M. le président. La parole est à M. le garde des sceaux.

M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. Je déplore tous les jours le manichéisme, l’absence de nuances de notre époque. Il faut se positionner sur tous les sujets : il y aurait le bien d’un côté, le mal de l’autre, le noir, le blanc… La palette de couleurs a disparu au profit d’une forme de radicalisation, d’exacerbation permanente des choses.

Je me placerai pour ma part sur le terrain du raisonnable. J’ai indiqué que je respecterais toutes les convictions, et ce n’était pas là un vœu pieux. Ces sujets sont sensibles, ils relèvent de l’intime. Lorsque je dis que « c’est du brutal » – pour citer un auteur que nous aimons tous –, je pense notamment – pardon de vous le dire ainsi – à des gens qui se battent depuis des années pour adopter et pour qui le fait de ne pas y parvenir est devenu le grand malheur de leur vie. Ces gens vont entendre brutalement que la Haute Assemblée considère qu’il n’existe pas de droit à l’enfant.

Je l’ai dit, il y a des projets parentaux qui sont dignes de notre intérêt, du vôtre aussi, bien sûr. Il existe aussi un droit à procréer. M. Karoutchi nous rappelle, de façon amusante, en ayant l’œil qui frise, que le Sénat a parfois voté des dispositions politiques. Je l’entends, mais j’aimerais que l’on s’attarde une seconde sur la brutalité, sur la violence du propos.

Enfin, permettez-moi d’indiquer que le code civil ne consacre pas de droit à l’enfant. Il ne s’agit donc pas d’abroger un texte qui pourrait être gênant. D’ailleurs, dans sa grande sagesse, le législateur n’affirme pas qu’il existe un droit à l’enfant – nous savons tous qu’il n’en existe pas à proprement parler –, de même qu’il n’y a pas un droit de l’enfant : l’enfant est sujet de droits, au pluriel.

Je vous demande de penser à ceux qui désirent tant avoir un enfant – pas pour son malheur, monsieur le sénateur Retailleau – et à qui vous allez dire qu’il n’existe pas de droit à l’enfant. C’est un peu difficile, brutal et violent. Il me semble que l’on pourrait être un peu plus nuancé – j’emploie le conditionnel à dessein. Telle est en tout cas mon espérance. (M. Xavier Iacovelli applaudit.)

M. le président. La parole est à M. Bruno Retailleau, pour explication de vote.

M. Bruno Retailleau. Je voterai bien sûr ces amendements identiques, mais je souhaite répondre à M. le garde des sceaux, qui m’a interpellé. Chacun a compris que l’amendement de Dominique de Legge ne vise pas à décourager toutes les personnes qui veulent recourir à l’adoption.

Tous ceux qui, comme moi, ont eu des responsabilités au sein d’un exécutif départemental savent que les conseils départementaux, qui sont compétents en matière d’agrément, les refusent parfois à certains couples, pour qui c’est une vraie souffrance. Il n’y a donc pas de droit intrinsèque à l’enfant. On essaie d’abord de voir quel est l’intérêt de l’enfant. Tous les anciens présidents de conseils départementaux connaissent ce mécanisme et la souffrance de beaucoup de parents.

Je comprends le désir d’enfant, celui de couples de femmes ou d’autres, mais puisque vous nous invitez à faire preuve de nuance, ne caricaturez pas ces amendements, qui visent à rappeler un fait.

En matière d’adoption, la méthode déjà ancienne de l’agrément permet simplement de vérifier que les conditions d’adoption sont compatibles avec l’intérêt de l’enfant. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. le président. Je mets aux voix les amendements identiques nos 5 rectifié ter, 13 rectifié ter, 67 rectifié ter et 107 rectifié quinquies.

(Les amendements sont adoptés.) – (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. le président. En conséquence, l’article 1er A est rétabli dans cette rédaction, et les amendements nos 141, 108 rectifié ter et 106 rectifié ter n’ont plus objet.

Article 1er A (suppression maintenue)
Dossier législatif : projet de loi relatif à la bioéthique
Article 1er (interruption de la discussion)

Article 1er

I. – Le chapitre Ier du titre IV du livre Ier de la deuxième partie du code de la santé publique est ainsi modifié :

1° L’article L. 2141-2 est ainsi rédigé :

« Art. L. 2141-2. – I. – L’assistance médicale à la procréation a pour objet de remédier à l’infertilité d’un couple formé d’un homme et d’une femme dont le caractère pathologique est médicalement diagnostiqué ou d’éviter la transmission à l’enfant ou à un membre du couple d’une maladie d’une particulière gravité.

« II. – Les demandeurs doivent consentir préalablement au transfert des embryons ou à l’insémination.

« Font obstacle à l’insémination ou au transfert des embryons :

« 1° Le décès d’un des membres du couple ;

« 2° L’introduction d’une demande en divorce ;

« 3° L’introduction d’une demande en séparation de corps ;

« 4° La signature d’une convention de divorce ou de séparation de corps par consentement mutuel selon les modalités prévues à l’article 229-1 du code civil ;

« 5° La cessation de la communauté de vie ;

« 6° La révocation par écrit du consentement prévu au premier alinéa du II par l’un ou l’autre des membres du couple auprès du médecin chargé de mettre en œuvre l’assistance médicale à la procréation.

« L’accès à l’assistance médicale à la procréation est possible selon des conditions d’âge encadrées par une recommandation de bonnes pratiques fixée par arrêté du ministre en charge de la santé après avis de l’Agence de la biomédecine. Elles prennent en compte les risques médicaux de la procréation liés à l’âge ainsi que l’intérêt de l’enfant à naître.

« Lorsqu’un recueil d’ovocytes a lieu dans le cadre d’une assistance médicale à la procréation, il peut être proposé de réaliser dans le même temps une autoconservation ovocytaire. » ;

1° bis Après le même article L. 2141-2, il est inséré un article L. 2141-2-1 ainsi rédigé :

« Art. L. 2141-2-1. – Tout couple formé de deux femmes ou toute femme non mariée répondant aux conditions prévues au II de l’article L. 2141-2 a accès à l’assistance médicale à la procréation selon les modalités prévues au présent chapitre. » ;

1° ter L’article L. 2141-3 est ainsi rédigé :

« Art. L. 2141-3. – Un embryon ne peut être conçu in vitro que dans le cadre et selon les objectifs d’une assistance médicale à la procréation telle que définie à l’article L. 2141-1.

« Compte tenu de l’état des techniques médicales, les membres du couple ou la femme non mariée peuvent consentir par écrit à ce que soit tentée la fécondation d’un nombre d’ovocytes pouvant rendre nécessaire la conservation d’embryons, dans l’intention de réaliser ultérieurement leur projet parental. Dans ce cas, ce nombre est limité à ce qui est strictement nécessaire à la réussite de l’assistance médicale à la procréation compte tenu du procédé mis en œuvre. Une information détaillée est remise aux membres du couple ou à la femme non mariée sur les possibilités de devenir de leurs embryons conservés qui ne feraient plus l’objet d’un projet parental ou en cas de décès de l’un des membres du couple.

« Les deux membres du couple ou la femme non mariée peuvent consentir par écrit à ce que les embryons non susceptibles d’être transférés ou conservés fassent l’objet d’une recherche dans les conditions prévues à l’article L. 2151-5.

« Un couple ou une femme non mariée dont des embryons ont été conservés ne peut bénéficier d’une nouvelle tentative de fécondation in vitro avant le transfert de ceux-ci, sauf si un problème de qualité affecte ces embryons. » ;

2° Les articles L. 2141-5 et L. 2141-6 sont ainsi rédigés :

« Art. L. 2141-5. – Les deux membres du couple ou la femme non mariée peuvent consentir par écrit à ce que les embryons conservés soient accueillis par un autre couple ou une autre femme non mariée dans les conditions prévues à l’article L. 2141-6, y compris, s’agissant des deux membres d’un couple, en cas de décès de l’un d’eux.

« Les deux membres du couple ou la femme non mariée sont informés des dispositions législatives et réglementaires relatives à l’accueil d’embryons, notamment des dispositions de l’article L. 2143-2 relatives à l’accès des personnes conçues par assistance médicale à la procréation avec tiers donneur aux données non identifiantes et à l’identité du tiers donneur.

« Art. L. 2141-6. – Un couple ou une femme non mariée répondant aux conditions prévues au II de l’article L. 2141-2 peut accueillir un embryon.

« Les deux membres du couple ou la femme non mariée doivent préalablement donner leur consentement devant notaire à l’accueil de l’embryon. Les conditions et les effets de ce consentement sont régis par l’article 342-10 du code civil.

« Le couple ou la femme non mariée accueillant l’embryon et le couple ou la femme non mariée ayant consenti à l’accueil de leur embryon ne peuvent connaître leurs identités respectives.

« En cas de nécessité médicale, un médecin peut accéder aux informations médicales non identifiantes concernant le couple ou la femme non mariée ayant consenti à l’accueil de leur embryon, au bénéfice de l’enfant. Ces informations médicales peuvent être actualisées auprès des établissements mentionnés au dernier alinéa du présent article.

« Aucune contrepartie, quelle qu’en soit la forme, ne peut être allouée au couple ou à la femme non mariée ayant consenti à l’accueil de leur embryon.

« L’accueil de l’embryon est subordonné à des règles de sécurité sanitaire. Ces règles comprennent notamment des tests de dépistage des maladies infectieuses.

« Seuls les établissements publics ou privés à but non lucratif autorisés à cet effet peuvent conserver les embryons destinés à être accueillis et mettre en œuvre la procédure d’accueil. » ;

3° L’article L. 2141-7 est complété par deux alinéas ainsi rédigés :

« Elle est également mise en œuvre dans les cas prévus à l’article L. 2141-2-1.

« Une étude de suivi peut être proposée au couple receveur ou à la femme receveuse, qui y consent par écrit. » ;

4° Les articles L. 2141-9 et L. 2141-10 sont ainsi rédigés :

« Art. L. 2141-9. – Seuls les embryons conçus dans le respect des principes fondamentaux énoncés aux articles 16 à 16-8 du code civil et des dispositions du présent titre peuvent entrer sur le territoire où s’applique le présent code ou en sortir. Ces déplacements d’embryons sont exclusivement destinés à permettre la poursuite du projet parental du couple ou de la femme non mariée concernés. Ils sont soumis à l’autorisation préalable de l’Agence de la biomédecine.

« Art. L. 2141-10. – La mise en œuvre de l’assistance médicale à la procréation est précédée d’entretiens particuliers de la femme ou du couple demandeur avec les membres de l’équipe médicale clinicobiologique pluridisciplinaire du centre, composée notamment d’un psychiatre ou psychologue spécialisé en psychiatrie ou psychologie de l’enfant et de l’adolescent, le cas échéant extérieur au centre. L’équipe fait appel, en tant que de besoin, à un professionnel inscrit sur la liste mentionnée au deuxième alinéa de l’article L. 411-2 du code de l’action sociale et des familles.

« Le ou les médecins de l’équipe mentionnée au premier alinéa du présent article doivent :

« 1° S’assurer de la volonté des deux membres du couple ou de la femme non mariée à poursuivre leur projet parental par la voie de l’assistance médicale à la procréation, après leur avoir dispensé l’information prévue au 3° et leur avoir rappelé les possibilités ouvertes par la loi en matière d’adoption ;

« 2° Procéder à une évaluation médicale, psychologique et, en tant que de besoin, sociale, des deux membres du couple ou de la femme non mariée ;

« 3° Informer complètement et au regard de l’état des connaissances scientifiques les deux membres du couple ou la femme non mariée des possibilités de réussite ou d’échec des techniques d’assistance médicale à la procréation, de leurs effets secondaires et de leurs risques à court et à long termes ainsi que de leur pénibilité et des contraintes qu’elles peuvent entraîner ;

« 3° bis En cas d’assistance médicale à la procréation avec tiers donneur, informer les deux membres du couple ou la femme non mariée des modalités de l’accès aux données non identifiantes et à l’identité du tiers donneur par la personne majeure issue du don ;

« 4° Lorsqu’il s’agit d’un couple, informer celui-ci de l’impossibilité de réaliser un transfert des embryons conservés en cas de rupture du couple ainsi que des dispositions applicables en cas de décès d’un des membres du couple ;

« 5° Remettre aux deux membres du couple ou à la femme non mariée un dossier-guide comportant notamment :

« a) Le rappel des dispositions législatives et réglementaires relatives à l’assistance médicale à la procréation ;

« b) Un descriptif de ces techniques ;

« c) Le rappel des dispositions législatives et réglementaires relatives à l’adoption ainsi que l’adresse des associations et organismes susceptibles de compléter leur information à ce sujet ;

« d) Des éléments d’information sur l’accès aux données non identifiantes et à l’identité du tiers donneur par la personne majeure issue du don ainsi que la liste des associations et organismes susceptibles de compléter leur information sur ce sujet ;

« e) Des éléments d’information sur les taux de réussite des techniques d’assistance médicale à la procréation, leurs effets secondaires et leurs risques à court et à long termes ainsi que sur l’état des connaissances concernant la santé des enfants ainsi conçus.

« Le consentement du couple ou de la femme non mariée est confirmé par écrit à l’expiration d’un délai de réflexion d’un mois à compter de la réalisation des étapes mentionnées aux 1° à 5° du présent article.

« L’assistance médicale à la procréation est subordonnée à des règles de sécurité sanitaire.

« Elle ne peut être mise en œuvre par le médecin ayant par ailleurs participé aux entretiens prévus au premier alinéa lorsque la femme non mariée ou le couple demandeur ne remplissent pas les conditions prévues au présent titre ou lorsque ce médecin, après concertation au sein de l’équipe clinicobiologique pluridisciplinaire, estime qu’un délai de réflexion supplémentaire est nécessaire à la femme non mariée ou au couple demandeur dans l’intérêt de l’enfant à naître.

« Le couple ou la femme non mariée qui, pour procréer, recourent à une assistance médicale nécessitant l’intervention d’un tiers donneur doivent préalablement donner, dans les conditions prévues par le code civil, leur consentement à un notaire.

« La composition de l’équipe clinicobiologique mentionnée au premier alinéa est fixée par décret en Conseil d’État. »

bis. – L’article L. 160-8 du code de la sécurité sociale est complété par un 9° ainsi rédigé :

« 9° La couverture des frais relatifs aux actes et traitements liés à l’assistance médicale à la procréation réalisée en application du I de l’article L. 2141-2 du code de la santé publique. »

II. – L’article L. 160-14 du code de la sécurité sociale est ainsi modifié :

1° Le 12° est ainsi rédigé :

« 12° Pour les investigations nécessaires au diagnostic et au traitement de l’infertilité ; »

2° Après le 25°, il est inséré un 26° ainsi rédigé :

« 26° Pour l’assistance médicale à la procréation réalisée, en application du I de l’article L. 2141-2 du code de la santé publique, dans les conditions prévues au chapitre Ier du titre IV du livre Ier de la deuxième partie du code de la santé publique. »

III. – (Supprimé)

M. le président. La parole est à M. Pierre Cuypers, sur l’article.

M. Pierre Cuypers. Dans ce dédale de transcriptions législatives qui va à l’encontre d’un amour filial qui existe depuis la nuit des temps, nous laissons contrarier la nature. Monsieur le garde des sceaux, où est le père ? Où est la mère ? Où est l’intérêt de l’enfant ?

En dépit de ce que vous dites, monsieur le garde des sceaux, la notion juridique de droit à l’enfant proposée bouleverse tous les équilibres de la filiation. Cette dernière est pourtant le lien entre l’homme ou la femme et l’enfant auquel ils ont donné naissance.

Il n’existe pas de droit à l’enfant ; au contraire, votre texte devrait respecter le droit de l’enfant. C’est pourquoi j’ai voté l’amendement de mon collègue Dominique de Legge visant à rétablir l’article 1er A et, ce faisant, à supprimer la référence juridique au « droit à ».

Ce texte, qui prévoit l’extension de la PMA sans motif médical et l’établissement d’une filiation sans père, ne peut en aucun cas être accepté. En tant que président du groupe parlementaire chrétien (Exclamations sur les travées du groupe SER – Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains), j’ai cosigné l’amendement déposé par ma collègue Anne Chain-Larché visant à supprimer l’article 1er. Je soutiens pleinement cet amendement, car ouvrir la PMA aux couples de femmes et aux femmes seules revient à accepter d’effacer délibérément l’un des parents de l’enfant. Cela revient également à dire que le géniteur n’aurait pas d’importance pour la construction de l’enfant.

Créer une double filiation maternelle et supprimer la notion de père est intolérable. Nous sommes en passe d’imposer à l’enfant et à la société une filiation sociale fondée sur le seul désir de l’adulte.

Dois-je vous rappeler, monsieur le garde des sceaux, qu’une grande majorité de Français estiment que l’État – je dis bien : l’État – doit garantir à l’enfant né par PMA le droit d’avoir un père et une mère ?

Cet état de fait tend à faciliter la reconnaissance de la GPA : admettez-le simplement, monsieur le garde des sceaux, monsieur le secrétaire d’État.

Telles sont les raisons pour lesquelles je m’oppose fermement à l’adoption d’une telle loi. (Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains.)

M. le président. La parole est à M. André Reichardt, sur l’article.

M. André Reichardt. Le projet de loi que nous examinons aujourd’hui compte assurément de nombreux articles dont l’importance est considérable pour la sauvegarde des équilibres sociétaux de notre pays, mais l’article 1er, qui étend l’accès à l’assistance médicale à la procréation aux couples de femmes et aux femmes seules, est essentiel à cet égard.

Cet article, associé à l’article 4, qui opère une réforme en profondeur du droit de la filiation, crée une véritable rupture avec le droit applicable à la PMA et avec le fragile équilibre établi depuis les premières lois de bioéthique de 1994.

Jusqu’à aujourd’hui, mes chers collègues, l’assistance médicale à la procréation était un ensemble de techniques médicales mises au point pour les couples souffrant d’une pathologie de la fertilité ou présentant, séparément ou conjointement, un risque de transmettre une maladie d’une particulière gravité à l’enfant.

Désormais, le recours à l’AMP pour des personnes a priori fécondes détournerait la médecine de sa finalité pour la mettre au service de revendications sociétales. Ainsi, la médecine qui vise à prévenir et à traiter les maladies deviendrait une sorte de prestation de services pour satisfaire des désirs individuels.

Contrairement à ce que l’on entend régulièrement, les problèmes que soulève l’ouverture de l’AMP aux femmes seules et aux couples de femmes sont différents de ceux que posent les familles monoparentales ou homoparentales. La question qui se pose est de savoir si, comme le prévoit ce projet de loi, nous pouvons, en termes d’éthique et d’égalité, priver délibérément des enfants de père dès avant leur conception.

Ce texte, s’il était voté dans sa rédaction actuelle, conduirait ni plus ni moins à effacer la fonction paternelle. On n’arrivera pas à me convaincre que l’absence de père est indifférente pour l’enfant.

Par ailleurs, ouvrir la PMA aux couples de femmes, n’est-ce pas entrouvrir la porte à la GPA dans le futur ? Certes, l’article 4 bis du texte de la commission spéciale l’exclut désormais expressément, mais sous couvert d’égalité, ne demandera-t-on pas demain de rendre possible l’impossible, à savoir la reproduction par deux personnes d’un même sexe ? Un couple d’hommes, voire un homme seul pourront demander que la loi leur donne ce même moyen d’accès à la parentalité.

D’ailleurs, étendre l’accès à la PMA, c’est déjà ouvrir la porte à la marchandisation humaine. Les pays qui ont étendu la PMA ont dû rémunérer les hommes qui fournissent leurs cellules sexuelles, tout simplement parce que les dons actuels suffisent déjà à peine à couvrir les besoins des couples souffrant de pathologies de la fertilité.

Enfin, l’extension prévue de la PMA remet en question tout notre droit de la filiation. L’inscription sur l’acte de naissance de l’enfant de deux mères bouleverserait le sens de la filiation d’origine – j’y reviendrai lorsque nous examinerons l’article 4.

Pour toutes ces raisons, mes chers collègues, je me suis associé à l’amendement de Mme Anne Chain-Larché visant à supprimer cet article. Je vous invite d’ores et déjà à le voter. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. le président. La parole est à Mme Patricia Schillinger, sur l’article.

Mme Patricia Schillinger. L’article que nous examinons constitue l’une des mesures phares de ce projet de loi. Il est la traduction de l’un des engagements du Président de la République : permettre à chacun de vivre sa vie de couple et de construire son projet familial.

Il s’agit donc, dans le prolongement de cet engagement, d’ouvrir aux couples de femmes et aux femmes seules l’assistance médicale à la procréation, principe que la commission spéciale a sauvegardé, ce dont je me réjouis.

Toutefois, nous n’avons pas la même vision de la manière dont l’accès à celle-ci doit être élargi. La commission spéciale persiste notamment à faire une distinction entre l’accès à l’AMP pour les couples infertiles d’une part, et pour les couples de femmes et les femmes non mariées d’autre part, ce qui revient à priver ces dernières d’une prise en charge par l’assurance maladie. À nos yeux, si une telle rédaction devait être conservée, elle serait contraire aux objectifs du texte, qui sont d’apporter des solutions à ces femmes rencontrant des difficultés dans la réalisation de leur projet parental et d’assurer la solidarité au sein de notre système de santé.

Aussi, parce que nous refusons de distinguer en fonction des critères d’orientation sexuelle ou de composition des ménages les projets parentaux qui mériteraient le soutien de la solidarité nationale de ceux qui ne le mériteraient pas, nous soutiendrons l’amendement du Gouvernement, ainsi que les amendements similaires portés par nos collègues visant à étendre l’accès à la PMA aux couples de femmes et aux femmes seules, sans distinguer selon un critère pathologique, sans hiérarchiser les projets parentaux, sans les discriminer d’une quelconque façon.

Telle est notre vision de la famille en 2021 : plurielle, mais ayant toujours à cœur l’intérêt supérieur de l’enfant. (Bravo ! et applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)

M. le président. La parole est à M. Patrick Kanner, sur l’article.

M. Patrick Kanner. Je me réjouis que le Sénat, en tout cas au moins pour partie, revendique aujourd’hui la liberté et l’égalité d’accès à la science pour répondre à un désir d’enfant.

Chaque année, 2 000 à 4 000 femmes ont recours à l’assistance médicale à la procréation à l’étranger. Nous n’actons donc pas un changement de civilisation, mes chers collègues : ces familles existent déjà. Comme souvent, la pratique a devancé le droit et les représentations symboliques. Nous avons connu le même phénomène pour le mariage pour tous, qui avait été tant décrié au motif qu’il allait entraîner un délitement de la société. Or, ces 4 000 ou 5 000 mariages homosexuels ne posent aujourd’hui aucun problème à notre société.

La filiation est un fait social et culturel, et non une vérité seulement biologique : voilà ce que nous voulons acter aujourd’hui. L’ouverture du droit à l’AMP met fin à une forme de discrimination. Toute femme pourra envisager de devenir parent, indépendamment de sa situation maritale et de son orientation sexuelle.

La majorité sénatoriale s’est toujours opposée au remboursement de l’AMP pour les femmes seules et les couples de femmes alors que les couples hétérosexuels infertiles, eux, bénéficient d’un tel remboursement.

Chers collègues, vous ne demandez pas à un couple hétérosexuel en âge de procréer, mais infertile, de choisir plutôt l’adoption, ou bien de renoncer à devenir parent ou de changer de partenaire. Non, dans leur cas, l’AMP avec un tiers donneur est remboursée par la sécurité sociale. En revanche, vous considérez qu’un couple de lesbiennes ou une femme seule, qui ne peuvent procréer sans homme, peuvent avoir recours à l’AMP avec tiers donneur, mais vous dites : pas de remboursement ! Cherchez l’erreur…

Que veut dire la droite sénatoriale avec cette discrimination ? Je crois qu’elle dit : cachez-moi ces familles que je ne saurais voir ; cachez-moi ces familles monoparentales ; cachez-moi ces parents homosexuels ; pas de remboursement par la sécurité sociale, pas de soutien de la Nation. (M. Xavier Iacovelli applaudit.)

À défaut de réussir à empêcher l’ouverture de l’AMP aux femmes seules et aux couples de femmes, la majorité sénatoriale souhaite un traitement différencié. C’est dire que le recours à l’AMP est légitime pour les uns, mais injustifiable pour les autres. C’est dire que, pour les femmes seules et les femmes homosexuelles, c’est une affaire privée, que vous ne tolérez pas et que vous ne soutenez pas.

Dois-je rappeler les « caprices » et autres « PMA de convenance » entendus dans cet hémicycle ? Il n’y a pas de « vraies » familles, mes chers collègues, il y a « des » familles.

Ouvrir un nouveau droit sans le rendre effectif par une prise en charge de la sécurité sociale revient de fait à s’y opposer.

J’ai bien compris que vous vous étiez radicalisés entre les deux lectures, mes chers collègues, et que vous ne vouliez pas du tout de la PMA. (Exclamations sur les travées du groupe Les Républicains. – Applaudissements sur les travées des groupes SER et RDPI.)