PRÉSIDENCE DE M. Gérard Larcher

M. le président. La séance est reprise.

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Débat sur le bilan de l’application des lois

M. le président. L’ordre du jour appelle le débat sur le bilan de l’application des lois (rapport d’information n° 523).

Monsieur le ministre, madame la présidente de la délégation du Bureau chargée du travail parlementaire, de la législation en commission, des votes et du contrôle, chère Valérie Létard, mesdames, messieurs les présidents de commission, mes chers collègues, nous voici réunis pour notre rendez-vous annuel consacré au bilan de l’application des lois. Je salue Marc Fesneau, ministre chargé des relations avec le Parlement, qui répondra au nom du Gouvernement aux questions du Sénat.

Cela fait maintenant près d’un demi-siècle que le Sénat fait du contrôle de l’application des lois votées une priorité dans son contrôle de l’action du Gouvernement.

Chaque année, le Sénat affine le périmètre de son contrôle. Les commissions suivent attentivement la parution des décrets d’application et celle des rapports au Parlement, mais d’autres problématiques entrent désormais dans le champ de notre contrôle.

Nous vous avions notamment interpellé l’année dernière, monsieur le ministre, au sujet des ordonnances.

La crise sanitaire que nous avons traversée a remis cette question au cœur de l’actualité. Nous avons voté dans les mois passés des dizaines d’habilitations, dont toutes n’étaient peut-être pas dictées par des nécessités d’urgence ou d’ordre technique rendant difficile un examen selon la procédure législative normale. Très récemment, la suppression de nombreuses habilitations du projet de loi relatif à diverses dispositions liées à la crise sanitaire et leur inscription directe dans notre droit en vigueur l’ont d’ailleurs illustré. Le Parlement peut légiférer rapidement et efficacement.

Cette tentation de la facilité est donc difficilement acceptable. La présidente Valérie Létard l’avait relevé l’an dernier : les délais dans lesquels interviennent les ordonnances sont généralement supérieurs au délai moyen d’adoption d’une loi.

L’argument de la célérité n’est pas toujours confirmé par les faits, et nous pouvons également le vérifier en comparant les délais imposés au Parlement pour l’examen de certaines lois et ceux dans lesquels interviennent leurs mesures d’application.

Au vu du contexte actuel, ce contrôle de l’application des lois me semble donc aujourd’hui plus que jamais nécessaire.

Sans plus attendre, je donne la parole pour dix minutes à Mme Valérie Létard, présidente de la délégation du Bureau chargée du travail parlementaire, de la législation en commission, des votes et du contrôle, pour nous présenter le bilan de l’année parlementaire 2018-2019 et des 49 lois votées lors cette session.

Je la remercie une nouvelle fois pour la qualité de son rapport d’information sur le bilan de l’application des lois au 31 mars 2020.

Mme Valérie Létard, présidente de la délégation du Bureau chargée du travail parlementaire, de la législation en commission, des votes et du contrôle. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, l’expertise du Sénat en matière d’application des lois, fruit du travail de suivi mené depuis près de cinquante ans, comme vous venez de le rappeler, monsieur le président, est reconnue.

Le bilan de l’application des lois constitue un temps fort du contrôle de l’action du Gouvernement par le Parlement. Il permet de s’assurer que les textes d’application sont pris en temps et en heure et qu’ils respectent la volonté du législateur.

Les commissions permanentes sont au fondement de ce dispositif. Tout au long de l’année, elles mènent un travail approfondi de veille réglementaire pour les textes d’application relevant de leur compétence. Ce suivi a dû cette année être effectué dans des conditions délicates du fait de la crise sanitaire. Je remercie donc vivement les commissions, qui se sont mobilisées pour continuer à assurer le suivi de l’application des lois.

Cette année aura vu la mise en œuvre de la proposition de résolution tendant à modifier le règlement du Sénat pour renforcer les capacités de contrôle de l’application et de l’évaluation des lois, déclarée conforme par le Conseil constitutionnel le 6 juin 2019. Cette réforme accentue le rôle des commissions, en confiant au rapporteur d’un projet ou d’une proposition de loi la responsabilité du suivi de son application. Il est encore trop tôt pour tirer les conséquences de cette évolution, qui doit permettre d’améliorer le contrôle de la publication des mesures réglementaires.

L’efficacité du bilan de l’application des lois découle également d’un dialogue nourri avec les différentes administrations, ainsi qu’avec le secrétariat général du Gouvernement. Cet échange a fait la preuve de son efficacité, comme en témoigne l’accroissement notable du nombre de décrets publiés quelques jours à peine après les différentes communications des commissions sur le sujet.

Le bilan que je vous présente aujourd’hui analyse la mise en application des lois adoptées lors de la session parlementaire 2018-2019, c’est-à-dire entre le 1er octobre 2018 et le 30 septembre 2019. Durant cette période, 49 lois ont été votées, dont 22 étaient d’application directe. Fait notable, la proportion de lois résultant d’une initiative parlementaire est particulièrement élevée cette année : près de la moitié des lois de la session sont ainsi issues de propositions de loi.

Le taux global d’application des lois est de 72 %, soit un taux légèrement inférieur à celui de la session précédente, où il était de 78 %. Sur les 918 mesures réglementaires attendues, seules 660 ont été publiées. Je regrette d’autant plus ce recul que, si la prise des mesures d’application a été perturbée par la crise sanitaire, elle ne concerne en réalité que peu les textes prévus par les lois adoptées au cours de la dernière session. En effet, le Gouvernement s’engage depuis 2008 à prendre les décrets d’application six mois au plus tard après la parution des lois. Ce délai était déjà écoulé au début de la crise sanitaire.

Il y a un an, je me félicitais de la réduction du délai nécessaire à la prise des mesures d’application. Ce constat ne peut malheureusement être réitéré cette année.

En moyenne, les textes réglementaires ont été publiés cinq mois et douze jours après la promulgation de la loi, soit près d’un mois de plus qu’au cours de la précédente session. Les raisons de ce retard sont parfois liées à des difficultés juridiques apparues notamment lors des consultations obligatoires, de la notification à la Commission européenne, ou éventuellement du passage en Conseil d’État. L’objectif de ce bilan annuel est précisément de permettre au Gouvernement d’expliciter les raisons qui conduisent à l’absence de mise en application de certaines lois.

Cependant, le recours à la procédure accélérée est toujours généralisé et concernait 31 lois sur la session 2018-2019. Par conséquent, il est essentiel que la mise en application complète des lois soit à la hauteur de la rapidité exigée du législateur.

Les principaux points de vigilance demeurent ceux qui avaient été soulevés en 2019. Le rendu des rapports est notamment chroniquement insuffisant : comme les années précédentes, le taux de dépôt des rapports sur la session est très bas. Il se situe à 12 % à peine, contre 35 % l’année passée. Il n’est de plus que de 27 % sur la législature.

La faiblesse du taux de remise des rapports est encore moins compréhensible s’agissant des rapports demandés par le Gouvernement lui-même : seuls 8 % des rapports prévus par un amendement gouvernemental ont été remis depuis 2017. À croire que ce type de disposition avait pour seule vocation de donner une satisfaction de principe à une demande, sans réelle volonté d’aboutir.

Le Sénat a de son côté effectué d’importants efforts pour limiter les demandes de rapports aux seuls cas où ceux-ci sont indispensables à l’information du Parlement. Mes collègues reviendront sans doute sur ce point pour les rapports relevant de la compétence de leur commission.

Les raisons pour lesquelles certains décrets ne sont pas publiés sont parfois confuses. À titre d’exemple, alors que ce sujet avait déjà été évoqué il y a un an, deux textes essentiels pour la gouvernance d’Action Logement et figurant dans la loi portant évolution du logement, de l’aménagement et du numérique, dite « loi ÉLAN », manquent encore. Sophie Primas, la présidente de la commission des affaires économiques, y reviendra certainement.

De même, l’arrêté nécessaire à la mise en place du comité des partenaires réunissant élus et opérateurs du logement social, prévu par un décret de mai 2019, n’est pas paru.

Pouvez-vous nous expliciter les raisons de l’absence de publication de ces deux textes, qui limitent grandement la réforme de la gouvernance de cet organisme ? Pour ma part, compte tenu de l’allongement du délai nécessaire à leur parution, j’ai peine à croire que celui-ci soit dû à de simples raisons techniques.

Cet exemple illustre également les différences d’interprétation dans nos méthodes de décompte des textes d’application. Il en est de la gouvernance d’Action Logement comme de l’ensemble des rapports dits « de l’article 67 » : le véritable bilan ne peut être dressé qu’en prenant en compte les arrêtés. Les dispositions d’un décret, s’il n’est pas suivi de l’arrêté correspondant, sont inopérantes.

J’en viens maintenant à la question des ordonnances, que nous avions déjà largement évoquée lors du précédent bilan. Le sujet est plus que jamais d’actualité, pour deux raisons de nature différente.

Tout d’abord, plus d’une cinquantaine d’ordonnances ont été prises pendant la crise sanitaire. Il y a un an, vous nous aviez indiqué, monsieur le ministre, qu’au cours des six dernières années le nombre d’habilitations à légiférer par ordonnance était supérieur au nombre de lois adoptées par le Parlement.

Pour autant, je réitère le constat effectué lors de ce débat : l’argument de rapidité avancé pour justifier l’utilisation d’ordonnances ne tient pas. En effet, le délai moyen entre la promulgation de la loi d’habilitation et la publication des ordonnances est de près d’un an, soit un délai supérieur au temps moyen d’adoption de la loi.

De nombreuses habilitations sont encore non utilisées. Je n’en citerai qu’un exemple : l’article 17 de la loi pour un État au service d’une société de confiance habilite le Gouvernement à prendre par voie d’ordonnance les mesures pour renforcer la sécurité juridique des entreprises soumises à des impôts commerciaux. Cette ordonnance devait être publiée avant avril 2019, mais le Gouvernement a depuis indiqué y avoir renoncé.

Par ailleurs, la ratification des ordonnances n’est pas toujours effective, faute d’inscription des projets de loi de ratification à l’ordre du jour des assemblées. Depuis de longues années, cela prive le Parlement d’un débat sur la conformité de l’ordonnance à la volonté du législateur.

La décision du Conseil constitutionnel du 28 mai dernier, dite « Force 5 », a donné une nouvelle dimension à cette préoccupation sur la portée du débat parlementaire, en indiquant qu’une ordonnance non ratifiée acquiert une valeur législative à compter de la fin du délai d’habilitation dès lors qu’elle intervient dans le domaine de la loi.

M. Jean-Pierre Sueur. C’est un scandale !

Mme Valérie Létard, présidente de la délégation du Bureau chargée du travail parlementaire, de la législation en commission, des votes et du contrôle. En résumé, sur le plan quantitatif, la loi, c’est de plus en plus l’ordonnance ; avec cette décision, une nouvelle étape est franchie : désormais, l’ordonnance, c’est la loi.

Les conséquences de cette décision sont doubles. Il est plus nécessaire que jamais pour le Parlement de veiller en amont à la définition précise du périmètre de l’habilitation consentie au Gouvernement. Et quelle sera désormais la portée exacte de la ratification parlementaire ?

Si nous souhaitons éviter que le Parlement ne perde la main sur l’élaboration de la loi, il me semble que l’examen des lois de ratification doit être pleinement intégré dans un agenda parlementaire déjà extrêmement dense. À l’heure actuelle, les projets de loi de ratification une fois déposés ne sont que rarement examinés, faute d’inscription à l’ordre du jour.

Monsieur le ministre, comment comptez-vous organiser l’inscription à l’ordre du jour des projets de loi de ratification, indispensables à la poursuite du débat parlementaire et au plein exercice de la fonction de contrôle ? En application de l’article 38 de la Constitution, les ordonnances deviennent caduques si un projet de loi de ratification n’est pas déposé devant le Parlement avant la date fixée par la loi d’habilitation.

Toutefois, si le dépôt du projet de loi de ratification est quasi systématique, rien ne contraint le Gouvernement à inscrire son projet à l’ordre du jour des assemblées. Un réexamen de cette règle ne s’impose-t-il pas ?

Le Gouvernement compte-t-il désormais indiquer dès la demande d’habilitation à quelle date il entend inscrire le projet de loi de ratification à l’ordre du jour ? Prévoit-il ce véritable échéancier, comme c’est le cas pour les mesures d’application des textes adoptés ? Cela éviterait de courir un risque supplémentaire de se voir refuser une demande de légiférer par ordonnances.

J’ai souhaité mettre l’accent cette année sur le suivi de l’application des expérimentations, qui sont de plus en plus fréquemment utilisées dans la construction de la loi. Plus d’une centaine d’expérimentations ont été mises en œuvre au cours de ces deux dernières années. Elles peuvent être de formidables outils, en garantissant plus de souplesse et une meilleure adaptation aux circonstances locales, à condition que leur suivi soit effectif.

Je regrette toutefois des défauts récurrents dans le suivi et la généralisation des expérimentations. Ainsi, plus du quart d’entre elles est abandonné en cours de mise en œuvre.

De même, des généralisations précoces d’expérimentation, parfois sans même attendre les premières évaluations, sont encore trop nombreuses. C’est par exemple le cas de l’expérimentation sur le relèvement du seuil de revente à perte prévue par la loi du 30 octobre 2018 pour l’équilibre des relations commerciales dans le secteur agricole et alimentaire et une alimentation saine, durable et accessible à tous, dite « loi Égalim ». Initialement d’une durée de deux ans, elle a été prolongée à peine quelques mois après sa mise en œuvre par le projet de loi d’accélération et de simplification de l’action publique, ou ASAP.

Le suivi de la publication des textes d’application et de la remise des rapports d’évaluation est particulièrement indispensable s’agissant des expérimentations.

Monsieur le ministre, nous vous remercions des éclaircissements que vous pourrez nous apporter, et nous veillerons à l’application des engagements que vous pourriez prendre aujourd’hui. (Applaudissements sur les travées des groupes UC et Les Républicains. – Mme Josiane Costes applaudit également).

M. le président. La parole est à M. le ministre.

M. Marc Fesneau, ministre auprès du Premier ministre, chargé des relations avec le Parlement. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, je voudrais tout d’abord remercier Mme Valérie Létard, l’ensemble des présidents de commission, ainsi que les services du Sénat de leur travail toujours minutieux, sur la base duquel nous allons échanger cet après-midi.

Alors que, l’an passé, le rapport soulignait que le taux d’application résultant des calculs du Sénat était « proche de celui du Gouvernement », cette année, ce sont plutôt nos divergences méthodologiques qui sont mises en exergue, avec des taux qui, en première analyse, peuvent paraître très divergents : 82 % pour le Gouvernement, contre 72 % pour le Sénat.

Nous avons de longue date une méthodologie différente ; vous l’avez d’ailleurs souligné, madame la sénatrice. Premièrement, le Gouvernement ne retient que les mesures immédiatement applicables, quand le Sénat y ajoute les mesures différées, ce qui conduit à un différentiel d’environ 150 mesures. Deuxièmement, le taux que nous vous présentons ne prend pas en compte les arrêtés.

Le Premier ministre est le titulaire du pouvoir réglementaire. Il est donc naturel qu’il assure un suivi général de l’application des lois et que nous venions en débattre chaque année avec vous. Cela permet d’avoir une vision « panoramique » des quelque 1 600 décrets qui sortent chaque année.

Par comparaison, le nombre d’arrêtés réglementaires pris chaque année est d’environ 8 000. Par définition, les arrêtés sont signés par chaque ministre compétent, mais rarement par le Premier ministre.

Outre la difficulté qu’il y aurait pour le secrétariat général du Gouvernement (SGG) à suivre entre deux et quatre dizaines d’arrêtés chaque jour, il s’agit là de la responsabilité de chaque ministre. Un ministre est par nature responsable pour suivre en continu les arrêtés qu’il doit prendre. La modification du règlement du Sénat du 6 juin 2019, qui confie au rapporteur d’un texte le suivi de son application, doit de notre point de vue permettre le suivi fin de ces arrêtés.

Je constate avec vous un léger tassement du taux d’application de la loi, qui était au 31 mars 2020 de 82 %, contre 85 % un an plus tôt. Il convient toutefois de souligner que le nombre de mesures à prendre a significativement augmenté, d’environ 55 % ! Nous sommes passés de 461 mesures pour 2017-2018 à 715 pour 2018-2019 ! Je rappelle que le taux était de 73 % pour le bilan annuel de 2018, avec un nombre de mesures bien inférieur, de l’ordre de 525.

Vous avez mentionné le recours à la procédure accélérée. Sur longue période, il n’y a pas de véritable rupture entre cette législature et la précédente. En revanche, pour être honnête intellectuellement, on constate un recours plus systématique sous cette législature et la précédente que sous la XIIIe législature.

Cela n’est sans doute pas sans lien avec la révision de la Constitution de 2008, qui a profondément modifié les règles de fixation de l’ordre du jour : à défaut de procédure accélérée, un texte déposé depuis moins de six semaines ne peut être inscrit à l’ordre du jour, ce qui, à un ou deux jours près, peut conduire à retarder son examen d’un bon mois.

Les conditions d’examen exceptionnelles que nous avons connues au cours des trois derniers mois ne sont pas représentatives, je le crois, de la manière dont l’examen des textes s’est déroulé depuis 2017. Et même si le Gouvernement demande généralement la réunion d’une commission mixte paritaire à l’issue des premières lectures, comme le recours à la procédure accélérée l’y autorise, il s’est la plupart du temps efforcé de ménager des conditions d’examen raisonnables ; mais il s’agit, je le sais, un point de vigilance particulier de votre Haute Assemblée, et à juste titre.

Distinguons les rapports prévus à l’article 67 de la loi du 9 décembre 2004 de simplification du droit de ceux qui sont demandés spécifiquement par le Parlement. Cet article avait été introduit dans un contexte de très faible application de la loi. Votre Haute Assemblée avait même envisagé à l’époque que cette obligation doive intervenir dès lors que le taux d’application d’une loi était inférieur à 30 % ; c’est dire ce qu’étaient la situation au début des années 2000 et le chemin qui a été parcouru par l’ensemble des gouvernements depuis lors !

La situation a désormais radicalement changé ; entre 80 % et 90 % des mesures sont prises dans un délai de six mois. Dans les faits, le Parlement sera prochainement destinataire, dans le délai de six mois, de 100 % des tableaux faisant le point sur cette application. Nombre d’administrations peuvent ainsi avoir le sentiment que les tableaux qu’elles remplissent et qui sont transmis au Parlement répondent à l’objet de l’article 67 de la loi du 9 décembre 2004. La transmission de ces tableaux vaut-elle transmission du « rapport » au sens de cet article ? C’est en effet la question que pose l’évolution de la situation.

Par ailleurs, il est nécessaire de le rappeler, certaines lois présentent des mécanismes complexes à mettre en œuvre et peuvent prévoir à cette fin une date différée d’entrée en vigueur, qui peut retarder la remise des rapports.

Je regrette comme vous la situation s’agissant des rapports demandés spécifiquement par le Parlement, qui n’est pas satisfaisante. Je ne manquerai pas d’attirer de nouveau l’attention de mes collègues à ce sujet.

Je partage votre souci de mieux suivre les expérimentations, pour mieux les évaluer et ensuite envisager une pérennisation.

Il est parfois tentant de bouleverser ce séquençage. J’ai souvenir des débats que nous avions encore récemment lors de l’examen de la loi portant diverses dispositions urgentes au sujet de l’expérimentation de relèvement du seuil de revente à perte et de l’encadrement des promotions. La solution qui a été retenue par la commission mixte paritaire et définitivement adoptée par le Parlement me paraît de ce point de vue conforme à l’objectif d’approfondissement des évaluations que vous appelez de vos vœux.

Vous m’interrogez en outre sur les ordonnances. Leur nombre varie de manière très importante d’une année sur l’autre. Ainsi, 59 ont été prises en 2019, contre 27 en 2018 et 81 au cours de la session parlementaire 2016-2017. Depuis 2007, la moyenne annuelle s’établit à 43 ; cette année sera particulière.

Pour parler franchement, le constat d’une forme de « banalisation », pour reprendre le mot de Jean-Marc Sauvé lors d’un colloque de 2014 sur la législation déléguée, me semble difficile à contester. Je ne crois pas qu’il faille y voir une forme de facilité à laquelle céderaient les gouvernements, quels qu’ils soient, et celui-ci plus qu’un autre. J’en veux pour preuve le récent projet de loi portant diverses mesures urgentes, pour lequel j’étais ici même : toutes les habilitations superflues ont été transformées « en dur », comme on dit.

Je manque du temps et sans doute du recul nécessaires pour me livrer à une analyse juridique des causes de ce phénomène. Mais je partage de manière empirique l’analyse de l’ancien vice-président du Conseil d’État : « L’inflation législative […] a trouvé dans la législation déléguée un exutoire durable, d’abord, pour répondre à l’urgence de certaines réformes ou pour décharger le Parlement de l’adoption de textes techniques […], ensuite, pour investir très largement le domaine devenu très extensif de la loi ».

Vous avez évoqué la décision que le Conseil constitutionnel a rendue consacrant le caractère législatif d’une ordonnance non ratifiée après l’expiration du délai d’habilitation. Vous comprendrez que j’observe une certaine réserve et que je ne la commente pas.

Il me semble en tout cas très prématuré d’en tirer des enseignements définitifs sur la manière dont sont susceptibles d’évoluer – c’est en effet un changement inédit – les usages qui ont jusqu’ici prévalu dans le recours à l’article 38, notamment dans la ratification des ordonnances. Vous savez combien le calendrier parlementaire est contraint et ne peut accueillir l’examen d’une quarantaine de projets de loi supplémentaires chaque année, sauf à considérer cette ratification comme une simple formalité.

Enfin, le Gouvernement envisage une évolution de la gouvernance d’Action logement, pour faire suite à une série de dysfonctionnements. Dans ce cadre, il a demandé un rapport à l’inspection générale des finances, afin de vérifier que les règles de gouvernance sont respectées, de faire des recommandations pour les améliorer, de détailler les implications que l’absence de mise en œuvre de ces règles peut avoir.

L’adoption de nouvelles dispositions réglementaires relatives à la gouvernance du groupe a donc été suspendue. Dans l’intervalle, des réunions informelles entre les élus et les opérateurs du logement social peuvent naturellement être organisées, dans l’attente d’une refonte globale du cadre réglementaire. (Applaudissements sur les travées du groupe LaREM.)

Débat interactif

M. le président. Nous allons maintenant procéder au débat interactif. Je rappelle que chaque orateur peut intervenir pour deux minutes maximum et que le Gouvernement peut, s’il le souhaite, répondre à chaque orateur pour une durée équivalente.

Je vais tout d’abord donner la parole aux représentants des commissions.

Dans le débat interactif, la parole est à M. le président de la commission des affaires sociales.

M. Alain Milon, président de la commission des affaires sociales. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, à la date de la rédaction du rapport sur l’application des lois, la fameuse loi du 24 juillet 2019 relative à l’organisation et à la transformation du système de santé, dite « loi OTSS », tant attendue par les professionnels de santé, n’était applicable qu’à hauteur de 30 %.

Aucune des onze ordonnances prévues dans le texte, sur des sujets aussi lourds d’enjeux que les autorisations sanitaires ou l’organisation des hôpitaux de proximité, n’avait été publiée.

La crise sanitaire explique peut-être pour partie cette situation, mais la commission des affaires sociales considère qu’elle n’en est pas la seule cause. Il faut selon nous que le Gouvernement cesse de solliciter du Parlement des habilitations à légiférer par ordonnance sur des projets de réforme à l’état d’ébauche, qui n’ont été ni muris ni concertés ni élaborés plus avant.

En tout état de cause, nous souhaitons que le Gouvernement présente au Parlement un nouvel échéancier des mesures d’application de ce texte et indique s’il y a lieu les dispositions dont la pertinence lui paraît remise en cause par la crise actuelle.

M. le président. La parole est à M. le ministre.

M. Marc Fesneau, ministre auprès du Premier ministre, chargé des relations avec le Parlement. Monsieur le président de la commission des affaires sociales, vous avez raison de nous alerter sur une telle question.

L’application réglementaire de la loi OTSS n’a pu se faire dans les délais qui étaient initialement prévus. En effet, l’activité de l’administration du ministère de la solidarité et de la santé a été réorientée – c’est une grande partie de l’explication, mais ce n’est pas la seule cause, pour être tout à fait honnête – vers la gestion de la crise sanitaire. Plusieurs décrets sont en cours d’examen par le Conseil d’État.

C’est d’ailleurs toute l’utilité de nos exercices communs d’application de la loi : permettre d’inciter les ministères à accélérer un certain nombre de processus.

Pour autant, un certain nombre de textes seront publiés avec retard. La loi du 23 mars 2020 a d’ailleurs reporté de quatre mois le terme de toutes les habitations en cours prévues par la loi OTSS. Le récent projet de loi portant diverses dispositions urgentes prévoit également le report de la réforme du deuxième cycle des études médicales, ainsi que d’autres habilitations : certifications périodiques des médecins, emploi médical hospitalier.

Le Ségur de la santé doit tirer les conséquences de la crise sanitaire. Vous avez d’ailleurs vous-même posé la question des réglementations à adopter.

Il faudra transformer les métiers, revaloriser ceux qui soignent, définir une nouvelle politique d’investissement et de financement au service des soins, simplifier radicalement les organisations et le quotidien des équipes et fédérer les acteurs de la santé dans les territoires au service des usagers. Hormis les textes à caractère technique, le Ségur de la santé va nécessairement impliquer que les projets de textes à prendre en application de la loi OTSS soient revus à cette aune. C’est d’ailleurs un peu ce à quoi vous nous invitez.

Il en va ainsi des ordonnances et des décrets relatifs aux groupements hospitaliers de territoire, à l’emploi médical hospitalier, aux hôpitaux de proximité, à la réforme des autorisations ou à la question du télésoin. Néanmoins, les décisions qui résulteront des discussions de Ségur de la santé seront mises en œuvre sans attendre. Les textes d’application de la loi OTSS devraient pouvoir en tirer les conséquences dès la rentrée.

Tels sont les éléments de calendrier que je peux vous communiquer. Mais, compte tenu de l’actualité du secteur de la santé, je ne puis vous transmettre d’échéancier plus précis à ce stade.