M. Vincent Segouin. Exactement !

Mme Agnès Pannier-Runacher, secrétaire dÉtat. Le combat, c’est l’école, la santé, l’emploi dans les quartiers populaires et les zones rurales, autant de sujets que nous avons pris à bras-le-corps avec le dédoublement des classes en REP et REP+, le plan Pauvreté, le plan Ma santé 2022 ou, dans un autre registre, les territoires d’industrie ou le plan Action cœur de ville. Nous pouvons certainement faire mieux, plus et plus vite, mais nous sommes attendus sur ces combats, la crise actuelle nous le rappelant avec plus de netteté que jamais.

J’ajoute que nombre de pays ont de meilleurs résultats en matière d’inégalités avec un niveau de prélèvements bien moindre. Cela relève du savoir et non de l’opinion, pour reprendre vos mots, monsieur le sénateur.

J’aimerais revenir sur la réforme de la fiscalité du capital menée par le Gouvernement. Clairement annoncée par le Président de la République, son objectif était d’améliorer la lisibilité, la prévisibilité et la compétitivité de notre fiscalité, trop souvent abordée sous un angle idéologique. On l’entend de nouveau aujourd’hui, alors qu’il faut, plus encore qu’hier, faire preuve de pragmatisme.

M. Vincent Éblé. C’est bien notre intention, et ce n’est pas ce que vous faites !

Mme Agnès Pannier-Runacher, secrétaire dÉtat. Avant la réforme que nous avons engagée, la fiscalité du patrimoine était significativement plus élevée en France que chez nos partenaires européens. Chacun peut comprendre que, pour des populations très mobiles, et un capital qui l’est tout autant, cette situation nuisait à l’attractivité de notre pays, donc à l’activité économique et, par suite, à notre situation sociale, à notre préférence pour le chômage et à l’état de nos finances publiques. Ce constat n’a pas changé. Il est même d’autant plus important que nous traversons la plus grave crise économique que connaît notre pays depuis presque un siècle et que nous allons devoir relancer notre économie.

La réforme que nous avons réalisée est efficace ; elle a permis à la France de renforcer sa compétitivité et son attractivité. Vous l’avez signalé, les expatriations de contribuables ont ralenti. Les départs de contribuables à l’impôt sur la fortune en 2017 ont été divisés par trois. En 2018 et en 2019, la France a été la première destination européenne en termes d’investissements industriels et de recherche et développement. Notre politique fiscale est clairement ressortie comme un élément expliquant ce regain d’intérêt.

Ensuite, cette réforme est équilibrée. Nous n’avons pas touché à la contribution exceptionnelle sur les hauts revenus, parce que nous pensons qu’il est légitime que les contribuables les plus aisés contribuent de façon spécifique. L’ISF était un impôt dont le poids baissait relativement quand la richesse augmentait, ce qui est assez paradoxal pour un impôt supposément progressif. L’ISF taxait finalement moins les plus hauts patrimoines que les patrimoines moins élevés, du fait du dispositif de plafonnement de l’ISF en fonction du revenu. C’était la caractéristique d’un mauvais impôt, et ce n’est plus le cas avec l’IFI.

De plus, la suppression de l’ISF n’a eu qu’un faible impact sur le montant des dons, contrairement à ce que certains anticipaient, ces derniers ayant diminué de 0,1 %. Le Gouvernement a en effet choisi de conserver une réduction d’IFI au titre des dons. In fine, les experts du Comité d’évaluation indépendant s’accordent pour dire que le nouveau régime fiscal qui s’applique à l’épargne des ménages avec le PFU et l’IFI est plus simple et plus lisible que le précédent. Ils indiquent également que le nouveau régime dissuade par ailleurs les comportements d’optimisation fiscale, qui étaient en effet induits par le plafonnement, et qui nuisaient non seulement aux recettes publiques, mais aussi à la vie des entreprises, notamment dans les situations de transmission.

De plus, cette réforme a vocation à contribuer à réorienter l’épargne des ménages vers l’investissement productif et le financement des entreprises, chose dont nous avons grand besoin aujourd’hui.

J’entends vos propositions, madame Vermeillet, et je partage les principes que vous mettez en avant : inciter au verdissement de l’économie et s’assurer que l’impôt porte sur les actifs les moins contributifs à l’économie. Vous me permettrez toutefois de ne pas aller plus loin dans l’analyse de vos propositions, qui exigerait bien plus de temps. Des débats de ce type se prêtent parfaitement au contexte d’un projet de loi de finances.

Ensuite, notre politique fiscale s’est concentrée sur les classes populaires et moyennes, largement oubliées ces dernières années. Vous arguez de la nécessité d’une réforme de l’imposition du capital en raison des inégalités et des injustices fiscales subies par les Français, et vous avancez notamment la dimension symbolique de l’ISF. Plutôt que des symboles, je crois que nos concitoyens attendent des faits. Permettez-moi de vous rappeler que les baisses d’impôts engagées sur l’ensemble du quinquennat devraient atteindre 27 milliards d’euros pour les ménages et 13 milliards d’euros pour les entreprises.

Concernant l’impôt sur le revenu, nous avons proposé une baisse de 5 milliards d’euros, qui allégera substantiellement l’effort fiscal des classes moyennes et populaires. Ce sont ainsi 17 millions de foyers fiscaux qui connaîtront une diminution de leur impôt sur le revenu, pour un gain moyen d’environ 300 euros. Le gain sera encore supérieur pour les 13 millions de foyers imposés à la première tranche de l’impôt sur le revenu, c’est-à-dire les contribuables les plus modestes, les classes moyennes et populaires.

Nous ne renoncerons pas à ces mesures fortes pour nos concitoyens les plus en difficulté. Elles sont encore plus justes et nécessaires après la crise.

Nous avons également décidé de reconduire pour 2020 la prime exceptionnelle exonérée de cotisations sociales et d’impôt sur le revenu, dans la limite de 1 000 euros. Entre le 11 décembre 2018 et le 31 mars 2019, elle a été versée dans près de 400 000 établissements à environ 5 millions de salariés, ce qui représente 2 milliards d’euros, pour un montant moyen de 400 euros.

Toutes ces dispositions permettent de rééquilibrer la redistribution, et ce ne sont là que certains des nombreux dispositifs mis en place pour aider nos concitoyens des classes populaires et moyennes, avant même que la crise ne les frappe.

Quant à la CRDS, madame Taillé-Polian, je veux rappeler que c’est l’impôt dont l’assiette est la plus large, puisqu’il s’applique aussi à la vente de bijoux ou de yachts. Utiliser ce moyen en décalé – nous parlons d’un moment où, j’ose l’espérer, nous serons collectivement sortis de cette crise – apparaît donc comme une réponse appropriée.

Pour faire face à la crise, nous avons mené une action puissante et sans équivalent dans notre histoire récente. Rien que pour le plan de soutien, nous avons mobilisé 110 milliards d’euros, dont l’essentiel est destiné aux salariés grâce au chômage partiel et aux indépendants, commerçants et artisans qui ont été les plus exposés, notamment avec le fonds de solidarité.

Dans la balance, vous proposez une réforme symbolique qui permettrait de dégager, selon les calculs, 2,5 milliards d’euros. De notre côté, nous mobilisons 18 milliards d’euros pour le tourisme, 8 milliards d’euros pour l’automobile et les milliers d’emplois qu’elle représente. Nous nous battons aussi pour le secteur aéronautique, pour relocaliser des emplois en France, pour protéger des activités et faire en sorte qu’elles continuent.

Nous devrons effectivement nous poser la question du financement de cet effort. Mais, comme l’a dit M. Segouin, certaines questions essentielles doivent être réglées dans l’immédiat. Comment relance-t-on notre économie ? Comment relance-t-on notre industrie ? Comment accélère-t-on les transitions numériques et écologiques ? Comment renforce-t-on notre attractivité et, finalement – le mot est lâché –, notre compétitivité ? Comment limite-t-on in fine la casse sociale et comment crée-t-on des emplois d’avenir ?

Je vous tends la main pour répondre à ces questions, monsieur Kanner. Nous devons collectivement être à la hauteur des enjeux pour recréer la confiance et la croissance nécessaires pour accompagner notre relance. Ce sont là les vraies sources de création de richesses, y compris fiscales.

N’oublions pas non plus les enjeux fiscaux européens, et je vous rejoins sur ce point, monsieur Bargeton : taxation des plateformes numériques, mécanisme d’inclusion carbone aux frontières de l’Union européenne, taxation minimale des entreprises, dans le droit fil des travaux de l’OCDE, ou encore lutte contre la fraude fiscale, notamment en matière de TVA. Ce sont autant de combats que nous avons engagés et que nous poursuivrons activement dans les semaines qui viennent. (M. Julien Bargeton applaudit.)

Mme la présidente. La discussion générale est close.

Nous allons procéder au vote sur la proposition de résolution.

proposition de résolution demandant au gouvernement de mettre en œuvre une imposition de solidarité sur le capital afin de renforcer la justice fiscale et sociale et de répondre au défi de financement de la crise sanitaire, économique et sociale du covid-19

Le Sénat,

Vu l’article 34-1 de la Constitution,

Vu le rapport d’information du Sénat n° 42 (2019-2020) – 9 octobre 2019 – de MM. Vincent Éblé et Albéric de Montgolfier, fait au nom de la commission des finances sur l’évaluation de la transformation de l’impôt sur la fortune (ISF) en impôt sur la fortune immobilière (IFI) et de la création du prélèvement forfaitaire unique (PFU),

Vu la proposition de loi n° 438 (2019-2020) – 15 mai 2020 – du groupe socialiste et républicain du Sénat visant à financer les politiques publiques de réponse à la crise sanitaire et économique du Covid-19 par la réintroduction d’un impôt de solidarité sur la fortune,

Considérant que l’ensemble des travaux économiques récents témoignent d’un accroissement des inégalités en France principalement nourri par une augmentation des inégalités de patrimoine et de capital ;

Considérant qu’en conséquence, de nombreux économistes de premier plan ont appelé à la réintroduction d’un impôt de solidarité sur la fortune, tout comme de nombreuses formations politiques et groupes parlementaires, à des fins de justice fiscale et sociale ;

Considérant que la crise des gilets jaunes de la fin de l’année 2019 a témoigné de la forte injustice ressentie par les Françaises et les Français face à la montée de ces inégalités, renforcée par la politique fiscale et sociale conduite par le Gouvernement depuis 2017 ;

Considérant que la crise du « grand confinement » frappera en premier lieu, une nouvelle fois, les plus précaires de nos concitoyens et creusera une nouvelle fois les inégalités ;

Considérant le besoin de recettes que connaît l’État français du fait de l’engagement, parfaitement légitime en soi, de nombreuses dépenses pour faire face à la pandémie ;

Considérant que la réduction des dépenses de l’État n’est pas envisageable dans de telles circonstances à court terme ;

Considérant que du fait de la nature même de la crise économique en ayant découlé, une taxation accrue de la consommation ou des revenus serait une erreur ;

Considérant en conséquence que seul l’accroissement des déficits et de la dette, d’une part, et une taxation du capital, d’autre part, demeurent des options viables sur le plan théorique ;

Considérant qu’il n’est pas légitime de faire porter le poids financier de cette crise à nos enfants et à nos petits-enfants et qu’il convient donc de mettre en œuvre des mécanismes financiers d’accroissement des recettes par une taxation du capital ;

Considérant que même si ces recettes ne couvriront pas l’intégralité des dépenses supplémentaires engagées, elles représentent, d’une part, des fonds utilisables pour la puissance publique et, d’autre part, un symbole de solidarité citoyenne aujourd’hui nécessaire ;

Considérant que l’impôt de solidarité sur la fortune, supprimé en 2017, disposait de certaines vertus mais également de limites de construction qu’il convient d’intégrer à la réflexion ;

Considérant à cet égard que la proposition de loi n° 438 (2019-2020) – 15 mai 2020 – du groupe socialiste et républicain du Sénat visant à financer les politiques publiques de réponse à la crise sanitaire et économique du covid-19 par la réintroduction d’un impôt de solidarité sur la fortune offre des perspectives intéressantes pour corriger ces défauts ;

Considérant qu’il conviendrait également d’introduire dans cette imposition une distinction entre le capital productif et improductif afin d’encourager les comportements économiques vertueux ;

Considérant qu’il est nécessaire de « verdir » l’imposition du capital afin de favoriser les investissements respectueux des trois piliers du développement durable ;

Invite le Gouvernement à :

Introduire un « impôt de solidarité sur le capital » afin de renforcer la justice fiscale, d’augmenter les recettes de l’État et d’inciter à l’utilisation du capital à des fins conformes à l’intérêt général et à la préservation de l’environnement ;

Utiliser les recettes ainsi dégagées pour financer des politiques publiques de solidarité, notamment en faveur des personnes les plus précaires que la crise sanitaire, économique et sociale actuelle a encore davantage fragilisées.

Mme la présidente. Mes chers collègues, je rappelle que la conférence des présidents a décidé que les interventions des orateurs valaient explications de vote.

Avant de mettre aux voix la proposition de résolution, je vous informe que j’ai été saisie d’une demande de scrutin public par le groupe Les Républicains.

Rappel au règlement

Mme la présidente. La parole est à M. Patrick Kanner, pour un rappel au règlement.

Discussion générale (suite)
Dossier législatif : proposition de résolution en application de l'article 34-1 de la Constitution, demandant au Gouvernement de mettre en oeuvre une imposition de solidarité sur le capital afin de renforcer la justice fiscale et sociale et de répondre au défi de financement de la crise sanitaire, économique et sociale du Covid-19
Rappel au règlement (fin)

M. Patrick Kanner. Je regrette que la minorité physique actuellement présente au sein de la Haute Assemblée ait recours au scrutin public pour faire prévaloir sa position politique majoritaire…

La majorité sénatoriale est certes cohérente avec les positions qu’elle défend maintenant depuis quelques dizaines d’années – même si M. Sarkozy n’a jamais supprimé l’ISF –, à l’unisson avec la majorité nationale LaREM.

Sans parler d’artifice, puisque le scrutin public est prévu par le règlement du Sénat,…

M. Vincent Segouin. Donc, c’est notre droit !

M. Patrick Kanner. … sur un sujet aussi important, qui pose la question de la place de l’impôt dans une société de justice sociale et marque le clivage droite-gauche – rappeler son existence me semble nécessaire dans cette période de perte de repères politiques –, on aurait aimé que vous soyez plus nombreux pour faire valoir à main levée votre différence avec cette proposition de résolution. (Applaudissements sur les travées du groupe SOCR.)

Mme la présidente. Acte est donné de votre rappel au règlement, mon cher collègue.

Vote sur l’ensemble

Mme la présidente. Je mets aux voix la proposition de résolution.

J’ai été saisie d’une demande de scrutin public émanant du groupe Les Républicains.

Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l’article 56 du règlement.

Le scrutin est ouvert.

(Le scrutin a lieu.)

Mme la présidente. Personne ne demande plus à voter ?…

Le scrutin est clos.

J’invite Mmes et MM. les secrétaires à constater le résultat du scrutin.

(Mmes et MM. les secrétaires constatent le résultat du scrutin.)

Mme la présidente. Voici, compte tenu de l’ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 110 :

Nombre de votants 339
Nombre de suffrages exprimés 312
Pour l’adoption 83
Contre 229

Le Sénat n’a pas adopté.

Rappel au règlement (début)
Dossier législatif : proposition de résolution en application de l'article 34-1 de la Constitution, demandant au Gouvernement de mettre en oeuvre une imposition de solidarité sur le capital afin de renforcer la justice fiscale et sociale et de répondre au défi de financement de la crise sanitaire, économique et sociale du Covid-19
 

7

Ordre du jour

Mme la présidente. Voici quel sera l’ordre du jour de la prochaine séance publique, précédemment fixée à demain, jeudi 4 juin 2020 :

De neuf heures à treize heures :

(Ordre du jour réservé au groupe CRCE)

Proposition de loi relative au statut des travailleurs des plateformes numériques, présentée par M. Pascal Savoldelli et plusieurs de ses collègues (texte n° 717, 2018-2019) ;

Proposition de loi visant à garantir l’efficacité des aides personnelles au logement, présentée par Mme Cécile Cukierman et plusieurs de ses collègues (texte de la commission n° 470, 2019-2020).

De quatorze heures trente à dix-huit heures trente :

(Ordre du jour réservé au groupe UC)

Proposition de loi, adoptée par l’Assemblée nationale, visant à répondre à la demande des patients par la création de Points d’accueil pour soins immédiats (texte de la commission n° 462, 2019-2020) ;

Deuxième lecture de la proposition de loi, adoptée avec modifications par l’Assemblée nationale en deuxième lecture, visant à encadrer le démarchage téléphonique et à lutter contre les appels frauduleux (texte de la commission n° 464, 2019-2020).

Personne ne demande la parole ?…

La séance est levée.

(La séance est levée à dix-neuf heures vingt.)

Pour la Directrice des comptes rendus du Sénat,

ÉTIENNE BOULENGER

Chef de publication