M. le président. La parole est à M. Olivier Jacquin. (Applaudissements sur les travées du groupe SOCR.)

M. Olivier Jacquin. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, la barre n’a-t-elle pas été placée trop haut lors des Assises nationales de la mobilité ? Alors que nous espérions un projet de loi d’orientation des mobilités qui soit vraiment pour tous, le texte auquel nous aboutissons s’avère insuffisant.

Le projet de loi comporte bien sûr des dispositions utiles, voire indispensables, que je tiens à souligner : la prise en compte des données et de la révolution numérique, la décarbonation des motorisations, les zones à faibles émissions, les voies réservées, le plan vélo et le forfait mobilité, qui sont sur les rails, ainsi que la réglementation de l’usage des engins de déplacement personnels.

Je n’oublie pas les deux points essentiels que sont, d’une part, la programmation pluriannuelle des infrastructures, tant attendue par les territoires, bien que la version retenue ne soit qu’une version amoindrie du scénario 2 du Conseil d’orientation des infrastructures, et, d’autre part, la volonté de placer les territoires au cœur de la démarche des mobilités via la fin des « zones blanches de la mobilité » – songez qu’aujourd’hui, mes chers collègues, 75 % des intercommunalités n’exercent pas leur compétence en matière de mobilité.

Mais c’est précisément sur ces deux points que le bât blesse, en raison du manque de financements adéquats. Je ne veux pas minimiser les apports de ce texte, mais vous aurez constaté comme moi, mes chers collègues, qu’il ne contient presque que des mesures réglementaires et peu coûteuses. La LOM a-t-elle fait les frais du rachat partiel de la dette de la SNCF lors de la réforme précipitée du système ferroviaire l’année dernière, monsieur le secrétaire d’État ? De quels moyens disposez-vous réellement ?

Je ne reviendrai pas sur le bricolage du Gouvernement, qui a sorti de son chapeau, quelques heures avant la réunion de la commission mixte paritaire, une taxation de l’aérien, la réduction de 2 centimes d’euro par litre de l’exonération de TICPE pour les poids lourds et la promesse du transfert d’une part de TVA sans fléchage, tout cela sans débat ni étude d’impact.

Un socialiste ne peut bien sûr que se satisfaire de voir le début de la fin d’une injustice fiscale profitant à certains modes de transport, ici l’aérien, en attendant le maritime, mais comment être certain qu’il s’agisse de la bonne méthode ou de la bonne échelle ?

Concernant les poids lourds, vous ne faites qu’aggraver la distorsion de concurrence entre les transporteurs français et ceux qui traversent notre pays sans même y faire le plein.

Monsieur le secrétaire d’État, pourquoi avoir supprimé le taux réduit de versement mobilité à 0,3 % et le fléchage d’une part du produit de la TICPE vers les petites autorités organisatrices, imaginés et votés ici même de façon consensuelle ? Il y avait là de bonnes idées. Ces suppressions vont créer une fracture entre nos territoires.

De même, chers collègues de la majorité, pourquoi avoir refusé nos propositions visant à affirmer le principe du pollueur-payeur ? Nous avions par exemple suggéré la création d’une contribution carbone pour les donneurs d’ordre, et non pour les transporteurs, ou encore le financement de la transition écologique par un grand emprunt.

Autre très grand point de désaccord entre nous : l’obstination du Gouvernement sur le fameux article 20 et le sort des travailleurs des plateformes. Votre système de charte volontaire, qui avait été supprimé en première lecture au Sénat, est un véritable cheval de Troie contre le code du travail, sans autre but que de protéger les plateformes contre la requalification régulière de ces travailleurs en salariés. À cet égard, je vous invite à aller voir le dernier film de Ken Loach, qui évoque cette question difficile et terrible – le problème est grave.

Surtout, je m’attriste de l’absence de tout ce qui aurait dû figurer dans ce texte, à l’instar de l’affirmation nette du principe du pollueur-payeur ou de mesures concernant les secteurs aérien et maritime – sur ces derniers, le débat serein qui était attendu n’a pu avoir lieu ici.

S’agissant des autoroutes, j’avais salué la proposition particulièrement audacieuse que vous aviez faite lorsque vous étiez député, monsieur le secrétaire d’État, de créer une société de gestion publique afin d’anticiper la fin des concessions autoroutières en 2032 et de préempter les bénéfices futurs pour financer les infrastructures aujourd’hui. J’espère que vous allez remettre l’ouvrage sur le métier !

Ce sont deux amendements beaucoup plus discrets qui ont été adoptés par l’Assemblée nationale, visant à étendre le champ des concessions autoroutières aux nationales attenantes, dispositif très largement soutenu par le lobby autoroutier.

Autre point oublié : le transport de marchandises, alors que le transport routier international dérégulé tire les prix à la baisse et tue nos canaux et nos lignes ferroviaires.

Enfin, j’évoquerai le problème de l’attrition du réseau et des petites lignes ferroviaires. Votre prédécesseur, Mme Borne, nous avait promis que cette question serait traitée dans le présent projet de loi pour justifier son refus d’en débattre lors de la réforme de la SNCF. Je ne filerai pas à mon tour la métaphore de l’Arlésienne Philizot. Disons plutôt que ce rapport, c’est En attendant Philizot… Existe-t-il vraiment ?

Mes chers collègues, le texte qui nous est proposé ne permet pas de concilier fin du monde et fin du mois, selon la formule consacrée, pour ce qui concerne les transports. Les problèmes de financement pérennisent un système de mobilité à deux vitesses : illimité et confortable pour les plus argentés, grâce au TGV, à l’avion, aux VTC, à portée de main ; contraint pour les « navetteurs », qui n’ont d’autres choix, eux, que de conduire leurs vieux diesels ou de prendre le RER bondé. Et je ne parlerai même pas des « insulaires », terme utilisé par le sociologue Éric Le Breton pour désigner toutes ces personnes qui sont quasiment assignées à résidence : ruraux sans voiture, handicapés, personnes âgées dépendantes, jeunes sans permis.

En tout état de cause, les débats sur les transports et les mobilités ne sont pas terminés. La prochaine loi sera sans aucun doute une loi d’orientation des « démobilités », c’est-à-dire des mobilités évitées et des mobilités non contraintes. Ses auteurs intégreront à leur réflexion des sujets tels que l’urbanisme, le prix de l’immobilier, l’aménagement du territoire et des temps. (Applaudissements sur les travées des groupes SOCR et CRCE. – M. Yves Détraigne et Mme Sylvie Goy-Chavent applaudissent également.)

M. le président. La parole est à M. Éric Gold. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE. – MM. Arnaud de Belenet et Martin Lévrier applaudissent également.)

M. Éric Gold. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, depuis la tenue, il y a deux ans, des Assises nationales de la mobilité, c’est peu de dire que la LOM était très attendue par les élus, mais aussi par nos concitoyens, eux qui revendiquent à raison un droit à la mobilité écologiquement responsable.

Néanmoins – autant le dire d’emblée –, comme mon groupe, je regrette le choix de la commission d’avoir déposé une motion tendant à opposer la question préalable alors que nous aurions pu nous prononcer sur les dispositions introduites par l’Assemblée nationale. Au-delà de notre légitime frustration, un projet de loi aussi important, certes victime du calendrier parlementaire, méritait mieux qu’un tel sort devant le Sénat.

Bien sûr, ce texte comporte des avancées substantielles par rapport au projet de loi initial, des avancées entérinées, voire complétées, par l’Assemblée nationale. On peut ainsi relever la sanctuarisation des ressources de l’Afitf, à hauteur de 13,4 milliards d’euros – nous en appelons au respect de cet engagement, car nous avons en mémoire le triste épisode de l’écotaxe poids lourds. Il faut à tout prix permettre à l’opérateur de devenir le bras armé du financement du report modal, conformément aux objectifs qui ont présidé à sa création.

On notera également la mise à l’étude du développement de nouvelles lignes de trains d’équilibre du territoire et celle de l’amélioration des trains de nuit – les lignes concernées sont des lignes structurantes et vitales pour les territoires enclavés –, ou la fin de la vente des véhicules neufs utilisant des énergies fossiles d’ici à 2040, introduite par l’Assemblée nationale. Cette dernière mesure est impérative si l’on veut atteindre la neutralité carbone en 2050.

Sur ce point, il revient au politique d’impulser une orientation claire pour le développement des modes de transport plus vertueux. À cet égard, l’accompagnement financier des ménages modestes, en plusieurs temps, et le développement de bornes de recharge et de points d’approvisionnement en hydrogène sont indispensables.

Toujours au chapitre de la lutte contre la pollution, le développement des zones à faibles émissions va enfin pouvoir s’accélérer, presque dix ans après le premier appel d’offres de l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie (Ademe). Je salue le maintien de la suppression du seuil de 100 000 habitants, qui permet à l’ensemble des agglomérations volontaires de s’engager dans ce type de projets.

L’État et les collectivités territoriales vont également être amenés à prendre leur part, aux côtés des entreprises, dans la décarbonation des transports, avec un renouvellement accéléré de leur flotte de véhicules. De ce point de vue, l’Assemblée nationale est parvenue à inscrire dans le texte des objectifs plus ambitieux tout en garantissant une progressivité dans le temps.

En matière d’accompagnement des mobilités douces, je me réjouis de la création du forfait mobilité durable : la prise en charge cumulée des frais engagés pour les trajets en transport en commun, à vélo ou en covoiturage couvrira l’ensemble des modes de déplacement des salariés. L’extension du bénéfice du forfait à 400 euros aux frais d’alimentation des véhicules électriques, hybrides rechargeables ou à hydrogène, a été maintenue. Encore faut-il désormais que les entreprises s’en emparent.

En revanche, plusieurs reculs sont à noter : la suppression de la prise en considération par le schéma régional d’aménagement, de développement durable et d’égalité des territoires (Sraddet) d’un cadre régional de déploiement de points de recharge électrique et de stations d’approvisionnement en gaz ; celle de l’exonération partielle du versement mobilité pour les employeurs ayant conclu un accord de télétravail, exonération qui aurait pu inciter les entreprises à recourir à ce type d’accord.

Un recul est à déplorer, surtout, concernant ce qui est le point faible du projet de loi : la ruralité. Les objectifs de désenclavement des territoires, inspirés de la LOTI, et auxquels le groupe du RDSE était particulièrement attaché, ont disparu du texte. C’est malheureusement révélateur.

Nous défendons ici, sur toutes les travées, l’égalité des territoires. Les infrastructures de transport sont vitales pour l’activité économique et l’accès aux services publics, et, plus largement, pour l’attractivité démographique. Il ne peut y avoir de bassin de vie sans bassin de mobilité.

Le droit à la mobilité, proclamé par le Gouvernement, réclamé légitimement par nos concitoyens, reste trop hypothétique par endroits. Comment pourrait-il se concrétiser dans des territoires où il n’existe pas d’infrastructures ?

L’autosolisme est encore une réalité en dehors des agglomérations : 70 % de nos concitoyens dépendent de la voiture pour leurs déplacements pendulaires. Ils ne sont pas réticents par principe aux mobilités douces ; mais on ne peut certainement pas leur reprocher de ne pas vouloir renoncer à la voiture tant que de réelles politiques de désenclavement ne seront pas mises en œuvre. Nous sommes là bien loin des problèmes de réglementation de l’usage des trottinettes !

C’est la raison pour laquelle des alternatives accessibles et crédibles doivent être proposées à nos concitoyens. À défaut, l’acceptabilité sociale de toutes les mesures ambitieuses de transition écologique sera réduite à néant.

Il faut par exemple donner les moyens aux nouvelles autorités organisatrices de la mobilité de couvrir les fameuses zones blanches de la mobilité, ou développer les bornes de recharge de voitures électriques et les points d’approvisionnement en hydrogène.

Pour conclure, si l’insuffisance des solutions apportées aux territoires ruraux est regrettable, nous notons qu’un accord en commission mixte paritaire était possible. L’examen du texte avait si bien commencé au Sénat !

En tout état de cause, nous partageons l’analyse du rapporteur : les ressources attribuées aux communautés de communes doivent être fiables pour leur permettre d’effectuer des investissements, mais nous aurons l’occasion de revenir sur le budget des transports lors de l’examen du projet de loi de finances.

Le groupe du RDSE salue les avancées incontestables contenues dans le projet de loi, mais regrette l’absence de discussions sur les points qui posaient problème. Le texte aurait pourtant pu être enrichi cet après-midi. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE. – Mme Michèle Vullien applaudit également.)

M. le président. La parole est à M. Frédéric Marchand. (Applaudissements sur les travées du groupe LaREM.)

M. Frédéric Marchand. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, nous voici de nouveau réunis pour discuter du projet de loi d’orientation des mobilités.

L’examen en première lecture du projet de loi et le travail positif effectué avec nos collègues de l’Assemblée nationale en vue de la réunion de la commission mixte paritaire nous ont laissé un temps espérer que nous pourrions parvenir à un accord.

Nous estimions en effet, collectivement, que le Sénat et l’Assemblée nationale avaient fait œuvre utile sur de nombreux points du texte et que nous étions animés par la même volonté d’arriver à une issue positive.

La commission mixte paritaire a échoué et, en dépit des regrets que nous avons déjà tous exprimés, nous étions nombreux à penser que l’essentiel était de préserver la démarche constructive qui avait prévalu jusque-là.

Car, oui, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, il y a urgence à légiférer. Nous ne pouvons donc que déplorer le retard pris, pour des raisons que la raison ignore, dans l’élaboration d’un texte très attendu par l’ensemble des acteurs des mobilités et par nos concitoyens, partout sur le territoire.

Nos collègues de l’Assemblée nationale se sont attachés à ne pas revenir sur nombre de dispositions introduites par notre assemblée, dispositions toutes enrichissantes pour le texte ; mais, aujourd’hui, force est de constater que la majorité sénatoriale a fait un autre choix, difficilement audible compte tenu du travail fourni par les uns et par les autres, sous la houlette toujours bienveillante de notre rapporteur Didier Mandelli.

En refusant de débattre plus avant sur un sujet qui est au cœur des préoccupations de nos concitoyens, la majorité sénatoriale et celles et ceux qui s’y rallient optent pour une posture surprenante, alors même que le Gouvernement s’est engagé à répondre aux attentes légitimes qui se sont manifestées.

C’est bien le cas pour la question centrale du financement de la prise de compétence mobilité par les intercommunalités, notamment celles d’entre elles qui disposent de faibles ressources.

Monsieur le secrétaire d’État, vous venez de rappeler, lors de votre intervention, que la réforme de la fiscalité locale répondrait aux besoins de financements complémentaires.

Les territoires concernés sont ceux qui ne lèvent pas de versement mobilité. Le Gouvernement tiendra compte de ce besoin de financement des mobilités dans le cadre du mécanisme prévu pour compenser la suppression de la taxe d’habitation. En effet, vous l’avez dit, cette dernière sera remplacée par une quote-part de TVA, dont la dynamique sera, nous le savons, beaucoup plus importante que celle des bases actuelles de taxe d’habitation des communautés de communes.

M. Stéphane Piednoir. Cela reste à prouver !

M. Frédéric Marchand. Les financements nécessaires seront donc apportés par l’État, qui s’y est engagé, aux collectivités qui en auront besoin. S’il est un sujet sur lequel la parole de l’État prend tout son sens, c’est bien celui des mobilités, crucial pour tous nos concitoyens.

Comme le dit la sagesse populaire, il n’est de pire sourd que celui qui ne veut pas entendre ; or c’est bel et bien là la posture adoptée aujourd’hui par la majorité de l’hémicycle. Cette posture, non seulement nous ne la partageons pas, mais, de surcroît, nous la dénonçons. (Exclamations sur les travées du groupe Les Républicains.)

Nous avons débattu des heures durant sur les sujets passionnants abordés dans ce projet de loi, et notamment sur la programmation des investissements de l’État dans les systèmes de transport, qui est bien la mère des priorités.

Nous avons sanctuarisé quatre grands objectifs à l’horizon de 2037, faisant ainsi, par ce texte, le pari de l’ambition pour la France et les Français : réduire les inégalités territoriales en renforçant l’accessibilité des zones enclavées et des territoires mal connectés aux grandes agglomérations ; concentrer les efforts sur les déplacements du quotidien et améliorer la qualité des réseaux routiers, ferroviaires et fluviaux ; accélérer la transition énergétique en favorisant le rééquilibrage modal vers les transports les moins polluants ; améliorer l’efficacité des transports de marchandises en facilitant le report modal. Voilà quand même qui n’est pas rien ! En outre, cinq programmes d’investissements prioritaires ont été définis.

Pour atteindre ces quatre objectifs, nos deux assemblées ont souhaité une programmation sincère et financée, s’entendant pour la construire sur la base du scénario 2 du rapport du Conseil d’orientation des infrastructures de janvier 2018.

Nous le savons : par le passé, la programmation des transports s’est trop souvent traduite par des échecs ou des renoncements. Soumettre au Parlement une programmation financée des investissements dans les infrastructures de transports est un acte politique inédit et fort.

Par son pragmatisme et son volontarisme – nous le savons toutes et tous –, ce texte constitue un atout majeur pour réussir une politique des mobilités plus proche du quotidien de nos concitoyens.

Car, oui, ce projet de loi prévoit des investissements sans précédent – plus de 13 milliards d’euros sur le quinquennat – et donne une priorité claire aux transports du quotidien plutôt qu’aux grands projets. Il contient également des solutions nouvelles pour se déplacer plus facilement, par exemple un permis de conduire moins cher et pouvant être obtenu plus rapidement, un forfait mobilité durable pour se rendre sur son lieu de travail à vélo ou en covoiturage, ou encore de nouveaux outils dont les collectivités pourront se saisir afin de proposer d’autres solutions que le tout-voiture.

Le texte prévoit par ailleurs des transports plus propres, avec l’inscription dans la loi de la fin des ventes de voitures utilisant des énergies fossiles carbonées d’ici à 2040, et un plan massif pour déployer la recharge électrique et développer le vélo ou les zones à faibles émissions.

Il semble – hélas pour nos concitoyens ! – que le pragmatisme et le volontarisme soient peu de choses face à une volonté manifeste d’obstruction, qui ne sert en rien, au bout du compte, notre assemblée sénatoriale, car elle est très éloignée des préoccupations de nos concitoyens et de celles des acteurs des mobilités.

Nous ne pouvons pas nous satisfaire d’une proposition qui revient à faire l’impasse sur tout le formidable travail réalisé par notre assemblée dans un souci – et les mots ont ici un sens – de coconstruction avec nos collègues députés et avec le Gouvernement.

J’ai du mal en effet à comprendre que nous nous soyons félicités, sur toutes les travées, du « climat constructif », de l’« écoute », de la « volonté manifeste », de l’« envie d’avancer » du Gouvernement, pour finalement balayer tout cela d’un revers de main, en nous plaçant qui plus est dans une logique de guérilla parlementaire bien éloignée du quotidien de nos concitoyens.

Voilà, mes chers collègues, ce que je tenais à dire au nom de mon groupe, alors que nous serons sans doute privés d’un débat que nous pensions pouvoir être riche et fécond. (Applaudissements sur les travées du groupe LaREM. – MM. Jean-François Longeot et Jean-Paul Prince ainsi que Mme Michèle Vullien applaudissent également.)

M. le président. La parole est à Mme Éliane Assassi.

Mme Éliane Assassi. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, après des dizaines d’heures de débats et l’échec de la commission mixte paritaire en juillet dernier, nous arrivons au terme de la navette sur le projet de loi d’orientation des mobilités.

Cette nouvelle lecture sera courte, puisque la commission a déposé une motion, qu’elle justifie par l’absence de financements dédiés à l’exercice par les autorités organisatrices de leurs nouvelles compétences.

Nous partageons ces arguments, d’autant que nous avions nous-mêmes présenté une motion tendant à opposer la question préalable en première lecture et souligné le manque d’ambition de ce texte, le désengagement de l’État des transports collectifs et le défaut de financement de l’Afitf et des autorités organisatrices.

Nos arguments restent malheureusement d’actualité, ce texte ne contenant qu’une série de mesurettes plus ou moins pertinentes, dénuées de lien entre elles : plan vélo, développement du covoiturage, régulation des trottinettes, forfait mobilité, etc., autant de mesures qui ne sont pas financées.

Ces mesures traduisent également, en creux, l’abandon des transports collectifs comme offre structurante : on préfère organiser de nouvelles « solutions de mobilité » à géométrie variable, dans un marché libéralisé et uberisé.

Ce projet de loi n’apporte, de fait, aucune réponse aux enjeux, notamment climatiques.

Ainsi, comment se satisfaire que l’ensemble des mobilités promues dans ce projet de loi, qu’elles soient actives ou partagées, aient pour point commun d’emprunter la route, et toujours la route ? Comment se contenter d’un report toujours plus loin dans le temps de l’étude de la problématique des petites lignes, sachant que ce sont 56 lignes et 9 000 kilomètres de rails qui risquent de fermer demain, ce qui entraînerait la création de nouveaux déserts ferroviaires, où la voiture et les bus seraient les seules solutions ?

Comment, dans ce projet de loi, la problématique des transports est-elle articulée avec celles de l’habitat et de l’emploi, dans la perspective de limiter le besoin de mobilité ? À cette question, nous n’obtenons rien, à titre de réponse, qu’un silence coupable de la part du Gouvernement.

Avec plus de 13 gigatonnes de CO2 émis en 2016 dans le monde, le transport est pourtant le deuxième émetteur de gaz à effet de serre. En France, ce secteur est en tête ; il représente 29,4 % de l’ensemble des émissions. En son sein, le trafic routier représente à lui seul près de 95 % des émissions.

Le report modal, via la construction d’une offre massifiée et d’un réseau ferroviaire de qualité, est donc l’une des conditions du respect des engagements que nous avons pris dans le cadre de l’accord de Paris. Pourtant, nous assistons à un mouvement inverse de désengagement et de démembrement du réseau ferroviaire.

Cette stratégie, conjuguée à la transformation de la SNCF en société anonyme, est cohérente avec votre objectif, monsieur le secrétaire d’État, puisqu’elle permet de resserrer le réseau ferroviaire et l’offre de l’opérateur national sur les activités et les axes rentables.

Cette stratégie purement commerciale crée un malaise immense chez les cheminots, qui sont confrontés à la casse de leur outil de travail, ce qui les oblige même, en dernier recours, à faire usage de leur droit de retrait afin de préserver leur sécurité et celle des usagers.

Nous prenons, pour notre part, le contrepied de ces politiques libérales, et proposons des mesures simples : l’augmentation et la généralisation du versement transport, ainsi que la baisse de la TVA, afin de donner aux autorités organisatrices la possibilité de développer l’offre de transport.

S’agissant de l’Afitf, nous demandons le retour de l’écotaxe, mais également la renationalisation des sociétés concessionnaires d’autoroutes, idée à laquelle vous sembliez adhérer, monsieur le secrétaire d’État, et ce afin de réaliser le scénario 3 du Comité d’orientation des infrastructures.

Nous voulons que le fret ferroviaire soit déclaré d’intérêt général afin qu’il puisse être subventionné et développé, le maintien de la ligne Perpignan-Rungis étant, selon nous, le minimum vital.

Nous encourageons le retour des trains de nuit, qui représentent une alternative à l’avion, ainsi que celui des trains Intercités, qui sont autant de maillons structurant nos territoires – ces orientations ont fait l’objet de votes, sur notre initiative, et se retrouvent dans le texte.

À l’inverse, ce projet de loi organise de nouvelles concessions autoroutières et engage la privatisation des routes nationales. Il s’agit là d’une faute lourde, l’heure étant non plus aux partenariats public-privé, mais bien à un retour de l’intérêt public dans la gestion des infrastructures et du service public.

La création d’une charte pour les salariés des plateformes contourne la jurisprudence et la reconnaissance du salariat. Sur l’initiative de Pascal Savoldelli et de Fabien Gay, nous avons déposé une proposition de loi sur ce sujet afin de garantir le droit des travailleurs.

Enfin, et c’est un point fondamental, l’ouverture à la concurrence des transports urbains et la remise en cause de l’organisation de la RATP créent de lourds risques. Elles préparent la future privatisation de l’opérateur public, contre les intérêts des salariés et des usagers, notamment en termes de cohérence de l’offre et de sécurité.

Vos remèdes sont toujours les mêmes : privatisation, libéralisation et individualisation des besoins. Ces remèdes de l’ancien monde, et non pas du nouveau, ont fait la démonstration qu’ils servaient non pas les intérêts collectifs des usagers des transports, mais bien ceux des géants du bâtiment et des travaux publics et des autres lobbies du secteur routier.

Pour l’ensemble de ces raisons, nous voterons contre ce projet de loi et pour la motion déposée par la commission. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE. – Mme Martine Filleul et M. Jean-Pierre Sueur applaudissent également.)

M. le président. La parole est à M. Michel Vaspart. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Michel Vaspart. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, le Sénat achève aujourd’hui une séquence législative qui s’est ouverte il y a un peu plus de deux ans à l’occasion des Assises nationales de la mobilité.

Après 400 réunions de travail, 60 réunions publiques, 2 000 propositions et 200 cahiers d’acteurs, nous ne pouvons pas dire que ce texte n’a pas été rédigé dans la concertation.

Les mouvements sociaux que notre pays a traversés ont néanmoins conduit le Gouvernement à édulcorer le projet de loi, s’agissant notamment de la création des péages urbains. C’était, monsieur le secrétaire d’État, une sage décision.

Si je reviens sur cet épisode désormais lointain, c’est parce que ce revirement est symptomatique de la méconnaissance que certains « sachants », qu’ils soient conseillers ou hauts fonctionnaires – ce sont souvent les mêmes –, ont de la vie quotidienne des Français, mais aussi de leur état d’esprit. Nous en rencontrons tous de nombreux exemples dans nos actions quotidiennes, et ce quelles que soient les thématiques et les sensibilités. Or cette méconnaissance, mes chers collègues, est le ferment de la défiance de nos concitoyens à l’égard de l’action publique.

Monsieur le secrétaire d’État, quand une mesure ne passe pas dans l’opinion, qu’il s’agisse de la hausse de la TICPE, que j’avais moi-même dénoncée lors d’une question d’actualité au Gouvernement, comme bon nombre de mes collègues sénateurs, il y a deux ans déjà, ou de la création des péages urbains, pour ne prendre que ces exemples, il faut cesser de se conforter dans cette voie en disant, par exemple, que la mesure n’a pas été expliquée, qu’il y a eu un malentendu ou encore que, avec un peu plus de pédagogie, les Français l’accepteront.

La mobilité des Français est en crise. En zone rurale comme en zone périurbaine, la mobilité quotidienne des Français est devenue problématique pour deux raisons : le coût des déplacements, d’une part, les carburants étant de plus en plus chers, et, d’autre part, un aménagement du territoire parfois défaillant, qui éloigne chaque jour un peu plus les zones résidentielles des zones productives, des zones d’emploi ou des zones de scolarisation.

Cette question ne se posait pas dans les mêmes termes il y a encore une quinzaine d’années et, de ce fait, le législateur est apparu un peu débordé.

Aujourd’hui – c’est une lacune du projet de loi qui a été soulignée au Sénat en première lecture, peut-être parce que nous sommes plus sensibles à l’impact territorial d’un texte –, la LOM n’admet qu’un seul postulat : favoriser la mobilité, au détriment de la sédentarité.

Pour ma part, je pense, et je ne suis pas le seul, qu’on ne peut plus parler de mobilité, à l’heure de la raréfaction des matières premières et de la crise écologique et énergétique, sans parler des migrations pendulaires et du volume des déplacements journaliers des personnes, car ce sont là très exactement les points cardinaux de la problématique de la mobilité.

Malgré cette lacune et certaines divergences d’appréciation sur telle ou telle mesure, le Sénat s’est montré très constructif dans l’examen du projet de loi.

Je rappelle qu’il a ainsi adopté le nouveau partage de la compétence mobilité à l’article 1er, l’intégration en droit français de la nouvelle réglementation européenne sur l’ouverture des données de mobilité à l’article 9, la création d’un service multimodal de vente de services de transport à l’article 11, la possibilité pour les autorités organisatrices de réguler les nouveaux services de mobilité à l’article 18, ou encore la création d’un forfait mobilité durable à l’article 26. Il s’agit là de quelques-unes des mesures structurantes du projet de loi.

Monsieur le secrétaire d’État, parce que nous n’avons pas d’a priori et parce que ces mesures ne représentaient pour nous aucun casus belli, nous avons toujours essayé de les améliorer.

Mais alors, quels étaient les points de blocage ? Je citerai, parmi d’autres, la charte sociale pour les plateformes de mise en relation prévue à l’article 20. Les sénateurs, dans leur très grande majorité, ont rejeté cette charte optionnelle, qui ne résoudra pas la question de l’ubérisation des relations sociales. Les députés sont revenus sur cette suppression.

Autre point de blocage – mon collègue rapporteur l’a dit : l’abaissement à 80 kilomètres-heure de la vitesse autorisée sur le réseau secondaire. Là encore, le Sénat a très largement signifié au Gouvernement la légèreté de sa décision unilatérale.

Dans ce cas précis, les députés ont supprimé la possibilité laissée au préfet de déroger à la vitesse maximale autorisée sur les routes nationales. Seuls les présidents de conseils départementaux et les maires auront la faculté d’abaisser la vitesse sur les routes secondaires. On voit combien le piège s’est retourné contre les présidents de conseils départementaux.

Je soulèverai un dernier point – et vous aurez compris que cette liste n’est pas exhaustive : l’attribution, votée par le Sénat, d’une partie du produit de la TICPE au financement des services de mobilité dans les territoires peu denses. Vous le savez, la mesure n’a pas été conservée ; il y a là un autre point de désaccord avec le Gouvernement et sa majorité.

Permettez-moi, puisqu’il s’agit de fiscalité verte, de vous faire part de ma grande inquiétude. Notre commission a auditionné il y a quelques jours le président suppléant du Conseil des prélèvements obligatoires. En 2018, le Gouvernement a prélevé 87 milliards d’euros de fiscalité verte, soit 3,73 % du PIB ! Au Royaume-Uni, le produit de la fiscalité environnementale représente 2,4 % du PIB ; en Espagne et en Allemagne, 1,8 %. Cela signifie que la France prélève deux fois plus que l’Espagne ou que l’Allemagne, et 55 % de plus que le Royaume-Uni, alors que cette fiscalité verte sert non pas à la transition énergétique, mais à alimenter le budget général. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, SOCR et CRCE. – M. Henri Cabanel applaudit également.)

Attention, il y a danger, monsieur le secrétaire d’État ! Il se dit que vous souhaitez reprendre l’augmentation de cette fiscalité à partir de 2020, après la pause de 2019. Nous avons eu les « gilets jaunes » pendant un an ; tâchons de ne pas répéter l’expérience, qu’il s’agisse de gilets jaunes, de bonnets rouges ou – pourquoi pas ? – de pantalons bleus !

La réussite d’une politique en faveur des mobilités dépend largement de son financement, comme le rapporteur Didier Mandelli a eu l’occasion de le dire à Mme Borne, alors ministre des transports, dès le début de la discussion.

Depuis quelques années – on pourrait faire remonter ce tournant au rapport de la commission Mobilité 21, en 2013 –, la gestion des infrastructures françaises a pris un virage notable. Nous sommes progressivement passés d’une logique de développement du réseau national à une logique de préservation de l’existant. Ce changement de paradigme n’est que la conséquence malheureuse de plusieurs décennies d’atermoiements. Nous payons, aujourd’hui encore, un sous-investissement chronique dans l’entretien des infrastructures existantes, qui nous condamne désormais à une certaine frugalité.

Aussi, comme l’immense majorité de mes collègues de la commission de l’aménagement du territoire et du développement durable, je regrette que l’examen de ce projet de loi et cette séquence politique de plus de deux ans, qui va s’achever dans quelques jours, n’aient pas été l’occasion d’un éclaircissement s’agissant du financement stable, à l’avenir, de nos infrastructures.

Le Sénat et son rapporteur Didier Mandelli, avec les limites qui leur sont imposées par la loi organique relative aux lois de finances, la LOLF, ont bien essayé de trouver des parades, ou au moins de vous mettre sur la voie, mais ce fut sans résultat.

En matière de financement, le Gouvernement ne s’est jamais montré rassurant depuis que nous avons commencé l’examen de ce texte, et j’ai peine à croire que cela puisse changer à la faveur d’une nouvelle lecture.

Pour cette raison, il est à craindre que cette nouvelle discussion, si elle devait avoir lieu, emprunte une voie sans issue. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, ainsi que sur des travées du groupe SOCR.)