M. le président. La parole est à Mme la ministre des solidarités et de la santé.

Mme Agnès Buzyn, ministre des solidarités et de la santé. Monsieur le sénateur Jean-Luc Fichet, vous posez plusieurs questions en une seule !

Je vais d’abord vous répondre sur les aides et les incitations financières à l’installation : cette politique existe, elle a effectivement été développée lors des quinquennats précédents, mais ce n’est pas la mienne. J’ai d’ailleurs demandé qu’une mission d’évaluation se penche sur ces aides incitatives qui provoquent souvent des effets d’aubaine et qui n’ont jamais réussi à pérenniser des médecins.

Ce n’est pas la politique que je porte dans le cadre du plan Ma santé 2022, qui s’intéresse, au contraire, à l’aspect qualitatif de l’exercice professionnel des médecins qui s’installent. Il s’agit de leur donner envie de s’engager dans les territoires en favorisant l’exercice pluriprofessionnel et les délégations de tâches avec d’autres professionnels de santé – notamment autour des pathologies chroniques –, en leur permettant de récupérer du temps médical grâce à des assistants médicaux.

Il s’agit aussi de favoriser des consultations avancées de spécialistes qui viennent des hôpitaux publics, ou même du secteur libéral, et de développer ces consultations itinérantes sur le territoire.

Nous souhaitons également redonner de la place dans les hôpitaux de proximité aux médecins généralistes qui visent des exercices diversifiés.

C’est une politique incitative, mais pas uniquement financière, loin de là. Nous voulons pérenniser dans les territoires les médecins qui ont envie d’y être et qui prennent du plaisir à soigner les malades. C’est la politique que je mène.

Nous sommes beaucoup interpellés sur la coercition et sur les mesures qui pourraient obliger les médecins à s’installer. Malheureusement, comme vous le savez, nous souffrons d’une démographique médicale catastrophique, qui n’a pas été anticipée. Nous avons quelques années difficiles devant nous. Aujourd’hui, il n’y a plus de zones sur-denses en France. Il n’y a plus de zones d’où l’on pourrait retirer des médecins généralistes pour les installer ailleurs sur le territoire.

Toutes les mesures proposées visant au déconventionnement n’aboutiraient, en réalité, qu’à une médecine à deux vitesses. Je ne crois pas en l’efficacité de ces mesures, qui n’ont fonctionné dans aucun pays.

Favorisons plutôt un exercice pluriprofessionnel de qualité pour les médecins. Ils viendront s’installer. (Applaudissements sur les travées du groupe La République En Marche et sur des travées du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen. – Mme Élisabeth Doineau applaudit également.)

M. le président. La parole est à M. Jean-Luc Fichet, pour la réplique.

M. Jean-Luc Fichet. Je vous remercie, madame la ministre, de votre réponse. Malheureusement, elle ne me satisfait pas complètement.

Toutes ces mesures existent déjà depuis de nombreuses années. Il n’en reste pas moins que les territoires ruraux et périurbains restent sans médecins, sans offres de santé.

Les médecins formés aujourd’hui s’orientent non pas vers la médecine de ville, mais vers les hôpitaux, là où ils ont été formés. Sans doute faudrait-il prévoir des stages auprès des médecins libéraux dans le cursus universitaire. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain. – MM. Jackie Pierre et Michel Raison applaudissent également.)

missions locales

M. le président. La parole est à Mme Marta de Cidrac, pour le groupe Les Républicains. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – Mme Élisabeth Doineau applaudit également.)

Mme Marta de Cidrac. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, les missions locales font partie intégrante du service public de l’emploi pour les jeunes de 16 à 25 ans. Elles accueillent chaque année environ 1,3 million de jeunes à l’échelle nationale.

Nous constatons aujourd’hui une multiplicité d’initiatives de toutes parts : logiques de bassin, fusions, baisse des subventions de fonctionnement, financement via des appels à projets, mise en place d’un bonus-malus, et cela sans concertation avec le réseau des missions locales, acteurs indispensables dans les territoires pour l’emploi de nos jeunes.

En dépit de la diversité des personnes accueillies, dont certaines sont déjà exclues de tout autre dispositif ou structure, ce sont plus de 1 million de situations professionnelles qui ont été mobilisées pour les jeunes par les missions locales, dont 544 000 contrats de travail – en hausse de 3 % sur un an –, 40 000 contrats en alternance – en augmentation de 8 % sur un an – et 16 000 retours en formation – en hausse de 7 %.

Les missions locales doivent leur réussite à un accompagnement global et personnalisé du public concerné et à une expertise de leur territoire et de son contexte économique.

Mais n’oublions pas que les missions locales ce sont également des équipes, dont l’inquiétude s’accroît en raison d’une absence de lisibilité de leur devenir.

Monsieur le ministre, ce manque de confiance dans leur avenir crée une tension sociale dans le réseau. Quelles sont les intentions du Gouvernement quant au devenir des missions locales ? Souhaitez-vous consolider ces structures pour les mettre au cœur de la bataille pour l’emploi des jeunes ? Et si oui, comment ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et sur des travées du groupe Union Centriste.)

M. le président. La parole est à M. le ministre chargé des relations avec le Parlement.

M. Marc Fesneau, ministre auprès du Premier ministre, chargé des relations avec le Parlement. Je vous remercie de votre question, madame la sénatrice, qui me permet de mettre en lumière le travail remarquable des missions locales.

La ministre du travail a eu l’occasion de rappeler, ici, dans cet hémicycle, qu’il n’a jamais été question de fusionner, de force, les missions locales avec les structures de Pôle emploi.

Certains élus, en revanche, nous ont demandé comment mieux travailler ensemble, mieux partager les informations. Ils nous ont même demandé de réfléchir à des structures en commun. Ce sont ces formes de coopération renforcée qu’il est possible d’expérimenter, à partir du terrain, et que nous encourageons.

Par ailleurs, un chantier important porte sur les systèmes d’information. Les missions locales fonctionnent bien, mais elles n’ont pas accès aux offres d’emploi ; de son côté, Pôle emploi n’a pas toujours accès aux données de ces mêmes missions locales. L’intérêt général impose de parvenir à des rapprochements, de travailler plus étroitement, même si, bien évidemment, chacun doit rester dans son rôle.

Le ministère du travail participe au budget des missions locales à hauteur de la moitié, le reste étant financé par les collectivités – agglomérations, communautés de communes, départements ou régions.

Nous souhaitons aller vers une approche de résultat. Aujourd’hui, nous subventionnons le fonctionnement et l’activité liés à la garantie jeunes. Or la notion de résultat n’est pas liée à la dépense de fonctionnement.

Nous voulons donc qu’une partie de la subvention soit liée au résultat. Tout le monde a des objectifs à respecter, en particulier quand il s’agit d’argent public. Nous conservons la même enveloppe, diminuée de 2 %, ce qui est absorbable grâce au numérique.

Les missions locales doivent davantage orienter les jeunes vers l’ensemble des dispositifs. Certaines le font et sont même très innovantes en ce domaine. C’est notamment le cas de celle du Havre. (M. André Gattolin applaudit.) Merci de ces applaudissements ! Je tiens également à saluer le travail de la sénatrice Canayer, qui a présidé cette mission locale. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, du groupe Union Centriste, du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen et du groupe La République En Marche.) Comme quoi nous pouvons parfois partager des choses…

D’autres ont privilégié l’orientation vers la garantie jeunes, financée au travers de ce dispositif.

Nous souhaitons que les missions locales aillent au-devant des jeunes, qu’elles les trouvent dans les villages, dans les zones rurales, au pied des tours et dans les quartiers et qu’elles travaillent davantage avec les autres acteurs de l’insertion.

M. le président. Il faut conclure !

M. Marc Fesneau, ministre. Meilleure synergie, meilleurs échanges d’informations, encouragement au résultat, voilà le sens que nous voulons donner à la politique et le sens et la place que nous voulons donner aux missions locales ! (Applaudissements sur les travées du groupe La République En Marche, ainsi que sur des travées du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen et du groupe Union Centriste.)

M. le président. La parole est à Mme Marta de Cidrac, pour la réplique.

Mme Marta de Cidrac. Monsieur le ministre, je vous remercie de votre tentative de réponse. Nous l’entendons, nous la connaissons, elle est tout à fait théorique.

Nous vous invitons à venir voir dans nos territoires la réalité des liens et les succès des missions locales, qui sont de petites structures fragiles. Soutenez-les un peu plus que par de simples mots ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et sur des travées du groupe Union Centriste.)

general electric

M. le président. La parole est à M. Cédric Perrin, pour le groupe Les Républicains. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et sur des travées du groupe Union Centriste.)

M. Cédric Perrin. Ma question s’adresse à M. le ministre de l’économie et des finances.

Monsieur le ministre, depuis 140 ans, Belfort forge une des plus belles aventures industrielles de notre pays : il s’agit notamment des centrales nucléaires et du TGV.

Ce savoir-faire est aujourd’hui gravement menacé par la situation du site de General Electric à Belfort. Lors du rachat de la branche énergie d’Alstom, le projet de GE, soutenu par le Gouvernement, prévoyait la création de 1 000 emplois nets en France.

Le ministre de l’économie et des finances de l’époque, l’actuel Président de la République, était d’ailleurs venu à Belfort. Permettez-moi de vous rappeler ses propos : « Belfort a un avenir industriel. Cet avenir industriel fait partie d’abord des engagements pris de part et d’autre, et ces engagements sont suivis par le Gouvernement. »

Depuis, nous avons assisté à la suppression de 264 postes et à la non-création des 1 000 emplois promis. Concernant l’activité gaz, près de 1 000 postes seraient aujourd’hui menacés.

L’annonce de ce plan social aurait été opportunément repoussée pour ne pas intervenir avant les élections européennes.

Si tel est le cas, l’économie du Territoire de Belfort et les salariés de GE méritent mieux que des arrangements politiques. Seul le Gouvernement dispose des clés pour amorcer le redressement de l’industrie belfortaine.

Monsieur le ministre, des possibilités de diversification existent, un certain nombre d’élus du Territoire de Belfort vous les ont soumises. Il s’agit notamment du programme d’EDF pour augmenter la durée de vie du parc nucléaire, dont les turbines vapeur sont fabriquées à Belfort. C’est aussi le marché très porteur des moteurs d’avions porté par Safran et General Electric Aviation.

C’est encore l’implantation de l’Institut national de stockage d’hydrogène ou l’appel à projets « Territoires d’innovation ».

Dès lors, monsieur le ministre, quelles orientations le Gouvernement retient-il pour amorcer un redressement urgent pour le Territoire de Belfort ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et sur des travées du groupe Union Centriste.)

M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d’État auprès du ministre de l’économie et des finances.

Mme Agnès Pannier-Runacher, secrétaire dÉtat auprès du ministre de léconomie et des finances. Monsieur le sénateur Perrin, comme vous le savez, GE-Alstom a toute l’attention du gouvernement, et ce depuis de nombreuses années. Le 7 février dernier, Bruno Le Maire et moi-même réunissions le comité de suivi des engagements pris par GE lors de l’acquisition de la branche énergie d’Alstom. Nous avions alors pu constater les engagements et les actions pris par GE-Alstom.

Entre 2015 et 2018, l’investissement s’est élevé à près d’un milliard d’euros en France et l’entreprise a recruté 3 000 personnes. Ainsi, au 31 décembre 2018, GE comptait seulement 25 emplois de plus par rapport au moment de l’acquisition, après avoir atteint un point haut de 425 emplois en 2017. L’entreprise n’a pas réussi à créer 1 000 emplois, comme elle entendait le faire. L’explication en est simple : la transition énergétique a un impact majeur, puisque GE dépend à 50 % des énergies fossiles. Elle est actuellement en train de revoir son modèle économique dans le monde entier.

Dans ces conditions, nous ne restons pas les bras ballants. Nous avons mis en place un fonds de réindustrialisation, abondé par GE à hauteur de 50 millions d’euros, qui sera présidé par un expert industriel, associera les élus et examinera les projets industriels que vous avez mentionnés. En effet, il ne suffit pas d’avoir de bonnes idées, encore faut-il les mettre en œuvre de manière professionnelle.

Par ailleurs, nous sommes attentifs à la réorganisation de GE, et nous saluons positivement le renforcement de GE Renouvelable, qui représente 40 000 employés dans le monde et un chiffre d’affaires de 16 milliards de dollars, avec cinq divisions, dont quatre ont leur siège en France.

Enfin, nous avons un lien constant avec les dirigeants de GE. Nous sommes prêts à accompagner le développement des activités nouvelles, à savoir l’aéronautique, mais aussi les jumeaux numériques pour les centrales à gaz. Nous accompagnerons donc GE, mais dans un avenir qui ne sera pas fondé sur les énergies fossiles. (Applaudissements sur les travées du groupe La République En Marche.)

M. le président. Nous en avons terminé avec les questions d’actualité au Gouvernement.

Les prochaines questions d’actualité au Gouvernement auront lieu jeudi 11 avril, à quinze heures.

Mes chers collègues, nous allons maintenant interrompre nos travaux quelques instants.

La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à seize heures cinq, est reprise à seize heures vingt, sous la présidence de M. Vincent Delahaye.)

PRÉSIDENCE DE M. Vincent Delahaye

vice-président

M. le président. La séance est reprise.

3

Modifications de l’ordre du jour

M. le président. Mes chers collègues, par lettre en date de ce jour, le Gouvernement a demandé le retrait de l’ordre du jour du mardi 9 avril de l’examen en nouvelle lecture de la proposition de loi portant création d’une Agence nationale de la cohésion des territoires et de la lecture des conclusions de la commission mixte paritaire sur la proposition de loi organique relative à la nomination du directeur général de l’Agence nationale de la cohésion des territoires.

Il a également demandé le retrait de l’ordre du jour du mercredi 10 avril de la suite de l’examen en nouvelle lecture du projet de loi relatif à la croissance et la transformation des entreprises.

Acte est donné de ces demandes.

4

 
Dossier législatif : proposition de loi tendant à sécuriser l'actionnariat des sociétés publiques locales et des sociétés d'économie mixte
Discussion générale (suite)

Actionnariat des sociétés publiques locales et des sociétés d’économie mixte

Discussion d’une proposition de loi dans le texte de la commission

Discussion générale (début)
Dossier législatif : proposition de loi tendant à sécuriser l'actionnariat des sociétés publiques locales et des sociétés d'économie mixte
Discussion générale (interruption de la discussion)

M. le président. L’ordre du jour appelle, à la demande du groupe Union Centriste, la discussion de la proposition de loi tendant à sécuriser l’actionnariat des sociétés publiques locales et des sociétés d’économie mixte, présentée par M. Hervé Marseille et plusieurs de ses collègues (proposition n° 303, texte de la commission n° 409, rapport n° 408).

Dans la discussion générale, la parole est à M. Hervé Marseille, auteur de la proposition de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe Union Centriste.)

M. Hervé Marseille, auteur de la proposition de loi. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, les établissements publics locaux jouent un rôle particulièrement actif dans l’économie locale. Actuellement, on en dénombre environ 1 300, employant au total 70 000 salariés. Ils génèrent un chiffre d’affaires de près de 14 milliards d’euros.

Grâce à l’évolution législative, les collectivités locales ont pu s’adapter aux exigences liées aux enjeux en matière d’aménagement, d’équipements et de logements. Il existe ainsi une ingénierie publique qui offre aux élus locaux une palette de dispositifs conjuguant la nécessité du cadre administratif et la performance économique.

Grâce à l’expérience de nos parcours d’élus locaux, nous savons tous combien les sociétés d’économie mixte, les SEM, les SEM à opération unique, les SEMOP, ou encore les sociétés publiques locales, les SPL, sont particulièrement utiles pour mener à bien des opérations qu’une seule collectivité ne serait pas en mesure de mener. Cette souplesse juridique a en outre le mérite d’accélérer la prise de décision.

Mutualisation, coopération, innovation et maîtrise des budgets font partie intégrante du « logiciel » des élus locaux, qui ont trouvé de nouvelles formes de coopération et de gouvernance grâce aux dispositifs de l’économie mixte. Car, ce qui nous anime, c’est bien la mise en œuvre de projets pour les territoires et pour leurs habitants ! Plus généralement, les EPL, les entreprises publiques locales, peuvent être considérées comme une « boîte à outils » facilitant la mise en œuvre des politiques publiques locales, notamment en matière d’urbanisme.

La société publique locale issue de la loi Raoul du 28 mai 2010 est venue compléter cette palette. La SPL s’impose dès lors comme un outil de coproduction entre plusieurs niveaux – communal et intercommunal – et organise la maîtrise d’ouvrage publique. Cette loi a permis de renforcer la capacité d’action des collectivités. Je rappelle que, à cette époque, la France était encore le seul pays de l’Union européenne où il n’était pas encore possible pour les élus locaux de créer de telles entreprises.

Le code général des collectivités territoriales s’est donc enrichi voilà environ neuf ans de l’article L. 1531-1, qui dispose que les communautés et leurs communes peuvent constituer une SPL uniquement « dans le cadre des compétences qui leur sont attribuées par la loi ».

Ainsi une collectivité territoriale ne pourra-t-elle pas faire faire par une SPL ce qu’elle ne pourrait pas faire elle-même.

Pour autant, un arrêt du Conseil d’État du 14 novembre 2018 a suscité des inquiétudes légitimes dans le secteur de l’économie locale et des collectivités. En effet, le Conseil d’État a eu une interprétation particulièrement restrictive du lien de compatibilité entre, d’une part, les compétences des collectivités ou de leurs groupements actionnaires d’une SPL et, d’autre part, l’objet social de cette SPL. En résumé, cet arrêt remet en cause la possibilité pour des collectivités de niveaux différents d’être actionnaires de la même SPL. Pourtant, c’est bien cette dimension qui fait toute la pertinence d’une société publique locale !

J’ai donc pris l’initiative de déposer une proposition de loi, afin de sécuriser davantage le dispositif de la SPL. À cet égard, je remercie mes collègues Antoine Lefèvre, Sylvie Robert et Julien Bargeton d’avoir accepté de s’y associer. Il est uniquement question dans ce texte de lever une incertitude juridique et de sécuriser la possibilité, pour des collectivités locales de strates différentes, d’être actionnaires de la même EPL. Ni plus ni moins ! En effet, le texte de la loi étant insuffisamment précis et certains arrêts rendus contradictoires, il convenait de clarifier l’intention du législateur.

Il était urgent de réagir, car bon nombre de maires et dirigeants d’EPL ont déjà reçu des préfectures une circulaire les incitant à mettre en conformité leur actionnariat dans les meilleurs délais, soit avant le 8 décembre 2019. Ainsi 200 à 300 structures seraient-elles dans le viseur.

Il serait désagréable que la ville de Vernon (Sourires.), le département de l’Eure et Seine Normandie Agglomération ne puissent plus être actionnaires ensemble de la SPL Campus de l’Espace. Je ne voudrais pas que la ville du Havre…

M. Olivier Dussopt, secrétaire dÉtat auprès du ministre de laction et des comptes publics. Ce serait plus embêtant ! (Nouveaux sourires.)

M. Hervé Marseille. … et la communauté d’agglomération havraise ne puissent plus être actionnaires ensemble de la SPL Havre Tourisme. Je ne voudrais pas non plus que la ville de Pau et la communauté d’agglomération Pau Béarn Pyrénées ne puissent plus être actionnaires ensemble des SPL Palais Beaumont ou Halles et République. Je ne voudrais pas, enfin, que la ville de Tourcoing…

M. Vincent Capo-Canellas. Au hasard ! (Mêmes mouvements.)

M. Hervé Marseille. … et la métropole européenne de Lille ne puissent plus être actionnaires ensemble de la SEM Ville Renouvelée. Tout cela serait désagréable à certains de vos collègues, monsieur le secrétaire d’État. (Mêmes mouvements.)

Certains projets d’aménagement sont donc susceptibles d’être « gelés ». Ce n’est pas une vue de l’esprit : c’est un vrai risque, avec des conséquences dommageables pour notre économie. Ainsi, permettez-moi de citer un autre exemple très concret : la Seine-Saint-Denis va accueillir les jeux Olympiques en 2024. Quid de la gestion de nombreux parkings ? Des équipements à venir ? Des services tels que la gestion de l’eau ou des déchets ?

Les associations d’élus locaux ont fait valoir également leurs préoccupations et se sont fait le relais auprès des ministres concernés, Jacqueline Gourault et Sébastien Lecornu. Je sais pouvoir compter sur l’écoute de ces derniers, car c’est bien le cœur même de l’action publique locale qui est concerné.

N’oublions pas que les EPL constituent un prolongement de l’action des collectivités, et cette mobilisation traduit aussi l’attachement des élus à leur liberté d’action à un moment où la notion même de décentralisation est quelque peu malmenée.

Jusqu’à présent, nous avons des outils qui fonctionnent, permettant la coopération entre strates locales, surtout dans un contexte où les EPL seront de plus en plus sollicitées avec la mise en œuvre de la loi Élan.

Je tiens à remercier l’ensemble des groupes parlementaires de cette assemblée qui ont bien voulu s’associer à ma démarche et la soutenir. Mes remerciements vont notamment, je le répète, à mes collègues Antoine Lefèvre, Julien Bargeton, Sylvie Robert, Alain Fouché et bien d’autres, qui ont cosigné cette proposition de loi.

M. Antoine Lefèvre. Soyez-en remercié !

M. Hervé Marseille. Le travail accompli en commission des lois a permis de préciser quelques points, et je remercie mon collègue Loïc Hervé, rapporteur de cette proposition de loi, pour le travail qu’il a mené sous l’autorité de Philippe Bas, président de la commission.

Avec son aide, j’ai voulu un texte court. Je sais que les services de l’État, qui ne sont jamais à court d’amendements, avaient quelques idées sur le sujet… Nous les retrouverons, j’en suis sûr, à un moment ou un autre, comme si le soupçon devait en permanence peser sur les EPL et les élus. C’est d’autant plus cocasse que le Président de la République s’évertue depuis plusieurs semaines, à force de réunions-marathons, à renouer le fil du dialogue avec les élus locaux, en leur promettant de faciliter leurs actions.

J’espère que cette proposition de loi, passé le cap sénatorial, saura trouver un écho favorable à l’Assemblée nationale. L’avenir nous le dira très rapidement. Je le répète, il était surtout urgent d’agir. Le législateur est dans son rôle pour préciser les conditions de fonctionnement des SPL et, par conséquent, pour rétablir une certaine forme de sérénité chez les acteurs locaux. (Applaudissements sur les travées du groupe Union Centriste. – MM. Alain Fouché et Antoine Lefèvre et Mme Sylvie Robert applaudissent également.)

M. le président. La parole est à M. le rapporteur. (Applaudissements sur les travées du groupe Union Centriste.)

M. Loïc Hervé, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et dadministration générale. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, au Sénat, nous connaissons tous parfaitement la place prépondérante des entreprises publiques locales et de l’économie mixte à l’échelle de nos territoires. Ces sociétés de droit privé, dont le capital est totalement ou partiellement public, permettent de faire converger les moyens et les énergies pour conduire nombre de projets, qui concernent aussi bien l’aménagement, l’immobilier ou les services publics locaux.

La Caisse des dépôts et consignations nous l’a confirmé : les sociétés publiques locales, les sociétés publiques locales d’aménagement – SPLA – et les sociétés d’économie mixte – SEM – locales sont des éléments clés du dynamisme de nos territoires. Leur succès rend aujourd’hui les EPL incontournables. Il en existe 1 300 en activité, dont plus de 900 SEM locales et plus de 350 sociétés publiques locales et sociétés publiques locales d’aménagement. Ensemble, elles représentent plus de 65 000 emplois, ont généré un chiffre d’affaires de près de 14 milliards d’euros en 2017 et fournissent un logement à 1,4 million de nos concitoyens.

Mais ces sociétés courent aujourd’hui un danger grave. Par une décision du 14 novembre 2018, le Conseil d’État a imposé, de manière prétorienne, que chaque collectivité actionnaire détienne désormais l’ensemble des compétences sur lesquelles porte l’objet social de la société.

D’un trait de plume, le juge administratif a plongé dans l’incertitude la très grande majorité des EPL existantes et bloqué la plupart des projets de création. Cette jurisprudence ne s’appliquait qu’aux seules SPL, mais les SPL d’aménagement et les SEM locales devraient également être concernées, puisqu’elles sont soumises à des dispositions similaires. Or la majorité de ces sociétés sont capitalisées par des collectivités ou des groupements de collectivités qui ne détiennent pas l’ensemble des compétences sur lesquelles porte l’objet même de ces sociétés.

En l’état, cette jurisprudence sonne donc le glas des EPL « multicouches » et de la coopération entre collectivités.

Plus grave, une SPL ne peut exercer son activité que pour le compte des collectivités ou des groupements qui en sont actionnaires. Diminuer le nombre de collectivités pouvant participer au capital limite donc le nombre de « clients » de la SPL et porte une atteinte parfois insurmontable à sa viabilité économique.

Les territoires attendent une réponse rapide et efficace du législateur pour contrer cette jurisprudence et apporter un remède à la situation actuelle. Je suis sûr, mes chers collègues, que vous avez tous reçu des demandes en ce sens. Les auditions que nous avons conduites avec l’auteur de la proposition de loi, M. Hervé Marseille, ont témoigné, s’il le fallait, de l’acuité des attentes en la matière.

Tel est donc l’objet de la proposition de loi déposée par notre collègue, dont la commission des lois partage entièrement l’objet. Les seuls amendements qu’elle a adoptés visent, d’une part, à clarifier la rédaction du texte et, d’autre part, à en étendre le champ.

Afin de rendre la proposition plus claire, la commission des lois a souhaité qu’elle n’introduise que des dispositions strictement nécessaires à la mise en échec de la jurisprudence du Conseil d’État, pour ne pas bouleverser inutilement le droit applicable. Nous avons également souhaité que la formulation retenue lève toute ambiguïté sur le rôle des entreprises publiques locales, qui sont des prestataires et non pas des EPCI. Sociétés commerciales strictement tenues par leur objet social, les entreprises publiques locales n’exercent aucune compétence en lieu et place des collectivités actionnaires. Elles fournissent des prestations, pour leur compte et sous leur contrôle, afin que celles-ci exercent leurs compétences.

En ce qui concerne l’extension du champ de la proposition de loi, nous avons souhaité que celle-ci s’applique aussi aux SPL d’aménagement et aux SPL d’aménagement d’intérêt national. Cette extension est justifiée par la volonté de protéger les SPL d’aménagement contre les effets de la jurisprudence en cause, mais aussi de garder l’homogénéité du droit applicable aux différentes entreprises publiques locales.

Enfin, l’article 4 de la proposition de loi a été introduit afin de valider l’actionnariat des entreprises publiques locales existantes qui ne respectent pas le nouveau critère fixé par le Conseil d’État. Nous aurons l’occasion de revenir sur ce point lors de l’examen des amendements.

En outre, la commission a déposé un amendement de séance tendant à fixer les modalités d’application outre-mer de cette proposition de loi. Pour faire obstacle à toute irrecevabilité financière, je dois vous demander, monsieur le secrétaire d’État, de bien vouloir donner votre accord à cette application ultramarine. Il s’agit d’un accord sur le principe, car les amendements déposés par le Gouvernement montrent que nous devons encore nous accorder sur un certain nombre de points.

Comme je l’ai dit, nos territoires attendent une réponse rapide de notre part. Je pense, en revanche, que cette réponse ne doit pas être formulée au détriment de la clarté et de la prévisibilité du droit applicable aux entreprises publiques locales. Au cours de l’examen des amendements, je n’aurai de cesse de le rappeler.

Nous ne devons pas laisser à la jurisprudence le soin de définir un certain nombre de points, pour éviter de nous retrouver dans la situation dans laquelle nous sommes. Cette proposition de loi a donc pour objet de répondre à un problème précis. Elle ne doit pas, pour ce faire, en créer de nouveaux pour nos territoires. (Applaudissements sur les travées du groupe Union Centriste, ainsi que sur des travées du groupe Les Républicains.)