’une infrastructure de haute capacité : franchissement du verrou de Chambéry, en Savoie, règlement du nœud lyonnais par le contournement ferroviaire de l’agglomération lyonnaise, le CFAL, accès à Grenoble, demandé par les élus de l’Isère, défi écologique du report du trafic de la route sur le rail.

L’intention exprimée par les collectivités territoriales de la région de participer au financement à hauteur de 1 milliard d’euros témoigne de l’importance que représentent pour elles ces accès. Il faut souligner la possibilité de prévoir un phasage : vous savez que le lancement d’une tranche opérationnelle de moins de 4 milliards d’euros pourrait être envisagé. Le dépôt par notre collègue Bruno Gilles d’un amendement soulignant l’urgence de traiter le nœud lyonnais afin de garantir l’axe nord-sud d’accès au port de Marseille est révélateur de la situation.

Au regard de ces défis, j’ai deux questions précises à vous poser, madame le ministre.

La première concerne les financements européens. Le Gouvernement italien a accepté la poursuite des travaux et des appels d’offres du tunnel transfrontalier, en saisissant Bruxelles pour renégocier les financements. Or la Commission européenne a présenté, en juin dernier, une proposition visant à renouveler le mécanisme pour l’interconnexion en Europe, le MIE, en portant le cofinancement de l’Europe de 40 % à 50 % pour les projets liés aux liaisons transfrontalières. Le Lyon-Turin, qui relève de ces grands projets, est éligible à cette augmentation de taux pour le tunnel, mais également pour le financement des accès. À un moment aussi décisif pour ce projet, la France doit saisir cette occasion européenne. Pouvez-vous nous assurer, madame le ministre, que la France sollicitera Bruxelles, conjointement avec l’Italie, pour le financement du tunnel et des accès ?

Ma seconde question concerne le transfert modal. La France a toujours affiché l’objectif d’un report d’un million de poids lourds de la route sur le rail, une ambition écologique rappelée par Nicolas Hulot. La décision de principe a été prise en 2009 : depuis dix ans, nous attendons une nouvelle impulsion, avec l’appel à projets pour la création d’une plateforme dans l’Est lyonnais. Pouvez-vous, madame le ministre, vous engager à mettre en œuvre cette nouvelle étape indispensable et urgente pour la sécurité et la qualité de l’environnement de nos vallées alpines ? (Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains.)