Mme la présidente. La parole est à M. le secrétaire d’État.

M. Cédric O, secrétaire dÉtat auprès du ministre de léconomie, des finances et de la relance et de la ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales, chargé de la transition numérique et des communications électroniques. Monsieur le sénateur, votre question s’adressant plutôt à Gérald Darmanin, je ne suis pas capable de vous indiquer la date à laquelle ce texte sera inscrit à l’ordre du jour des travaux du Sénat. Quand le Gouvernement soumet à l’examen des députés un texte, en particulier un texte qui porte sur un sujet certes polémique, mais important sur le plan politique, sa volonté, c’est bien d’aller au bout. Il ne le fait probablement pas pour la galerie !

Je vous confirme donc que, en toute logique, le Gouvernement agira aussi vite que possible.

J’en profite pour évoquer un élément qui fait débat, à savoir la question de l’intentionnalité. On le voit, une partie des problèmes que l’on rencontre sur internet sont le fait de personnes « spécialisées » dans la haine en ligne ou malintentionnées et qui « jouent » avec les règles en vigueur.

Cette remarque me permet de faire le lien avec la question de la divulgation des identités personnelles qu’a évoquée le Premier ministre, non sans faire l’objet de quelques moqueries sur les réseaux sociaux : il est déjà possible de sanctionner quelqu’un qui aurait diffusé, avec de mauvaises intentions, l’identité ou l’adresse d’un tiers ; mais on ne peut comparer ce type de comportement avec celui d’un hacker qui volerait les bases de données d’une entreprise pour les publier sur internet ou qui révélerait l’identité et l’adresse d’Untel ou d’Unetelle, donnerait le nom de l’école de ses enfants, en disant que cette personne s’est exprimée contre telle religion, contre telle personne ou qu’elle a émis telle opinion politique, dans l’intention de lui nuire.

C’est aussi ce qui est au cœur du débat sur la diffusion d’images montrant des policiers.

Sans entrer dans le débat, je peux quand même indiquer qu’il faut trouver un équilibre entre contrôle, liberté de la presse et capacité à protéger ceux que nous voulons précisément protéger. Je comprends, sinon l’opposition, du moins les réticences d’une partie de la population ou d’une partie des tenants du débat public face à cette disposition. Il n’en demeure pas moins que la question reste entière. Il leur faut donc proposer d’autres solutions.

Mme la présidente. La parole est à M. Marc Laménie.

M. Marc Laménie. Tout d’abord, je remercie le groupe Les Indépendants – République et Territoires et son président Claude Malhuret d’avoir inscrit à l’ordre du jour ces sujets de société particulièrement sensibles dont je ne suis pas du tout un spécialiste, n’étant pas présent sur les réseaux sociaux : je possède simplement un tout petit téléphone portable. Je peux donc témoigner avec une autre vision des choses.

Malheureusement, comme l’ont indiqué les collègues qui sont intervenus avant moi, nombre de personnes sont victimes de ces agissements problématiques, notamment les forces de sécurité, les sapeurs-pompiers, les policiers, les militaires, les gendarmes, sans oublier les personnes fragiles, en particulier les jeunes.

Nous avons également évoqué ce sujet au sein de la délégation aux droits des femmes.

Monsieur le secrétaire d’État, comment lutter contre ce phénomène et protéger ceux qui en sont victimes ? Même si la justice doit agir, je pense plutôt aux actions de sensibilisation et de prévention que doit mener l’éducation nationale.

Mme la présidente. La parole est à M. le secrétaire d’État.

M. Cédric O, secrétaire dÉtat auprès du ministre de léconomie, des finances et de la relance et de la ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales, chargé de la transition numérique et des communications électroniques. Monsieur le sénateur, avec votre question, vous êtes loin d’être hors sujet ; vous y êtes pleinement !

Votre situation est celle de nombre de Françaises et de Français qui ne sont pas forcément des adeptes des réseaux sociaux,…

M. François Bonhomme. Ça va arriver !

M. Cédric O, secrétaire dÉtat. … qui les utilisent plus ou moins et qui se demandent comment une telle folie a pu arriver.

D’abord, et nous devons tous en avoir conscience et l’accepter – ce qui est difficile sur le plan politique – : il n’existe pas de solution simple dans ce domaine ni de solution « packagée ». Autrement dit, il va falloir continuer à mener des expérimentations qui fonctionneront plus ou moins bien.

Le fond du sujet, pour rebondir sur votre propos, c’est bien la formation des gens, leur éducation. Une partie de la population ne comprend plus le monde dans lequel elle évolue, ne comprend plus la manière dont ce monde fonctionne. Oui, il faut mettre le paquet sur l’éducation !

En la matière, nous sommes un peu en retard, même si tout dépend de la façon dont on voit les choses. En effet, la France est le premier pays de l’OCDE à avoir généralisé la formation au numérique, aux codes et à l’ensemble de l’environnement numérique dès la seconde, et ce à hauteur d’une heure et demie par semaine.

Par ailleurs – et je le dis à dessein devant le Sénat –, il appartient aux collectivités de demander à pouvoir disposer de médiateurs numériques, qui seront déployés partout en France et financés à 100 % sur deux ans ou à 70 % sur trois ans. Passez le message, mesdames, messieurs les sénateurs ! L’objectif est d’en déployer 4 000 sur tout le territoire, ce qui n’est pas négligeable.

Vous avez raison, monsieur le sénateur, nous ne nous pourrons faire l’économie d’un effort afin que la population française progresse dans sa compréhension d’internet, du numérique, de son mode de fonctionnement. D’ailleurs, cela ne concerne pas uniquement les personnes âgées : on croise beaucoup de jeunes dans les sessions de formation sur au numérique, qui, s’ils sont très forts pour se servir de leur téléphone portable, le sont largement moins quand il s’agit de rédiger un CV ou d’actualiser leur situation sur le site de Pôle emploi.

M. François Bonhomme. On va s’inscrire, alors ! (Sourires.)

Mme la présidente. La parole est à M. Marc Laménie, pour la réplique.

M. Marc Laménie. Monsieur le secrétaire d’État, je vous remercie beaucoup de vos explications. Vous êtes très compétent dans ce domaine, et c’est important. Les actions à mener dans ce domaine sont nombreuses. Il faut privilégier les fondamentaux que sont la lecture et l’écrit.

Mme la présidente. La parole est à Mme Brigitte Lherbier.

Mme Brigitte Lherbier. Monsieur le secrétaire d’État, si les divergences d’opinions sont nécessaires pour faire vivre notre démocratie, les discours de haine, l’expression de propos discriminatoires ou les appels à la violence doivent naturellement être sanctionnés. De tels propos nuisent en effet à l’essence même de notre État de droit et au débat républicain.

Certains, dans l’hémicycle ou sur les bancs des ministres, en ont déjà été la cible.

J’ai eu l’occasion de travailler avec l’association Point de contact, reconnue pour son expertise dans la lutte contre les contenus pédopornographiques et terroristes. Cette association avait été présentée par le général de gendarmerie Watin-Augouard, fondateur du forum international de cybercriminalité, qui se tient tous les ans à Lille. Créée en 1998, Point de contact est une plateforme de signalement de contenus illicites et haineux à destination du grand public.

Après avoir trié et qualifié juridiquement les contenus signalés, cette association permet de transmettre à la plateforme Pharos du ministère de l’intérieur les alertes repérées pour que les autorités puissent ouvrir des enquêtes et engager d’éventuelles poursuites judiciaires.

Les membres de structures comme celles-ci sont durement exposés, physiquement et psychologiquement, à la haine et à la violence qui se déchaînent sans filtre sur internet – sans parler des images insoutenables qu’elles sont parfois amenées à visionner.

Ces organismes mettent notamment à la disposition de leurs employés des psychologues pour les suivre. D’ailleurs, de nombreux professionnels de la modération de contenus demandent que leur profession soit reconnue par la médecine du travail comme étant de grande pénibilité.

Monsieur le secrétaire d’État, que pensez-vous de cette demande légitime ? Il faut aider ces structures, surchargées et en sous-effectifs, qui manquent de moyens. Car elles peuvent faire beaucoup dans cette lutte contre la haine.

Mme la présidente. La parole est à M. le secrétaire d’État.

M. Cédric O, secrétaire dÉtat auprès du ministre de léconomie, des finances et de la relance et de la ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales, chargé de la transition numérique et des communications électroniques. Madame la sénatrice, puisque vous la citez, je vous indique que l’association Point de contact fait partie du groupe de contact permanent où siègent le ministère de l’intérieur, les plateformes et un certain nombre d’associations, d’ONG ou d’intervenants œuvrant dans ce domaine.

Nous sommes là face à un sujet de société, qui ne concerne pas seulement le Gouvernement et les institutions. Si nous voulons faire progresser notre société, réussir à faire reculer la haine en ligne, expliquer aux jeunes et aux moins jeunes ce qu’il est possible de faire sur internet et ce qu’il n’est pas possible d’y faire – ce qui n’est pas tout à fait évident –, nous avons besoin de tout le monde : les associations, les éducateurs de terrain, les professeurs, les policiers, les juges, etc. Les médias ont également un rôle indispensable à jouer.

Vous évoquez le rôle des modérateurs, qui font un travail extrêmement pénible. Vous avez raison : il faut réaliser ce en quoi consiste la journée de travail d’un modérateur, qu’il exerce dans les médias ou qu’il soit chargé d’expurger les contenus haineux.

Pour ma part, j’ai vu et revu, pour des raisons professionnelles, les images des attentats survenus au Niger ou celles de la décapitation de Samuel Paty. À mon humble niveau, ces images sont difficiles à voir, mais j’y étais obligé, devant rapidement alerter le patron de Twitter et celui de Facebook pour qu’ils les fassent retirer.

Ces images, je les ai vues une fois au cours de ma journée – sauf celles des attentats du Niger, que j’ai dû visionner à plusieurs reprises, étant en vacances à ce moment-là. Ces modérateurs, eux, ont le nez en permanence sur ces poubelles de notre société qu’ils sont chargés de vider.

Oui, c’est un métier extrêmement pénible. Pour autant, je serai très honnête avec vous : je ne sais que répondre spécifiquement à la question que vous me posez d’une reconnaissance de la pénibilité de leur travail, ne connaissant pas exactement le cadre juridique dans lequel il s’exerce. Mais il serait logique, en effet, de reconnaître son caractère difficile et pénible.

Mme la présidente. La parole est à Mme Brigitte Lherbier, pour la réplique.

Mme Brigitte Lherbier. Monsieur le secrétaire d’État, c’était pour moi l’occasion de mettre en avant le travail très important que font ces associations au regard du sujet dont nous débattons aujourd’hui.

Mme la présidente. La parole est à M. Guillaume Chevrollier.

M. Guillaume Chevrollier. Je salue l’initiative qui a été prise d’organiser ce débat intitulé : « Contenus haineux sur internet : en ligne ou hors ligne, la loi doit être la même. »

En effet, préserver la liberté d’expression, lutter contre les contenus haineux sans censurer : il est bien difficile de cerner cette limite par la loi dans un monde complexe, vous l’avez dit, monsieur le secrétaire d’État.

Nous devons protéger à tout prix cette liberté d’expression qui est garantie par la Constitution et qui pourtant recule partout en France.

Je le dis fermement : notre liberté d’expression n’est pas négociable. Mais la liberté d’expression n’est pas la seule valeur de notre société : il y a aussi le respect, la décence, le bien commun.

Nous devons aussi refuser et combattre cette augmentation et cette banalisation de la violence, décuplées par la puissance des réseaux sociaux qui, parfois, attisent et prêchent la haine.

Nous devons aussi nous pencher sur les raisons de cette augmentation de la violence. Il y a aujourd’hui un problème d’éducation à cette liberté d’expression, à ses excès, mais aussi un vrai problème moral.

Cette liberté d’expression n’est pas toujours bien comprise et bascule parfois dans la calomnie, l’injure, et produit ainsi de la violence.

La liberté d’expression, c’est la contradiction, le débat, la recherche de la vérité. À l’époque des attentats de 2015, le philosophe Régis Debray avait une formule que je trouve intéressante : « Le désert des valeurs fait sortir les couteaux. »

Dans un monde si relativiste, où l’on déconstruit les notions d’autorité, de respect et où il n’y a plus de vérité, mais des vérités, comment s’étonner de cette montée de la violence ?

Je suis également frappé que, aujourd’hui, en France, pays démocratique, on ne puisse plus dire certaines choses ni engager certains débats.

La censure n’est pas la solution, et je suis opposé à ce que les GAFA régulent notre liberté d’expression. Ne créons pas une police de la pensée. J’ajoute que la notion de « contenu haineux » n’est pas définissable et ne peut faire l’objet d’aucune définition juridique. Néanmoins, il me semble qu’il y a un vrai travail à faire en amont pour éduquer à l’esprit critique, à la raison, au débat dans le respect : on combat un adversaire non pas en le bâillonnement juridiquement, mais avec des arguments.

Il faudrait pouvoir faire davantage de prévention et d’éducation sur une utilisation civique et responsable des réseaux sociaux.

Mme la présidente. Veuillez poser votre question !

M. Guillaume Chevrollier. Monsieur le secrétaire d’État, comment créer, selon vous, les conditions d’un débat serein en France ?

Mme la présidente. La parole est à M. le secrétaire d’État.

M. Cédric O, secrétaire dÉtat auprès du ministre de léconomie, des finances et de la relance et de la ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales, chargé de la transition numérique et des communications électroniques. Monsieur le sénateur, puisque je réponds à la dernière question, je veux remercier le groupe Les Indépendants et l’ensemble du Sénat d’avoir pris l’initiative d’organiser ce débat intéressant qui, je le pense, nous a permis d’avancer, hors de toute polémique politique. Nous avons besoin de davantage d’échanges de ce type, dans un cadre apaisé, pour que nous puissions trouver des solutions.

Monsieur le sénateur, vous évoquez un sujet encore plus complexe que la haine en ligne : celui de la désinformation et de sa propagation. Car ces contenus ne sont pas illégaux, ou presque jamais. Par exemple, il est difficile de dire du film Hold-up, dont j’ai demandé une analyse juridique, qu’il se situe dans l’illégalité. Tout au plus pourrait-on envisager la qualification de mise en danger de la vie d’autrui. Et encore, ce serait compliqué à prouver.

Pourtant, on mesure l’impact désastreux que peuvent avoir de tels films, vus et crus par nombre de nos concitoyens, sur le débat public, sur notre démocratie et sur la sécurité sanitaire d’une partie de nos concitoyens, à tout le moins.

Il y a là un indispensable travail d’éducation à l’esprit critique et à la pensée critique à mener, ce dont Jean-Michel Blanquer est parfaitement conscient.

Ce n’est pas en dénonçant une affirmation comme fausse et en proclamant la vérité que l’on réussira mener ce combat. Je vous renvoie notamment aux écrits du sociologue Gérald Bronner, dont je considère les travaux sur la désinformation comme étant les plus intéressants – ce n’est d’ailleurs pas sans lien avec la déradicalisation.

Il faut éduquer les gens à exercer leur esprit critique, ce qui ne peut se faire en une session d’une heure ou deux. Ce travail de long terme est la seule solution pérenne et durable dont disposent les démocraties pour combattre cette désinformation.

Nous ne sommes pas au bout du chemin, et c’est une question extrêmement importante.

Conclusion du débat

Mme la présidente. En conclusion de ce débat, la parole est à M. Pierre-Jean Verzelen, pour le groupe auteur de la demande.

M. Pierre-Jean Verzelen, pour le groupe Les Indépendants – République et Territoires. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, je remercie le Gouvernement et l’ensemble de nos collègues de leurs contributions, de leurs analyses et de leurs propositions sur un sujet qui nourrit, à juste titre, beaucoup de débats en France, en Europe et dans le monde.

Facebook en 2004, YouTube en 2005, Twitter en 2006, puis Instagram, Snapchat et, plus récemment, TikTok, tous rencontrent un succès assez phénoménal auprès de ceux qui ont accès à internet et aux smartphones.

Si ces publications, ces stories, ces hashtags rencontrent un grand succès, c’est qu’ils répondent à des aspirations profondes : s’exprimer, communiquer, partager.

Les réseaux sociaux ont bouleversé nos vies, le journal de vingt heures a été remplacé pour beaucoup par un fil d’actualité, l’article de presse, l’éditorial a été balayé par un post, le coup de fil à un ami s’est transformé en une accumulation de notifications et d’échanges de messages. On peut le regretter, on peut l’approuver, on peut le critiquer, mais, aussi vrai que le soleil se lève à l’est et qu’il se couche à l’ouest, c’est un fait qui fait partie de nos vies et nous ne reviendrons pas en arrière.

M. Julien Bargeton. C’est juste !

M. Pierre-Jean Verzelen. Si – et nous sommes d’accord pour l’affirmer – une écrasante majorité utilise les réseaux sociaux de manière bienveillante, certains s’en servent pour développer des théories fumeuses pour déverser leur haine et pour insulter l’intelligence collective.

Sous couvert de la liberté d’expression, ils mettent en danger la liberté, la vraie, celle des idées, celle des arguments, du débat, celle qui permet à une société de s’additionner et de progresser.

Au final, ils nous interrogent et nous mettent devant nos responsabilités sur un enjeu essentiel, celui du vivre ensemble.

La question qui nous est posée est celle-ci : comment trouver les moyens de réguler les réseaux sociaux ?

Chaque Française, chaque Français, dans sa vie publique, doit, partout et chaque fois, prouver qui il est, assumer son identité, justifier de sa situation, d’un lieu d’habitation, montrer son visage. Partout et chaque fois, sauf sur internet et sur les réseaux sociaux !

Les Facebook, Google et Twitter sont trop contents d’accumuler, sans aucun contrôle, les profils, synonymes pour eux d’autant de pub’ et de données à revendre. Il faut en finir avec le règne du pseudo-anonymat !

C’est la responsabilité individuelle qui crée les conditions du vivre ensemble. C’est l’anonymat qui crée l’irresponsabilité qui engendre, pour beaucoup, les débordements, les mises en cause et les insultes qui gangrènent les réseaux sociaux.

La presse, la télévision, l’ensemble des médias sont responsables devant la loi des contenus qu’ils publient. Pourquoi en irait-il autrement des réseaux sociaux ? La même loi doit s’appliquer à tous les éditeurs de contenu.

M. Emmanuel Capus. Très bien !

M. Pierre-Jean Verzelen. Les algorithmes de Google et de Facebook sont assez puissants pour connaître la marque des chaussures que nous portons, les lieux que nous fréquentons et les personnes que nous avons croisées récemment. Mais les mêmes algorithmes ne sont pas en mesure de bloquer les profils suspects, d’empêcher les appels à la haine et de casser les groupes de farfelus ou de dangereux qui se réunissent : mensonge, triple mensonge !

La vérité, c’est que ces plateformes ont une obsession, une priorité : le nombre d’utilisateurs, donc la valorisation du cours en Bourse et l’optimisation fiscale – ou plutôt l’évasion fiscale.

Nous ne devons pas rester impuissants. Plusieurs orateurs l’ont rappelé : certains pays d’Europe ont pris des mesures, qui ont en partie donné des résultats. En France, un pas avait été fait avec la loi Avia, dont les principaux articles ont été censurés par le Conseil constitutionnel.

Le législateur, le Gouvernement et les instances européennes doivent être à l’initiative d’un nouveau cadre qui contraindra les réseaux sociaux à lever l’anonymat et leur fera assumer leur responsabilité devant la loi. Le Conseil constitutionnel doit l’entendre : au nom d’une fausse liberté d’expression, on risque de laisser une minorité prendre le pas sur la majorité.

Mes chers collègues, ne jamais laisser mettre en cause les fondements de la démocratie et de la République : telle est notre responsabilité ! (Applaudissements sur les travées des groupes INDEP, RDPI et Les Républicains.)

Mme la présidente. Mes chers collègues, nous en avons terminé avec le débat intitulé : « Contenus haineux sur internet : en ligne ou hors ligne, la loi doit être la même. »

5

Communication relative à une commission mixte paritaire

Mme la présidente. J’informe le Sénat que la commission mixte paritaire chargée d’élaborer un texte sur les dispositions restant en discussion du projet de loi relatif au retour de biens culturels à la République du Bénin et à la République du Sénégal n’est pas parvenue à l’adoption d’un texte commun.

Mes chers collègues, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à quatorze heures trente.

La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à douze heures trente-cinq, est reprise à quatorze heures trente, sous la présidence de M. Gérard Larcher.)

PRÉSIDENCE DE M. Gérard Larcher

M. le président. La séance est reprise.

6

 
Dossier législatif : projet de loi de finances pour 2021
Discussion générale (suite)

Loi de finances pour 2021

Discussion d’un projet de loi

Discussion générale (début)
Dossier législatif : projet de loi de finances pour 2021
Question préalable

M. le président. L’ordre du jour appelle la discussion du projet de loi de finances pour 2021, adopté par l’Assemblée nationale (projet n° 137, rapport général n° 138).

Dans la discussion générale, la parole est à M. le ministre délégué chargé des comptes publics.

M. Olivier Dussopt, ministre délégué auprès du ministre de léconomie, des finances et de la relance, chargé des comptes publics. Monsieur le président, monsieur le président de la commission des finances, monsieur le rapporteur général, mesdames, messieurs les sénateurs, j’ai l’honneur de vous présenter le projet de loi de finances pour 2021 tel qu’il a été adopté, il y a quelques jours, par l’Assemblée nationale.

Vous le savez, c’est un texte singulier et même exceptionnel à bien des égards. Je vous le présente alors que notre pays traverse une crise sanitaire inédite, dominée par l’inquiétude et l’incertitude, même si les chiffres de l’épidémie semblent s’améliorer depuis quelques jours. Dans le même temps, nous subissons une crise aux conséquences sévères pour notre économie et tout particulièrement pour nos commerces.

Mesdames, messieurs les sénateurs, les circonstances présentes exigent l’unité et la responsabilité : c’est ce dont le Parlement a fait preuve depuis plusieurs mois, notamment en adoptant plusieurs lois de finances rectificatives, dont les mesures permettent d’apporter une réponse massive à la crise. Tout récemment encore, dans la nuit de lundi à mardi, vous avez adopté un quatrième projet de loi de finances rectificative (PLFR 4), ce dont je vous remercie. L’accord trouvé en commission mixte paritaire permet d’envisager l’adoption et la mise en œuvre de ce texte dans les meilleurs délais.

Ainsi, face à cette crise épidémique et économique sans précédent, le Gouvernement a mis en œuvre une réponse massive. Avec le PLFR 4, nous avons engagé plus de 86 milliards d’euros de dépenses. Nous avons également pris des mesures dont l’efficacité semble avérée.

Nous avons proposé des prêts garantis par l’État (PGE) et reporté la date jusqu’à laquelle ils pourront être souscrits ou rechargés. En parallèle, nous avons mené à son terme une négociation avec la Fédération bancaire française quant aux conditions de remboursement et aux différés de première échéance.

Nous avons mis en place un dispositif de financement de l’activité partielle à un niveau inédit pour ce qui nous concerne et inégalé sur la scène européenne. Ce faisant, nous avons pu prendre en charge jusqu’à 12 millions de personnes lors du premier confinement.

Nous avons mis en place un fonds de solidarité, aujourd’hui bien connu, qui a profité à plus de 2 millions d’entreprises et dont les critères ont été revus à l’aune des débats parlementaires et de diverses contributions. Désormais, ce fonds bénéficie aux entreprises employant jusqu’à 50 salariés, pour des montants pouvant atteindre 10 000 euros par mois.

Nous avons accompagné ces outils de reports massifs de charges, pour une trentaine de milliards d’euros, et de dispositifs d’exonération. En incluant les exonérations que nous accordons au titre du second confinement, le total devrait dépasser les 8 milliards d’euros.

Face à la seconde vague épidémique, nous avons fait le choix, avec Bruno Le Maire, de renforcer ces outils et d’y ajouter une aide à la prise en charge des loyers, à savoir un crédit d’impôt au bénéfice des bailleurs. Ce dispositif a été introduit par voie d’amendement à l’Assemblée nationale ; vous serez appelés à l’examiner au titre des articles non rattachés.

Dans ce contexte, le projet de loi de finances pour 2021 revêt une importante particulière. Il doit permettre au Gouvernement de donner à notre pays les moyens de la relance économique, pour le sortir de la crise, de tenir ses engagements et de financer ses priorités. Il doit également prendre en compte, en suivant un double objectif de sincérité budgétaire et de réalisme économique, les dernières évolutions de la pandémie et ses conséquences sur nos hypothèses macroéconomiques comme sur la trajectoire des finances publiques. Tels sont les trois points sur lesquels je m’appesantirai.

Premièrement, je tiens à rappeler que le projet de loi de finances pour 2021 est le principal vecteur du plan de relance.

Ce plan de relance s’élève à 100 milliards d’euros, dont 14 milliards d’euros seront apportés par divers organismes – je pense à la Banque publique d’investissement, à la sécurité sociale ou encore à l’Unédic, pour ce qui concerne l’activité partielle – et 86 milliards d’euros relèveront directement de l’État.

La baisse des impôts de production sera de l’ordre de 20 milliards d’euros. À cet égard – nous aurons l’occasion d’y revenir –, les collectivités territoriales bénéficieront d’une compensation intégrale, qu’il s’agisse de la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises (CVAE), qui concerne spécifiquement les régions, de la cotisation foncière des entreprises (CFE) ou de la taxe foncière sur les propriétés bâties frappant les locaux industriels. Les 66 milliards d’euros restants sont constitués de crédits budgétaires, que l’État déploie pour accompagner la reprise économique.

Le programme d’investissements d’avenir 4 (PIA 4) représente 11 de ces 66 milliards d’euros. En parallèle, 16,5 milliards d’euros sont répartis entre différentes missions, dont nous débattrons en seconde partie. Par exemple, nous avons considéré que les crédits en faveur de l’insertion par l’activité économique seraient plus utilement et plus efficacement gérés et déployés s’ils relevaient de la mission « Travail et emploi » plutôt que de la mission « Plan de relance ».

De plus, parmi ces 16,5 milliards d’euros, un certain nombre de crédits ont déjà fait l’objet d’une adoption par le Parlement. Je pense aux dispositifs de soutien aux collectivités territoriales et notamment à la tranche supplémentaire de dotation de soutien à l’investissement local (DSIL) votée à l’occasion du PLFR 3. Vous le verrez en examinant l’article 46 du projet de loi de finances : nous veillons à ce que les crédits non engagés soient bien reconductibles en 2021. Ainsi, la fin de l’exercice budgétaire n’entraînera pas de perte pour les collectivités.

Enfin, la mission « Plan de relance » regroupe 22 milliards d’euros de crédits de paiement et 36,4 milliards d’euros d’autorisations d’engagement répartis en trois programmes : le programme « Écologie », qui finance notamment la transition énergétique, pour 18,4 milliards d’euros ; le programme « Cohésion », qui a pour objet la cohésion sociale et territoriale, pour 12 milliards d’euros ; et le programme « Compétitivité », pour 6 milliards d’euros.

Cette concentration est le fruit d’une volonté délibérée du Gouvernement et, en particulier, du ministère de l’économie, des finances et de la relance : elle nous permet de disposer de trois programmes massifs. En outre, la possibilité de fongibilité et de redéploiement des crédits au sein d’un même programme garantit l’application des clauses de revoyure en cas de retard dans la mise en œuvre d’un volet du plan de relance. Ainsi, nous pourrons financer les projets qui avancent, sans perdre de temps avec les projets qui viendraient à être freinés, voire à s’arrêter.

Pour certains, mieux vaudrait reporter le plan de relance. Ce n’est pas notre analyse – j’observe d’ailleurs que, bien souvent, les mêmes avaient d’abord jugé cette réponse trop tardive…

À nos yeux, au-delà des mesures d’urgence adoptées au titre du PLFR 4, la relance économique est justement l’un des moyens de répondre à la crise : il convient de soutenir l’activité pour retrouver au plus vite le niveau de production que nous connaissions à la fin de 2019.

C’est pourquoi nous avons assorti ce plan de mesures spécifiques, comme le crédit d’impôt pour les bailleurs. C’est pourquoi nous voulons qu’il soit mis en œuvre rapidement : notre objectif est que son décaissement atteigne 50 % d’ici à la fin de l’année 2021, ce qui représente une dizaine de milliards d’euros au titre de 2020 et une quarantaine de milliards d’euros au titre de 2021, par le truchement des missions et des opérateurs que j’ai évoqués.

Deuxièmement, ce budget permettra au Gouvernement de tenir les engagements pris, à commencer par le financement de ses priorités politiques.

Vous pourrez constater que nous renforçons le budget des ministères régaliens. Le ministère de l’intérieur voit ses moyens augmenter de plus de 430 millions d’euros. Le ministère des armées voit ses moyens augmenter de 1,7 milliard d’euros, conformément à la loi de programmation militaire (LPM). Le ministère de la justice voit ses crédits augmenter de 610 millions d’euros, ce qui représente une hausse de 8 %. Cette progression est d’une ampleur inédite, tant en volume qu’en pourcentage. L’objectif est double : rattraper, et même dépasser, la trajectoire fixée par la loi de programmation et de réforme pour la justice et assurer le déploiement de la justice de proximité.