M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.

Mme Emmanuelle Wargon, ministre déléguée auprès de la ministre de la transition écologique, chargée du logement. Monsieur le président, madame la rapporteure, chère Jacqueline Eustache-Brinio, madame, messieurs les auteurs de la proposition de loi, mesdames, messieurs les sénateurs, l’accueil des gens du voyage dans des conditions dignes est une responsabilité collective, consacrée notamment dans la loi du 5 juillet 2000, dite « loi Besson ».

Cette loi établit un équilibre entre, d’une part, la liberté d’aller et venir des gens du voyage, leurs aspirations à pouvoir stationner dans des conditions décentes, et, d’autre part, le souci des pouvoirs publics d’éviter des installations illicites, susceptibles de porter atteinte au droit de propriété et d’occasionner des troubles à l’ordre public.

Le Gouvernement a cet objectif, à la fois favoriser l’accueil des gens du voyage et répondre aux préoccupations des élus locaux confrontés aux installations illicites.

Alors que seulement un schéma départemental sur quatre est pleinement abouti, vingt ans après l’adoption de la loi Besson, votre proposition de loi fait porter les conséquences de ce manque aux seuls gens du voyage.

M. Loïc Hervé. Ce n’est pas vrai !

M. François Bonhomme. Vous ne pouvez pas dire cela !

Mme Emmanuelle Wargon, ministre déléguée. C’est la raison pour laquelle je ne partage pas la vision du sujet qui préside à ce texte.

La majorité des gens du voyage, ainsi que les associations qui les représentent, sont en effet désireux de s’inscrire dans le respect des lois de la République. Lorsque les aires d’accueil et les aires de grand passage existent et proposent des conditions d’accueil dignes, les installations se passent dans la grande majorité des cas de façon sereine. (Exclamations sur les travées du groupe Les Républicains.)

Je ne nie pas les problèmes dus à l’installation illicite des gens du voyage ; ils sont réels. Plusieurs dispositions législatives ont d’ailleurs déjà été adoptées pour les sanctionner, à l’instar de celles qui figurent dans la proposition de loi déposée par les sénateurs Jean-Claude Carle, en mémoire duquel j’aimerais avoir une pensée à cet instant, et Loïc Hervé, texte voté en 2018. À mon sens, nous n’avancerons pas sur le sujet seulement avec plus de sanctions.

La présente proposition de loi a pour objectif d’assurer un meilleur accueil des gens du voyage. Mais elle prévoit essentiellement d’accroître les sanctions envers ces derniers sans proposer d’améliorer ni de revoir les obligations que doivent honorer les communes. À mes yeux, il y a là une contradiction intellectuelle et législative qui pose question.

Les solutions ne pourront être trouvées que dans un dialogue constructif et sincère entre les élus et les gens du voyage, en permettant la mise à disposition d’un terrain décent, ainsi que la scolarisation des enfants, sans discrimination.

La présente proposition de loi ne me semble pas de nature à favoriser un tel dialogue. Son adoption ne ferait qu’exacerber les difficultés en radicalisant les positions des uns et des autres.

À la lecture du texte, il apparaît en effet que les dispositions proposées vont trop loin et pourraient être ressenties comme une nouvelle stigmatisation par les gens du voyage. (Protestations sur les travées du groupe Les Républicains.) Ce sera le cas ! Je regrette de devoir vous le dire. Ces mesures constituent une entrave grave à la liberté d’aller et venir et ne peuvent pas être perçues par les personnes concernées autrement que comme une remise en cause de leur mode de vie. C’est ce qui m’amène à émettre un avis défavorable sur le texte.

L’article 1er propose l’élaboration d’une stratégie de gestion des flux des gens du voyage qui porte en fait atteinte à leur liberté d’aller et venir en leur imposant de s’installer uniquement dans certains endroits. En ce sens, cette disposition posera une difficulté constitutionnelle. De plus, cela fait porter la responsabilité de l’accueil aux seuls territoires qui respectent la loi Besson ; rien n’est prévu pour la faire respecter par les autres. Cet article ne permet pas de répondre au problème fondamental du déficit d’espaces d’accueil pour les gens du voyage, qui alimente la saturation des équipements de manière structurelle et entretient les stationnements illicites.

L’article 2 propose de gérer les flux en installant un système de réservation préalable. Or un tel dispositif serait en réalité inopérant dans les territoires sans équipement et difficilement gérable dans les territoires équipés.

L’article 4 propose de comptabiliser dans la loi du 13 décembre 2000 relative à la solidarité et au renouvellement urbains, dite « loi SRU », les aires d’accueil des gens du voyage au titre du logement social. Je ne souhaite pas mettre en concurrence le logement social et les aires d’accueil alors que nous avons 2 millions de demandeurs de logements sociaux qui ne trouvent pas de réponse. La loi SRU est un outil qui doit être respecté pour la construction de logements.

L’article 5 supprime la procédure de substitution et de consignation des fonds, qui avait été créée par la loi du 27 janvier 2017 relative à l’égalité et à la citoyenneté. Cette procédure est un outil de négociation à la main des préfets pour que les communes respectent leurs obligations ; je ne vois pas pourquoi on la supprimerait.

L’article 7 propose de réintroduire un alinéa de l’article 9 de la loi Besson, en prenant en compte la décision du Conseil constitutionnel à la suite d’une question prioritaire de constitutionnalité en 2019. Cet article conforte une demande d’associations. Il avait reçu un avis favorable du Gouvernement lors de l’examen de la proposition de loi de MM. Carle et Hervé. Aussi, sur cet article précis, l’avis du Gouvernement sera favorable.

L’article 8 aggrave la répression des stationnements illicites. Comme je l’ai déjà indiqué, ce n’est, me semble-t-il, pas en augmentant des sanctions qui existent déjà que nous résoudrons le problème.

Enfin, l’article 9 présente un risque d’inconstitutionnalité au regard du principe d’inviolabilité du domicile, en proposant une saisie des véhicules, y compris à usage d’habitation, illégalement stationnés.

En conclusion, je ne suis pas favorable à cette proposition de loi, qui ne résoudra pas le problème des stationnements illicites. Ce texte fait peser sur les seuls gens du voyage le déficit d’aires d’accueil, en menant à une forme de stigmatisation, et il laisse penser que seul un arsenal répressif et coercitif permettrait de régler la question. (Protestations sur les travées du groupe Les Républicains.) Il fait l’objet d’une opposition très forte de la part des personnes concernées. En défendant des positions radicales, il risque de rompre le dialogue pourtant constructif engagé avec l’ensemble des parties prenantes. Le « tout-sanction » est une impasse. Je souhaite que nous en revenions au respect de la loi Besson. (Applaudissements sur les travées des groupes SER et GEST.)

M. le président. La parole est à M. Stéphane Ravier.

M. Stéphane Ravier. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, cette proposition de loi s’attaque au véritable fléau que sont les occupations illégales de terrain par de gens du voyage, occupations illégales qui constituent à l’évidence un nouvel exemple, et à grande échelle, de squat.

Dans les Bouches-du-Rhône, nous ne connaissons que trop bien un tel phénomène, avec une population importante et le pèlerinage annuel aux Saintes-Maries-de-la-Mer. Et nos communes sont bien dotées, avec près de 400 places sur les aires prévues pour l’accueil de ces populations. Ces aires demeurent mal perçues par les maires, leur construction étant imposée par la métropole. Les grosses communes ont ainsi pu se délester d’une telle charge sur les petites villes et villages de Provence.

Mais, comme vous le soulignez dans votre proposition de loi, cela ne suffit pas : il continue d’y avoir des installations illégales. Tous les étés, des terrains sont squattés, et l’électricité et l’eau sont détournées. À la fin, ce sont les contribuables qui paient ; ce sont encore et toujours les contribuables honnêtes qui doivent payer pour ceux qui ne respectent rien, et surtout pas la loi !

Cet été encore, c’est à Berre-l’Étang qu’un terrain a été illégalement occupé. Et comme le maire ne s’est pas chargé de faire expulser les gens du voyage dans les quarante-huit heures, le camp existe encore aujourd’hui ! La gendarmerie y a pourtant mené une perquisition et a saisi plusieurs armes à feu, non déclarées évidemment… C’est un vrai cauchemar pour les riverains.

Pourtant, dans les communes voisines, ce ne sont pas les aires d’accueil qui manquent ! Mais à ceux qui méprisent la loi, cela ne suffit pas, et ne suffira jamais ! Et ça recommence chaque année, toujours aux frais du contribuable !

Je salue évidemment votre volonté de faire entrer les aires de stationnement dans les quotas de la loi SRU. Tout ce qui peut permettre de préserver notre environnement et nos espaces naturels de la bétonisation est louable, même s’il faudrait évidemment reprendre la loi SRU de fond en comble et tendre vers sa suppression. D’ailleurs, quand déciderez-vous d’inscrire à l’ordre du jour de notre Haute Assemblée la proposition de loi que j’ai déposée sur le sujet voilà plus de cinq mois ?

Il faut revenir au pragmatisme, qui passe par la connaissance précise du terrain. La compétence des aires attribuées aux gens du voyage doit être retirée aux EPCI pour être restituée aux communes.

Ainsi, si les aires d’accueil entrent dans le quota SRU, les maires seront incités, mais libres d’en construire. Tout le monde y trouverait son compte.

Enfin, il est nécessaire de rendre automatique la saisie des véhicules qui occupent encore un terrain après expiration du délai de la mise en demeure. Dans le cas contraire, on sait très bien que les squatteurs en voyage iront s’installer dans la commune voisine. Cela ne ferait que déplacer le problème.

Malgré quelques imperfections, ce texte va néanmoins dans le bon sens. Je voterai évidemment en sa faveur.

M. le président. La parole est à M. Dany Wattebled.

M. Dany Wattebled. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, la qualité première des maires de notre pays est certainement l’écoute ! Et je pense ne pas me tromper en disant que, cet après-midi, ils sont particulièrement attentifs à nos travaux.

Ce n’est pas la première fois que nous sommes confrontés dans cet hémicycle au problème de l’accueil des gens du voyage. Nous n’avons cessé de perfectionner et d’affiner la législation française. Nous sommes guidés en particulier par deux volontés majeures : améliorer les conditions d’accueil et instituer un cadre utile pour nos collectivités.

La proposition de loi que nous examinons, comme son nom l’indique, a pour objet de consolider les outils à la disposition de nos collectivités.

Les dernières discussions sur l’accueil des gens du voyage ont montré des divergences entre les deux assemblées. Je tiens à le préciser, il est important de consolider ce cadre pour qu’il soit efficace et, surtout, appliqué.

Dans mon département, le Nord, je ne compte plus les échanges avec des maires qui voient dans la loi Besson une tendance à inverser la culpabilité, en l’imputant aux élus. Nous avons essayé de combler quelques lacunes lors de l’examen des dispositions proposées par MM. Carle et Hervé, que le Sénat a adoptées. Force est de le constater, nous y revenons.

Je soutiens d’ailleurs plusieurs amendements s’inscrivant dans cet état d’esprit, en particulier sur la peine aggravée relative à la destruction, à la dégradation ou à la détérioration d’un bien appartenant à autrui.

Je plaide pour une indemnisation rapide lors de dégâts subis durant une occupation illicite de terrain. Il est impensable de voir des terrains de football ou des bâtiments dévastés. Il faut que ces dégâts soient réparés rapidement ; ils ne doivent pas être laissés à la charge de la collectivité ou du secteur privé.

La proposition de loi règle plusieurs autres problèmes qui me semblent majeurs.

Le préfet doit être une pièce maîtresse et faire appliquer la loi. L’organisation des flux et la gestion des déplacements, mesures développées dans l’article 1er du texte, sont nécessaires. Nous devons être attentifs aux cas de sédentarisation observés, qui peuvent parfois bloquer les aires prévues pour les gens du voyage.

Sur la commune d’Hazebrouck, dans le Nord, un groupe de gens du voyage a été envoyé vers l’aéroport de Merville, où il y a une aire de grand accueil. Ces personnes ont refusé de s’y installer au motif qu’il y avait déjà un autre groupe. Voilà le type de problèmes que nous pouvons rencontrer. Les situations de ce genre doivent trouver des solutions. La communication entre les élus et l’État est la condition pour réussir un accueil dans les meilleures conditions. Le couple maire-préfet a montré son efficacité ; il doit aussi fonctionner dans ces cas précis.

Il en est de même dans le cas problématique des occupations illicites. Car, si les gens du voyage ont des droits, ils ont aussi des devoirs : le respect de la loi en est un. Là encore, le préfet doit agir, et son autorité doit être respectée lorsqu’il s’agit des mises en demeure. À ce titre, je salue l’allongement de la durée d’applicabilité de la mise en demeure à quatorze jours, contre sept jours actuellement.

Beaucoup d’élus m’ont rapporté des incidents. Je ne vous en donnerai que deux exemples particulièrement parlants.

D’abord, sur la commune de Prémesques, un groupe de gens du voyage s’était installé sur un lieu public. À la suite d’une procédure, il a été expulsé. Le maire n’a pu que constater son retour dans la nuit suivante et au même endroit !

Ensuite, sur la commune de Lesquin, que je connais bien, l’aire de grand passage a été occupée avant même d’être terminée. Ce matin encore, les gens du voyage ont été expulsés ; en partant, ils ont complètement saccagé l’aire. Qui paiera les réparations ? La collectivité, comme d’habitude ! Et je ne parle pas des occupations illégales d’espaces commerciaux, qui occasionnent des pertes importantes pour les commerces.

Ces situations d’occupation illégale sont inacceptables. Les évacuations ne sont parfois pas exécutées dans les temps. La gestion par les forces de l’ordre peut être complexe, surtout quand celles-ci manquent d’effectifs, comme c’est souvent le cas. C’est parfois aussi très dangereux pour les élus, comme en atteste l’agression subie par le maire de Maing en 2020.

Mes chers collègues, le texte que nous examinons est important pour nos territoires, ainsi que pour l’accueil des gens du voyage. S’il ne règle pas tout, il apporte une nouvelle fois des pistes de solutions.

Mais, malheureusement, rien ne peut se concrétiser si la loi n’est pas appliquée. Il y va de la crédibilité des acteurs engagés. C’est pourquoi nous sommes très favorables à la présente proposition de loi. (Applaudissements sur les travées des groupes INDEP et Les Républicains. – M. Yves Détraigne applaudit également.)

M. le président. La parole est à M. Guy Benarroche. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST.)

M. Guy Benarroche. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, l’ordre du jour est ainsi fait que nous continuons nos travaux aujourd’hui par l’examen d’une proposition de loi visant l’amélioration des relations entre les collectivités et les gens du voyage. Il est proposé d’appréhender et de réguler les flux des gens du voyage, tout en renforçant la lutte contre les occupations illégitimes.

Cet objectif se traduit essentiellement – hélas ! – par un durcissement des conditions d’accueil et par l’extension des possibilités d’expulsion au nom de la lutte contre les occupations illégales. Je le rappelle, la raison d’être prioritaire des textes adoptés en 2017 et en 2018, qui sont encore incomplètement mis en œuvre et que les auteurs de la présente proposition de loi souhaitent modifier, est la pacification des relations entre les gens du voyage et les communes les accueillant. L’adoption d’un texte maintenant, en particulier de celui qui nous est proposé, n’y contribuera pas.

Sur la forme, ce texte participe d’une inflation législative, d’une course sans fin pour encadrer les conditions de vie et de domiciliation des gens du voyage, et contribue, certes involontairement, à leur stigmatisation.

Depuis trente ans, il y a eu beaucoup de lois sur les gens du voyage, beaucoup de commissions représentatives, beaucoup de schémas directeurs. Mais le constat a été fait par vous tous, mes chers collègues : seule la moitié des places en aires permanentes d’accueil prévues par les schémas départementaux avaient été créées en 2009, et ce chiffre s’élevait à peine 75 % en 2020. Seuls vingt-quatre schémas départementaux sont pleinement respectés aujourd’hui !

Je salue le travail de modération de notre rapporteure et de notre commission sur certains points édifiants, comme la suppression, demandée par la commission, de l’article 8, qui prévoyait la possibilité d’une astreinte solidaire pour les occupants en infraction, et celle de l’article 6, consacré aux craintes liées à des inscriptions massives et ciblées sur les listes électorales de gens du voyage au sein de communes peu peuplées.

Je regrette toutefois l’ajout d’un article sur les méthodes d’expulsion et de renforcement des sanctions pénales en cas d’infraction. Comment justifier de la saisie d’un véhicule qui est aussi l’habitation des gens du voyage ?

Pareillement, le changement de lieu qui pourrait être imposé d’une aire à une autre ne prendrait pas en compte l’ancrage local, même embryonnaire, qui peut exister, en particulier par des tentatives de scolarisation des enfants. Cela va à l’encontre de la possibilité d’une intégration et d’une non-stigmatisation des gens du voyage.

Dans mon département, dont parlait tout à l’heure un autre sénateur, je connais beaucoup d’associations qui s’occupent avant tout de la scolarisation des enfants des gens du voyage, aussi bien à Marseille qu’en Camargue. C’est l’un des moyens d’arriver à une intégration et à une amélioration des relations. (M. Jérôme Bascher sexclame.)

Ce texte, s’il entend répondre à un réel besoin de nos collectivités pour au mieux anticiper et gérer les arrivées, séjours et départs des gens du voyage, reste déséquilibré.

Que dire de la décision de supprimer les procédures de consignation à l’encontre des communes et des EPCI défaillants ? Je sais que c’est une demande répétée du Sénat, mais ce n’est pas la nôtre. Ne pas sanctionner les collectivités qui ne respectent pas la loi, c’est sanctionner celles qui, au prix d’efforts, s’y conforment !

Dans la même veine, comptabiliser les aires d’accueil dans les comptages SRU des logements sociaux, c’est aussi décourager les collectivités ayant fait des efforts énormes pour respecter leurs obligations. Et c’est confondre la construction de logements neufs sociaux avec l’accueil provisoire des gens du voyage !

Si l’idée d’une réservation préalable avec réorientation sur des aires libres s’entend pour une meilleure gestion des flux et pour éviter une concentration matériellement impossible, sa mise en place facultative par les collectivités et son caractère qui devient exclusif dans le cas où il y est fait recours laissent songeur quant à la visibilité pour les gens du voyage des démarches à entreprendre.

Dans ce cadre, notre groupe restera vigilant sur les rédactions des décrets qui encadreraient les motifs valables pour justifier les refus d’accueil par les mairies.

M. le président. Il va falloir conclure, mon cher collègue.

M. Guy Benarroche. Les problèmes existent lorsque deux modes de vie cohabitent. Les difficultés à appliquer les lois de manière sereine sont récurrentes pour un certain nombre de communes. Les dernières lois votées par le Parlement ont vocation à les résorber. Encore faut-il leur laisser le temps d’une mise en œuvre qui puisse faire ses preuves.

Il est important de privilégier l’application des dernières lois votées ici même et de renforcer les méthodes de concertation.

Pour toutes ces raisons, notre groupe votera contre la présente proposition de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST. – M. Hussein Bourgi applaudit également.)

M. le président. La parole est à Mme Nicole Duranton.

Mme Nicole Duranton. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, nous avons tous eu au téléphone des maires désemparés par une installation sauvage de gens du voyage arrivés à l’improviste le matin même dans la commune.

Chaque année, la France compte 350 000 à 400 000 personnes appartenant à cette communauté, dont un tiers sédentaire, un tiers semi-sédentaire et un tiers itinérant.

Mercredi dernier, la commission des lois du Sénat a adopté la proposition de loi visant à consolider les outils des collectivités permettant d’assurer un meilleur accueil des gens du voyage. Cette proposition, présentée par mes collègues Patrick Chaize, Sylviane Noël et Alain Chatillon, a trois objectifs principaux : mieux anticiper les déplacements de résidences mobiles, améliorer la gestion des aires d’accueil de gens du voyage et renforcer la procédure administrative d’évacuation d’office en cas de stationnement illicite.

C’est l’occasion aujourd’hui d’avoir une pensée émue pour notre regretté collègue Jean-Claude Carle. Ce texte vient d’abord rétablir les dispositions votées par le groupe majoritaire au Sénat et tombées lors de l’examen de sa proposition de loi par l’Assemblée nationale en 2018.

L’article 1er crée un cadre législatif pour les stratégies régionales de gestion de flux. Le deuxième instaure des systèmes de réservation des aires. Le dernier détaille les dispositifs de lutte contre les occupations illégales.

La commission les a complétés, en créant une stratégie régionale de gestion des déplacements et en retravaillant la réservation de places sur les aires. L’enjeu est aussi de répartir équitablement la charge de l’accueil entre communes et EPCI.

Dans mon département, l’Eure, cette concertation entre le préfet, le président du conseil départemental et les présidents des trois communautés d’agglomération est en cours. L’objectif est de mettre à disposition des gens du voyage trois aires de grands passages sur chacun de ces territoires alors qu’il n’en existe aucune aujourd’hui.

Cette volonté de se mettre en règle rendra aussi chaque élu plus légitime à exiger demain l’intervention de la force publique lorsque des installations sauvages ont lieu. Il faut appuyer les maires dans leur lutte contre toutes les illégalités.

Le renforcement des procédures d’évacuation est, dans ce même esprit, proposé par la commission. Un amendement a en effet été adopté pour autoriser la saisie et le déplacement des véhicules, y compris lorsqu’ils sont destinés à l’habitation. Un renforcement des mesures effectives est très attendu à la fois par les élus locaux, qui ont souvent un sentiment d’impuissance, mais aussi par leurs habitants, qui s’agacent de voir ponctuellement des gens du voyage s’installer sans autorisation.

En 2020, la crise sanitaire a touché très durement les gens du voyage. C’est pourquoi le Gouvernement a appelé dès la fin du mois de mars les maires à se montrer à l’écoute et compréhensifs, notamment sur le recouvrement des redevances et charges. L’Association des maires de France et des présidents d’intercommunalité (AMF) et les représentants des gens du voyage ont instauré un dialogue constructif, et des reports d’échéances ont déjà été votés par certaines collectivités partout sur notre territoire.

D’une manière générale, ce mode de vie rend difficiles l’accès à certains droits et l’accomplissement de certains devoirs qu’implique une domiciliation. Un régime juridique ad hoc a donc été créé pour répondre à cette situation au fil du temps.

Le livret de circulation, créé en 1969, a été censuré par le Conseil constitutionnel en 2012, puis aboli par la loi du 27 janvier 2017 relative à l’égalité et à la citoyenneté. Aujourd’hui, toutes les actions institutionnelles vont dans le sens d’une « normalisation », c’est-à-dire de la fin du statut dérogatoire. Mais des difficultés perdurent quant au stationnement des véhicules et à la scolarisation des enfants. La loi du 31 mai 1990 visant à la mise en œuvre du droit au logement prévoyait en son article 28 la création de schémas départementaux.

La loi Besson du 5 juillet 2000 a prévu que les communes de 5 000 habitants sont obligées de disposer d’un terrain d’accueil dédié. Elles peuvent également transférer cette compétence à un EPCI. En contrepartie de cette obligation, l’État prend en charge les investissements nécessaires à l’aménagement et à la réhabilitation des aires dans la proportion de 70 %, en plus d’une aide forfaitaire. Plusieurs textes réglementaires sont venus détailler les conditions de cet accueil par les collectivités : neuf décrets, sept circulaires et trois arrêtés. Entre 2003 et 2010, les maires ont ainsi déjà vu leur pouvoir renforcé en la matière.

Au mois de novembre 2018, la loi Carle a clarifié les compétences des communes et de leurs groupements en matière d’accueil des gens du voyage au regard de la loi du 27 janvier 2014 de modernisation de l’action publique territoriale et d’affirmation des métropoles, ou loi Maptam, et de la loi du 7 août 2015 portant nouvelle organisation territoriale de la République, ou loi NOTRe.

La présente proposition de loi contient des dispositions utiles, comme le raccourcissement du délai qu’a le juge administratif pour statuer sur les recours ou le fait que la mise en demeure reste active en cas de retour des véhicules dans les quatorze jours pour éviter les « feintes de départ ». De même, le dispositif d’astreinte solidaire de 100 euros par jour et par résidence mobile, payable directement à la commune ou à l’EPCI, semble judicieux.

Cependant, François-Noël Buffet, le président de la commission des lois, dans un communiqué de presse du 13 janvier 2021, a déclaré : « Les collectivités territoriales pâtissent de l’absence de mise en œuvre – au niveau central, comme au niveau local – des mesures législatives déjà votées en la matière, les privant ainsi d’efficacité sur le terrain. » Si l’on veut rajouter une surcouche de législation à cette matière, qui est déjà complexe, il faut le faire avec précaution. À l’échelon national, la Commission nationale consultative des gens du voyage émet des recommandations pour mieux mettre en œuvre la loi. C’est avec tous les acteurs qu’il faut désormais travailler, dans un esprit de conciliation.

Considérant que l’arsenal des lois est déjà assez important sur le sujet, le groupe RDPI se positionne sur une abstention, mais laisse toute latitude à ses membres qui souhaitent voter en faveur de la présente proposition de loi, texte qui renforce la législation existante. Pour ma part, j’émettrai un vote favorable. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)

M. le président. La parole est à Mme Maryse Carrère. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE.)

Mme Maryse Carrère. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, il est toujours sensible de légiférer sur les relations entre les collectivités et les gens du voyage.

D’abord, sous ce terme valise, ce sont plusieurs réalités qui se confrontent et, souvent, se confondent, laissant parfois place à l’amalgame et à la raillerie.

Surtout, beaucoup d’entre nous ont eu à traiter de ces situations dans le cadre de leurs mandats locaux. Cela peut nous amener, dans la position de législateur et de défenseur des territoires que nous occupons aujourd’hui, à appréhender de tels sujets uniquement par ce prisme, ce qui serait dommageable.

Car, derrière, il y a une réalité, un choix de vie que nous devons respecter, à plus forte raison dans cette période, où les gens du voyage ont été particulièrement touchés.

Dans ce débat, j’en suis convaincue, nous devons suivre la voie de l’équilibre entre la capacité d’accueil gens du voyage et la lutte contre les occupations illicites. Il faut associer liberté d’aller et venir, solidarité et respect de la propriété privée.

Aussi, avant de prévoir davantage de contraintes pour les uns ou pour les autres, il faut s’assurer que les droits de chacun sont respectés. Je crois que le cœur du débat réside là.

Si les schémas d’accueil ont été rendus obligatoires par la loi Besson II, force est de constater qu’ils ne sont pas tous réalisés. Et quand bien même ils sont réalisés, près d’un quart des places ne sont pas effectivement créées. Voilà de quoi alimenter nos réflexions sur l’application des lois !

Nous le savons, il est parfois difficile pour les élus de gérer ces créations, notamment vis-à-vis d’une population peu encline à de nouvelles installations.

Pour avoir connu de telles situations, je sais que la politique d’accueil des gens du voyage est plus complexe qu’il n’y paraît, en raison de l’impossibilité de prévoir les installations et du coût élevé que celles-ci représentent, ainsi que des dégradations qui peuvent parfois être constatées.

À cela s’ajoute aussi une répartition des compétences qui a évolué et des situations parfois compliquées déjà évoquées, auxquelles la proposition de loi de nos collègues Carle et Hervé est venue apporter de bonnes solutions.

En termes de sanctions des occupations illicites, là encore, nous formulons le même constat : celui de l’inapplication des lois, et plus particulièrement de la loi Besson II.

Les préfets, qui ont vu leurs pouvoirs renforcés dans cette loi, devraient se saisir davantage de ces prérogatives. En théorie, cela paraît pourtant simple, les collectivités peuvent le saisir pour deux types de procédures : pour procéder à l’évacuation forcée d’un terrain occupé illégalement après mise en demeure par le préfet ou pour exécuter une décision de justice prononçant l’expulsion du terrain.

Dans les faits, c’est bien différent, et trop nombreuses sont les demandes d’évacuation qui restent sans suite : de quoi décourager de nombreux élus, qui ne se saisissent plus de cette possibilité !

Je pourrais faire exactement le même constat sur l’amende forfaitaire délictuelle en cas d’installation illicite.

On comprend bien ici que le problème est non pas de sanctionner plus durement les occupations illicites, mais bien de les rendre plus effectives.

Le débat que nous avons aujourd’hui est avant tout un constat de la non-application des lois, notamment de la loi Besson II. Pourquoi en adopter d’autres, qui ne seront pas plus appliquées ?

Dès lors, le texte que nous examinons, s’il pose de bonnes questions, n’apporte pas franchement de réponses aux problèmes évoqués sur nos travées.

Le travail de la commission est venu atténuer la portée du texte d’origine, mais, à notre avis, il n’apporterait aucune amélioration effective en cas d’adoption.

À l’article 1er, la stratégie régionale proposée n’apportera pas plus de solutions que le recensement suggéré initialement. Je m’interroge aussi sur la réservation des emplacements ouverte par l’article 2, qui sera très compliquée à mettre en œuvre sur le terrain.

Sur le renforcement des sanctions, j’entends les difficultés que mes collègues peuvent rencontrer, et je souscris à l’idée selon laquelle l’État doit être plus ferme face aux installations illégales. De nouvelles sanctions, pour être acceptées et acceptables, doivent aussi s’accompagner de garanties pour les gens du voyage.

Assurons-nous de l’application des schémas, mobilisons-nous pour que les procédures d’expulsion soient appliquées en cas d’occupation illicite, et anticipons la sédentarisation avant de légiférer une nouvelle fois.

Vous l’aurez compris, mes chers collègues, pour toutes ces raisons, les élus du groupe RDSE s’abstiendront majoritairement sur cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE.)