Mme le président. La parole est à M. le vice-président de la commission des affaires étrangères, de la défense et des formes armées.

M. Pascal Allizard, vice-président de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, de report en report, nous abordons une phase extrêmement critique du Brexit. Certes, un accord, conclu le 8 décembre dernier, scelle le retour du Royaume-Uni au respect de la parole donnée : les dispositions controversées de son projet de loi sur le marché intérieur, qui contrevenaient à l’accord de retrait de 2019, seront retirées. Mais nous ne devons pas faiblir sur les principes que les 27 États membres, derrière Michel Barnier, se sont fixés dans la négociation : une concurrence équitable, un accès durable aux eaux britanniques pour la pêche et une gouvernance robuste.

Hélas ! Pour des considérations de politique interne au Royaume-Uni, les possibilités d’arriver à un accord avant le 1er janvier 2021 paraissent toujours ténues, même si, comme je le souhaite, l’Union européenne veut donner jusqu’au bout sa chance à la négociation.

Qu’adviendra-t-il alors à nos frontières, à nos entreprises ? Quel est notre degré de préparation ? On nous annonce une cohue indescriptible à Calais. D’ailleurs, les camions s’y pressent déjà, car les entreprises britanniques font des stocks de précaution… Mes chers collègues, le Brexit n’est pas qu’une affaire britannique : la France est en première ligne.

Par ailleurs, quid des mesures d’urgence annoncées par la Commission européenne en cas de no deal ? Je rappelle que celles-ci concernent le transport routier, le transport aérien et la pêche, sous réserve de « réciprocité » de la part du Royaume-Uni. Mais seront-elles suffisantes pour nos entreprises ? Au reste, le Royaume-Uni ne semble pas prêt à la « réciprocité » qui laisserait nos pêcheurs accéder à ses eaux : la mobilisation de la Royal Navy est un signal très inquiétant, du reste dénoncé par notre collègue Tobias Ellwood, président de la commission de la défense de la Chambre des communes.

À propos de la relation de défense franco-britannique, nous avons fêté les dix ans du traité de Lancaster House, qui est le cadre de notre coopération. Celle-ci a connu une récente avancée avec le programme de « guerre des mines », conduit par Thales. D’autres grands industriels, comme MBDA, développent des programmes avec la France et le Royaume-Uni.

Des craintes existent quant au Brexit, qui pourrait rajouter des lourdeurs et des coûts. Les Britanniques veulent une plus grande liberté d’action, mais ils n’en sont pas moins enclins à rechercher des coopérations. Je crois que le Royaume-Uni voudra rester étroitement associé à la défense de l’Europe si l’on sait l’y inviter, sans faire preuve de naïveté ni oublier les échecs du passé.

Il faut avoir en tête que l’armée britannique est, avec l’armée française, celle qui compte en Europe. Le Sénat jouera tout son rôle pour conforter, sur le plan parlementaire, cette coopération.

J’en viens à la conquête par l’Europe de son autonomie stratégique.

Sur ce plan, le dernier Conseil européen n’a pas envoyé de signaux très favorables.

Je ne reviendrai pas sur les agissements turcs en Méditerranée ni sur son action déstabilisatrice. Son rôle au Caucase est également inquiétant pour la sécurité régionale.

Monsieur le secrétaire d’État, vous l’avez abordé : il semble qu’une prise de conscience émerge au sein de l’Union européenne et de l’Alliance atlantique, même si elle peut sembler un peu tardive.

La position de la Turquie et les annonces préalables à ce Conseil – nous en avions parlé à l’occasion de la précédente réunion – étaient en fait une manœuvre pour diviser les Européens avant que ne soit évoqué le sujet des sanctions. Le résultat nous paraît ambigu. Une vigoureuse condamnation verbale, c’est bien, mais, pour l’heure, on constate une simple extension de la « liste noire », sans remise en cause de l’union douanière avec la Turquie ni embargo sur les ventes d’armes, sur lesquelles l’Union européenne entend « se coordonner avec les États-Unis » – cela n’a pas empêché l’achat de S-400 à la Russie… –, et, bien sûr, un rapport.

La Turquie fait ainsi de la politique d’opportunité et s’affirme comme acteur régional face aux divisions de l’Union européenne, de l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE) et de l’OTAN. En outre, elle sait l’Europe liée par l’accord migratoire et toujours incapable de s’affirmer comme puissance.

Certes, la démarche dite de la « boussole stratégique », lancée par l’Union européenne en juin dernier est porteuse d’espoir. Fondée sur une analyse commune des menaces, elle devrait conduire à faire partager plus largement les convictions françaises quant à la nécessité de l’autonomie stratégique. Ce travail doit aboutir au premier semestre 2022, à savoir pour la présidence française de l’Union.

Monsieur le secrétaire d’État, veillons à ce que cette démarche soit elle-même autonome et à ce qu’elle ne se résume pas à une reprise du concept stratégique de l’OTAN. Aussi, il faudra intensifier le dialogue avec les pays d’Europe centrale, et pour les sensibiliser aux problématiques du flanc sud de l’Europe, et pour leur expliquer que l’attention que celle-ci doit y porter ne se fera jamais au détriment du flanc est ni de l’OTAN.

Tels sont les questions et les messages que la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées du Sénat souhaitait vous transmettre. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – M. Claude Kern applaudit également.)

Mme le président. La parole est à M. le président de la commission de l’aménagement du territoire et du développement durable. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)

M. Jean-François Longeot, président de la commission de laménagement du territoire et du développement durable. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, comme je le disais en octobre dernier, plus personne ne se satisfait d’un objectif de 40 % de réduction des émissions pour 2030. Dès lors, le dernier Conseil européen, qui se déroulait de manière hautement symbolique cinq ans après la signature de l’accord de Paris, était, encore, l’un de ces fameux Conseils de la dernière chance : cinq ans après, nous savons déjà que l’ambition d’alors ne suffit plus.

À cet égard, force est de constater que l’Europe, en rehaussant, d’ici à 2030, son ambition de réduction des émissions de gaz à effet de serre de 40 % à au moins 55 % par rapport aux niveaux de 1990, est encore une fois au rendez-vous.

Je dis « encore une fois », car l’Europe s’est depuis longtemps posée comme leader de la lutte contre le changement climatique.

En effet, il y a cinq ans, l’Europe a été au rendez-vous de la COP21 et de l’accord de Paris, signé par 195 pays, en étant à l’initiative du traité climatique le plus complet et le plus ambitieux jamais conclu.

Elle l’a également été depuis lors, en s’affirmant comme la gardienne de cet accord, notamment à la suite du désengagement américain de juin 2017.

En 2019, l’Europe est de nouveau au rendez-vous, en se fixant l’ambition de devenir le premier continent à parvenir à la neutralité carbone en 2050, étape cruciale pour limiter le réchauffement climatique planétaire à 1,5 degré.

Dès lors, les discussions ont porté sur le niveau de baisse des émissions de gaz à effet de serre devant être visées d’ici à 2030 et sur l’impératif de rehausser le précédent objectif. À ce titre, l’Europe est assurément au rendez-vous.

Alors que, depuis bientôt un an, la crise sanitaire se double d’une crise économique sans précédent, nombreux sont ceux qui ont appelé à revoir à la baisse notre ambition commune face à la crise environnementale. Je salue ici le fait qu’un tel renoncement, que nos concitoyens ne nous auraient jamais pardonné, n’ait pas eu lieu.

Mieux, nous considérons la « multicrise » comme l’occasion d’accélérer la transition durable déjà engagée et de moderniser nos économies, via des plans de relance verts.

C’était d’ailleurs l’objectif des discussions budgétaires européennes : les orientations, elles aussi approuvées lors de ce Conseil européen, flèchent vers des dépenses climatiques 30 % des 1 800 milliards d’euros mis sur la table.

Les discussions intergouvernementales ont d’ailleurs suggéré de renforcer le marché européen du carbone et de mettre en place un mécanisme d’ajustement carbone aux frontières pour éviter les fuites de carbone.

En janvier dernier, le Sénat défendait déjà cette proposition, en adoptant une proposition de résolution de nos collègues Jean-François Husson et Bruno Retailleau.

M. Jean-François Longeot, président de la commission de laménagement du territoire. Ainsi, mes chers collègues, l’Europe a encore donné un signal fort dans le cadre de la lutte contre le dérèglement climatique. Elle a réaffirmé notre ambition commune le week-end dernier, lors du sommet organisé pour l’anniversaire de l’accord de Paris, en étant le premier émetteur mondial à présenter un objectif révisé à la hausse. Elle le réaffirmera d’autant plus fort lors de la COP26 à venir et de la prochaine COP15 sur la biodiversité.

Dans ses conclusions, le Conseil européen a réitéré que l’engagement international était crucial pour réussir à relever ce défi climatique. En effet, si l’Europe est la bonne échelle pour répondre à un défi par définition collectif, je salue la diplomatie climatique européenne. Force est également de constater que nous nous sentions bien seuls ces dernières années !

Mais ce leadership européen a payé, la Chine ayant annoncé, en septembre dernier, pour la première fois, l’objectif de neutralité carbone d’ici à 2060, quand le Japon, en octobre dernier, l’évoquait d’ici à 2050. En sus de ces annonces, le retour américain dans l’accord de Paris nous donne collectivement envie de redoubler d’efforts, alors que de nombreux rapports se sont alarmés de l’insuffisance des engagements en matière de réduction des émissions pour la période 2020-2030 pour atteindre les objectifs de l’accord de Paris.

Nous suivrons donc avec attention la prochaine étape, à savoir la présentation par la Commission européenne, en juin 2021, du plan d’action pour mettre en œuvre l’objectif de réduction de 55 %.

Alors que la France a joué un rôle actif dans ces réussites européennes, notre commission de l’aménagement du territoire et du développement durable souhaite que nous soyons nous-mêmes au rendez-vous lors de la future loi climat, en nous inscrivant dans le cadre des orientations européennes et en amendant ce texte dans un seul but : rester au rendez-vous du défi climatique. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)

Mme le président. La parole est à M. le rapporteur général de la commission des finances. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Jean-François Husson, rapporteur général de la commission des finances. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, cela ne vous étonnera pas, la commission des finances s’est particulièrement intéressée aux conclusions du Conseil européen de la semaine dernière portant sur l’adoption du prochain cadre financier pluriannuel, permettant ainsi la mise en œuvre du plan de relance européen.

En effet, au cours des dernières semaines, l’adoption du prochain cadre financier pluriannuel et celle de la décision relative aux ressources propres étaient suspendues aux vetos hongrois et polonais.

Concrètement, c’est la délicate question de la conditionnalité des fonds européens au respect de l’État de droit qui constituait la pomme de discorde des négociations depuis plusieurs mois. Cet obstacle a finalement été levé grâce à une déclaration du Conseil européen qui réaffirme le principe de souveraineté de chaque État membre et précise que le lien entre la violation de l’État de droit et l’atteinte que celle-ci constitue pour le budget de l’Union européenne devra être objectivement établi.

Alors que l’accord de juillet dernier laissait espérer une réponse budgétaire rapide de l’Union européenne pour faire face aux conséquences économiques de la crise sanitaire, il aura donc fallu près de six mois supplémentaires pour le concrétiser.

Au final, si l’issue de ces négociations relatives au cadre financier pluriannuel, qui se sont échelonnées sur plus de deux ans, constitue un premier motif de soulagement, elle n’épuise pas pour autant les interrogations sur la capacité du budget européen et du plan de relance à accompagner les États membres face à la crise actuelle.

Monsieur le secrétaire d’État, une fois le cadre financier pluriannuel 2021-2027 formellement adopté, celui-ci devra encore être décliné dans chaque État membre, au sein de programmes opérationnels, correspondant à chacune des politiques de l’Union européenne. Cette adoption tardive pourrait ainsi être de nature à ralentir le décaissement des crédits européens au bénéfice des territoires et des porteurs de projets locaux. Pouvez-vous nous préciser les mesures prises par les autorités de gestion françaises afin de garantir une mobilisation rapide des fonds européens dès le début de l’année prochaine ?

Par ailleurs, la mise en œuvre du plan de relance européen nécessite que la décision « ressources propres » soit ratifiée par l’ensemble des parlements nationaux. Le Sénat devrait examiner le projet de loi de ratification correspondant à la fin du mois de janvier prochain.

À quelle échéance pensez-vous que le processus de ratification pourra être mené à son terme, monsieur le secrétaire d’État ? Alors que le plan de relance européen doit financer 40 % du plan de relance français, faudra-t-il finalement attendre 2022 pour que la France en bénéficie, au-delà de l’enveloppe de 4 milliards d’euros de préfinancement ?

Par ailleurs, un sommet de la zone euro en configuration ouverte s’est tenu lors du dernier Conseil européen. À cette occasion, les États membres ont salué l’accord trouvé par l’Eurogroupe, à la fin du mois de novembre dernier, sur l’approfondissement de l’union bancaire. Plus particulièrement, ils se sont félicités de l’introduction anticipée du filet de sécurité du Fonds de résolution unique par le Mécanisme européen de stabilité.

En outre, s’agissant de l’approfondissement du marché des capitaux, la déclaration des États membres publiée à l’issue du sommet de la zone euro rappelle que l’Union européenne doit jouer un rôle majeur dans le domaine de la finance verte. À cet égard, il serait intéressant, monsieur le secrétaire d’État, que vous nous indiquiez les pistes que la France défendra pour faire avancer ce sujet au niveau européen dans les prochains mois.

Enfin, alors que le sujet des négociations du Brexit n’était pas formellement à l’ordre du jour du Conseil européen, il s’y est encore une fois imposé. Certes, la présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, appelle à poursuivre les négociations dans un ultime effort, mais il est plus que jamais permis de douter de la possibilité d’un accord d’ici à la fin de cette année. Notre commission reste particulièrement attentive à la conduite de ces négociations, au regard des enjeux budgétaires et financiers considérables qui sont en jeu dans notre relation future avec le Royaume-Uni.

Monsieur le secrétaire d’État, je ne vous ferai pas l’affront de vous demander si vous pensez réellement qu’un accord reste possible, car les rebondissements du Brexit au cours des dernières années nous ont appris à nous méfier des certitudes. Néanmoins, pourrez-vous nous indiquer dans quelle mesure l’absence d’accord serait préjudiciable pour les prévisions de croissance économique de la France en 2021, alors même que notre économie est déjà fragilisée par la crise actuelle ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – Mme Véronique Guillotin applaudit également.)

Mme le président. La parole est à M. le président de la commission des affaires européennes.

M. Jean-François Rapin, président de la commission des affaires européennes. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, l’ordre du jour de la dernière réunion du Conseil européen était particulièrement lourd, à la fois chargé en nombre de points traités et dense en enjeux – mes collègues en ont déjà évoqué d’importants.

Aussi, dans ce propos liminaire, je me limiterai à évoquer trois sujets : la pandémie, la sécurité et les questions budgétaires.

Concernant la pandémie, la bonne nouvelle est que nous en sommes aujourd’hui à discuter de stratégie vaccinale. La moins bonne est que Sanofi annonce avoir pris du retard. Son vaccin, élaboré avec GSK, ne sortira qu’à la fin de l’année 2021. On peut regretter le retard de livraison qui en découlera pour l’Union européenne, qui en avait réservé 300 millions de doses. On peut aussi s’interroger : pourquoi, dans cette course aux vaccins, trouve-t-on en tête les biotechs américaines et chinoises ? Pour ma part, j’y vois une incitation à encourager l’Europe de la recherche, notamment à presser le pas pour mettre enfin en place le brevet unitaire européen, dont la naissance est compromise par la défection britannique et le retard pris par l’Allemagne dans la ratification de l’accord relatif à une juridiction unifiée du brevet.

Monsieur le secrétaire d’État, quelles sont les perspectives en la matière ?

À la suite des attentats terroristes, la sécurité s’est également imposée comme un sujet prioritaire au Conseil européen. Nous pouvons, comme ce dernier, nous féliciter de l’accord conclu récemment sur le règlement relatif aux contenus terroristes en ligne : il permettra d’adresser une injonction de suppression de ces contenus, quel que soit le lieu d’établissement principal du fournisseur de service d’hébergement, avec un retrait dans l’heure, valable dans tous les États membres.

Nous attendons maintenant les propositions que la Commission européenne prépare pour obliger les plateformes en ligne à prendre leurs responsabilités et pour renforcer le mandat d’Europol. Mais nous devons aller plus loin. D’abord, nous devons doter l’Union européenne d’une législation en matière de conservation des données qui permette de lutter efficacement contre les formes graves de criminalité. Ensuite, nous devons accélérer l’interopérabilité entre les bases de données et les systèmes d’information européens. Enfin, nous devons nous organiser pour que toute personne franchissant les frontières extérieures de l’Union soit contrôlée.

Le troisième enjeu, et non le moindre, est l’accord intervenu au Conseil européen sur le cadre financier pluriannuel et le plan de relance.

Nous saluons cette avancée décisive, car les États membres ont urgemment besoin de cette expression concrète de solidarité européenne pour rebondir après la pandémie. Le Gouvernement nous assure qu’elle a été obtenue sans sacrifier l’État de droit. Je veux le croire, mais la déclaration qui a permis de lever le veto polonais et hongrois, après maintes discussions, ne manque pas d’interroger.

D’abord, sa portée juridique est incertaine.

Ensuite, elle indique expressément que la simple constatation de l’existence d’une violation de l’État de droit ne suffit pas à déclencher le mécanisme : il faut pour cela que cette violation porte directement préjudice aux intérêts financiers de l’Union. Cette condition limite considérablement la possibilité d’activer le mécanisme. N’en sommes-nous pas réduits à l’impuissance à laquelle nous condamnait déjà l’exigence d’unanimité du Conseil pour constater l’existence d’une violation grave et persistante par un État membre des valeurs fondamentales de l’Union, requise à l’article 7 du traité ?

Monsieur le secrétaire d’État, pouvez-vous nous rassurer ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – MM. André Gattolin, Jean-Yves Leconte, Pierre Louault et Mme Colette Mélot applaudissent également.)

Mme le président. La parole est à Mme Laurence Harribey.

Mme Laurence Harribey. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, clarifications, conclusion d’accords essentiels pour l’avenir de l’Union européenne : ce Conseil européen aura marqué la fin d’une séquence difficile, ayant duré près de deux ans, notamment pour le cadre financier pluriannuel. Il laisse aussi nombre de questions ouvertes, ainsi que l’ont montré les orateurs précédents.

Comme d’habitude, certains voient le verre à moitié plein et d’autres à moitié vide. Je pense qu’il faut plutôt voir l’Europe dans sa réalité : elle progresse souvent plus dans la gestion de crises que dans les incantations des grands soirs.

Pour notre part, attachés à une destinée européenne qui fasse de l’État de droit, de la démocratie et de la construction d’une Europe sociale ses moteurs, nous aimerions vous faire part, monsieur le secrétaire d’État, de quatre points qui nous interpellent sur l’avenir de l’Europe ainsi que sur la capacité de la France à peser, à peu de temps de la prochaine présidence française.

La première interrogation porte sur ce fameux compromis relatif à la conditionnalité de l’accès des fonds européens au respect de l’État de droit et sur les garanties qui ont été données à la Pologne et à la Hongrie. Ce compromis ouvre la voie à une Europe sur mesure pour qui sait jouer des faiblesses de l’Union.

Certes, la menace d’une coopération renforcée pour mettre en œuvre le cœur même de la solidarité européenne, à savoir son budget, est écartée, mais l’accord passé avec la Pologne et la Hongrie ne conforte pas vraiment l’État de droit : la suspension du mécanisme de conditionnalité pourrait donner le sentiment d’une possible impunité, quand bien même les sanctions seraient rétroactives. Il y a là une vraie question, que certains ont soulignée.

Ce compromis interroge aussi sur le respect du cadre juridique européen, puisqu’il autorise la Commission européenne à suspendre l’application du mécanisme en dehors de tout contrôle du Conseil et du Parlement européens. Cela pose un vrai problème démocratique.

On peut également s’interroger sur le principe de restitution rétroactive des financements versés au titre tant de la cohésion que du plan de relance européen.

Autant de questions qui mériteraient une réflexion sur les conséquences de compromis de ce type, montés sur un échafaudage juridique qui pourrait être fragile à terme… Alors que nous sommes dans la dernière ligne droite des négociations avec le Royaume-Uni, on ne peut s’empêcher de s’inquiéter de la tentation de compromis acrobatiques, qui, s’ils permettent de revendiquer un succès, recèlent, dans leur mise en œuvre, des impasses, des pièges ou même un détricotage des acquis communautaires.

Notre deuxième questionnement porte sur le plan de relance et sur le séquençage du déblocage des fonds européens.

Quid de la conditionnalité des prêts contractés dans le cadre du plan de relance à des réformes structurelles, principe que la France a combattu à juste raison, mais que les Pays-Bas ont réussi à faire acter ?

Sur ce point, nous suivons la position du Gouvernement, car le principe de conditionnalité nous semble anachronique au regard de la nécessité d’aider les États victimes d’une crise exogène. Et si le pacte de stabilité a été suspendu, les contraintes du semestre européen perdurent.

Quid aussi de l’articulation – et je rejoins ici les propos du rapporteur général de la commission des finances – entre enveloppes nationales et régionales ? Il semble qu’il y ait un vrai problème de coordination, en particulier en France, entre plan national de relance et enveloppe React-UE destinée aux régions. Pour nous, il est primordial d’associer les régions à la conception et à la mise en œuvre des plans de relance. Or on assiste plutôt à deux dynamiques parallèles et même à un risque de mise en concurrence des appels à projets, ce qui pourrait mettre la France globalement en difficulté en termes de consommation des crédits européens.

Notre troisième point concerne l’articulation entre transition écologique et plan de relance. L’accord intervenu sur la baisse de 55 % est la marque d’une volonté forte, mais le plus dur reste à faire : répartir cet objectif par pays – puisqu’il s’agit d’un objectif commun et non individualisé –, faire émerger de nouvelles ressources propres fléchées – si le principe est acquis, la réalisation semble un peu lointaine – et résoudre certaines contradictions, comme le rôle de la BCE dont 68 % des rachats d’obligations auraient bénéficié à des entreprises liées aux énergies fossiles – d’où un nécessaire recentrage de l’action de la banque centrale pour éviter toute contradiction entre son action et le plan de relance.

J’aimerais enfin évoquer la question du traité sur la Charte de l’énergie (TCE), qui vient contrevenir aux objectifs climatiques de l’Union européenne. Des négociations sont engagées pour faire évoluer le traité, mais la Commission semble très timide. Le Parlement européen l’a d’ailleurs alertée à plusieurs reprises.

Enfin, la quatrième interrogation que nous voudrions partager concerne la gestion européenne de la crise sanitaire.

L’Europe s’est distinguée par des stratégies nationales en ordre dispersé, ce qui peut s’entendre puisque la santé n’est qu’une compétence d’appui. Toutefois, l’Union aurait tort de ne pas être proactive au regard des enjeux de cette crise, et ce même au-delà du plan de relance, qui constitue déjà une sérieuse reconnaissance de la solidarité européenne.

Deux pistes méritent d’être soulignées.

La première concerne l’accès équitable et abordable aux vaccins pour tous, notamment à travers le mécanisme Covid-19 Vaccine Global Access (Covax). Mais le Conseil considère que c’est la vaccination qui est un bien public mondial et non le vaccin lui-même, ce qui n’ouvre pas la voie à une cession de la propriété intellectuelle. On voit que les enjeux économiques prédominent, alors même que les commandes publiques européennes et nationales auront largement contribué à l’obtention de ces vaccins.

La seconde piste, abordée au point n° 10 des conclusions, concerne la maîtrise des données relatives à la santé en Europe. Comme l’a souligné le président de la commission des affaires européennes du Sénat, notre commission a récemment rendu un avis politique sur cette question, car la pandémie a mis en lumière, de manière crue, la dépendance de l’Europe aux grands acteurs américains du numérique. En France, l’hébergement de la base nationale des données de santé, confiée à Microsoft au prétexte du déficit d’offre européenne, en est une traduction. Mais cela montre aussi à quel point le défi numérique conditionne la souveraineté économique et doit être au cœur des nouvelles politiques européennes.

Les avancées dessinées dans le « pack digital » que la Commission vient de présenter devront faire l’objet d’une très grande vigilance.

En conclusion, je voudrais revenir au début de mon propos et à ce que je soulignais en ce qui concerne l’État de droit : la crise pandémique, le Brexit, la crise de nos démocraties nationales ou encore la question de la Turquie, qui a aussi marqué ce Conseil européen, obligent à repenser la nature et les modes opératoires des politiques européennes.

À l’aube d’une proche présidence française de l’Union européenne, si nous voulons garder le cap d’une Europe citoyenne, porteuse d’un modèle de société articulant État de droit et développement économique, social et solidaire, il est incontournable de trouver de nouveaux modes de coopération entre parlementaires et gouvernements.

Pour notre part, nous serons particulièrement vigilants sur la convention sur le futur de l’Union européenne, sur laquelle nous n’avons encore que peu d’éléments, notamment sur la manière dont les parlements nationaux seront associés. (M. André Gattolin applaudit.)