Mme la présidente. L’amendement n° II-849, présenté par M. de Montgolfier, au nom de la commission des finances, est ainsi libellé :

Supprimer cet article.

La parole est à M. le rapporteur général.

M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général de la commission des finances. L’article 56 prévoit de généraliser la facturation électronique. Pour être clairs, nous y sommes très favorables. Mais, dans la pratique, l’article 56 n’est pas opérationnel puisqu’il n’en précise nullement les modalités. Vous venez de dire à l’instant, monsieur le ministre, que vous étiez défavorable à un rapport : or cet article renvoie… à un rapport relatif à l’entrée en vigueur de la facturation électronique, non pas demain, c’est-à-dire en 2020, ni même en 2021 ou 2022, mais au mieux à compter du 1er janvier 2023, voire en 2024 ou 2025.

Concrètement, la mise en œuvre se fera donc entre 2023 et 2025. Cet article ne me semble pas vraiment normatif ; il s’agit plutôt d’une pétition de principe, ou d’une opération de communication de votre part sur la mise en place de la facturation électronique.

Encore une fois, comme pour la téléprocédure à l’article précédent, nous souscrivons à l’objectif, car la facturation électronique constitue un progrès pour tout le monde, notamment pour les entreprises. Mais il faudrait que le Gouvernement mène un travail préalable de concertation avec les entreprises et qu’il présente ensuite un article vraiment normatif, qui puisse entrer en vigueur. D’ici à 2023, nous aurons le PLF 2021, le PLF 2022 ; si la date retenue est 2025, nous aurons le PLF 2023, celui pour 2024… Nous y reviendrons donc.

Je donne mon accord de principe à la facturation électronique, que je souhaite voir généralisée. Mais ne mettons pas la charrue avant les bœufs : plutôt que de demander un rapport – ce n’est pas ce que doit prévoir la loi –, il serait préférable d’organiser une concertation. Une fois que les choses seront parfaitement au clair avec les entreprises, il faudra proposer un article normatif qui pourra entrer en vigueur.

Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Gérald Darmanin, ministre. Je m’oppose à ce que vient de dire le rapporteur général.

Les mesures qui permettront de mettre effectivement en place la facturation électronique des entreprises relèvent du domaine réglementaire et sont prises par décret. Il faut faire figurer dans le texte de la loi aujourd’hui le principe même de la facturation électronique, laquelle nécessitera un très gros travail notamment de la part des PME, car les grandes entreprises s’adapteront assez vite et l’État utilise déjà cette méthode.

En effet, monsieur le rapporteur général, dans la mesure où le recours à la facturation électronique sera contraint, il faut en discuter. S’agissant de la retenue de l’impôt à la source, vous m’aviez à l’époque opposé des arguments sur le fait que cette mesure entraînerait des démarches, parfois même des dépenses, pour les entreprises. S’adapter à la nouvelle façon de facturer la TVA sera aussi au cœur des discussions.

L’avis est donc défavorable.

M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général de la commission des finances. Pas besoin d’une loi pour remettre un rapport !

Mme la présidente. Je mets aux voix l’amendement n° II-849.

(Lamendement est adopté.)

Mme la présidente. En conséquence, l’article 56 est supprimé.

Article 56
Dossier législatif : projet de loi de finances pour 2020
Article 57

Article additionnel après l’article 56

Mme la présidente. L’amendement n° II-1196, présenté par M. de Montgolfier, au nom de la commission des finances, est ainsi libellé :

Après l’article 56

Insérer un article additionnel ainsi rédigé :

I. – Le code général des impôts est ainsi modifié :

A. – Après l’article 283, il est inséré un article 283 ter ainsi rédigé :

« Art. 283 ter – I. – Sont soumis aux dispositions du présent article, quel que soit leur lieu d’établissement, les entreprises qui, en qualité d’opérateurs de plateforme en ligne, mettent en relation à distance, par voie électronique, des personnes en vue de la vente d’un bien, de la fourniture d’un service ou de l’échange et du partage d’un bien ou d’un service.

« II. – Par dérogation aux dispositions de l’article 283 , des troisième, quatrième et cinquième alinéas du 1 de l’article 293 A et de l’article 1695, l’opérateur d’une plateforme en ligne peut déclarer, collecter et acquitter la taxe sur la valeur ajoutée pour le compte des personnes effectuant des livraisons de biens ou des prestations de service au sens des articles 258 à 259 D et qui exercent leur activité par l’intermédiaire de cette plateforme, dès lors que l’acquéreur ou le preneur est établi ou a son domicile ou sa résidence habituelle en France.

« III. – Pour la mise en œuvre du II, l’opérateur de plateforme en ligne retient le montant de la taxe sur le montant brut payé par l’acquéreur ou le preneur, au moment de la transaction.

« Afin de calculer le montant de la retenue, le vendeur ou le prestataire communique à l’opérateur de plateforme en ligne les taux, ou le cas échéant les exonérations, applicables à l’opération. L’opérateur de plateforme en ligne s’assure que les informations communiquées par le vendeur ou le prestataire ne sont pas manifestement erronées.

« À défaut d’informations communiquées par le vendeur ou le prestataire, le montant de la retenue est égal au montant qui résulterait de l’application du taux prévu à l’article 278 au montant hors taxes de la transaction.

« IV. – Les opérateurs de plateforme en ligne qui mettent en œuvre les dispositions prévues au II ne peuvent être tenus pour solidairement responsables du paiement de la taxe sur la valeur ajoutée au sens du IV de l’article 283 bis et du IV de l’article 293 A ter.

« V. – Les modalités d’application du présent article ainsi que les modalités d’exigibilité et de liquidation de la taxe sont définies par décret du ministre chargé du budget. »

B. – Au II de l’article 283 ter, la référence : « troisième, quatrième et cinquièmes alinéas du 1 » est remplacée par la référence : « des 2, 3 et 4 ».

II. – Le I est applicable à compter du 1er janvier 2021, sous réserve de l’autorisation du Conseil de l’Union européenne prévue en application de l’article 395 de la directive 2006/112/CE du Conseil du 28 novembre 2006 relative au système commun de taxe sur la valeur ajoutée, à l’exception du B qui entre en vigueur au 1er janvier 2022.

La parole est à M. le rapporteur général.

M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général de la commission des finances. Il s’agit justement, monsieur le ministre, d’un amendement de soutien à la lutte contre la fraude !

Nous proposons de mettre en œuvre le paiement scindé, ou split payment en anglais, notamment mis en œuvre par les Italiens, pour le seul commerce électronique. Un achat sur un site français induit une forme de paiement scindé : l’entreprise collecte son propre paiement, mais également la TVA, comme n’importe quel commerçant d’ailleurs. Sur un achat de 120 euros, elle donne donc 20 euros à l’administration fiscale et garde 100 euros pour elle-même.

Concernant la TVA à l’importation, le problème vient du fait que la TVA est normalement perçue par la douane au moment de l’entrée sur le territoire. Avec Philippe Dallier, cela fait des années que nous avons constaté que le système ne fonctionnait pas. Plusieurs rapports ont été faits sur le sujet : le montant effectivement recouvré, notamment par les plateformes aéroportuaires, est très loin de la réalité des importations.

Nous proposons, pour le seul commerce électronique, le paiement scindé : l’acte de paiement de l’acheteur provoque la perception, à la fois, bien sûr, du prix de vente, mais également de la TVA. C’est actuellement le seul moyen, avec ce qui a déjà été voté par le Sénat et d’ailleurs repris par le Gouvernement concernant la responsabilité solidaire des plateformes, de s’assurer que la TVA est effectivement payée, car elle sera perçue dès le paiement et non à l’importation.

On ne va pas – vous allez le dire, monsieur le ministre, et nous sommes d’accord – mettre un douanier derrière chaque paquet, car c’est rigoureusement impossible. Au vu de l’augmentation considérable des volumes, que l’on rappelait récemment en commission, on ne peut pas non plus suivre physiquement tous les envois postaux ou par fret. Le seul moyen est de percevoir la TVA au moment du paiement : tel est l’objet de cet amendement.

Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Gérald Darmanin, ministre. Le Gouvernement a rendu un rapport, comme vous lui avez d’ailleurs demandé, monsieur le rapporteur général, et que vous avez reçu jeudi dernier. Ce matin, un grand journal économique…

M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général de la commission des finances. Vous l’avez fait fuiter !

M. Gérald Darmanin, ministre. Non, il a été rendu jeudi, monsieur le rapporteur général ! Votre accusation me paraît un peu déplacée. Ce serait bien d’avoir un débat respectueux.

M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général de la commission des finances. Je l’ai lu !

M. Gérald Darmanin, ministre. Que dit ce rapport que vous avez eu jeudi ? Que la TVA scindée, c’est bien, mais que la facturation électronique, que vous venez de supprimer, c’est mieux, parce que ce dispositif est plus efficace, rapporte plus d’argent et permet de mieux lutter contre la fraude à la TVA.

La fraude à la TVA est un sujet important dont ce gouvernement est le premier à s’occuper, même si le Sénat, quelle que soit la famille politique majoritaire de la commission des finances, a depuis longtemps encouragé le Gouvernement à s’y intéresser, via la facturation électronique ou le suivi de la TVA, notamment dans les entrepôts logistiques.

Nous prenons cette question très au sérieux, et j’ai d’ailleurs souhaité non pas renvoyer ce point à des ordonnances, mais le traiter « en dur » dans le PLF. Nous l’avons longuement étudié.

On le voit, votre amendement repose sur une bonne intention, mais son efficacité sera moindre. Vous avez réussi, à la fois, à supprimer la facturation électronique dans l’article précédent et à promouvoir un dispositif dont tout nous montre qu’il est moins efficace dans la lutte contre la fraude.

Je sais que vous allez adopter votre amendement ; malheureusement, vous constaterez qu’il ne servira pas la lutte contre la fraude à la TVA.

Mme la présidente. La parole est à M. le rapporteur général.

M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général de la commission des finances. Je remercie le ministre d’avoir envoyé le rapport. Je lis la première page de la synthèse : « Dans un monde où tous les paiements seraient effectués par voie électronique, le paiement scindé “à la source” est probablement une solution moderne. Pour l’heure, il ne pourrait être envisagé que de manière partielle (certaines transactions certains secteurs) ». C’est précisément ce qu’on propose ! Le paiement scindé généralisé n’a pas de sens ; le paiement scindé sur le commerce électronique avec des importations en a un.

Très concrètement, le rapport ne rejette pas le paiement scindé : il indique que c’est une solution moderne, applicable à certains secteurs. Nous avons supprimé non pas la facturation électronique, monsieur le ministre, mais le rapport.

M. Gérald Darmanin, ministre. La facturation électronique, c’est mieux !

M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général de la commission des finances. Il faut être précis : j’y insiste, on a supprimé l’obligation de faire un rapport, et non la facturation électronique.

Votre article prévoyait simplement la remise d’un rapport : le Gouvernement n’a pas besoin d’un article pour se faire remettre un rapport, il peut en faire autant qu’il veut !

Encore une fois, nous souscrivons à la facturation électronique et au paiement scindé limité à certains secteurs, notamment au commerce électronique, dans lequel – on le sait et vous le dites vous-même – on ne peut pas multiplier les douaniers. Cette méthode ne doit pas être généralisée, elle doit être applicable dans les cas où l’on n’arrive pas à recouvrer la TVA. Le seul moment où l’on n’y arrive pas, c’est lors de l’importation.

Mme la présidente. La parole est à Mme Nathalie Goulet, pour explication de vote.

Mme Nathalie Goulet. Nous soutiendrons cet amendement, car il y a aussi un décalage entre le délai de mise en place de la facturation électronique, que nous approuvons, et la mesure proposée par le rapporteur général, qui pourrait être immédiatement applicable.

Il faut voter cet amendement. Le dernier rapport de la Cour des comptes sur la fraude fiscale et la fraude à la TVA ne nous laisse pas beaucoup de choix : il faut multiplier les outils et essayer de rééquilibrer les choses en matière de fraude, notamment s’agissant du commerce en ligne.

Mme la présidente. Je mets aux voix l’amendement n° II-1196.

(Lamendement est adopté.)

Mme la présidente. En conséquence, un article additionnel ainsi rédigé est inséré dans le projet de loi, après l’article 56.

Article additionnel après l'article 56 - Amendement n° II-1196
Dossier législatif : projet de loi de finances pour 2020
Article 58

Article 57

I. – À titre expérimental et pour une durée de trois ans, pour les besoins de la recherche des manquements et infractions mentionnés aux b et c du 1 de l’article 1728, à l’article 1729 découlant d’un manquement aux règles fixées à l’article 4 B, à l’article 1791 ter, aux 3°, 8° et 10° de l’article 1810 du code général des impôts ainsi qu’aux articles 414, 414-2 et 415 du code des douanes, l’administration fiscale et l’administration des douanes et droits indirects peuvent, chacune pour ce qui la concerne, collecter et exploiter au moyen de traitements informatisés et automatisés n’utilisant aucun système de reconnaissance faciale les contenus, librement accessibles sur les sites internet des opérateurs de plateforme en ligne mentionnés au 2° du I de l’article L. 111-7 du code de la consommation, manifestement rendus publics par leurs utilisateurs.

Les traitements mentionnés au premier alinéa du présent I sont mis en œuvre par des agents spécialement habilités à cet effet par l’administration fiscale et l’administration des douanes et droits indirects. Les données à caractère personnel mentionnées au même premier alinéa ne peuvent faire l’objet d’une opération de traitement et de conservation de la part d’un sous-traitant.

Les données sensibles, au sens du I de l’article 6 de la loi n° 78-17 du 6 janvier 1978 relative à l’informatique, aux fichiers et aux libertés, et les autres données manifestement sans lien avec les infractions mentionnées au premier alinéa du présent I sont détruites au plus tard cinq jours ouvrés après leur collecte.

Lorsqu’elles sont de nature à concourir à la constatation des manquements et infractions mentionnés au même premier alinéa, les données collectées strictement nécessaires sont conservées pour une période maximale d’un an à compter de leur collecte et sont détruites à l’issue de cette période. Toutefois, lorsqu’elles sont utilisées dans le cadre d’une procédure pénale, fiscale ou douanière, ces données peuvent être conservées jusqu’au terme de la procédure.

Les autres données sont détruites dans un délai maximum de trente jours à compter de leur collecte.

Lorsque les traitements réalisés permettent d’établir qu’il existe des indices qu’une personne a pu commettre un des manquements énumérés au premier alinéa du présent article, les données collectées sont transmises au service compétent de l’administration fiscale ou de l’administration des douanes et droits indirects pour corroboration et enrichissement.

Ces données ne peuvent être opposées à cette personne que dans le cadre d’une procédure de contrôle mentionnée au titre II du code des douanes ou au chapitre premier du titre II de la première partie du livre des procédures fiscales.

Le droit d’accès aux informations collectées s’exerce auprès du service d’affectation des agents habilités à mettre en œuvre les traitements mentionnés au deuxième alinéa du présent I dans les conditions prévues par l’article 105 de la loi n° 78-17 du 6 janvier 1978 relative à l’informatique, aux fichiers et aux libertés.

Le droit d’opposition prévu à l’article 110 de la même loi ne s’applique pas aux traitements mentionnés au deuxième alinéa du présent I.

Les modalités d’application du présent I sont fixées par décret en Conseil d’État, pris après avis de la Commission nationale de l’informatique et des libertés. Ce décret précise en particulier les conditions dans lesquelles la mise en œuvre des traitements mentionnés au premier alinéa du présent I est, à toutes les étapes de celle-ci, proportionnée aux finalités poursuivies et les données collectées sont adéquates, pertinentes et, au regard des finalités pour lesquelles elles sont traitées, limitées à ce qui est nécessaire ou non excessives.

bis (nouveau). – L’expérimentation prévue au I fait l’objet d’une analyse d’impact relative à la protection des données à caractère personnel dont les résultats sont transmis à la Commission nationale de l’informatique et des libertés, dans les conditions prévues à l’article 62 de la loi n° 78-17 du 6 janvier 1978 précitée.

II. – L’expérimentation prévue au I fait l’objet d’une première évaluation dont les résultats sont transmis au Parlement ainsi qu’à la Commission nationale de l’informatique et des libertés au plus tard dix-huit mois avant son terme.

Un bilan définitif de l’expérimentation est transmis au Parlement ainsi qu’à la Commission nationale de l’informatique et des libertés au plus tard six mois avant son terme.

Mme la présidente. La parole est à M. Loïc Hervé, sur l’article.

M. Loïc Hervé. Je veux dire quelques mots sur l’article 57, qui suscite chez moi plus que de la précaution.

Je rappellerai tout d’abord des éléments de principe : avec la loi CNIL (Commission nationale de l’informatique et des libertés), il y a quarante et un ans, ou avec le RGPD (règlement général sur la protection des données), notre pays s’est toujours fait fort d’être à la pointe de la défense et de la protection des données personnelles lorsqu’elles sont, mes chers collègues, la prolongation de votre vie, de vos choix et de vos idées.

En cela, chaque question qui touche aux données personnelles est forcément un sujet de libertés publiques. Autant le dire, je ne suis pas opposé à l’utilisation d’informations provenant des réseaux sociaux pour des enquêtes par les services des douanes ou les services fiscaux. D’ailleurs, ces services le font déjà.

En revanche, je m’oppose fermement au principe de l’aspiration massive de données, notamment personnelles, sur les réseaux sociaux et à leur traitement par un logiciel algorithmique en vue de lutter contre la fraude fiscale. Nous passerions alors d’une logique de ciblage à une logique de chalutage.

Sur le fond, j’ai déposé un amendement de suppression des dispositions envisagées par le Gouvernement ; sur la forme, je pense, comme le Conseil d’État, que cet article est un cavalier législatif.

Mme la présidente. La parole est à Mme Marie-Pierre de la Gontrie, sur l’article.

Mme Marie-Pierre de la Gontrie. Cet article est très important. De quoi parlons-nous ? Des plateformes, des réseaux sociaux, aussi bien de Facebook que de Twitter, Amazon, Booking.com, Uber, Le Bon Coin…

Dès lors que vous aurez utilisé, mes chers collègues, ces services, l’administration fiscale pourra, avant toute infraction, à tout moment, « aspirer » – le terme est peu élégant, mais assez éclairant – les données personnelles que vous aurez inscrites sur ces plateformes.

Si cet article est très important, c’est d’abord – vous l’avez compris – parce qu’il permet d’intervenir avant toute infraction. Le changement de paradigme est total : il s’agit non pas de traiter une infraction présumée, mais, comme l’indiquait mon collègue Loïc Hervé, d’appliquer le principe du chalutage. Cela signifie que nous n’exerçons plus le filtre nécessaire de l’atteinte aux libertés fondamentales.

Que constatons-nous ? Que cela pose problème sur trois plans : la nature des informations récoltées, la durée et le contrôle.

Sur le contrôle, je veux vous raconter une histoire.

Si vous suivez les questions de sécurité et de police, vous avez sans doute été attentifs au cas des fichiers STIC (système de traitement des infractions constatées) et JUDEX (système judiciaire de documentation et d’exploitation), qui ont ensuite été fusionnés dans le TAJ (traitement d’antécédents judiciaires).

Ces fichiers avaient vocation à récoler des informations sur toutes les personnes mises en cause dans des procédures, y compris les auteurs présumés, potentiellement non poursuivis, potentiellement non mis en examen, potentiellement non condamnés, mais aussi les victimes et les témoins.

Sur le papier, ce fichier était bardé de contrôles, mais il n’a jamais été contrôlé, sauf par la CNIL, toujours vigilante,…

Mme Marie-Pierre de la Gontrie. … qui a découvert à cette occasion que 40 % des dizaines de millions de données collectées étaient gravement inexactes !

Nous allons examiner tout à l’heure des amendements déposés par le rapporteur général ou par mon groupe sur le contrôle du dispositif proposé. Mais cela ne doit pas nous rassurer pour autant, mes chers collègues, car personne ne sait si le contrôle va réellement s’exercer.

C’est pourquoi il me semble très important de supprimer cet article, auquel je suis hostile, vous l’aurez compris, mes chers collègues. Et si vous décidez de le voter, sachez très exactement ce que vous êtes en train de faire…

Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.

M. Gérald Darmanin, ministre. Devant des erreurs aussi caractéristiques, madame la sénatrice, je me dois de dire quelques mots.

Vos propos sont contraires à la réalité du texte. Ni les personnes qui réservent leurs vacances sur Booking ni celles qui commandent un Uber ne verront leurs données « aspirées ». Seules les données publiques pourront être exploitées. La commande d’un hôtel, à Tourcoing ou en Eure-et-Loir, ou d’un véhicule n’est pas publique ; elle reste entre l’utilisateur et la plateforme.

Je comprends toutefois vos arguments, qui sont assez cohérents avec votre philosophie politique, madame de la Gontrie. C’est comme lorsque vous étiez contre la vidéoprotection, au motif que l’on intervenait avant la commission des infractions. Par définition…

Mme Marie-Pierre de la Gontrie. Répondez au sujet !

M. Gérald Darmanin, ministre. Avouez déjà que vous avez dit des bêtises, madame la sénatrice. Cela nous permettrait d’avancer.

Mme Marie-Pierre de la Gontrie. Je croyais que vous vouliez un débat courtois.

M. Gérald Darmanin, ministre. Il semblerait que vous ne fassiez pas confiance à l’administration française, singulièrement à l’administration fiscale, ce qui peut surprendre. Dans le même temps, d’ailleurs, vous réclamez qu’on aille plus loin contre la fraude : voilà qui ne manque pas de contradiction.

L’administration, dites-vous, va pouvoir regarder ce qui se passe et faire des enquêtes. D’abord, à condition de mettre 4 000 agents au CNIT de la Défense pour éplucher l’intégralité des réseaux sociaux, elle peut déjà le faire. Ce qui vous gêne, manifestement, c’est le recours à des systèmes informatiques.

Le Conseil d’État a estimé qu’une telle disposition ne relevait pas nécessairement du domaine de la loi. Toutefois, nous avons choisi de la soumettre au Parlement, car c’est une question de libertés publiques, et nous voulons que le Conseil constitutionnel puisse juger de sa conformité à notre État de droit.

M. Loïc Hervé. Le Conseil d’État n’a pas dit que cela !

M. Gérald Darmanin, ministre. Madame la présidente, peut-on s’exprimer sereinement ?

Mme Marie-Pierre de la Gontrie. Vous êtes fragile…

M. Gérald Darmanin, ministre. Je ne crois pas. « Y’en a qu’ont essayé, ils ont eu des problèmes ! », comme diraient certains comiques… (M. Roger Karoutchi sesclaffe.)

Mme Marie-Pierre de la Gontrie. Des menaces, monsieur le ministre ?

M. Gérald Darmanin, ministre. Non, juste une référence culturelle à Chevallier et Laspalès ! Il semblerait que M. Karoutchi ait apprécié…

M. Loïc Hervé. Les grands auteurs sont à l’honneur ce matin !

M. Gérald Darmanin, ministre. N’ayons pas peur de l’humour populaire, ce n’est pas un gros mot.

M. Loïc Hervé. Je connais très bien Régis Laspalès !

M. Gérald Darmanin, ministre. Je n’ai jamais remis en cause votre culture populaire, monsieur le sénateur.

J’en reviens à ce que je disais. Nous proposons une expérimentation de trois ans.

Notre but est de lutter contre ceux qui font profession de vendre du tabac ou de la drogue en toute illégalité sur internet, notamment sur Facebook.

Vous êtes sans doute les premiers à vouloir défendre les buralistes. Mais l’on peut mettre des douaniers en nombre aux frontières avec Andorre ou la Belgique, si l’on ne peut pas sanctionner une personne qui écoule sa marchandise sur Facebook…

Nous voulons aussi confondre des fraudeurs domiciliés fiscalement hors de France. Je vous renvoie au rapport de la Cour des comptes, qui nous encourage à prendre des mesures de ce type. Quand tout le monde constate qu’une personne réside plus de six mois sur le territoire national, qu’elle profite des services publics, qu’elle scolarise parfois ses enfants, mais qu’elle déclare ses comptes ailleurs qu’en France, comment fait-on ? Tous les grands pays, les États-Unis, le Royaume-Uni, mais aussi des pays latins dont la législation est très proche de la nôtre, ont recours à ce genre de dispositif.

Il faut remettre l’église au milieu du village ! L’hôtel que vous réserverez sur Booking ou la poussette que vous vendrez sur Le Bon Coin ne nous intéressent pas.

Nous voulons lutter, d’une, part contre les grands fraudeurs fiscaux, que nous pouvons confondre à travers la domiciliation fiscale, d’autre part, contre ceux qui vendent illicitement du tabac et d’autres produits. La fédération des buralistes elle-même encourage le Parlement à adopter cette disposition.

L’article 57 respecte évidemment nos libertés publiques. Nous pouvons déjà utiliser les données figurant sur Instagram ou Facebook pour prouver des infractions.

Mme Marie-Pierre de la Gontrie. Pourquoi cet article dans ce cas ?

M. Gérald Darmanin, ministre. Actuellement, la recherche est faite manuellement. Demain, elle pourra être automatisée, mais elle sera bien entendu suivie d’un contrôle humain qui permettra de procéder à des vérifications pour éviter toute confusion.

Je serais très étonné que le Sénat, dans sa grande sagesse, ne donne pas les moyens à l’État français de lutter contre les fraudeurs.

Mme la présidente. Je suis saisie de trois amendements identiques.

L’amendement n° II-345 rectifié bis est présenté par M. Bonhomme, Mmes Dumas et Bonfanti-Dossat, MM. D. Laurent et Pellevat, Mme Micouleau et MM. Perrin et Milon.

L’amendement n° II-1083 rectifié bis est présenté par MM. L. Hervé, Guerriau et Danesi, Mme L. Darcos, M. Mizzon, Mmes de la Gontrie et Vérien, MM. Détraigne, Janssens et Kern, Mme S. Robert, MM. B. Fournier, Houpert, Cadic, Henno et Laménie, Mme Dumas et M. Luche.

L’amendement n° II-1109 est présenté par MM. Bocquet, Savoldelli et les membres du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.

Ces trois amendements sont ainsi libellés :

Supprimer cet article.

L’amendement n° II-345 rectifié bis n’est pas soutenu.

La parole est à M. Loïc Hervé, pour présenter l’amendement n° II-1083 rectifié bis.