Présidence de M. Roger Karoutchi

vice-président

Secrétaires :

Mme Françoise Férat,

M. Joël Guerriau.

M. le président. La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à onze heures.)

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Procès-verbal

M. le président. Le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué.

Il n’y a pas d’observation ?…

Le procès-verbal est adopté sous les réserves d’usage.

2

 
Dossier législatif : projet de loi de programmation de la recherche pour les années 2021 à 2030 et portant diverses dispositions relatives à la recherche et à l'enseignement supérieur
Discussion générale (suite)

Programmation de la recherche pour les années 2021 à 2030

Adoption définitive des conclusions d’une commission mixte paritaire sur un projet de loi

M. le président. L’ordre du jour appelle l’examen des conclusions de la commission mixte paritaire chargée d’élaborer un texte sur les dispositions restant en discussion du projet de loi de programmation de la recherche pour les années 2021 à 2030 et portant diverses dispositions relatives à la recherche et à l’enseignement supérieur (texte de la commission n° 117, rapport n° 116).

Dans la discussion générale, la parole est à Mme la rapporteure.

Discussion générale (début)
Dossier législatif : projet de loi de programmation de la recherche pour les années 2021 à 2030 et portant diverses dispositions relatives à la recherche et à l'enseignement supérieur
Articles 1er A et 1er B

Mme Laure Darcos, rapporteure pour le Sénat de la commission mixte paritaire. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, le vote que nous allons exprimer aujourd’hui marque la dernière étape du travail dense et intense que nous avons mené jusqu’alors sur le projet de loi de programmation de la recherche pour les années 2021 à 2030.

La commission mixte paritaire, qui s’est réunie le mardi 9 novembre dernier, est parvenue à l’accord que nous vous soumettons aujourd’hui.

L’examen du projet de loi a été réalisé dans des délais très courts, et je tiens à souligner la qualité du travail effectué dans notre assemblée par l’ensemble des groupes, qui ont tous contribué à l’élaboration du texte, signe que, sur certains sujets, nous pouvons dépasser nos appartenances partisanes. Les débats ont été riches, constructifs et ont démontré l’attachement du Sénat à la pérennité de notre recherche.

Je souhaite également saluer le travail des rapporteurs de l’Assemblée nationale, qui se sont montrés ouverts aux propositions du Sénat, ainsi que le Gouvernement, qui a su écouter et, parfois, se laisser convaincre. Je vous remercie donc, madame la ministre, pour la qualité de nos échanges.

Je crois que le texte proposé aujourd’hui est meilleur que lorsque nous en avons entamé l’examen. Cependant, il nous faut reconnaître et accepter que cet accord repose sur un compromis. Les apports du Sénat n’ont donc pas tous été conservés dans le texte final ; je le regrette, bien entendu.

Je pense tout particulièrement à la durée de programmation. Avec le soutien et l’expertise de notre collègue Jean-François Rapin de la commission des finances, nous avons tenu un discours de vérité, fondé sur des arguments comptables incontestables, relativisant par là même l’effort sur dix ans proposé par le Gouvernement, en présentant une programmation plus courte et plus efficace.

Jusqu’à la dernière minute – je dois bien le dire –, nous avons plaidé pour adresser ce signal fort et rassurant à la communauté de la recherche. Hélas, il nous a fallu nous rallier à la position des députés lors de la commission mixte paritaire. Pour autant, le Sénat a obtenu une amélioration notable de la trajectoire budgétaire par l’intégration de crédits issus du plan de relance : 428 millions d’euros sont attribués à l’Agence nationale de la recherche (ANR) sur deux ans ; 100 millions d’euros seront affectés, dès 2021, à la préservation de l’emploi dans le secteur privé de la recherche et du développement.

Soyons clairs : si l’enveloppe attribuée sur dix ans à la recherche est loin d’être négligeable, elle vaudra en réalité plus pour la stabilité et la visibilité qu’elle offre à la recherche que par l’ampleur de l’effort, sous réserve que les gouvernements successifs en respectent le cadre ; cela n’est pas acquis ! Cette loi offrira donc une garantie, que l’on hésite à qualifier malgré tout de modeste, mais le choc budgétaire que le monde de la recherche était en droit d’attendre n’est pas là.

En conséquence, et pour conclure le débat sur ce point, nous serons, comme vous l’imaginez, très attentifs lors des prochains exercices budgétaires ; nous ne nous interdirons pas de rêver à des gestes plus significatifs encore !

La programmation budgétaire ne résume cependant pas l’ensemble du texte, qui comporte un grand nombre de dispositions utiles et pertinentes traduisant le travail d’écoute mené par Mme la ministre et les parlementaires.

Sans me lancer dans une liste à la Prévert, nous sommes fiers d’avoir pu inscrire plusieurs dispositions essentielles dans le projet de loi. Je souhaite, à ce titre, évoquer la reconnaissance au niveau législatif du respect de l’intégrité scientifique. En cette période si particulière où la science a littéralement débordé des laboratoires et devenir un sujet médiatique, il s’agit là d’un apport essentiel, qui permettra de mieux garantir l’impartialité et l’objectivité des travaux de recherche.

Nous faisons aussi le constat d’une réelle avancée sur la date de mise en œuvre de la mensualisation de la rémunération des vacataires, avant 2022. Ces derniers méritent, en effet, toute notre attention, car ils sont essentiels au fonctionnement de notre système d’enseignement supérieur et de recherche.

Je note également l’inscription, parmi les missions du service public de l’enseignement supérieur, de la sensibilisation et de la formation aux enjeux de la transition écologique et du développement durable, de même que la définition des conditions pour devenir chef d’un établissement de recherche, qui permettent de mieux tenir compte des travaux dont il peut se prévaloir.

Je souhaite, par ailleurs, évoquer ce que j’estime être une erreur d’appréciation de la volonté du Sénat, sur trois sujets précis : les libertés académiques, le délit d’entrave et l’expérimentation du recrutement hors Conseil national des universités (CNU).

Je tiens à réaffirmer le profond attachement du Sénat aux libertés académiques et à l’indépendance intellectuelle de l’université française, telles que garanties par la Constitution. C’est pourquoi nous avons proposé en commission mixte paritaire de retenir la définition suivante, votée à l’unanimité : « Les libertés académiques sont le gage de l’excellence de l’enseignement supérieur et de la recherche français. Elles s’exercent conformément aux principes à caractère constitutionnel d’indépendance des enseignants-chercheurs. »

Au sujet du délit d’entrave, notre intention n’est pas de porter atteinte à la liberté de débattre ou de contester. Nous la garantissons, bien au contraire, en donnant à l’université les moyens de se protéger contre ceux qui refusent le libre exercice des opinions, parfois par des moyens violents. Ce faisant, nous prémunissons l’université contre les tentatives de censure et les pressions inacceptables exercées depuis l’extérieur. C’est la condition sine qua non du progrès intellectuel !

Enfin, sur la question du recrutement hors CNU, nous sommes parfaitement clairs : non, le Sénat n’a pas cherché à supprimer le CNU, qui garde sa pleine compétence s’agissant des maîtres de conférences et du suivi des carrières. Dans le cadre d’une expérimentation, la majeure partie d’entre nous estime simplement que le système actuel de recrutement des maîtres de conférences peut évoluer, avec prudence, et dans le respect du dialogue et de la concertation que j’ai appelé de mes vœux, avec force, à la suite de la lecture du texte au Sénat.

Vous vous êtes d’ores et déjà engagée, madame la ministre, à cette consultation élargie de l’ensemble des acteurs concernés, dont des membres du CNU, et à veiller à encadrer la nouvelle procédure de recrutement de toutes les garanties pour en permettre l’acceptabilité. Nous examinerons avec la plus grande attention les conclusions de cette expérimentation et en tirerons toutes les conséquences.

Je veux formuler une dernière remarque pour conclure. Le processus d’examen et d’adoption d’un projet de loi emprunte beaucoup à la méthode scientifique. Le monde de la recherche vit actuellement une « révolution », pour reprendre l’analyse du philosophe des sciences Thomas Kuhn : à l’évidence, les paradigmes sur lesquels sont fondés notre système ne suffisent plus ; les chercheurs nous l’ont clairement fait comprendre.

Il nous appartient, dès lors, de tirer profit de cette période de crise pour élaborer un nouveau modèle de science. Nous avons mené un travail approfondi et honnête, à l’issue duquel – cela n’est jamais simple ! – il nous est revenu de trancher.

Je n’ai aucune certitude mais j’espère que les solutions proposées par ce texte constitueront les prémices d’une nouvelle science. À l’instar des chercheurs et des enseignants-chercheurs, auxquels je veux rendre hommage, nous serons à l’écoute de la réalité pour amender, améliorer et, en définitive, mieux accompagner notre recherche.

Mes chers collègues, je vous propose donc d’adopter les conclusions de la commission mixte paritaire sur le projet de loi de programmation de la recherche des années 2021 à 2030 et portant diverses dispositions relatives à la recherche et à l’enseignement supérieur. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, UC, RDSE et INDEP.)

M. le président. La parole est à Mme la ministre.

Mme Frédérique Vidal, ministre de lenseignement supérieur, de la recherche et de linnovation. Monsieur le président, monsieur le président de la commission de la culture, de l’éducation et de la communication, cher Laurent Lafon, madame la rapporteure, chère Laure Darcos, messieurs les rapporteurs pour avis, mesdames les sénatrices, messieurs les sénateurs, il y a un peu moins de deux ans, le Premier ministre a lancé l’élaboration d’une programmation de la recherche qui donnerait à notre pays les moyens de demeurer une grande nation scientifique.

Un travail intense a permis de concrétiser cette ambition, au fil des rapports des trois groupes pluridisciplinaires mis en place au printemps 2019, du millier de contributions issues de la communauté scientifique, des dizaines de déplacements que j’ai effectués sur le terrain, des centaines d’heures de discussions avec les dix-sept instances que j’ai consultées, et à l’issue des trois mois de travaux parlementaires ayant permis l’examen de plusieurs centaines d’amendements.

En séance publique, au Sénat, près de soixante-dix amendements ont été adoptés et ont permis d’enrichir le texte sur le volet des libertés académiques, de l’intégrité scientifique, de la lutte contre les conflits d’intérêts, de la place des sciences humaines et sociales, de l’égalité des chances, du handicap, de l’accompagnement des vacataires, ou encore de la formation aux enjeux du développement durable.

Cela fait près de deux ans et, grâce à l’accord trouvé la semaine dernière par la commission mixte paritaire, ce travail de longue haleine est sur le point d’aboutir. Le projet de programmation de la recherche deviendra bientôt – je l’espère ! – une loi de la République.

Cette issue favorable, nous la devons d’abord et avant tout à la qualité des débats que nous avons conduits, ici, au Sénat, mais aussi à l’Assemblée nationale. L’argumentation, la controverse et, parfois même, la dispute sont l’essence de la science ; je pense que nos échanges constructifs, argumentés et respectueux ont fait honneur à leur objet.

C’est dans cet esprit de concorde et de progrès que s’est réunie, la semaine dernière, la commission mixte paritaire. Le texte qui résulte de ses travaux en porte le sceau : il est certes le fruit du consensus, mais d’un consensus exigeant, qui s’est noué sur fond d’enrichissements réciproques, plutôt que de renoncements. La recherche française méritait cet effort.

La présentation de ce texte au Parlement était l’occasion, pour la représentation nationale, de débattre de la science pour elle-même, de réfléchir à la place qu’elle doit avoir dans notre projet de société, de réaffirmer son rôle dans notre démocratie. Je tiens à vous remercier, très sincèrement, d’avoir saisi cette occasion avec autant d’énergie et de conviction. Vous avez ainsi contribué à faire de l’engagement la marque de fabrique de cette loi.

Cette empreinte, c’est le Gouvernement qui l’a apposée initialement, en décidant de consacrer à la science la troisième programmation du quinquennat. À l’heure du réchauffement climatique, des maladies émergentes et du creusement des inégalités, à l’heure du quantique, de l’intelligence artificielle et de la biologie moléculaire, à l’heure de la relance économique et de la course à l’innovation, à l’heure de la montée des populismes et des fanatismes, le Gouvernement a décidé de réaffirmer le pacte que notre pays a noué avec la science au cours de son histoire, pour relever les grands défis qui se présentent à nous et faire progresser la Nation.

Ce choix est plus qu’un choix de société : c’est un choix politique, philosophique et de civilisation, qui revient à confier les rênes de notre destinée collective à la connaissance, plutôt qu’à l’idéologie ou à la croyance. Ce parti pris n’a rien d’une évidence : il est plus facile de s’en remettre au prêt-à-penser, de balayer la complexité d’un revers de la main, d’éradiquer l’incertitude en construisant sur du sable des semblants de certitudes, que l’on martèlera comme des dogmes pour leur donner la force qui leur manque, plutôt que de chercher à savoir et de s’aventurer dans le labyrinthe de la connaissance, avec tous les tâtonnements, les doutes et les impasses que cela implique.

La science, soyons clairs, ne nous installe pas dans le confort. Mais elle constitue la seule démarche qui nous permette d’être dans le vrai, dans le monde et dans ses possibles.

Ce chemin de la lucidité, de la clairvoyance, des potentiels actualisés et des rêves réalisés, c’est celui que vous avez ouvert à notre pays au travers de ce projet de loi de programmation.

S’engager pour la science, c’était d’abord, et avant tout, s’engager envers ceux qui la font vivre. À l’aube de cette loi, nous avons fait des promesses à la communauté scientifique française : nous lui avons promis de la visibilité, des moyens et du temps. Grâce au travail que nous avons accompli ensemble autour de ce texte, ces attentes, en suspens depuis trop longtemps, seront enfin satisfaites.

En fixant un horizon et des jalons pour l’atteindre, la programmation donne à nos chercheurs une vision claire de l’évolution du budget de la recherche, a minima pour les dix prochaines années. Cette visibilité sur les 25 milliards d’euros progressivement injectés dans l’écosystème scientifique signifie deux choses importantes pour la communauté : l’assurance que les projets qu’elle engage aujourd’hui seront soutenus dans la durée ; la preuve que la page de la dévitalisation de la recherche française est enfin tournée.

Autrement dit, cette visibilité est le socle d’une confiance retrouvée, que les travaux parlementaires ont encore approfondie. Après des années de sous-investissements et de désillusions, nous devions à nos chercheurs une trajectoire à la fois ambitieuse et robuste, que les apports respectifs de l’Assemblée nationale et du Sénat ont conduit à renforcer.

L’articulation de la programmation avec le plan de relance, que vous avez permise, crédibilise la montée en charge des moyens de la recherche sur les premières années, tandis que la clause de revoyure permettra de l’ajuster à la réalité économique de notre pays, au minimum tous les trois ans.

Grâce à cet équilibre, la durée de la programmation sur dix ans, qui fait sens dans le monde de la science, permet une projection tant sur le plan intellectuel que sur le plan institutionnel.

Dix ans, c’est bien l’unité de temps d’un projet de recherche ; mais c’est aussi l’ambition du programme Horizon Europe : en effet, il est aujourd’hui impensable de construire une politique de recherche nationale pertinente en dehors du cadre européen.

Nous nous étions engagés à redonner à nos chercheurs des moyens. Grâce aux conclusions positives de la commission mixte paritaire, cette promesse sera tenue dès 2021, en matière de financements comme en matière de ressources humaines. Le budget de l’ANR amorcera sa montée en puissance à la rentrée prochaine avec une hausse de 428 millions d’euros sur deux ans dans le cadre du plan de relance, pour atteindre 1 milliard d’euros supplémentaires en 2030. Je me réjouis que la commission mixte paritaire ait intégré cet effort dans la trajectoire de la programmation. C’est, je crois, la reconnaissance justifiée de l’engagement de l’État envers la recherche et un gage supplémentaire de transparence offert aux chercheurs.

Derrière cette hausse du budget de l’ANR, il y a bien plus, vous le savez, que la consécration de notre agence nationale. Il y a aussi l’ouverture de ses financements à la diversité des disciplines, des équipes et des démarches, avec un taux de succès de ses appels à projets relevé à 30 %. Il y a une meilleure répartition des moyens, grâce aux 450 millions de crédits supplémentaires qui seront générés par le préciput et qui reviendront, non pas aux lauréats des appels à projets, mais à leurs collègues de laboratoire, d’établissement ou de site.

Bref, derrière cette hausse du budget de l’ANR, il y a tout autre chose que la construction d’un monopole ou l’exaltation de la concurrence, comme certains ont pu le prétendre. La programmation introduit, bien au contraire, de la solidarité dans la compétition, du métissage dans l’excellence, de l’ouverture dans la sélection, et du financement récurrent au cœur même du financement compétitif. L’équilibre entre ces deux canaux est encore renforcé par l’augmentation des crédits de base des laboratoires. Là encore, vos travaux ont été précieux puisqu’il est désormais inscrit dans le texte que les moyens des laboratoires augmenteront de 10 % dès 2021, avant d’atteindre 25 % en 2023.

La recherche ne vit pas que de subventions, elle se nourrit avant tout de curiosité, de ténacité, d’imagination, autrement dit de génie humain ; là aussi, nous avons tenu nos engagements. La programmation nous donne les moyens d’assurer l’avenir de la science française, en attirant à elle les talents les plus prometteurs et les plus diversifiés. Notre ambition était d’envoyer un signal de bienvenue aux jeunes générations : les travaux parlementaires en ont accru la portée. L’augmentation de la rémunération des contrats doctoraux et la systématisation de leur financement, ainsi que la sécurisation des parcours de thèse constituent un axe important de cette loi en faveur du doctorat. Les travaux parlementaires l’ont conforté, en apportant des précisions et des garanties supplémentaires au contrat doctoral et au contrat postdoctoral créés par la loi.

Une large part de la revalorisation des métiers scientifiques s’est par ailleurs jouée dans le protocole sur les rémunérations et les carrières, conclu entre le Gouvernement et les partenaires sociaux le 12 octobre dernier. L’équilibre, la cohérence et l’ambition de cet accord doivent beaucoup au débat parlementaire et au dialogue social, qui ont avancé en parallèle.

La convergence indemnitaire et les mouvements de repyramidage qu’il engage se traduiront concrètement, dès l’an prochain, par de meilleurs salaires et de nouvelles perspectives de promotion pour tous les corps et tous les grades. C’est la première fois qu’un tel effort est fait à l’égard de la communauté scientifique. En consacrant cet accord dans la programmation, vous avez associé l’ensemble de la Nation à cette reconnaissance portée par le Gouvernement – je vous en remercie.

Ce protocole prend acte de l’engagement que j’avais pris l’an dernier à l’égard des jeunes chercheurs. Ces derniers ne seront plus recrutés au-dessous de 2 SMIC et bénéficieront, par ailleurs, d’un accompagnement de 10 000 euros en moyenne pour débuter leurs travaux. Nous le savons, notre capacité à attirer les meilleurs vers la recherche dépend autant du salaire que de l’environnement global que nous sommes en mesure de leur proposer.

C’est pourquoi ce projet de loi a aussi pour ambition d’améliorer les conditions d’exercice de la recherche, de même que la vie des laboratoires. Nous nous étions engagés à redonner à nos chercheurs le temps que les formalités administratives et la course aux personnels techniques leur avaient confisqué au fil des réformes de structures, parce que le temps est, avec le talent, le premier combustible de la recherche.

Cet engagement se traduit : par des simplifications concrètes du quotidien de la recherche, notamment via le regroupement des appels à projets sous un portail unique ou la clarification du fonctionnement des unités mixtes de recherche (UMR) ; par davantage de possibilités offertes aux enseignants-chercheurs de consacrer des périodes définies de leur carrière exclusivement à leurs travaux de recherche ; par la création de 5 200 emplois supplémentaires, y compris des emplois d’ingénieurs et de techniciens, dont le manque se fait cruellement sentir dans les laboratoires.

C’est donc bien un nouveau quotidien que nous sommes en train de construire pour la recherche, avec des moyens inédits, des équipes consolidées et du temps pour travailler.

Mais nous sommes allés plus loin : nous avons aussi donné à la recherche de nouveaux outils pour qu’elle puisse elle-même prendre en main son destin : l’engagement de l’État à l’égard de la communauté scientifique passe aussi par la reconnaissance et l’approfondissement de son autonomie.

La programmation met ainsi à la disposition des établissements d’enseignement supérieur et de recherche trois nouveaux dispositifs, dont ils seront libres de se saisir pour bâtir leur stratégie scientifique. Je pense notamment aux contrats à durée indéterminée (CDI) de mission scientifique, qui permettront de recruter ingénieurs et techniciens pour mener à bien un projet aussi longtemps que celui-ci l’exigera. S’ajoutent à cela les chaires de professeurs juniors, qui permettront d’attirer des profils très disputés à l’international ou dont le parcours est très atypique.

Là encore, les travaux parlementaires ont permis à ces nouveaux dispositifs de trouver leur juste place aux côtés des voies traditionnelles de recrutement. Introduire l’exception signifie, non pas que l’on renonce à la règle, mais bien que l’on ne s’interdit pas d’expérimenter et d’innover. C’est cette même philosophie qui a guidé notre réflexion sur les modalités de recrutement des enseignants-chercheurs.

Ouvrir la possibilité pour les universités d’admettre des candidats à concourir à des fonctions de maître de conférences ou de professeur des universités, sans avoir été au préalable qualifiés par le CNU, ce n’est pas attenter à l’existence de cette instance nationale, dont 80 % de l’activité est ailleurs. C’est plutôt franchir une nouvelle étape dans la marche des établissements vers l’autonomie, c’est faire confiance à nos universités et à l’ensemble de nos universitaires pour prendre leurs responsabilités et constituer leurs équipes avec intelligence, transparence et ouverture. (M. Jean-Pierre Sueur proteste.)

C’est aussi donner toute sa valeur au doctorat, qui reste la plus exigeante des qualifications.

Je crois avoir montré, depuis le début du quinquennat, au travers de la loi relative à l’orientation et à la réussite des étudiants, au travers de l’arrêté licence ou bien encore de l’ordonnance sur les regroupements d’établissements, que je conçois la réforme, non pas comme un exercice vertical et dogmatique, mais plutôt comme une entreprise collective fondée sur le dialogue. C’est pourquoi je me félicite de ce que la commission mixte paritaire ait fixé, comme préalable au déploiement de ces nouvelles modalités de recrutement, un temps de discussion avec l’ensemble des parties prenantes, auquel, bien sûr, les parlementaires qui le souhaitent pourront être associés.

Après le temps du dialogue et de l’expérimentation viendra celui de l’évaluation. Cette dernière sera confiée au Haut Conseil de l’évaluation de la recherche et de l’enseignement supérieur (Hcéres).

Ce projet de loi a pour ambition ultime de favoriser l’engagement des chercheurs dans notre société. Les travaux parlementaires, particulièrement riches sur le sujet, ont contribué à redonner à la médiation scientifique ses lettres de noblesse et à améliorer sa reconnaissance dans le milieu académique, en soutenant la création de prix portés par de grands organismes tels que le Centre national de recherche scientifique (CNRS) ou l’Institut national de recherche pour l’agriculture, l’alimentation et l’environnement (Inrae).

Ils ont également permis de diversifier les interfaces entre chercheurs et société, en insistant sur la réciprocité des échanges.

Ils ont en outre explicité le cadre dans lequel le dialogue entre science et société peut s’épanouir, au plus grand bénéfice des deux parties. La première limite est posée par l’intégrité scientifique, qui fonde la crédibilité de la parole des chercheurs dans l’espace public. La science ne sert jamais aussi bien les intérêts de la Nation que lorsqu’elle est désintéressée. C’est bien en cherchant à repousser le front des connaissances qu’elle provoque les ruptures conceptuelles à l’origine de technologies, de produits et de services susceptibles de changer radicalement le destin d’une entreprise et la face du monde. C’est en restant fidèle à ses valeurs qu’elle gagne la confiance des citoyens et les sommets de l’innovation.

Les soupçons de fraude et de conflits d’intérêts minent le pacte entre la Nation et la science, bien plus sûrement encore que les fausses informations, les peurs et les croyances. C’est la raison pour laquelle il était si important de renforcer la place de l’intégrité scientifique dans nos textes juridiques et dans la formation des jeunes chercheurs.

L’autre déterminant des relations entre science et société, ce sont les libertés académiques. Elles incarnent, en quelque sorte, la contrepartie positive de l’intégrité scientifique, le droit attaché au devoir. Les chercheurs ont tout autant la liberté que l’obligation de ne pas se soumettre à une autre autorité que celle de la science. Ni la religion, ni le politique, ni la société ne peuvent restreindre le champ de leur recherche et de leur enseignement. Leur seule limite, c’est la raison, le fait scientifique établi, la vérité démontrée.

Dans l’enceinte universitaire, les connaissances circulent à l’air libre, « l’esprit souffle où il veut » comme le rappelait Jean Perrin, et cette respiration est celle-là même de notre démocratie. Il était juste que, en retour, notre République défende mieux ces libertés si nécessaires à la robustesse de la science ; c’est pourquoi le Sénat a souhaité inscrire dans la programmation le délit d’entrave. Ceux qui y voient un outil pour réprimer les manifestations étudiantes commettent, selon moi, un contresens absolu, que je regrette de voir à ce point relayé !

Cette disposition ne vise en aucun cas à museler les voix discordantes, lesquelles sont essentielles à la vie universitaire – je m’emploierai à le rappeler –, mais elle tend bien au contraire à protéger le débat contradictoire et la diversité des expressions contre les tentatives de censure et les dégradations inadmissibles commanditées de l’extérieur, dont nos établissements ont pu être le théâtre ces dernières années.

MM. Max Brisson et Stéphane Piednoir. Très bien !

Mme Frédérique Vidal, ministre. Mesdames les sénatrices, messieurs les sénateurs, nous avons eu ici même de riches et longs débats, parfois des désaccords, mais souvent des ambitions communes. Nous les avons portées avec sincérité, conviction et respect. Je me félicite d’être de nouveau devant vous ce matin, pour défendre ce texte équilibré et ambitieux. Il réaffirme les fondamentaux de la science et dresse de nouvelles perspectives à sa communauté. Ainsi, au terme des débats parlementaires, cette programmation dépasse largement l’ambition budgétaire qui l’a vue naître. Ce projet de loi porte désormais un projet de société éclairée et inspirée par la connaissance.

Cette vision n’aurait pu éclore sans la contribution de la représentation nationale. Elle ne pourra se concrétiser sans sa vigilance et son soutien : je sais pouvoir compter sur elle. (Applaudissements sur les travées des groupes RDPI, INDEP et RDSE, ainsi que sur des travées des groupes UC et Les Républicains.)