M. le président. La parole est à M. le rapporteur général. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général de la commission des finances. Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, ce n’est pas une surprise, nous voici de nouveau réunis, moins d’un mois après l’examen d’un premier projet de loi de finances rectificative (PLFR 1).

Nous l’avions alors annoncé, les données macroéconomiques nous paraissaient quelque peu optimistes – l’estimation de la contraction du PIB passe d’ailleurs de -1 % à -8 % – et les dispositifs méritaient sans doute d’être ajustés.

C’est pourquoi nous nous réunissons encore aujourd’hui, moins d’un mois plus tard, en assez grand nombre et avec un nombre élevé d’amendements, puisqu’il y en aurait, me dit-on, plus de 330. Cela impliquera de nous réunir demain matin ou de travailler jusqu’à tard cette nuit, puisque la réunion de la commission mixte paritaire était initialement fixée à demain matin.

Je veux dire un mot du programme de stabilité. C’est la période au cours de laquelle, normalement, vous le savez, nous devrions donner un avis sur ce programme. Dans les circonstances actuelles, celui-ci est limité à la simple reprise des éléments, déjà considérables, des PLFR 1 et 2. Messieurs les ministres, nous aurons donc à nous prononcer, au travers des prochains documents, sur les engagements pluriannuels de la France, mais ce n’est pas le débat aujourd’hui.

Quelques mots sur le contexte macroéconomique, notamment la prévision de croissance, fortement révisée. On prévoyait encore une récession de 1 % en mars ; j’avais souligné, avec d’autres, que l’on était évidemment très en deçà de la réalité. Aujourd’hui, le Gouvernement table sur un recul de plus de 8 % du PIB ; c’est sans doute beaucoup plus réaliste et cela constitue, Gérald Darmanin vient de le dire, la pire performance depuis l’après-guerre.

Cela s’explique par la prolongation du confinement au-delà de la période initiale, mais aussi, malheureusement, par le recul d’un tiers de l’activité économique, avec des secteurs – je pense bien sûr au tourisme ou à la construction – qui sont particulièrement touchés, voire, dans certains cas, totalement à l’arrêt. On considère ainsi, si j’en crois les auditions de la commission des finances, que chaque mois de confinement représente une baisse d’à peu près 3 points de PIB. Ainsi, on le voit, toute prolongation du confinement – nous verrons ce qui se passe après le 11 mai prochain – a des conséquences très directes sur notre taux de croissance.

En réalité – là est peut-être la principale incertitude –, tout dépendra non pas de la période de confinement en elle-même, mais de la sortie du confinement et de la capacité de rebond de notre économie. En l’occurrence, messieurs les ministres, le scénario retenu à ce stade me paraît peut-être un peu optimiste. Nous le savons, et vous l’avez indiqué, certains secteurs ne reprendront leur activité que très progressivement. En outre, il y a une épargne de précaution très importante et il n’est pas certain que les Français consommeront fortement demain ; peut-être voudront-ils prendre encore quelques précautions, peut-être leur aversion au risque nous entraînera-t-elle vers un scénario malheureusement plus pessimiste qu’une contraction de 8 %, si ce rebond n’est pas confirmé.

J’en viens maintenant au plan de soutien. Son impact budgétaire était, dans le PLFR 1, assez modeste – nous l’avions souligné –, mais, Bruno Le Maire vient de le dire, le Gouvernement a fait des ajustements relativement significatifs, lesquels conduisent à un plan beaucoup plus massif de soutien à l’économie. Le montant global du plan croît de 20 %, en cohérence avec la prolongation du confinement. Vous avez également accepté de rééquilibrer un certain nombre de composantes du plan, en tenant compte des insuffisances de sa version initiale. C’est la raison pour laquelle, messieurs les ministres, la majorité sénatoriale soutiendra ce plan, en votant le PLFR, quelque peu amendé, bien sûr.

En dépit de ce rééquilibrage – soyons tout à fait complets –, les comparaisons internationales, notamment avec l’Allemagne ou le Royaume-Uni, montrent que le plan français prévoit davantage de mesures de report de charges. Peut-être, si j’en crois Gérald Darmanin, ces mesures se transformeront-elles en dégrèvements dans quelques mois, mais, à ce stade, nous prévoyons moins de mesures budgétaires – à peu près 40 milliards d’euros, dont 24 milliards pour le chômage partiel – que nos voisins allemands, dont le fonds de solidarité est beaucoup plus puissant, et que nos voisins britanniques, qui ont également un dispositif de soutien au chômage partiel. Le plan français révèle une relative parcimonie par rapport au plan allemand, mais, sans doute, la situation budgétaire de départ n’était pas la même…

Conséquence évidente de ce plan, on constate une très forte dégradation de nos comptes publics : un déficit de 9,1 % et un endettement public de 115 % du PIB. Néanmoins, nous devons partager, me semble-t-il, la stratégie gouvernementale, qui consiste à ne pas augmenter les impôts et à mettre en place des mesures qui préservent, autant que possible, le tissu productif.

De fortes incertitudes demeurent sur l’hypothèse de croissance, mais également sur l’élasticité des recettes et sur le chiffrage du coût des mesures de soutien. Bref, ce plan de soutien, nous n’en doutons pas, ne sera pas le dernier, nous aurons des rendez-vous très prochainement ; il faudra, peut-être avant même le plan de relance que nous espérons tous, ajuster ces mesures.

À court terme, l’objectif est évidemment de préserver le tissu productif, dès lors que les coûts de financement sont heureusement, grâce à la politique de la Banque centrale européenne (BCE), d’à peu près zéro. À moyen terme, cet héritage budgétaire ne paraît pas de nature à remettre en cause la soutenabilité de la dette française, à condition que, bien entendu, une fois cette crise passée, nous soyons capables de redresser les comptes publics.

Le budget que vous nous présentez, messieurs les ministres, est, je le dis clairement, un budget qui pare au plus pressé. Je le précise pour nos collègues, car de nombreux amendements ont été déposés – je comprends cette impatience collective à aller vers la relance et vers le rebond de l’économie –, il ne s’agit pas d’un plan de relance. Nombre d’amendements relèvent plus du plan de relance, de mesures de rebond de l’économie. Nous débattrons de cela – nous sommes tous impatients de le faire –, mais, selon le plan du Gouvernement, les mesures prises aujourd’hui restent temporaires et, à mon sens, elles doivent le rester.

Il s’agit ainsi de sauvegarder les emplois menacés, d’apporter, en quelque sorte, une bouée de sauvetage permettant d’aider les ménages, notamment les plus modestes, et les entreprises à rester à flot, à payer leurs factures.

Les chiffres sont, à cet égard, exceptionnels. Le déficit de l’État s’élèvera à 185,4 milliards d’euros, quasiment le double de ce que nous avons adopté dans le cadre de la loi de finances initiale – laquelle prévoyait un déficit, déjà élevé, de 93,1 milliards d’euros –, alors qu’aucune mesure de relance n’a encore été prise. Cette aggravation résulte, d’une part, de la baisse de nos recettes, puisque toutes les recettes de l’État, sauf peut-être celles qui portent sur les jeux en ligne, sont affectées – la TVA, l’impôt sur les sociétés, dont le rendement baisse de 40 %, l’impôt sur le revenu, la taxe intérieure de consommation sur les produits énergétiques (TICPE) –, à hauteur d’à peu près 32 milliards d’euros, et, d’autre part, bien sûr, d’une très forte augmentation de nos dépenses.

Au-delà du budget de l’État, je veux également souligner les difficultés que rencontreront, à plus ou moins long terme, un certain nombre d’opérateurs de l’État, qui devront faire face à des difficultés. Prenons l’exemple de l’Agence de financement des infrastructures de transport de France (Afitf), dont le budget est notamment alimenté par des recettes sur le carburant : il n’y a plus de circulation automobile aujourd’hui ; cela posera donc un problème à cette agence. Ce n’est pas le seul cas ; beaucoup d’opérateurs de l’État sont dans la même situation, de même que les collectivités ; nous y reviendrons.

Les dépenses du budget général augmentent de 38 milliards d’euros, qui s’ajoutent aux 6,25 milliards d’euros relatifs aux heures supplémentaires prévus dans le PLFR 1 ; pour la comparaison, cela représente un montant à peu près équivalent à celui d’une mission aussi importante que la mission « Défense ». Les chiffres, nous en convenons tous, sont vertigineux, mais je crois que la situation l’exige.

Logiquement, c’est la mission « Plan d’urgence face à la crise sanitaire » qui connaît l’augmentation la plus importante de ses crédits, avec le renforcement du fonds de solidarité et le financement de l’activité partielle, qui concerne plus de 9 millions de salariés et représente, à ce stade, 24 milliards d’euros. Le fonds était initialement, le ministre l’a reconnu et je l’en remercie, peut-être excessivement restrictif ; il est très largement amélioré, grâce à des initiatives diverses et variées. Il tient notamment compte de la prolongation du confinement et il vise à préserver le maximum d’emplois.

Un nouveau programme est créé, le programme « Renforcement exceptionnel des participations financières de l’État dans le cadre de la crise sanitaire », et est doté de 20 milliards d’euros. Il vise tout simplement à permettre à l’État de participer au capital d’entreprises en difficulté. Bien évidemment, vous le comprendrez très bien, le Gouvernement ne peut pas publier, à l’avance – il y a eu des débats à ce sujet à l’Assemblée nationale –, la liste des entreprises dans lesquelles il souhaiterait intervenir, si ce sont des sociétés cotées ; le ministre a cité Air France, qui aura évidemment besoin de soutien, mais il y en a d’autres. Néanmoins, nous avons déposé un amendement tendant à renforcer, dans des conditions particulières de sécurité, l’information du Parlement à ce sujet.

Ce projet de loi de finances rectificative prévoit également d’autres mesures. Je pense notamment à la TVA à 5,5 % sur les masques de protection et sur les gels hydroalcooliques, etc.

Mes chers collègues, la commission des finances, qui s’est réunie ce matin, vous propose d’adopter ce texte, qui constitue, je le répète, une bouée de sauvetage et non un plan de relance ; cela viendra et nous vous ferons des propositions, messieurs les ministres. Toutefois, nous souhaitons apporter un certain nombre d’améliorations techniques, au nombre de quatre. Il s’agira d’amendements de soutien à la lutte contre l’épidémie et au déconfinement, avec l’extension du taux de TVA réduit aux tenues de protection, de mesures visant à soutenir tous les salariés ayant travaillé pendant la période de confinement – c’est la question de la défiscalisation et de la « désocialisation » des heures supplémentaires –, du renforcement de l’aide aux entreprises, au travers de la prorogation du fonds de solidarité au-delà du 11 mai pour les entreprises qui ne pourraient pas rouvrir, et d’amendements visant à permettre, sous certaines conditions, des prêts octroyés à 100 % par Bpifrance aux entreprises confrontées à des refus de prêt.

Sans vouloir aller trop loin dans la comparaison avec l’Allemagne, il est indéniable que ce PLFR 2 renforce les moyens du fonds de solidarité, qui sont multipliés par sept.

Par ailleurs, nous souhaitons un meilleur contrôle des participations de l’État, via le renforcement du comité de suivi.

Nous sommes dans l’urgence et la commission des finances ainsi que les groupes majoritaires feront le choix de la responsabilité. Ne nous trompons pas de tempo, nous aurons des propositions à faire sur la relance, mais, aujourd’hui, nous sommes dans le sauvetage et nous souhaitons y contribuer par nos amendements. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – M. Jean-Marc Gabouty et Mme Nadia Sollogoub applaudissent également.)

M. le président. La parole est à M. le président de la commission des finances. (Applaudissements sur les travées du groupe SOCR.)

M. Vincent Éblé, président de la commission des finances. Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, nous voici en séance pour examiner un deuxième projet de loi de finances rectificative pour 2020, exactement un mois après l’examen du précédent.

Cet exercice était déjà annoncé lors de nos débats du mois de mars ; nous le pressentions, cela s’est confirmé. Très vite, les chiffres présentés dans le premier PLFR – une croissance en baisse de 1 %, un déficit de 3,9 % du PIB, une dette publique en légère hausse – se sont révélés en décalage par rapport à l’ampleur de la crise que nous traversons. Les pertes de recettes fiscales étaient largement sous-estimées, de même que le coût budgétaire du dispositif de chômage partiel.

Dans le présent texte, la chute du PIB est désormais estimée à 8 %, le déficit public serait porté à 9 % du PIB et la dette consolidée à 115 % du PIB. Même s’il s’agit d’un constat sévère et d’une dégradation historique de nos finances publiques, même si, à cette heure, toutes les estimations doivent encore être considérées avec prudence, cet exercice de sincérité des comptes était nécessaire ; il est donc le bienvenu.

Cet effort de transparence devra être poursuivi. Nous le savons, le Gouvernement n’est pas juridiquement contraint de déposer un projet de loi de financement de la sécurité sociale rectificative, mais tous les paramètres de cette loi sont bouleversés. De même, la crise affecte l’ensemble des politiques publiques et son effet, à la hausse, mais parfois aussi à la baisse, avec un décalage de certaines dépenses – je pense par exemple aux investissements qui ne peuvent être engagés –, devrait être mesuré.

Il ne suffit pas d’affirmer que les ouvertures de crédits budgétaires, annoncées par tel ou tel membre du Gouvernement, seront financées par des économies de constatation ; ces données devront être présentées au Parlement. Il n’est pas envisageable ni raisonnable, du point de vue du pilotage de l’action publique, d’attendre le schéma de fin de gestion pour faire les comptes de chaque mission budgétaire.

Ce projet de loi de finances rectificative permet également de répondre aux observations sur l’insuffisance du premier plan d’urgence, que beaucoup d’entre nous avaient pointée. Je me réjouis que le Gouvernement présente désormais des actions complémentaires, en portant notamment à 7 milliards d’euros le montant du fonds de solidarité pour les entreprises, et en en élargissant les critères d’éligibilité, mais nos voisins allemands prévoient 50 milliards d’euros pour le même objet !

Les mesures pour le personnel soignant et le soutien aux ménages modestes étaient également attendues.

Pour autant, chacun sait que le deuxième PLFR n’est encore qu’une étape ; un troisième projet est d’ores et déjà en préparation, nous dit-on. Il sera celui des arbitrages politiques. Quel sera le plan de relance ? Quels secteurs seront prioritaires ? Surtout, après avoir constaté la sévérité de la crise et de son impact sur nos finances publiques, avec une hausse de la dette publique de près de 20 points de PIB, comment financer cette relance ? Malgré l’accord survenu à Bruxelles, il n’existe pas encore de plan européen de relance ; jusqu’où pourra-t-on aller, à l’échelon national, sans un fort soutien européen ?

Pour ce qui concerne la part de financement national, j’avais avancé, le mois dernier, la nécessité, dans le cadre d’un futur plan de relance, de reconsidérer les allégements très importants de fiscalité, auxquels nous avons procédé au cours des dernières années, pour les détenteurs des plus hauts patrimoines.

Je souhaiterais également que le prochain PLFR prenne en compte la situation des collectivités territoriales, dont les recettes sont très fortement touchées, qu’il s’agisse des redevances ou des produits fiscaux, avec, dès cette année, le versement transport, les droits de mutation, la taxe de séjour, l’octroi de mer, si substantiel pour nos collectivités ultramarines, et, dès l’an prochain, la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises (CVAE). Toutes les collectivités locales ne pourront pas faire face à cette situation.

La crise actuelle touche toute notre économie, mais des secteurs souffrent plus fortement que d’autres. Devant notre commission, Mme Agnès Pannier-Runacher a indiqué que « la prochaine étape, après l’élargissement du fonds de solidarité, consistera à mettre en place des dispositifs spécifiques à certains secteurs : le tourisme, la culture, l’événementiel, l’hôtellerie et la restauration ». Nous espérons pouvoir examiner ces mesures rapidement, tant ces secteurs sont durement frappés. Au-delà de ces branches, nous souhaitons une prise en compte de la situation des entreprises, quel que soit le secteur, dont les charges fixes non modulables sont élevées.

À l’heure où nous débattons de ce texte, beaucoup d’incertitudes demeurent, et non des moindres, sur les conséquences de la crise sanitaire qui a conduit à mettre notre pays pratiquement à l’arrêt. Le Gouvernement nous demande de lui faire confiance, tant pour les initiatives qui devront être prises pour le redémarrage de l’économie que pour les mesures de sauvetage qu’il devra mettre en œuvre, en ouvrant 20 milliards d’euros supplémentaires pour permettre des recapitalisations, sans connaître les entreprises concernées ni le calendrier de mise en œuvre.

Monsieur le ministre de l’économie et des finances, vous avez indiqué à l’Assemblée nationale qu’il s’agira d’entreprises cotées, privées ou publiques, intervenant dans des secteurs stratégiques et répondant à trois critères de choix : l’indépendance nationale, les technologies et l’emploi. Nous suivrons ce dossier avec une totale attention pour voir quelles seront ces priorités.

La commission des finances restera donc mobilisée, monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, au cours des jours et des semaines qui viennent, dans son rôle de contrôle et de proposition pour permettre à notre pays de surmonter cette crise sans précédent. (Applaudissements sur les travées du groupe SOCR. – M. Marc Laménie applaudit également.)

M. le président. La parole est à M. Jean-Marc Gabouty.

M. Jean-Marc Gabouty. Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, face à une situation inédite, le Gouvernement a décidé de donner la priorité à l’humain et à la santé. Tout le monde, du moins en France et en Europe – peut-être à une exception près, du côté de la Biélorussie –, s’accordera sur cet impératif sanitaire.

Toutefois, notre pays doit aussi être vigilant à l’égard de son économie et de son fonctionnement social, qui contribuent également à la santé de nos concitoyens. Le scénario économique, pour les semaines, les mois et peut-être les années à venir, est aussi incertain que le scénario sanitaire. Le premier dépend en partie du second, mais pas seulement, et les incertitudes persistantes ne doivent pas brider notre capacité d’action et d’initiative.

Dans l’urgence, nous avons adopté conforme, au mois de mars, un premier PLFR, qui avait un caractère certes incomplet, mais qui avait le mérite de mettre en place les principaux outils d’intervention permettant d’éviter un effondrement de l’économie, la disparition de nombreuses entreprises et une explosion du chômage. Je pense en particulier au dispositif immédiatement mis en place et très vite opérationnel du chômage partiel. J’aurai toutefois une question à ce sujet : lorsque l’on parle de près de 10 millions de chômeurs, est-ce en équivalent temps plein ou en nombre de personnes ? Cela mériterait d’être précisé, car, financièrement, l’impact n’est pas tout à fait le même.

Dans ma question au Gouvernement du 1er avril dernier, j’estimais, messieurs les ministres, que le dispositif adopté méritait d’être amplifié, complété et parfois précisé, et j’appelais à la mise en place d’un fonds de solidarité beaucoup plus ambitieux. Les réponses que nous trouvons dans le PLFR 2 répondent assez positivement à ces remarques. Elles permettent notamment d’élargir le champ d’intervention du prêt garanti par l’État (PGE), malgré les contraintes de l’Union européenne, qui a elle-même adapté, fin mars, son dispositif.

Le fonds de solidarité, quant à lui, change de dimension, avec une dotation totale de 7 milliards d’euros, à laquelle il faudrait ajouter les engagements des régions à hauteur de 500 millions d’euros et ceux des assurances, qui sont passés de 200 à 400 millions d’euros, montant qui n’est d’ailleurs toujours pas à la hauteur des économies qu’elles feront sur les indemnisations pendant le confinement ; cet abondement est tout à fait appréciable, mais probablement encore insuffisant, d’autant que ses modalités de mise en œuvre et son accessibilité ont fait l’objet d’assouplissements et que les mesures sectorielles visant les professions se trouvant dans l’incapacité de reprendre prochainement leur activité ne semblent pas – c’est normal – avoir été totalement intégrées à cette montée en puissance.

Il convient aussi de se féliciter de dispositions complémentaires importantes, comme la dotation supplémentaire de 925 millions d’euros au Fonds de développement économique et social, pour l’octroi de prêts à des entreprises fragiles ou en difficulté et dont le redressement nécessite une restructuration.

Avec un engagement financier d’une autre dimension, la mission « Participation financière de l’État » est dotée de 20 milliards d’euros de crédits, pour renforcer les fonds propres d’entreprises stratégiques. C’est une mesure indispensable.

Les autres mesures à caractère économique et social me semblent, dans leur ensemble, tout à fait pertinentes. Je pense en particulier à celles qui concernent les soignants et tous ceux qui se sont investis au cours de la période – fonctionnaires d’État, agents des collectivités locales et salariés du secteur privé – pour que notre pays continue de fonctionner au minimum.

Nous devons maintenant penser à l’avenir, avec un horizon qui se mesure plutôt, pour l’instant, en semaines, éventuellement en mois pour les optimistes, mais non encore en années. Tout en respectant les mesures de protection sanitaire, notre économie aurait sans doute pu maintenir un niveau d’activité plus élevé que celui que nous avons connu au cours des dernières semaines ; on ne va pas refaire l’histoire, mais un certain nombre d’entreprises, y compris publiques, comme La Poste, ont été très réactives pour mettre le pied sur le frein… Le redémarrage risque d’être hétérogène, suivant la nature des activités, et sans doute un peu chaotique, à la veille d’un été qui suscite bien des interrogations.

En revenant sur les difficultés rencontrées par les entreprises, notamment les plus petites, il conviendrait de donner à celles-ci des garanties, par l’intermédiaire la commission des chefs des services financiers (CCSF), qui réunit les directeurs financiers des différentes administrations – impôts, Urssaf ou autres –, sur la possibilité d’étaler le remboursement de charges sur douze, vingt-quatre ou trente-six mois, une sorte de « crédit fournisseur » de l’administration, qui fait déjà cela pour un certain nombre d’entreprises. En effet, même avec un regain dynamique d’activité, je ne vois pas comment ces entreprises pourraient être en mesure, en juillet ou en septembre, de faire face à un double montant d’échéances. Ce dispositif existe ; autant s’appuyer dessus.

Nous devrons aussi, au cours des prochaines semaines, anticiper, peut-être avec des mesures complémentaires, la reprise, sans doute très progressive, de secteurs d’activité touchant au tourisme, aux loisirs, à la restauration, à la culture et au sport.

Je souhaite que nous puissions aborder la renaissance de ces secteurs lors de notre prochaine réunion, pour examiner un PLFR 3, ce qui serait bien évidemment un excellent signe.

En attendant, le groupe du RDSE approuvera ce PLFR, mais défendra un certain nombre d’amendements et votera pour la plupart de ceux qui seront présentés par notre rapporteur général. (Applaudissements sur les travées des groupes RDSE et UC.)

M. le président. La parole est à M. Julien Bargeton.

M. Julien Bargeton. Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, oui, c’est le deuxième projet de loi de finances rectificative ; il approfondit, amplifie, prolonge le premier, qui devait être ajusté. C’est bien normal ; c’était d’ailleurs attendu, puisqu’il fallait agir vite, dans l’urgence. Maintenant, il faut ajouter un certain nombre de mesures.

Ce qui importe, cela a été dit, c’est de ne pas se tromper de tempo. Nous ne sommes pas encore dans la relance ; nous sommes dans l’urgence ; puis, in fine, viendra – nous l’espérons tous – le temps de la croissance. Il est important de retenir cela, parce que c’est ce qui nous servira de guide dans l’examen et dans le vote des amendements qui seront présentés. Il faut bien différencier les moments successifs, qui vont de l’urgence à la façon dont nous revisiterons un certain nombre de pans de notre économie.

Je me réjouis du climat de nos échanges, notamment au sein de la commission des finances…

M. Jean-François Husson. C’est ça, le Sénat !

M. Julien Bargeton. L’ordre de marche proposé par le Gouvernement ne se heurte pas à une opposition frontale. Au contraire, il rencontre plutôt une forme d’unité ; cela me semble positif pour le pays, car une forme de défiance serait plus néfaste.

Bien sûr, il y a des nuances et des débats – des amendements ont d’ailleurs été déposés –, mais l’annonce de l’adoption de ce projet par la majorité sénatoriale me semble aller dans le bon sens.

Elle témoigne d’un esprit de responsabilité, signe que le Gouvernement a tenu compte des remontées formulées par les sénateurs et par d’autres, Bruno Le Maire y a insisté, pour modifier les premiers dispositifs. En outre, nous partageons le même constat quant à la pertinence des outils utilisés, parce que la situation est inédite. Face à cette crise, nous avons dû arrêter l’économie, même si la décision n’a pas été prise de gaieté de cœur. Il ne s’agit pas d’une crise financière dont on tire les conséquences, mais d’une crise de l’offre et de la demande provoquée par la décision de mettre l’économie à l’arrêt, ce qui est totalement inédit dans l’histoire économique.

Il en découle évidemment des décisions à prendre, principalement le chômage partiel et les prêts garantis, pour sauvegarder au maximum les compétences, les talents et le savoir-faire de nos entreprises sur le long terme. Ces mesures nous rassemblent.

Dans ce contexte, j’insisterai sur trois éléments. Le premier, ce sont les hypothèses. Comment l’économie rebondira-t-elle… ou non ? Quelle sera la répartition entre la reprise de la consommation et l’épargne de précaution ? L’épargne de précaution qui se constitue sera-t-elle durable ? Les Français seront-ils tentés de la conserver ou bien portés par une forte envie de consommation, notamment dans les villes ? Regardons ce qui se passe dans les autres pays. Il faudra s’adapter au déroulement de la situation, en tirer les conséquences et orienter cette épargne si elle devait être maintenue.

Le deuxième élément, c’est le rétablissement des comptes. L’histoire économique nous enseigne plutôt de ne pas augmenter les impôts, quels qu’ils soient, en cas de forte récession, comme le recommandait l’économiste John Maynard Keynes. L’histoire récente nous a montré que vouloir rétablir rapidement les comptes par la hausse fiscale pénalise le retour de la croissance ; on l’a vu d’ailleurs sous deux gouvernements différents, de 2010 à 2014, avec deux vagues successives. Le rétablissement des comptes ne peut pas passer, me semble-t-il, par une augmentation de la fiscalité – c’est un débat que nous aurons.

Enfin, il y a l’après : les mesures qui devront être prises pour enrichir le plan de relance. Gérald Darmanin et Bruno Le Maire nous invitent à formuler des propositions, à poursuivre notre contribution, comme nous l’avons fait pour le premier projet de loi de finances rectificative. Il est bon que les idées foisonnent, mais il faudra aussi établir des priorités et sérier les problèmes. Oui, il y a l’investissement, pour lequel il faudra envisager un crédit d’impôt ou une forme d’amortissement accéléré. Distinguer plus clairement ce qui relève du fonctionnement et de l’investissement dans les règles européennes me semble constituer une priorité. Autre sujet essentiel : les politiques industrielles et les formes qu’elles prendront dans les différents budgets. Voilà quelques-unes des pistes que nous étudierons, j’en suis convaincu, à l’avenir.

En tant que rapporteur spécial, avec Vincent Éblé, des crédits de la mission « Culture », je conclurai en attirant notre attention collective sur le choc énorme de cette crise sur le secteur culturel. Je pense notamment aux acteurs privés, aux indépendants, aux cinémas, aux libraires et à d’autres, qui devront être pris en considération dans les plans à venir. (M. Jean-Marc Gabouty applaudit.)