compte rendu intégral

Présidence de Mme Catherine Troendlé

vice-présidente

Secrétaires :

Mme Catherine Deroche,

M. Daniel Dubois.

Mme la présidente. La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à dix heures trente.)

1

Procès-verbal

Mme la présidente. Le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué.

Il n’y a pas d’observation ?…

Le procès-verbal est adopté sous les réserves d’usage.

2

Rappel des règles sanitaires

Mme la présidente. Monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, je vous rappelle que le port du masque est obligatoire dans l’ensemble des salles de réunion et des circulations du Sénat. Il vous est donc demandé de bien vouloir en porter un dans l’hémicycle.

3

Hommage à Catherine Troendlé, vice-présidente du Sénat

Mme la présidente. La parole est à Mme Nathalie Goulet.

Mme Nathalie Goulet. Madame la présidente, chère Catherine Troendlé, je crois que c’est la dernière séance que vous présidez. Je tenais à profiter de l’occasion pour vous exprimer le plaisir que nous avons eu de vous voir tant au plateau que dans l’hémicycle et pour vous dire combien vous allez nous manquer.

Je voudrais vous souhaiter bonne chance dans vos nouvelles aventures. J’espère que vous ne changerez pas de numéro de téléphone, afin que nous puissions continuer à discuter et à travailler ensemble. Nos échanges ont toujours été empreints de bienveillance, dans une maison qui en manque parfois. (Applaudissements.)

Mme la présidente. Je vous remercie du fond du cœur, ma chère collègue.

La parole est à Mme Christine Lavarde.

Mme Christine Lavarde. Madame la présidente, au nom du groupe Les Républicains, je m’associe bien évidemment aux propos que vient de tenir Mme Goulet. Nous vous souhaitons le meilleur pour la suite, et nous vous remercions de votre présidence. (Applaudissements.)

Mme la présidente. C’est moi qui vous remercie, ma chère collègue. Vous allez me faire pleurer…

La parole est à Mme Éliane Assassi.

Mme Éliane Assassi. Madame la présidente – et, avec votre permission, je serais tentée de dire : « chère Catherine » –, je vous remercie de tout ce que vous avez fait pour notre Haute Assemblée et de l’écoute dont vous avez su faire preuve, y compris à l’égard des élus de mon groupe. D’un point de vue plus personnel, vous et moi avons eu des relations – je crois pouvoir l’affirmer – très cordiales, voire amicales.

Chère Catherine, je vous souhaite le meilleur pour la suite. (Applaudissements.)

Mme la présidente. Merci beaucoup, ma chère collègue.

La parole est à M. Jean-Pierre Sueur.

M. Jean-Pierre Sueur. Madame la présidente, chère Catherine Troendlé, je m’associe au nom de mon groupe à cet hommage et à ces félicitations très sincères. Ici, nous n’avons pas les mêmes idées politiques – nous le savons bien –, mais nous avons une faculté de travailler ensemble. Je pense que c’est très bien pour notre République. (Applaudissements.)

Mme la présidente. Merci, mon cher collègue.

La parole est à M. Jérôme Bignon.

M. Jérôme Bignon. Madame la présidente, je voudrais m’associer au nom du groupe Les Indépendants aux vœux qui sont formés.

Je les partage d’autant plus que je suis dans la même situation que vous : il s’agit de ma dernière séance, et de ma dernière prise de parole dans l’hémicycle. Voilà une quarantaine d’années que je suis dans la vie publique et je comprends donc parfaitement ce que nos collègues viennent de dire : c’est un moment particulier quand on a été engagée comme vous l’avez été, de surcroît en ayant exercé les responsabilités que vous avez exercées et que vous exercez encore ce matin. Je suis totalement solidaire de l’émotion que vous devez ressentir aujourd’hui. (Applaudissements.)

Mme la présidente. Merci beaucoup, mon cher collègue.

La parole est à M. Didier Rambaud.

M. Didier Rambaud. Madame la présidente, je m’associe bien évidemment, au nom du groupe La République En Marche, à tout ce qui vient d’être dit. Étant encore un jeune parlementaire, je vous connais moins bien que mes collègues, mais je ne doute pas de leur sincérité ! (Applaudissements.)

Mme la présidente. Merci beaucoup, mon cher collègue.

La parole est à M. le président de la commission des lois.

M. Philippe Bas, président de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et dadministration générale. Madame la présidente, le moment est venu pour moi, en qualité de président de la commission des lois, de m’associer à cet hommage, qui n’est pas seulement officiel, mais qui est aussi amical, et que je voudrais particulièrement chaleureux.

La personnalité très attachante de Catherine Troendlé s’est imposée comme extrêmement riche d’humanité, dénuée d’artifice et de désir de se mettre en avant, avec pour autant une vraie force de caractère. Elle manquera beaucoup à notre Haute Assemblée.

Madame la présidente, il faut saluer l’engagement dont vous avez fait preuve dans vos fonctions, tant pour représenter votre territoire, auquel vous êtes tellement attachée que vous souhaitez désormais ne plus le quitter, que comme législatrice. J’ai le souvenir de nombreux textes que vous avez rapportés à la commission des lois, dont vous avez été la vice-présidente. Je pense à celui sur les manifestations, avec les Black Blocs qu’il fallait contenir, ou à celui sur les hooligans dans les stades. J’ai aussi en tête toute votre action sur la question si importante de la protection civile, ainsi que votre implication dans le dossier de la radicalisation et de la déradicalisation. Tous ces travaux – et je n’ai pas épuisé la liste – montrent à quel point vous vous êtes investie dans votre rôle de législatrice au sein la commission des lois.

Nous avons tous eu un immense plaisir à siéger dans cet hémicycle lorsque vous présidiez nos séances. Nous éprouvons beaucoup de reconnaissance pour la manière dont vous avez conduit nos travaux, avec autorité, mais également avec souplesse quand il le fallait.

Je vous adresse donc mes plus vifs remerciements ! Si votre visage est aujourd’hui dissimulé derrière un masque – c’est une protection inhabituelle pour un président ou une présidente de séance –, j’espère au moins que nous ne vous aurons pas fait trop rougir ! (Applaudissements.)

Mme la présidente. Je vous remercie toutes et tous de vos propos. Je me réjouis effectivement de porter un masque aujourd’hui, car mon émotion est à son comble ! (Sourires.) Je vous souhaite à toutes et à tous une bonne continuation dans l’ensemble de vos fonctions.

4

 
Dossier législatif : projet de loi organique prorogeant le mandat des membres du Conseil économique, social et environnemental
Discussion générale (suite)

Prorogation du mandat des membres du Conseil économique, social et environnemental

Adoption d’un projet de loi organique dans le texte de la commission modifié

Mme la présidente. L’ordre du jour appelle la discussion du projet de loi organique prorogeant le mandat des membres du Conseil économique, social et environnemental (projet n° 596, texte de la commission n° 633, rapport n° 632).

Dans la discussion générale, la parole est à M. le garde des sceaux, ministre de la justice.

Discussion générale (début)
Dossier législatif : projet de loi organique prorogeant le mandat des membres du Conseil économique, social et environnemental
Article 1er

M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux, ministre de la justice. Madame la présidente, qu’il me soit permis à mon tour de vous souhaiter bon vent, des alizés peut-être au goût sucré… Vous avez présidé mes premières séances au Sénat. Je vous remercie de votre attention bienveillante.

Mesdames, messieurs les sénateurs, j’ai l’honneur de défendre aujourd’hui devant votre Haute Assemblée un projet de loi organique qui, pour deux raisons au moins, me semble particulièrement important.

D’abord, à titre personnel, c’est le premier texte que j’ai présenté en conseil des ministres, au lendemain de ma nomination. C’est donc un privilège de le soumettre ce matin à votre examen.

Surtout, ce texte marque la traduction concrète de la volonté du Président de la République de répondre à une aspiration apparue entre 2017 et 2019, mais qui couvait en réalité depuis bien plus longtemps : celle d’un changement de la vie politique pour laisser davantage de possibilités d’expression et d’action à des personnes qui en sont habituellement éloignées, afin de mieux la transformer.

Mais ce changement ardemment désiré est aussi et avant tout celui d’un renouveau de nos institutions et de leur fonctionnement. En effet, nos concitoyens ont appelé de leurs vœux une mutation des pratiques politiques, en particulier de notre démocratie représentative.

C’est pourquoi, pour répondre à cette attente légitime, le Président de la République a proposé aux Français de moderniser notre démocratie en rendant nos institutions plus représentatives, plus responsables et plus efficaces. Le projet de réforme du Conseil économique, social et environnemental (CESE) qui vous sera présenté à l’automne en sera la traduction concrète. Ce sera, je l’espère, un grand moment de débat démocratique, afin que nous puissions ensemble réfléchir aux institutions que nous voulons aujourd’hui pour la France de demain.

Depuis son origine, en 1925, le CESE est chargé de représenter les forces économiques et sociales du pays. Sa composition et ses attributions n’ont cessé d’évoluer, s’adaptant aux besoins de la société civile.

C’est pourquoi le texte de réforme organique portera sur plusieurs points importants. Il s’agira, notamment, de permettre au CESE d’organiser des conventions citoyennes, sur le modèle de la Convention citoyenne pour le climat, en tirant des citoyens au sort pour organiser une consultation sur un sujet, afin que cet organe devienne la chambre des conventions citoyennes, de renforcer l’importance de ses avis dans le processus législatif et de voir sa composition modifiée pour renouer avec sa vocation initiale de représentation de la société civile.

Ce n’est toutefois pas ce texte que je vous présente aujourd’hui. En effet, pour nous permettre d’avoir cette discussion si nécessaire sur nos institutions et leur fonctionnement dans un temps long, propice au consensus et à la coconstruction, il est indispensable de prolonger le mandat des membres actuels du CESE. La réforme organique ne pourra pas être définitivement adoptée par le Parlement et promulguée, après décision du Conseil constitutionnel, par le Président de la République avant la fin du mandat en cours. Fixé à cinq ans par l’article 9 de l’ordonnance du 29 décembre 1958 portant loi organique relative au Conseil économique et social, ce mandat a débuté le 15 novembre 2015 et doit s’achever au mois de novembre 2020. Vous l’avez donc compris, sans le texte d’aujourd’hui, il ne peut pas y avoir le texte de demain.

Dans ces conditions, afin de préserver de manière transitoire le fonctionnement du CESE et d’éviter d’avoir à nommer de nouveaux membres pour quelques mois seulement, le présent projet de loi organique, qui se compose d’un article unique, vise à prolonger le mandat des membres du Conseil pour la durée strictement nécessaire à l’adoption de la loi organique en modifiant la composition et aux opérations de renouvellement consécutives à sa publication. Une date butoir est néanmoins prévue, afin que la prorogation du mandat ne puisse pas excéder le 1er juin 2021.

C’est pourquoi je vous propose, mesdames, messieurs les sénateurs, d’adopter le projet de loi organique prorogeant le mandat des membres actuels du Conseil économique, social et environnemental. (Applaudissements sur les travées des groupes LaREM et Les Indépendants. – M. Bruno Sido applaudit également.)

Mme la présidente. La parole est à M. le rapporteur.

M. Jean-Yves Leconte, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et dadministration générale. Madame la présidente, à mon tour de vous saluer ! Je sais l’engagement qui a été le vôtre, notamment en tant que représentante du Sénat au sein de la Commission nationale de contrôle des techniques de renseignement (CNCTR), institution très importante qui veille au respect de nos libertés publiques. Je vous remercie également de nous avoir accompagnés au sein de la commission des lois au cours de ces dernières années.

Le Conseil économique, social et environnemental est la troisième assemblée constitutionnelle de la République. Il a vocation à représenter la société civile organisée. Il découle de la création en 1925 du Conseil national économique pour constituer un centre de résonance de l’opinion publique. Il a pour missions de conseiller le Gouvernement sur les politiques économiques, sociales et environnementales, de favoriser le dialogue entre les forces vives de la Nation et de contribuer à l’information du Parlement.

Le texte qui nous est proposé est très simple. Il s’agit de prolonger, jusqu’au mois de juin 2021 au plus tard, le mandat des 233 membres du CESE, afin de pouvoir examiner et voter, d’ici là, la réforme de cette institution.

Le projet de loi organique de réforme du CESE a été déposé en même temps que le texte dont nous discutons actuellement, lors du premier conseil des ministres auquel vous avez assisté, monsieur le garde des sceaux. Il sera examiné à l’automne, car il exige évidemment des débats beaucoup plus approfondis qu’un simple vote de prorogation. La réforme est préparée par l’ensemble des membres actuels du CESE depuis le début de leur mandat. Des retards ayant été pris, du fait notamment de la crise sanitaire et des processus préalables à la nomination des représentants d’un certain nombre de corps constitués, la commission des lois propose d’accepter le projet de loi organique qui nous est soumis.

Toutefois, cela ne préjuge en rien de l’accord du Sénat sur le projet de loi organique de réforme du CESE tel qu’il est proposé par le Gouvernement.

M. Philippe Bas, président de la commission des lois. Il est important de le rappeler !

M. Jean-Pierre Sueur. Très important !

M. Jean-Yves Leconte, rapporteur. Il ne s’agit pas pour nous de l’avant-garde d’une réforme constitutionnelle. Nous débattrons du texte portant réforme du CESE pour ce qu’il est ; les autres sujets seront abordés à d’autres moments. Adopter un projet de loi organique ne signifie pas en approuver un autre plus tard, encore moins valider sans débat l’ensemble d’une réforme des institutions.

Assemblée des représentants de la société civile organisée, le Conseil économique, social et environnemental est un lieu de débats et d’échanges. Les employeurs, les entreprises, les syndicats, les jeunes, les associations environnementales, les acteurs mutualistes ou encore ceux du logement peuvent y discuter en toute transparence. Dans un pays où les débats sont souvent vifs, parfois violents, et où les affrontements sociaux paralysent parfois longtemps la société, c’est un cadre très précieux, qui favorise le dialogue et permet d’avoir, dans chaque syndicat, dans chaque institution, des personnes aux contacts des autres. Au fond, le Conseil économique, social et environnemental contribue à cimenter l’appartenance à la même communauté de destin, au-delà de nos oppositions d’intérêts sur un certain nombre de sujets, à trouver des solutions pragmatiques et à faire nation. Sa vocation est donc essentielle. Il corrige un peu nos habitudes gauloises de confrontation et permet de trouver des solutions utiles. Cette institution est donc vitale à notre unité.

Cependant, un constat s’impose. Depuis 2017, le nombre d’autosaisines, faute de saisine par le Gouvernement du CESE, est passé de 50 % à 80 %. C’est d’ailleurs assez étonnant, car les deux dernières années n’ont pas été particulièrement paisibles en matière sociale ! Le Gouvernement n’a donc manifestement pas perçu l’utilité de cette institution au cours des dernières années. C’est parfois vrai aussi du Parlement – il faut bien le reconnaître –, mais il est difficile de demander un avis au Conseil économique, social et environnemental quand nous n’avons que quelques semaines pour nous prononcer parce que nous sommes saisis en urgence. Cela étant, le 24 juin dernier, le président du Sénat, M. Gérard Larcher, s’est rendu au CESE pour assister à l’adoption de l’avis qu’il avait demandé sur les réponses à apporter au chômage de longue durée. Il y a donc une tradition d’échanges entre le Sénat et le CESE.

Il y a un autre problème : on peut toujours trouver des structures de concertation plus pointues que le CESE sur des sujets un peu techniques inscrits à son ordre du jour. La réforme doit donc également viser à renforcer sa visibilité et son efficacité.

Un amendement tendant à proroger aussi le mandat des soixante-dix-sept personnalités associées au CESE a été déposé en commission. Il a été rejeté, car ce sujet ne relève pas du domaine législatif ; c’est au Gouvernement qu’il appartient de décider en la matière. Vous pourrez peut-être nous faire part de votre position à propos du mandat de ces personnalités, monsieur le garde des sceaux.

S’il ne s’agit pas de valider aujourd’hui la réforme du CESE, permettons l’ouverture des débats. Il y a tant à dire. Deux sujets seront au centre des discussions.

Le premier est la baisse du nombre de membres du CESE. À mon sens, le chiffre de 40 personnalités qualifiées sur les 203 membres du CESE ne fera pas débat entre nous ; il est consensuel. En revanche, le fait de réduire de 18 le nombre de membres peut poser une difficulté au regard de la nécessité de représenter correctement l’ensemble des corps constitués du pays. C’est aussi le cas de l’idée de permettre au pouvoir réglementaire, dans un souci de flexibilité – du moins, c’est l’argument qui est mis en avant –, de finaliser la répartition entre ces différents corps.

Le second sujet est celui de la participation des citoyens tirés au sort. Le projet de loi organique de réforme, dont nous ne débattons pas aujourd’hui, prévoit non pas que des membres du CESE puissent être tirés au sort, mais que celui-ci s’adjoigne dans certaines conditions des citoyens tirés au sort.

Cette proposition soulève le débat entre démocratie participative et démocratie représentative. Nous sommes tous convaincus ici, je le crois, que la révolution numérique nous oblige à faire évoluer progressivement notre manière de faire de la politique, mais démontre aussi la nécessité de maintenir la démocratie représentative, seule à même d’assurer une réelle démocratie et de garantir le contrôle par des élus de l’ensemble de l’administration d’un État. Il est donc absolument indispensable que la démocratie représentative puisse continuer à vivre.

Les débats sur le tirage au sort auront lieu. Faut-il intégrer des citoyens tirés au sort au sein du CESE, créer une structure parallèle ou ne rien faire du tout ? Nous en discuterons probablement à l’automne. D’ailleurs, procéder par tirage au sort pour recueillir un avis, c’est finalement ce que font tous les instituts de sondages. On ne peut pas remplacer les élections par les sondages. Comment concilier le tirage au sort, si nous décidons de l’intégrer, et le renforcement de la démocratie représentative ? Nous n’avons pas nécessairement tous la même position entre nous, mais nous pourrons débattre, y compris des choix que le Gouvernement a faits en la matière.

En réalité, ces débats sont profondément liés à la réforme non pas des institutions, mais de notre manière de faire de la politique après la révolution numérique. Ils ne sont pas notre sujet aujourd’hui, mais l’adoption du présent projet de loi organique nous permettra de les avoir demain. Comment la société française peut-elle retrouver la voie de la compréhension entre les différents intérêts qui la traversent ? Comment un intérêt général peut-il se dégager au-delà des intérêts particuliers qui se confrontent ?

Qu’il s’agisse de questions sociales ou environnementales, le CESE est aujourd’hui absolument indispensable pour notre pays. Nous devons donc favoriser le débat qui en permettra la réforme. C’est pourquoi la commission des lois vous propose d’adopter le présent projet de loi organique. (Applaudissements sur les travées des groupes SOCR, LaREM et Les Indépendants. – M. Philippe Bas, président de la commission des lois, applaudit également.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Éliane Assassi.

Mme Éliane Assassi. Madame la présidente, chère Catherine, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, nous examinons en toute fin de session ce texte visant à prolonger le mandat des membres du Conseil économique, social et environnemental. Il s’agit d’un examen en urgence, lié à un calendrier resserré.

Une telle prolongation a pour justification de se donner le temps de l’adoption et de la mise en œuvre d’un autre projet de loi, déposé sur le bureau de l’Assemblée nationale. Nous discutons donc aujourd’hui du premier étage de la fusée ; l’objectif est une réforme globale de cette instance, qui a toujours eu – il faut le dire – du mal à trouver sa place et sa légitimité au sein de l’architecture institutionnelle.

La commission des lois et le Conseil d’État ont estimé qu’il n’y avait aucune raison juridique de s’opposer à la prolongation. L’ensemble des groupes ont donné leur aval. La démarche n’a suscité aucune opposition, y compris parmi les membres du CESE.

Pour autant, et je souhaite le réaffirmer ici, le vote formulé aujourd’hui ne constitue en aucune manière un accord sur l’ensemble de la réforme qui nous est proposée. Nous devrons prendre le temps du débat sur le rôle du CESE et son utilité à l’automne, lorsque nous examinerons l’autre texte.

L’ensemble de la réforme étant déjà connu à ce stade, je souhaiterais vous faire part de l’état d’esprit de notre groupe.

Nous nous réjouissons que l’hypothèse d’une fusion entre le Sénat et le CESE n’ait pas été retenue. Le bicamérisme est un élément important de notre démocratie ; nous le constatons souvent dans cet hémicycle. Notre Haute Assemblée contribue pleinement à la qualité de la loi du fait de la représentation spécifique des territoires.

Dans le détail de la réforme présentée, trois problématiques nous semblent majeures.

D’abord, nous déplorons la volonté de réduire des effectifs du CESE – nous regrettons aussi le recours facilité à la procédure d’urgence – alors même que certaines associations très importantes n’y sont pas représentées aujourd’hui. Je pense par exemple à ATD Quart Monde, à la Croix-Rouge, au Planning familial, à la Ligue internationale contre le racisme et l’antisémitisme (Licra), au Secours populaire, etc. Accroître les missions du CESE tout en réduisant le nombre de ses membres risque d’entraîner une professionnalisation des fonctions ; ce n’est pas conforme à l’idée que nous nous faisons d’une démocratisation des institutions.

Il en est de même s’agissant du recours aux procédures accélérées ressemblant à celles que nous connaissons au Sénat, comme la législation en commission (LEC). Nous dénonçons régulièrement ce recours aux procédures d’exception, qui consistent à abattre un maximum de travail en un temps record, limitant drastiquement le débat et la pluralité des échanges.

Ensuite, nous pensons qu’il faudra avoir un vrai débat sur les modalités de participation citoyenne, notamment la place du tirage au sort.

La question a été largement ouverte par la Convention citoyenne pour le climat. Si le tirage au sort peut se justifier ponctuellement, cette procédure interroge sur les légitimités ainsi créées et les stratégies de ceux qui la proposent. S’il faut favoriser et prendre en compte l’expression de la parole citoyenne, il ne saurait s’agir d’un substitut à celle des forces vives et à la représentation de la société civile organisée, colonne vertébrale du CESE.

Nous prônons, plus positivement, non pas la création d’un espace concurrent, mais bien le renforcement des possibilités de coconstruction, d’échanges et de débats propices à l’expression de cette parole spécifique.

Encore faut-il que le Gouvernement la prenne en compte, bien entendu. Au regard des réponses apportées aux avis existants du CESE, le doute est légitime sur ce point et la crédibilité de l’exécutif largement entamée dans cette démarche.

Dans tous les cas, il est indispensable de s’assurer que la parole des citoyens ne soit pas instrumentalisée et que leur « formation », le cas échéant, soit de nature pluraliste.

Sur le fond, le devoir d’innovation démocratique qui nous incombe, notamment au regard du taux d’abstention constaté aux élections, dépasse les formes d’expression citoyenne pour toucher aux modalités concrètes de partage des pouvoirs et de représentativité de nos institutions.

Enfin, nous sommes extrêmement dubitatifs quant à la substitution du CESE aux organes de consultation sectoriels pour la préparation des projets de loi.

Mme Éliane Assassi. Faute de plus de précisions, nous pensons que la réforme proposée par le Gouvernement pourrait supprimer certaines compétences dévolues à des organismes consultatifs, et donc potentiellement porter atteinte à la démocratie sociale. Le Conseil d’État lui-même déplore, dans son avis, une mauvaise appréciation du champ d’application de cette mesure.

Au fond, nous devrons, lors de nos prochains débats, rendre plus nettes les motivations profondes du Gouvernement, qui pourrait voir dans cette réforme une occasion de discréditer la représentation des corps intermédiaires, sous couvert de démocratie directe. Nous y serons bien évidemment très attentifs.

Pour l’heure, nous apporterons nos voix à ce projet de loi. (Applaudissements sur les travées des groupes CRCE et SOCR.)

Mme la présidente. La parole est à M. Jérôme Bignon.

M. Jérôme Bignon. Madame la présidente, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, acteur essentiel de notre démocratie sociale, le Conseil économique, social et environnemental fut chargé, dès sa création en 1925, de représenter les forces économiques et sociales du pays. Sa composition et ses attributions n’ont cessé d’évoluer, s’adaptant aux besoins de la société civile.

Il comprend aujourd’hui 233 membres – l’effectif maximal prévu par la Constitution –, dont le mandat expire le 14 novembre 2020, cinq années après leur nomination.

Le Gouvernement a engagé un grand projet de réforme du CESE avec un triple objectif : modifier sa composition, adapter son fonctionnement et lui confier de nouveaux outils.

Il entend ainsi faire du CESE un véritable carrefour de la consultation publique, ainsi que le vecteur de la consultation citoyenne. Vous l’avez souligné, monsieur le garde des sceaux, en présentant ce texte.

Le calendrier d’examen ne permettra toutefois pas l’adoption définitive du projet de loi organique et sa promulgation, après décision du Conseil constitutionnel, par le Président de la République avant l’expiration du mandat des membres du CESE en novembre 2020.

Ainsi, en l’absence de dispositions législatives, les nouveaux membres du CESE devraient être nommés pour quelques mois seulement, voire quelques semaines.

Le texte que nous examinons ce matin vise donc à prolonger le mandat des 233 membres du CESE jusqu’à l’entrée en vigueur de la réforme de cette institution, et au plus tard jusqu’au 1er juin 2021.

Transitoire, cette prorogation se limiterait donc à une durée de six mois, ce délai devant permettre de préserver la continuité des travaux du CESE jusqu’à l’entrée en vigueur du projet de loi organique réformant l’institution, qui a été déposé le 7 juillet dernier sur le bureau de l’Assemblée nationale.

Je me réjouis que la commission des lois ait admis la prolongation du mandat des membres du CESE, car s’y opposer aurait eu pour effet de renoncer à la possibilité même de réformer l’institution.

Pour autant, comme cela a été dit, cette décision ne préjuge en rien de la position qu’adoptera notre assemblée – Catherine Troendlé et moi-même n’en ferons plus partie – sur le projet de loi organique réformant le CESE, dont elle n’est pas encore saisie. Plusieurs de ses dispositions sont délicates et méritent des débats approfondis, que le calendrier de la session extraordinaire ne permet pas.

Le Gouvernement et le CESE ont travaillé à un projet de réforme qui prévoit, notamment, une réduction du nombre des membres du Conseil – il en comprend actuellement 233, dont 40 personnalités qualifiées –, une extension de la procédure simplifiée pour la publication des avis et une mention du recours à des techniques de tirage au sort.

Il reviendra aux assemblées parlementaires de trancher un certain nombre de sujets lors de l’examen, dans les prochains mois, du projet de loi organique.

Comment concilier l’affirmation du tirage au sort et la légitimité des urnes, fondement même de notre pacte républicain ? La réduction de 25 % des effectifs du CESE se justifie-t-elle vraiment ? Quelles en seraient les conséquences sur la représentation de la société organisée ? Peut-on renvoyer à un décret la liste des organisations représentées dans les pôles « cohésion sociale » et « protection de l’environnement », alors qu’elle figure aujourd’hui dans la loi organique ?

Comme l’a justement souligné l’excellent rapporteur, pour pouvoir débattre de tous ces sujets, vraisemblablement au cours de l’automne, il nous faut dès à présent proroger le mandat des membres actuels du CESE.

Il paraît opportun de garantir la continuité des travaux du Conseil économique, social et environnemental jusqu’à la date d’adoption de la réforme, la participation active de ses membres au projet de réforme et le fait de ne pas avoir à procéder à deux renouvellements dans des délais extrêmement restreints.

Dans ces conditions, le groupe Les Indépendants votera évidemment ce projet de loi organique.