M. le président. La parole est à Mme Viviane Malet. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

Mme Viviane Malet. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, l’examen des crédits de la mission « Outre-mer » du projet de loi de finances pour 2020 est l’occasion pour nous, élus ultramarins, d’insister sur les actions prioritaires à retenir pour nos territoires, et ce afin de réduire le retard persistant avec l’hexagone.

Mon intervention portera principalement sur le programme 123, « Conditions de vie outre-mer », et plus particulièrement le logement.

En préambule, madame la ministre, je tiens à saluer le travail que vous avez accompli sur cette thématique, qui a permis d’aboutir, au mois de juillet dernier, aux conclusions de la Conférence logement outre-mer. Les travaux menés lors de cette conférence ont défini quatre grands axes : mieux connaître les besoins et mieux planifier pour mieux construire ; adapter l’offre aux besoins des territoires ; maîtriser les coûts de construction ou de réhabilitation ; faciliter la mobilisation du foncier et les opérations d’aménagement.

Madame la ministre, comme vous le savez, mais nous aimons à le rappeler, les outre-mer, ce sont 2,7 millions d’habitants, soit 4 % de la population française, une forte pression démographique, un foncier de plus en plus rare, un taux de chômage deux à quatre fois plus élevé, selon les territoires, que dans l’hexagone – les cinq DOM font partie des dix régions européennes les plus touchées par ce fléau – et de bas revenus. La conférence l’a confirmé : l’outre-mer, c’est surtout un besoin de 90 000 logements, ce sont 110 000 logements insalubres, soit 2 % du parc, un parc social vieillissant et 80 % des ménages éligibles au logement social.

Madame la ministre, je forme le vœu que les mesures énumérées dans ce rapport soient rapidement mises en place, car les besoins sont criants. Je salue particulièrement deux d’entre elles, issues de cette consultation et traduites dans la mission « Outre-mer » que nous examinons aujourd’hui : d’une part, la stabilisation de la ligne budgétaire unique (LBU) au-dessus de 200 millions d’euros de 2020 à 2022, d’autre part, la mise en place d’une aide à l’accession sociale et à la sortie de l’insalubrité spécifique à l’outre-mer. À cet égard, la suppression de l’APL accession il y a deux ans fut une erreur que je me réjouis de voir corrigée.

J’en arrive à l’examen des crédits de la mission pour 2020. Ils s’établissent à 2,6 milliards d’euros en autorisations d’engagement (AE) et à 2,4 milliards d’euros en crédits de paiement (CP), soit, à périmètre constant, une baisse de 3,9 % en CP et de 1,3 % en AE par rapport à 2019.

Les rapporteurs spéciaux de la mission l’ont parfaitement décrit : « Les outre-mer connaissent une situation économique et sociale très défavorable par rapport à la métropole. Le rattrapage de cet écart persistant constitue le défi majeur de la mission “Outre-mer” du budget général de l’État. »

À l’examen du budget, force est de constater, madame la ministre, que certains chiffres ne sont pas bons. Les crédits destinés à l’action n° 01, Logement, du programme 123, « Conditions de vie outre-mer », qui s’élèvent à 809 millions d’euros en AE et 659 millions d’euros en CP, sont en diminution de 13 % en CP et atteignent leur niveau le plus bas depuis les dix dernières années. La ligne budgétaire unique est, quant à elle, en baisse de 30 millions d’euros. Le démarrage du plan logement outre-mer 2019-2022 est bien trop timide et l’objectif de construire ou de réhabiliter 10 000 logements par an risque d’être très difficile à atteindre.

Si une partie de la baisse des CP peut s’expliquer par une diminution de l’évaluation de l’Agence centrale des organismes de sécurité sociale (Acoss), à hauteur de 34 millions d’euros, il n’en demeure pas moins que tout le secteur du bâtiment se voit privé d’environ 66 millions d’euros qui manqueront aux entreprises et, naturellement, aux familles. Permettez-moi de vous rappeler, madame la ministre, que certaines d’entre elles attendent depuis trois ans et que de nombreuses sociétés de construction ont mis la clé sous la porte, alors même que nous bénéficiions d’un programme logement outre-mer (PLOM).

Madame la ministre, il faut éviter que cette situation ne se reproduise, car, si l’erreur est humaine, perseverare diabolicum. (Mme la ministre sourit.) Aussi permettez-moi de vous poser deux questions. Cette budgétisation à la baisse ne risque-t-elle pas de porter préjudice aux territoires qui ont vu de très nombreuses entreprises du bâtiment faire faillite ? La suppression de l’APL accession, que nous déplorions au mois de décembre 2017, n’explique-t-elle pas en partie cette sous-consommation des crédits ?

Nous connaissons tous le parcours incertain d’une demande de financement pour des logements sociaux. De la prise en considération dans les programmes à l’ordre de service autorisant les travaux, les embuches et les renoncements peuvent être nombreux et les délais inacceptables. Cela s’explique par le fait que chaque dossier est traité en « tuyau d’orgue » sans qu’un comité de pilotage, rassemblant l’État, les maîtres d’ouvrage et les collectivités, valide globalement l’avancée du stock en gestation et reprogramme d’autres opérations pour remplacer celles qui ne peuvent aboutir. La rigidité des règles de procédure n’aide pas. Il faut la simplifier et mettre de l’huile dans les rouages.

Madame la ministre, il y a urgence. Je suis d’accord avec vous pour mettre fin à cette sous-consommation des crédits, dans l’intérêt de nos concitoyens. La création d’un groupe de travail sur ce sujet va dans le bon sens. Les freins doivent être levés dans les meilleurs délais. Notre devoir est de relancer la machine et de redonner confiance aux familles, aux entreprises, aux investisseurs. L’avenir des outre-mer est en jeu.

Au cours des débats, je défendrai plusieurs amendements. Reprenant l’une des conclusions de la Conférence logement outre-mer, ils visent, d’une part, à développer l’offre locative sociale et intermédiaire, en portant à 25 % les logements locatifs sociaux livrés sur la base de la moyenne des trois dernières années, d’autre part, à consolider et rendre pérenne la nouvelle aide à l’accession logement en outre-mer en intégrant dans le code de la construction et de l’habitation les dispositions de l’article 72 du projet de loi de finances pour 2020.

Madame la ministre, dans une interview accordée à un site d’information, vous avez déclaré : « Ces chiffres n’ont de sens que si nous répondons aux problématiques du quotidien des Ultramarins. Mon passé d’ancienne adjointe aux affaires sociales et de vice-présidente d’une caisse centrale d’activités sociales (CCAS) m’incite à vous parler d’une problématique concrète : celle des blocs sanitaires. Nous en avons déjà parlé. La population ultramarine, celle de La Réunion en particulier, vieillit très rapidement. À Saint-Pierre de La Réunion, la CCAS a dû construire au cours des six dernières années près de 500 blocs sanitaires au domicile de personnes âgées ou handicapées pour un coût total de 3 millions d’euros, main d’œuvre comprise. Malgré cela, la demande reste forte, et cela n’est pas propre à la capitale du sud.

Madame la ministre, les CCAS et le département sont à votre disposition pour étudier les possibilités de financement de ces travaux d’adaptation au vieillissement de notre population. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Jean Bizet. Très bien !

M. le président. La parole est à M. Michel Magras. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Michel Magras. Madame la ministre, eu égard à la mission de coordination et d’impulsion de votre ministère, il m’importe de souligner que les chiffres de cette mission, largement commentés et interprétés, traduisent en réalité une trajectoire de politique publique qui s’inscrit au-delà de ce seul cadre budgétaire.

Permettez-moi donc de m’y attarder pour dire d’emblée que mon impatience de voir les outre-mer entrer dans le cercle vertueux du développement et sortir de l’ornière du « mal-développement » est toujours aussi grande : elle ne faiblit pas. Nous devons prendre garde à ne pas nous habituer à des difficultés qui, année après année, changent plus de degré que de nature. Année après année en effet, les outre-mer pâtissent des ajustements des gouvernements successifs, générant une instabilité structurelle du cadre économique et fiscal. C’est le cas de la fiscalité de l’emploi, dont les seuils ont déjà été trop souvent révisés et, surtout, recentrés.

De fait, regardés isolément, les seuils d’exonération nouvellement établis correspondent bien à la répartition salariale des marchés ultramarins. Toutefois, mis en perspective, ils augurent des économies organisées essentiellement autour d’une ressource humaine peu qualifiée. Or le développement suppose de l’encadrement, donc des compétences ; concentrer les allégements sur les bas salaires revient en somme à faire intégralement supporter le coût de la qualification aux entreprises.

J’ai déjà eu l’occasion de vous alerter sur les économies d’aujourd’hui qui font les dépenses de demain. Il me semble qu’il est grand temps de mettre en place, non pas seulement un budget, mais une réelle politique publique impliquant tous les acteurs, nationaux et locaux, donnant réellement aux outre-mer les moyens de leur développement. Ce doit être une exigence soutenue, une ambition partagée et une concrétisation déclinée pour chacun des territoires.

Bien sûr, on peut noter avec satisfaction les plans de convergences et les investissements en infrastructures qu’ils apporteront dans les collectivités. Ils sont des conditions nécessaires, mais non suffisantes du développement. Peut-être me répondrez-vous par le fameux « réflexe outre-mer » que vous prônez. Permettez-moi de lui préférer la « culture des outre-mer », parce qu’il s’agit non pas seulement d’avoir le réflexe, mais plutôt de construire et de nourrir une relation qui s’inscrive dans le long terme. L’État ne devrait avoir besoin de rappel, qu’il soit extérieur ou systématique, pour penser aux outre-mer, ceux-ci devraient faire partie évidente de chacune des politiques publiques, comme ils sont partie intégrante de la République. Scientifiquement, le réflexe est une réaction automatique à un stimulus. L’emploi du terme « réflexe » signe bien l’aveu – au XXIe siècle ! – de l’absence d’une culture des outre-mer.

Du reste, quelles sont réellement les réactions dans les autres ministères ? Avant-hier soir encore, mes collègues débattaient en séance de la place de l’Office de développement de l’économie agricole d’outre-mer (Odéadom) et de la politique agricole dans les outre-mer… Bref, j’aurais sincèrement aimé quitter la Haute Assemblée sur le constat heureux que ce prérequis, revendiqué depuis trop longtemps, fût, à tout le moins, dépassé. Il y va du devenir de ces onze territoires et des attentes légitimes de leurs populations. Une réponse à leur incompréhension face aux retards et leur sentiment d’être parfois secondairement considérés doit être apportée. Il est temps !

Je ne peux davantage taire mon impatience alors qu’en 2019 l’État semble seulement prendre conscience des besoins en ingénierie dans les outre-mer, notamment pour l’élaboration des dossiers de financement du logement. Nous en revenons à mon propos précédent sur le financement des emplois qualifiés…

J’aime à citer cet extrait d’une intervention du général de Gaulle…

M. Philippe Dallier. Bonne référence !

M. Michel Magras. … prononcée en 1960 : « Tandis que le génie du siècle change notre pays, il change aussi les conditions de son action outre-mer. […] Il n’y a pas de politique qui vaille en dehors des réalités ! »

Je me réjouis donc, madame la ministre, de vous savoir prête à aller plus loin dans la différenciation territoriale et je partage votre conviction personnelle d’un article unique fusionnant les articles 73 et 74 de la Constitution. C’était du reste le sens de ma contribution à la journée d’étude « Réforme territoriale et différenciation(s) », organisé ici même en 2015, au cours de laquelle j’avais indiqué : « La différenciation territoriale met en lumière la dialectique de l’unité et de la diversité […] Pour l’outre-mer, la synthèse me semble réalisée par l’article 74 de la Constitution », c’est-à-dire un article unique, socle de statuts à la carte. Sa réécriture devrait permettre de mettre les institutions au service du développement des outre-mer et de faire en sorte que les politiques publiques prennent leur source dans leurs réalités, y compris pour une coconstruction efficace avec l’État. Là encore, à la notion d’adaptation, permettez-moi de préférer celle de pertinence.

Après ces considérations d’ordre général, je tiens à saluer de manière appuyée le travail considérable et de très grande qualité de mes collègues Guillaume Arnell, rapporteur coordinateur, Jean-François Rapin et Abdallah Hassani, rapporteurs, sur le second volet du rapport d’information sur les risques naturels majeurs dans les outre-mer conduit par la délégation sénatoriale aux outre-mer que j’ai l’honneur de présider.

Ce volet est, comme le précédent, le fruit d’une observation minutieuse de la situation de chacun des territoires et d’une écoute attentive des parties prenantes à la reconstruction et à la résilience de ces territoires. Nous espérons que le projet de loi fera l’objet d’une véritable coconstruction tenant compte de cette approche de terrain.

Je conclurai en évoquant Saint-Barthélemy, pour lever une ambiguïté qui a pu naître du projet d’évolution de l’organisation de la gestion et du financement de la sécurité sociale sur notre île.

En 2015, il a fallu le passage du Président de la République pour qu’un véritable service de gestion de la sécurité sociale soit mis en œuvre sur place, qui est désormais confié à la Mutualité sociale agricole Poitou. Parallèlement, alors que l’île est, disons sans entrer dans les détails, « contributeur net » avec un excédent moyen annuel de cotisations par rapport aux prestations d’environ 25 millions d’euros pour 9 000 habitants, toutes les avancées en matière de santé ont été le fait de la collectivité.

Il en est ainsi du scanner, du mammographe, de la table de coronographie ou de la construction de l’établissement d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad), tous ces investissements étant source d’économie pour la sécurité sociale. Toutefois, malgré ce contexte, aussi bien l’hôpital que l’Ehpad présentent des soldes déficitaires, conduisant d’ailleurs la collectivité à abonder le compte soins de ce dernier.

À Saint-Barthélemy, la biologie médicale a reculé de trente ans – il faut cinq jours minimum pour une glycémie – et la réorganisation des urgences entraîne une limite de capacité au-delà de deux évacuations sanitaires. Voilà deux exemples symboliques de la dégradation de la prise en charge des patients.

C’est dans ce contexte que le président de la collectivité a émis le souhait que la caisse de prévoyance sociale de Saint-Barthélemy soit dotée d’une véritable personnalité juridique, d’une part, que, par dérogation, elle se voit confier le versement des dotations aux établissements de santé de l’île, d’autre part. Saint-Barthélemy ne remet donc aucunement en cause son insertion dans le système de solidarité nationale, mais souhaite être impliquée dans un projet de santé local qui tienne précisément compte de sa réalité. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Jean Bizet. Très bien !

M. le président. La parole est à Mme Catherine Conconne. (Applaudissements sur les travées du groupe SOCR.)

Mme Catherine Conconne. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, voilà déjà trois années que j’interviens à la tribune sur le budget de la mission de ladite « Outre-mer ».

J’aurais pu, comme les deux années précédentes, décortiquer ligne après ligne, remarquer, que dis-je souligner, que dis-je dénoncer des lignes budgétaires en baisse sur des sujets regroupés au sein du programme au nom hautement éloquent et évocateur « Conditions de vie outre-mer ». La logique, avouez-le, voudrait que l’on baisse un budget quand les choses vont mieux. J’aurais pu, comme les deux années précédentes, noter que, même sur le programme « Emploi outre-mer », la baisse est au rendez-vous, tant en autorisations d’engagement qu’en crédits de paiement.

Un programme finance également, entre autres, l’épineux problème du logement, singularité propre – n’est-ce pas, madame la présidente de la commission des affaires économiques ? – à ces pays, singularité pour laquelle il convient tous les jours d’inventer de nouvelles solutions. À ce sujet d’ailleurs, l’an dernier, un très vertueux dispositif de défiscalisation – le gros mot que l’on n’aime pas ! –, dit 199 undecies, a été brutalement arrêté, laissant en panne sèche sur le bord de la route plus de 150 familles en Martinique, alors qu’il avait pu en financer 750 en cinq ans.

J’aurais pu évoquer cette fameuse mesure du fonds exceptionnel d’investissement (FEI), à la philosophie inacceptable, qui exige des populations de payer elles-mêmes leur propre sous-développement en lieu et place d’une obligation légitime de solidarité de la République !

J’aurais pu également évoquer le démontage, pièce par pièce, de tout le système de rééquilibrage équitable qui s’appelait TVA non perçue récupérable (TVA NPR) ou crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi (CICE). L’an dernier, ces mesures hallucinantes ont démontré, s’il en était encore besoin, le prisme, le regard tronqué, l’angle mort avec lequel on nous regarde, cet angle mort de la République envers ces pays dits « de l’outre-mer ».

J’aurais pu poursuivre sur la baisse manifeste de la LBU, qui acte en budget la politique du logement outre-mer. Oui, les crédits de paiement ont enregistré une baisse. S’est-on posé la question du pourquoi et du comment ? S’est-on posé la question de la souffrance des opérateurs sociaux agréés, qui croulent sous les difficultés, certains ayant même préféré mettre la clé sous le paillasson ?

J’aurais pu aussi vous dire que nous sommes loin du compte en matière d’exonération de charges sociales, très loin de l’écart creusé, et non rattrapé, par la suppression des mesures énoncées plus haut.

Finalement, tout cela est vain. Tout cela et tous les discours n’auraient servi à rien. Un philosophe disait avec justesse que la qualité de la relation que vous entretenez avec un peuple dépend du regard que vous portez sur lui. Eh oui, hélas, c’est de cela qu’il s’agit !

Quand les différents gouvernements, tous, ceux qui vous ont précédé, le vôtre, mais également ceux qui suivront, considèreront-ils, enfin, que ces territoires ne sont pas simplement destinés à assurer gloire, puissance et splendeur maritime à la France, héritage d’un certain passé ?

Quand les différents gouvernements comprendront-ils, enfin, que nous sommes aussi des peuples, assoiffés de jours meilleurs, en quête permanente de conditions d’épanouissement qui riment avec « lutte acharnée contre les dépendances », tendant vers l’autosuffisance aussi bien énergétique qu’alimentaire ?

Mais tout cela, avec quels outils ? Avec quel regard ? Avec quelle détermination ? Avec quelle ambition ? Rien ! Alors, me voilà pour la troisième fois devant vous, avec l’impression d’être complètement « à côté de la plaque », d’être égarée sur une piste sans issue, dans un labyrinthe inextricable d’impuissance renouvelée et de perception voilée.

J’y mettrai un bémol tout de même. Il sera pour vous, très personnellement, madame la ministre. Comme mon collègue Lurel, je salue votre courage. La situation aurait pu être pire si vous n’étiez pas là et si vous ne montriez pas, tous les jours, cette détermination. Peut-être aussi nous direz-vous où sont passés les montants des ventes des sociétés immobilières d’outre-mer (Sidom), qui devaient venir également alimenter les budgets logement.

Philosophiquement, le refus de l’héritage dans le langage notarié s’appelle « abstention » dans le nôtre. C’est pour signifier mon refus au fond de cet héritage de longues années de décennies tronquées, héritage fait d’iniquité et d’injustices, héritage de trop d’années d’indifférence, héritage de trop d’années de sous-estimation, héritage de trop d’années de mauvais calibrage, héritage de trop d’années à ne voir en nous que splendeur de l’empire, héritage de variables d’ajustements permanentes et quotidiennes.

Pour toutes ces raisons, comme un enfant convoqué chez le notaire, je vais refuser l’héritage. Pour le dire autrement et rester dans le lexique parlementaire, je m’abstiendrai sur la mission « Outre-mer » ! (Applaudissements sur des travées du groupe SOCR.)

M. le président. Mes chers collègues, nous allons interrompre nos travaux pour quelques instants.

La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à onze heures cinquante, est reprise à onze heures cinquante-cinq.)

M. le président. La séance est reprise.

La parole est à Mme la ministre.

Mme Annick Girardin, ministre des outre-mer. Monsieur le président, monsieur le président de la commission des finances, monsieur le rapporteur spécial, madame, messieurs les rapporteurs pour avis, mesdames, messieurs les sénateurs, moi aussi, c’est la troisième fois que je viens devant vous défendre un projet de budget. C’est un exercice important puisqu’il caractérise les grandes orientations du ministère pour 2020. Permettez-moi de rendre un hommage tout particulier à Michel Magras, président de la délégation sénatoriale aux outre-mer, dont c’est, je crois, le dernier projet de loi de finances. Je tiens à le remercier chaleureusement de son engagement pour les outre-mer. (Applaudissements.)

Mesdames, messieurs les sénateurs, vos interventions et vos amendements soulignent vos principales préoccupations pour l’année à venir. Je pense que nos orientations répondent à vos préoccupations, nous aurons l’occasion d’en parler lors de la discussion des amendements.

Ce projet de budget nous donne la capacité de faire encore mieux dans chacun des domaines prioritaires que sont l’emploi, la mobilité, le logement, l’éducation, les infrastructures de base. Je serai amenée à l’expliciter.

Le ministère des outre-mer disposera en 2020, à périmètre constant, hors exonérations de charges, de 2,6 milliards d’euros en AE et de 2,5 milliards d’euros en CP. Madame Benbassa, je vous rappelle qu’en 2019 le budget des outre-mer a augmenté de 20 % ; nous maintenons cet effort. C’est un engagement du Président de la République.

Je tiens à dire ici, comme je l’ai dit à l’Assemblée nationale : ne nous faites pas de faux procès ! Ne me dites pas que je suis hors-sol sur les problématiques des outre-mer. C’est faux ! Je ne suis pas dans l’observation, je suis dans l’action.

Monsieur Lurel, si vous n’utilisez pas les chiffres de 2019 et de 2020 – je répète que le budget a bien augmenté de 20 % l’an dernier et nous continuons dans cette voie -, c’est peut-être parce que ces chiffres ne viennent pas étayer votre discours, quand bien même nous pouvons nous rejoindre sur plusieurs points.

Conformément à l’engagement pris par le Président de la République, le 8 juillet 2019, rue Oudinot – vous étiez nombreux à être présents –, le ministère des outre-mer conserve l’intégralité de ses moyens d’action en AE, pour concrétiser le Livre bleu des outre-mer, mais aussi enclencher la Trajectoire 5.0. Le document de politique transversale témoigne également, vous l’avez dit, d’une préservation de l’ensemble des crédits dédiés aux outre-mer, soit 22 milliards d’euros au total, auxquels il convient d’ajouter une dépense fiscale de 4,5 millions d’euros.

Madame Conconne, la baisse que connaît le programme 123 traduit un choix du Gouvernement opéré en accord avec le gouvernement polynésien, puisque 90 millions d’euros de dotation à la Polynésie française passent désormais par un autre dispositif budgétaire, pour devenir un prélèvement sur recettes et garantir une somme constante à la Polynésie. C’est le souhait qui a été formulé et que j’ai mis en œuvre.

Le document de politique transversale montre que l’effort à l’égard des outre-mer est maintenu. Plutôt que de parler d’effort, nous pourrions très certainement nous mettre d’accord pour parler d’investissement et affirmer que l’investissement de l’État en outre-mer est de 22 milliards d’euros.

Par ailleurs, les outre-mer bénéficient de 25 % des fonds structurels européens, soit 7 milliards d’euros, en prenant en compte le programme d’options spécifiques à l’éloignement et à l’insularité (Poséi).

Nous avons donc des moyens. Nous avons également des projets, puisque nous engageons les crédits. Reste à se donner les moyens, collectivement, de concrétiser pleinement nos opérations dans les territoires. Les citoyens ne veulent pas entendre parler de projets, ils veulent en voir les réalisations – et cela se comprend ! Nous devons, ensemble, être bien plus efficients. Les citoyens nous demandent d’être plus performants : il nous faut l’être !

Oui, les crédits de paiement sont en baisse de 100 millions d’euros – 34 millions d’euros sont liés aux prévisions de l’Acoss sur les exonérations de charges, madame Malet.

Cependant, il n’y a aucun problème de disponibilité de crédits. C’est même l’inverse. L’État paie bien, même beaucoup plus vite que dans le passé : les retards de paiement se chiffraient alors parfois à 40 millions d’euros. L’an dernier, à la fin de l’exercice, seuls 20 millions d’euros n’avaient pas été payés.

Pour concrétiser nos projets, nous devons surtout apporter un certain nombre de réponses sur le terrain. C’est la raison d’être des plateformes mises en place à Mayotte et en Guyane : neuf cadres supplémentaires viendront ainsi renforcer l’ingénierie locale au service des territoires. Je ne dis pas que les compétences n’existent pas localement, mais elles ne sont pas mises à la disposition des collectivités.

C’est pourquoi j’ai souhaité que les crédits de soutien de l’Agence française de développement passent de 3 à 7 millions d’euros : les collectivités pourront ainsi s’appuyer sur des compétences d’ingénierie supplémentaires pour mener à bien leurs projets.

Je félicite le sénateur Georges Patient et le député Jean-René Cazeneuve pour leur travail et je salue la belle unanimité du Sénat sur ce point. Le travail parlementaire a permis d’enrichir le dispositif proposé par le Gouvernement, en intégrant Mayotte au mode de calcul et en adaptant les critères de répartition pour prendre en compte les charges de centralité de l’enjeu scolaire ainsi que les poches de pauvreté. La solidarité nationale abondera ainsi dès 2020 de 18,7 millions d’euros les budgets locaux pour que les collectivités soient mieux accompagnées.

On doit aussi réfléchir au meilleur moyen de parvenir, conformément à la volonté du Président de la République, à une péréquation intercommunale, qui devrait atteindre 85 millions d’euros en 2024.

Certes, on peut juger que cette reconnaissance est tardive, mais elle arrive enfin, et c’est grâce à ce gouvernement. Encore une fois, je tiens à remercier les parlementaires qui travaillent sur ce sujet.

Oui, monsieur Lurel, j’ai l’habitude de reconnaître les difficultés qui peuvent se poser, et l’État a en effet sa part de responsabilité dans la sous-consommation des crédits de paiement outre-mer. Nous devons être au rendez-vous !

J’étais en Guyane la semaine dernière. Dès mon arrivée, j’ai tenu à réunir l’ensemble des chefs de service du territoire pour leur adresser un message clair : l’État doit accompagner les projets, et non les censurer. Informer les collectivités et les porteurs de projets, les aider à trouver les financements, c’est le rôle de l’État, et il doit le faire encore mieux qu’aujourd’hui.

Madame Malet, vous avez raison, j’ai demandé qu’une mission se penche sur la sous-consommation des crédits de paiement au ministère des outre-mer et je veux associer les parlementaires à cette mission. Nous nous rencontrerons dans les jours qui viennent pour aborder tous ces sujets.

L’année 2020 sera le premier exercice plein de mise en œuvre des contrats de convergence et de transformation signés avec sept ministres, le Premier ministre et le Président de la République au mois de juillet dernier. L’enveloppe consacrée à ces contrats est en augmentation de 7 %, ce qui témoigne d’une priorité accordée aux projets des territoires.

Au-delà de cet appui aux territoires, mes priorités structurantes et celles de mon ministère pour 2020 restent l’emploi et le quotidien des Ultramarins, avec un accent particulier sur la mobilité et le logement.

L’emploi, c’est le « zéro exclusion » de la Trajectoire 5.0, c’est la dignité des citoyens, le véritable levier pour lutter contre la vie chère. Nous sommes d’accord sur ce point, monsieur Magras.

Nous avons profondément réformé le dispositif d’exonération des cotisations sociales en 2019. Nous sommes allés encore plus loin cette année, en votant la clause de revoyure, comme je m’y étais engagée au Sénat. Ce sont 38 millions d’euros supplémentaires qui permettront d’exonérer totalement jusqu’à 2 SMIC les salaires des secteurs prioritaires pour nos territoires – tourisme, agrotransformation, innovation… Aujourd’hui, 80 % des salaires sont totalement exonérés de charges patronales dans les territoires d’outre-mer.

Cela s’ajoute à la prolongation de la défiscalisation jusqu’en 2025 – je le rappelle à M. Poadja –, à la création de zones franches d’activités de nouvelle génération, qui bénéficieront d’abattements d’impôt sur les sociétés (IS) renforcés, au déploiement d’outils d’aide au financement des entreprises – amélioration du dispositif Avance +, élargissement du prêt de développement outre-mer avec Bpifrance, soutien au microcrédit – et à l’augmentation des crédits de l’aide au fret.

Nous nous sommes engagés dans le processus de renotification à Bruxelles des différentiels d’octroi de mer. Je crois en effet au développement de filières de production locales, et nous devons les soutenir.

Aujourd’hui, une entreprise qui s’installe outre-mer bénéficie des meilleures conditions pour naître, grandir, investir et embaucher en France. Il ne suffit pas de faire des annonces et de mettre les outils à la disposition des entreprises ; il faut également créer une dynamique plus forte dans les territoires, avec l’aide des collectivités.

Ces efforts conjugués commencent à payer. Sur douze mois, 11 400 emplois ont été créés dans les DOM, soit une croissance de 3,5 %. Dans le même temps, on constate une baisse significative de 2,3 % du nombre de chômeurs outre-mer, soit 8 158 demandeurs d’emploi de moins, le niveau le plus bas atteint depuis le mois de février 2014. Bien sûr, rien n’est gagné, mais la tendance semble bonne, et il faut prolonger ensemble cet élan, notamment en tenant des discours plus positifs.

Monsieur Poadja, vous avez évoqué vos craintes sur la baisse de l’IS. Mon collègue Gérald Darmanin a pris l’engagement de rouvrir ce dossier dans le cadre du projet de loi de finances pour 2021 si le Gouvernement constate une baisse des investissements.

L’insertion, c’est aussi le service militaire adapté (SMA), avec un renforcement considérable de l’encadrement pour améliorer et individualiser le suivi des stagiaires. Nous créerons 127 équivalents temps plein sur le quinquennat, 35 en 2020, principalement destinés à la nouvelle compagnie qui va s’installer en Nouvelle-Calédonie, à Bourail, conformément à l’annonce du Premier ministre.

À la suite des rencontres que j’ai faites avant-hier, lors des Assises de l’économie de la mer, à Montpellier, je souhaite également mener une réflexion sur la « maritimisation » des formations du SMA. Les entreprises du secteur maritime ont besoin de main-d’œuvre formée – je pense à l’entreprise Zéphyr & Borée, qui, à compter de 2022, transportera les éléments de la fusée Ariane au moyen d’un navire hybride à voiles et à moteur. Ils ont besoin de quarante jeunes guyanais. Les jeunes sont au rendez-vous, mais il faut que nous puissions les former. Le SMA doit aussi relever ce défi, en plus de faire venir des jeunes en métropole pour les former. Nous en reparlerons avec les parlementaires de Guyane très rapidement. Des projets de cette nature sont aussi à soutenir dans les autres territoires d’outre-mer.

L’emploi reste donc le meilleur moyen de changer le quotidien des Ultramarins et d’améliorer leurs conditions de vie. Ce n’est pas le seul enjeu, bien sûr, mais c’est une priorité du Gouvernement.

C’est aussi la raison d’être du fonds exceptionnel d’investissement, dont les crédits ont été intégralement préservés : 110 millions d’euros seront ainsi affectés au service de projets du quotidien – des stades, des électrifications, des aménagements portuaires ou encore des rénovations d’éléments du patrimoine… –, selon les choix des collectivités.

J’ai aussi souhaité que ces projets s’inscrivent dans la Trajectoire 5.0. En 2019, 70 % des projets financés par le Fonds européen d’investissement (FEI) répondaient à cette Trajectoire 5.0. Ce taux sera porté à 100 % en 2020.

Nous maintenons également 90 millions d’euros pour soutenir les constructions scolaires dans les territoires d’outre-mer, en plus de l’effort du ministère de l’éducation nationale. Oui, monsieur Karam, être accueilli dans de bonnes conditions à l’école, cela change la vie des enfants et celle des parents. En la matière, chacun ici le comprendra, deux territoires seront prioritaires : Mayotte et la Guyane.

Je viens de poser la première pierre d’un lycée à Maripasoula, en Guyane, avec vous, monsieur Patient, et d’annoncer la réalisation de la route qui désenclavera cette partie du territoire. J’ai vu et senti à quel point l’État était attendu sur la question des infrastructures du quotidien. Pour que chacun ait droit à la mobilité, j’ai pris l’engagement de mettre le projet en route dès le mois de janvier prochain. Depuis deux jours, je peux vous dire que tout le monde s’active dans le territoire.

La deuxième priorité du Gouvernement porte sur le logement. Nous y reviendrons dans le cadre de la discussion des amendements. La ligne budgétaire unique a été calibrée par rapport aux projets à venir dans les quinze prochains mois. Elle s’élève, pour 2020, à 215 millions d’euros, sans compter le produit de la cession des parts de l’État au sein des sociétés immobilières d’outre-mer, les Sidom. Vous m’avez interpellée sur ce point, madame Conconne : la vente des parts de Sidom aura lieu le 23 décembre prochain, elle rapportera 37 millions d’euros au total, qui seront versés en deux fois au budget des outre-mer. En 2020, 18,5 millions d’euros seront donc attribués, mais – je vais être très honnête – ils ne figurent pas pour l’heure dans ce projet de loi de finances.

La ligne budgétaire unique n’est au demeurant pas le seul moyen mis à la disposition du logement dans les territoires d’outre-mer. Je rappelle que la défiscalisation dans le secteur du logement social outre-mer représente plus de 230 millions d’euros. Nous allons plus loin cette année, en élargissant la défiscalisation, d’une part, à la réhabilitation du parc social dans les quartiers de la politique de la ville, au-delà des zones ANRU – l’amendement a été adopté à l’Assemblée nationale –, d’autre part, aux opérations de démolition-reconstruction du parc social, sans limites de zonage. L’amendement a été déposé au Sénat et je compte donc sur votre vote positif dans quelques jours, mesdames, messieurs les sénateurs.

Ce sont ainsi 12 millions d’euros d’aides fiscales supplémentaires qui viendront alimenter la dynamique en faveur du logement.

Ce budget est aussi marqué par le retour indispensable dans les territoires d’outre-mer de l’APL accession. Je veux ici remercier tous ceux qui ont participé à ce projet, la suppression de ce dispositif étant sans doute partiellement responsable d’une moindre dynamique dans les territoires d’outre-mer.

Ces mesures font partie intégrante du plan logement outre-mer 2019-2022, que je viens de signer avec Julien Denormandie. Madame Malet, je tiens à vous remercier de votre forte implication dans le travail de concertation qui a été mené. Ce plan comprend 73 mesures précises, avec un calendrier de déploiement détaillé sur les trois prochaines années pour faire jouer tous les leviers, qu’ils soient financiers, réglementaires et opérationnels, en faveur du logement outre-mer.

Coconstruit avec les collectivités, ce plan sera décliné en fonction des spécificités et des problématiques de chaque territoire. Il comprend aussi, hors budget du ministère des outre-mer, l’engagement fort d’Action Logement de flécher une enveloppe de 1,5 milliard d’euros dans son plan d’investissement volontaire outre-mer. Action Logement lancera un appel à manifestation d’intérêt dans chaque département ultramarin dans les toutes prochaines semaines.

Si l’on additionne ces crédits aux moyens mobilisés par CDC Habitat pour consolider les Sidom, nous disposerons, durant les trois prochaines années, d’une conjonction de moyens financiers très significatifs pour soutenir la politique du logement outre-mer et, bien évidemment, le secteur du BTP.

Autre politique du quotidien pour les Ultramarins : la mobilité. Ce sujet, largement abordé dans vos amendements, mesdames, messieurs les sénateurs, a aussi fait l’objet d’une grande discussion à l’Assemblée nationale.

Monsieur Poadja, la mobilité est l’une des préoccupations majeures de nos concitoyens. Ils l’ont notamment exprimée à travers les Assises des outre-mer, qui se sont tenues dans tous les territoires. Je ferai une réponse globale sur ces amendements, qui ont trait à la continuité intérieure, à l’aide au retour ou encore aux conditions d’éligibilité.