Mme le président. La parole est à M. Jean Louis Masson.

M. Jean Louis Masson. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, le dernier Conseil européen s’est soldé par un échec global et pas seulement sur le Brexit. Trois exemples prouvent que cela résulte de choix très discutables.

En ce qui concerne le Brexit, ayant été hostile à l’entrée du Royaume-Uni dans l’Union européenne, je me réjouis que Boris Johnson en fasse sortir son pays. Toutefois, afin que les négociations se passent bien, chacun devrait faire un effort. Malheureusement, l’Union européenne s’arc-boute sans accepter de réelles concessions. Quand on veut s’entendre, chacun doit y mettre du sien.

Pour éviter de créer un précédent, certains en Europe souhaitent que le Brexit se passe mal. Ainsi, vouloir imposer une frontière douanière entre l’Irlande du Nord et l’Angleterre, c’est aussi aberrant que si l’Allemagne exigeait des postes de douane entre l’Alsace-Lorraine et le reste de la France.

Mon deuxième exemple, que je déplore, concerne le chantage financier exercé par l’Union européenne à l’encontre de la Hongrie et de la Pologne. Les gouvernements de ces deux pays ont été élus en bonne et due forme par les Hongrois et par les Polonais. Je ne vois absolument pas de quel droit l’Union européenne cherche à s’immiscer dans leurs affaires internes en exigeant qu’ils se soumettent à un soi-disant État de droit.

La notion d’État de droit est artificielle et n’a aucune légitimité juridique (Rires ironiques sur plusieurs travées.)

M. Jean Louis Masson. … lui permettant de bafouer la volonté du peuple lorsqu’elle s’est démocratiquement exprimée lors des élections.

L’État de droit, c’est la volonté du peuple, c’est la démocratie ; ce n’est sûrement pas un prêche imposé par telle ou telle personne contre l’avis du peuple !

Enfin, l’Union européenne n’est absolument pas à la hauteur face à l’impérialisme de la Turquie. Ce pays multiplie les menaces, et même les agressions militaires, à l’encontre de ses voisins. Face à la Turquie, l’Union européenne réagit à peu près comme Daladier et Chamberlain face à Hitler en 1938.

M. Erdogan ne comprend que les rapports de force. Avec lui, c’est comme avec Hitler : il faut être très ferme. Il faut de lourdes sanctions économiques. En la matière, l’Union européenne a véritablement été en dessous de tout.

Mme le président. Veuillez conclure, mon cher collègue.

M. Jean Louis Masson. Ces exemples confirment que l’Union européenne est devenue un boulet qui étouffe les États membres.

Mme le président. La parole est à Mme Colette Mélot.

Mme Colette Mélot. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, l’année 2020 a été éprouvante pour l’ensemble de la planète. Elle l’a été pour l’Union européenne à plusieurs niveaux et je me réjouis des nombreuses avancées actées jeudi et vendredi derniers, lors du Conseil européen.

À l’heure où l’Agence européenne du médicament doit donner son autorisation de mise sur le marché pour les vaccins contre la covid-19, je salue la conclusion de contrats d’achats anticipés par la Commission européenne, ainsi que les volontés toujours plus grandes de coordination. Il est important que les peuples européens puissent avoir accès aux vaccins en même temps et qu’ils soient bien informés.

La coordination doit s’intensifier non seulement dans le domaine des tests, mais aussi dans celui des certificats de vaccination. La santé au sein de l’Union européenne, ainsi que le partage d’expérience et d’information, doit être plus intégrée.

Je plaide pour une union de la santé dont nous devons définir ensemble les contours pour qu’elle soit efficace et parfaitement complémentaire avec les systèmes nationaux. Les conclusions du Conseil européen sur ces sujets vont dans le bon sens.

Un autre point positif de ces conclusions concerne l’accord obtenu sur l’objectif de réduction de 55 % des émissions de gaz à effet de serre à l’horizon 2030. C’est une étape importante vers la neutralité carbone de l’Union européenne pour 2050. Nous sommes conscients de l’effort que cela représente pour plusieurs pays membres très dépendants du charbon, raison pour laquelle un accord sur un objectif commun était si important.

En 1950, Robert Schuman nous proposait de créer la Communauté européenne du charbon et de l’acier, point de départ de la fabuleuse histoire de l’Union. Quel plus bel hommage que de faire de la sortie du charbon un nouvel objectif commun aux Européens ? C’est un beau clin d’œil de l’Histoire au nouveau chapitre que nous ouvrons.

Les États membres ont aussi décidé de renforcer les restrictions et sanctions envers la Turquie, en réponse à ses actions provocatrices. Missionner Josep Borrell pour faire un état des lieux de la relation entre la Turquie et l’Union européenne me semble être un bon début. Mais, dans ce cas de figure, je voudrais souligner que l’Europe doit être flexible et agile pour répondre efficacement et rapidement aux situations qui peuvent la déstabiliser. Nous devons protéger nos territoires, nos valeurs et nos citoyens. N’est-il pas temps de se doter d’une vision commune pour notre politique extérieure et les moyens à notre disposition ?

Enfin, il m’est impossible de ne pas évoquer la levée du veto de la Pologne et de la Hongrie à notre budget et à notre plan de relance européen. L’Union n’a pas cédé sur le respect de l’État de droit, et c’est heureux ! Les peuples européens ne nous auraient pas pardonné ce coup de canif dans nos valeurs.

J’aimerais noter que l’Union européenne a su faire preuve, encore une fois, de compromis et d’unité face à la crise. Il était également important de répondre aux appréhensions de certains États. En ce sens, la caution qu’apporte la Cour de justice et son rôle dans le mécanisme de l’État de droit sont satisfaisants. Aucun peuple ne sera laissé de côté dans la relance et dans les transitions des prochaines années : c’est bien là le principal.

L’Union européenne a maintenant besoin de regarder vers l’avenir. Une seule étape reste à franchir en cette année 2020, celle du Brexit. Tout le monde serait perdant en cas de no deal. Nous espérons toujours un accord qui respecte nos valeurs et nos intérêts. Mais ces discussions ne peuvent pas durer au-delà de 2020. L’Union européenne doit se concentrer sur son avenir et avancer.

Les conclusions du Conseil européen sont positives ; permettez-moi l’être à mon tour pour conclure.

Les Européens ont une histoire et des valeurs en partage. Ce rêve ardent dont parlait le président Valéry Giscard d’Estaing reste d’actualité. Nous devons reprendre le flambeau et perpétuer son désir d’Europe avec notre jeunesse, force immense, innovante et créative. Ce grand Européen était un défenseur du siège strasbourgeois du Parlement européen : marchons dans ses traces.

Valéry Giscard d’Estaing ne s’était pas trompé quand il nous a enseigné qu’il ne fallait pas seulement consulter les Européens, mais les associer. Je crois fortement en cette affirmation. C’est pour cela que la conférence sur l’avenir de l’Europe doit être le rendez-vous des Européens. Nos appuis sont solides, nous devons décider ensemble d’un cap.

Les dernières crises européennes nous ont montré que, parfois, nous ne regardons pas tous dans la même direction. C’est un fait ; tirons-en les enseignements nécessaires. L’Europe a toujours dansé au bord de l’abîme ; apprenons-lui à vivre plutôt qu’à survivre.

Le président Valéry Giscard d’Estaing et le chancelier Helmut Schmidt nous ont demandé de réussir à réaliser le rêve européen. Faisons de cette exigence notre avenir. (Applaudissements sur les travées des groupes RDPI et UC.)

Mme le président. La parole est à M. Jacques Fernique.

M. Jacques Fernique. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, dans la phase actuelle si difficile, l’Union européenne tient ; elle ne déçoit pas.

Ce Conseil européen a répondu à nos attentes en parvenant à un accord sur ce paquet qui rassemble en un tout budget pluriannuel et plan de relance. On peut, à raison, juger que les montants ne sont pas à la hauteur, mais ce paquet budgétaire permettra des avancées significatives, particulièrement pour le climat et la biodiversité, auxquels il consacrera des quotités contraignantes qui pourront être des leviers forts de réorientation des politiques européennes.

Ce paquet nécessitera un emprunt qui engage – et c’est nouveau – à une solidarité durable et à la recherche de ressources propres, c’est-à-dire des impôts européens pour réduire les logiques paralysantes chroniques de l’Union.

Ce déblocage était donc essentiel. Il a certes pu réussir au prix de délais laissés aux dirigeants hongrois et polonais, jusqu’à ce que la Cour de justice ait donné son avis sur le mécanisme, mais en maintenant – et c’est l’essentiel – la possibilité de suspendre, à la majorité qualifiée, les subsides européens si leur bon usage était en danger au regard des règles de l’État de droit. Jusqu’ici, les infractions aux principes de l’État de droit relevaient de l’unanimité. Ce Conseil européen n’a donc formellement reculé ni sur la relance ni sur l’État de droit.

Ce Conseil a aussi été l’occasion de rehausser l’objectif climat de réduction des émissions de CO2 à l’horizon 2030 : c’est encore un progrès face aux inerties qui creusent les écarts entre la trajectoire visée pour atteindre la neutralité carbone à l’horizon 2050 et la réalité des évolutions constatées. Cinq ans après les accords de Paris, il est en effet important de se ressaisir, parce que nous n’y sommes pas !

En ce qui concerne les pays du G20, les Nations unies ont alerté la semaine dernière sur le fait que la trajectoire engagée nous mènerait vers 3,4 à 3,9 degrés supplémentaires. Ce rehaussement s’imposait donc.

Ces avancées du Conseil ne sont pas pour nous un aboutissement, la fin heureuse d’une passe délicate. Elles sont les bases de développements à venir qui n’auront rien d’évident, qui nécessiteront des efforts et des choix que nous espérons démocratiques, débattus et partagés largement au cours des délicates étapes qui sont encore devant nous.

Je voudrais dire ici les positions, les convictions majeures des écologistes européens pour ces étapes à venir.

Notre Sénat jouera son rôle lors d’une étape toute proche puisque, comme la quarantaine d’assemblées des Vingt-Sept, il pourra ratifier ou non le texte qui permettra de s’endetter pour financer le plan de relance.

On parlait du veto hongrois et polonais : il est surmonté. Reste à obtenir l’assentiment de toutes ces assemblées représentatives nationales, et parfois régionales : rien ne pourra être déboursé de la relance si elles n’y consentent pas en connaissance de cause. Les écologistes contribueront partout à faire en sorte que des majorités donnent ce feu vert.

Les écologistes pèseront également pour que les quotités contraignantes décidées – 30 % pour la lutte contre le changement climatique et, à terme, 10 % pour la reconquête de la biodiversité – se traduisent de façon efficace et efficiente en actions concrètes et en résultats mesurables. Il ne peut être question d’intentions vagues, d’affichages creux, de petits pas dont notre propre pays s’est hélas ! trop fait une spécialité. Les Nations unies le rappelaient voilà quelques jours : « Pour rester faisables et crédibles, les engagements de neutralité carbone doivent être traduits d’urgence en politiques et en actions fortes à court terme. »

Il sera donc nécessaire d’améliorer les méthodologies de mesure robustes des dépenses « climat » et « biodiversité », ce qui figure dans la feuille de route de la Commission. Il ne serait pas acceptable d’évaluer l’effort européen de la façon si peu fiable dont notre gouvernement évalue son soi-disant « budget vert ». L’enjeu est majeur : par exemple, comment une politique agricole commune, qui représente 40 % du budget européen, pourrait-elle s’exonérer de ces nouveaux impératifs « climat » et « biodiversité » ? Si des réorientations fortes des politiques européennes devaient en découler, il faudrait en trouver la volonté et le courage.

Les étapes à venir seront aussi celles de la mise en place des fameuses « ressources propres ». Si nos pays arrivent à instaurer ces nouveaux impôts européens avec des assiettes et des taux pertinents, c’est autant qu’ils n’auront pas à débourser eux-mêmes pour la relance et ce sont les politiques ordinaires de l’Union qui ne seront pas rabotées. Il s’agit de faire un peu contribuer ceux qui tirent le plus profit du marché européen. Il s’agit aussi, avec l’ajustement carbone aux frontières, d’activer des leviers pour faire changer la donne au-delà des frontières de l’Union.

Les écologistes tiennent à ce qu’on ne perde ni temps ni efficacité dans les modalités concrètes de mise en place de ce mécanisme carbone.

Mme le président. Veuillez conclure, mon cher collègue.

M. Jacques Fernique. Ils tiennent aussi à ce que la future taxe sur les transactions financières ne soit pas renvoyée aux calendes grecques et amoindrie.

Nous sommes donc optimistes et résolument exigeants. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST.)

Mme le président. La parole est à M. André Gattolin. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)

M. André Gattolin. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, je voudrais tout d’abord dire que c’est un grand bonheur de pouvoir s’exprimer sur l’Europe dans cet hémicycle, à une heure qui, pour une fois, n’est pas indue, même si l’auditoire reste tristement clairsemé…

M. Gérard Longuet. C’est la qualité qui importe ! (Sourires sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. André Gattolin. L’Union européenne est la source d’une part significative de la législation nationale que nous produisons, que nous transposons et que nous contrôlons annuellement. Mais trop souvent, dans pareil cas, quand la situation est d’importance, « nous regardons ailleurs », comme disait un ancien Président de la République.

Toutefois, ne gâchons pas notre plaisir. Et sans flagornerie aucune, c’est un bonheur de s’exprimer devant un membre du Gouvernement qui sait allier à la fois une très grande maîtrise technique de tous les dossiers européens, pourtant nombreux et très variés, avec un véritable sens politique qui lui permet d’éviter le fatal écueil du technicisme roboratif et déshumanisé qui pèse trop souvent sur ces sujets. (Exclamations amusées sur plusieurs travées.) Mais, une fois dit cela, on a déjà tout dit et presque rien…

Ce type de débat, formellement consacré au retour sur un Conseil européen qui s’est déroulé voilà déjà plusieurs jours et dont les conclusions ont été très largement divulguées par les instances européennes, et parfois même commentées dans la presse, pourtant peu soucieuse d’information européenne, n’a généralement qu’un intérêt limité.

Les orateurs qui m’ont précédé ont beaucoup parlé du Brexit, un sujet particulièrement crucial qui n’était pas à l’ordre du jour officiel de ce Conseil. Cela montre bien que les questions européennes débordent largement de la petite fenêtre « hémicyclaire » qui nous est ici accordée.

J’en profite, monsieur le secrétaire d’État, pour vous rappeler combien mes collègues et moi-même sommes viscéralement attachés à la place à accorder aux parlementaires à l’occasion des débats qui s’ouvriront prochainement sur l’avenir de l’Europe et lors de la préparation de la future présidence française du Conseil de l’Union européenne.

Je ne crois pas trahir la pensée de mes collègues en disant que nous n’avons guère été convaincus, la semaine dernière, par les réponses que nous ont apportées la secrétaire générale des affaires européennes et le secrétaire général de la présidence française du Conseil de l’Union européenne, lors de leur audition. Il faudrait être un peu plus précis…

Aussi, pour revenir au sujet qui nous réunit aujourd’hui et prendre un peu de champ, je voudrais parler de la présidence allemande qui s’achève et tenter d’en dresser un premier bilan.

Tout d’abord, fait exceptionnel, et qui a peu de chances de se reproduire dans le périmètre élargi de l’Union qui est le nôtre depuis deux décennies, c’est la première fois qu’un dirigeant européen, en l’occurrence Mme Angela Merkel, aura par deux fois assuré cette présidence tournante. Arrivée à la tête de l’Allemagne en novembre 2005, elle a déjà présidé le Conseil de l’Union européenne au premier semestre 2007. Seul Viktor Orban, s’il parvenait à se maintenir à la tête de la Hongrie jusqu’au second semestre 2024, peut espérer faire aussi bien…

Pour revenir à Mme Merkel, son exploit européen prouve à lui seul la stabilité et la centralité de l’Allemagne moderne au sein de l’Europe. Depuis la préparation de cette présidence, marquée, en mai dernier, par la proposition franco-allemande d’un plan de relance européen pour faire face aux conséquences de la crise sanitaire, jusqu’à l’adoption, la semaine passée, dudit plan de relance et du prochain cadre financier pluriannuel, en dépit des oppositions longtemps manifestées par la Hongrie et la Pologne, tout – ou presque – accrédite l’idée d’une grande présidence allemande et d’un succès personnel de la chancelière, son « ultime victoire » comme on a pu le lire dans la presse. Il ne manquerait plus qu’un accord de dernière minute concernant la sortie du Royaume-Uni pour parachever l’affaire.

Pour réussir sa présidence, l’Allemagne aura procédé à de nombreux compromis et accepté de renier de nombreux dogmes auxquels elle était pourtant très attachée : levée des restrictions sur le déficit budgétaire, niveau des aides d’État autorisées, libre champ de s’endetter laissé à l’Union européenne pour financer le Fonds de relance et accord sur la mutualisation de cette dette nouvelle.

Pays morcelé et économiquement dévasté au sortir de la Seconde Guerre mondiale, l’Allemagne fédérale – puis l’Allemagne réunifiée – a, plus qu’aucun autre État membre, fait sienne et intériorisé la double promesse fondatrice de la construction européenne de bâtir un espace de paix et de prospérité partagée.

Sa puissance commerciale et monétaire, ainsi que sa rigueur budgétaire, portée au rang de credo inamovible, sont à la base de sa prospérité et de son insolent succès économique.

Son souhait d’entretenir des relations pacifiées et non conflictuelles avec tous ses voisins, en particulier depuis la chute du Mur et l’adhésion de tous ces pays – à l’exception de la Suisse – à l’Union européenne fait que, depuis quinze ans, l’Allemagne vit en entente et en pleine harmonie avec l’ensemble des pays et des nations qui la jouxtent, pour la première fois depuis des siècles.

Mais cette harmonie semble avoir un prix. Et si le cadre financier pluriannuel et le plan de relance européen ont bel et bien été adoptés à l’unanimité, le mécanisme d’État de droit supposé accompagner ce dernier semble avoir été assorti de conditions de mise en œuvre qui le rendent peu opératoire, au moins jusqu’en 2023.

Il en va de même des fameuses sanctions ciblées, que M. le secrétaire d’État a évoquées, en cas de violations graves en matière de droits humains. Tous ces dispositifs inapplicables ne sont qu’un tigre de papier.

Aux États-Unis, 250 personnes ont été inscrites sur la liste Magnitski, 70 au Canada et 25 au Royaume-Uni, qui vient à peine d’adopter sa loi.

Mme le président. Veuillez conclure, mon cher collègue.

M. André Gattolin. J’espère que l’Europe ne se ridiculisera pas en ne portant aucun nom sur cette liste. (Applaudissements sur les travées des groupes RDPI et INDEP. MM. Jean-Claude Requier et Jean-François Husson applaudissent également.)

Mme le président. La parole est à Mme Véronique Guillotin. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE. – M. Jean-François Husson applaudit également.)

Mme Véronique Guillotin. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, tandis que la question du Brexit a encore besoin de quelques jours pour trouver une issue, l’Union européenne a enfin dénoué l’épisode du veto opposé par deux de ses membres au mécanisme de conditionnalité du versement des fonds européens. On peut naturellement se réjouir de cette avancée.

Le compromis trouvé avec la Pologne et la Hongrie va en effet permettre la mise en œuvre des moyens budgétaires dont les États membres ont rapidement besoin pour faire face à la crise.

Le Conseil européen a rappelé, dans ses conclusions, son attachement à l’État de droit. C’est important, car le respect des valeurs démocratiques est au cœur de la construction européenne.

Certes, on voit bien que nos amis polonais et hongrois ont obtenu un frein à travers des clarifications juridiques et procédurales, mais la « déclaration interprétative » ne remettait pas en cause le mécanisme « État de droit ». L’équilibre peut nous satisfaire ; il contente, en tout cas, nos deux partenaires de l’Est.

J’ajouterai, au-delà des questions juridiques qui ont conduit au déblocage de la situation, que Varsovie et Budapest ont sans doute réalisé ce qui aurait pu leur échapper : près de 4 % de leur produit intérieur brut, c’est-à-dire leur part au sein de l’instrument de relance.

À cet égard, monsieur le secrétaire d’État, je salue votre posture, qui a consisté à évoquer la possibilité d’un plan de relance à vingt-cinq, ce qui a sans doute contribué à mettre la pression.

Toutefois, il reste encore une étape : la décision relative aux ressources propres doit se concrétiser, comme l’a rappelé le Conseil. La Commission européenne doit très rapidement être en mesure de lever de l’argent sur les marchés financiers. Il y a urgence.

Nous le mesurons chaque jour sur nos territoires, la crise sanitaire s’éternise et les difficultés économiques s’accumulent pour les secteurs très impactés par le confinement, en particulier l’hôtellerie et la restauration.

En ce qui concerne la crise sanitaire, la situation épidémiologique est encore préoccupante en Europe. Au bout du compte, on peut observer que les stratégies de lutte contre le virus sont complexes. Pas un État membre n’a trouvé la solution idéale : hier, on applaudissait l’Allemagne pour sa politique de lutte contre la covid ; aujourd’hui, elle se retrouve dans une situation dégradée. Inversement, la France faisait figure de mauvaise élève avant l’été pour devenir, depuis quelques jours, un meilleur exemple.

Dans ces conditions, la politique de vaccination apparaît comme le principal espoir du retour à une vie normale. Aussi peut-on féliciter la Commission européenne d’avoir procédé à la conclusion de contrats d’achats anticipés de doses vaccinales.

Tous les regards sont actuellement tournés vers l’Agence européenne du médicament. Il semblerait que certains États membres fassent pression pour accélérer la validation des vaccins. Pouvez-vous nous dire où nous en sommes, monsieur le secrétaire d’État ?

Par ailleurs, le Conseil européen a rappelé dans ses conclusions l’idée d’une approche coordonnée en matière de certificats de vaccination. Les États membres lèveront sans doute leurs restrictions progressivement, avec parfois une condition de vaccination pour l’accès à leur territoire.

À ce moment-là, il faudra veiller à ce que les déplacements transfrontaliers puissent se faire de façon fluide et équitable. J’espère en tout cas que l’on évitera les situations de blocage comme celles qu’ont pu vivre les travailleurs transfrontaliers lors des premiers confinements.

Toujours sur le volet sanitaire, les dirigeants européens ont également souligné la nécessité de faire avancer les propositions concernant l’Europe de la santé.

Pour le moment, si le temps est à l’urgence, la crise sanitaire a révélé notre forte dépendance en matériels et produits médicaux. Je l’ai souligné la semaine dernière lors de l’examen de la proposition de loi portant création d’un pôle public du médicament, la France dépend à 80 % ou 85 % de principes actifs pour les médicaments qui sont produits en Asie.

C’est un problème réel, qui concerne tous les pays européens. Une vraie stratégie est à mettre en place pour créer une souveraineté européenne dans le domaine de la production de médicaments.

Enfin, mes chers collègues, j’aborderai en conclusion l’autre grand volet du dernier Conseil européen, à savoir la validation de l’objectif d’une réduction de 55 % des émissions de gaz à effet de serre d’ici à 2030. C’est une décision forte à la veille de l’anniversaire des accords de Paris adoptés il y a cinq ans. Elle envoie un signal aux États-Unis et à la Chine, deux pays qui doivent aussi renforcer leurs ambitions.

Le RDSE partage naturellement cet objectif, pourvu que les choix faits pour l’écologie soient acceptables pour nos concitoyens, pour reprendre les termes employés hier par le Président de la République devant les membres de la Convention citoyenne pour le climat.

Il nous faut en effet trouver le juste équilibre entre la nécessité d’accélérer la transition écologique de notre système de production et celle d’éclaircir rapidement l’horizon économique de l’Union européenne, ce à quoi tentera de répondre le très attendu instrument de relance européen. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE. – MM. Claude Kern et Jean-François Husson applaudissent également.)

Mme le président. La parole est à M. Pierre Laurent.

M. Pierre Laurent. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, après une nouvelle réunion marathon, le Conseil européen s’est une nouvelle fois terminé par des « ouf » de soulagement poussés par les chefs d’État. En réalité, les Conseils européens ne font plus rêver personne. L’Union européenne vit dans la crise permanente. Après chaque réunion au sommet, on se dit que les problèmes ne sont pas derrière nous, mais devant nous. C’est encore le cas cette fois-ci.

Sur le climat, l’accord s’est finalement fait sur le rehaussement de l’objectif de réduction des émissions nettes de gaz à effet de serre, fixé à 55 % par rapport au niveau de 1990. C’est un progrès tardif qui ne nous met toujours pas dans les clous de l’accord de Paris. Surtout, où sont la programmation et les moyens de la transition annoncée ?

Vous dites que 30 % des 1 800 milliards du CFP, le cadre financier pluriannuel, et du plan de relance sont fléchés vers la lutte contre le changement climatique. Toutefois, outre que cela reste très insuffisant à l’échelle de toute l’Union, comment y croire quand toutes les tentatives que nous faisons ici pour conditionner clairement les aides du plan de relance sont systématiquement écartées par votre gouvernement, quand la Convention citoyenne pour le climat voit ses ambitions retoquées en matière de fret ferroviaire ou de rénovation de l’habitat, quand, à Bruxelles, au même moment, dans la plus grande opacité, est négocié le projet Hercule visant au démantèlement d’EDF, autrement dit d’un outil industriel et de service public essentiel si nous voulons organiser la planification énergétique de la transition écologique ?

Nous continuons de tout livrer au marché, en renonçant à tout pilotage public cohérent et à tout esprit de service public. Pouvons-nous croire un seul instant, monsieur le secrétaire d’État, que la loi du marché rendue toute puissante sera le garant de l’ambition d’une transition écologique, alors que c’est le marché et sa loi court-termiste du profit qui nous ont conduits au bord du précipice climatique ?

L’accord a également concerné le CFP et le plan de relance. Les vetos polonais et hongrois ont été levés, au terme d’un arrangement sur le respect de l’État de droit on ne peut plus confus. La « déclaration explicative » annexée à l’accord fait déjà l’objet d’interprétations contradictoires des gouvernements concernés. Il s’agit donc de nouveau d’une usine à gaz visant à sauver la face de tout le monde, mais n’ayant absolument rien réglé sur le fond.

Quelle honte d’entendre les gouvernements polonais et hongrois se réjouir que ni l’interdiction de l’avortement, ni les lois discriminatoires antimigrants, ni les lois anti-médias ne seront concernées ! À quoi servira réellement le règlement adopté, monsieur le secrétaire d’État ?

Sur la politique vaccinale anti-covid, beaucoup de questions demeurent également en suspens. C’est vrai, face à la pandémie, l’Union s’est pour une fois mieux coordonnée. Nous avons financé la recherche et sécurisé l’achat de vaccins, en produisant exceptionnellement ces vaccins dans un temps record en Europe même. Mais qui finançons-nous ? De grandes firmes américaines auxquelles s’allient en ordre dispersé et en vassaux des groupes européens, dont le Français Sanofi.

La question de la reconstruction de notre souveraineté sanitaire en matière de recherche et de production pharmaceutiques reste donc entière pour l’avenir. La pandémie appelle sur ce sujet un changement stratégique et une reprise en main publique. Notre proposition de loi visant à la création d’un pôle public du médicament, rejetée ici même la semaine dernière, est toujours sur la table, car la sécurité sanitaire nous appellera à y revenir au plus vite, si nous voulons sortir de la dépendance actuelle.

Enfin, monsieur le secrétaire d’État, le Brexit, dont on a déjà beaucoup parlé, risque malheureusement de signer dans quelques jours un échec retentissant pour l’Europe. Le no deal s’approche – nous espérons bien sûr qu’il sera, in fine, évité – et plonge la pêche française dans l’inconnu pour l’année qui s’annonce. Vous le savez, ce sujet est largement devant nous.

En vérité, monsieur le secrétaire d’État, l’Union européenne ne construit aucune solidarité durable et tout reste à refonder. C’est non pas d’une conférence sur l’avenir de l’Europe, élaborée une fois encore en comité restreint, que nous aurons besoin l’année prochaine, mais d’une refondation au grand jour, au terme d’un grand débat citoyen dans toute l’Union, dans le cadre duquel les traités ne seraient plus tabous. En effet, il devient de plus en plus évident que ces derniers devront être modifiés en profondeur. Les Français doivent être saisis de tous les enjeux, à commencer par le rôle de la Banque centrale européenne, laquelle vient d’annoncer qu’elle prolongeait sa politique de rachats d’actifs jusqu’en mars 2022, en la rehaussant à 1 850 milliards d’euros, ainsi que son mécanisme de soutien au crédit bancaire via une grille de taux négatifs jusqu’en juin 2022.

À quoi servira tout cet argent ? Voilà l’une des questions dont il nous faut débattre au plus vite. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE.)