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Débat à la suite de la réunion du Conseil européen des 17 et 18 octobre 2019

Mme la présidente. L’ordre du jour appelle le débat à la suite de la réunion du Conseil européen des 17 et 18 octobre 2019.

La parole est à Mme la secrétaire d’État.

Mme Amélie de Montchalin, secrétaire dÉtat auprès du ministre de lEurope et des affaires étrangères, chargée des affaires européennes. Madame la présidente, messieurs les présidents de commission, mesdames, messieurs les sénateurs, je suis heureuse de m’adresser à vous pour le traditionnel débat que nous tenons à l’issue des conseils européens. Lors du débat préalable à ce sommet, vous aviez exprimé vos attentes et posé des questions relatives aux différents points à l’ordre du jour : la présentation de l’agenda de la nouvelle Commission, le cadre financier pluriannuel, la demande d’ouverture de négociations d’adhésion à l’Union européenne de l’Albanie et de la Macédoine du Nord et enfin, bien sûr, le Brexit.

Le Conseil européen s’est donc réuni jeudi et vendredi derniers, des conclusions ont été adoptées et le Président de la République s’est exprimé en conférence de presse sur le déroulement des travaux et sur nos positions.

Ce Conseil européen était d’abord l’occasion pour la nouvelle présidente élue de la Commission européenne, Mme Ursula von der Leyen, de présenter son agenda. Nous nous reconnaissons très largement, vous le savez, dans ses priorités.

La première d’entre elles porte sur la lutte contre le changement climatique et la présentation d’un nouveau pacte vert. L’objectif est de faire de l’Union européenne le premier continent neutre en carbone à l’horizon 2050 et de mettre toutes les politiques – industrielle, environnementale, énergétique… – en cohérence avec cet objectif plus large. Notons également que la présidente élue a mentionné l’établissement d’un mécanisme d’inclusion carbone aux frontières compatible avec les règles de l’Organisation mondiale du commerce, l’OMC, et notre marché de permis carbone dit ETS.

La présidente élue a également rappelé la priorité donnée au numérique et à ses différents aspects fiscaux, concurrentiels et juridiques.

Elle a de nouveau fait valoir qu’elle ferait des propositions sur la révision du régime d’asile – nous avons d’ailleurs eu un débat sur les sujets migratoires dans cet hémicycle il y a quelques jours.

Elle a enfin souligné que sa commission serait géopolitique, car l’Europe doit affirmer sa place et arrêter sa propre ligne en matière de défense économique, et ainsi gagner en souveraineté.

Le Conseil européen a aussi conduit sa première véritable discussion substantielle sur le prochain cadre financier pluriannuel, dit CFP. Ce débat venait opportunément compléter la discussion sur les priorités du nouveau collège.

Les échanges ont confirmé les positions connues qui restent aujourd’hui, avouons-le, très éloignées les unes des autres, que ce soit sur le volume global, les priorités à financer ou l’opposition entre les politiques dites traditionnelles et les nouvelles priorités que nous préférons plutôt voir comme des politiques qui, pour certaines, soutiennent notre souveraineté et notre autonomie au niveau européen, quand d’autres permettent d’améliorer notre convergence et notre solidarité. Des divergences existent aussi sur les ressources propres et les rabais.

Le Président de la République a rappelé la position française : la France veut le maintien de l’enveloppe UE-27 de la politique agricole commune, la PAC, et ne souhaite pas opposer le premier et le second pilier de cette politique, car sans agriculteurs, il n’y a pas et il n’y a plus besoin de développement rural. Il y a là une opposition qu’il nous faut combattre.

Je vous rappelle que le budget de la PAC représente 0,3 % de la richesse européenne produite chaque année et que ce budget doit être réparti sur 80 % de notre territoire, soit la part de l’espace européen où se situent des champs et des forêts exploités. Dans ce contexte, nous avons besoin de soutenir le revenu et l’investissement des agriculteurs pour les aider à faire évoluer leurs modes de production et faire face aux risques climatiques, de marché et de production auxquels ils sont confrontés.

Nous voulons financer le budget par de nouvelles ressources propres, notamment dans le domaine environnemental, car la France ne pourra pas augmenter indéfiniment sa contribution nationale et le prélèvement sur ses recettes.

Nous voulons aussi verdir le budget dans son ensemble pour arriver à 40 % de dépenses compatibles avec le climat, la biodiversité et l’environnement.

Nous ne nous exprimerons pas sur le volume de ce budget, tant que nos demandes politiques ne seront pas satisfaites sur la PAC, le verdissement, les ressources propres, la fin des rabais et les conditionnalités.

La discussion doit donc se poursuivre et le prochain Conseil européen débattra sans aucun doute de cette question. Il nous faut parvenir à un accord rapidement et en tout état de cause au plus tard en début d’année prochaine, car nous devons cette fois-ci faire beaucoup mieux qu’en 2014 – la France avait alors pris beaucoup de retard dans sa capacité à déployer les politiques européennes.

S’agissant du point consacré à l’élargissement qui a fait l’objet de longs échanges et qui a donné lieu à une abondante couverture de presse, je crois qu’il me revient ce soir de clarifier un certain nombre de points.

M. Christian Cambon, président de la commission des affaires étrangères. Effectivement !

Mme Amélie de Montchalin, secrétaire dÉtat. D’abord, la conclusion du Conseil européen n’est pas le fruit, comme je le lis depuis quelques jours, d’un quelconque veto français. Pour qu’il y ait veto, il faut qu’il y ait vote ; or il n’y en a pas eu.

Ensuite, de nombreux projets de conclusion ont été présentés, que ce soit au conseil Affaires générales ou devant le Conseil européen, et aucun de ces projets n’a réuni de consensus. Pourquoi ? Parce que certains États membres souhaitaient l’ouverture immédiate des négociations d’adhésion pour la Macédoine du Nord et l’Albanie, d’autres le souhaitaient uniquement pour la Macédoine du Nord et d’autres enfin posaient des conditions en termes de réformes supplémentaires.

La France, comme souvent dans les institutions européennes, a proposé une approche positive et crédible et a cherché à réunir une unanimité – c’est la procédure qui s’applique à ces sujets. Nous avons axé notre message sur les points suivants : d’abord, renforcer notre attachement à la perspective européenne des pays des Balkans occidentaux – leur avenir est européen –, ensuite demander la mise en œuvre complète des réformes que nous avons réclamées au Conseil en juin 2018 et 2019.

Nous avons également demandé qu’une nouvelle procédure de négociations soit proposée, ce que la France soutient depuis des années. Il ne s’agit pas de ralentir le processus, mais de s’assurer que, pendant les négociations, les populations des pays concernés y trouvent un avantage concret plutôt que de voir se dérouler un processus juridique qui n’amène qu’une seule chose : l’émigration massive des jeunes et des classes moyennes qui finalement perdent espoir.

C’est sur cette base et selon ces étapes que nous pourrons nous décider à ouvrir les négociations ou en tout cas à étudier leur ouverture au printemps 2020 en amont du sommet Union européenne-Balkans qui se tiendra sous la présidence croate à Zagreb en mai 2020.

Et puis j’aimerais vous dire quelques mots sur le Brexit, ce véritable feuilleton, même si je dois vous dire que ce sujet fait davantage l’objet de discussions depuis le Conseil européen que lors de sa réunion. En effet, jeudi, nous étions juste quelques heures après la conclusion d’un nouvel accord entre l’équipe de négociation de Michel Barnier et celle du Gouvernement britannique.

Je voudrais d’abord vous dire que cet accord est un bon accord. Il propose un nouvel équilibre sur les questions de la frontière irlandaise et du consentement démocratique en Irlande du Nord et en ce qui concerne la relation future entre le Royaume-Uni et l’Union européenne. Vous le savez, je vous en avais parlé la semaine dernière, la France a particulièrement insisté sur le fait que cette relation future devra être loyale, équilibrée et sans divergences excessives avec nos normes sociales, fiscales et environnementales.

Mais comme en avril dernier et plus que jamais, nous devons absolument clarifier les enjeux et les échéances pour nos concitoyens. Sans délai clair – nous connaissons trop bien cette petite musique –, la situation pourrait de nouveau s’enliser. C’est bien parce qu’en avril dernier et depuis lors le Président de la République a tenu une position très ferme sur la date butoir du 31 octobre que nous avons réussi à faire des progrès depuis dix jours. La question est finalement assez simple : est-ce que le Parlement veut, oui ou non, d’un nouvel accord ?

Nous le savons, une sortie sans accord, un no deal, serait un moment de vide juridique et nous ne le souhaitons pas, mais nous devons avec la même force limiter l’incertitude qui mine des millions de familles et d’entreprises, car l’incertitude liée au Brexit est une cause à ne pas négliger de la récession industrielle qui sévit dans certains pays européens.

Pour entrer en vigueur, ce projet d’accord de retrait révisé ainsi que la déclaration politique sur les relations futures qui l’accompagne doivent être adoptés par l’Union européenne et ratifiés par le Parlement européen et le Parlement britannique.

Ce n’est pas encore le cas ! Cependant, une étape importante a été franchie ce soir et je crois qu’il faut la saluer : pour la première fois depuis des mois, une majorité s’est exprimée en faveur des objectifs de l’accord. Pour autant, le Parlement britannique se divise sur la rapidité du processus de ratification de cet accord, ce qui complique naturellement les choses.

Nous n’avons donc pas de clarté sur le calendrier, ce qui accroît l’incertitude. D’autant plus que le Parlement britannique a mis sur la table des amendements de substance, notamment pour revenir à l’union douanière, étendue à tout le Royaume-Uni, comme c’était déjà le cas dans la version de l’accord avec Theresa May. Vous imaginez bien que, lorsqu’un accord est amendé d’un côté, il est difficile pour l’autre partie, en l’occurrence les Européens, de déterminer sa position.

De manière très solennelle, je veux le dire devant le Sénat, qui représente les Français, parfois de l’étranger, les territoires, nous devons absolument sortir de cette incertitude, qui est toxique, angoissante, pénalisante pour la vie de nos familles et des entreprises.

Certains nous disent que la situation de ce soir justifierait forcément une extension. J’ai envie de répondre : pour quoi faire ? Nous le savons, le temps seul n’apportera pas de solution. Seule une décision politique peut apporter une clarification.

Il nous faut comprendre comment les Britanniques prévoient de recréer les conditions d’un alignement démocratique entre le peuple, le parlement et le gouvernement. Certains nous parlent d’élections, d’autres de référendum. La position française est de dire que nous ne pouvons pas étendre à l’infini, en restant spectateurs d’un processus dont rien ne ressort. Une extension ou une demande d’extension ne peut être entendue que si elle est justifiée et que nous en comprenons les raisons. Je crois qu’il y a là, pour nous tous, une ligne claire à tenir.

Pendant ce Conseil européen, les chefs d’État et de gouvernement ont également échangé sur les sujets de politique étrangère, en particulier la situation du nord-est de la Syrie et le problème des forages turcs en Méditerranée. Le Conseil, comme j’avais pu le faire devant cette assemblée lors d’un débat sur l’offensive turque, a condamné très fermement et à l’unanimité les actions militaires unilatérales de la Turquie en Syrie. Il a pris acte de l’annonce par les États-Unis et la Turquie d’une pause dans les opérations militaires, mais il a surtout demandé qu’elles cessent immédiatement et de manière définitive, avec un retrait des forces en présence. De plus, conformément aux conclusions du Conseil des affaires étrangères de l’Union européenne du 14 octobre dernier, il a rappelé que tous les États membres avaient décidé de suspendre les licences d’exportation d’armement vers la Turquie. Un appel collectif à la réunion de la coalition contre Daech a été lancé pour que ceux qui, hier, combattaient ensemble et qui, aujourd’hui, combattent les uns contre les autres, prennent leurs responsabilités.

Sur le sujet des forages turcs en Méditerranée orientale, le Conseil européen a endossé les conclusions du conseil du 14 octobre, qui prévoient l’adoption de mesures restrictives, ciblées, à l’encontre des responsables de ces forages illégaux et ont réaffirmé la solidarité entière de l’Union européenne avec Chypre.

Enfin, je terminerai sur la prise de fonction de la nouvelle Commission, même si ce point n’a pas été officiellement à l’ordre du jour de la réunion. Il est clair qu’elle ne pourra pas avoir lieu le 1er novembre. L’objectif est désormais le 1er décembre, si les trois nouvelles candidatures sont présentées dans les deux prochaines semaines. C’est un enjeu essentiel de travail collectif pour que le Conseil, le Parlement et la Commission puissent faire ce que l’on attend d’eux : proposer des projets européens et les mettre en œuvre pour apporter des résultats à nos concitoyens. (Applaudissements au banc des commissions, sur les travées du groupe LaREM et sur des travées du groupe UC.)

Mme la présidente. La parole est à M. le président de la commission des affaires étrangères.

M. Christian Cambon, président de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées. Madame la secrétaire d’État, je vous remercie de ce compte rendu clair, qui nous a permis de survoler les points qui ont été évoqués.

Ce Conseil européen devait ouvrir une nouvelle page pour l’Europe. Le moins que l’on puisse dire est qu’il nous laisse un sentiment un peu mitigé.

Alors que la France a une position forte, aujourd’hui, en Europe, il est bon que nous veillions à ne pas gâcher notre crédit par ce que l’on pourrait qualifier de maladresse, qui nous conduirait à l’isolement.

Je ne reviendrai pas sur le rejet par le Parlement européen de la candidate française à la Commission. Le choix français était risqué, passons à l’étape suivante. Où en est-on aujourd’hui, madame la secrétaire d’État ? Avez-vous reçu des garanties quant au maintien des attributions élargies pour le futur commissaire français ou bien cet épisode affaiblira-t-il durablement nos positions à Bruxelles ?

Sur l’élargissement, nous avons été maladroits dans la méthode et je ne me satisfais pas, pour ma part, de cette victoire à la Pyrrhus, quand la France pense avoir raison contre tous. À quel prix ! Là encore, je le dis avec un peu de regret, nous n’avons peut-être pas su mettre les formes. Il y a les faits et la manière dont l’opinion et la presse le rapportent. Or nous avons depuis samedi, de la Suède à l’Italie, des retours assez négatifs de pays qui ne comprennent pas la position française compte tenu de ce qu’avait déclaré le Président de la République lors de son discours aux ambassadeurs.

Sur le fond, nous partageons la volonté de réformer le processus d’adhésion. Il faut qu’il soit plus politique, plus rigoureux, et qu’il demeure réversible et adapté à la fois à la situation de chaque pays candidat et à la capacité d’absorption de l’Union. Dans une Europe menacée d’éclatement voire de paralysie, l’élargissement ne peut plus être automatique.

Aujourd’hui, les mêmes qui ne souhaitent pas augmenter le budget de l’Union souhaitent l’adhésion de nouveaux membres, et ce alors même que le Brexit, cher président Bizet, s’annonce comme un séisme, et que le fonctionnement de l’Union à 28 est déjà bien difficile.

Pour autant, nous nous alarmons de la façon dont l’attitude de la France, soutenue par les Pays-Bas et le Danemark, a été expliquée et ressentie, ainsi que de ses conséquences : des élections anticipées vont se tenir en avril en Macédoine du Nord, car nous avons, de fait, mis le Premier ministre en difficulté, et c’est tout le courageux élan de l’accord de Prespa qui risque de se trouver brisé. On ne peut sans cesse reculer l’horizon sans désespérer les peuples ! Pourquoi avoir refusé de découpler Albanie et Macédoine du Nord ? Il y avait là une première évolution qui nous semblait intéressante.

Personnellement, mais je ne suis pas le seul, je plaide, au-delà du mécanisme des 35 chapitres et de l’application des critères de Copenhague, pour une sorte de statut intermédiaire d’association plein et entier, qui soit une sorte d’antichambre à l’adhésion,…

M. Jean Bizet, président de la commission des affaires européennes. Très bien !

M. Christian Cambon, président de la commission des affaires étrangères. … en fonction des efforts accomplis par chaque pays sur la lutte contre la criminalité, la maîtrise de l’immigration, les ratios économiques et monétaires. Le Gouvernement est-il prêt à intégrer cette proposition à sa réflexion sur la réforme de l’élargissement ?

Sur le Brexit – le président Bizet en parlera sûrement dans un instant –, qui nous laissera « tous perdants », comme le dit le titre d’un récent rapport du groupe de suivi sur le Brexit du Sénat, que j’ai l’honneur d’animer avec Jean Bizet, nous attendons, comme vous, la suite de l’interminable feuilleton britannique. Le vote de ce soir est indicatif ; c’est un bon point. Espérons que cette ligne tiendra dans les heures et les jours qui viennent.

J’appelle le Gouvernement à ne pas se laisser dévorer par la gestion de péripéties du quotidien, sur lesquelles nous n’avons aucune prise. L’enjeu est bien la relation future entre le Royaume-Uni et l’Union. Le rapport du Sénat pointe les dangers d’un dumping fiscal, social et réglementaire, si un « Singapour-sur-Tamise » s’installait à nos portes.

Il est urgent, aussi, de regarder au-delà du court terme et d’établir une relation future solide avec le Royaume-Uni, singulièrement dans le domaine de la défense. Les Vingt-Sept devront rester aussi solidaires qu’ils l’ont été depuis trois ans, grâce au remarquable travail de Michel Barnier.

Dernier enjeu, et non des moindres : la réforme de l’Europe. Nous sommes tous d’accord pour dire qu’une véritable refondation est nécessaire. Il faut sortir l’Europe de son impuissance et aborder sous un jour nouveau le prochain cycle européen. Le groupe Brexit du Sénat fera prochainement des propositions de feuille de route afin d’être à vos côtés pour entamer cette refondation, car l’avenir de l’Europe doit rester notre priorité. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, UC et LaREM, ainsi quau banc des commissions.)

Mme la présidente. La parole est à M. le président de la commission des finances.

M. Vincent Éblé, président de la commission des finances. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, messieurs les présidents de commission, mes chers collègues, comme vous le savez, le Conseil européen de la semaine dernière a été essentiellement marqué par la poursuite du feuilleton du Brexit.

À l’heure du bilan, je ne peux que m’inscrire dans les pas du rapporteur général de la commission des finances, qui, lors du dernier débat préalable au Conseil européen, ici même, avait prévenu qu’il fallait se garder de tirer des conclusions hâtives sur l’issue des négociations, compte tenu des innombrables rebondissements du Brexit.

Une nouvelle fois, tous les pronostics ont été déjoués. Alors qu’un accord avait été arraché in extremis par les négociateurs, la Chambre des communes britannique a tout d’abord réservé son vote pour une date ultérieure, prolongeant ainsi une période d’incertitude politique et économique, puis voté aujourd’hui même pour cet accord, tout en rejetant le calendrier. Il reviendra sans doute de nouveau aux États membres de trancher la question d’un éventuel report du Brexit. Jean-Yves Le Drian, ministre de l’Europe et des affaires étrangères, a indiqué aujourd’hui à l’Assemblée nationale qu’« à ce stade, […] il n’y a pas de justification pour une nouvelle extension ». Il a ajouté : « cela fait trois ans qu’on attend cette décision. Il importe qu’elle soit aujourd’hui annoncée ».

Madame la secrétaire d’État, pouvez-vous nous éclairer sur la position française, compte tenu de ces tout derniers rebondissements ?

Concernant le contenu de l’accord trouvé, la solution du « backstop » irlandais proposée par l’Union européenne n’a finalement pas été retenue. L’Irlande du Nord restera donc dans l’union douanière britannique, tout en constituant un point d’entrée dans le marché commun. Si ce compromis permet d’éviter le rétablissement d’une frontière entre les deux Irlande, il repose en pratique sur des arrangements douaniers complexes. Madame la secrétaire d’État, cette solution comporte-t-elle des garanties suffisantes pour préserver le marché commun, alors que les contrôles douaniers pour les marchandises destinées au marché européen seront effectués par des agents britanniques ?

Pendant que les négociations patinent, le Parlement européen s’organise. Il examine actuellement une proposition de règlement visant à modifier le Fonds de solidarité de l’Union européenne afin d’en élargir le champ et de prévoir un soutien pour les États membres qui feraient face à une lourde charge financière en conséquence directe de la sortie du Royaume-Uni. Madame la secrétaire d’État, quelle est votre position sur ce texte ? Alors que l’effet du Brexit sur l’économie française pourrait s’élever jusqu’à 0,5 % du PIB, selon l’OCDE, à combien s’élève le soutien financier que pourrait recevoir la France en application de ce texte ?

Par ailleurs, le Conseil européen de la semaine dernière a permis d’aborder un autre sujet, que suit particulièrement la commission des finances, à savoir les négociations relatives au prochain cadre financier pluriannuel, le CFP.

Après avoir procédé, une nouvelle fois, à un « échange de vues », le Conseil européen a invité la présidence finlandaise à présenter un cadre de négociation assorti de chiffres, portant à la fois sur le volume global et sur la répartition entre les rubriques budgétaires d’ici au mois de décembre prochain. Je vous rappelle, madame la secrétaire d’État, qu’un accord à l’unanimité doit être trouvé rapidement, étant donné que l’actuel CFP s’achèvera en décembre 2020.

Compte tenu de ce calendrier très serré, il semble difficilement compréhensible que les négociations n’aient pas encore permis de dégager un compromis, au moins sur le volume total du CFP. Les États membres ont fait part de leurs lignes rouges respectives, mais les blocages persistent. Il est indéniable que l’incertitude financière liée au retrait du Royaume-Uni pèse également sur l’avancée des négociations. Des concessions de la part de certains États membres vous semblent-elles envisageables d’ici à la fin de l’année ? Comment peut-on répondre à l’impatience des autorités de gestion et des porteurs de projets locaux, qui souhaitent avoir un minimum de visibilité pour l’avenir ? (Applaudissements au banc des commissions.)

Mme la présidente. La parole est à M. le président de la commission des affaires européennes.

M. Jean Bizet, président de la commission des affaires européennes. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, dans le droit fil des propos tenus par les présidents Cambon et Éblé, à mon tour d’évoquer ce Conseil européen de la semaine dernière. Un épisode important de la saga du Brexit s’y est joué : les Vingt-Sept ont approuvé le nouvel accord de retrait conclu in extremis entre l’Union européenne et le Premier ministre britannique, ainsi que la nouvelle déclaration politique qui l’accompagne, ce point étant particulièrement important.

Je veux ici rendre de nouveau hommage, comme l’a fait Christian Cambon, à Michel Barnier, qui est parvenu à ce résultat en restant ferme sur les trois exigences de l’Union : préserver la paix, assurer l’intégrité du marché unique et subordonner tout futur accord de libre-échange avec le Royaume-Uni au respect de conditions de concurrence équitables.

Cet aboutissement ne signe pourtant pas la fin de l’histoire : le « super samedi » qui a suivi aura finalement été celui de la déception. Au lieu de voter sur l’accord, le Parlement britannique a adopté un amendement reportant le vote attendu, si bien que le Premier ministre britannique a été contraint de solliciter un troisième report de la date du Brexit. Enfin, hier, le président de la Chambre des communes, en lui interdisant de se prononcer sur l’accord, a définitivement réduit à néant le bref soulagement que certains avaient pu éprouver à la conclusion de l’accord de retrait révisé.

L’unité des Vingt-Sept, acquis principal du Brexit, ne l’oublions pas, pourrait même éclater si les Vingt-Sept devaient se prononcer sur une nouvelle extension du délai prévu à l’article 50, extension qui exigerait la nomination d’un commissaire britannique pour assurer le fonctionnement normal des institutions européennes. Il y a là quelque chose d’irrationnel. Madame la secrétaire d’État, comment éviter ce scénario catastrophe ?

Sur l’élargissement, autre sujet évoqué par le président Cambon, il ne serait pas bon que notre pays se trouve de nouveau isolé. Déjà, la semaine dernière, il a fait cavalier seul, ou presque. J’ai le sentiment que la France s’est distinguée par son exigence louable à l’égard du respect des conditions fixées pour ouvrir des négociations d’adhésion et par son appel à revoir le processus d’adhésion, ce à quoi nous souscrivons. Sans doute devons-nous revoir, en effet, la façon dont nous accompagnons les pays candidats à l’adhésion ; sans doute devons-nous dénoncer l’incohérence de ceux qui prônent l’élargissement et refusent en même temps d’augmenter le budget de l’Union ; sans doute faut-il cesser d’utiliser l’élargissement comme un seul instrument de politique étrangère, mais il est dangereux de tarder à tendre la main à des pays comme l’Albanie et, plus encore, la Macédoine du Nord, qui consentent des efforts importants pour se rapprocher de l’Union et voient leur jeunesse les quitter pour nous rejoindre. (M. Olivier Cadic applaudit.)

La Chine, la Russie, la Turquie et les États-Unis – j’oserai même ajouter l’Arabie saoudite – ne nous attendent pas pour étendre leur influence dans les Balkans,…

M. Christian Cambon, président de la commission des affaires étrangères. C’est clair !

M. Jean Bizet, président de la commission des affaires européennes. … au risque de réveiller la poudrière et de menacer la sécurité de notre continent.

Madame la secrétaire d’État, quelle solution alternative entendez-vous proposer rapidement à ces pays qui frappent aujourd’hui à la porte de l’Union, qui pourraient demain s’en détourner, et que nous ne pouvons pas désespérer trop longtemps ? Le Sénat a des idées sur la question. Nous vous en ferons part le moment venu, mais nous aimerions aussi écouter vos propositions.

Dernier sujet, qui n’est pas sans lien avec le précédent : la Turquie, pays candidat à l’adhésion, mène des activités de forage illégales d’hydrocarbures dans la zone économique exclusive chypriote. Je tiens ici à souligner la nécessité d’une réaction européenne claire, appropriée et progressive en réponse à cette provocation sur le territoire même de l’UE, bien qu’elle soit d’une nature et d’une ampleur différentes de l’offensive que mène Ankara en Syrie. Cette question sensible a également été soulevée lors de la dernière session d’automne de l’Assemblée parlementaire de l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe, l’OSCE, à laquelle j’ai participé, et durant laquelle notre collègue Pascal Allizard…