M. le président. Ce n’est plus possible, mon cher collègue !

M. Guy Benarroche. Y renoncer signifierait que notre modèle républicain n’est pas adapté ni capable de gérer les crises qui durent. (Marques dagacement sur les travées du groupe Les Républicains.) Terrible démonstration à laquelle nous ne nous résoudrons pas, madame la ministre. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST.)

M. le président. Mes chers collègues, je suggère que les orateurs calibrent leurs textes pour respecter leur temps de parole.

La parole est à Mme Nadège Havet.

Mme Nadège Havet. Je vais essayer de respecter mon temps de parole, monsieur le président !

Madame la ministre, mes chers collègues, en introduction, je voudrais adresser une pensée émue, au nom du groupe RDPI, aux victimes du nouvel attentat commis ce matin à Nice. L’unité est là encore indispensable face à la barbarie.

Nous le savons, la situation économique en Europe s’aggrave, et ce de façon très inquiétante. Le Président de la République a annoncé le renforcement des mesures de protection hier. Le Premier ministre les a précisées à l’instant. À l’instar de la France, de nombreux pays européens voisins ont pris, ces derniers jours, des décisions fortes, courageuses, parfois impopulaires, pour sauver des vies, pour protéger nos soignantes et nos soignants. La situation française n’est ni isolée ni singulière. Hier aussi, l’État fédéral allemand et les Länder se sont mis d’accord sur l’instauration d’un reconfinement partiel.

Pourquoi ? Parce que depuis le début de la pandémie, plus de 260 000 personnes sont déjà décédées en Europe et que le nombre de contaminations bat des records. L’état d’alerte décrété dimanche en Espagne, comparable à l’état d’urgence, constitue, pour le gouvernement socialiste, « la mesure la plus efficace pour infléchir la courbe des contagions ».

C’est dans ce contexte général grave qu’a été réactivé en France, à compter du 17 octobre, l’état d’urgence sanitaire sur l’ensemble du territoire. C’est aussi dans ce contexte que le présent projet de loi nous est soumis.

Le Gouvernement sollicite donc tout d’abord une prorogation du régime de l’état d’urgence sanitaire pour trois mois, soit jusqu’au 16 février. Cette durée nous paraît, ainsi que l’ont confirmé le conseil scientifique et le Conseil d’État, adaptée et proportionnée à l’état de la situation sanitaire. C’est d’ailleurs un point sur lequel, monsieur le rapporteur, les positions n’apparaissaient pas, en réalité, irréconciliables. Vous avez consenti à la prorogation de l’état d’urgence sanitaire tout en réduisant sa durée de deux semaines.

Nous avons, dans le même temps, des réserves quant à la suppression de la prolongation du régime transitoire de sortie de l’état d’urgence sanitaire. Celle-ci permettrait de conférer une agilité et une capacité d’adaptation indispensables dans la gestion de crise, de nature à favoriser une sortie anticipée, car progressive, de l’état d’urgence. C’est ce que souligne l’avis du Conseil d’État lui-même.

La vigilance, peut-être même la défiance, qui se manifeste sur nos travées, ne doit pas faire oublier le cadre strict qui s’applique aux deux régimes précités. Je pense aux prérogatives de contrôle renforcées du Parlement, et je veux, sur ce point, saluer le travail de notre commission des lois. Je pense également au contrôle du juge, qui peut suspendre en référé l’application des mesures prises.

La position de la commission sur l’article 3, qui vise à ramener du 1er avril au 31 janvier l’autorisation de mise en œuvre des systèmes d’information, est elle aussi source d’interrogations. Aux termes du droit en vigueur, cette autorisation devrait arriver à échéance le 10 janvier. Le texte de la commission n’augmente donc que très modestement la durée d’utilisation de ce système, alors même qu’il est indispensable pour la réussite de la stratégie « tester, tracer, isoler ».

Je veux également saluer les mesures d’urgence économique et sociale visant à prolonger le fonds de solidarité, les dispositifs d’activité partielle et de garde d’enfants, ou encore adapter le fonctionnement des collectivités territoriales.

Il n’est jamais aisé ni agréable pour nous, législateurs, de consentir aux habilitations.

Un mot, enfin, sur les dispositions introduites en commission sur les modalités d’organisation des prochaines élections locales. Une mission a été confiée à Jean-Louis Debré, qui mène une concertation approfondie pour trouver un consensus politique. Il nous paraît opportun d’en attendre les conclusions pour prendre en compte les conditions de déroulement des campagnes électorales. Le groupe RDPI conditionne son vote aux évolutions qui seront adoptées en séance.

M. le président. La parole est à Mme Maryse Carrère.

Mme Maryse Carrère. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, voilà deux semaines, lors de l’examen avorté du projet de loi prorogeant le régime transitoire instituant la sortie de l’état d’urgence sanitaire, j’avais pointé l’entre-deux dans lequel nous étions, à savoir un état d’urgence qui n’en était pas un. Par son intervention d’hier, le Président de la République a fait état d’une situation sanitaire fortement dégradée, nous imposant aujourd’hui un nouveau confinement. Dès lors, le choix entre nous empêcher de vivre et nous empêcher de mourir est vite fait.

Ces mesures sont nécessaires si l’on souhaite venir à bout de ce covid-19, mais, au-delà des mesures transitoires, des déconfinements, puis des reconfinements, il va falloir que nous nous interrogions sérieusement sur notre stratégie pour éradiquer définitivement ce virus du territoire.

Aujourd’hui, nos concitoyens ont le sentiment qu’ils n’ont qu’un seul droit, celui d’aller travailler, et je regrette vivement que les mots choisis à certains moments aient alimenté la défiance. Il va de soi que le contexte actuel nous oblige à proroger l’état d’urgence sanitaire, le simple régime transitoire que nous devions discuter la semaine dernière ne suffisant plus. À cet égard, mon groupe partage l’avis de la commission des lois, qui souhaite la prorogation jusqu’au 31 janvier uniquement, et la suppression du régime transitoire. La persistance de ces deux régimes distincts suscitait, une fois de plus, de l’incompréhension, d’autant que tout ce que permettait le régime transitoire est possible dans le cadre de l’état d’urgence.

Concernant les systèmes d’information de l’article 3, à savoir le système d’information national de dépistage et le téléservice Contact Covid, mon groupe est également favorable à leur prorogation. Nous nous réjouissons que les mesures permettant une meilleure pseudonymisation, inspirées du Sénat, aient été ajoutées. Nous partageons néanmoins les doutes de la Commission nationale de l’informatique et des libertés (CNIL) sur l’évaluation et l’efficacité sanitaire de ces dispositifs. Là encore, trop peu d’éléments sont mis à notre disposition.

Permettez-moi de faire un parallèle avec les retards récurrents avec lesquels sont rendus publics les avis du conseil scientifique. Madame la ministre, la confiance du Parlement ne se décrète pas ; elle se mérite. Aussi, une publication dans des délais plus brefs serait heureuse.

Concernant les habilitations à légiférer par ordonnances, le champ prévu par le texte était très large, trop large. Aussi, je salue le travail effectué par le rapporteur Philippe Bas, qui vise à ne conserver que ce qui est pleinement nécessaire. Le passage du nombre des habilitations de 70 à 30 décidé par la commission est, selon nous, le bienvenu.

Sur les mesures visant à la sécurisation du processus électoral, nous sommes plus partagés. Les membres du RDSE sont attachés à la vitalité du débat démocratique. Ils souhaiteraient, bien entendu, pouvoir garantir le déroulement des scrutins départementaux et régionaux prévus au printemps prochain. Les mesures proposées en matière de procurations sont, à leur avis, intéressantes. Il faudra néanmoins rester vigilant quant aux dispositions relatives au vote par correspondance.

Pour conclure, je saluerai les mesures prises à l’article 6 en faveur des PME, qui vont une fois de plus souffrir de ce confinement – j’en ai parlé lors du débat précédent. La rétroactivité de ces mesures ajoutées par notre commission sera d’un grand secours dans cette période éminemment difficile pour elles. Vous l’aurez compris, face à l’urgence sanitaire, le groupe du RDSE votera ce projet de loi au regard des améliorations apportées par le Sénat. (Applaudissements sur les travées des groupes RDSE et UC.)

M. le président. La parole est à Mme Cécile Cukierman.

Mme Cécile Cukierman. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, avant toute chose, je veux souligner l’incohérence de nos travaux, signe d’un profond mépris du pouvoir exécutif à l’égard du Parlement.

Nous allons débattre des principes de l’encadrement juridique de la prorogation de l’état d’urgence, alors que, il y a quelques instants, notre assemblée était amenée à se prononcer sur les nouvelles décisions du Président de la République, et de lui seul, organisées, mises en place dans ce cadre juridique que le Sénat n’a donc pas encore approuvé.

Bien sûr, l’urgence, l’explosion de l’épidémie exigent de réagir vite, mais nous ne sommes plus en février ou en mars. Nous aurions pu en discuter en amont. D’ailleurs, nous avions demandé, avec d’autres, un débat sur le rétablissement par décret de l’état d’urgence sanitaire. Les parlementaires, madame la ministre, ont des choses à vous dire : l’emballement de la circulation du virus, ce sentiment que le couvre-feu ne répondait pas à l’urgence de la situation, et bien d’autres choses, que je ne développerai pas ici. Il est donc grand temps de sortir de la verticalité, de l’organisation jupitérienne du pouvoir. Les événements actuels, les échecs successifs, de la pénurie des masques jusqu’aux ratages des tests et du couvre-feu, appellent un tournant démocratique dans la lutte contre le covid-19.

Avec ce projet de loi, c’est une nouvelle fois le Parlement qui est contraint. Le texte visait, avant son examen par la commission des lois, à proroger pour quatre mois l’état d’urgence sanitaire, sans retour devant le Parlement durant cette période. Le Gouvernement proposait même de prolonger cet état d’exception par un autre état d’exception, le fameux régime de sortie d’état d’urgence, nouveau genre inauguré le 11 juillet dernier, et ce jusqu’au 1er avril prochain. Nous estimons que cette démission démocratique au profit d’un pouvoir personnel n’est pas acceptable et qu’elle peut même s’avérer dangereuse pour notre peuple, vu la situation actuelle.

Pour y faire face, nous proposons, comme nous l’avions fait dès le 19 mars dernier, de revenir à une validation législative au terme de douze jours, et non d’un mois, des décrets d’état d’urgence, et que la présente prolongation soit ramenée à un mois. Nous irons même plus loin, au regard de l’expérience, en proposant que ce soit le Parlement qui décide de l’état d’urgence, sur proposition du Gouvernement.

Monsieur le rapporteur, nous avons noté votre émoi à l’annonce du couvre-feu, mais nous constatons que vos propositions s’arrêtent au milieu du gué.

M. Philippe Bas, rapporteur. Ah !

Mme Cécile Cukierman. Vous ramenez en effet à trois mois, au lieu de six, l’état d’exception, sans vous attaquer selon nous totalement à la source du malaise démocratique, c’est-à-dire aux conditions du déclenchement de l’état d’urgence.

Dans la peur du moment, notre peuple subit ces mesures, qui peuvent être ponctuellement nécessaires, mais il faut repousser toute tentation autoritaire, qui peut s’appuyer sur l’habitude de la contrainte.

Enfin, nous nous opposons frontalement à l’extension de la législation par ordonnances. Madame la ministre, depuis le 23 mars dernier, 66 ordonnances ont été prises dans le cadre de l’état d’urgence, auxquelles il faut ajouter 22 autres, prises dans d’autres domaines. Ce projet de loi en prévoyait 70 nouvelles et, monsieur le rapporteur, vous les avez réduites à 30,…

M. Philippe Bas, rapporteur. Oui !

Mme Cécile Cukierman. … ce qui est encore trop à nos yeux. Aucune des ordonnances prises dans le cadre de l’état d’urgence n’a été à ce jour ratifiée. Peut-on continuer ainsi ?

M. Philippe Bas, rapporteur. Non !

Mme Cécile Cukierman. Le débat peut-il s’accommoder d’une telle violation de la Constitution ? En tout état de cause, nous nous y opposerons, sur la forme comme sur le fond, notamment dans le domaine du droit du travail, parce que, dans ce projet de loi, comme dans celui dont l’examen a été interrompu voilà maintenant une semaine, un certain nombre d’ordonnances n’ont pas leur place.

Pour toutes ces raisons, vous l’aurez compris, nous voterons contre ce texte, véritable blanc-seing accordé à un pouvoir, qui, en fermant la porte au débat démocratique, se prive d’un outil indispensable à une lutte efficace contre la pandémie. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE.)

M. le président. La parole est à Mme Dominique Vérien. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)

Mme Dominique Vérien. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, lors de ma dernière intervention sur la question de l’état d’urgence, plus précisément sur celle de la sortie de l’état d’urgence, voilà quelques jours, juste avant que le projet de loi ne soit retiré pour passer en état d’urgence, je déplorais déjà l’état d’exception et l’éloignement forcé de nos règles démocratiques.

Comment ne pas insister aujourd’hui sur le sujet ? Je ne parle même pas du confinement. Je comprends qu’il faille protéger des vies et que le nombre de nos lits de réanimation soit trop faible. Faiblesse que je ne vous impute pas, madame la ministre : voilà longtemps que notre hôpital est malmené… Pour autant, je ne vous en exonère pas non plus, car c’est bien votre gouvernement, madame la ministre, qui souhaite fermer le centre d’appels d’urgence 15 d’Auxerre – je m’éloigne du sujet, quoique…

Je comprends donc qu’il faille confiner. Ce que je ne comprends pas, c’est que l’urgence sanitaire empêche toute concertation avec le Parlement.

Ce que je ne comprends pas, c’est que l’urgence sanitaire puisse potentiellement repousser des élections, mais ne permette pas de réfléchir à d’autres modalités de vote comme le vote par correspondance.

Alors, comme je ne suis pas la seule à me poser ces questions au sein de la commission des lois, des propositions vous ont été faites afin, tout en respectant la protection de chacun, de repositionner le Parlement au cœur de la vie démocratique.

Nous vous proposons ainsi de revenir chaque mois devant nous pour prolonger les mesures de confinement, le cas échéant. Au regard des restrictions annoncées, un tel dispositif nous apparaît comme une assurance nécessaire pour préserver nos libertés fondamentales.

Nous vous proposons aussi d’autres modes de vote pour que les élections à venir puissent se tenir. Comment imaginer que l’on ne puisse, à cause d’un virus, renouveler nos conseillers départementaux ou régionaux et demain, qui sait, le Président de la République ?

De même, nous avons réduit le champ des ordonnances. Alors, c’est vrai, prévoir de tout décider par ordonnance donne une véritable latitude au pouvoir. Mais le principe même de la démocratie veut que le peuple, à travers sa représentation nationale, puisse juger de l’opportunité des actions à mener. Se passer de notre avis est pratique, mais véritablement autocratique.

En outre, se passer de notre avis est aussi contre-productif : ne croyez-vous pas que vos mesures concernant la fermeture de certains commerces, par exemple, passeraient mieux si elles avaient été adoptées après concertation ? Si la liste des commerces avait pu être réfléchie ensemble, et donc défendue ensemble, ne serait-elle pas mieux acceptée ?

De même, ne croyez-vous pas qu’il aurait été plus constructif de débattre de la liste des ordonnances réellement nécessaires pour vous permettre d’être efficaces, plutôt que de la prévoir tellement large que l’on a l’impression que vous vous moquez de nous ? Comment pouvez-vous imaginer que nous vous donnions un blanc-seing, qui plus est pour une longue période ? Le Gouvernement a-t-il décidé définitivement de se passer de nous ?

Je ne serai pas plus longue. Le groupe Union Centriste votera la version sénatoriale de ce projet de loi, modifié et amélioré par notre rapporteur Philippe Bas.

Madame la ministre, nous vous invitons à consulter le Parlement et à discuter avec lui, car il ne demande pas mieux. C’est, soyez-en certaine, le cas du Sénat : nous ne demandons pas mieux que de vous accompagner dans ces périodes difficiles où il est préférable d’être unis. Mais, pour être unis, il faut la volonté des deux parties. (Applaudissements sur les travées du groupe UC, ainsi que sur des travées du groupe Les Républicains.)

M. le président. La parole est à Mme Marie-Pierre de La Gontrie. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)

Mme Marie-Pierre de La Gontrie. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, le Sénat se réunit aujourd’hui pour examiner un cinquième projet de loi sur l’état d’urgence sanitaire. Chaque fois, il a répondu présent.

Notre groupe, qui participait activement à ces réflexions dès le 23 mars dernier, a abordé ce texte avec un regard à la fois exigeant et ouvert. Cette ouverture et cette compréhension de la situation extrêmement difficile dans laquelle se trouvent notre pays et le Gouvernement nous ont amenés, voilà quelques instants, à approuver les propositions du Premier ministre à la suite des annonces, hier soir, du Président de la République.

Bien évidemment, il faut toujours garder à l’esprit que le Gouvernement doit pouvoir agir. Mais deux autres éléments doivent aussi être pris en compte : d’une part, le respect de notre constitution, le respect de l’équilibre des pouvoirs, le respect du Parlement ; d’autre part, les absences de ce texte.

Je rappellerai, sur le premier point, une phrase que nous connaissons tous : « Pour qu’on ne puisse abuser du pouvoir, il faut que, par la disposition des choses, le pouvoir arrête le pouvoir ». Montesquieu exprime purement et simplement ce que nous vivons aujourd’hui : le Parlement doit pouvoir, comme le prévoient les termes mêmes de la Constitution, limiter, encadrer, contrôler le pouvoir exécutif.

Or le choix que vous avez fait aujourd’hui est assez surprenant, sinon inquiétant : vous avez décidé de présenter dans un seul et même texte l’ensemble des dispositions contenues auparavant dans plusieurs textes, en décrétant une prolongation de plusieurs mois de l’état d’urgence sanitaire et en rendant dès à présent possible sa prorogation. Vous instaurez ainsi un régime valable jusqu’au mois d’avril prochain, sans qu’il soit besoin de revenir devant le Parlement. Ce n’est pas acceptable.

C’est d’autant moins acceptable que le Parlement a démontré sa capacité à délibérer avec l’adoption de la loi du 23 mars dernier, prorogée par la loi du 11 mai, avec l’adoption de la loi du 9 juillet permettant la sortie de l’état d’urgence sanitaire et avec l’examen, le 14 octobre dernier, et même si le débat a avorté, du projet de loi prorogeant le régime transitoire institué à la sortie de l’état d’urgence sanitaire. Non, ce n’est pas le Parlement qui empêche, et pourtant vous ne voulez pas de lui.

Ce choix n’est pas acceptable, raison pour laquelle notre groupe avait proposé des amendements visant à réduire de manière importante cette durée et à refuser l’article instaurant d’ores et déjà un régime de sortie d’état d’urgence sanitaire pour le mois de février. Une large majorité, pour ne pas dire unanimité, s’est manifestée en commission et nous avons pu, avec le rapporteur Philippe Bas, rendre les choses un peu plus conformes à l’esprit démocratique, mais nous aurons tout à l’heure l’occasion de défendre des amendements qui vont un peu plus loin.

Plusieurs de mes collègues ont déjà évoqué la question des ordonnances, à travers lesquelles le Parlement décide de remettre tous ses pouvoirs entre les mains de l’exécutif. Le recours aux ordonnances peut être justifié par l’urgence, ce que nous pouvions comprendre quand nous avons adopté la loi du 23 mars dernier – quoique : 70 habilitations dont certaines n’ont jamais été utilisées… Mais lorsque, sept mois plus tard, vous demandez de recourir de nouveau aux ordonnances, il ne s’agit plus d’urgence, mais plutôt d’une forme de désinvolture qui n’existe pas dans notre droit. Cela signifie aussi que vous considérez que le Parlement n’a pas de raison d’être. Encore une fois, ce n’est pas acceptable.

Mon groupe avait proposé de supprimer cet article ; le rapporteur et la majorité de la commission ont préféré élaguer considérablement les possibilités d’utiliser les ordonnances, ce qui est déjà un progrès.

Quid du fonctionnement de la démocratie ? Quelle curieuse chose de considérer que tout peut fonctionner, sauf les élections.

M. Philippe Bas, rapporteur. Très bien !

Mme Marie-Pierre de La Gontrie. Madame la ministre, j’ai cru comprendre que vous seriez vous-même candidate à une élection dans quelques semaines. Je vous suggère donc d’approuver, au nom du Gouvernement, les dispositions que nous proposons sur le vote par correspondance et sur le vote avec double procuration.

Comment peut-on imaginer que la démocratie ne fonctionne pas ? Dans cette période – et nous l’avons encore vu aujourd’hui – où notre pays est menacé dans ses fondements mêmes, comment peut-on penser que tout peut fonctionner, sauf la démocratie ? Notre groupe, notamment sur l’initiative de notre collègue Éric Kerrouche, propose cette solution depuis de nombreux mois. Nous espérons qu’elle sera enfin approuvée.

J’ai également évoqué la question des manques de ce texte. Singulièrement, ce projet de loi comporte peu de dispositions en matière sociale. À cet égard, votre présence au banc du Gouvernement est une bonne chose.

Cette question a été abordée lors de la présentation du plan Pauvreté, accueilli de manière assez fraîche par les associations, notamment sur la question du RSA jeunes. Mme Cukierman, entre autres, a également abordé ces questions. Nous ferons aussi des propositions.

Si notre groupe salue l’évolution positive du texte en commission, nous n’avons pas décidé, à ce stade, quel sera notre vote. Nous verrons, lors de l’examen des articles, quel état d’esprit guide le Sénat.

Je pense que nous devrions faire en sorte que la plus grande majorité des parlementaires, et pas seulement des sénateurs, approuve un texte commun. Il faut que nous arrivions à faire évoluer nos collègues députés pour que, demain, la commission mixte paritaire aboutisse à un texte qui nous fasse honneur. Ce n’est pas le cas aujourd’hui, raison pour laquelle nous ne pourrons nous prononcer qu’à la fin des débats. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)

M. le président. La parole est à Mme Muriel Jourda. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

Mme Muriel Jourda. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, deux votes aujourd’hui sur la gestion de la crise, deux votes aux finalités sensiblement différentes. Le groupe Les Républicains votera donc différemment.

Voilà quelques instants, nous discutions, en quelque sorte, de la confiance que nous pouvions accorder au Gouvernement dans la gestion de la crise. Notre vote a été très majoritairement négatif. Non pour déplaire au Gouvernement, mais parce que, comme nos concitoyens, nous nous posons un certain nombre de questions. Pourquoi, par exemple, inciter les Français à partir en vacances en cette période de la Toussaint, sachant qu’ils se sont assez naturellement déplacés des zones rouges vers les zones vertes, prenant ainsi le risque de disperser le virus ? Pourquoi s’enorgueillir d’un taux de tests enfin élevé, alors qu’aucune infrastructure suffisante n’a été mise en place pour en exploiter les résultats selon le fameux triptyque « tester, tracer, isoler » qui a donné tant de bons résultats dans les pays asiatiques ?

M. Philippe Bas, rapporteur. Tout à fait !

Mme Muriel Jourda. Pourquoi fermer aujourd’hui des commerces ayant adopté les gestes barrières depuis des semaines ? En quoi serait-il plus dangereux d’aller chez le cordonnier que d’acheter une baguette ? Ces questions ont en partie justifié notre vote négatif sur la confiance.

Mais nous discutons désormais non plus de la mise en œuvre des moyens, mais des moyens qu’il convient d’accorder au Gouvernement pour gérer cette crise. Nous sommes aujourd’hui dans le cadre d’un régime de sortie de l’état d’urgence qui confère déjà des pouvoirs importants à l’exécutif.

Le Gouvernement sollicite le bénéfice du régime d’état d’urgence, déjà décrété, mais qui ne peut être prolongé au-delà d’un mois sans l’aval du Parlement. Cette demande est motivée par l’augmentation non seulement des cas positifs au covid, mais surtout des hospitalisations et du nombre de personnes en réanimation. Ces éléments sont réels. Ce n’est pas aujourd’hui le moment de mener le débat de la responsabilité. Il faut répondre à cette situation et le groupe Les Républicains va voter ce texte, mais pas à tout prix.

Tous les orateurs l’ont souligné, et je ne voudrais pas paraphraser le Premier ministre, les institutions sont le soutien de la démocratie ; les institutions, dans leur force et dans leur équilibre. Comme le prévoit la Constitution, le Gouvernement peut prendre des décisions, mais le Parlement les contrôle. Et M. le rapporteur l’a dit, plus nous confions de décisions au Gouvernement, plus notre contrôle doit être fort. Sous l’égide de notre rapporteur, nous avons adopté, en commission des lois, des dispositifs différents de ceux que nous proposait le Gouvernement, afin de nous assurer justement un contrôle plus fort.

Ces dispositifs ont été rappelés : il s’agit d’abord de ne pas permettre d’instaurer l’état d’urgence sur une durée excessivement longue. Il faudra revenir beaucoup plus tôt devant le Parlement. Il s’agit aussi de mieux contrôler – et plus rapidement – la plus liberticide des dispositions, le confinement. Il s’agit encore de ne pas permettre de rétablir le régime de sortie d’état d’urgence sans revenir devant le Parlement pour pouvoir échanger et discuter. Ces éléments nous paraissent essentiels pour faire en sorte que le contrôle parlementaire puisse avoir lieu d’une façon régulière et que le Gouvernement ne se retrouve pas « la bride sur le cou » pour utiliser les pouvoirs si forts qu’il nous réclame aujourd’hui.

Nous avons eu un débat récurrent sur les ordonnances lors de l’examen de chaque texte relatif à cette crise particulière depuis le mois de mars dernier. Dans un premier temps, nous avons permis au Gouvernement d’empiéter sur le domaine législatif. Nous n’avons pas discuté, car nous étions d’accord sur l’urgence qui justifiait l’application de telles dispositions.

Cette urgence, le Gouvernement ne peut plus s’en prévaloir aujourd’hui. L’adoption des propositions de la commission des lois nous semble donc assez naturelle, à savoir une diminution du nombre d’ordonnances – sachant que le Gouvernement semblait parfois ne pas savoir ce qu’il entendait faire de ce pouvoir – et l’inscription en clair dans la loi des dispositions du ressort de la loi qui peuvent d’ores et déjà être prises.

Enfin, je voudrais évoquer la démocratie. L’urgence sanitaire existe et rend plus difficile l’exercice de la démocratie par le jeu des élections – nous l’avons vu lors des dernières municipales. Toutefois, le devoir du Parlement est sans doute d’essayer de pallier cette difficulté en trouvant les moyens à même de permettre à la démocratie de s’exprimer. Le virus ne peut pas confisquer la démocratie.

C’est ce qu’a fait la commission des lois, grâce à un assez large accord, transpartisan, sur les procurations ou sur le vote par correspondance afin d’éviter de créer des foyers de contamination dans les bureaux de vote. Cette question n’est pas la moindre.

Le groupe Les Républicains approuvera, ainsi modifié, ce projet de loi qui confie certes des pouvoirs au Gouvernement, mais qui permet aussi de les contrôler au plus près. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – M. Jean-Pierre Sueur applaudit également.)