Mme la présidente. La parole est à M. Cédric Perrin. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Cédric Perrin. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, je veux tout d’abord saluer Patrick Chaize, auteur de la proposition de loi, et les rapporteurs pour avis et au fond, Anne-Catherine Loisier, Guillaume Chevrollier et Jean-Michel Houllegatte, pour le travail accompli et la pédagogie dont ils ont réussi à faire preuve pour expliquer cette problématique « contre-intuitive ».

En effet, contrairement à ce que certains usagers imaginent – cela a été rappelé par nos rapporteurs –, le numérique n’est pas immatériel. Il laisse une empreinte sur l’environnement et celle-ci est malheureusement exponentielle : 2 % des émissions de gaz à effets de serre aujourd’hui en France, et 7 % dans vingt ans.

Faire émerger des pratiques plus vertueuses chez les acteurs du numérique et chez les consommateurs s’impose pour réguler notre empreinte, sans toutefois fragiliser les filières. C’est là toute l’agilité de nos collègues équilibristes qui sont parvenus à formuler des propositions de maîtrise des impacts environnementaux sans handicaper nos entreprises nationales.

Les priorités de ce texte sont claires et intelligibles : informer, éduquer, lutter contre le renouvellement des terminaux, promouvoir des usages écologiquement vertueux et développer des centres de données moins énergivores.

Parce que ces nouvelles pratiques s’imposent à tous, aux acteurs du numérique comme aux citoyens, nous ne pouvons nous contenter d’ordonnances techniques de transposition des directives européennes. La représentation nationale doit en débattre.

Plusieurs points ont en particulier retenu mon attention.

Il s’agit tout d’abord de la mise en œuvre de l’article 16, qui rend obligatoire l’écoconception des sites web et des services en ligne publics, mais aussi de certaines entreprises dont le chiffre d’affaires excède un seuil défini par décret en Conseil d’État.

Je regrette cette restriction qui écarte certaines entreprises. L’écoconception des environnements web ne doit pas être perçue comme un surcoût de conception. Développer « écoconçu » revient à appliquer une méthodologie précise et rigoureuse qui ne demande ni plus de temps ni plus d’argent. Une directive à l’endroit de toutes les entreprises me semble donc souhaitable pour assurer la sobriété numérique, raison pour laquelle je proposerai un amendement en ce sens.

Toujours à l’article 16, nos rapporteurs ont souhaité reporter à 2023 l’entrée en vigueur du dispositif. Ce report ne me semble pas souhaitable dans la mesure où il existe d’ores et déjà beaucoup de matière – rapports, recommandations, etc. – pour établir le référentiel d’écoconception d’un site web.

La formation des différents acteurs de l’écoconception et les démarches d’amélioration sont en ordre de bataille, et elles doivent se poursuivre. Il semble donc inutile, voire regrettable, de faire attendre un marché qui s’est déjà structuré et qui a développé des solutions.

Reporter les efforts à une échéance lointaine pénaliserait finalement davantage les acteurs qui se disent aujourd’hui « prêts ». C’est pourquoi je défendrai également un amendement visant à supprimer ce délai.

Pour terminer sur l’obligation d’écoconception des sites, ne serait-il pas également souhaitable d’y associer des critères d’accessibilité pour les personnes handicapées ? Cet ajout ne rallongerait en aucun cas la conception des sites web et il permettrait une portée RSE globale.

Sur le volet relatif aux centres de données, je proposerai également un amendement visant à faire bénéficier du tarif réduit de taxe intérieure sur la consommation finale d’électricité (TICFE) les acquéreurs de data centers à climatisation adiabatique qui permettent des économies d’énergie substantielles.

C’est aussi un enjeu de développement économique important pour nos territoires, auxquels le Sénat porte toujours une attention particulière.

Avec cette proposition de loi, le Sénat fait véritablement œuvre utile. Il propose des solutions adaptées et concrètes au défi de la réduction de l’empreinte environnementale du numérique.

C’est pourquoi, en ce mois de janvier, je forme le vœu que ce texte recueille l’assentiment du Gouvernement, qui honorerait au passage ses engagements envers la nouvelle assemblée constituante. Pardon, la convention citoyenne… ! (Sourires. – Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Paul Prince. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)

M. Jean-Paul Prince. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, la relation entre numérique et environnement est ambivalente.

D’un côté, la numérisation est présentée comme un outil incontournable de lutte contre le réchauffement climatique. En effet, l’intelligence artificielle et le big data sont aujourd’hui mobilisés pour mener la transition énergétique. Compteurs et réseaux intelligents vont avoir la capacité d’ajuster en temps réel l’offre à la demande d’électricité et, ainsi, d’offrir le pilotage nécessaire au déploiement d’énergies renouvelables par nature intermittentes, comme l’éolien ou le solaire.

Le numérique sera la clé d’amélioration de l’efficacité énergétique de toute l’économie.

Mais, d’un autre côté, il faut bien reconnaître que les vertus environnementales du numérique ne sont encore qu’en puissance. Car la numérisation est de plus en plus énergivore. L’ensemble des équipements permettant de traiter, de stocker et d’échanger des données absorberait déjà entre le quart et la moitié de l’électricité mondiale, générant entre 2 % et 10 % des émissions mondiales de CO2. Et sa part dans la consommation planétaire d’électricité augmente de 2 % par an. Le rapport Villani de 2018 pour l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques (Opecst) a prouvé qu’à ce rythme le numérique siphonnerait la moitié de l’énergie du monde en 2030 et la totalité en 2040…

Le numérique ne pourra donc tenir ses promesses écologiques que si l’on s’emploie à le décarboner en amont. C’est bien pourquoi le présent texte n’a rien d’anodin. Nous tenons à souligner son caractère précurseur.

D’ailleurs, le Haut Conseil pour le climat en a indirectement validé les conclusions dans son avis du 19 décembre sur la 5G. Au passage, c’était la première fois que le HCC était saisi par une assemblée parlementaire.

C’est aussi la première fois que le législateur se saisit en France de ce sujet d’avenir, d’autant plus déterminant que la problématique entre en résonnance avec celle de l’autonomie et de la souveraineté numérique de notre pays. Les conclusions de la mission d’information ayant conduit à la présente proposition de loi sont claires : plus de 80 % des impacts environnementaux du numérique en France sont dus aux terminaux numériques. Et pourquoi les terminaux numériques ont-ils un tel impact ? Parce qu’ils ne sont pas fabriqués en France ! Importer nos terminaux, c’est à la fois importer de la dépendance économique et de la pollution.

Le texte aborde de front le problème dans ses articles 6 à 14, qui nous semblent constituer son apport principal. La dimension pédagogique du sujet a certes son importance à long terme. Mais aujourd’hui, c’est la limitation de l’importation et du renouvellement des terminaux qui constitue le nerf de la guerre.

Pour conclure, je dirai un mot de l’énorme travail effectué en commission pour compléter la première mouture du texte. Nous ne pouvons que saluer les avancées réalisées pour renforcer la lutte contre l’obsolescence programmée, promouvoir l’écoconception des sites web ou renforcer la sécurité juridique du texte. Mais, dans cet hémicycle, une dimension nous tient plus que tout à cœur : la dimension territoriale. On ne rendra pas le numérique durable sans stratégies numériques responsables sur les territoires.

Grâce à la décentralisation, le numérique est devenu le phénomène central du désenclavement de la ruralité profonde. On ne le verdira aussi que grâce à la décentralisation. C’est bien ce que prévoit maintenant le texte en donnant mission aux agglomérations, aux départements et aux régions de décliner à leur échelle la feuille de route du verdissement du numérique.

Vous l’aurez compris, le groupe Union Centriste votera ce texte.

Monsieur le secrétaire d’État, nous espérons vraiment que, à la faveur de son examen, le Gouvernement s’emparera de ce sujet. La présente proposition de loi devra être complétée, car elle n’aborde la durabilité du numérique que sous l’angle des émissions de CO2. Or l’empreinte environnementale du numérique pèse aussi par sa consommation de matières premières, en particulier de métaux et de terres rares. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)

Mme la présidente. La parole est à M. Rémi Cardon. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)

M. Rémi Cardon. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, cette proposition de loi qui vise à réduire l’empreinte environnementale du numérique pose pour la première fois ce débat au niveau législatif et opte pour une régulation renforcée. Je tiens à saluer préalablement le travail mené sur le long terme, avec l’ensemble des groupes politiques, et conclu par le rapport de nos collègues.

Nos concitoyens connaissent les nombreux avantages qu’apporte le numérique dans leur quotidien : facilité des échanges, des communications instantanées et un meilleur partage de l’information. Mais ont-ils conscience des impacts sur notre vie et l’environnement liés à la fabrication et l’utilisation de nos outils numériques ? Notons une multiplication des équipements, une consommation d’énergie qui représente 4 % du total de l’énergie consommée mondialement.

Cette prise de conscience collective est nécessaire pour réfléchir sur nos usages, plus particulièrement au niveau de l’État et de nos collectivités territoriales. Cette proposition de loi doit être une première pierre, nous devons montrer l’exemple. Il ne suffit pas de modifier la loi, nous devons modifier nos comportements, nos habitudes. Il nous faudra peut-être à l’avenir nous interroger sur les forfaits mobiles illimités, la place du streaming vidéo ou l’usage exponentiel des objets connectés.

Cette proposition de loi fixe un premier cadre : à nous de le développer partout, en commençant par nos entreprises. Une évolution du champ de la RSE, avec un caractère plus incitatif, serait souhaitable. En effet, malgré un indéniable effet pédagogique, les obligations issues des travaux sur la RSE restent limitées dans les entreprises.

L’article 4 prévoit d’inscrire l’impact environnemental du numérique dans le bilan RSE des entreprises. Cette mesure, complétée par l’amendement n° 5 du groupe socialiste, est très intéressante – elle pourrait l’être davantage si elle était étendue aux TPE et PME. Il s’agit de créer un poste d’émission relatif aux activités numériques des personnes morales visées par cette disposition, notamment les entreprises de plus de 500 salariés et les collectivités locales ou leurs groupements de plus de 50 000 habitants.

Mes chers collègues, la loi du 10 février 2020 relative à la lutte contre le gaspillage et à l’économie circulaire porte des dispositions incitatives en faveur de biens plus durables. Nous allons donc dans le bon sens, avec la mise en place d’un indice de réparabilité sur les équipements électriques et électroniques (EEE) et, à compter de 2024, d’un indice de durabilité.

Au cœur de cette économie circulaire, et afin de faciliter le recyclage et de prolonger la durée de vie des équipements – sachant que la prolongation de l’utilisation d’un ordinateur de deux à quatre ans améliore son bilan environnemental de 50 % –, l’article 6 tend à rendre le dispositif qui définit et sanctionne l’obsolescence programmée plus dissuasif, en inversant la « charge de la preuve ».

Il incomberait au producteur, et non plus au consommateur, de prouver que la réduction de la durée de vie du terminal n’est pas délibérée et qu’elle découle d’éléments objectifs étrangers à toute stratégie d’augmentation du taux de remplacement. C’est un article très important puisque, aujourd’hui, très peu de poursuites au titre de l’obsolescence programmée ont pu être réellement engagées et donner lieu à des sanctions.

Alors que 10 milliards de téléphones portables ont été vendus depuis 2007, l’article 7 intègre l’obsolescence logicielle dans la définition donnée à l’obsolescence programmée. C’est une avancée.

Faisons en sorte que la transition numérique ne laisse pas certains de nos concitoyens au bord de la route. Profitons de l’avancée de cette transition pour accompagner les usagers et les aider à résoudre leurs difficultés d’usage, mais aussi pour les sensibiliser quant à leur utilisation. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)

Mme la présidente. La parole est à M. Stéphane Sautarel. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Stéphane Sautarel. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, la mission d’information conduite par nos collègues Patrick Chaize, Guillaume Chevrollier et Jean-Michel Houllegatte, relative à l’empreinte environnementale du numérique en France, a identifié un véritable angle mort de notre politique de lutte contre le réchauffement climatique. Or, si nous voulons atteindre les objectifs fixés par l’Accord de Paris, nous devons nous pencher sur la pollution du secteur numérique.

En ce sens et à partir des vingt-cinq propositions figurant dans le rapport de nos collègues, nous avons été nombreux à cosigner cette proposition de loi. Le caractère transpartisan de ce texte, le rôle majeur du Sénat comme défricheur d’un champ émergent encore mal appréhendé, la dimension anticipatrice et préventive de cette proposition de loi lui confèrent un caractère novateur à divers titres.

De nombreux aspects du texte ont été abordés. Pour ma part, je souhaite centrer mon intervention sur un point essentiel : la responsabilité des entreprises.

Pour autant, d’autres dimensions introduites par cette proposition de loi me semblent emblématiques de l’évolution nécessaire de nos politiques publiques et de notre responsabilité collective autour de l’information, de la formation et de la prévention.

Avec l’information et la formation, tout d’abord, il s’agit d’assurer un retour à la confiance dans la parole du politique, au sein d’une société chaque jour davantage frappée par des informations erronées et non hiérarchisées provenant de sources invérifiables, et où les fake news ont envahi notre espace. À ce titre, l’éducation des plus jeunes dès l’école à une utilisation responsable des outils numériques constitue en soi un projet de société. De même, la conditionnalité introduite dans le parcours diplômant des ingénieurs en informatique à une certification en écoconception logicielle me semble être un élément essentiel.

La prévention, ensuite, constitue une innovation majeure pour nos politiques publiques. La plupart du temps, nous agissons en réaction, en correction. Là, nous avons la possibilité avec cette loi d’anticiper, de prévenir. La part du numérique dans les émissions de gaz à effet de serre passerait en effet de 2 % aujourd’hui à près de 7 % en 2040, soit une multiplication par 3,5 si nous ne faisons rien.

Nous le savons. Nous pouvons donc agir sur les divers leviers proposés : éducation, limitation du renouvellement du matériel, développement des usages écologiquement vertueux. Alors, n’hésitons pas ! Notre responsabilité collective est bien là.

J’en viens donc à la responsabilité des entreprises en matière de réduction de l’empreinte environnementale du numérique. Il me semble que nous pourrions aller plus loin encore.

La prise de conscience par les entreprises de cette nouvelle dimension environnementale tendant à mieux informer, mieux valoriser les actions engagées, mieux reconnaître leur responsabilité sociale et environnementale, est déjà bien engagée.

Le plan d’action pour la croissance et la transformation des entreprises (Pacte), qui ambitionnait de donner aux entreprises les moyens d’innover, de se transformer, de grandir et de créer des emplois, a fait l’objet d’une loi promulguée le 22 mai 2019.

L’entreprise participe historiquement à l’intérêt général, étant moteur du progrès économique et technologique, créateur de lien social et lieu d’accomplissement personnel.

Comment l’État peut-il jouer un rôle dans cette refondation de l’entreprise et de ses missions ? Nous avons déjà commencé à y répondre ; il nous faut aller plus loin.

La France fait en effet déjà figure de pionnier sur ces sujets. La loi relative aux nouvelles régulations économiques, dite « loi NRE », en 2001, et la loi « Grenelle II » en 2010 constituent l’arsenal juridique sur la RSE, et le contenu des déclarations RSE continue d’être façonné par le droit « souple », les entreprises étant moteur sur le sujet.

Afin d’accélérer cette dynamique, la loi Pacte a acté dans le droit le fait que l’entreprise a un deuxième objectif, parallèlement à sa profitabilité : sa raison d’être. Celle-ci peut se définir par l’expression d’un futur désirable pour le collectif.

Cette raison d’être peut notamment permettre de renforcer l’engagement des salariés, en étant porteuse de sens.

Ainsi, la loi Pacte a arrimé l’entreprise dans le XXIe siècle en consacrant sa responsabilité sociétale, qui sera désormais décryptée à travers trois niveaux d’engagement : la considération des impacts sociaux et environnementaux liés à son activité ; la réflexion sur son environnement à long terme ; enfin, le statut de « société à mission ».

On entend ici par « mission » une « raison d’être » à plus-value sociétale que se donne l’entreprise. Plus concrètement encore, il peut s’agir d’inventer de nouveaux modèles de consommation plus responsables, ou encore de contribuer à la reforestation d’un pays fournisseur, ou justement de réduire l’empreinte environnementale du numérique. C’est essentiel, la consommation électrique du numérique devant augmenter de 15 térawattheures d’ici à 2030, soit une hausse de 25 % par rapport à 2015.

Cette proposition de loi constitue une nouvelle étape dans cette évolution. Nous aurions pu imaginer que l’article 4 aille plus loin encore, en référence à la loi Pacte et pas seulement à la RSE.

Je forme le vœu qu’en ce début d’année nous adoptions ce texte qui, sur la forme comme sur le fond, marque une étape parlementaire importante dans la vie parlementaire de notre assemblée. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

(Mme Valérie Létard remplace Mme Laurence Rossignol au fauteuil de la présidence.)

PRÉSIDENCE DE Mme Valérie Létard

vice-présidente

Mme la présidente. La parole est à Mme Laurence Muller-Bronn. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

Mme Laurence Muller-Bronn. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, tout d’abord, je tiens à saluer les travaux de la mission d’information sur l’empreinte carbone du numérique, laquelle était jusqu’ici sous-évaluée et quasiment absente des objectifs fixés dans les accords sur le climat.

Cette évaluation sur toute la chaîne de production et de consommation du numérique permet de proposer, en toute connaissance de cause, des solutions concrètes et des alternatives à la surconsommation de ces produits.

En adoptant une démarche pragmatique, cette proposition de loi répond à la nécessité de rendre visibles les impacts cachés de ce secteur dématérialisé. En amont, la majeure partie de ces impacts proviennent de la fabrication des équipements, qui est délocalisée. De même, les réseaux mobiles et les data centers, dont l’empreinte carbone est très élevée, demeurent invisibles pour l’utilisateur final.

Enfin, contrairement aux idées répandues, la multiplication des usages entraîne une surconsommation d’énergie, qui annule les gains générés dans les premières années. L’information du public et la prise de conscience des consommateurs sont donc indispensables, mais pour autant insuffisantes.

Le temps des injonctions culpabilisantes étant révolu, ce texte montre la bonne voie en proposant des solutions et des outils incitatifs auxquels les consommateurs peuvent choisir d’adhérer.

En nous appuyant, à la fois, sur l’innovation et sur la réglementation, nous avons les moyens de réguler l’obsolescence programmée des appareils et des logiciels, de rallonger la durée des usages ou encore d’inciter à l’achat de produits reconditionnés et moins énergivores. En effet, depuis le 1er janvier 2021, les vendeurs de smartphones et d’ordinateurs sont obligés d’afficher un indice de réparabilité sur ces équipements, selon l’article 16 de la loi sur l’économie circulaire, en indiquant clairement sur quelles données reposent leurs calculs.

Par ailleurs, cette loi a inscrit dans le code de l’environnement l’interdiction de toute technique visant à rendre impossible la réparation ou le reconditionnement d’un appareil. Autrement dit, il sera désormais illégal de programmer la fin de vie d’un produit et d’empêcher sa réparation par quelque moyen que ce soit.

La proposition de loi du Sénat s’inscrit dans la même logique d’efficacité avec des mesures qui reposent à la fois sur des gains écologiques et économiques. En étant complémentaires, ces deux piliers peuvent réellement inciter chaque acteur à modifier ses pratiques, qu’il s’agisse des particuliers, des entreprises ou des collectivités.

Enfin, la réparation de ces produits est créatrice d’emplois non délocalisables. Dans le Bas-Rhin, par exemple, les collectes d’anciens téléphones portables ou de chargeurs sont organisées par des associations, comme Envie, qui donnent une seconde vie à ces appareils et dont l’objectif est également de créer des emplois par la réinsertion professionnelle.

À l’échelle de notre pays, ces filières représentent un enjeu de taille dans la crise actuelle. Les articles 12 à 14 du texte y sont consacrés, notamment par la création d’un taux de TVA à 5,5 % pour les produits reconditionnés.

Aujourd’hui, ce potentiel est encore loin d’être très utilisé selon l’étude réalisée par OpinionWay en juillet 2019 pour l’Alliance française des industries du numérique : seulement 4 à 8 millions d’appareils usagés sont reconditionnés chaque année. En revanche, une centaine de millions d’appareils qui pourraient être réparés dorment dans les tiroirs des Français. Le secteur numérique n’a pas qu’une empreinte environnementale, il a aussi une empreinte sociétale, les deux étant liées.

En conclusion, nous avons avec ce texte une feuille de route claire et précise qui permet d’impliquer les consommateurs, d’une part, et d’engager la responsabilité des producteurs, d’autre part. Pour ces différentes raisons, je voterai cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

Mme la présidente. La discussion générale est close.

La parole est à M. le président de la commission.

M. Jean-François Longeot, président de la commission de laménagement du territoire et du développement durable. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, je voudrais, comme plusieurs orateurs l’ont relevé lors de la discussion générale, souligner l’importance de cette proposition de loi.

Cela a été dit à plusieurs reprises, il s’agit d’un texte pionnier, car il aborde pour la première fois un sujet qui n’avait jamais été traité de manière globale dans un texte de loi. Cinq ans ont passé depuis l’Accord de Paris et l’engagement historique que nous avions pris en faveur du climat : il est plus que temps d’accélérer !

Je rappelle à quel point le Sénat est fort lorsqu’il unit ses forces. Ce texte est un texte transpartisan : tous les groupes y ont travaillé, contribué, réfléchi. C’est ainsi que notre assemblée fait le mieux entendre sa voix et contribue, en précurseur, au débat public.

Ce texte est aussi très important dans la perspective de nos futurs débats sur le texte relatif au climat. À ce stade, l’avant-projet de loi ne comprend pas de mesures sur la question de l’empreinte environnementale du numérique : il pourra ainsi être considérablement enrichi par l’adoption de cette proposition de loi.

Ce texte répond également à une très forte attente de nos concitoyens, lesquels veulent avoir accès à un numérique vertueux, qui est un outil puissant au service de la transition écologique.

Je souhaiterais souligner le travail important et exigeant qui a été réalisé par notre commission de l’aménagement du territoire et du développement durable sur cette proposition de loi.

Il y eut, d’abord, une mission d’information, dont je salue les anciens membres, comme Hervé Maurey, les rapporteurs, Jean-Michel Houllegatte et Guillaume Chevrollier, et bien entendu le président Patrick Chaize.

Le texte a été examiné en commission, avec l’éclairage important de la commission des affaires économiques, saisie pour avis, dont je salue la rapporteure, Anne-Catherine Loisier, et largement enrichi. Je me réjouis de constater que personne n’a aujourd’hui souhaité revenir sur les principales orientations retenues, ce qui montre que la philosophie du texte fait l’objet d’un fort consensus.

Monsieur le secrétaire d’État, je ne peux que me joindre aux multiples appels qui vous ont été adressés pour que vous souteniez l’initiative du Sénat afin qu’elle puisse prospérer dans le cadre de la navette parlementaire. (Applaudissements sur les travées des groupes UC, RDSE et GEST.)

Mme la présidente. Nous passons à la discussion du texte de la commission.

proposition de loi visant à réduire l’empreinte environnementale du numérique en france

Chapitre Ier

Faire prendre conscience aux utilisateurs de l’impact environnemental du numérique

Discussion générale (suite)
Dossier législatif : proposition de loi visant à réduire l'empreinte environnementale du numérique en France
Article 2

Article 1er

Le second alinéa de l’article L. 312-9 du code de l’éducation est complété par une phrase ainsi rédigée : « Elle sensibilise en outre à l’impact environnemental des usages du numérique et à la sobriété numérique. »

Mme la présidente. La parole est à Mme Nadège Havet, sur l’article.

Mme Nadège Havet. Tout d’abord, j’adresse mes meilleurs vœux à ceux que je n’ai pas encore vus…

Je souhaiterais profiter de l’examen de l’article 1er, qui entend promouvoir la sobriété du numérique auprès de tous les publics, et en premier lieu auprès de nos enfants, pour aborder le sujet de l’empreinte cognitive, un autre type d’empreinte préoccupante, en particulier pour le plus jeune âge : c’est l’un des thèmes de la formation à l’utilisation responsable des outils et à la compréhension des contenus.

Rudy Reichstadt, membre de l’Observatoire des radicalités politiques et fondateur du site Conspiracy Watch, évoquait récemment la rencontre entre une offre idéologique complotiste mondialisée et des capacités matérielles historiques, rendant possible sa propagation.

Au travers de ce qu’on appellera très imprécisément « les écrans », cette mal-information, cette surconsommation d’informations que nous pourrions comparer à de la malbouffe, a un coût cognitif, sanitaire et environnemental. Nos écrans sont les armes du crime idéal pour cambrioler notre attention : c’est ce que rappelait le sociologue Gérald Bronner hier sur France Culture et dans son dernier livre, Apocalypse cognitive.

Membre du Conseil scientifique de l’éducation nationale, il défend la piste éducative et l’apprentissage de l’esprit critique pour faire face à un marché totalement dérégulé.

Reprendre notre souveraineté écologique et cognitive passera donc par une éducation ciblée et des mesures fortes préventives – nous en débattrons à l’article 16.

Dans le cadre de l’obligation d’écoconception des services numériques, le décret pris en Conseil d’État devra prendre en compte cet impératif de protection de notre attention, notamment dans le cadre du référentiel général qui sera mis en œuvre.

En conclusion, et c’est le sens de mon intervention, je pense qu’une attention préservée, mieux armée et mieux prévenue sera un levier indispensable à une consommation plus responsable et moins énergétivore.