compte rendu intégral

Présidence de Mme Laurence Rossignol

vice-présidente

Secrétaires :

Mme Esther Benbassa,

Mme Jacqueline Eustache-Brinio.

Mme la présidente. La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à quatorze heures trente.)

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Procès-verbal

Mme la présidente. Le compte rendu intégral de la séance du jeudi 17 décembre 2020 a été publié sur le site internet du Sénat.

Il n’y a pas d’observation ?…

Le procès-verbal est adopté.

2

Décès d’anciens sénateurs

Mme la présidente. J’ai le regret de vous faire part du décès de nos anciens collègues Paul Loridant, qui fut sénateur de l’Essonne de 1986 à 2004, et James Bordas, qui fut sénateur d’Indre-et-Loire de 1992 à 2001.

3

Risque de blackout énergétique

Débat organisé à la demande du groupe Les Républicains

Mme la présidente. L’ordre du jour appelle le débat, organisé à la demande du groupe Les Républicains, sur le risque de blackout énergétique.

Nous allons procéder au débat sous la forme d’une série de questions-réponses dont les modalités ont été fixées par la conférence des présidents.

Je rappelle que l’auteur de la demande dispose d’un temps de parole de huit minutes, puis le Gouvernement répond pour une durée équivalente.

À l’issue du débat, le groupe auteur de la demande dispose d’un droit de conclusion pour une durée de cinq minutes.

Dans le débat, la parole est à M. Daniel Gremillet, pour le groupe auteur de la demande. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Daniel Gremillet, pour le groupe Les Républicains. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, permettez-moi tout d’abord de vous présenter mes meilleurs vœux pour 2021.

Vendredi dernier, le gestionnaire du réseau public de transport d’électricité, dont l’une des missions est d’assurer l’équilibre entre l’offre et la demande d’électricité, a activé « le signal rouge » au niveau national. RTE a incité les Français « à réduire leur consommation d’électricité en appliquant des éco-gestes ».

Cet épisode témoigne de la grande vulnérabilité dans laquelle nous nous trouvons cet hiver. En réalité, il n’a rien d’étonnant ! Il est d’ailleurs probable qu’il se réitère, avec des conséquences peut-être plus graves, d’ici à la fin mars. Pourtant, si le Sénat avait été entendu plus tôt, cet épisode aurait sans doute pu être évité.

Depuis bientôt un an, le secteur de l’énergie, et singulièrement le marché de l’électricité, est entré dans une véritable zone de turbulences. Au-delà de son impact sanitaire, la crise de la covid-19 a de graves répercussions sur notre système énergétique. Cette crise affecte lourdement nos énergéticiens, en particulier EDF, car elle réduit le niveau de la demande et des prix des énergies ainsi que la disponibilité des moyens de production. Selon l’Agence internationale de l’énergie (AIE), « la crise de la covid-19 et les mesures de confinement qui en ont résulté ont un impact hors du commun sur le système énergétique ».

Dans ce contexte, dès le 11 juin dernier, RTE a anticipé « une situation de vigilance particulière » pour l’hiver 2020-2021. Cette situation sera d’autant plus critique que les conditions météorologiques seront rigoureuses. Elle s’explique essentiellement par « une disponibilité historiquement basse du parc nucléaire ».

Sur les cinquante-huit réacteurs de ce parc, neuf seront arrêtés en février et cinq le seront en mars prochain. En effet, la crise de la covid a entraîné des reports dans le programme d’arrêts de tranche d’EDF, c’est-à-dire des opérations de maintenance des centrales. Par ailleurs, certains réacteurs sont indisponibles pour des raisons liées à leur sûreté : Flamanville, Paluel et le Bugey. Pis, d’autres réacteurs ont été arrêtés pour des considérations politiques : avec la fermeture des deux réacteurs de la centrale de Fessenheim, en mars et en juin derniers, le Gouvernement a privé la France d’une puissance de production de 1,8 gigawatt, ce qui représente 1 800 éoliennes de 1 mégawatt ou 15 centrales thermiques de 150 mégawatts. Nous n’avons pas fini d’en payer les conséquences !

Cette situation de « vigilance particulière » sera très sensible aux mois de février et de mars prochains, de même que dans le Grand Ouest. Je pense en particulier à la région Bretagne, véritable « péninsule électrique » : le déploiement de la centrale nucléaire de Flamanville n’a pas succédé à l’extinction de la centrale à charbon de Cordemais.

Cette situation perdurera au moins jusqu’en 2023. Notre parc de production d’électricité est désormais « sans aucune capacité supplémentaire ». En effet, avec les fermetures de centrales nucléaires et thermiques, nos moyens de production se sont réduits, sans être compensés par l’essor des énergies renouvelables (EnR) ou des effacements de consommation.

Cette situation se traduira par un recours accru aux centrales thermiques en France, mais aussi à l’étranger. Nous allons dépendre des imports d’énergie de nos voisins européens, à commencer par l’Allemagne, dont – je le rappelle – 40 % de la production d’électricité est de source fossile. C’est regrettable pour notre indépendance énergétique, lorsqu’on sait que la France fut traditionnellement exportatrice d’électricité. C’est regrettable pour nos engagements climatiques, lorsqu’on sait que les trois quarts de notre production d’électricité sont entièrement décarbonés.

Cette situation ne conduira pas à un complet blackout, c’est-à-dire à une coupure d’électricité à l’échelle nationale, mais elle nécessitera l’activation de mécanismes dits « post-marché », comme l’interruption des consommateurs industriels, la baisse de tension sur le réseau et l’appel aux gestes citoyens. Surtout, RTE n’exclut pas des coupures d’électricité « séquencées et contrôlées ». Les Français n’ont donc pas fini d’être sollicités par des appels aux gestes citoyens.

Madame la secrétaire d’État, ces gestes sont sans doute appréciables, mais ils ne font pas une politique énergétique. Les Français sont en droit d’attendre, de la part de leur gouvernement, un diagnostic lucide, des objectifs réalistes et des mesures fortes.

Tout d’abord, le Gouvernement doit poser un diagnostic lucide sur la situation que nous traversons.

Lors de son audition devant la commission des affaires économiques, en novembre dernier, Mme la ministre Barbara Pompili avait indiqué que notre vulnérabilité en matière de sécurité d’approvisionnement était liée à la prépondérance de l’énergie nucléaire dans notre mix électrique. Elle avait affirmé que « 75 % de notre électricité est produite à partir du nucléaire », avant d’ajouter : « Quand il y a un raté sur le nucléaire, on en subit les conséquences. C’est la raison pour laquelle il faut diversifier notre mix électrique, afin d’être moins à la merci de ce genre d’aléas en pouvant faire appel à d’autres types de production d’énergie. »

Pour ma part, je fais le constat exactement inverse : c’est bien plutôt parce que nous n’avons pas suffisamment investi dans l’énergie nucléaire que nous en sommes arrivés à cette situation.

Si les énergies renouvelables doivent être promues – j’en suis le premier convaincu –, elles ne sont pas d’un grand secours pour faire face à la pointe de consommation hivernale, compte tenu de leur intermittence.

Faute d’un soutien suffisant à la filière nucléaire, ce sont aujourd’hui des centrales thermiques, de surcroît étrangères, qui tournent à plein régime, non des panneaux solaires ou des éoliennes, soumis aux aléas climatiques.

Ensuite, le Gouvernement doit fixer des objectifs réalistes pour sécuriser notre approvisionnement.

Dès l’examen du projet de loi Énergie-climat, dont je fus le rapporteur, j’avais regretté le manque d’« anticipation des conséquences de la politique énergétique menée ». Je continue de penser que la fermeture de quatre centrales à charbon, d’ici à 2022, et de quatorze réacteurs nucléaires, d’ici à 2035, aurait dû être davantage évaluée par le Gouvernement, au regard notamment de son impact sur la sécurité d’approvisionnement. En outre, sur l’initiative de la commission des affaires économiques du Sénat, le législateur a adopté un objectif d’au moins 6,8 gigawatts de capacité d’effacement d’ici à 2028, mais le compte n’y est pas : aujourd’hui, cet objectif n’est atteint qu’à un tiers et les capacités ouvertes par les derniers appels d’offres n’ont été remplies qu’au quart.

Ce même souci d’anticipation, pour lequel je plaide, devra présider à l’examen du projet de loi issu des travaux de la Convention citoyenne pour le climat : il faut se défier des mesures n’ayant pas fait l’objet d’une complète étude d’impact. Ce sujet nous en donne la preuve, et il est essentiel de garder cette réalité à l’esprit. À cet égard, l’interdiction de facto des chaudières à gaz dans les logements neufs, à compter du 1er juillet prochain, issue de la réglementation environnementale 2020, me semble tout à fait prématurée, car insuffisamment évaluée.

Enfin, le Gouvernement doit prendre des mesures fortes en faveur de la sécurité d’approvisionnement.

La commission des affaires économiques n’a cessé d’avancer des solutions, afin que nous puissions maîtriser la consommation d’énergie : l’intensification des appels d’offres en matière d’effacement, le rehaussement du chèque énergie pour les ménages en situation de précarité énergétique, ou encore le renforcement des dispositifs de soutien à la rénovation énergétique, notamment en matière de régulation et de programmation.

Nous avons fait adopter des amendements en ce sens dès le premier collectif budgétaire en mars 2020, mais le Gouvernement n’a conservé aucune de ces solutions de bon sens. Nous avons aussi demandé que le Parlement soit associé aux travaux stratégiques de l’exécutif s’agissant des réformes du marché de l’électricité – je pense en particulier à celles de l’Arenh et du groupe EDF –, mais le Gouvernement nous a opposé une fin de non-recevoir.

Au total, je suis convaincu que l’énergie est un domaine trop important pour être laissé à des décisions hasardeuses et mal calibrées, car mal évaluées : le risque de blackout que nous subissons nous le rappelle aujourd’hui cruellement.

La production d’énergie nucléaire est, en France, un service public, une mission régalienne. En dépendent tout à la fois notre vie sociale, notre vie économique et notre transition écologique. Sans elle, il est illusoire d’espérer atteindre la neutralité carbone à l’horizon de 2050.

Madame la secrétaire d’État, que compte faire le Gouvernement pour garantir la sécurité d’approvisionnement cet hiver et, au-delà, l’avenir d’EDF et du nucléaire dans notre pays ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

Mme la présidente. La parole est à Mme la secrétaire d’État.

Mme Bérangère Abba, secrétaire dÉtat auprès de la ministre de la transition écologique, chargée de la biodiversité. Madame la présidente, mesdames, messieurs les sénateurs, permettez-moi de vous présenter à mon tour mes meilleurs vœux pour 2021 : nous souhaitons tous que cette année soit celle de la résilience et de l’apaisement pour tous les Français.

Notre pays risque-t-il le blackout électrique ? Notre système de production et d’acheminement d’électricité est-il en mesure de répondre aux pointes de consommation hivernales ? La fermeture de la centrale nucléaire de Fessenheim met-elle en danger notre capacité à fournir de l’énergie à toute heure et en tout lieu ? Allons-nous avoir recours aux centrales à charbon pour passer le cap hivernal ? Ce sont autant de questions que les élus du groupe Les Républicains nous invitent à examiner aujourd’hui. Il s’agit là d’un débat légitime ; nous ne faisons pas forcément nôtre leur inquiétude, mais, en tout cas, cette dernière appelle notre attention.

Tout en saluant la tenue d’un tel débat dans cet hémicycle, je ne crois pas – et je vais vous préciser pourquoi – que nous risquions un blackout. Je ne crois pas non plus que la fermeture de Fessenheim menace la stabilité de notre système électrique. Au contraire, je crois que l’accroissement des énergies renouvelables contribue à sécuriser notre approvisionnement électrique et que nous utiliserons de moins en moins nos centrales à charbon. Certes, la situation actuelle exige une vigilance particulière, mais nous sommes prêts à faire face au pic de consommation que nous connaissons.

La vigilance dont il s’agit s’explique, avant tout, par l’impact de la pandémie. Vous le savez, en temps normal, le calendrier de maintenance du parc nucléaire, qui fournit 70 % de notre électricité, est organisé pour maximiser la disponibilité des réacteurs en hiver. Or la crise sanitaire a contraint EDF à revoir le calendrier de certaines opérations de maintenance.

À notre demande, EDF a révisé la planification des arrêts de réacteurs, afin d’améliorer autant que possible la disponibilité du parc en hiver, malgré ces décalages.

En outre, nous avons demandé à RTE de mener des analyses prévisionnelles pour évaluer la sécurité de l’approvisionnement électrique au cours des prochains mois. Les conclusions de ces analyses ont été rendues publiques – vous en avez pris connaissance, j’en suis persuadée – et elles sont rassurantes.

Cet hiver, la situation est plus favorable que nous ne l’escomptions au printemps, du fait de l’optimisation du planning d’arrêt des réacteurs, de la gestion prudente de la production hydroélectrique au cours des derniers mois, qui a permis de constituer un stock supérieur à celui des dernières années, et d’une consommation électrique largement en deçà du niveau habituel à la même époque, en répercussion, malheureusement, des difficultés économiques que traverse notre pays. Je peux donc vous l’assurer : les Français et les Françaises seront approvisionnés sans difficulté. Nous ne risquons aucun blackout. C’est sur le fondement des prévisions de RTE que nous pouvons l’affirmer.

À ce titre, je tiens à saluer l’implication des agents d’EDF et de RTE, qui sont à pied d’œuvre pour que nous soyons correctement approvisionnés. (M. Fabien Gay proteste.) Monsieur le sénateur, je vous certifie que tel est le cas ! C’est seulement dans l’hypothèse d’une vague de froid particulièrement rigoureuse, si les températures devenaient sensiblement inférieures aux normales de saison, de plusieurs degrés en moyenne et pendant plusieurs jours consécutifs, qu’un point de vigilance subsisterait. Même dans ce cas, plusieurs leviers peuvent être actionnés pour assurer la continuité de l’approvisionnement.

Tout d’abord, en collaboration avec certaines entreprises, la consommation peut être réduite : il s’agit de la méthode dite « de l’effacement », utilisée jeudi dernier. À ce titre, le volume disponible est doublé grâce aux mesures mises en œuvre cette année.

Ensuite, la consommation de certains industriels peut être momentanément arrêtée : c’est l’interruptibilité, un dispositif auquel les intéressés souscrivent et pour lequel ils sont rémunérés.

Si cela ne suffit pas, RTE peut diminuer de 5 % sur de courtes périodes la tension sur les réseaux : les effets d’une telle mesure sont quasiment imperceptibles pour les consommateurs.

Enfin – un tel cas de figure reste tout à fait improbable –, en dernier recours, parce que nous sommes aussi préparés aux situations exceptionnelles, nous pourrions tout à fait procéder à des opérations de délestage temporaire du réseau. Il s’agirait alors, en prévenant en amont les personnes concernées, de couper l’alimentation électrique d’un nombre limité de foyers, pour une durée maximale de deux heures, pour protéger l’ensemble du réseau.

Nous ne serons donc en aucun cas confrontés à des situations de blackout, c’est-à-dire à des coupures massives et non contrôlées sur le réseau. La sécurité de notre approvisionnement électrique est tout à fait garantie. (M. Fabien Gay proteste.)

J’en viens à la part du nucléaire dans notre mix électrique.

Monsieur Gremillet, je ne crois pas non plus que la fermeture de Fessenheim augmente le risque pesant sur le réseau électrique.

À cet égard, vous avez évoqué les études d’impact.

Il s’agit bien d’une décision pour partie politique. J’ajoute que le but est d’accroître la résilience de notre mix en garantissant un meilleur équilibre. D’ailleurs, ce sont bien les perturbations du programme de maintenance nucléaire, résultant, soit de la crise sanitaire actuelle, soit des périodes de canicule qui sont la conséquence du réchauffement climatique, qui expliquent le surcroît de vigilance dont nous faisons preuve. À certaines périodes de l’automne, entre cinq et dix réacteurs supplémentaires étaient à l’arrêt par rapport à l’année dernière. Il en sera de même pendant certaines périodes cet hiver.

Les deux réacteurs de Fessenheim n’auraient pas suffi, à eux seuls, à changer la donne. En outre, vous le savez, pour continuer à fonctionner de manière sûre au-delà de cette année, cette centrale aurait exigé des investissements massifs. De lourdes dépenses, pour une contribution faible à l’approvisionnement, auraient donc été engagées au détriment du déploiement d’autres capacités de production et de puissance bien plus importantes.

Le nucléaire demande de la planification – c’est ce qui a présidé à l’arrêt de cette centrale –, et nous poursuivrons en ce sens.

En parallèle, nous utilisons de moins en moins nos centrales à charbon. Les dernières d’entre elles seront arrêtées à l’horizon de 2022, conformément à nos engagements. Nous les employons encore à la marge, comme source d’appoint, pour faire face à des pics de consommation.

Pour la période 2019-2020, l’utilisation de ce moyen de production a été sensiblement plus basse que lors de la période 2015-2018. Ainsi, pendant les mois de septembre et d’octobre 2020, cette production a été deux fois plus faible que pendant les années passées. De plus, pendant la période 2012-2018, nous avons fermé 10 gigawatts de capacités de production à base de charbon et de fioul.

En aucun cas, la fermeture de Fessenheim ne nous conduit à augmenter notre utilisation du charbon. Notre électricité reste, de fait, la plus décarbonée d’Europe, grâce à notre parc nucléaire, grâce au parc hydraulique et au développement des autres énergies renouvelables.

L’épisode actuel nous montre, plus que jamais, la nécessité de diversifier notre mix électrique pour ne pas dépendre d’une seule source d’énergie et pour renforcer la résilience du réseau : tel est notre objectif au travers du développement des énergies renouvelables. C’est tout le sens de la programmation pluriannuelle de l’énergie (PPE), en vertu de laquelle la part du nucléaire dans notre mix électrique doit être abaissée à 50 % d’ici à 2035.

J’y insiste, les énergies renouvelables contribuent à la sécurité de notre système électrique – les bilans prévisionnels de RTE le confirment – et elles doivent constituer une part croissante de notre mix électrique. L’énergie éolienne a ainsi pu représenter jusqu’au tiers de la production électrique – ce fut le cas le 27 septembre dernier. J’ajoute que cette production est en moyenne plus élevée en hiver, puisque les conditions climatiques s’y prêtent, alors même que la consommation est plus importante.

Mesdames, messieurs les sénateurs, vous le voyez, nous sommes prêts, et sans crainte, à faire face à cette période hivernale. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)

Débat interactif

Mme la présidente. Nous allons maintenant procéder au débat interactif.

Je rappelle que chaque orateur dispose de deux minutes au maximum pour présenter sa question, suivie d’une réponse du Gouvernement pour une durée équivalente.

Dans le cas où l’auteur de la question souhaite répliquer, il dispose de trente secondes supplémentaires, à la condition que le temps initial de deux minutes n’ait pas été dépassé.

Dans le débat interactif, la parole est à M. Pierre Médevielle.

M. Pierre Médevielle. En vertu du cap fixé, la part du nucléaire dans notre mix électrique doit être portée à 50 % en 2035. Qu’il s’agisse d’un véritable changement de stratégie ou d’un simple effet de communication, cette décision ne doit pas nous mener à rouvrir des sites de production d’énergies polluantes ou à importer une énergie carbonée de pays voisins en cas de manque sur notre propre réseau. Le nucléaire fait partie des énergies les moins carbonées et reste la plus stable à notre disposition, même si je crois beaucoup aux possibilités qu’offrent les énergies renouvelables, notamment quand elles sont couplées à un stockage par batterie, comme le solaire le prouve.

Cette décision ne doit pas non plus fragiliser notre réseau face aux nouvelles consommations électriques. À titre d’exemple, en 2035, plus de 15 millions de véhicules électriques pourraient circuler dans l’Hexagone. J’espère que les véhicules à hydrogène bénéficieront alors, eux aussi, d’un maillage suffisant. D’après les chiffres de la Commission de régulation de l’énergie et de RTE, ces millions de véhicules électriques représenteront une consommation annuelle estimée autour de 35 tonnes wattheures, soit environ 7 % de la consommation française globale.

Fort heureusement, ces besoins nouveaux sont compensés par des innovations permettant de réduire la consommation électrique. Néanmoins, il faut aller plus loin : qu’en sera-t-il en cas de pic de consommation et donc de risques de tensions importantes sur le réseau pouvant entraîner un blackout ?

Les véhicules électriques doivent être la solution d’une gestion intelligente du réseau. Ce qu’on appelle le procédé vehicle to grid, autrement dit « de la voiture au réseau », est en train d’émerger. La perspective de piloter la recharge des véhicules électriques est source d’espoir et d’efficacité du réseau.

Madame la secrétaire d’État, comment envisagez-vous de faciliter l’expérimentation et le développement du pilotage de la recharge des véhicules électriques, dont le potentiel d’innovation pourrait rendre notre réseau plus flexible et prévenir d’éventuels blackouts sur le long terme ?

Mme la présidente. La parole est à Mme la secrétaire d’État.

Mme Bérangère Abba, secrétaire dÉtat auprès de la ministre de la transition écologique, chargée de la biodiversité. Monsieur le sénateur Médevielle, pour ce qui concerne le mix électrique à l’horizon de 2035 et au-delà, notre politique tiendra compte des besoins nouveaux, qu’il faudra bel et bien gérer intelligemment. D’ailleurs, les véhicules électriques font déjà l’objet d’expérimentations : certaines d’entre elles m’ont été présentées, en tant que Haut-Marnaise.

Il s’agit là de perspectives extrêmement intéressantes, car – j’insiste sur ce point –, face aux variations que connaît notre production d’électricité, notre mix énergétique doit absolument être diversifié. À cet égard, toute mesure susceptible de favoriser de nouveaux process de stockage de l’énergie, notamment au titre des mobilités, mérite d’être étudiée. Nous accorderons donc une attention toute particulière au système que vous évoquez.

Mme la présidente. La parole est à M. Pierre Médevielle, pour la réplique.

M. Pierre Médevielle. Madame la secrétaire d’État, je partage votre optimisme quant à ces nouvelles solutions, qui permettront d’accroître l’intelligence du réseau.

Certes, le stockage de l’énergie est un problème persistant, mais, sur ce sujet, nous avançons : dans certains territoires où la demande n’est pas trop forte, comme la Nouvelle-Calédonie, on parvient presque à l’autonomie, grâce à des unités de cellules photovoltaïques couplées à des batteries. Ainsi, l’électricité est délivrée à certains horaires : qu’il s’agisse des véhicules ou d’autres appareils, ce système ouvre de nouvelles perspectives. Nous faisons confiance au génie français pour développer ces solutions.

Mme la présidente. La parole est à M. Thomas Dossus.

M. Thomas Dossus. RTE a activé son dispositif d’alerte rouge Ecowatt vendredi dernier. La tension dans l’approvisionnement électrique provient certes de l’augmentation de la consommation liée à la vague de froid, mais elle questionne évidemment le choix du tout-nucléaire dont, encore à l’instant, on nous a vanté la prétendue robustesse. Or la crise du covid a révélé, une nouvelle fois, nos vulnérabilités, cette fois-ci en matière énergétique : elle a décalé la tenue de plusieurs travaux, et quatre réacteurs sur dix se sont ainsi retrouvés à l’arrêt.

Notre parc nucléaire, qui va bientôt fêter ses quarante ans, représente 77 % du mix électrique français. La voilà, la fragilité de notre modèle, loin des discours rassurants et optimistes : c’est celle d’une énergie coûteuse, fragile, dangereuse et dépassée, qui n’est pas à la hauteur des enjeux de notre siècle !

Néanmoins, le génie français ne serait rien sans son entêtement. Alors que de nombreux pays ont fait le choix de la diversification, nous avons décidé d’investir dans des EPR, comme celui de Flamanville, qui affiche déjà dix ans de retard et dont les coûts sont passés de 3 milliards à 19 milliards d’euros. Quand j’entends que l’on n’a pas encore assez investi dans le nucléaire, j’éprouve quelques doutes…

La peur du blackout doit permettre à certains d’ouvrir les yeux sur notre mix énergétique : il est urgent de le diversifier pour le rendre plus résilient. Mais la production n’est que la moitié du problème : il faut aussi se pencher sur la consommation et donc sur notre sobriété.

Le secteur du bâtiment, résidentiel et tertiaire, représente aujourd’hui 45 % de la consommation finale d’énergie en France. La part immense du chauffage électrique, couplée à une grande quantité de passoires thermiques, représente une immense marge de manœuvre pour faire baisser notre consommation électrique.

Au-delà de ces réserves d’énergie, il est indispensable de débattre des nouveaux usages. À ce titre, le rapport que le Haut Conseil pour le climat a consacré à la 5G est édifiant : il prévoit ni plus ni moins qu’une explosion de la consommation.

Madame la secrétaire d’État, ma question est la suivante : quel est votre scénario concret de réduction de la consommation électrique française et quelle est votre stratégie en matière de sobriété ?

Mme la présidente. La parole est à Mme la secrétaire d’État.

Mme Bérangère Abba, secrétaire dÉtat auprès de la ministre de la transition écologique, chargée de la biodiversité. Monsieur le sénateur Dossus, les clés sont effectivement dans l’efficacité énergétique et dans la maîtrise de la demande.

La loi prévoit une diminution de la consommation d’énergie finale de 20 % à l’horizon de 2030 par rapport à 2012 et une consommation d’électricité stable à cet horizon par rapport à aujourd’hui. En effet, l’électrification croissante des usages doit être compensée par une plus grande efficacité énergétique.

À cette fin, nous mettons en œuvre un certain nombre de dispositifs, à commencer, bien sûr, par la rénovation thermique des bâtiments. Il s’agit là d’un élément essentiel, comme le renouvellement des modes de chauffage, qui sont aujourd’hui moins carbonés et plus efficaces. Ainsi, nous disposons des certificats d’économies d’énergie (CEE), du dispositif MaPrimeRénov’, qui monte en puissance – vous l’avez vu –, et des aides de l’ANAH, qui constituent le cœur des aides à la rénovation.

Les certificats d’économies d’énergie ont été renforcés au printemps 2020 pour la rénovation des logements et locaux tertiaires chauffés au fioul et au gaz notamment, et l’ambition de la cinquième période d’obligation, qui s’ouvrira le 1er janvier 2022, est en cours de définition.

Par ailleurs, les études montrent que, en renforçant l’isolation des bâtiments, le remplacement à grande échelle du chauffage au fioul par des pompes à chaleur n’entraîne pas d’augmentation de la consommation.