M. le président. Nous en avons terminé avec le débat sur les conclusions du rapport fait au nom de la mission d’information « Lutte contre l’illectronisme et inclusion numérique ».

Mes chers collègues, nous allons interrompre nos travaux pour quelques instants.

La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à vingt heures, est reprise à vingt heures vingt.)

M. le président. La séance est reprise.

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Avenir de l’entreprise EDF avec le projet Hercule

Débat organisé à la demande du groupe communiste républicain citoyen et écologiste

M. le président. L’ordre du jour appelle le débat, organisé à la demande du groupe communiste républicain citoyen et écologiste, sur le thème : « Quel avenir pour l’entreprise EDF avec le projet Hercule ? »

Dans le débat, la parole est à M. Fabien Gay, pour le groupe auteur de la demande.

M. Fabien Gay, pour le groupe communiste républicain citoyen et écologiste. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, le groupe CRCE a demandé ce débat sur l’avenir d’EDF et le projet Hercule pour trois raisons.

La première est liée à l’opacité des négociations avec la Commission européenne : ni les parlementaires que nous sommes, ni les usagers, ni les salariés ne sont aujourd’hui informés. Le pire, c’est que vous envisagez, madame la ministre, de passer par un cavalier législatif dans le texte issu des travaux de la Convention citoyenne sur le climat, en nous demandant de vous autoriser à légiférer par ordonnances. Pour nous, c’est non, et il me semble que l’ensemble des groupes qui composent cet hémicycle partageront cet avis.

La deuxième raison, c’est que, à chaque démantèlement d’une entreprise publique – ce fut le cas pour France Télécom, GDF ou encore la SNCF –, les prix explosent pour les usagers, qui deviennent des clients, et les conditions de travail des salariés se dégradent.

Le pire, c’est lorsque vous livrez un monopole naturel au privé : cela conduit souvent à des scandales financiers, économiques et sociaux, comme ce fut le cas avec la privatisation des autoroutes ou de l’aéroport de Toulouse-Blagnac. Alors, plutôt que d’attendre dix ans pour lancer une commission d’enquête qui démontrera ce que nous savons déjà, chaque groupe doit se prononcer aujourd’hui : voulons-nous livrer un monopole de fait et démanteler une nouvelle fois une entreprise publique, alors que tout nous invite à faire exactement l’inverse ?

Troisième raison, enfin : vous vous abritez derrière l’argument selon lequel ce projet Hercule ne répondrait qu’à un débat très technique, sur une simple réorganisation de l’entreprise, sans conséquence pour les usagers ni les salariés. Nous pensons, au contraire, que ce débat est politique à l’extrême et qu’il n’y a pas de fatalité.

Nous entendons d’ailleurs en profiter pour donner à tous les clés pour bien comprendre la situation : l’énergie, et donc EDF, est un bien commun indispensable à tous, comme le rappellent notre Constitution et le préambule de la Constitution de 1946. Elle est nécessaire pour se chauffer, se laver, manger, mais aussi se déplacer, produire et consommer. Avec l’arrivée de la 5G et des objets connectés, avec les data centers et les voitures électriques, les besoins en électricité et en énergie seront toujours importants.

Nous devons donc mener une véritable réflexion sur le système de production, de transport et de distribution de l’électricité, mais également sur la maîtrise de la demande énergétique, loin des slogans moralisateurs d’EDF, avec sa campagne #MetsTonPull. Les enjeux de souveraineté industrielle, sanitaire et énergétique devraient être au cœur des politiques publiques qui façonneront notre économie pour les années à venir.

Au contraire, le choix a été fait de livrer l’électricité au marché. C’est précisément l’erreur que commettent les libéraux, avec des conséquences dramatiques, car théoriser que l’énergie est une marchandise comme une autre révèle soit une méconnaissance totale du sujet soit la mise en œuvre d’une véritable escroquerie en bande organisée.

L’énergie est le seul bien dont la production doit être absolument égale à la consommation pour notre marché national, même si nous pouvons être exportateurs ou importateurs, car, aujourd’hui, les réseaux sont connectés. Si vous produisez plus, c’est la surtension et le blackout ; si vous produisez moins, c’est la sous-tension et donc le blackout.

En conséquence, le mythe de la compétition entre acteurs alternatifs et entreprise historique dans le but de faire baisser les prix, ne peut être qu’un leurre, car une entente entre l’ensemble des acteurs est absolument nécessaire pour livrer aux usagers leurs besoins exacts.

Les libéraux ont donc créé de toutes pièces un marché de l’énergie qui vise non pas à répondre à la demande ou à baisser les prix, mais bien à faire varier ceux-ci artificiellement pour garantir des dividendes aux acteurs alternatifs.

C’est précisément pour cela que, depuis un siècle, des réflexions ont été engagées pour sortir l’énergie des lois du marché. Il aura fallu deux tentatives avortées, la première, celle de Jean Jaurès, en 1894, et la seconde durant le Front populaire, à la fin des années 1930, pour que la France nationalise enfin le secteur de l’énergie, de l’électricité et du gaz, mais aussi les mines, entre 1944 et 1947. Un statut protecteur a également été créé pour les agents par le ministre communiste Marcel Paul.

EDF était la garantie d’égalité de nos territoires ; où que vous habitiez, vous aviez accès à l’électricité à un prix abordable pour le plus grand nombre grâce aux tarifs réglementés. Pourtant, à partir du début des années 1990, la libéralisation est lancée, avec la création de Réseau de transport d’électricité (RTE) pour le transport et d’Enedis pour la distribution.

Hercule marque une nouvelle étape du démantèlement et de la déréglementation du secteur, puisque vous vous apprêtez à désintégrer l’entreprise publique et à la livrer aux marchés financiers. Il s’agit donc d’une nouvelle spoliation d’un bien commun, avec pour seul résultat des libéralisations, 12 millions de personnes en situation de précarité énergétique, des augmentations successives des tarifs réglementés de près de 70 % et des attaques incessantes contre ces tarifs.

Ce projet Hercule est l’enfant de Jupiter, négocié avec la Commission européenne ; il ne peut qu’aboutir à un marché de dupes, car augmenter le prix de l’accès régulé à l’électricité nucléaire historique (Arenh) pour mieux rémunérer EDF, fragilisée par les investissements à venir, en contrepartie d’un démantèlement de l’entreprise publique et de l’octroi au privé des concessions des barrages hydroélectriques est une hérésie.

Arrêtons-nous un instant sur ce système aberrant qu’est l’Arenh et prenons un exemple pour mieux comprendre la situation. Imaginez que l’on demande à Renault de vendre un quart de sa production de Clio à Peugeot à prix coûtant, afin que Peugeot puisse concurrencer Renault sur le marché automobile. Cela paraît complètement fou ? Eh bien, remplacez Renault par EDF et Peugeot par les acteurs alternatifs et vous avez le système de l’Arenh !

À cela s’ajoute la demande de ces acteurs de sortir de l’Arenh pendant la crise pour se servir sur le marché de gros de l’électricité, dont le prix du mégawattheure était tombé à 21 euros, contre 42 euros pour l’Arenh. Pour eux, c’est donc fromage et dessert ; ils auraient tort de s’en priver, car ce sont EDF et les usagers qui paient la note. N’oublions pas que l’Arenh a été inventé pour permettre, prétendument, aux acteurs alternatifs d’investir pour produire à leur tour. Résultat : le néant.

Que savons-nous d’Hercule et de la future architecture d’EDF ? Trois entités seront mises en place : EDF Bleu, d’abord, incluant le nucléaire et le thermique à flammes, qui sera nationalisé à 100 % ; EDF Vert, ensuite, qui comprendrait Enedis, les énergies renouvelables (EnR), Dalkia, EDF Outre-Mer et Corse, une partie des activités internationales et la direction commerciale et sera livré au privé à hauteur de 35 % ; EDF Azur, enfin, avec les barrages hydroélectriques, qui resteraient publics, mais dont les concessions pourraient être confiées au privé.

Nous y voyons trois risques. On a pu penser que ce projet reviendrait à nationaliser les dettes et à privatiser les profits. Ce n’est pas tout à fait exact. La force d’une entreprise intégrée est que les profits dégagés dans une branche peuvent être réinvestis dans une autre. Par exemple, on pourrait aujourd’hui investir dans la sécurisation du nucléaire, les EPR et le démantèlement des réacteurs qui le nécessitent. Or, isoler de cette filière, notamment, les EnR et Enedis, qui réalisent des profits à hauteur de 600 millions d’euros chaque année, revient à amputer gravement l’entreprise de sa capacité à investir et à innover demain.

Le pire, c’est que nous connaissons la suite. Dans quelques années, vous viendrez nous dire : « Regardez, l’entité publique croule sous les dettes, il faut l’ouvrir au privé pour lui donner de la capacité à investir, blablabla… » Nous ne connaissons déjà que trop bien cette litanie libérale. Nous souhaitons donc savoir s’il est vrai que le projet Hercule prévoit la création de ces trois filières étanches entre elles avec une holding de tête.

Le deuxième risque qui nous guette concerne l’hydroélectrique. Même si les cent cinquante barrages restent propriété de l’État, combien de concessions seront confiées au privé ? Alors que la part du nucléaire est appelée à décroître dans notre mix énergétique, nous allons remettre au privé une part considérable de notre énergie pilotable nécessaire à l’équilibre électrique.

Nous courrons alors le risque qu’il se passe la même chose qu’en Californie dans les années 2000, lorsque le privé avait organisé un blackout pour que les prix payés par l’État de Californie soient suffisamment rémunérateurs pour les actionnaires, au mépris total des intérêts de la population. Vous êtes donc en train de placer notre sécurité et notre souveraineté électrique dans les mains des marchés financiers.

Enfin, troisième et dernier risque : aujourd’hui, en cas de coup dur, comme les grandes tempêtes de 1999, le service public et ses salariés répondent présent, y compris ceux des départements voisins. Qu’en sera-t-il demain, lorsque tout sera démantelé et que Direct Énergie aura le monopole sur une région, Total sur une autre et EDF sur une troisième ? Nous vous laissons imaginer les résultats de cette concurrence.

Pour conclure, je voudrais simplement rappeler que, en novembre 2016, le candidat Emmanuel Macron publiait un livre titré Révolution. Madame la ministre, mes chers collègues, ce qui serait révolutionnaire, aujourd’hui, ce serait de cesser de suivre les vieilles recettes de Mme Thatcher et d’arrêter de tout livrer au marché. Dans tous les domaines, c’est un désastre ; il est temps d’admettre les erreurs commises et d’y remédier, plutôt que de s’obstiner pour les justifier.

Ce qui serait révolutionnaire, ce serait de renationaliser EDF et GDF et d’en faire deux entreprises publiques disposant d’un monopole public ; ce qui serait révolutionnaire, ce serait de constituer un véritable service public de l’énergie du XXIe siècle, démocratisé, cogéré entre les élus, les salariés et les usagers. Si vous le souhaitez, nous avons déjà déposé une proposition de résolution en ce sens au Sénat, il n’y a plus qu’à l’inscrire à l’ordre du jour et à l’adopter ! (Applaudissements sur les travées des groupes CRCE et SER.)

M. le président. La parole est à Mme Denise Saint-Pé.

Mme Denise Saint-Pé. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, la réorganisation éventuelle du groupe EDF par le projet Hercule, élaboré par sa direction à la demande du Gouvernement, ne manque pas de nous interroger.

Sur le fond, tout d’abord, force est de constater que l’objectif visé initialement avec la mise en place de l’Arenh est loin d’avoir été atteint. Imposer à EDF de réserver à ses concurrents français et européens une partie de sa production nucléaire à un prix fixe de 42 euros par mégawattheure, qui n’a maintenant plus bougé depuis dix ans, suscite des interrogations.

Le bénéfice annoncé pour le consommateur, sous prétexte de concurrence accrue, est en réalité inexistant, avec un prix de l’électricité sans cesse croissant, au point que la précarité énergétique, qui était auparavant un épiphénomène en France, est aujourd’hui une réalité grandissante.

D’un autre côté, de multiples fournisseurs alternatifs, qui ne produisent pas un seul kilowattheure d’électricité, boursicotent au gré des prix de gros et se fournissent chez EDF chaque fois que c’est à leur avantage.

Je comprends donc que l’État négocie âprement avec Bruxelles pour remédier à cette situation ubuesque qui met à mal notre champion mondial de l’électricité.

Pour autant, le projet Hercule visant à séparer le groupe EDF en trois entités m’interpelle. Que l’État souhaite conserver dans le giron national une EDF Bleue, gérant le nucléaire, une énergie qui a permis à la France de bénéficier depuis des décennies de l’électricité la moins chère d’Europe, me paraît indispensable et je souscris pleinement à cette approche stratégique ; qu’il en aille de même pour une EDF Azur, spécialisé dans la production hydroélectrique de nos grands barrages, j’y souscris également, sous réserve, néanmoins, que les autres exploitants déjà en place en France, comme la Société hydroélectrique du Midi (SHEM) dans les Pyrénées, voient également leurs intérêts préservés.

En revanche, l’ouverture à des capitaux privés d’une filiale dite Verte regroupant les activités de fourniture d’électricité aux particuliers et aux entreprises, le développement des EnR et, surtout, la distribution d’électricité me paraît plus que hasardeuse. S’agissant de la fourniture d’électricité, ce projet marquerait la fin des tarifs réglementés en France, ce qui ne me paraît pas satisfaisant pour les abonnés concernés, au vu de la situation économique des prochaines années.

En ce qui concerne les énergies renouvelables, je m’inquiète également que l’appât du gain lié à la promotion du grand éolien offshore conduise à reléguer au second rang la production d’énergie renouvelable photovoltaïque ou issue de la biomasse, solutions qui valorisent nos territoires.

Je suis surtout indignée à l’idée que le réseau de distribution électrique, qui appartient aux collectivités locales, à nos communes, et qui a seulement été concédé à Enedis puisse dépendre des desiderata d’investisseurs privés. Cette hypothèse me laisse sans voix !

Investir sur le réseau électrique est une nécessité et non une option, les coupures d’électricité liée aux intempéries nous le rappellent régulièrement. J’ajoute que la péréquation nationale issue du tarif d’utilisation des réseaux publics d’énergie (Turpe) est la seule garante d’un service public de qualité, y compris en zone rurale. Le principe d’égalité des usagers devant le service public en dépend.

Aussi, pourquoi vouloir remettre en question un système électrique national qui a fait ses preuves, au risque de transformer, avec le projet Hercule, le groupe EDF en un colosse aux pieds d’argile ?

Sur la forme, maintenant, pouvez-vous me confirmer, madame la ministre, qu’un projet de loi sera bien présenté au Parlement sur ce sujet, comme vous nous l’aviez annoncé lors d’une audition au Sénat au mois de novembre dernier ?

M. le président. La parole est à M. Jean-Claude Tissot.

M. Jean-Claude Tissot. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, la crise sanitaire, économique et sociale que nous traversons a, logiquement, relégué au second plan de nombreux débats sur l’avenir de notre pays. Toutefois, les discussions sur notre politique énergétique doivent impérativement revenir au premier plan en ce début d’année et je remercie le groupe CRCE d’avoir provoqué ce débat.

Le secteur énergétique traverse une zone de turbulences, avec des incertitudes et des changements profonds, la volatilité et la baisse des prix de l’énergie, les enjeux de la transition écologique, avec la part croissante des énergies renouvelables, ou encore les difficultés rencontrées pour l’entretien du parc nucléaire.

En tant que groupe intégré à l’ensemble du secteur de l’énergie, EDF possède donc un rôle central en termes d’indépendance énergétique de notre pays, de maîtrise de notre politique énergétique et de transition écologique. Pourtant, les premières annonces concernant le projet Hercule semblent aller totalement à contre-courant des besoins que nous imposent ces nouveaux défis. En effet, le Gouvernement propose un découpage purement capitalistique de cet opérateur historique formé par le Conseil national de la Résistance.

Ne soyons pas dupes : le Gouvernement ne répond pas à une demande de la Commission européenne, il poursuit simplement son opération de démantèlement des entreprises publiques inspirée par des considérations uniquement financières. Il est vrai que le groupe EDF rencontre des difficultés, mais celles-ci résultent de choix politiques inadaptés et court-termistes. La sous-rémunération chronique de l’actif industriel d’EDF par l’Arenh et la sous-capitalisation par un État actionnaire irresponsable ont logiquement conduit à la situation actuelle.

Alors que les enjeux de la transition écologique devraient être au cœur de nos discussions, le démantèlement du groupe EDF par le projet Hercule pourrait profondément remettre en cause nos choix en matière d’énergie et conduire à une perte de notre indépendance énergétique.

En effet, la filialisation à l’extrême de l’ensemble des activités du secteur énergétique risque de conduire à une profonde remise en cause de la cohérence de la filière électrique. Ainsi, la désintégration d’EDF priverait totalement le groupe d’une stratégie coordonnée à long terme, dans la production comme dans la distribution.

L’exemple des réseaux de distribution est frappant, car il justifie, à lui seul, le monopole naturel du secteur de l’électricité par la complexité des infrastructures et de la gestion du réseau. Or, dans le projet Hercule, la société Enedis serait intégrée à une filiale dont le capital serait ouvert au privé à hauteur de 35 %.

Les logiques financières permettront-elles de gérer un réseau de distribution performant et également réparti ? Je crains que ce ne soit pas le cas. Ainsi, le contexte spécifique du marché de l’électricité exige que le Gouvernement dispose d’une vraie capacité à mettre en œuvre une politique énergétique maîtrisée et souveraine.

Dans ce contexte de crise sociale, la maîtrise des prix et la cohérence de la filière électrique doivent être notre principale préoccupation. Maintenir un tarif du kilowattheure identique pour l’ensemble de nos concitoyens, quel que soit leur lieu d’habitation, est une mesure de justice sociale. Je tiens à saluer ici l’engagement des agents d’EDF, mobilisés pour défendre une idée essentielle : EDF appartient à tous et tous les Français doivent avoir leur mot à dire sur ce projet de démantèlement, comme nous le faisons valoir dans notre proposition de référendum d’initiative partagée.

Conserver une entité forte, qui défend la souveraineté énergétique de notre pays et, plus globalement, notre intérêt général, est indispensable pour répondre à l’urgence écologique et sociale. Le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain s’opposera avec fermeté au démantèlement du groupe EDF. (Applaudissements sur les travées des groupes SER et CRCE.)

M. le président. La parole est à M. Stéphane Ravier.

M. Stéphane Ravier. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, la réalité nous oblige à dire que l’un de nos derniers fleurons industriels, EDF, est en danger de mort.

Pour tenter de le sauver, la réponse d’Emmanuel Macron s’appelle le projet Hercule et repose sur un démantèlement en trois filiales : la première, les infrastructures et les activités coûteuses de production pour EDF Bleu, supportée par l’État, la deuxième, les activités de distribution rentable pour EDF Vert, filiale ouverte aux marchés financiers, et le troisième, EDF Azur, pour les grands barrages.

Il s’agit là simplement de la conséquence du processus de libéralisation-destruction voulu par la Commission européenne et exécuté depuis par tous les gouvernements français successifs.

En 2000, votre Europe a forcé EDF à devenir une société anonyme, en 2010, la loi portant nouvelle organisation du marché de l’électricité, dite Nome, impose l’accès régulé à l’électricité nucléaire historique, l’Arenh, qui permet aux concurrents d’acheter à l’opérateur une partie de sa production au prix fixe de 42 euros le mégawattheure, un prix inchangé depuis lors, largement en deçà du niveau du marché et qui constitue un véritable boulet financier pour EDF.

Notons que le coût de l’énergie aura augmenté de 50 % pour les ménages durant la même période, preuve que la concurrence n’est pas toujours synonyme de baisse des prix.

On voudrait aujourd’hui nous imposer la mise en concurrence de nos concessions hydrauliques, alors que celles-ci devraient au contraire bénéficier d’une protection prioritaire en restant sous contrôle entier de l’État.

Puisque ce projet fait appel à la mythologie herculéenne, osons nettoyer les écuries de Bruxelles ! Sortons des traités européens qui nous pénalisent ; sortons des logiques masochistes antinationales et antisociales ; refusons collectivement de livrer nos capacités énergétiques aux appétits voraces de quelques financiers et reprenons la main ! Nous en avons les talents, à nous d’en trouver les moyens.

EDF, deuxième producteur d’électricité au monde, nous assure une électricité parmi les moins chères en Europe et les moins dispendieuses en gaz carbonique de tous les pays développés. Il ne s’agira donc pas d’un retour en arrière avec un État impotent, mais de se projeter dans le futur avec un État stratège, protecteur, qui permettra aux hommes et aux femmes d’EDF de piloter, d’innover et donc de pérenniser leur entreprise, de garantir le statut des agents tout en fournissant, dans le meilleur respect de l’environnement, la même qualité de service à leurs clients.

Pour assurer sa compétitivité, les défis de l’avenir exigent de tourner le dos aux talibans verts coupés des réalités économiques et réellement écologiques. L’avenir d’EDF passe par une maîtrise de sa dette, aujourd’hui colossale – 70 milliards d’euros –, par un investissement considérable, certes, avec près de 200 milliards d’euros, mais vital pour la livraison de trente EPR d’ici à 2085, pour le grand carénage du parc nucléaire, pour l’innovation dans les nouvelles énergies, pour la combinaison vertueuse nucléaire-hydraulique, mais aussi par la suppression de l’Arenh.

Les Français ne doivent pas subir les coupures, les blackouts que tous les pays du monde connaissent aujourd’hui pour avoir cru à l’hérésie, à l’idiotie, selon laquelle l’énergie serait un bien marchand comme un autre.

L’énergie, madame la ministre, n’est pas un bien marchand sur lequel on peut spéculer à l’envi, c’est une garantie d’indépendance et donc de protection nationale, qui ne saurait être laissée entre les mains d’idéologues et de financiers.

Par conséquent, pouvez-vous nous dire, madame la ministre, si d’autres scénarios que ce projet Hercule ont été envisagés par le Gouvernement pour sauver EDF ?

M. le président. La parole est à M. Gérard Longuet.

M. Gérard Longuet. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, je suis de conviction libérale et résolument européen, et pourtant je voudrais remercier le groupe communiste d’avoir demandé l’inscription de ce débat. Bien que je ne partage absolument pas ses conclusions,…

M. Fabien Gay. Comme souvent !

M. Gérard Longuet. … l’intervention de Fabien Gay m’a réjoui.

Force est de reconnaître que dans ce débat, vous avez une énorme responsabilité – nulle culpabilité, mais une noble tâche –, madame la ministre, car il vous reviendra de combattre la Commission européenne.

Dans le temps qui m’est imparti, j’aborderai un seul sujet, à savoir l’avenir de l’énergie électrique nucléaire. La Commission – est-ce l’effet des mesures qu’elle a prises : les quatre paquets en vingt-cinq ans, les directives, les règlements ? – a considérablement contribué à affaiblir le nucléaire dans notre pays parce qu’elle commet une erreur dans son analyse de marché. Pour que l’offre et la demande se rencontrent, il faut pouvoir stocker ; or l’électricité ne se stocke pas et se transporte mal. Mais surtout – c’est le troisième point que méconnaît complètement la Commission –, la production électrique est devenue le résultat de choix politiques.

Il se trouve que certains pays européens récusent le nucléaire – c’est leur droit –, mais ils doivent en tirer les conséquences : leurs coûts de production seront nécessairement plus élevés, surtout si leur est imputé – ce que je souhaite vivement – le coût de la tonne de CO2 qu’ils émettent. La nature a doté nos voisins allemands de charbon, de lignite, mais ce n’est pas une raison pour soutenir la Commission afin d’affaiblir un nucléaire français qui, lui, a l’immense mérite de nous apporter l’indépendance – c’est une nécessité absolue –, une réponse écologique à l’impératif de produire de l’énergie électrique – pas de carbone –, et cela, en situation d’équilibre de long terme, à un prix moindre que les autres modes de production d’électricité. Enfin, l’énergie électrique nucléaire constitue un soutien à un secteur de recherche scientifique et technologique qui emploie plus de 200 000 salariés et qui nous place sur le podium international – médaille d’or, d’argent ou de bronze – dans une compétition où nous n’avons pas toujours de si beaux atouts.

L’Arenh – on doit le constater après dix ans d’expérience – est un échec,…

M. Gérard Longuet. … et pas seulement parce que le prix de 42 euros du mégawattheure est faible, mais aussi – et peut-être surtout – parce que c’est ce qu’on appelle un piège – j’allais employer un terme plus vulgaire : face, EDF perd ; pile, ses concurrents gagnent. EDF ne peut pas s’en sortir.

Dans la négociation que vous conduisez avec Bruxelles, une porte s’ouvre et vous avez des soutiens : il est de la responsabilité du Gouvernement de saisir cette occasion, car le nucléaire n’appartient pas au passé. Il serait extraordinaire de le penser, alors même que Bill Gates, qui incarne l’une des plus belles réussites capitalistes mondiales, investit largement dans le nucléaire sous des formes différentes – notamment dans le Small Modular Reactor (SMR), que la France devrait développer plus rapidement parce qu’il apporte une réponse, qui plus est décarbonée, au besoin mondial d’énergie.

Nous avons tous les atouts de la réussite et nous risquons de nous censurer, si ce que vous appelez le « contrat pour défense », c’est-à-dire cet écart de prix qui serait compensé et qui se trouve au cœur de la négociation avec Bruxelles, était adopté dans de mauvaises conditions. Ce serait notamment le cas si, comme pour l’Arenh, était retenu un prix de décroissance, de renoncement ou en quelque sorte de censure des capacités industrielles et scientifiques de notre pays, car si l’on tarife le nucléaire au coût marginal, il est évident que l’on ne peut assurer ni le renouvellement du patrimoine ni surtout le développement scientifique, industriel et technique. Au moment même où on parle de réacteurs à neutrons rapides, de réacteurs à sodium et de fusion nucléaire, cela reviendrait à se mutiler.

Madame la ministre, cette responsabilité est la vôtre et celle de votre gouvernement. Le président Macron s’est rendu au Creusot ; il a découvert que le nucléaire n’était pas le complément, mais la condition du renouvelable… Il n’y aura pas d’électricité décarbonée sans nucléaire. Il vous appartient donc d’obtenir le meilleur accord. Que ferez-vous si vous ne l’obtenez pas ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – MM. Jean-Claude Requier et Franck Menonville applaudissent également.)