M. le président. La parole est à M. le rapporteur de la commission des lois.

M. Philippe Bas, président de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et dadministration générale, rapporteur. Monsieur le président, monsieur le Premier ministre, messieurs les ministres, mes chers collègues, depuis les mesures drastiques prises par le Gouvernement il y a quelques jours, quelques semaines pour certaines d’entre elles, c’est la première fois que nous sommes réunis en séance publique. Le Gouvernement agit ; il appartient au Parlement de répondre présent pour contribuer à relever ce défi exceptionnel qui est lancé à notre pays et, au-delà, à chaque Française et à chaque Français.

Le Parlement est présent dans toutes ses composantes pour représenter – il est seul à pouvoir le faire – la diversité de nos compatriotes. Il est, je l’espère, uni pour que, dans cette période si difficile de notre histoire, nous sachions faire face et être à la hauteur des difficultés auxquelles nous sommes collectivement confrontés.

Cette voix des Français que nous portons, c’est aujourd’hui celle de l’inquiétude, de l’angoisse voire de la peur, parfois, mais c’est aussi, nous le sentons depuis quelques jours, celle d’un peuple qui sait faire preuve de sang-froid, prendre ses responsabilités et assumer dans la tempête la part qui lui revient pour faire barrage à l’épidémie, autant que faire se pourra, et pour affronter les difficultés de l’épreuve que nous avons commencé à traverser et dont nous savons bien, hélas, qu’elle va s’aggraver au fil des prochains jours, avant que nous puissions la surmonter. À cet égard, la note d’espoir sur laquelle vous avez terminé votre intervention, monsieur le Premier ministre, est importante.

Nous assumerons, au sein de tous nos groupes et dans chacune de nos commissions, nos fonctions de législation et de contrôle. Je remercie tout spécialement, à cet égard, le président du Sénat. Dans la République, le Parlement se doit d’être présent en permanence au côté des Français, et tout particulièrement dans les circonstances que nous connaissons actuellement. Au fond, ces circonstances, exceptionnellement graves, nous font un devoir plus grand encore que dans les temps ordinaires de jouer notre rôle constitutionnel et de ne pas laisser l’exécutif seul face à la crise, en prenant notre part du fardeau sans renoncer en rien à la mission de contrôle de l’action de l’exécutif que nous confère la Constitution. Le Gouvernement a l’obligation, qu’il accepte volontiers, comme vous l’avez indiqué, monsieur le Premier ministre, de s’expliquer devant les représentants des Français et de passer par eux pour arrêter des mesures exceptionnelles que, dans une grande démocratie, le Gouvernement ne peut assumer seul, mais que nous sommes prêts à lui permettre de prendre ou de consolider quand elles ont déjà été prises sur un fondement légal, dont vous avez souligné à l’instant qu’il n’était pas suffisant, ce qui justifiait donc que nous nous réunissions pour déterminer de nouvelles mesures législatives.

Nous porterons pendant toute cette période l’exigence de dialogue et de transparence, autant que celle, impérieuse, d’unité nationale, parce que nous le devons à nos compatriotes. Au fond, le combat qui est engagé n’est pas seulement ni même principalement celui de l’État : il est le combat de chacun de nos compatriotes. Chacun doit pouvoir dire : « Le virus ne passera pas par moi, parce que je fais ce qu’il faut faire pour l’éviter et contribuer ainsi à ce que la santé publique soit sauvegardée malgré la gravité de cette épidémie. » Je veux saluer ici l’esprit de discipline et de responsabilité qui prévaut aujourd’hui parmi les Français, après qu’ils eurent pris le temps d’intégrer la gravité de la situation et la menace qui pèse sur chacune et chacun d’entre nous. Je salue bien sûr aussi l’engagement des élus, l’engagement des femmes et des hommes des services publics, et, plus encore, l’engagement de tous ceux qui contribuent à notre santé.

Telle est la disposition d’esprit dans laquelle la commission des lois a examiné le texte du Gouvernement. Elle a veillé à mettre au premier rang de ses préoccupations la sécurité sanitaire de nos concitoyens, pour contribuer à lutter le plus efficacement possible contre cette épidémie du Covid-19. Elle a donc veillé à ce que les autorités disposent des moyens d’action exceptionnels dont elles ont besoin pour faire face à la crise, pour prévenir les contaminations et pour assurer dans les meilleures conditions possible la prise en charge des malades. Elle s’est aussi attachée, dans ses travaux, à ce que les moyens mis en œuvre, parfaitement dérogatoires dans notre État de droit, soient strictement proportionnés aux objectifs de sécurité sanitaire des pouvoirs publics, dont nous soutenons l’action de lutte contre ce fléau, en faisant en sorte que les restrictions apportées à l’exercice de libertés fondamentales ne soient que des restrictions strictement indispensables, instaurées pour une durée limitée et sous un contrôle renforcé du Parlement. Vous verrez, au moment de l’examen des articles, quelles conséquences nous en avons tirées. À ce stade de nos débats, je veux surtout insister sur la philosophie qui nous a inspirés.

L’état d’urgence sanitaire permettra au Gouvernement de prendre par décrets des mesures restrictives. Nous voulons qu’elles soient limitées et qu’elles relèvent de catégories énoncées par le législateur.

Les conseils municipaux et communautaires n’auront pas à être réunis pendant la période de confinement si les conditions de sécurité sanitaire ne sont pas réunies. Les présidents de conseil communautaire resteront en place pour qu’il ne soit pas nécessaire de convoquer des réunions qui pourraient comporter plus de 200 participants dans certains cas. Les règles de quorum et le régime des procurations seront aménagés pour que, lorsque des conseils devront se réunir, ils puissent être moins nombreux qu’à l’ordinaire, afin de respecter les exigences de distance entre les participants. Nous avons également fait en sorte que l’on s’écarte le moins possible des règles de droit commun. C’est pourquoi, pour la préparation du second tour des élections municipales, nous avons tenu à ce que les déclarations de candidatures soient déposées dans les plus brefs délais, afin d’éviter d’interminables négociations. (Applaudissements sur les travées du groupe UC et sur des travées du groupe Les Républicains.)

Enfin, je veux saluer l’effort fait par le Gouvernement pour l’élection des maires et de leurs adjoints, prévue initialement vendredi, samedi et dimanche de cette semaine. Monsieur le ministre de l’intérieur, nous nous en étions entretenus dès hier soir avec Mme Braun-Pivet, mon homologue la présidente de la commission des lois de l’Assemblée nationale. Nous étions convenus que, si ces élections étaient maintenues, il fallait à tout le moins que des dispositions exceptionnelles soient prises pour que les conseils municipaux soient en mesure d’élire les maires sans que tout le monde soit présent, grâce à un assouplissement du régime des procurations et des règles de quorum. La discussion s’est prolongée. Les avis scientifiques que vous avez recueillis, monsieur le Premier ministre, ont amplifié la préoccupation que nous avions partagée hier soir. La commission des lois proposera un dispositif, que nous avons pu discuter avec vous, qui permettra le maintien des municipalités élues en 2014 tant que seront maintenues les règles du confinement. Nous en saurons un peu plus long quand le conseil scientifique aura rendu le rapport prévu dans le projet de loi pour le 15 mai prochain.

Ainsi, si la situation s’améliore d’ici au 30 juin, il pourra y avoir à la fois élection des maires, élection des nouveaux présidents de communauté de communes et second tour de l’élection pour les conseils municipaux. Sinon, il faudra, monsieur le Premier ministre, que vous reveniez devant le Parlement et que nous prenions d’autres dispositions pour assurer la continuité du fonctionnement de la démocratie. N’oublions pas que nous avons besoin des maires : s’ils n’étaient pas là, l’action du Gouvernement en serait rendue plus difficile encore. (Mme Françoise Gatel applaudit.) Les maires sont les référents de nos concitoyens. Ils ont, parmi leurs attributions, des responsabilités en matière d’hygiène publique. Il est important que notre démocratie ne soit pas mise en suspens. Gageons au contraire que c’est grâce aux méthodes qui sont propres à notre démocratie que nous serons les plus forts, puisque tout le monde doit s’engager dans le combat pour maîtriser la grave situation d’épidémie que nous avons à surmonter.

Mes chers collègues, nous aurons, dans la suite du débat, l’occasion d’approfondir chacune des questions que j’ai abordées brièvement, ainsi que celles que je n’ai pas traitées. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et sur quelques travées du groupe UC.)

M. le président. La parole est à Mme la rapporteure pour avis de la commission des affaires économiques.

Mme Sophie Primas, présidente de la commission des affaires économiques, rapporteure pour avis. Monsieur le président, monsieur le Premier ministre, messieurs les ministres, mes chers collègues, à intervalles réguliers dans son histoire, le peuple français a été menacé par des défis très graves. Il a toujours su se relever. Aujourd’hui, un tsunami sanitaire et économique a débuté, et la France, de nouveau, doit rester debout.

La crise rappelle, à ceux qui l’auraient oubliée, la valeur inestimable de la solidarité nationale, de notre service public, et la formidable énergie collective qui anime notre Nation. Sachons rendre hommage à ces femmes et ces hommes qui œuvrent, chaque jour, pour endiguer la crise ou en atténuer les effets.

À la place qui est la mienne, je pense également à nos agriculteurs, à nos industriels, aux salariés du commerce, qui garantissent aux Français une alimentation suffisante, même quand les rayons des magasins sont assaillis par des consommateurs inquiets.

Le choc économique actuel agit à la fois sur la demande et sur l’offre. Il affectera fortement notre modèle économique. Conjoncturellement, la France affrontera cette année une récession, peut-être pire que celle annoncée à ce stade par le Gouvernement, si la pandémie venait à durer. C’est pourquoi la commission des affaires économiques a émis un avis favorable, monsieur le Premier ministre, à toutes les mesures du titre III du texte du Gouvernement.

Néanmoins, nous avons quelques questions.

Pouvez-vous nous confirmer que tous les professionnels sont visés par l’article 7, indépendamment de leur statut juridique, c’est-à-dire y compris les associations de l’économie sociale et solidaire ou les professions libérales, par exemple ?

Vous évoquez un seuil de 70 % de perte de chiffre d’affaires pour le mois de mars, par rapport à mars 2019, pour être éligible au fonds de solidarité. Ce seuil nous paraît soit trop élevé, ne serait-ce que parce que le mois de mars est déjà entamé et que mars 2019 avait été marqué par la crise des « gilets jaunes », soit inadapté, pour les artisans notamment.

Tout le monde comprend que, dans ces circonstances, nous devions déroger au droit commun du travail ou du commerce, y compris lorsqu’il faudra redémarrer. Mais il n’y a pas, dans ce texte, de limitation dans le temps. Or il y aura bien retour au droit commun. Quand ? Six mois après la fin de la crise ? Un an après ?

Au titre du chômage partiel, les salariés sont indemnisés sur la base de 35 heures, mais certaines conventions collectives fixent le temps de travail hebdomadaire à 39 heures, voire davantage. Comment cela sera-t-il pris en compte ?

Enfin, nous nous étonnons que le monde des assurances ne contribue pas à l’effort de la Nation.

Mme Éliane Assassi. Absolument !

Mme Sophie Primas, rapporteure pour avis de la commission des affaires économiques. Aujourd’hui, nous soutenons les efforts du Gouvernement, mais nous serons vigilants sur l’application et l’équité des mesures. Nous suivrons pas à pas leur mise en œuvre, en nous appuyant sur les retours du terrain, secteur par secteur, en provenance tant des TPE-PME que des grandes entreprises, toutes étant impactées. C’est pourquoi nous soutiendrons l’initiative sénatoriale en faveur d’un suivi de l’application de ces mesures.

La crise atteindra également structurellement notre modèle économique.

Cette crise nous montre que nous sommes entrés dans une période de graves incertitudes géopolitiques, écologiques, sanitaires et donc économiques. Après les Trente Glorieuses, nous sommes sans doute entrés dans les « trente dangereuses », marquées par des chocs qui mettent en cause notre modèle de société.

Dans ce monde incertain, la France ne manque pas d’atouts, mais elle doit rester guidée par trois valeurs qui ont toujours fait corps avec le modèle français : la souveraineté, la responsabilité et la résilience.

La souveraineté, tout d’abord, économique, numérique, énergétique ou alimentaire. La crise a montré, et la gaulliste que je suis en est convaincue, que nous devons cesser de croire aveuglément que nous pouvons compter sur les autres autant que sur nous-mêmes. Ne prenons pas à la légère notre destin économique ou alimentaire. À l’heure où nous importons une part significative de notre alimentation, nous devons nous interroger.

La responsabilité, ensuite. L’État comme les collectivités territoriales auront une responsabilité immense. Ils devront réintroduire la notion de long terme et en finir avec un court-termisme qui nous désoriente. Qu’attendons-nous, monsieur le Premier ministre, pour suspendre les cotations boursières, en coordination avec nos partenaires européens ? Chacun, citoyen, consommateur, salarié, entrepreneur, devra modifier ses attitudes pour prendre en compte les conséquences collectives de ses décisions individuelles.

La résilience, enfin. La France de demain doit repenser sa capacité à réagir aux défis. Le rôle de l’État doit évoluer : il sera plus régulateur, plus stratège. Il devra être plus économe en période de croissance, pour disposer de plus de ressources budgétaires en cas de crise.

Le secteur privé doit réinventer de nouveaux modèles, de nouveaux services, en particulier dans le domaine numérique.

Enfin, la société elle-même doit organiser sa propre capacité de résistance, une résistance sociale, générationnelle et solidaire.

Résilience, souveraineté, responsabilité : voilà le cap qu’il nous faut fixer dans cette tempête !

Nous relèverons ce défi, monsieur le Premier ministre. La France et son peuple sont puissants : l’histoire n’a eu de cesse de le montrer. Cependant, la France devra changer, notamment infléchir son modèle économique, pour pouvoir mieux résister, demain, aux orages qui s’annoncent. (Applaudissements sur des travées des groupes Les Républicains et UC.)

M. le président. La parole est à M. le rapporteur pour avis de la commission des affaires sociales.

M. Alain Milon, président de la commission des affaires sociales, rapporteur pour avis. Monsieur le président, monsieur le Premier ministre, messieurs les ministres, mes chers collègues, les circonstances exceptionnelles qui nous réunissent aujourd’hui appellent des mesures exceptionnelles.

Parmi les dispositions contenues dans le projet de loi ordinaire soumis à notre examen, la commission des affaires sociales s’est saisie pour avis du titre II, qui porte sur la création d’un état d’urgence sanitaire, ainsi que de l’article 7, qui prévoit l’habilitation du Gouvernement à prendre par ordonnances plusieurs mesures touchant au droit du travail ainsi qu’en matière sociale.

Deux principes ont guidé notre examen de ce texte destiné à adapter notre droit à des circonstances exceptionnelles : la nécessité et la proportionnalité, avec le souci de ne pas aller plus loin que ce que prescrit la situation difficile que nous vivons et que nous allons vivre encore pendant une période indéterminée, laquelle sera de toute façon très longue.

À travers le prisme de ces deux principes, il a semblé à la commission des affaires sociales que les dispositions de l’article 7 étaient nécessaires et proportionnées, à deux exceptions près.

Concernant le titre II, en revanche, il est légitimement permis de s’interroger sur la nécessité d’un nouveau dispositif s’ajoutant au droit actuel.

La création d’un état d’urgence sanitaire a répondu à la nécessité de conforter la base légale du décret pris par le Premier ministre le 16 mars dernier, dans lequel sont décrites les mesures de confinement, par définition restrictives de certaines libertés publiques, qui s’imposent à nous depuis bientôt trois jours. Le Conseil d’État a estimé indispensable la définition d’une nouvelle base légale, dont nous n’avons pas approuvé toutes les modalités.

À notre sens, quatre difficultés pouvaient se présenter : premièrement, le caractère pérenne du dispositif proposé, qui s’ajoutait aux dispositifs existants en matière de mesures d’urgence sanitaire, au risque d’une concurrence juridique avec ces derniers ; deuxièmement, le périmètre initial des restrictions aux libertés d’aller et de venir ainsi que de réunion excédait très largement les mesures pour l’heure contenues dans le décret du 16 mars 2020 et faisait courir le risque d’une disproportion des mesures administratives ; troisièmement, certaines ambiguïtés relatives au rôle des différents acteurs ministériels, notamment s’agissant de l’articulation entre le ministre de la santé, revêtu d’une autorité hiérarchique d’exception sur les forces de l’ordre, et le ministre de l’intérieur, leur autorité naturelle, dont le décret du 16 mars continue de faire expressément mention ; quatrièmement, un élargissement problématique des compétences du préfet, notamment lorsque ce dernier se trouve délégataire de l’ensemble des compétences normalement exercées par l’échelon ministériel.

À l’ensemble de ces difficultés, nous estimons que les modifications introduites par la commission des lois apportent des corrections satisfaisantes, et la commission des affaires sociales s’en est remise à la nouvelle rédaction qu’elle propose pour l’état d’urgence sanitaire.

Nous prenons néanmoins date auprès du Gouvernement, monsieur le Premier ministre, pour redéfinir ensemble, lorsque cet épisode douloureux sera passé, le régime juridique de l’urgence sanitaire, dont nous voyons aujourd’hui qu’il ne peut se satisfaire d’interventions législatives précipitées. Nous ne pourrons pas faire l’économie d’une réflexion approfondie. Ce ne sont certainement pas les conditions dans lesquelles nous légiférons aujourd’hui, sur le fondement d’un texte connu seulement dans la soirée d’hier, qui permettront d’élaborer un dispositif d’exception pérenne et proportionné.

Sur l’article 7, je voudrais dire que les circonstances exceptionnelles ne doivent pas être vues comme l’occasion de recycler des dispositions censurées par le Conseil constitutionnel. Je pense aux assistantes maternelles. Nous devons veiller en toutes circonstances à ne pas porter des atteintes démesurées aux droits des salariés. C’est le sens de l’amendement de la commission des affaires sociales sur le régime des congés payés.

Enfin, la commission des affaires sociales a rappelé que la protection des salariés était une obligation de résultat pour l’employeur. Le défaut de protection suscite des angoisses légitimes et n’est pas acceptable s’agissant de personnes dont l’activité est essentielle à la vie du pays. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, ainsi que sur des travées des groupes UC et RDSE.)

M. le président. Mes chers collègues, je tiens à vous informer que, au regard du nombre d’amendements déposés, nous devons prévoir de siéger ce soir et cette nuit.

Dans la suite de la discussion générale, la parole est à Mme Éliane Assassi.

Mme Éliane Assassi. Monsieur le président, monsieur le Premier ministre, messieurs les ministres, mes chers collègues, cette séance, par sa forme exceptionnelle, souligne la gravité de la crise à laquelle notre pays est confronté, comme bien d’autres dans le monde.

Notre présence aujourd’hui, dans un Paris confiné, souligne aussi la volonté du Parlement d’être là, de tenir son rang et de conserver à la République un équilibre des pouvoirs nécessaire en toutes circonstances.

Oui, la France est en situation d’urgence, de grande urgence sanitaire. Le virus Covid-19 se répand ; l’épidémie gagne et des mesures extrêmes, lourdes sont bien entendu nécessaires pour endiguer le mal.

Avant toute chose, je le dis à nos compatriotes : prenez soin de vous, restez chez vous, protégez les autres par votre prudence ; respectez les consignes d’hygiène, ces fameuses barrières ; faites grandir la solidarité, ce mot que beaucoup réservaient à l’histoire ; soutenez ceux qui, vulnérables, souffrent particulièrement de cette situation ; bien entendu, affichez un soutien sans faille aux personnels de santé, qui, dans des conditions d’une difficulté inimaginable, affrontent la maladie. Oui, nous les applaudissons, celles et ceux qui, malgré un manque de moyens criant, malgré la disette imposée au monde de l’hôpital depuis des années, sont là, debout, jour et nuit, alignant les heures supplémentaires. Comment ne pas noter ici le rôle majeur joué par les femmes, à l’hôpital comme dans les Ehpad, ou encore dans les magasins d’alimentation, où elles sont en première ligne ?

Oui, monsieur le Premier ministre, il y a urgence, grande urgence ! Notre groupe fera sien l’appel à l’unité de la Nation pour franchir cette épreuve dramatique. Aujourd’hui, comme en d’autres temps de l’histoire de notre pays, nous faisons preuve de responsabilité et ne souhaitons alimenter aucune controverse. Le temps viendra, mais l’urgence, c’est de sauver des vies ! Nous sommes concentrés sur les faits, sur les attentes, sur les besoins. Le projet de loi d’urgence présenté pour faire face à l’épidémie comporte des mesures nécessaires, comme celles relatives au confinement, mais il ne porte aucune rupture – un mot pourtant mis en avant par Emmanuel Macron lui-même, jeudi dernier – avec les désastreuses politiques de santé publique de ces dernières années, qui nous ont amenés là où nous en sommes aujourd’hui.

La situation de l’hôpital dénoncée tout à l’heure avec force par mon amie Laurence Cohen est d’une extrême gravité pour les personnels et les patients. Emmanuel Macron a pourtant affirmé, martelant son « quoi qu’il en coûte », que les moyens allaient être donnés à la santé, « qui n’a pas de prix », selon lui. « Ce que révèle cette crise », a-t-il noté, « c’est qu’il y a des biens et des services qui doivent être placés en dehors des lois du marché. » Or rien n’est prévu à cette heure dans le projet de loi de finances rectificative. Or, « en même temps », ces textes sont encore et toujours marqués, encadrés, corsetés par la loi du marché. Comment ne pas voir que ce projet de loi d’urgence, en dehors des mesures d’ordre public et de soutien aux entreprises qu’il contient, fait peu de place à l’urgence sanitaire en elle-même, c’est-à-dire à une aide massive, immédiate, à la hauteur de l’état de crise que nous vivons ?

Nous attendions par exemple des mesures pour accroître en urgence la production de masques, pour développer les tests, pour rendre plus efficace le confinement pour les personnels de santé, bien sûr, mais aussi pour celles et ceux qui sont en contact avec la population, comme les policiers, les pompiers, et d’autres professions encore.

Le soutien à l’économie, fondamental, occulte de manière un peu trop manifeste le soutien à notre système de santé. Nous n’acceptons pas le poids que vous faites peser sur les salariés, encore et toujours première variable d’ajustement de la gestion des entreprises. Vous avez renoncé à l’interdiction des licenciements, pourtant annoncée par Mme Pénicaud lundi, et vous appelez les entreprises à la raison. Nous proposons, pour notre part, qu’aucune suppression d’emploi ne puisse avoir lieu durant cette période d’urgence.

Vous remettez en cause, pour une durée indéfinie, le droit des salariés aux congés payés et aux RTT, ainsi que les 35 heures. Vous généralisez le travail du dimanche. Ces propositions sont inacceptables, d’autant que jamais vous n’émettez l’idée de demander aux actionnaires et aux assurances privées de mettre la main à la poche.

Les modifications apportées à votre texte par la commission des affaires sociales restent insuffisantes. La loi de finances rectificative est du même acabit ; nous y reviendrons demain.

Ce projet de loi pose également un problème démocratique. Nous comprenons que la situation impose d’agir vite et de disposer d’une liberté d’action, mais le Parlement ne saurait être mis sur la touche en renvoyant à un, voire deux mois, un premier vote d’approbation de votre politique, alors qu’un délai de douze jours était prévu lors des états d’urgence précédents.

De plus, l’introduction de cette nouvelle catégorie d’état d’urgence dans le code de la santé publique ne revient-elle pas à faciliter sa mise en œuvre future ? C’est pourquoi nous proposons la mise en place d’un comité national de suivi de l’état d’urgence sanitaire pluraliste pour accompagner et contrôler l’action du Gouvernement. C’est une mesure absolument nécessaire. Si personne, ici, ne peut remettre en cause, bien évidemment, les avis du comité scientifique ni l’expertise et la responsabilité de ses membres, nous ne pouvons laisser le pays être dirigé par ce comité.

Je vous remercie, monsieur le Premier ministre, monsieur le président du Sénat, monsieur le ministre de l’intérieur, d’avoir réuni cet après-midi les présidents de groupe pour échanger sur le report de l’élection des maires, prévue dès ce week-end, mais vous comprenez bien que l’on ne peut pas continuer à fonctionner ainsi, surtout si, malheureusement, cette crise sanitaire devait se poursuivre et s’aggraver encore. C’est pourquoi mon groupe insiste sur la création de ce comité de suivi pluraliste, qui devrait se réunir, selon nous, chaque semaine et rendre publiques les conclusions de ses débats.

Enfin, le projet de loi organise le report du second tour des élections municipales, ce que nous approuvons, mais pourquoi fixer au 24 mars la date limite pour le dépôt des listes pour le second tour ?

Monsieur le Premier ministre, cette grave crise sanitaire qui traverse la planète pose des questions fondamentales à l’humanité. La mondialisation sauvage, cette mondialisation financière qui privilégie à outrance le profit sur l’humain, ne pourra pas suivre son cours. Beaucoup pensaient que c’est le réchauffement climatique qui imposerait en premier lieu les changements et les ruptures inéluctables. Malheureusement, c’est un virus au cœur de l’homme, au cœur de l’humanité, qui peut ouvrir la conscience de ceux qui ne croient qu’à l’argent…

Nous ne nous opposerons pas à ce texte, mais, pour l’heure, nous réservons notre vote final. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE.)

M. le président. La parole est à M. Claude Malhuret. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Indépendants.)

M. Claude Malhuret. Monsieur le président, monsieur le Premier ministre, mes chers collègues, jamais un réalisateur de films catastrophes n’aurait imaginé un tel scénario. Au début de l’hiver, sur les étals d’un marché chinois, où l’on vend pêle-mêle champignons et plantes médicinales improbables, animaux à plumes et à poils, morts et vivants, où des chauves-souris nichent dans les trous des plafonds, un vieil homme achète à la découpe un morceau de l’animal le plus bizarre au monde, le pangolin, qui ressemble à un rat entièrement couvert d’écailles. (Murmures sur des travées du groupe SOCR.) Il l’emporte chez lui, le prépare, le mange et meurt en quelques jours, bientôt suivi par d’autres clients du même marché. Les médecins signalent l’affaire aux autorités. Les apparatchiks locaux, terrifiés à l’idée, assez plausible en Chine, d’être châtiés pour un événement dont ils ne sont pas responsables, menacent les soignants des pires sanctions s’ils l’ébruitent. Un jeune médecin passe outre ; son compte WeChat est bloqué, mais son post a commencé à circuler. Il meurt quelques jours plus tard de la maladie qu’il vient de découvrir. Entre le 17 novembre, date de l’apparition du premier cas, et l’annonce en janvier par les autorités chinoises de l’émergence d’un nouveau virus, deux mois se sont écoulés. Un petit foyer d’infection qui aurait pu être contenu va donner naissance à une pandémie.

Ce n’est là que le début du film. La scène suivante se déroule dans un palais à Riyad. La Chine est à l’arrêt, le cours du pétrole vacille ; l’OPEP propose une réduction commune de la production à Poutine, qui refuse. Mohammed ben Salmane se venge en cassant les prix pour étouffer son concurrent : la guerre du pétrole entre l’Arabie saoudite et la Russie a commencé.

À l’ouverture des marchés, le lundi 9 mars, les cours du Brent s’effondrent. Wall Street s’affole. La décision de l’Italie de confiner sa population fait comprendre le choc de demande qui va survenir. La dégringolade de la bourse se transforme en panique : le Vix, l’indice de la peur, s’envole. Les coupe-circuits des trois grands indices américains s’activent automatiquement. Les marchés européens plongent.

Dernière séquence : une série de plans sur des dizaines d’écrans d’internautes. L’épidémie s’est transformée en « infodémie ». Les réseaux antisociaux affichent les chiffres les plus alarmistes, promeuvent les médecines farfelues, les bains d’eau chaude et les huiles essentielles. Les chaînes d’information, en concurrence effrénée, n’arrivent plus à trouver assez d’« experts ». À ceux de premier plan succèdent les deuxièmes et troisièmes couteaux, qui répètent en boucle ce qu’ils viennent de voir sur une chaîne concurrente ou disent n’importe quoi. Plus personne n’y comprend rien, la peur s’installe.

Ce film, que même Orson Welles n’aurait osé imaginer, c’est l’état du monde aujourd’hui. Personne n’en connaît le dénouement.

Face à cette crise mondiale, notre premier impératif est l’humilité.

Nous sommes réunis pour décider des mesures qui vont s’imposer à notre pays. Jusqu’à présent, à quelques outrances près, l’union sacrée a prévalu. Si cet hémicycle, ou celui de l’Assemblée nationale, devait se transformer en une tribune politicienne, les Français ne nous le pardonneraient pas. Ils attendent des actes, et non des roulements de mécaniques. La question n’est pas de s’écharper sur l’opportunité d’avoir maintenu le premier tour des élections municipales ou sur la date de réunion des conseils municipaux. Prenons garde à ne pas être déclarés hors sujet.

Il s’agit d’une crise sanitaire, gérée comme telle depuis le début. Lorsque l’on a la chance de posséder l’un des meilleurs systèmes de santé au monde et des professionnels dont je tiens à saluer ici la compétence, le courage et l’abnégation, il est essentiel de faire confiance aux autorités sanitaires et à leurs efforts quotidiens de transparence devant la marée des fake news, du complotisme et de la peur. Il peut leur arriver, il leur est déjà arrivé de ne pas avoir toutes les réponses face à un ennemi inédit ; je suis en tout cas certain que les réponses qu’ils ont sont plus pertinentes que celles de leurs contradicteurs.

Il s’agit également, bien sûr, d’une crise économique et sociale. Elle sera tout aussi grave et pose un dilemme effrayant : prendre des mesures de confinement trop drastiques, c’est tuer l’économie ; ne pas en prendre, c’est laisser mourir des Français. Quoi que l’on fasse, les critiques fuseront.

Le Président de la République est confronté à la plus grande crise de son mandat, à la suite de ses deux prédécesseurs : Nicolas Sarkozy avait dû faire face à la crise des subprimes, François Hollande aux carnages terroristes. Il va falloir à Emmanuel Macron beaucoup de doigté, beaucoup de sincérité, beaucoup de force de conviction.

Cette crise, en quelques jours, a changé les Français. Jusqu’à dimanche dernier, les journaux du monde entier s’étonnaient de ce peuple incurable, rebelle à toute discipline, se réunissant par milliers dans les parcs sous le soleil. Depuis lundi, c’est un spectacle saisissant : très majoritairement, les Français respectent les consignes et supportent les contraintes. Ils ont compris que de leur attitude dépendra non seulement leur santé, mais aussi celle de leurs compatriotes. Comme aux grands moments de leur histoire, ils se comportent en citoyens.

Je vais me risquer à un pronostic : je ne suis pas pessimiste. Les exemples de la Chine – une fois les mensonges terminés – et de la Corée du Sud démontrent qu’avec des mesures adaptées la victoire sur l’épidémie est une question de semaines, et non de mois. C’est la voie que nous sommes en train d’emprunter.

Quant à la crise économique, elle n’a rien à voir avec celle de 2008. Elle est beaucoup plus profonde, mais elle sera, je le crois, beaucoup plus courte.

Lorsque la pandémie cessera, le monde entier sera saisi d’une frénésie de consommer, de voyager, d’aimer, en un mot de vivre – espérons-le d’une manière plus respectueuse de notre planète qu’aujourd’hui.

Il n’y a rien qui s’oublie aussi vite que les guerres, les catastrophes ou les épidémies, une fois les beaux jours revenus. Je ne dis pas cela au hasard, mais pour l’avoir vécu, souvent, dans des pays bien plus vulnérables que le nôtre. C’est aussi ce que nous disent les livres d’histoire. Cette capacité d’oublier le malheur – peut-être faudrait-il dire « de le confiner » – explique sans doute en partie que l’humanité ait survécu à des époques infiniment plus rudes et à des crises infiniment plus graves que celles d’aujourd’hui. Cette crise, comme les précédentes, bien sûr, nous la surmonterons. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Indépendants, ainsi que sur des travées des groupes LaREM, UC et Les Républicains.)