M. le président. La parole est à M. le secrétaire d’État.

M. Adrien Taquet, secrétaire dÉtat auprès du ministre des solidarités et de la santé, chargé de lenfance et des familles. Madame la sénatrice, je suis désolé de ne pas avoir mentionné votre rapport dans mon propos introductif. Un certain nombre des propositions que vous aviez formulées sont encore en expertise chez nous. Je peux vous indiquer ce que nous avons d’ores et déjà mis en place.

Vous avez fait référence à la nécessité d’anticiper les situations pour éviter les ruptures. Une circulaire du 21 septembre 2020 du ministre de l’intérieur a été adressée à l’ensemble des préfectures pour qu’elles se rapprochent des départements. C’est une initiative issue du terrain.

Ainsi, la préfecture et le conseil départemental de l’Oise ont mis en place une convention permettant d’examiner la situation d’un jeune à l’âge de 17 ans au plus tard, non pas forcément pour lui promettre qu’il aura des papiers à 18 ans, mais pour considérer le parcours d’études professionnalisant dans lequel il s’inscrit, afin de dresser une trajectoire et de faire un peu baisser la pression sur ses épaules.

Je sais que la circulaire n’est pas encore forcément appliquée sur l’ensemble du territoire.

Je me suis entretenu cet après-midi au téléphone avec le boulanger dont vous avez parlé. La tension étant un peu retombée, nous avons échangé sur la situation du jeune en question, qui n’est effectivement pas un cas isolé.

Toujours dans l’esprit des propositions que vous avez formulées, en matière d’insertion professionnelle, nous avons récemment annoncé un dispositif en faveur de tous les jeunes de l’ASE, dont les mineurs non accompagnés. En compagnie de Brigitte Klinkert, ministre déléguée chargée de l’insertion, nous avons signé, sous le haut patronage de l’ADF, une convention avec l’Union nationale des missions locales (UNML), dont l’une de vos collègues est vice-présidente, et l’Union nationale pour l’habitat des jeunes (Unhaj).

L’idée est que les missions locales aillent vers les jeunes de l’ASE, par exemple dans les foyers, au plus tard lorsqu’ils atteignent l’âge de 17 ans, au moment de l’entretien d’autonomie, afin de voir dans quel parcours ils s’inscrivent et quels dispositifs – je pense notamment à tout ce que nous avons déployé dans le cadre du plan « 1 jeune, 1 solution » – peuvent être mis à leur disposition.

J’ai également annoncé une solution financière pour les jeunes de l’ASE : 500 euros seront attribués à ceux qui n’ont ni formation ni emploi.

M. le président. La parole est à M. Hussein Bourgi.

M. Hussein Bourgi. Je remercie nos collègues du groupe Les Républicains d’avoir demandé l’inscription à l’ordre du jour de ce débat.

Dans un courrier du 8 octobre dernier, le Premier président de la Cour des comptes, Pierre Moscovici, écrivait au Premier ministre pour évoquer la politique publique relative aux MNA. Il y pointait un certain nombre de défaillances et de carences de la part de l’État dans la prise en charge des mineurs non accompagnés, en tout cas de ceux qui se déclarent comme tels. Il insistait en particulier sur le manque de pilotage et d’organisation interministériels, et soulignait même des fragilités. En filigrane, il confirmait ce que nous constatons toutes et tous dans nos territoires – je précise que mon département, l’Hérault, est mitoyen de celui de M. Burgoa, le Gard.

Nous avons le sentiment que l’État se défausse sur les départements, laissant à ceux-ci le soin de prendre en charge les mineurs non accompagnés. Pourtant, une politique ambitieuse et transversale de prise en charge des MNA devrait réunir autour d’une même table les départements, votre ministère, mais aussi les ministères de l’éducation nationale, de l’intérieur, de la justice, de l’emploi et de la formation professionnelle.

Le courrier de M. Moscovici soulignait aussi la préparation insuffisante à la sortie des jeunes pris en charge par l’ASE.

Quelles mesures ont-elles été adoptées depuis que ce courrier a été adressé ? Quelles dispositions le Gouvernement compte-t-il prendre dans les prochains mois et les prochaines années pour desserrer l’étau autour des départements ? Le sujet est sensible et sérieux ; j’aurai l’occasion d’y revenir tout à l’heure. Dans l’immédiat, j’aimerais avoir votre éclairage sur le pilotage et la coordination de l’action gouvernementale, monsieur le secrétaire d’État.

M. le président. La parole est à M. le secrétaire d’État.

M. Adrien Taquet, secrétaire dÉtat auprès du ministre des solidarités et de la santé, chargé de lenfance et des familles. Monsieur le sénateur, ces remarques du Premier président de la Cour des comptes portaient en fait sur l’aide sociale à l’enfance dans son ensemble. Il y a d’ailleurs eu un autre rapport de la Cour des comptes à cet égard. Le pilotage de cette politique est effectivement insuffisant.

Je pense avoir toujours été très clair avec les élus, notamment les présidents de conseil départemental ; d’ailleurs, je salue les personnes présentes dans l’hémicycle qui exerçaient encore récemment ce mandat, juste avant leur élection au Sénat. L’État n’a pas toujours été au rendez-vous de ses propres responsabilités. À mes yeux – cela a toujours été ma position –, la protection de l’enfance est une compétence non pas décentralisée mais partagée.

En effet, la vie d’un enfant, mineur non accompagné ou pas, ne suit pas notre organisation administrative et institutionnelle. Les points de contact entre l’État et les départements sont permanents tout au long de la vie d’un enfant.

Nous le savons, les enfants relevant de l’ASE, et notamment les mineurs non accompagnés, ont une scolarité plus compliquée que les autres enfants de leur âge, et leur santé est moins bonne. C’est une problématique qui relève de la compétence de l’État.

Il y a aussi un point de contact entre l’État et les départements sur l’accompagnement vers l’autonomie.

Les conclusions du rapport rejoignent les enjeux de la réforme de la gouvernance de l’ASE, laquelle concerne aussi les mineurs non accompagnés ; j’espère que vous aurez bientôt l’occasion d’en débattre. L’objectif est précisément de renforcer le pilotage politique et d’améliorer la coordination tant entre les différents intervenants au sein de l’État qu’entre l’État et les départements.

M. le président. La parole est à M. Alain Cadec. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Alain Cadec. Monsieur le secrétaire d’État, le coût annuel de la prise en charge des mineurs non accompagnés par les départements est estimé à 2 milliards d’euros ! Et, en 2020, le coût d’accueil d’un MNA est estimé à 50 000 euros par an.

Face à l’augmentation massive du nombre de MNA étrangers, qui a triplé entre 2016 et 2018, même si cela va un peu mieux maintenant, les services départementaux doivent s’organiser dans l’urgence sans les moyens et les structures adaptées.

D’un point de vue budgétaire, les dépenses ont considérablement augmenté. À titre d’exemple, le département des Côtes-d’Armor dépensait 2,5 millions d’euros pour la prise en charge des mineurs non accompagnés en 2016, contre 8 millions d’euros aujourd’hui. Certes, il reçoit des aides de l’État, mais celles-ci sont loin de compenser toutes les dépenses.

En 2019, l’État budgétait ainsi seulement 141 millions d’euros, alors que le coût évalué par l’ADF était – je le rappelle – de 2 milliards d’euros. C’est un gouffre financier pour les départements, qui s’ajoute d’ailleurs à la non-compensation croissante des allocations individuelles de solidarité.

Chaque département se voit imposer chaque année par l’État un pourcentage de MNA à accueillir, lesquels se révèlent parfois, au terme d’une procédure d’évaluation ou même au cours de leur prise en charge, être des majeurs.

L’État laisse les collectivités gérer seules les conséquences de son manque de courage politique. Une fois de plus, il est aux abonnés absents !

La question des MNA est liée à la politique migratoire, monsieur le secrétaire d’État. C’est donc bien une prérogative régalienne.

Cerise sur le gâteau, le Gouvernement vient de décider unilatéralement d’interdire aux départements d’héberger les MNA dans des hôtels, tout cela sans proposer de solution de remplacement. D’ailleurs, il n’en existe pas.

Monsieur le secrétaire d’État, le Gouvernement a-t-il l’intention de prendre sa part de responsabilité dans la gestion du flux migratoire, afin de désengorger les demandes d’accueil et d’accompagnement de ces jeunes et d’assumer ainsi ses responsabilités ? Va-t-il enfin soutenir efficacement les conseils départementaux en leur donnant les moyens nécessaires pour accueillir ces mineurs non accompagnés ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. le président. La parole est à M. le secrétaire d’État.

M. Adrien Taquet, secrétaire dÉtat auprès du ministre des solidarités et de la santé, chargé de lenfance et des familles. Monsieur le sénateur, quand nous décidons qu’il ne peut pas y avoir d’enfant à l’hôtel dans notre pays, nous assumons, je le crois, nos responsabilités. Nous le faisons collectivement, en tant que Nation n’acceptant pas que certains gamins de 15 ans n’aient aucun accompagnement éducatif et soient abandonnés à eux-mêmes.

Je ne tombe pas dans les généralités… Il s’agit d’une réalité que le confinement a exacerbée, parfois de manière dramatique. Je sais que nous nous rejoignons sur ce point.

Encore une fois, je ne fais pas d’idéologie ou de politique sur ces sujets ; je suis simplement conscient des raisons pour lesquelles des enfants vivent aujourd’hui à l’hôtel. J’ai commandé à l’IGAS voilà un an un rapport pour connaître la réalité de la situation. Car tout le monde en parle sans savoir précisément de quoi il s’agit…

Il y a aujourd’hui, nous le savons, entre 7 000 et 10 000 mineurs hébergés à l’hôtel. Dans 95 % des cas, ce sont effectivement des MNA. Dans 5 % des cas, ce sont des enfants « à parcours complexe » ; nous pourrons y revenir si vous le souhaitez.

Je pense que nous devons collectivement poser le principe de l’interdiction d’hébergement des mineurs à l’hôtel. Nos concitoyens ne comprendraient pas que nous décidions le contraire.

Pour être pragmatique, il faut proposer d’autres solutions, et même un encadrement strict dans le temps sur les modalités d’accompagnement et le type d’hôtel, afin de faire face de manière temporaire aux situations vécues par les départements lors de l’arrivée de nombreux MNA.

Telle est notre démarche ; nous allons y travailler avec les départements et l’ADF.

M. le président. Vous ne pouvez pas répliquer, monsieur Cadec, car vous avez épuisé votre temps de parole.

La parole est à M. Joël Guerriau.

M. Joël Guerriau. Monsieur le secrétaire d’État, j’aimerais partager avec vous un témoignage.

Au mois de septembre dernier, quelques jours après l’attentat qui a eu lieu devant les anciens locaux de Charlie Hebdo, j’ai pu m’entretenir avec une famille accueillant trois mineurs isolés étrangers. Deux d’entre eux, jeunes gens de nationalité pakistanaise, venaient du foyer où était hébergé l’auteur de l’attentat. Je dois dire que plusieurs points m’ont interpellé au cours de mes échanges avec cette famille d’accueil.

Ces deux jeunes mineurs considéraient de bonne foi le blasphème comme un crime. Ils approuvaient même l’attentat qui venait d’être commis. Le couple qui les accueille a pris le parti, contre l’avis des éducateurs, de leur enlever quelque temps après l’attentat leurs téléphones, grâce auxquels ils entretenaient des liens avec d’autres personnes partageant cette opinion.

Les deux mineurs ont également été entendus par des gendarmes. J’ai été surpris de constater qu’aucun suivi éducatif ou pédagogique ne leur avait été apporté dans leur foyer d’origine. Il n’y a pas de cours d’éducation civique leur permettant de s’intégrer en acquérant les valeurs de la Nation française ! En fait, ils viennent avec leur culture et ignorent la nôtre.

À ce titre, l’insertion en lieu de vie, plutôt qu’en foyer, semble être une bien meilleure solution. Les lieux de vie sont sous-utilisés, et nos départements manquent de moyens pour réaliser ces accueils dans de bonnes conditions.

Dans le témoignage que j’ai recueilli, les accueillants m’ont affirmé que ces jeunes gardaient des contacts réguliers avec leur famille. Dans ce cas, si l’on connaît les parents, si l’on peut les identifier, pourquoi ces jeunes restent-ils en France ?

Enfin, les passeurs sont souvent connus dans le cas des mineurs non accompagnés ; c’était le cas pour ces deux jeunes. Ces gens utilisent la misère du monde. C’est inadmissible !

Quels moyens sont mis en œuvre aux échelons français et européen pour arrêter les passeurs et démanteler ces filières ? Quelles discussions sont en cours avec les pays de départ des MNA sur ces sujets ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. le président. La parole est à M. le secrétaire d’État.

M. Adrien Taquet, secrétaire dÉtat auprès du ministre des solidarités et de la santé, chargé de lenfance et des familles. Monsieur le sénateur, vous évoquez énormément de sujets. Vous vous référez à un cas dramatique, qui avait d’ailleurs suscité – ce n’est pas du tout votre cas – un certain nombre d’amalgames à l’époque. J’en avais longuement discuté avec la présidente du conseil départemental du Val-d’Oise, Marie-Christine Cavecchi, et la vice-présidente chargée de l’enfance.

Il s’agissait, souvenez-vous, d’un jeune qui était passé par l’ASE, mais qui en réalité n’était pas mineur, ce que les services départementaux avaient confirmé. En outre, d’après l’enquête administrative, il n’y avait eu aucun signe de radicalisation au sein du foyer où il était hébergé.

Je m’étonne d’entendre que des jeunes ne bénéficient pas d’un suivi éducatif. Normalement, c’est un principe de base, et les travailleurs sociaux sont soumis aux règles de signalement de suspicion de radicalisation s’ils sont confrontés à de telles situations. Nous avions un peu investigué, avec le ministère de l’intérieur, pour savoir ce qu’il en était. Peu de signes inquiétants remontaient des foyers ou des familles d’accueil.

Je vous remercie d’appréhender le sujet dans sa globalité. Il y a évidemment une action à mener avec les pays d’origine. Elle peut être policière, notamment pour lutter contre les passeurs et les trafics, car un certain nombre de ces enfants sont effectivement victimes de la traite.

Pour ma part, j’ai toujours abordé cette problématique sans idéologie et avec une grande humilité. Le sujet est complexe. Le débat sur les questions migratoires nous anime depuis des années. À mes yeux, tout faire pour éviter qu’un môme de 15 ans ne monte sur un canot pneumatique pour traverser la Méditerranée, cela relève de la protection de l’enfance ! Notre responsabilité est de faire en sorte qu’il ne parte pas.

Nous devons donc, à la fois, lutter contre les filières clandestines et discuter avec les pays sources pour retenir les enfants. En outre – j’y reviendrai peut-être –, le ministère de l’intérieur mène un travail sur la reconstruction de l’état civil dans un certain nombre de pays d’origine.

M. le président. La parole est à Mme Esther Benbassa.

Mme Esther Benbassa. Monsieur le secrétaire d’État, malgré une baisse importante des arrivées en 2020, la situation alarmante dans laquelle se retrouvent les mineurs non accompagnés perdure.

En effet, les délais de traitement des recours de reconnaissance de minorité auprès d’un juge peuvent varier de six à vingt-quatre mois, et certains jeunes arrivent à majorité avant d’obtenir une réponse.

Par ailleurs, on note de grandes disparités territoriales : dans certains départements, l’évaluation de ces mineurs ne va durer qu’un seul jour ; dans d’autres, ils seront placés à l’hôtel pendant plus de six mois.

Mais, outre que le placement en hôtel a été décrié dans un récent rapport de l’IGAS – je vous ai interpellé sur le sujet en vous adressant une question écrite le 4 février dernier –, les évaluations ne durant qu’un jour ne sont pas plus vertueuses, car elles sont souvent expéditives, et les jeunes sont directement remis à la rue. Ces derniers se retrouvent ainsi confrontés à des problèmes d’hébergement et de scolarisation. Beaucoup d’entre eux ne font l’objet d’aucune prise en charge sanitaire, notamment dentaire, ce qui est problématique en plein hiver et en pleine pandémie.

De ce fait, non seulement il apparaît urgent d’appliquer immédiatement la présomption de minorité pour ces jeunes en recours, mais il convient aussi d’aller au-delà et de tout simplement prendre en compte leur vulnérabilité pour qu’ils aient accès à une réelle prise en charge pluridisciplinaire. Les associations qui pallient ces carences ne peuvent pas remplacer à elles seules l’État. Quand celui-ci prendra-t-il ses responsabilités ? (Applaudissements sur les travées du groupe GEST. – Mme Michelle Meunier applaudit également.)

M. le président. La parole est à M. le secrétaire d’État.

M. Adrien Taquet, secrétaire dÉtat auprès du ministre des solidarités et de la santé, chargé de lenfance et des familles. Madame la sénatrice, aujourd’hui, les conseils départementaux ou les associations qui ont reçu une délégation en ce sens évaluent en moyenne sous quinze jours. Ces dernières années, les délais ont été réduits ; il est vrai que c’était un sujet de préoccupation.

À cet égard, les contributions financières de l’État vers les départements dont je parlais précédemment, notamment les 90 euros pendant quatorze jours, ont un effet levier. Nous avons calé les choses pour essayer de réduire les délais d’instruction, d’évaluation et de mise à l’abri.

En outre, et ce point n’est pas toujours très bien compris par les associations – il est vrai que chacun est dans son rôle –, celui qui n’a pas été évalué comme mineur par les services compétents est réputé majeur. Le recours au juge par des jeunes ou des associations, comme cela se pratique de manière systématique dans certains territoires, ne vaut pas interjection d’appel. Le jeune est considéré comme étant majeur et ne peut pas bénéficier des dispositifs réservés aux mineurs.

Encore une fois, notre dispositif, avec tous ses bienfaits, ses difficultés, ses limites, ses points de friction et de tension, doit être là pour protéger les mineurs, c’est-à-dire ceux qui sont reconnus comme tels. Le débat se pose dans les mêmes termes pour l’asile. Nous voulons avant tout protéger ceux qui ont droit au dispositif. Ne prenons pas le risque de faire souffrir les véritables mineurs à cause d’un système bloqué par des personnes majeures !

En 2018, sur les quelque 40 000 jeunes qui sont venus se déclarer mineurs, seuls 17 000 à 18 000 l’étaient vraiment !

M. le président. La parole est à Mme Esther Benbassa, pour la réplique.

Mme Esther Benbassa. Tout de même, monsieur le secrétaire d’État, plus de la moitié des jeunes qui font un recours, accompagnés par des associations, sont finalement reconnus comme mineurs par la justice ! Des centaines de jeunes sont donc laissés par erreur dans la rue pendant des mois, voire des années.

Pour ma part, j’ai suivi pendant un mois des mineurs dans le 11e arrondissement.

M. le président. Il faut conclure, ma chère collègue ; vous avez dépassé votre temps de parole.

Mme Esther Benbassa. Pour le moment, la ville a placé quarante d’entre eux dans un centre. Les soixante autres sont dans la rue.

M. le président. Madame Benbassa, il y a un règlement. Les auteurs d’une question ont un droit de réplique s’ils n’ont pas consommé la totalité des deux minutes dont ils disposent. Mais chacun doit respecter le temps de parole qui lui est imparti.

Mme Esther Benbassa. Vous avez raison, monsieur le président !

M. le président. La parole est à M. Thani Mohamed Soilihi.

M. Thani Mohamed Soilihi. Monsieur le secrétaire d’État, lorsqu’elle porte sur Mayotte, la question des mineurs non accompagnés déborde largement le champ de la politique de l’aide sociale à l’enfance ou du secteur associatif.

La situation du 101e département reste en effet singulière sur le territoire national. Je ne peux pas éluder en disant cela les événements très graves qui se produisent sur le sol mahorais, opposant des bandes de jeunes armés, lesquels ont très récemment tué deux mineurs.

La particularité se retrouve également dans les chiffres, rappelés par le dernier rapport de la chambre régionale des comptes sur le sujet. Ainsi, plus de 4 000 MNA ont été dénombrés en 2016.

Alors que les MNA représentent entre 15 % et 20 % des mineurs pris en charge par l’ASE en 2018 à l’échelon national, ce pourcentage est plus du double à Mayotte, dans une proportion qui a elle-même presque doublé en deux ans.

Cette situation est d’ailleurs qualifiée d’« atypique » par la Cour des comptes, qui, dans son rapport de 2020, justifie de cette façon le fait que ce département ne soit pas pris en compte dans les données nationales qu’elle utilise.

Cette spécificité est aussi celle de la situation géographique de Mayotte, qui se traduit par une pression migratoire insupportable depuis les Comores, ainsi que par l’absence de répartition entre départements de la prise en charge des MNA se trouvant sur le sol mahorais, lesquels sont livrés à une grande précarité et à toutes les vulnérabilités.

La complexité est grande – j’en ai bien conscience –, et la solution ne peut se faire au mépris du droit.

Monsieur le secrétaire d’État, vous vous êtes rendu dans notre territoire au mois d’octobre dernier, et vous avez pu constater ces difficultés. À ce titre, quel bilan pouvez-vous dresser de l’action de l’État en appui du département ?

Je pense notamment à la convention de 2017 relative aux concours en faveur de l’ASE. Dans la continuité, quelles actions sont-elles envisagées pour traiter cette réelle difficulté de prise en charge des MNA dans notre département ?

M. le président. La parole est à M. le secrétaire d’État.

M. Adrien Taquet, secrétaire dÉtat auprès du ministre des solidarités et de la santé, chargé de lenfance et des familles. Monsieur le sénateur, comme vous l’avez souligné, la situation à Mayotte est pour le moins atypique. Pour ma part, j’ai toujours considéré qu’on ne pouvait pas la comprendre depuis Paris sans la sentir dans sa chair, en se rendant sur place. J’avais d’ailleurs fait le même raisonnement à propos de la Guyane.

Vous l’avez rappelé, je suis venu à Mayotte au mois d’octobre dernier. Vous étiez à mes côtés, et je vous en remercie.

La situation est éminemment complexe. Stricto sensu, il y a 300 mineurs non accompagnés. Mais il y a également 4 000 jeunes qui ne sont pas totalement isolés, puisqu’ils ont des membres de leur famille sur le territoire mahorais.

Une convention spécifique a effectivement été mise en place, avec une aide de l’État de 10 millions d’euros chaque année ; celle-ci arrivera d’ailleurs à son terme à la fin de cette année. Nous réfléchissons actuellement sur les modalités de prorogation de cette dotation exceptionnelle.

Vous le savez, lors de ma venue, j’ai apporté un concours financier exceptionnel de 2 millions d’euros à destination non pas du conseil départemental, mais directement des associations qui agissent auprès des enfants à Mayotte. Il s’agit de les aider à créer des places supplémentaires et à mettre en place des dispositifs de prévention spécialisée.

J’ai par ailleurs tendu la main au président du conseil départemental, en proposant de contractualiser avec l’État dans le cadre de la stratégie de prévention et de protection de l’enfance que j’ai déployée. Il m’a dit qu’il y réfléchissait. Je suis bien évidemment toujours à sa disposition pour accompagner le territoire.

La politique de reconduite à la frontière est importante. En 2019, ce sont 27 000 personnes, pas seulement des enfants, qui ont été reconduites, essentiellement aux Comores. L’objectif est à peu près similaire pour 2020.

Toutes ces dispositions doivent permettre de faire face aux difficultés que vous évoquez.

M. le président. La parole est à Mme Nathalie Delattre.

Mme Nathalie Delattre. Monsieur le secrétaire d’État, depuis deux ans, la quiétude et la sérénité qui caractérisaient notre belle ville de Bordeaux sont perturbées par l’afflux massif de jeunes étrangers isolés. Ils sont livrés à eux-mêmes, errant dans le centre-ville et devenant ainsi les proies idéales de réseaux de traite d’êtres humains. La hausse des violences est sans précédent : vols à l’arrachée, cambriolages, agressions, trafic de stupéfiants et d’armes sont devenus monnaie courante.

Pour la préfecture, plus de 40 % de la délinquance des mineurs à Bordeaux seraient le fait de ces mineurs non accompagnés ; 1 400 d’entre eux ont d’ores et déjà été pris en charge par le département, mais au moins 200 posent encore problème. Pourtant, une trentaine seulement seraient réellement âgés de moins de 18 ans.

Ce phénomène qui, à Bordeaux, inquiète autant nos habitants qu’il désarme nos forces de police, nous fait débattre à Paris, alors que nous ne sommes toujours pas dotés sur le terrain d’outils pour identifier correctement ces mineurs !

Nous devons faire ici l’aveu de l’échec de notre politique d’évaluation de l’âge de ces étrangers, malgré quelques coopérations fructueuses, mais trop lourdes, avec l’Espagne. Il faut mettre un terme aux polémiques stériles qui surgissent de toutes parts et nous empêchent d’avancer.

Sur les tests osseux, l’avis du Conseil constitutionnel de 2019 aurait dû mettre un terme à certaines controverses injustifiées, d’autant que ces examens radiologiques, sous-exploités, sont la seule solution pour régler l’épineuse question de la présomption de minorité.

Pourquoi le recours aux radiographies osseuses n’est-il pas systématique lorsqu’un jeune migrant souhaite contester la décision du département devant un juge pour enfants, seul habilité à statuer définitivement sur l’âge ? Pourquoi cette demande d’appel ne constitue-t-elle pas une expression de consentement de sa part ? (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE, ainsi que sur des travées des groupes RDPI, INDEP, UC et Les Républicains.)

M. le président. La parole est à M. le secrétaire d’État.

M. Adrien Taquet, secrétaire dÉtat auprès du ministre des solidarités et de la santé, chargé de lenfance et des familles. Madame la sénatrice, l’évaluation est un sujet complexe.

En droit et en fait, les tests osseux ne garantissent pas de connaître avec certitude l’âge d’une personne, ainsi que nous le disent les scientifiques. C’est encore plus vrai pour les jeunes âgés de 15 à 18 ans : le corps se développant à cette période, il est difficile de déterminer l’âge avec précision. Il est donc impossible de savoir avec certitude si un jeune a 17 ans et demi ou 18 ans et demi.

Pour cette raison, le Conseil constitutionnel a réaffirmé que ces tests osseux, pratiqués sur décision d’un juge – ils ne sont pas systématiques –, faisaient partie du faisceau d’indices permettant d’évaluer la minorité, notamment avec l’entretien d’évaluation sociale.

Ce faisceau a été redéfini par l’arrêté du 20 novembre 2019. Doivent être pris en compte explicitement ce qui permet de déterminer l’âge, l’état civil, l’état de vulnérabilité, les éléments de projet personnel ayant émergé lors de l’évaluation ou encore ce qui, dans les entretiens, est apparu comme de nature à faire douter de la minorité ou de l’isolement.

Ces éléments doivent être appréciés dans le cadre d’une politique d’homogénéisation par les services de la DGCS, mais également du ministère de l’intérieur et de la direction de la protection judiciaire de la jeunesse (DPJJ).

Madame la sénatrice, vous êtes élue en Gironde. Dans les 80 départements qui utilisent ou sont sur le point d’utiliser le fichier AEM, on a constaté une baisse de 20 % à 30 % du nombre de jeunes qui se présentent. Il y avait effectivement du nomadisme administratif !

Il me semble important que l’ensemble des départements utilisent ce fichier, tant pour la bonne tenue de l’ensemble du système que pour la protection des enfants.