M. le président. La parole est à M. le ministre de l’intérieur.

M. Christophe Castaner, ministre de lintérieur. Madame la sénatrice, je veux d’abord, comme vous, saluer le combat que mène la nation France. Toutes les professions que vous avez évoquées – les blouses blanches, les forces de sécurité intérieure… – sont au premier rang de l’engagement, mais tous les Français font République dans ce combat que nous devons mener contre le virus.

Vous avez raison de considérer que les élus locaux, en particulier les maires, font partie de ce que j’appellerai les acteurs éclairés. Ils mènent un combat de proximité pour rassurer les Français face à la situation et agir, qu’il s’agisse de garantir l’accueil dans les crèches et les écoles des enfants des personnels de santé mobilisés, de prendre des mesures de prévention ou de communiquer sur les gestes qui protègent et les bons comportements à observer.

Il nous faut renforcer leurs pouvoirs. Nous discuterons notamment tout à l’heure de la possibilité de permettre aux polices municipales de dresser des procès-verbaux pour infraction au confinement et aux règles posées en début de semaine par le Président de la République et le Premier ministre.

Nous devons aussi nous interroger sur la capacité des 30 000 nouveaux exécutifs élus dès le premier tour des élections municipales à se rassembler dans les jours à venir pour appliquer la loi. Il nous faudra prendre le temps, tout à l’heure, de trouver la meilleure façon de les protéger. Des amendements ont été adoptés en ce sens ce matin par la commission des lois, sous l’autorité de Philippe Bas. Nous devons bien évidemment accompagner celles et ceux qui, demain, seront les acteurs de la protection de la nation française. (Applaudissements sur les travées du groupe LaREM. M. Jean-Marc Gabouty applaudit également.)

quels moyens d’urgence pour l’hôpital public et la politique de santé publique ?

M. le président. La parole est à Mme Laurence Cohen, pour le groupe communiste républicain citoyen et écologiste.

Mme Laurence Cohen. L’heure n’est pas à la polémique, le temps du bilan viendra, mais voilà des années que les personnels médicaux, paramédicaux, administratifs et techniques des hôpitaux tirent la sonnette d’alarme sur les conséquences des politiques austéritaires menées par les gouvernements successifs.

En vingt ans, 100 000 lits ont été fermés, selon le médecin urgentiste Christophe Prudhomme, dont près de 4 500 ces deux dernières années, et 50 % des lits des services de soins de longue durée de l’AP-HP sont voués à la fermeture.

Devant cette asphyxie délibérée de l’hôpital, la casse de la santé et du secteur médico-social, la mobilisation du personnel n’a pas faibli. Depuis plus d’un an, il est en grève, mais ce gouvernement n’a pas répondu à ses demandes légitimes.

Aujourd’hui, vous annoncez la mobilisation de 2 milliards d’euros pour faire face à cette urgence sanitaire, mais il ne s’agit en réalité que d’un dégel de crédits. C’est proprement insuffisant, et même insultant pour les personnels de santé, qualifiés par le Président de la République de « héros en blouses blanches » mais qui ont besoin non de compliments, mais d’actes forts !

Monsieur le ministre, pourquoi refusez-vous de rendre à la santé, a minima, les 5 milliards d’euros, dont 1 milliard d’euros pour l’hôpital, qui lui ont été pris au travers notamment du dernier PLFSS ? Allez-vous, oui ou non, ouvrir les crédits nécessaires pour répondre à l’urgence sanitaire ? Pour l’heure, aucune ligne budgétaire ne figure dans le projet de loi de finances rectificative que nous examinerons demain au Sénat ! (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE. – Mme Sophie Taillé-Polian applaudit également.)

M. le président. La parole est à M. le ministre des solidarités et de la santé.

M. Olivier Véran, ministre des solidarités et de la santé. Madame la sénatrice Laurence Cohen, « quoi qu’il en coûte », a dit le Président de la République voilà quelques jours… Tout l’argent, tous les moyens nécessaires pour soutenir nos soignants, à l’hôpital comme en ville, sont et seront mis en œuvre.

Je comprends parfaitement que vous vous inquiétiez du provisionnement des ressources, madame la sénatrice, mais cette question ne relève pas de notre logiciel actuel. Notre préoccupation est d’apporter, par tous les moyens et quoi qu’il en coûte, assistance et soutien aux soignants qui se battent pour sauver des vies. Le soutien de l’État sera sans faille dans la durée, madame la sénatrice.

Au-delà, vous me donnez l’occasion de saluer la mobilisation citoyenne et l’élan de solidarité très fort qui traversent notre Nation. Ainsi, des restaurateurs ont décidé d’installer des food trucks afin de préparer à manger pour le personnel hospitalier, des ostéopathes viennent masser les soignants pendant leurs rares moments de pause, de grands groupes hôteliers mettent à disposition des chambres gratuites à proximité des établissements de santé, de grandes compagnies de véhicules de transport collectif proposent des tarifs extrêmement négociés pour permettre à l’État de soutenir les soignants jusque dans leur quotidien.

Mme Marie-Pierre de la Gontrie. Ce n’est pas la question !

M. Pascal Savoldelli. On parle de lits !

M. Olivier Véran, ministre. Le moment venu, nous ferons les comptes, madame la sénatrice, mais l’État sera au rendez-vous pour soutenir l’hôpital public et celles et ceux qui sauvent des vies, quoi qu’il en coûte ! (Applaudissements sur des travées du groupe LaREM. MM. Jean-Marc Gabouty et Franck Menonville applaudissent également.)

M. le président. La parole est à Mme Laurence Cohen, pour la réplique.

Mme Laurence Cohen. Monsieur le ministre, avec tout le respect que je vous dois, c’est de l’enfumage ! (Murmures sur des travées du groupe Les Républicains.) Je ne parle pas de logiciel, mais de budget. Or vous n’avez absolument rien dit à ce sujet ! La société civile se mobilise, en effet, mais pas le Gouvernement, qui ne débloque pas de crédits pour la santé. Combien de lits seront-ils ouverts ? On ne sait pas ! Nous sommes dans le flou.

Dans les hôpitaux, il y a aujourd’hui un manque criant de masques, de gel hydroalcoolique, de gants, et vous le savez pertinemment. Nous sommes tous alertés à ce sujet dans nos circonscriptions. Vos belles paroles peuvent sans doute servir à amuser la galerie, mais elles ne me satisfont pas ! (Protestations sur des travées du groupe Les Républicains.)

M. Olivier Véran, ministre. Ce n’est pas digne !

Mme Laurence Cohen. L’heure est grave, mes chers collègues, et, dans ces moments, on a besoin d’actes, et non de paroles ! Vous nous trouverez à vos côtés si vous débloquez effectivement des moyens, monsieur le ministre. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE. – Nouvelles protestations sur des travées du groupe Les Républicains.)

carte hospitalière

M. le président. La parole est à M. Patrick Kanner, pour le groupe socialiste et républicain.

M. Patrick Kanner. Monsieur le Premier ministre, 89 décès supplémentaires, doublement des cas infectieux en vingt-quatre heures : nous devons aborder les questions liées à cette épidémie dans un esprit de responsabilité.

Rien n’est plus remarquable que l’attitude de nos soignants qui, en dépit d’un danger possible, et même presque certain, n’en continuent pas moins d’exercer leur profession, parce que nous avons tous besoin de leurs compétences et de leur savoir-faire. Ils savent que leur vie a pour vocation de permettre aux autres de vivre.

Soutenir le monde de la santé est une priorité, en particulier pour le Gouvernement. Je souhaite qu’il nous apporte des informations précises sur les moyens qui sont déployés, à l’heure où nombre de professionnels de santé sont obligés de « bricoler », si vous me permettez cette expression. Y aura-t-il assez de respirateurs, de brancards, de médecins, d’infirmières ? Combien de lits de réanimation sont-ils aujourd’hui ouverts ? Combien le seront dans les prochaines semaines ? D’autres hôpitaux de campagne sont-ils prévus dans notre pays ? Pourquoi les soignants de ville, qui sont également mobilisés dans cette « guerre », pour reprendre le mot du Président de la République, ne reçoivent-ils pas de kits de protection ? Qu’en est-il des bénévoles associatifs, auxquels on demande d’aller au contact de la population la plus fragile et la plus exposée sans leur délivrer de masques ni de gel ? Pourquoi les personnels de l’aide à l’enfance ne figurent-ils pas dans la liste des professions prioritaires, alors que l’on sait que les enfants représentent un vecteur important de transmission du virus ? Nous ne pouvons que nous interroger, monsieur le Premier ministre, sur le travail d’anticipation du Gouvernement.

Enfin, le manque de tests pose un problème majeur, car si nous en disposions en grande quantité, nous pourrions repérer les individus suspects et les isoler de leurs contacts potentiels. Pour sortir de l’étape du confinement, il faudra des tests ! Il ne faut pas opposer la stratégie de confinement à l’utilisation des tests. L’OMS insiste sur ce point : ce sont deux phases qui doivent se succéder rapidement. Il faut tester, tester et encore tester ! Le professeur Delfraissy l’a rappelé hier lors du journal du soir de France 2. J’espère, monsieur le Premier ministre, que nous aurons des réponses satisfaisantes à ces questions, dans l’intérêt des Français. (Applaudissements sur les travées du groupe SOCR.)

M. le président. La parole est à M. le Premier ministre.

M. Édouard Philippe, Premier ministre. Monsieur le président Kanner, il y a beaucoup de questions dans votre question, et c’est bien légitime.

Notre objectif principal, aujourd’hui, est de contenir l’évolution du nombre de cas graves, ceux-ci ayant malheureusement souvent vocation à être accueillis dans les services de réanimation et de soins intensifs, dont la capacité est forcément limitée : c’est vrai en France comme partout dans le monde. Aucun système de santé au monde n’est capable de faire face à un afflux massif de patients dont l’état justifie leur admission au même moment dans un service de réanimation ou de soins intensifs.

C’est la raison pour laquelle nous avons pris des mesures pour ralentir la circulation du virus. Nous avions aussi, bien avant, commencé à augmenter nos capacités d’accueil dans les services de réanimation et de soins intensifs, en transformant des lits, d’une part, et en déclenchant le Plan blanc, d’autre part, afin de déprogrammer des opérations non urgentes pour accroître l’offre de lits en services de réanimation et de soins intensifs. Hier soir, grâce à ces déprogrammations et à l’effort de reconversion de lits que nous avons réalisé, 3 700 lits de soins critiques adultes et 300 lits pédiatriques étaient disponibles pour les malades du Covid-19.

Cette augmentation de la capacité permettra-t-elle de faire face à l’afflux de nouveaux patients ? C’est l’enjeu du moment. Les mesures de confinement strictes qui ont été prises devraient avoir un impact massif dans les jours qui viennent. Elles ont vocation à lisser le pic.

Dans le même temps, nous nous mobilisons, avec l’industrie française, pour faire en sorte que le matériel nécessaire puisse être disponible. Je pense notamment aux respirateurs. Je ne suis pas médecin et je ne veux surtout pas donner le sentiment que je maîtrise ces sujets – à supposer que j’y arrive ! –, mais il y a respirateur et respirateur. On ne peut pas utiliser tous les types de respirateurs pour des malades dont la situation est très grave et l’état général très affecté, sauf à leur faire courir de réels dangers. Il faut donc pouvoir équiper les lits de respirateurs adaptés. Nous avons relancé les commandes, les entreprises vont augmenter leur production. Cela nous ramène au sujet de la continuité de la vie économique : si nous voulons pouvoir disposer de tests, de respirateurs et de tout le matériel nécessaire, il faut que les lignes d’approvisionnement et les chaînes logistiques continuent de fonctionner. Sinon, nous n’y arriverons pas ! C’est pourquoi il est indispensable d’assurer la continuité de la vie économique, en prenant évidemment toutes les dispositions nécessaires pour garantir la sécurité et la santé des salariés et de nos concitoyens.

Au-delà de l’augmentation de la capacité d’accueil des services de réanimation, notre stratégie consiste aussi à utiliser des moyens militaires pour déplacer les malades, avec toutes les garanties de sûreté nécessaires, depuis les zones où la pression sur le système sanitaire est très forte vers des régions où il peut encore faire face à l’afflux de nouveaux patients. Des malades ont ainsi été transportés de Mulhouse à Toulon. Nous avons également choisi d’installer à Mulhouse un hôpital de campagne d’une capacité de trente lits de réanimation, afin d’aider le système de santé local.

Les priorités sanitaires sont la limitation du nombre de cas graves et l’augmentation de la production des matériels nécessaires. (Applaudissements sur les travées du groupe LaREM. M. Franck Menonville applaudit également.)

M. le président. Nous en avons terminé avec les questions d’actualité au Gouvernement.

Je vous informerai, mes chers collègues, des conditions dans lesquelles seront organisées les prochaines séances de questions d’actualité au Gouvernement dans les semaines à venir.

Nous allons interrompre nos travaux pour quelques instants.

La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à quinze heures quarante-cinq, est reprise à dix-sept heures cinquante.)

M. le président. La séance est reprise.

6

Mesures d’urgence pour faire face à l’épidémie de Covid-19

Adoption d’un projet de loi dans le texte de la commission modifié et d’un projet de loi organique dans le texte de la commission

M. le président. L’ordre du jour appelle la discussion du projet de loi (projet n° 376, texte de la commission n° 382, rapport n° 381) et du projet de loi organique (projet n° 377, texte de la commission n° 383, rapport n° 381) d’urgence pour faire face à l’épidémie de Covid-19.

La procédure accélérée a été engagée sur ces deux textes.

J’informe le Sénat que la conférence des présidents a décidé la réserve du titre Ier du projet de loi n° 376 jusqu’à la fin de l’examen du texte.

Candidatures à d’éventuelles commissions mixtes paritaires

 
 
 

M. le président. J’informe le Sénat que des candidatures pour siéger au sein d’éventuelles commissions mixtes paritaires chargées d’élaborer un texte ont été publiées.

Ces candidatures seront ratifiées si la présidence n’a pas reçu d’opposition dans le délai d’une heure prévu par notre règlement.

Discussion générale commune

M. le président. Il a été décidé que les deux textes feraient l’objet d’une discussion générale commune.

Je rappelle que tous les orateurs, y compris le Gouvernement, s’exprimeront depuis leur place, sans monter à la tribune.

Dans la discussion générale commune, la parole est à M. le Premier ministre.

M. Édouard Philippe, Premier ministre. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, la France fait face à sa plus grave épidémie depuis un siècle. Le virus, détecté fin décembre, est déjà, trois mois plus tard, répandu sur les cinq continents. La crise est mondiale, avec 8 700 morts, une propagation rapide de pays en pays, une mortalité qui touche sans choisir, mais d’abord les plus âgés et les plus vulnérables, des prévisions épidémiologiques alarmantes qui peuvent faire craindre, si la riposte était défaillante, des centaines de milliers de décès à travers le monde.

La France est frappée de plein fouet et fait face avec détermination depuis janvier. Elle a recensé plus de 9 000 malades et déplore 264 morts à ce jour, un chiffre élevé et qui va s’accroître. Ni le Sénat ni l’Assemblée nationale ne sont épargnés, et je voudrais, monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, présenter mes vœux de très rapide et très complet rétablissement aux parlementaires, fonctionnaires et collaborateurs des assemblées malheureusement atteints.

Cette crise sanitaire a également des répercussions majeures sur tous les aspects de la vie de la Nation. En quelques jours, nos modes de vie, nos priorités, nos habitudes, nos plaisirs les plus simples, nos préoccupations ont basculé. La vie économique, sociale et culturelle quotidienne s’est comme figée.

Le Président de la République l’a dit, c’est une forme de guerre que nous menons. J’ai été personnellement frappé d’entendre la chancelière allemande, Mme Merkel, estimer hier qu’il s’agissait de la crise la plus grave que traversait l’Allemagne depuis 1945. Je m’inscris pleinement dans ces analyses : la période dans laquelle nous sommes entrés n’a rien de commun avec les crises économiques ou financières que nous avons connues depuis 1945. Elle aura des répercussions dans nos vies individuelles et dans la vie de notre Nation, dont nul ne peut aujourd’hui mesurer l’intensité, mais dont nous sentons tous qu’elles seront majeures.

Notre réaction, notre politique, notre stratégie peuvent être résumées par deux mots simples : faire face.

Dès janvier, nous organisions le rapatriement de nos compatriotes depuis la Chine et leur isolement rigoureux pendant quatorze jours. J’ai le souvenir de commentaires selon lesquels nous en faisions alors peut-être trop. Dès l’identification des premiers « clusters », dans les Alpes puis dans l’Oise, nous organisions leur confinement grâce à un travail méticuleux et assez remarquable d’identification des cas contacts réalisé par les équipes médicales du ministère de la santé et les responsables locaux.

Notre stratégie n’a pas varié : empêcher aussi longtemps que possible le virus de s’installer et en freiner au maximum la progression.

Les médecins nous disent que, pour 80 % des patients atteints par ce virus, les symptômes sont bénins ; pour 10 %, ils sont sérieux, et 5 % des malades présentent des formes sévères pouvant nécessiter un placement en réanimation. Les enfants semblent épargnés, mais la gravité augmente avec l’âge et les autres fragilités sanitaires, avec une mortalité importante pour nos anciens.

Si elle n’est pas freinée, l’épidémie se propage de façon exponentielle. Or aucun système hospitalier ne peut tenir si les 5 % de patients sévèrement atteints affluent au même moment. Notre objectif est donc d’abord de protéger les plus vulnérables et ensuite de ralentir la progression du virus, de façon à aplatir le pic épidémique. C’est ce qui nous permettra de diminuer considérablement le nombre d’urgences qui affluent chaque jour vers les hôpitaux. Nous limiterons ainsi le risque d’asphyxie de nos services de réanimation et nous leur donnerons le temps de s’organiser. Nous donnerons aussi le temps aux producteurs de masques, de solutions hydroalcooliques et de respirateurs de fournir les équipements dont nous avons besoin. En freinant la progression de la maladie dans la population, nous nous rapprochons également du moment où, nous l’espérons, nous disposerons de traitements, voire de vaccins.

Dans certaines régions, en particulier dans l’Est et en Île-de-France, les hôpitaux font face à un afflux massif de patients nécessitant des soins urgents. Malgré la très forte pression qui s’exerce sur lui, notre système de soins tient le choc, avec bien sûr des différences d’intensité entre les territoires et au prix d’efforts considérables.

Nous le devons à l’extraordinaire mobilisation, aux capacités d’anticipation et d’organisation des personnels soignants, que nous tenons tous à citer, car ils sont en première ligne dans cette bataille : les médecins, les internes, les infirmiers, les aides-soignants, les médecins retraités, les étudiants. Nous demandons l’impossible à des femmes et à des hommes qui, chaque jour, depuis plusieurs semaines, accomplissent des miracles. Je veux leur redire ici notre reconnaissance, celle de la République, la nôtre, celle de millions de Français qui l’expriment parfois avec des mots, des actes ou des gestes qui ont frappé l’imagination de nos concitoyens. Je veux les assurer de notre totale mobilisation pour qu’ils puissent disposer, dans les meilleures conditions, des moyens dont ils ont besoin.

Notre stratégie comporte aussi une dimension européenne et internationale. Dans le monde ouvert où nous vivons, rien ne peut être accompli sans coopération internationale, mais il est de fait que nous sommes confrontés à un défi inédit. Nous avons immédiatement saisi les institutions de l’Union européenne de la nécessité de coordonner nos réponses.

Ce n’est pas un secret : quand, à la demande pressante de la France, les ministres de l’intérieur, d’une part, et les ministres de la santé, d’autre part, se sont réunis en février, beaucoup estimaient qu’il n’y avait pas lieu de le faire. Rétrospectivement, on ne peut qu’être surpris de ce décalage entre l’appréciation formulée par un certain nombre d’homologues européens du ministre des solidarités et de la santé ou du ministre de l’intérieur et la réalité que nous connaissons aujourd’hui.

C’est en grande partie grâce à l’insistance du Président de la République et du Gouvernement que des mesures de coordination minimales ont pu être prises aux frontières comme en matière de politique sanitaire.

Il est clair que la responsabilité première incombe aux États, mais nous devons pouvoir compter sur les avis de l’OMS, partager nos réponses, mieux coordonner les efforts de recherche de traitements et de vaccins. C’était l’objet du sommet exceptionnel des 7 et 16 mars derniers.

C’est aussi par la solidarité européenne et internationale que nous pourrons aborder les dramatiques conséquences économiques de la crise. Je salue à cet égard les récentes décisions de la Banque centrale européenne.

La bataille sera longue, et nous savons que le bilan en sera lourd. Nous agissons terriblement contraints par le temps, par l’incertitude dans laquelle nous nous trouvons quant à de multiples aspects de ce virus encore inconnu voici trois mois, par l’absence de vaccin et, à ce stade, de traitement, même si – rayon d’espoir – des essais cliniques et des tests, autorisés d’ailleurs avec une célérité jamais vue dès le mois de février, laissent espérer des découvertes en la matière.

Nous agissons dans des délais très courts, selon quelques principes simples que je voudrais résumer.

L’humilité, d’abord : elle oblige à reconnaître que l’on ne sait pas tout, que l’on peut se tromper et que l’on doit, dans ce cas, corriger sans délai la trajectoire sans s’obstiner, que l’on doit s’inspirer aussi de ce que font les autres pays ayant le redoutable privilège de nous précéder parfois d’une semaine ou de quelques jours sur la courbe épidémique.

La confiance dans la science, ensuite : toutes nos décisions – je dis bien toutes – sont fondées sur ce que les meilleurs scientifiques de ce pays nous disent. Cela ne signifie pas, mesdames, messieurs les sénateurs, que nous déléguions la décision aux scientifiques : il ne leur appartient pas de prendre les décisions. Nous les écoutons, nous leur posons des questions. Leurs avis sont souvent traversés d’opinions, d’analyses différentes, et le consensus scientifique n’est pas chose aisée. Mais nous essayons systématiquement de tenir compte de ce que nous disent les scientifiques que nous consultons. Toutes nos décisions politiques prennent appui sur ce que les scientifiques peuvent nous indiquer dans l’océan d’incertitudes dans lequel nous nous trouvons.

Dernier principe, la transparence à l’égard des Français. Nous disons ce que nous savons et ce que nous ne savons pas, parce que la confiance est nécessaire pour vaincre la peur et que la France est un grand pays qui saura surmonter cette épreuve à condition qu’on lui dise la vérité.

Il y a et il y aura, c’est bien légitime, des discussions, des contestations et des polémiques sur nos choix. Les discussions, les contestations, même rugueuses, sont bienvenues : elles nous font avancer, nous en avons besoin. Clemenceau, pendant la Grande Guerre, n’a jamais cessé de réunir le Parlement. Mais les polémiques, que je classe dans une autre catégorie, peuvent nous distraire, nous retarder. Mesdames, messieurs les sénateurs, mon objectif est de conserver toute mon énergie pour avancer. Ce dont je veux vous assurer, c’est que le Président de la République, le Gouvernement et moi-même sommes engagés sans réserve, avec l’humilité que commande le moment, mais avec une détermination absolue, et décidés à assumer les choix que dictent notre compréhension de la situation, nos forces, nos vulnérabilités, sur la base des recommandations du corps médical.

Je tiens à vous remercier, monsieur le président, ainsi que le président de l’Assemblée nationale, les présidents de groupe parlementaire, les présidents de commission et l’ensemble des parlementaires, d’avoir adapté, dans des délais très resserrés et dans des conditions, y compris sanitaires, très difficiles, l’organisation de la démocratie parlementaire pour qu’elle puisse se mettre en ordre de bataille.

Je salue également l’esprit républicain dans lequel les formations politiques se sont inscrites. Devant le Sénat, je tiens à rendre hommage à tous les élus locaux, à tous les fonctionnaires nationaux, régionaux, départementaux, municipaux, qui donnent sans compter leur temps et leurs efforts.

L’évolution rapide de l’épidémie nous a conduits, en fin de semaine dernière, à donner, sur la recommandation des médecins, un nouveau coup de frein et à décider, lundi, le confinement des populations sur le territoire national. Ces mesures sont massives, draconiennes ; jamais notre pays n’avait connu des mesures de restriction aussi générales et rigoureuses sur l’ensemble de son territoire. J’ai parfaitement conscience de l’effort qu’elles représentent pour des millions de Français. Taraudés par des questions, des inquiétudes que l’on peut parfaitement entendre, ils doivent à la fois s’acquitter de leurs obligations professionnelles, fût-ce à distance, continuer à gérer les contraintes familiales, les engagements de toutes sortes qu’ils ont pu souscrire, faire face à la diminution dramatique de leur chiffre d’affaires et de leurs perspectives économiques, à une angoisse liée à la maladie ou au risque de la maladie.

Je saisis cette occasion pour redire aux Français – en vous demandant, mesdames, messieurs les sénateurs, de relayer ce message – que ces mesures sont indispensables, qu’elles sont les seules efficaces pour soulager nos soignants et protéger ceux que nous aimons, que la négligence, la légèreté, l’insouciance que l’on constate parfois encore dans nos rues sont – je pèse mes mots – irresponsables et doivent laisser place à une prise de conscience totale de la responsabilité de chacune et de chacun d’entre nous dans le combat que nous avons engagé.

L’épidémie et ces mesures de restriction ont, vous le savez, des répercussions d’une extrême gravité sur notre économie. Dans de nombreux secteurs – je pense au transport aérien, à l’hébergement, aux activités culturelles et sportives, à l’événementiel, à la restauration, au commerce de détail non alimentaire –, les chutes de chiffre d’affaires sont proches de 50 %, voire de 100 %.

Cette crise bouleverse aussi l’ensemble de nos relations économiques, juridiques, administratives, ainsi que le fonctionnement de nos institutions démocratiques, nationales et locales.

Lors de ses deux adresses aux Français, le Président de la République a annoncé des mesures massives pour contrer l’épidémie, pour soutenir financièrement les personnes les plus fragiles, les salariés, les indépendants, ainsi que les entreprises, grandes et petites. Ces mesures sont attendues, elles sont nécessaires, d’abord pour que les Français puissent se concentrer sur le seul objectif qui vaille : protéger leur santé, celle de leurs proches, celle de leurs concitoyens. Elles sont aussi nécessaires pour ne pas ajouter de l’angoisse sociale, économique, à l’angoisse que suscite déjà l’épidémie. Elles sont nécessaires pour que la vie économique et sociale de notre pays puisse reprendre le plus vite possible une fois la crise sanitaire derrière nous.

Tout l’enjeu consiste maintenant à traduire ces mesures dans notre législation pour qu’elles puissent produire leurs effets dans le délai le plus court possible. L’urgence commande, et le Parlement est appelé à les discuter et à les voter aussi vite que possible, mais l’urgence ne saurait aller sans respect de l’indispensable pouvoir de contrôle des deux assemblées. C’est cet équilibre entre la rapidité de la décision dans la bataille et l’impératif absolu du contrôle démocratique que nous nous sommes employés collectivement à respecter.

C’est ainsi que j’ai l’honneur de vous présenter les projets de loi adoptés hier en conseil des ministres : un projet de loi d’urgence, assorti d’un très court projet de loi organique, ainsi qu’un projet de loi de finances rectificative.

L’ensemble de leurs dispositions visent à atteindre quatre objectifs.

Le premier, c’est de protéger à tout prix, quoi qu’il en coûte, la population contre l’épidémie.

Le deuxième objectif consiste à prendre les mesures économiques et sociales exceptionnelles que la situation impose.

Le troisième objectif est d’adapter très temporairement nos règles de droit aux bouleversements que nous connaissons dans nos relations économiques ou administratives, que l’on soit une entreprise ou un particulier.

Ces dispositions visent enfin, quatrièmement, à tirer les conséquences de l’impossibilité que nous avons constatée d’organiser le second tour des élections municipales ce dimanche.

Le titre Ier du projet de loi d’urgence, dans la rédaction initiale présentée par le Gouvernement, porte ainsi sur le report du second tour des élections municipales. Ce report, nous l’avons décidé lundi après avoir consulté le conseil scientifique et les forces politiques, parce que l’accélération de la propagation du virus le rendait indispensable.

Je souhaite revenir sur cette question qui suscite, et c’est bien normal, discussions et interrogations.

Nous avons maintenu le premier tour de ces élections municipales après un débat et une réflexion approfondis. Les élections, c’est le temps fort de la démocratie, et, nous le savons, seules des circonstances absolument exceptionnelles peuvent permettre d’en modifier le calendrier, sur la base, dans toute la mesure du possible, du consensus des forces politiques.

Dès le mois de février, lorsque j’ai réuni à Matignon les partis et les groupes politiques pour les informer précisément de la situation sanitaire, la question du maintien du scrutin municipal a été abordée. À l’époque, sur l’avis unanime des autorités scientifiques, nous avons considéré que ce scrutin pouvait et devait être maintenu.

À partir de ce moment, nous avons systématiquement interrogé les spécialistes sur les conditions d’une organisation sûre de ce scrutin sur le plan sanitaire. Leur réponse a été de recommander la sensibilisation de nos concitoyens et de tous ceux qui allaient procéder ou faire procéder aux opérations électorales à ces consignes de sécurité et à ces gestes barrières grâce auxquels les contaminations pouvaient être évitées. Il n’y avait donc, à leurs yeux, pas de risque plus élevé à voter qu’à procéder à des actes courants de la vie quotidienne, comme faire les courses ou emprunter les transports en commun.

Jeudi dernier, avant le premier tour, alors que nous décidions des premières mesures lourdes de confinement, la question du report a de nouveau été examinée. Le Gouvernement a instruit cette question : pouvions-nous décider, jeudi, de reporter le premier tour des élections municipales ? Beaucoup de ceux qui ont été consultés, parfois informellement, c’est vrai, nous ont dit que, sur la base des informations dont ils disposaient, ils considéraient que les opérations électorales, pour autant qu’elles soient bien organisées, que les consignes de sécurité soient bien mises en œuvre et respectées, pouvaient se tenir, et le conseil scientifique a confirmé son analyse précédente.

Samedi, enfin, veille du vote, alors que nous resserrions encore les mesures de confinement, nous avons de nouveau consulté les experts, qui ont confirmé leurs recommandations.

Qu’aurait-on dit, mesdames, messieurs les sénateurs, si, par un décret pris nuitamment la veille d’une élection, nous avions annulé ou reporté le scrutin tandis que, le lendemain, les Français se promenaient dans les parcs et les jardins publics, sans avoir pleinement mesuré les contraintes nouvelles ? Certains auraient alors pu crier au coup de force. Souvenons-nous-en !

Le scrutin s’est, sur les plans technique et sanitaire, bien déroulé, et j’en remercie les responsables de son organisation. Mais la très forte abstention a montré que, dimanche, l’inquiétude avait saisi un grand nombre de Français. De surcroît, la propagation du virus s’est accélérée à ce moment précis. Lundi, nous avons donc décidé, après une nouvelle consultation des forces politiques, le report du second tour, que recommandaient les experts du conseil scientifique.

Il faut maintenant tirer les conséquences de cette situation sur notre vie municipale.

Les solutions que préconise le Gouvernement, qui trouvent leur traduction dans le projet de loi qui vous est présenté, reposent sur deux principes.

D’abord, dans toutes les communes où le premier tour n’a pas permis d’élire l’ensemble du conseil municipal, le texte fixe la tenue du second tour au mois de juin, sous réserve bien sûr que nous ayons alors contenu l’épidémie. Pour nous en assurer, et pour anticiper, le Gouvernement remettra un rapport au Parlement au milieu du mois de mai 2020. Ce rapport se fondera sur les observations du conseil scientifique. Si nous devons en conclure que l’épidémie rend impossible la tenue du second tour de l’élection en juin, nous reviendrons alors devant vous pour décider des meilleures mesures à prendre.

Ensuite, ce rapport indiquera s’il est possible d’installer les conseils municipaux dans les communes où le premier tour a permis d’élire l’ensemble du conseil. Cette installation, si elle est possible, interviendrait alors dans des délais très brefs, par exemple dans la semaine qui suivra le 10 mai.

Cette solution que nous proposons se fonde, d’une part, sur l’avis du président du conseil scientifique, qui, consulté aujourd’hui, a indiqué que les conditions sanitaires pour l’installation des conseils municipaux, prévue par le code électoral entre demain matin et dimanche, n’étaient plus réunies, et, d’autre part – j’exprime ici ma reconnaissance au président du Sénat, à l’ensemble des présidents de groupe et au président de la commission des lois –, sur une analyse partagée des contraintes qui pèsent sur nous.

Cette analyse a permis de construire une solution qui m’apparaît à la fois simple, claire et raisonnable. Elle implique la prorogation des mandats des sortants, afin d’assurer la continuité de l’administration des affaires locales. Elle impose au Gouvernement d’expliquer ses choix au Parlement à une date fixée par le projet de loi au 10 mai.

Par ailleurs, le projet de loi prévoit également des règles spécifiques pour clarifier un certain nombre de cas. Je pense à celui des communes de moins de 1 000 habitants, dans lesquelles il arrive que des candidats soient élus au premier tour sans que le conseil municipal soit au complet.

Le projet de loi prévoit aussi des règles relatives au bon fonctionnement des établissements publics de coopération intercommunale.

Sur tous ces points, nous sommes évidemment ouverts à des améliorations, avec toujours pour objectif de recueillir le consensus le plus large possible.

Le titre II prévoit l’instauration de l’état d’urgence sanitaire et sociale. Comme vous le savez, l’article L. 3131-1 du code de la santé publique autorise le ministre de la santé à prendre, « en cas de menace d’épidémie », toute mesure pour protéger la santé de la population. C’est sur ce fondement légal que nous avons pris les mesures que la propagation de l’épidémie imposait.

Cependant, mesdames, messieurs les sénateurs, nous ne sommes plus face à une menace : nous affrontons une pandémie installée, plus forte que personne n’aurait pu l’imaginer. Il nous a semblé que les mesures que nous prenons, qui immobilisent l’ensemble du pays, méritaient un cadre plus respectueux de notre vie démocratique qu’un simple arrêté ministériel. Il s’agit non pas de choisir entre protection de la santé publique et démocratie, mais de protéger la santé de nos concitoyens, face à l’urgence, tout en respectant pleinement le rôle du Parlement et les garanties fondamentales.

C’est la raison pour laquelle le projet de loi vise à créer un cadre juridique clair, solide pour le déclenchement de l’état d’urgence sanitaire et sociale, permettant au Parlement d’exercer son contrôle. Ce cadre est inspiré, avec des adaptations, par la loi du 3 avril 1955 relative à l’état d’urgence. Il prévoit une déclaration par la voie d’un décret en conseil des ministres, dont la prorogation au-delà d’un mois devra être autorisée par la loi. Dans une démocratie, on ne peut pas gérer l’exception sans le Parlement ; on ne peut pas déroger aux libertés essentielles sans en appeler à son contrôle. Le cadre que nous proposons est objectivement plus satisfaisant et plus respectueux du Parlement que celui qui prévaut à ce jour.

La comparaison entre les deux régimes d’état d’urgence s’arrête là. Il s’agit évidemment non pas d’autoriser des perquisitions, des assignations à résidence, mais de prendre des mesures générales de protection de la population.

Pour bien en marquer la nature sanitaire, nous avons décidé de faire figurer ce dispositif dans le code de la santé publique. Les mesures envisagées auront donc toujours un objectif sanitaire et leur proportionnalité sera évidemment contrôlée. En revanche, ne me demandez pas d’en dresser à l’avance la liste : l’expérience des dernières semaines nous appelle à l’humilité en la matière. Veillons aussi, ensemble, à ce que la loi nous permette de nous adapter si l’épidémie devait sévir par pics successifs ou selon des formes variées sur les territoires.

Je l’ai dit, la situation actuelle est sans précédent ; jamais la vie ne s’était arrêtée à ce point dans notre pays. À bien des égards, nous évoluons dans une forme d’inconnu. Nous avons pu anticiper un certain nombre de conséquences de cette vie en quelque sorte soudainement mise sous cloche. Dans d’autres domaines, nous ne connaissons pas avec certitude la nature, la durée et l’étendue des mesures que nous aurons à prendre pour nous adapter. C’est la raison pour laquelle le Gouvernement demande au Parlement, au travers du titre III du projet de loi d’urgence, de l’habiliter à prendre de nombreuses mesures par ordonnances.

Ces mesures visent d’abord à mettre en œuvre les décisions que le Président de la République a prises pour protéger les Français. Je pense par exemple aux mesures économiques de soutien à la trésorerie des entreprises, aux aides directes, à l’assouplissement des règles commerciales et de procédure civile ou aux délais que nous voulons accorder aux très petites entreprises pour payer leurs factures d’eau ou d’électricité. Bien souvent, ce sont des mesures de survie pour nos restaurateurs, nos artisans, nos commerçants.

Ces mesures sont aussi destinées à assouplir l’organisation du travail, à faciliter, le cas échéant, le recours aux congés payés, à la formation, et à indemniser, à des niveaux bien plus élevés qu’aujourd’hui, le chômage partiel, de manière à éviter des licenciements massifs, qui seraient catastrophiques sur les plans social et économique.

Ces mesures vont également permettre à des millions de foyers de ne pas souffrir de pertes brutales de revenus, comme cela pourrait être le cas dans d’autres pays.

Ces mesures d’exception visent en outre à faciliter la garde des enfants, alors que nous avons décidé de fermer, toujours pour freiner l’épidémie et la circulation du virus, les structures d’accueil de jeunes enfants.

Ces mesures, enfin, ont vocation à protéger les plus fragiles. Nous mettons ainsi en œuvre les engagements du Président de la République en suspendant les expulsions locatives ou en prenant des dispositions exceptionnelles en faveur des personnes qui souffrent d’un handicap. Nous leur devons évidemment notre protection. Par ailleurs, nous avons maintenu ouvertes toutes les places d’hébergement d’urgence et mis en place des dispositifs d’accueil des personnes à la rue.

À côté de ces mesures de soutien, le projet de loi vise à autoriser le Gouvernement à prendre des dispositions de bon sens. Je pense à celles qui simplifient la tenue des assemblées générales de toute nature, y compris celles de copropriété, pour éviter aux personnes concernées de devoir se réunir. Le recours à la visioconférence rend désormais techniquement possibles ces simplifications.

Ces mesures de bon sens visent également à adapter les délais légaux et les procédures dans les juridictions civiles, pénales ou commerciales, afin de garantir les droits des citoyens. En d’autres termes, pas un Français ne doit perdre un droit ou prendre un risque inutile pour sa santé à cause de règles de droit qui se justifient parfaitement dans des conditions normales, mais qui se révéleraient hors de propos dans un pays confiné.

Toutes les dispositions que nous suspendons s’appliqueront de nouveau à la fin de la période d’épidémie, mais ces mesures d’assouplissement, de soutien ou de suspension doivent nous aider à passer le gros de la tempête, avant que la situation ne redevienne à peu près normale.

Cette crise sanitaire grave, terrible même, nous la surmonterons. Ensuite, la vie économique, sociale, politique reprendra, le plus vite possible. La crise, on le sait, aura des conséquences graves sur l’activité économique dans notre pays. Tout l’enjeu est d’aider nos entreprises et leurs salariés à franchir ce cap.

Dans cette perspective, le Président de la République a fixé un objectif clair : nous devons soutenir nos entreprises et nos emplois quoi qu’il en coûte. C’est l’objet des mesures de soutien que je viens d’évoquer, ainsi que du projet de loi de finances rectificative, qui organise la mobilisation financière de la Nation et que vous examinerez demain, mesdames, messieurs les sénateurs.

Nous l’avons annoncé cette semaine, ce projet de loi de finances rectificative prévoit un soutien budgétaire de l’ordre de 45 milliards d’euros, dont plus de 32 milliards d’euros de reports de charges et 8,5 milliards d’euros destinés à améliorer massivement le financement de l’activité partielle. Nous consacrerons également, avec les régions, dont je tiens à saluer ici l’engagement, près de 1 milliard d’euros au fonds d’indemnisation dont bénéficieront les indépendants. Nous avons en outre prévu une provision de 2 milliards d’euros pour soutenir l’hôpital et faire face aux dépenses d’indemnités journalières.

Le projet de loi de finances rectificative met par ailleurs en place un dispositif exceptionnel de garantie publique des crédits bancaires aux entreprises, à hauteur de 300 milliards d’euros, soit un montant comparable à ceux que les Allemands ou les Britanniques sont en train de mobiliser.

Concrètement, il s’agit de faire en sorte que les banques continuent de prêter aux entreprises et de soutenir leur trésorerie. Les entreprises s’adresseront directement à leur banque et bénéficieront automatiquement d’un différé d’un an avant de rembourser leur prêt, qui pourra représenter jusqu’à 25 % du chiffre d’affaires constaté en 2019.

Un tel dispositif est massif et inédit. Il est, je le crois, à la mesure de la crise que nous connaissons, des risques que cette crise sanitaire fait courir à l’ensemble de notre économie.

Comme vous le savez, le temps presse. Chaque jour, chaque semaine qui passe, ce sont des milliers d’entreprises qui se fragilisent, c’est la précarité qui menace. C’est la raison pour laquelle nous n’avons eu d’autre choix que de proposer au Parlement un examen de ces projets de loi dans des délais très contraints. Je remercie une nouvelle fois ses membres et les groupes des deux assemblées de leur volonté de s’accorder très vite sur les termes de ces textes et de faire prévaloir l’union.

C’est dans le même esprit, selon la même volonté d’union nationale, que le Président de la République a demandé au Gouvernement de suspendre l’examen et la mise en œuvre du système universel de retraite et l’application de certaines dispositions de la réforme de l’assurance chômage.

Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, nous savons tous que l’heure est particulièrement grave. La France affronte une grande épreuve ; elle combat un ennemi silencieux, invisible, aveugle. Dans le passé, nombreux ont été les scientifiques, les responsables politiques à redouter la survenue d’une crise sanitaire de cette ampleur. La vie a décidé qu’il reviendrait à ce gouvernement, à ce Parlement, de l’affronter, aux côtés de nos 65 millions de compatriotes de métropole, d’outre-mer et de l’étranger. Nous devons le faire dans l’unité, le calme, la discipline, le sang-froid, avec l’esprit de responsabilité et de fermeté qui a animé nos prédécesseurs dans des circonstances exceptionnelles.

Cette bataille aura, je le sais bien, et on le voit déjà, sa part d’ombre avec ces vols, ces trafics, ces accapareurs et ces profiteurs, ces violences, cette légèreté, ces basses polémiques, parfois, qui ne sont que le triste reflet de ce que l’homme peut faire lorsqu’il est angoissé, lorsqu’il a peur ou lorsqu’il oublie qu’il fait partie d’une grande Nation.

Mais elle connaîtra ses héros. Je les ai salués déjà, et je n’ai aucun doute que, dans la durée, d’autres se révéleront. Elle connaîtra ses victimes, aussi, et nous devons en limiter le nombre. Elle connaîtra ses soldats du quotidien, toutes celles et tous ceux qui s’appliqueront avec discipline, avec acharnement, avec inventivité, avec fraternité à respecter les règles tout en maintenant l’espoir, le sourire et la vie.

Nous sommes, mesdames, messieurs les sénateurs, une grande Nation, et si les facilités des temps tranquilles nous le font oublier parfois, il y a, au cœur de l’âme française, cette force, cette cohésion, cette grandeur qui me donnent une absolue confiance dans l’issue.

Nous vaincrons ce virus avec nos forces politiques, économiques, scientifiques, culturelles, spirituelles aussi, avec tous les pays, toutes les communautés qui se liguent contre lui, et nous devrons être prêts, ensuite, à repartir d’un pied nouveau, mieux armés pour nous affirmer dans ce XXIe siècle dont les défis et les promesses font notre destin. (Applaudissements sur les travées des groupes LaREM, RDSE, UC, Les Indépendants et Les Républicains, ainsi que sur des travées du groupe SOCR.)