Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?

Mme Marie Mercier, rapporteur. Ma chère collègue, cette mesure aurait l’avantage de l’efficacité en termes de délais, mais accroîtrait forcément la charge de travail des policiers et des gendarmes, qui seraient tenus de porter ces convocations.

L’assignation par huissier de justice est tout aussi efficace, mais requiert des évolutions en matière d’aide juridictionnelle, afin que celle-ci soit accordée dès la demande de l’ordonnance de protection et non plus au moment de sa délivrance.

Pour cette question de faisabilité, nous demandons l’avis du Gouvernement.

Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?

Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux. Madame la sénatrice, vous avez parfaitement expliqué les trois modes de convocation des parties à l’audience et souhaitez accentuer la voie administrative.

Je ne partage pas votre avis, même si j’en comprends la logique. Aujourd’hui, ce mode de convocation est résiduel, puisque près de 62 % des convocations sont transmises par voie de requête et 38 % par huissier. Soyons clairs, la difficulté, si nous multiplions les convocations par voie administrative, c’est la surcharge de travail pour les services de police et de gendarmerie, qui doivent d’abord se mobiliser sur les dépôts de plainte et le suivi des procédures pénales.

En matière civile, en cas d’urgence, la voie de l’assignation est très efficace. Vous avez évoqué son coût – autour de 100 euros, un peu plus en cas d’urgence –, et j’en conviens tout à fait. Néanmoins, la convocation peut être délivrée d’un jour à l’autre et remise en main propre au défendeur. Par ailleurs, les frais peuvent être pris en charge par l’aide juridictionnelle. C’est un point dont nous serons peut-être amenés à reparler.

Pour toutes ces raisons, il me semble plus réaliste de procéder par cette voie plutôt que par la voie administrative.

J’émets donc un avis défavorable sur cet amendement.

Mme la présidente. Quel est donc l’avis de la commission ?

Mme Marie Mercier, rapporteur. Même avis.

Mme la présidente. La parole est à M. Jacques Bigot, pour explication de vote.

M. Jacques Bigot. Que voulons-nous ? Si nous voulons lutter efficacement contre les féminicides liés aux violences conjugales, nous ne pouvons opposer à cette proposition l’utilisation résiduelle de la voie administrative ou la surcharge des services de police et de gendarmerie.

Il est exact que la voie de l’assignation est efficace, le plus efficace étant sans doute de saisir le juge aux affaires familiales par le biais d’une assignation à jour fixe, voire d’heure à heure, mais cela suppose des moyens dont la victime est le plus souvent dépourvue.

Nous sommes face à des femmes perdues, déboussolées, qui ont peur de porter plainte. Il faut les accompagner efficacement, c’est le sens de l’amendement précédent. La voie administrative, si elle n’est pas systématique, doit pouvoir être utilisée.

Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux. Elle peut l’être !

M. Jacques Bigot. Ce texte a pour objet d’améliorer les procédures, madame la garde des sceaux. La voie administrative mérite donc d’être creusée comme l’un des moyens de saisir très rapidement, dans un débat contradictoire, les deux parties, pour que la décision puisse être rendue sans délai et de manière efficace.

Mme la présidente. La parole est à Mme Annick Billon, pour explication de vote.

Mme Annick Billon. Je voterai cet amendement de Mme de la Gontrie, en raison de l’urgence, à laquelle l’on ne saurait opposer un déficit de moyens.

Mme la présidente. La parole est à M. Vincent Segouin, pour explication de vote.

M. Vincent Segouin. Je voterai cet amendement, car la voie administrative a le mérite de ne pas coûter cher. Il y a déjà de telles contraintes et de tels blocages qu’il ne faut pas ajouter une charge financière supplémentaire pour la victime.

Mme la présidente. La parole est à Mme Victoire Jasmin, pour explication de vote.

Mme Victoire Jasmin. Madame la garde des sceaux, vous êtes venue récemment en Guadeloupe pour l’inauguration du nouveau palais de justice de Pointe-à-Pitre. Vous avez entendu les magistrats et les avocats dénoncer le manque de moyens.

La proposition du député Pradié est une très bonne chose, mais, dans des territoires exigus comme chez nous, l’éloignement est relatif et tout le monde se connaît.

Sur le territoire national, particulièrement dans les outre-mer, nous avons besoin de tels dispositifs. Il est urgent de prendre les bonnes décisions ! Cette proposition de loi mérite d’être adoptée rapidement. Mme de la Gontrie, de surcroît avocate, sait de quoi elle parle, moi aussi, en tant que membre d’une association en Guadeloupe. Il faut prendre ces problématiques à bras-le-corps, sans attendre les conclusions du Grenelle sur les violences conjugales.

Faisons un pas après l’autre ! Faisons de notre mieux, avec la proposition de loi de M. Pradié, pour éviter que la liste des victimes ne s’allonge d’ici à la fin de l’année !

Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Pierre Sueur, pour explication de vote.

M. Jean-Pierre Sueur. Nous sommes tous sensibilisés à ce sujet, dont on ne parlait pas naguère ; on avait tort, d’ailleurs, de n’en pas parler.

Ce qui frappe lorsque l’on suit l’actualité douloureuse et dramatique de la vie, puis de la disparition de ces femmes, c’est l’urgence des situations. Ces femmes malmenées ont peur, et l’ordonnance de protection, tout le monde le comprend, doit prendre effet le plus vite possible.

Nous n’avons pas le temps de faire de la procédure…

Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux. Ce n’est pas de la procédure !

M. Jean-Pierre Sueur. … ou de nous perdre dans les règles applicables ; celles-ci doivent être claires, nettes et précises.

C’est la raison pour laquelle, à mon tour, je soutiens cet amendement avec force, par respect pour ces femmes et parce que nous leur devons l’efficacité.

Mme la présidente. La parole est à Mme Josiane Costes, pour explication de vote.

Mme Josiane Costes. Nous soutiendrons également cet amendement, parce que nous devons agir dans l’urgence pour toutes les femmes, y compris les plus démunies.

Mme la présidente. La parole est à Mme la garde des sceaux.

Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux. Je comprends la volonté qui vous anime, mesdames, messieurs les sénateurs, mais il faut faire attention à ce que l’on écrit.

L’amendement proposé par Mme de la Gontrie ne laisse plus aucun choix au juge, qui devra forcément convoquer par la voie administrative, alors qu’il dispose actuellement de trois modalités de convocation.

Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux. Je n’ai pas terminé, madame la sénatrice.

C’est là réduire sérieusement les possibilités du juge. Faisons tout de même attention à ce que nous inscrivons dans la loi !

Par ailleurs, à la suite des travaux qui ont été menés, j’ai récemment publié le guide pratique de l’ordonnance de protection. Ce document est extrêmement complet et donne des renseignements très précis. Il est utilisable par les magistrats, les associations et l’ensemble des acteurs concernés par cette problématique.

Il y est écrit que « le greffe du juge aux affaires familiales peut ordonner une remise en main propre de la convocation par une autorité administrative » dans les situations délicates ou d’urgence. J’incite donc à utiliser la voie administrative dans certains cas. Mais je n’en fais pas la modalité unique de convocation, car je ne souhaite pas introduire de la rigidité ; il existe de multiples manières d’ordonner ces convocations.

J’ai évidemment le délai de six jours en ligne de mire. Comme je l’ai souligné dans la discussion générale – j’aurai sans doute l’occasion d’y revenir –, je souhaite développer des procédures de l’urgence pour répondre à cette exigence partagée. Nous aurons ainsi des modalités spécifiques et adaptées dans chaque tribunal.

Je vous appelle donc à la vigilance. Ne rigidifions pas à l’excès. Nous pouvons, me semble-t-il, obtenir plus avec de la souplesse.

Mme la présidente. La parole est à Mme le rapporteur.

Mme Marie Mercier, rapporteur. Le sujet est hautement sensible et émotionnel. Tous, nous avons à cœur de tout faire pour mieux protéger les femmes et éviter ces épouvantables homicides.

Toutefois, il faut savoir raison garder. Je vous renvoie au rapport de notre collègue François Grosdidier, qui montrait combien les policiers et les gendarmes sont étouffés par les tâches administratives et qui soulignait la nécessité de recentrer ces professionnels sur d’autres activités.

Ne l’oublions pas, nous devons légiférer dans la rigueur du droit. Essayons de nous prémunir contre nos émotions. (Mme Laurence Rossignol sexclame.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Marie-Pierre de la Gontrie, pour explication de vote.

Mme Marie-Pierre de la Gontrie. Madame le rapporteur, je ne suis pas dans l’émotion : je suis dans l’efficacité. C’est pourquoi j’insiste sur les six jours.

J’ai consulté le guide de l’ordonnance de protection. Il s’applique à des dispositions prévoyant à ce jour que le juge aux affaires familiales rend l’ordonnance de protection dans les meilleurs délais. C’est donc un autre contexte. Le choix était alors entre différents modes de convocation plus ou moins efficaces et rapides. D’ailleurs, vous avez souligné que l’on recourait à la voie administrative, c’est dire !

Néanmoins, aujourd’hui, nous changeons d’objectif, puisque nous retenons le délai de six jours. Il faut donc un dispositif clair. Ce n’est pas une question d’émotion. Comment fait-on pour garantir le respect de ce délai ? Ainsi que cela a été souligné, pour convoquer vite, il faut opter pour la voie administrative.

Les données du problème sont simples : si nous n’adoptons pas le présent amendement, si nous ne retenons pas la voie administrative, nous tuons l’objectif des six jours !

Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux. C’est totalement inexact !

Mme la présidente. La parole est à M. le vice-président de la commission.

M. François-Noël Buffet, vice-président de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et dadministration générale. Je voudrais tout de même attirer l’attention de nos collègues sur la nécessité de garder un peu de souplesse.

Certes, faire de la voie administrative l’unique modalité de convocation peut être source d’efficacité et de rapidité. Mais que se passera-t-il si la personne ne reçoit pas la convocation, par exemple parce qu’on ne la trouve pas ? Nous risquons de rencontrer des difficultés le jour de l’audience.

Maintenir différentes possibilités, dont l’assignation par huissier de justice, offre plus de garanties, à commencer par la certitude d’une date. Il peut y avoir un procès-verbal de recherches infructueuses, ce qui permet à la procédure d’audience de se tenir dans de bonnes conditions et aux juges de statuer. À défaut, il y aura toujours un doute, du fait par exemple de la difficulté de la notification du résultat éventuel de l’audience par voie administrative.

C’est donc pour des raisons strictement pratiques que je ne suis pas favorable au présent amendement. Je comprends le souci d’efficacité, que nous partageons tous. Mais veillons à ne pas nous mettre un boulet aux pieds en nous privant d’une procédure aussi efficace, voire plus efficace lorsque le défendeur se cache, fuit ses responsabilités et ne veut pas venir à l’audience.

L’assignation par voie de justice nous donne, me semble-t-il, une sécurité juridique beaucoup plus forte.

Mme la présidente. La parole est à Mme Laure Darcos, pour explication de vote.

Mme Laure Darcos. J’entends les arguments de part et d’autre. Certes, nous nous enfermerions en faisant de la voie administrative le seul moyen. Pour autant, je trouve les propos de ma collègue Marie-Pierre de la Gontrie très convaincants.

N’est-il pas envisageable de déposer un sous-amendement, comme elle l’a fait tout à l’heure, avec une rédaction du type : « Tous moyens adaptés, dont la voie administrative en priorité » ? Il serait ainsi possible de recourir à l’assignation sous réserve d’en avoir les moyens financiers.

Mme la présidente. La parole est à Mme Laurence Rossignol, pour explication de vote.

Mme Laurence Rossignol. Nous savons tous que le délai de six jours n’est pas facile à tenir. C’est une ambition qu’il faudra respecter. D’un certain point de vue, de tels débats ont déjà eu lieu précédemment, au Sénat comme à l’Assemblée nationale, par exemple en 2010.

Le principe de la souplesse laissée au juge est systématiquement invoqué pour récuser des amendements tendant à sécuriser les procédures.

Or, en matière d’ordonnances de protection, cette souplesse a abouti à faire en sorte que 50 % des demandes d’ordonnances de protection sont rejetées, que 10 % des tribunaux n’ont jamais prononcé d’ordonnance et que les trois quarts des ordonnances de protection sont décidés par la moitié des juges aux affaires familiales.

Laisser aux juges la souplesse à laquelle la Chancellerie tient tant a donc pour conséquence de nous obliger à réformer l’ordonnance de protection. J’attire l’attention de nos collègues sur ce point, afin que nous ne nous retrouvions pas dans deux ans à dresser le même bilan qu’aujourd’hui et à constater que le délai de six jours se heurte à de nombreuses difficultés.

La voie administrative est effectivement rigoureuse, mais c’est la plus efficace. D’ailleurs, même ceux qui s’opposent à cet amendement le reconnaissent.

Mme la présidente. La parole est à Mme la garde des sceaux.

Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux. Madame la sénatrice, l’assignation aussi est efficace.

Par ailleurs, vous le savez parfaitement, si l’ordonnance de protection ne fonctionne pas suffisamment bien, ce n’est pas lié à la convocation ; cela tient uniquement à une insuffisance de preuves, comme l’absence d’un certificat médical, entre autres.

Le maintien des trois voies, en incitant à privilégier l’une ou l’autre selon les circonstances, me paraît véritablement la solution la mieux adaptée.

Mme la présidente. Je mets aux voix l’amendement n° 55 rectifié.

(Lamendement est adopté.)

Mme la présidente. Je mets aux voix l’article 1er, modifié.

(Larticle 1er est adopté.)

Article 1er
Dossier législatif : proposition de loi visant à agir contre les violences au sein de la famille
Article 1er bis (interruption de la discussion)

Article 1er bis

L’article 515-9 du code civil est ainsi modifié :

1° Après le mot : « couple », sont insérés les mots : « , y compris lorsqu’il n’y a pas de cohabitation, » ;

2° Après le mot : « concubin », sont insérés les mots : « , y compris lorsqu’il n’y a jamais eu de cohabitation, ». – (Adopté.)

Article 1er bis (début)
Dossier législatif : proposition de loi visant à agir contre les violences au sein de la famille
Discussion générale

6

Communication d’un avis sur un projet de nomination

Mme la présidente. En application du cinquième alinéa de l’article 13 de la Constitution, ainsi que de la loi organique n° 2010-837 et de la loi n° 2010-838 du 23 juillet 2010 prises pour son application, la commission de l’aménagement du territoire a émis, lors de sa réunion de ce jour, un avis favorable – 27 voix pour, aucune voix contre – à la nomination de M. Yves Le Breton aux fonctions de directeur général de l’Agence nationale de la cohésion des territoires.

7

Adoption des conclusions de la conférence des présidents

Mme la présidente. Je n’ai été saisie d’aucune observation sur les conclusions de la conférence des présidents. Elles sont donc adoptées.

Mes chers collègues, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à vingt et une heures quarante.

La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à vingt heures dix, est reprise à vingt et une heures quarante, sous la présidence de M. Jean-Marc Gabouty.)

PRÉSIDENCE DE M. Jean-Marc Gabouty

vice-président

M. le président. La séance est reprise.

8

Article 1er bis (interruption de la discussion)
Dossier législatif : proposition de loi visant à agir contre les violences au sein de la famille
Article 2

Violences au sein de la famille

Suite de la discussion en procédure accélérée et adoption d’une proposition de loi dans le texte de la commission modifié

M. le président. Nous reprenons l’examen de la proposition de loi, adoptée par l’Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, visant à agir contre les violences au sein de la famille.

Dans la discussion des articles, nous en sommes parvenus, au sein du chapitre Ier, à l’article 2.

Chapitre Ier (suite)

De l’ordonnance de protection et de la médiation familiale

Discussion générale
Dossier législatif : proposition de loi visant à agir contre les violences au sein de la famille
Article additionnel après l'article 2 - Amendement n° 13 rectifié quinquies

Article 2

Le titre XIV du livre Ier du code civil est ainsi modifié :

1° L’article 515-11 est ainsi modifié :

a) À la première phrase du premier alinéa, les mots : « dans les meilleurs délais, par le juge aux affaires familiales, » sont remplacés par les mots : « par le juge aux affaires familiales, dans un délai maximal de six jours à compter de la fixation de la date de l’audience » ;

a bis) À la seconde phrase du même premier alinéa, après le mot : « délivrance, », sont insérés les mots : « après avoir recueilli les observations des parties sur chacune des mesures suivantes, » ;

a ter) Après le 1°, il est inséré un 1° bis ainsi rédigé :

« 1° bis Interdire à la partie défenderesse de se rendre dans certains lieux spécialement désignés par le juge aux affaires familiales dans lesquels se trouve de façon habituelle la partie demanderesse ; »

a quater) Le 2° est complété par une phrase ainsi rédigée : « Lorsque l’ordonnance de protection édicte la mesure prévue au 1°, la décision de ne pas interdire la détention ou le port d’arme est spécialement motivée ; »

a quinquies) Après le même 2°, il est inséré un 2° bis ainsi rédigé :

« 2° bis Proposer à la partie défenderesse une prise en charge sanitaire, sociale ou psychologique ou un stage de responsabilisation pour la prévention et la lutte contre les violences au sein du couple et sexistes. En cas de refus de la partie défenderesse, le juge aux affaires familiales en avise immédiatement le procureur de la République ; »

b) Le 3° est ainsi rédigé :

« 3° Statuer sur la résidence séparée des époux. À la demande du conjoint qui n’est pas l’auteur des violences, la jouissance du logement conjugal lui est attribuée, sauf circonstances particulières, sur ordonnance spécialement motivée, et même s’il a bénéficié d’un hébergement d’urgence. Dans ce cas, la prise en charge des frais afférents peut être à la charge du conjoint violent ; »

c) Le 4° est ainsi rédigé :

« 4° Se prononcer sur le logement commun de partenaires liés par un pacte civil de solidarité ou de concubins. À la demande du partenaire lié par un pacte civil de solidarité ou du concubin qui n’est pas l’auteur des violences, la jouissance du logement commun lui est attribuée, sauf circonstances particulières, sur ordonnance spécialement motivée, et même s’il a bénéficié d’un hébergement d’urgence. Dans ce cas, la prise en charge des frais afférents peut être à la charge du partenaire ou concubin violent ; »

d) Au 5°, après la première occurrence du mot : « et », sont insérés les mots : « , au sens de l’article 373-2-9, sur les modalités du droit de visite et d’hébergement, ainsi que » ;

d bis) Le même 5° est complété par une phrase ainsi rédigée : « Lorsque l’ordonnance de protection édicte la mesure prévue au 1° du présent article, la décision de ne pas ordonner l’exercice du droit de visite dans un espace de rencontre désigné ou en présence d’un tiers de confiance est spécialement motivée ; »

e) (Supprimé)

2° Après le même article 515-11, il est inséré un article 515-11-1 ainsi rédigé :

« Art. 515-11-1. – I. – Lorsque l’interdiction prévue au 1° de l’article 515-11 a été prononcée, le juge aux affaires familiales peut ordonner, après avoir recueilli le consentement des deux parties, le port par chacune d’elles d’un dispositif électronique mobile anti-rapprochement permettant à tout moment de signaler que la partie défenderesse se trouve à moins d’une certaine distance de la partie demanderesse, fixée par l’ordonnance. En cas de refus de la partie défenderesse faisant obstacle au prononcé de cette mesure, le juge aux affaires familiales en avise immédiatement le procureur de la République.

« II. – Ce dispositif fait l’objet d’un traitement de données à caractère personnel, dont les conditions et les modalités de mise en œuvre sont définies par décret en Conseil d’État. »

M. le président. La parole est à Mme Laurence Cohen, sur l’article.

Mme Laurence Cohen. Comme cela a été souligné, le 129e féminicide a été perpétré le 2 novembre dernier à Bayonne.

Voilà qui nous rappelle le contexte dramatique dans lequel s’inscrit la discussion de la présente proposition de loi. Ce qui nous motive en priorité, c’est la mise à l’abri immédiate des femmes victimes de violences ; celles-ci encourent – nous l’avons vu – un danger vital. Le sujet a été au cœur de nos discussions aujourd’hui.

Ce chiffre de 129 féminicides est déjà supérieur au total des meurtres de femmes pour toute l’année 2018. Ce qui est directement en cause, c’est bien le manque de réactivité et de souplesse de la justice, malgré un arsenal législatif qui existe déjà. Je pense notamment à la création des ordonnances de protection dans la loi du 9 juillet 2010 relative aux violences faites spécifiquement aux femmes, aux violences au sein des couples et aux incidences de ces dernières sur les enfants.

L’objectif des ordonnances de protection était bien le renforcement rapide de la protection des victimes, indépendamment de l’existence d’une procédure pénale en cours. C’est ce souci qui nous a motivés lorsque nous avons présenté nos amendements. Malheureusement, beaucoup ont été rejetés.

Malgré l’existence de cet outil incontournable, en moyenne, seulement 1 300 ordonnances de protection sont délivrées chaque année en France, alors que ce sont 225 000 femmes qui sont victimes de violences de la part de leur conjoint ou de leur ex-conjoint. Il faut rappeler ces chiffres sans arrêt. La lourdeur administrative est en partie responsable de cette faible délivrance.

L’une des principales dispositions prévues dans l’article 2, à savoir la réduction des délais de délivrance à six jours maximum à compter du jour de la fixation de l’audience, permet de redonner son utilité première à l’ordonnance de protection.

Cela étant, pour nous – c’est l’objet de l’amendement n° 29, que je défendrai dans quelques instants –, il serait préférable de fixer le délai à compter de la requête de la victime. Bien entendu, cela suppose que la justice ait les moyens d’accomplir ses missions.

Madame la garde des sceaux, je vous adresse donc un appel solennel, à quelques jours de l’examen du projet de loi de finances : puisque le Gouvernement semble soutenir la présente proposition de loi, il doit véritablement accorder les crédits nécessaires à sa mise en œuvre.

M. le président. La parole est à Mme Marie-Pierre de la Gontrie, sur l’article.

Mme Marie-Pierre de la Gontrie. L’article 2 est sans doute l’article le plus important et le plus délicat de la présente proposition de loi.

C’est le plus important, car il contient les dispositions réduisant à six jours le délai pour le juge aux affaires familiales pour rendre l’ordonnance de protection. Comme nous l’avons évoqué tout à l’heure, ce délai de six jours est la marque d’une ambition ; nous aurons l’occasion d’y revenir. Dans le cadre de l’ordonnance de protection, un grand nombre de décisions difficiles sont prises dans un délai extrêmement court ; certaines sont effectivement restrictives de liberté, quand d’autres portent sur la résidence ou les enfants.

C’est aussi l’article le plus délicat, car il introduit dans la phase pré-sentencielle, donc antérieure à toute condamnation, la possibilité pour le juge aux affaires familiales d’imposer au défendeur supposé auteur le port d’un bracelet anti-rapprochement, qui est un bracelet électronique. La demanderesse aurait une sorte de boîtier.

Ainsi, en fonction d’une distance imposée par le juge, il n’y aurait pas de possibilité de rapprochement physique pendant une durée fixée par lui. Le sujet est donc délicat. Le dispositif étant restrictif de liberté, il doit être encadré par un certain nombre de protections.

Nous allons donc proposer – nous ne sommes pas les seuls – une modification de la mesure envisagée ; pour l’instant, la décision appartient au seul juge aux affaires familiales.

À ce stade, l’article 2 n’a fait l’objet d’aucun amendement en commission. Par conséquent, en fonction de ce que nous voterons ce soir, la discussion cessera ou, au contraire, continuera. Vous le comprendrez, mes chers collègues, un vote conforme sur des mesures extrêmement délicates, dont je pense qu’elles nécessitent sans doute un travail plus approfondi, serait très problématique.

M. le président. Je suis saisi de dix amendements faisant l’objet d’une discussion commune.

L’amendement n° 101 rectifié, présenté par Mme Costes, MM. Arnell, Artano, A. Bertrand et Cabanel, Mme M. Carrère, MM. Collin et Corbisez, Mme N. Delattre, MM. Gold, Guérini et Labbé, Mme Laborde et MM. Requier, Roux et Vall, est ainsi libellé :

I. – Alinéa 3

Rédiger ainsi cet alinéa :

a) La première phrase du premier alinéa est ainsi rédigée : « L’ordonnance de protection est délivrée, par le juge aux affaires familiales, dans un délai maximal de six jours à compter de la fixation de la date de l’audience, s’il estime, au vu des éléments produits devant lui et contradictoirement débattus, que les faits de violence allégués sont vraisemblables et que la partie demanderesse, un ou plusieurs enfants sont exposés à un danger. » ;

II. – Alinéas 17 à 19

Supprimer ces alinéas.

La parole est à Mme Josiane Costes.

Mme Josiane Costes. Cet amendement est complémentaire de l’amendement n° 102 rectifié, que nous examinerons tout à l’heure.

L’ordonnance de protection est une invention législative récente, très ingénieuse, qui consiste à doter le juge des affaires familiales d’une palette de prérogatives pour répondre à une situation de danger pour une personne victime de violences au sein de son couple.

Selon les données disponibles, dans un cas sur deux, la demande d’ordonnance serait rejetée, en partie du fait de la difficulté d’établir l’existence de « raisons sérieuses » de considérer comme vraisemblable la commission des faits de violences allégués et le danger. Compte tenu des moyens coercitifs conférés au juge des affaires familiales, le législateur s’est montré très précautionneux dans sa rédaction, ce qui rend l’ordonnance plus difficilement applicable.

En vue de mieux protéger les éventuelles victimes, nous proposons que l’ordonnance de protection puisse être plus facilement délivrée en supprimant la référence aux « raisons sérieuses », afin de laisser une plus large interprétation au juge.

En contrepartie de cet élargissement, nous serions favorables à ne pas multiplier les moyens coercitifs conférés au juge des affaires familiales par le biais de l’ordonnance de protection et à ne pas étendre le recours du bracelet anti-rapprochement à ce cas de figure précis.

Comme cela a été souligné en commission, ces magistrats ne sont pas des spécialistes des mesures restrictives de liberté. Ils pourraient donc éprouver des réticences à les prononcer.

En outre, du fait de la nature hybride de l’ordonnance de protection, la procédure qu’il est proposé d’instaurer n’offre pas à la victime la garantie formelle de l’éloignement.

Admettons par exemple que l’auteur présumé de violences refuse le port du bracelet anti-rapprochement et soit condamné à la peine prévue par ailleurs. A-t-on la certitude que la sanction sera automatiquement prononcée et exécutée ? L’individu sera-t-il effectivement incarcéré ? Pour combien de temps ? Et qu’adviendra-t-il, le cas échéant, à sa sortie de prison ?

Nous vous proposons donc un nouvel équilibre de l’ordonnance de protection, fondé sur un élargissement de son application à moyens constants pour le juge.